LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

PREMIÈRE PARTIE

 

II. — LA CONJURATION BRETONNE.

 

 

Au vieux manoir de la Mancellière, à deux lieues environ de Dol, habitait, en 1789, un personnage étrange, dont le renom de bizarrerie était grand dans toute la contrée. C'était le comte Louis-René de Ranconnet de Noyan[1], gentilhomme de vieille race et de caractère hautain : il était riche, dépensait noblement sa fortune, secourant les pauvres de ses terres, assistant au besoin ses vassaux et entretenant à grands frais des serres et des jardins qui étaient renommés en France et à l'Étrange[2].

Le comte de Noyan touchait à la soixantaine : il avait les cheveux parfaitement blancs, le regard vif et dur, la physionomie prononcée ; il avait servi dans les pages ; blessé d'une balle à la bataille de Lawfeld[3], il quitta le service et se retira dans ses terres. Très entiché de ses droits, il s'était appliqué à faire revivre certains usages féodaux, tombés en désuétude, mais dont il se montrait jaloux : les nouveaux mariés, par exemple, devaient apporter au château, le dimanche des Rameaux, à l'issue de la grand'messe, un petit fagot de bois qu'ils déposaient au milieu de la cour et sauter par-dessus à trois reprises, en présence du comte, à charge par celui-ci de leur servir un plantureux dîner[4].

Le seigneur de la Mancellière était, du reste, adoré de ses paysans : il était à la fois brusque, bienveillant, inabordable et plein de charité. Sa maison était un hôpital ; les paysans blessés ou infirmes y venaient pour faire panser leurs plaies ou demander des consultations sur l'état de leur santé : la pharmacie du comte de Noyan était connue de tout le pays ; l'une de ses filles s'astreignait à panser les plaies, à poser les cataplasmes, assistée par une vieille femme qui avait été, avant la mort de la comtesse de Noyan[5], l'intendante de ses bonnes œuvres, et qu'à plusieurs lieues à la ronde on connaissait sous le nom de Bonbon.

Longtemps avant la Révolution, le comte de Noyan avait, pendant quelques années, séjourné à Paris : atteint d'un asthme obstiné, auquel les médecins n'avaient apporté aucun soulagement, il s'était confié à Mesmer, qui l'avait initié aux secrets du magnétisme : la cure réussit, et le comte devint l'un des plus fervents adeptes de la science nouvelle. A son retour en Bretagne, il tint baquet à la Mancellière : il recherchait avec soin, pour les attacher à sa personne, les individus doués des qualités requises, et il se faisait magnétiser tous les matins. Il s'occupait aussi de métaphysique et avait fait construire au bout de son jardin un pavillon pour y loger un jeune savant, qu'il employait à traduire Plotin, Porphire et autres philosophes néo-platoniciens. Outre ce métaphysicien à gages, le personnel de la Mancellière se composait de Clavet, le médium ordinaire, et d'un intendant nommé Leroy, qui avait épousé une ancienne femme de chambre de Mme de Noyan.

Monsieur Leroy exerçait sur son maître une véritable fascination, dont il était impossible d'expliquer la cause : c'était un homme prétentieux et de manières communes : il ne comprenait pas la moitié des mots qu'il employait, et il brouillait de la façon la plus étrange les notions historiques dont il aimait à faire parade : il était, en outre, irritable et processif, et il aurait aliéné à M. de Noyan tous ses voisins si quelqu'un eût pensé à le prendre au sérieux. Mme Leroy était très vulgaire de tournure et de visage : elle avait un petit garçon que le comte soignait avec une affection paternelle[6]. Le mari et la femme mangeaient à la table du maître, faisaient les honneurs de la maison et y étaient tout-puissants. L'habitude de vivre avec des subalternes avait peu à peu rendu intolérable le caractère de M. de Noyan : il ne supportait plus la moindre contradiction, et toute résistance à sa volonté lui paraissait une offense. Ses deux filles, mariées, l'une au comte de Kersalaün, l'autre au comte de Sainte-Aulaire, avaient renoncé à venir chez leur père, qui, avec une sensibilité très vive, une loyauté chevaleresque, manquait souvent d'équité et devenait chaque jour plus irascible[7].

Cette esquisse du châtelain de la Mancellière, suffit à faire comprendre la sorte de prestige que le vieux gentilhomme exerçait sur le marquis de la Rouërie. Leurs deux natures avaient de grands points de ressemblance : même dédain des préjugés, même singularité de conduite, même irritabilité, mêmes utopies. Le parallèle pourrait être poussé plus loin encore : comme la Rouërie, le comte de Noyan avait manifesté, plusieurs années avant la Révolution, une haine profonde pour le despotisme, et il semblait devoir embrasser avec ardeur la cause et les espérances des novateurs. Il n'en fit rien, cependant, étant passionnément monarchiste, et en cela encore la Rouërie partageait ses sentiments. Ni l'un ni l'autre ne pensèrent à quitter la Bretagne ; l'émigration répugnait à leurs principes ; mais la noblesse bretonne ayant, ainsi qu'on l'a vu, refusé d'envoyer des représentants aux États généraux, les membres de cet ordre se trouvaient naturellement disposés à former, dans la province même, une association politique et à observer en commun la marche d'un gouvernement en dehors duquel ils s'étaient placés[8].

Aussi, dès les premiers jours de 1790, le château de la Mancellière était-il devenu un lieu de rendez-vous pour certains mécontents de la région : on y déblatérait contre les avocats de l'Assemblée nationale ; on déplorait la faiblesse d :u roi, l'inertie des émigrés, l'aveuglement du peuple : il se formait là un club royaliste où tous les moyens de réaction étaient discutés, où mille projets étaient ébauchés, sans que personne émît une idée pratique et se risquât à attacher le grelot qu'on se contentait d'agiter.

Depuis longtemps le marquis de la Rouerie venait familièrement à la Mancellière. Av ?nt son départ pour l'Amérique, il avait sollicité la main de la fille aînée du comte de Noyan[9] ; celui-ci, qui, en aucune circonstance, ne prenait avis de personne, avait nettement repoussé la proposition et marié sa fille au comte de Kersalaün. Ce refus, cependant, n'avait pas nui aux relations établies entre les deux gentilshommes[10], relations que les événements politiques et la conformité d'opinions avaient encore resserrées. Tous deux, examinant la situation faite à la noblesse bretonne par son abstention volontaire, formèrent le plan d'une association réunissant dans une commune entente tous ceux qui regrettaient leur inaction ou qu'effrayaient les orageux débuts de la Révolution. Ils en arrêtèrent les bases, combinèrent les moyens d'exécution, supputèrent les ressources possibles, recueillirent quelques adhésions et s'accordèrent à reconnaître que l'heure était propice à un soulèvement royaliste.

Le comte de Noyan consentait à apporter au projet l'appui de son nom et de sa situation, mais à la condition que ses chères habitudes n'en seraient en rien modifiées : il fallait un chef jeune, entreprenant, actif, populaire, et ce rôle revenait de droit au marquis de la Rouërie, qui réunissait en lui toutes ces qualités. Le souvenir de ses désordres, sa réputation de tête folle, ses manières même parfois excentriques et toujours insouciantes des préjugés, pouvaient, il est vrai, nuire quelque peu à son autorité. Il importait aussi, afin de parer à tout prétexte d'insubordination, qu'il fût agréé et reconnu en sa nouvelle qualité, sinon par le roi, alors prisonnier du parti constitutionnel, du moins par le comte d'Artois qui, émigré depuis 1789, représentait aux yeux des purs monarchistes le droit royal dans toute son intégrité. Il fut donc convenu que la Rouërie gagnerait au plus tôt Coblentz pour soumettre au frère de Louis XVI le plan d'organisation et obtenir son assentiment.

Transporté de joie à l'idée du rôle qui lui est réservé, le marquis fait aussitôt ses préparatifs, emprunte quelque argent[11] pour subvenir aux frais de son voyage et se met en route.

Pour n'être pas soupçonné d'émigration, il prend prétexte d'intérêts qui l'appellent à Londres[12], se fait régulièrement délivrer un passe port et s'embarque à Saint-Malo. Sa belle cousine Thérèse de Moëlien l'accompagnait ; il emmenait, en outre, un domestique fidèle, nommé Saint-Pierre, Guillon, son perruquier, et Bossart, son valet de chambre[13]. Les voyageurs ne firent que toucher l'Angleterre, et, par Ostende, gagnèrent l'Allemagne ; vers le 20 mai, ils arrivaient au bord du Rhin.

Coblentz était alors un endroit très gai : la ville fourmillait d'émigrés, pleins de confiance dans la fin, prochaine de l'aventure révolutionnaire et ravis de leur escapade, qu'ils considéraient comme une amusante partie de campagne.

On campe dans les hôtels, au palais de l'Électeur, dans les villas au bord du fleuve, des maisons toutes neuves et arrangées à merveille, avec les plus jolis papiers, les lits et les rideaux des fenêtres en taffetas de couleur unie ou en mousseline blanche ; c'est charmant[14]. Le pont-volant, d'une rive du Rhin à l'autre, ne porte que des groupes folâtres : il y a défense de prendre un sol de péage aux Cocardes blanches ; le bon, le parfait, le digne Électeur, qu'on trouvait si petit seigneur à Paris[15], a rendu ce gracieux arrêté en faveur des Français : aussi quel grand prince n'est-il pas ! A certains jours, il ouvre aux réfugiés son château de plaisance de Schœnbornlust, aux portes de la ville.

Et l'on affecte d'apporter là les élégances de Versailles ; on s'amuse à stupéfier les naïfs Allemands : ils frémissent de voir, au Café des Trois-Couronnes, ces gentilshommes sans le sou jetant l'argent à pleines poignées, disant qu'un Français ne rabat point, dépensant quinze écus par repas, méprisant le pain noir, ne mangeant que la croûte du pain blanc et faisant avec la mie des boulettes qu'ils se jettent au visage[16]. On joue toute la nuit ; on déjeune en partie fine sur les belles pelouses qui bordent le Rhin[17] ; si l'on pense à l'avenir, c'est pour se partager les grades, les places, les décorations ; chaque jour voit une distribution nouvelle de cordons, de croix, d'épaulettes : on ne rebute aucune ambition, on n'écarte aucun postulant. Un officier se plaignant de m'avoir rien reçu, on lui confia le commandement d'un corps d'Illyriens, et le maréchal de Broglie eut soin, en l'informant de cette faveur singulière, de lui glisser quelques sages conseils sur la façon de manier ces étrangers d'humeur instable... Mais aucun Illyrien ne se présenta[18].

Ce monde de l'émigration, superbe, insolent, étourdi, était d'une ignorance qui consternait les Allemands. Plus je les connais, disait l'un d'eux, plus j'admire la politesse et la grâce de leurs matières : mais quelle nullité dans tout le reste ! Et un émigré même, royaliste fanatique cependant, écrivait : Je n'ai tracé qu'une légère esquisse de la cour de Coblentz : le tableau serait trop noir ; il faudrait dévoiler trop d'horreurs. Il m'a suffi de lever un coin du rideau, un Français doit le refermer bien vite[19].

A son entrée en scène sur cet étrange théâtre, le marquis de la Rouërie s'attendait à y jouer, dès l'abord, un rôle en vue : il apportait une idée ; mais ce n'était point chose rare à Coblentz : depuis que s'y groupaient les émigrés, les faiseurs de projets y foisonnaient, et chacun avait un plan. D'ailleurs la confiance était grande, et on se lamentait seulement du trop de facilité qu'on aurait à vaincre la Révolution ; on eût souhaité plus de résistance.

Comme il était pourtant de bonne politique de ne décourager personne, la Rouerie fut bien accueilli. Il y avait là cent soixante gentilshommes bretons[20] qui l'acclamèrent. Mais le comte d'Artois n'était pas à Coblentz, et le marquis dut l'aller chercher jusqu'à Ulm, où il parvint dans les premiers jours de juin. Le prince connaissait quelque peu l'ancien officier aux Gardes et s'était montré jadis plein d'indulgence pour les désordres de sa conduite[21] ; il le reçut, écouta son projet, l'approuva fort et conclut par ces mots qui terminaient tous ses entretiens :

Voyez Calonne.

La Rouërie espérait plus : il fit valoir que, abandonné à lui-même dans les régions de l'Ouest, complètement isolé de l'armée des émigrés et sans moyens rapides de communiquer avec elle, il ne pouvait avoir d'action sur les royalistes de sa province que s'il était investi d'une autorité indiscutable, ou, tout au moins, pourvu de l'autorisation d'agir au mieux des circonstances. Le comte d'Artois consentait à déléguer tous les pouvoirs qu'on lui demandait, à condition que la chose ne coûterait rien : il était sans argent et ne pouvait seconder pécuniairement l'insurrection bretonne. La Rouërie trouva un moyen terme et obtint une cédule conçue en termes assez vagues : le prince promettait, au nom du roi, son frère, des récompenses à tous ceux qui se montreraient zélés pour la bonne cause, tout en manifestant l'espoir qu'ils trouveraient eux-mêmes les fonds nécessaires à l'entreprise : il voulait bien s'engager avec eux pour tous les emprunts nécessaires ; mais sous réserve que les fonds recueillis seraient confiés à un trésorier comptable[22]. Le comte d'Artois ne connaissait la Rouerie que par ses dissipations, et il jugeait sagement en lui préférant un caissier moins prodigue.

Muni de ce pouvoir, le marquis revint à Coblentz et conféra avec Calonne, le grand-maître de l'émigration. Aucun homme ne semblait moins désigné pour la direction d'affaires si compliquées et si graves que cet ancien ministre de Louis XVI. Calonne entreprenait tout et ne terminait rien : il tentait à la fois mille opérations contradictoires, ébauchait sans cesse de nouveaux projets, multipliait à l'infini ses moyens d'action. Superficiel et léger, vivant nonchalamment entre Mme de Poulpry et Mme de Lage, il ne donnait à aucun travail le temps nécessaire, se faisait adresser des rapports et n'y répondait pas, recevait des lettres qu'il ne prenait pas la peine de lire, croyait toujours le succès prochain et assuré. Son exemple est instructif et montre qu'en politique le dévouement ne suffit pas : nul ne fit de plus grands sacrifices à la cause royale ; il se ruina pour elle ; avant l'entrée en campagne des émigrés il s'était déjà engagé, afin de subvenir aux plus pressants besoins de l'armée des Princes, de 150.000 livres au-delà de sa fortune : on ne peut lui refuser ni l'intelligence ni la facilité. Telle fut pourtant son incurie qu'il porte, en grande partie, la responsabilité de l'effroyable débâcle dont nous aurons à raconter les principaux incidents.

Il ne semble pas, du reste, qu'il prit très au sérieux les projets du marquis de la Rouërie : il se contenta de donner, comme toujours, son approbation et d'engager le marquis à faire choix d'un homme sûr qui pourrait servir de courrier entre Coblentz et la Bretagne, afin d'assurer la concomitance des opérations.

L'homme sûr était trouvé. La Rouërie avait, en effet, rencontré, flânant dans les rues de Coblentz, un de ses anciens compagnons d'armes d'Amérique, Georges de Fontevieux. Neveu de la princesse douairière de Deux-Ponts, Fontevieux s'était enrôlé à treize ans comme volontaire dans la légion de Condé : il avait servi, en la même qualité, au régiment de Limousin et était passé en Amérique au mois de janvier 1778. Le colonel Armand l'avait incorporé dans sa légion et nommé lieutenant l'année suivante. A la paix, Fontevieux avait obtenu une commission de lieutenant en second au bataillon des chasseurs de Gévaudan[23], qu'il avait abandonné pour émigrer au commencement de 1791. Il parlait l'allemand, le français et l'anglais avec une égale facilité et avait donné, lors du siège d'York, en Virginie, des preuves de bravoure que la Rouërie n'avait pas oubliées. Il lui confia donc ses projets et lui proposa de servir de courrier à la conjuration. Fontevieux accepta avec enthousiasme, promit de ne pas quitter Coblentz en attendant des ordres[24], et, tout étant ainsi disposé, la Rouërie reprit, avec sa cousine, son fidèle Saint-Pierre et ses domestiques, le chemin de la Bretagne.

Le voyage, cette fois, s'effectua par terre. Le marquis et Saint-Pierre s'étaient déguisés en marchands[25] ; Thérèse de Moëlien, vêtue d'un costume d'amazone, portait, cousu dans sa ceinture, le pouvoir signé du comte d'Artois. Ils traversèrent à cheval les provinces rhénanes et la Lorraine ; apprirent en route la fuite et l'arrestation du roi à Varennes, et ils arrivèrent à Paris le jour même où la famille royale rentrait prisonnière aux Tuileries[26].

Armand de la Rouërie séjourna à Paris pendant quelques jours et ne manqua pas d'aller voir son ami Chévetel.

Depuis que le jeune médecin de Bazouges avait quitté la Bretagne, il s'était considérablement parisianisé. Nommé, comme nous l'avons dit, grâce au crédit du marquis, médecin consultant des bâtiments de Monsieur, frère du roi, il s'était lié, en cette qualité, avec un certain docteur Marat, qui fit, depuis, quelque bruit dans le monde et qui était, à la même époque, médecin consultant des gardes du corps de Mgr le comte d'Artois[27]. Chévetel habitait, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés[28], une maison toute voisine de l'ancien Théâtre-Français[29] et connue sous le nom d'Hôtel de la Fautrière. Il avait pour voisin d'en face un avocat au conseil du roi, très populaire dans le quartier et qui s'appelait Danton[30] ; un peu plus avant, vers la Nouvelle-Comédie[31], était un jeune journaliste nommé Camille Desmoulins[32]. Un comédien-poète, Fabre d'Eglantine, n'était pas loin de là ; le boucher Legendre avait son étal presque à l'angle du carrefour[33], et, tout à côté, demeurait un imprimeur, ardent patriote, qui devait être plus tard le maréchal Brune[34].

Soit que la réunion de tant de têtes chaudes communiquât la fièvre à tout le quartier, soit que le souvenir du parterre turbulent qui, avant la construction du nouveau théâtre, tenait ses assises au café Procope, y entretînt une atmosphère de révolte, ce petit coin du district des Cordeliers devint, en quelque sorte, dès les premiers jours de la Révolution, la forteresse des idées nouvelles. Chévetel avait pris là le germe de la contagion révolutionnaire : c'était un homme adroit, sentant le vent, et que les convictions ne gênaient pas ; il suivit le mouvement.

Peut-être ignorait-il les relations qui avaient existé entre la Rouërie et Mlle Fleury, l'actrice du Théâtre-Français, dont nous avons déjà cité le nom ; peut-être aussi ne lui répugnait-il pas de succéder à son ami dans les bonnes grâces de la comédienne. Toujours est-il qu'il s'était lié avec elle : ils vivaient ensemble à l'hôtel de la Fautrière. Or, quand, au commencement de 1790, le Châtelet ordonna des poursuites contre Marat, c'est à cet hôtel de la Fautrière que l'Ami du Peuple vint se réfugier ; et, lorsque les magistrats se présentèrent pour se saisir de sa personne, le district des Cordeliers s'insurgea, protestant contre cette soi-disant violation de la liberté ; même il délégua, pour porter ses doléances à l'Assemblée nationale, quatre commissaires choisis parmi les patriotes qui lui inspiraient le plus de confiance. C'étaient Paré, Danton, un moine cordelier nommé Oudolle et le docteur Chévetel. Celui-ci avait en somme joué dans cette aventure le principal rôle, puisque, profitant de l'hésitation des magistrats et de l'effervescence de la rue, il avait aidé sa maîtresse, Mlle Fleury, à faire échapper l'inculpé, cause de cette bagarre[35]. Quand, vers le soir, les portes de l'hôtel de la Fautrière s'ouvrirent enfin devant les huissiers du Châtelet, ceux-ci ne trouvèrent chez Marat que la Dlle Victoire Nogait[36], sa femme de confiance. Ils durent se contenter d'apposer les scellés dans l'appartement[37], aux mansardes du sixième étage abritant l'atelier de composition du journal l'Ami du peuple et sur la porte de la cave où étaient installées les presses.

De semblables gages donnés au parti de la Révolution, les relations que les circonstances firent naître entre Chévetel et les patriotes en vue amenèrent insensiblement celui-ci à prendre rang parmi les adversaires de la Royauté. Les événements avaient, pendant les mois qui suivirent, accentué cette situation. Il voyait familièrement Danton et ses amis, et, lorsque la Rouërie revint de Coblentz, au mois de juin 1791, Chévetel comptait au nombre des démocrates avérés. Il n'eut garde de révéler à son ancien protecteur son accession aux idées nouvelles ; de son côté, le marquis n'avait aucune raison de soupçonner ce revirement.

Si le couronnement de ce récit a bien fait comprendre le caractère de la Rouërie, on l'a jugé enthousiaste, crédule et enclin à une confiance tenace, assez proche parente de la naïveté. Sa loyauté n'admettait pas le mensonge ; sa bravoure excluait la prudence. Il possédait, en outre, cette qualité des aventureux de ne voir que le côté agréable des choses et d'être réfractaire à la méfiance.

Il ne songea pas un instant à dissimuler, se croyant sûr de l'amitié de Chévetel ; il lui conta son voyage à Coblentz, sa visite au comte d'Artois ; ne fit aucun mystère de son séjour parmi les émigrés : s'il ne lui détailla point le résultat de ses démarches et de ses projets contre-révolutionnaires, c'est que l'autre ne témoigna pas le désir d'en connaître davantage. Ils se quittèrent, se promettant de correspondre régulièrement, et la Rouerie regagna la Bretagne.

Cette entrevue laissa Chévetel songeur[38].

***

De retour à son château de la Rouërie, le marquis se mit immédiatement à l'œuvre. Son activité avait enfin trouvé un aliment. L'entreprise le séduisait d'autant plus qu'elle flattait sa vanité et satisfaisait son amour du commandement. Cette sorte de blanc-seing que lui avait donné le comte d'Artois le faisait presque le roi des provinces de l'Ouest, trop éloignées du camp des Princes pour recevoir d'eux une impulsion directe.

C'est ici qu'il faudrait pénétrer les dessous de cette conspiration, la plus fameuse de toutes par ses résultats, la plus importante par le nombre des conjurés et la durée de la résistance, la plus célèbre aussi par le dévouement et l'héroïsme de ses affiliés. Mais comment, après tant d'années, découvrir les premiers fils de cette vaste trame ? Où chercher la genèse d'une œuvre si complexe et si mystérieuse ? Les plus obscurs y jouaient les premiers rôles, les plus héroïques sont restés sans historiens, et c'est à peine si quelques indications permettent de reconstituer le squelette de ce corps gigantesque, auquel l'ardente ténacité du marquis de la Rouërie a donné la vie.

En Bretagne, plus qu'ailleurs encore, la Révolution avait fait nombre de mécontents : les apôtres du nouvel ordre de choses s'y montraient, comme partout, plus tyranniques qu'entraînants : ces bienfaiteurs de l'humanité avaient la philanthropie tracassière : ils se figuraient apporter au peuple le bonheur tout fait et voulaient le lui imposer, ce qui éveillait la méfiance.

Pourtant les paysans seraient vite revenus à leur habituelle indifférence ; les hobereaux, qui étaient nombreux, se seraient résignés, et les privilégiés, infime minorité, auraient, faute de partisans, accepté la situation, si la persécution religieuse n'était venue aviver une aversion jusque-là toute platonique. On a dit, très justement, que la constitution civile du clergé avait été une torche allumée sur un baril de poudre. Ce fut la grande faute de la Révolution : les voltairiens et les jansénistes de la Constituante s'acharnèrent à la commettre, et Mirabeau qui les avait aidés dans cette œuvre néfaste, ne s'illusionnait pas sur les résultats : — L'assemblée est enferrée, écrivait-il ; si elle croit que la démission de vingt mille curés ne fera aucun effet dans le royaume, elle a d'étranges lunettes !

Dans les provinces de l'Ouest, l'exaspération fut d'autant plus vive que les sentiments religieux de la population étaient plus sincères. On vit le peuple des villages se presser autour de son curé, le conjurant de ne point abandonner sa paroisse : les églises étaient désertes quand l'intrus disait la messe. Quels sentiments agitaient ces âmes simples de paysans, accoutumés à n'adorer Dieu que par l'intermédiaire du prêtre, quand ils voyaient leurs pasteurs forcés de fuir, poursuivis dans les forêts, traqués comme des bêtes fauves ? Barruel cite des prêtres réduits à errer sans asile, tombant épuisés au bord des chemins. On retrouvait leurs corps en lambeaux dans les broussailles[39] ; leurs malheurs et leurs vertus faisaient d'eux des martyrs, et la persécution réveillait les sentiments religieux en montrant avec évidence que le principe attaqué avec tant de rage était supérieur à la loi.

Les révolutionnaires n'opposaient à cette renaissance de la foi que la défroque ordinaire des tristes arguments avec lesquels ils ont coutume d'éclairer le peuple : aux mandements, aux lettres pastorales, ils répliquaient par des contes licencieux de moines et de religieuses, par des caricatures où les prêtres paraissaient tantôt sous des formes ridicules, tantôt dans des postures indécentes. Si, dans les villes, les honnêtes gens se contentaient de détourner la tête devant de semblables exhibitions, cette misérable propagande indignait les habitants des campagnes, pour qui une telle polémique était une nouveauté sacrilège.

Ce n'est pas contre la Révolution que combattit pendant des années le peuple breton, c'est pour la liberté de ses croyances. J'ai sous les yeux un chiffon de papier jauni, froissé, taché de sang, trouvé dans la veste d'un chouan mort aux environs d'Antrain : cet infime document est d'une éloquence probante :

ACTE DE FOI

Je crois fermement que l'Eglise, — Quoique la nation en dise, — Du Saint Père relèvera — Tant que tout le monde durera ; — Que les Evêques que l'on nomme — N'étant pas reconnus à Rome, — Sont des intrus et apostats, — Et les curés des scélérats — Qui devraient craindre davantage — Un Dieu que leur service outrage.

ACTE D'ESPÉRANCE

Et j'espère, avant qu'il soit peu, — Les apostats verront beau jeu ; — Que nous reverrons dans nos chaires — Nos vrais curés, nos vrais vicaires ; — Que les intrus disparaîtront ; — Que les Evêques reviendront ; — Que la divine Providence, — Qui toujours règne sur la France, — En dépit de la nation, — Nous rendra la religion.

ACTE DE CHARITÉ

J'aime tous les aristocrates ; — Je prie Dieu pour les démocrates, — Du moins pour leur conversion, — Et qu'il revienne à la raison. — Je le prie d'apaiser leur rage, — De délivrer de l'esclavage — Notre roi, la reine et son fils, — Qui sont en prison dans Paris ; — De ramener à l'Evangile — Une nation indocile ; — Mais prions bas : s'ils m'entendaits, — Les coquins me lanterneraits.

 

C'est la persécution religieuse qui fit, dans l'Ouest, tant d'ennemis à la cause révolutionnaire. La chose, pour les contemporains était si peu douteuse qu'à peine arrivé en Bretagne un agent du Comité de Sûreté générale la constatait dès son premier rapport : La raison du mécontentement est qu'on a voulu imposer les prêtres constitutionnels[40].

Le marquis de la Rouerie résolut de grouper ces mécontents ; besogne délicate et d'autant plus ardue que les revendications de chaque paroisse étaient purement locales. Il l'entreprit cependant. Mais tout autre que lui aurait reculé devant la difficulté bien autrement grande d'armer ces paysans, de leur imposer, sans que les autorités en eussent soupçon, la discipline d'un corps de troupes, de les exercer aux manœuvres militaires et surtout d'arriver à un tel degré de confiance chez les chefs, d'obéissance chez les soldats épars, qu'en vingt-quatre heures toute la province pût se trouver debout, enrégimentée et prête à combattre.

Dans chaque ville d'évêché, — chef-lieu de département, — il créa tout d'abord un conseil composé de six commissaires et d'un secrétaire, choisis indistinctement parmi les nobles, les bourgeois ou le clergé. Ce conseil, recevant directement les instructions du chef de l'Association, les transmettait à d'autres commissaires siégeant dans les villes d'arrondissement, lesquels, à leur tour, les communiquaient à des commissaires cantonaux. La mission de ces conseils, — de ces cadres, pour mieux dire, — était de propager l'esprit et les vues patriotiques de l'association, de recruter des hommes et de recueillir l'argent nécessaire. Il leur était enjoint de se tenir en relation constante avec le chef de la conjuration : la plus grande égalité devait régner entre tous les affiliés, qu'ils fussent nobles ou vilains : on leur recommandait de n'employer que les moyens les plus doux et de recruter des adhérents surtout dans les milices nationales et dans les troupes de ligne. Chacun était assuré d'obtenir dans l'association un grade proportionné au nombre d'hommes qu'il attirerait à la bonne cause. Enfin tous les renseignements concernant les recrues et le personnel étaient centralisés entre les mains du chef[41].

Pour le choix de ses auxiliaires, la Rouerie n'avait que l'embarras du nombre. A peine eut-il divulgué ses projets qu'il vit se grouper autour de lui des compagnons dont l'ardeur, l'intrépidité, la résistance feraient croire à une race privilégiée. Ces jeunes gens, — plusieurs même étaient des enfants, — montrèrent le courage des preux, l'enthousiasme des croisés. Que serait devenue cette bouillante génération, obligée de vivre dans la banalité d'une époque sans gloire ? Sont-ce les événements qui ont fait ces hommes, ou bien leur nature aventureuse fut-elle au contraire la cause déterminante de l'épopée dont ils furent les héros ? —Question oiseuse, sans doute, mais qui se pose forcément à l'esprit frappé d'une si parfaite adaptation des caractères aux circonstances.

Au premier rang, il faut placer le cousin du marquis de la Rouërie, Gervais Tuffin[42], auquel fut donné le commandement des recrues d'Antrain, de Sougeal et de la vallée du Couësnon. Il faisait partie du conseil de la division de Fougères, présidé par Aimé du Bois-Guy et composé, en outre, de Hay de Bonteville[43], du chevalier de Saint-Gilles, Duval, Colin de la Contrie[44] et de l'abbé de Frétigné.

Tuffin devint un des trois aides de camp du marquis : les deux autres étaient Limoëlan le jeune[45], destiné à un renom plus tragique dans l'affaire de la machine infernale et Aimé du Bois-Guy, dont l'existence suffirait à défrayer la verve de dix romanciers.

Bois-Guy n'avait pas seize ans quand la Rouërie lui confia la présidence de la division de Fougères. De ce jour il se condamna à la vie errante de ses gars, couchant dans des souterrains, tombant, quand les munitions manquaient, à coups de bâtons sur l'armée des bleus, — des crapauds, comme disaient les paysans, — narguant le danger, se jouant de la mort avec un bonheur insolent ; jovial, d'ailleurs, d'une gaîté et d'une bravoure communicatives, adoré de ses hommes et estime de ses adversaires à ce point qu'au cours des dernières luttes, en 1800, Brune lui offrit, sans succès, au nom du Premier Consul, le grade de général de brigade dans les armées de la République.

Parmi les premiers adhérents de la conjuration, on doit encore citer le chevalier de Tinténiac, qu'une affaire galante avait obligé de quitter la Marine, où il servait en qualité de lieutenant : il remplissait l'office d'intermédiaire entre les Bretons, les Vendéens et les émigrés de Jersey et d'Angleterre ; s'embarquait, débarquait en dépit des surveillances, traversait les campements ennemis sans prendre même la précaution élémentaire de revêtir un déguisement ou de se munir d'un faux passeport. Juif-errant de l'association, il courait de Cholet à Saint-Malo, d'Alençon à Nantes, parcourant, à pied, vingt lieues en une nuit, traversant la Loire à la nage, pris pour un bleu par les chouans, risquant d'être fusillé comme espion à chaque embuscade. A ceux qui lui conseillaient quelque ménagement, il se disait heureux d'expier, au prix de tant de fatigues, les erreurs de sa jeunesse. Il fut enfin tué, le 18 juillet 1795, au château de Coëtlogon : il n'avait pas trente et un ans.

Les deux frères de Lahaye-Sainte-Hilaire ne lui cédaient pas en abnégation et en audace. L'aîné, Louis-Joseph, ex-sous-lieutenant au régiment de Penthièvre, organisa la cavalerie de la Rouërie, qui le nomma colonel de ses hussards. Les gars l'appelaient le hulan. Le plus jeune, Charles-Édouard, engagé à quinze ans dans la conjuration, fut un personnage d'épopée : il semblait posséder un de ces talismans qui rendent, à volonté, les héros de féerie invulnérables et invisibles. A la tête de huit mille hommes prêts à tout, il s'était érigé en justicier et rançonnait les acheteurs de biens nationaux. Les avanies dont il accabla Mgr de Pancemont, évêque de Vannes, auquel il gardait rancune, terrifièrent la Bretagne au commencement de l'Empire. Lahaye-Saint-Hilaire, blessé au cours d'une de ses folles escapades, fut pris à la tour d'Elven et fusillé dans un fauteuil, le 6 octobre 1807.

Jean-Louis Gavard, habitant aisé de la paroisse de Parcé et premier maire de sa commune, vint aussi se mettre à la disposition du marquis : celui-ci comprit le parti qu'il pouvait tirer d'un homme ne tenant d'aucun côté à la noblesse et ne pouvant être suspecté d'avoir d'autres intérêts que ceux du peuple. Gavard organisa les bandes de faux-saulniers de la lisière du Maine. Parlant avec facilité, il avait de l'action sur les paysans. C'était l'homme de tête, le mentor en quelque sorte de l'association.

Il convient de nommer encore, pour la clarté des récits qui vont suivre, Charles de Boishardy, Louis-Anne du Pontavice des Renardières, Toussaint-Marie du Breil de Pontbriand, André-Charles de Bouteiller, dit le Petit-André, Leziard de la Villorée, tous faisant partie de l'état-major du chef ; d'autres, que l'âge ou des charges de famille empêchaient de s'enrôler dans l'armée de la conjuration, lui prêtaient un concours actif de propagande ou de dévouement, tels M. de la Motte de la Guyomarais, retiré dans son château, aux environs de Lamballe, ou le comte de Ranconnet de Noyan, dont nous avons déjà esquissé un rapide portrait. Un quincaillier de Saint-Malo, Thomazeau, était chargé des marchés d'armes et de munitions ; Henri, aubergiste à Saint-Servan, et Vincent[46], courtier maritime, organisaient la communication par mer entre la Bretagne et Jersey[47]. Rallier, ancien capitaine du génie, officier municipal de Fougères, était un agent actif, ainsi que l'abbé de Langan, caché aux environs de Saint-Brice, Decroix, l'homme d'affaires de Bois-Guy, et les Gouyon-Beaufort[48], de Launay[49], de la Moussaye, de Saint-Gilles[50], Hingant, Palierne, Locquet de Granville, de Caradeuc, la Baronnais[51], de Forsantz, Lantivy, la Fruglais, de Silz, la Vieuxville[52], la Bourdonnaye, de Couesbouc[53], de Boishamon... Il faudrait citer toute la Bretagne[54].

Le marquis de la Rouërie ne se contenta pas d'accepter les dévouements qui s'offraient : il délimita avec soin le rôle de chacun de ses auxiliaires et les commissionna au nom du roi. En 1796, un nommé Étienne Léger, demeurant à Fougères, découvrit, en bêchant son jardin, une boîte de fer-blanc, qu'on parvint à ouvrir malgré la rouille qui la recouvrait. Elle contenait un papier, couvert d'écriture et scellé d'un cachet de cire rouge. Léger apporta sa trouvaille à la municipalité : l'humidité avait rendu le texte presque illisible, surtout aux plis du papier : on parvint cependant, non sans peine, à déchiffrer la nomination du chevalier Leziard de la Villorée, comme chef de la section formée des quatre compagnies levées dans la ville de Fougères et paroisses circonvoisines. La pièce était datée du château de la Rouërie en 1792 et signée : Par ordre de M. le marquis de la Rouërie, chef de l'Association bretonne, du nom de Deshayes, son secrétaire. Le cachet de cire rouge portait l'écusson d'argent à la bande de sable, chargée de trois croissants d'argent[55].

Cependant, si les partisans affluaient, les cotisations faisaient défaut. La Rouërie avait, il est vrai, j fait choix d'un agent comptable : c'était Desilles, le père du jeune officier tué à Nancy lors des troubles d'août 1790 ; on avait bien invité les adhérents à verser à la caisse de l'Association une année de leurs revenus ; beaucoup avaient promis ; mais l'argent était rare, et ils ne payaient point. La fortune du marquis était obérée, au point qu'il était lui-même menacé par ses créanciers : les emprunts qu'il avait faits à son oncle et auxquels M. de la Belinaye, émigré d'ailleurs depuis le 1er janvier 1790[56], avait généreusement souscrit[57], ne suffisaient pas au train très considérable que les circonstances imposaient au châtelain de la Rouërie. Il avait quatorze domestiques[58], dix chevaux de selle, sans compter ceux de harnais[59], et nous verrons que, jour et nuit, c'était, au château, un mouvement continuel de paysans, d'espions, de recrues faisant l'exercice, d'émissaires apportant des nouvelles : le marquis tenait table ouverte, faisait servir à boire à tout le monde, et payait vingt sous par jour les volontaires qui montaient la garde aux barrières de son parc ou patrouillaient sur ses terres[60].

La situation pécuniaire devenait donc chaque jour plus critique, et, vers la fin de septembre 1791, la Rouërie dépêcha vers Coblentz son cousin Tuffin[61], chargé de soutirer quelque argent de ce tonneau des Danaïdes qu'était la caisse de l'émigration. Calonne, qui continuait, comme au bon temps de son ministère, à jongler avec les millions qu'il n'avait jamais eus, réédita la scène de don Juan recevant M. Dimanche. Ah ! que de belles phrases entendit Tuffin !

Tout d'abord on lui ménagea l'agréable surprise d'un billet autographe de M. le comte de Provence, qui, depuis peu[62], était venu rejoindre son frère à Coblentz. Quand on songe avec quelle folle abnégation la Rouërie et ses Bretons se préparaient à donner leur vie pour la cause royale, la froideur et la banalité de cette lettre semblent, par contraste, presque révoltantes :

Schönbornlust, 4 octobre 1791.

Vous pourrez, Monsieur, assurer de ma part M. le marquis de la Rouërie qu'instruit par le comte d'Artois du plan d'association qu'il m'a proposé pour le bien de la province de Bretagne, je n'hésite pas à joindre mon approbation a celle de mon frère et que, sachant pareillement combien les sentiments, les principes et la sage conduite de M. de la Rouërie méritent de confiance, je partage celle que mon frère lui a donnée ; je l'exhorte à continuer de s'occuper de cet objet, qui aura certainement notre appui.

Vous connaissez bien, Monsieur, tous mes sentiments pour vous.

LOUIS-STANISLAS-XAVIER[63].

 

Le mandataire de la conjuration fut gratifié d'une autre approbation, celle des gentilshommes de Bretagne[64], qui, émigrés dès les premiers troubles, attendaient pacifiquement sur le Rhin une rentrée triomphale et prochaine : ils voulurent bien reconnaître que ceux des leurs restés en France ne dérogeaient pas en combattant pour le salut de la Monarchie.

Enfin, suprême faveur, Tuffin reçut de Calonne lui-même, en réponse aux supplications de la Rouërie réclamant des secours et des armes, une lettre à l'adresse du marquis, où le vide des instructions était si bien assaisonné en louanges qu'il eût été impertinent de ne point s'on déclarer satisfait :

Vous avez pris, Monsieur, un très bon parti en m'envoyant M. ....., car il est bien difficile de tout confier à la poste dans des circonstances aussi critiques, et j'ai été charmé de pouvoir m'expliquer avec une personne aussi sûre, aussi intelligente et aussi bien intentionnée. J'ai lu aux Princes, frères du roi, la lettre du 14 septembre, qu'il m'a apportée de votre part ; ils l'ont trouvée parfaitement judicieuse, et je vais, d'après leurs ordres, satisfaire à tout son contenu.

 

Suivait le rappel de la confiance des Princes dans l'énergie et la sagesse du marquis de la Rouërie. Et Calonne ajoutait : Il y a 3.000 fusils à Ostende qui vous sont destinés depuis longtemps... mais il est difficile de fixer une époque certaine pour le grand concours. Nous avons éprouvé que les paroles les plus positives ne sont rien moins qu'immuables. Cependant il faut être prêt avant l'hiver. — Il est possible qu'il vienne un secours du Nord : on l'avait promis ; mais la saison est bien avancée. Cependant, envoyez-moi un rapport sur la meilleure rade de débarquement, à l'adresse de M. Waltson, poste restante à Coblentz.

Afin qu'il y eût, peut-être, quelque chose de précis et de sensé dans cette lettre, elle se terminait par ce prudent post-scriptum : Nous pouvons, connaissant nos écritures, nous dispenser désormais de signer. Et, au bas de ces lignes, par inattention sans doute, le distrait homme d'Etat signait en toutes lettres : de Calonne[65].

Tuffin reprit le chemin de France, après avoir cependant touché 15.000 livres, que Galonné envoyait à la conjuration, non pas en numéraire, mais en bons de la Caisse d'Escompte, qui perdaient alors, au change, près de la moitié de leur valeur. Quelque insouciant et léger que fût l'émissaire du marquis de la Rouërie, il comprenait bien que ces papiers, négociables peut-être chez quelque agioteur parisien, ne seraient plus bons, s'il les apportait en Bretagne, qu'à bourrer les fusils des gars. La difficulté était de trouver un escompteur qui consentît à hasarder l'opération : Tuffin ne connaissait personne à Paris.

Parbleu, se dit-il, l'ami Chévetel me renseignera. Et il se rendit à l'hôtel de la Fautrière.

Le docteur, non point par conviction politique, mais par suite des circonstances qui l'avaient rapproché de Danton et de ses partisans, avait rompu tout lien avec son passé. Du reste, il n'avait jamais aimé la Rouërie. Il éprouvait, au contraire, pour lui une de ces haines sournoises, faites de rancune et de dissimulation, la haine du serf contre le noble, de l'obligé envers son bienfaiteur. En l'admettant dans son intimité, le marquis avait agi avec sa franchise habituelle, en homme qui se soucie peu des distances sociales ; mais la familiarité des grands a toujours, même à leur insu, quelque chose d'insolent et de dédaigneux. Chévetel en avait-il été froissé, ou sa nature envieuse le prédisposait-elle à supporter impatiemment l'inégalité de fortune et de situation qui le séparait de la Rouerie ? Ce qui paraît certain, c'est qu'il le détestait : le portrait qu'il a tracé de lui le prouve : il le dépeint tenace, ambitieux, avide de commandement[66], et c'est dans cette animosité peut-être qu'il faut chercher la cause du rôle que Chévetel consentit à jouer.

S'il n'avait communiqué à personne les secrets que le marquis lui avait confiés à son retour de Coblentz, c'est qu'il n'avait nul profit à parler. A qui, d'ailleurs, les divulguer ? — A ses amis du district des Cordeliers ? — Mais la révélation demeurait pour ceux-ci sans intérêt pratique, car, tant que la monarchie subsistait, ils ne pouvaient, sans nuire à leur propre cause, publier le mécontentement des provinces réfractaires aux doctrines révolutionnaires.

Chévetel préféra donc se taire : non point, comme il l'a prétendu, qu'il n'attachât aucune importance aux propos du conspirateur, mais parce que, après tout, on ignorait encore, en 1791, auquel des deux partis en lutte resterait la victoire définitive. Si la Révolution triomphait, il serait alors temps de révéler à ses amis, arrivés au pouvoir, les menées de la noblesse bretonne : dans l'hypothèse contraire, il profiterait tout naturellement de la situation que le hasard lui avait faite et compterait au nombre des plus chauds défenseurs du parti de la cour. Ce lâche calcul peint le personnage.

Il lui importait, on le comprend, d'être bien renseigné. Il accueillit donc le jeune Tuffin et n'eut pas à le presser beaucoup pour obtenir toute sa confiance. Celui-ci en raconta autant que le docteur voulut en savoir[67]. Il le plaisanta sur son habit de garde national, railla les jacobins, exalta l'émigration, pronostiqua la pendaison immanquable de tous les sans-culottes et détailla l'organisation de la conjuration de Bretagne. Chévetel pensa que Tuffin amplifiait, ne pouvant croire qu'on eût confié à cet étourdi des secrets de cette importance[68] ; néanmoins il se garda bien de l'interrompre, il le reçut plusieurs fois et ne le laissa partir qu'après l'avoir aidé à opérer le change des billets de Calonne.

La ressource fut à la Rouerie la très bien venue : le marquis en était réduit à emprunter de misérables sommes à ses serviteurs[69]. Mais cette modique provision, réduite par le change à moins de 10.000 livres, fut absorbée par les dépenses les plus urgentes aussi rapidement qu'une goutte d'eau par les sables du désert, et, presque aussitôt le chef de la conjuration implora de Calonne de nouveaux secours. Au mois de décembre[70], Fontevieux quitta Coblentz, apportant 40.000 livres, également en billets de la Caisse d'Escompte. Sur le conseil de la Rouërie, persuadé qu'il avait en Chévetel un correspondant dévoué et fidèle, Fontevieux[71], comme Tuffin, s'arrêta à Paris et rendit visite au docteur : celui-ci examina les billets, les reconnut faux, assure-t-il[72], et ne refusa pas pourtant de s'entremettre auprès d'un banquier ; mais sans succès. Fontevieux, obligé de s'adresser aux agioteurs du Palais Royal, changea avec une perte énorme[73].

Cette négociation, quelque peu louche, avait mis Chévetel et Fontevieux sur le pied de l'intimité. Ce dernier, voyant le docteur très renseigné, le crut affilié à la conjuration et se fit un devoir de lui apprendre ce qui se tramait à Coblentz : il lui narra, par le menu, le voyage de la Rouërie, sa visite au comte d'Artois, l'assentiment du comte de Provence ; il lui raconta comment lui, Fontevieux, servait de courrier aux conjurés, voyageant en toute sécurité, sous le couvert d'une commission d'envoyé du duc de Deux-Ponts, — dont il était le neveu, — auprès des États-Unis d'Amérique, commission qu'il avait obtenue de son oncle et qu'il avait pris soin de faire antidater[74]. Il le mit au courant des projets et des forces de l'émigration, assurant qu'au printemps prochain l'armée des Princes, renforcée de plusieurs corps prussiens, passerait la frontière et marcherait sur Paris, tandis que le peuple de toute la Bretagne, du Maine et d'une partie de la Normandie, s'avancerait en armes jusqu'aux portes de la capitale, seul rempart de la Révolution, qui, prise ainsi entre deux feux, serait réduite à demander merci.

Le médecin écouta ces confidences, demanda des noms, s'enquit des principaux conjurés ; Fontevieux ne lui cacha rien de ce qu'il connaissait : quand il partit pour la Bretagne, Chévetel en savait tout autant que lui : l'intérêt de son parti l'inquiétait, au reste, si peu qu'il se garda bien de révéler à ses amis politiques l'important secret qu'un double hasard lui avait livré : c'eût été se compromettre : il se tut, estimant que l'heure n'était pas venue d'en tirer parti.

 

 

 



[1] Né le 15 décembre 1730. — Dictionnaire de la Noblesse de la Chesnaye-des-Bois.

[2] Il occupait à leur entretien plus de quatre-vingts ouvriers — Interrogatoire de Leroy. — Archives nationales, W, 274.

[3] En 1747.

[4] Tradition locale

[5] En 1768.

[6] Cet enfant devint un médecin distingué et s'établit à Etioles. C'est lui, dit-on, qu'Alphonse Daudet a mis en scène dans Jack sous le nom du Dr Rivals.

[7] Portraits de famille, par le comte de Sainte-Aulaire.

[8] Portraits de Famille.

[9] Interrogatoire de Ranconnet-Noyan. — Archives nationales, W, 274.

[10] Interrogatoire de Ranconnet-Noyan. — Archives nationales, W, 274.

[11] 5 février 1791, emprunt à François Collin, 1.750 livres. — Idem, emprunt sur billet fait par Deshayes pour le compte d'Armand Tuffin à Marie Gontier, V. Guillon, et approuvé par Armand Tuffin le 28 mars, 300 livres ; — 10 mars 1791, semblable emprunt que dessus, 120 livres ; — 2 mai 1791, reconnaissance souscrite par Tuffin à Lemarié, huissier à Antrain, 300 livres ; — Créanciers d'Armand Tuffin. — Archives du Greffe du Tribunal de Fougères.

La date du voyage à Coblentz nous est donc fournie par ce document : la Rouërie partit postérieurement au 2 mai, puisqu'à cette époque il se trouvait encore à Antrain ; sa rencontre avec le comte d'Artois est du 5 juin, et son retour à Paris du 20 du même mois. Il dut donc quitter la Bretagne dans la première quinzaine de mai 1791.

[12] Il s'agissait, croyons-nous, de liquider la créance que le marquis possédait sur les Etats-Unis d'Amérique en récompense de ses services pendant la guerre de l'Indépendance.

[13] Interrogatoire de Pierre-Claude Boujard. — Archives nationales, W, 275.

[14] Souvenirs de l'Emigration, par la marquise de Lage de Volude.

[15] Souvenirs de l'Emigration, par la marquise de Lage de Volude.

[16] Chuquet, Invasion prussienne, d'après les Mémoires de Dampmartin.

[17] Souvenirs de l'Emigration, par la marquise de Lage de Volude.

[18] Chuquet, Invasion prussienne.

[19] Mémoires d'un Officier aux Gardes Françaises (Maleyssie).

[20] Voir Souvenirs de l'Emigration, par la marquise de Lage de Volude.

[21] Récit de Chévetel.

[22] Voici, d'ailleurs, les principaux passages de ces premiers pouvoirs délivrés au marquis de la Rouërie :

M. le comte d'Artois, informé qu'on a conçu en Bretagne quelques inquiétudes sur les suites de l'association, déclare :

1° Qu'il est fort éloigné de tous projets tendant au despotisme ;

2° Que les secours qui lui sont accordés sont gratuits et qu'il m'est point à craindre que le rétablissement de l'ordre soit acheté par le démembrement d'aucune partie du royaume ;

3° Un des premiers effets de la contre-révolution sera de réintégrer les provinces dans leurs droits et de leur rendre leurs États ;

4° Qu'on épargnera les voies de rigueur le plus qu'il sera possible : tous ceux qui, au moment de la publication du manifeste rentreront dans leurs devoirs de sujets fidèles seront à couvert de recherches sur leur conduite antérieure : les grands coupables seront jugés suivant les lois et formes judiciaires.

M. le comte d'Artois, ayant satisfait par les déclarations ci-dessus aux questions qui lui ont été faites au nom de la province de Bretagne, va s'expliquer avec la même précision sur les moyens proposés pour mettre les citoyens et les propriétés à l'abri des excès qu'une populace effrénée pourrait y commettre à l'arrivée des armées coalisées.

Il demande que tous les fidèles s'associent et se groupent autour du marquis de la Rouërie, ancien colonel d'infanterie, distingué pour ses services en Amérique, qui enverra au comte d'Artois la liste des personnes qui lui paraîtront convenir pour être les chefs des sections et officiers principaux. Il leur expédiera ensuite, d'après la réponse du prince, des commissions énontiatives de son agrément sous le bon plaisir et l'intention présumée de Sa Majesté. Il expédiera pareillement les commissions de tous les officiers et bas-officiers qu'il nommera de concert avec les chefs des sections, en observant de régler les grades par la quantité d'hommes que chacun fournira, en sorte par exemple que celui qui fournirait vingt hommes d'armes serait enseigne ; trente, serait sous-lieutenant ; quarante, lieutenant ; soixante, capitaine, etc. le tout ; sans exiger la noblesse pour aucun grade et sans en faire la base des distinctions.

Ceux qui auront servi dans ces corps défenseurs pendant la révolution seront, après qu'elle sera terminée, recommandés au roi par M. le comte d'Artois pour former un ou plusieurs régiments de ligne.

Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° XIV. — Archives nationales, W, 274.

[23] Archives du Ministère de la Guerre.

[24] Récit de Chévetel.

[25] Récit de Chévetel.

[26] Récit de Chévetel.

[27] Almanach royal pour l'année 1788.

[28] Actuellement, rue de l'Ancienne-Comédie.

[29] Le Théâtre-Français avait occupé jusqu'en 1780 l'immeuble qui porte aujourd'hui le n° 18 de la rue de l'Ancienne-Comédie.

[30] Cour du Commerce.

[31] L'Odéon actuel.

[32] Camille Desmoulins habitait rue du Théâtre-Français, actuellement rue de l'Odéon.

[33] De la rue des Boucheries et de la rue de l'Ancienne-Comédie.

[34] Le futur maréchal Brune habitait une maison de la rue de l'Ancienne-Comédie, près du carrefour actuel de l'Odéon.

[35] Lorsque, plus tard, Mlle Fleury fut arrêtée, en pleine Terreur, avec ses camarades de la Comédie-Française, Chévetel, qui était sur le point de l'épouser, rappela cette circonstance en faveur de sa maîtresse et obtint sa mise en liberté. Le Journal de la Montagne (1794) contient ces lignes : La comédienne Fleury avait un titre bien précieux à la bienveillance des patriotes : elle eut le bonheur de sauver Marat, de l'arracher au poignard de l'aristocratie, à l'instant où sept mille hommes avaient envahi sa maison.

[36] Victoire Nogait, fille, vingt-quatre ans, chargée de veiller aux affaires du sieur Marat et d'une partie de sa confiance. — Archives nationales, DXXIXP, 63.

[37] L'appartement de Marat, au rez-de-chaussée de l'hôtel de la Fautrière, se composait d'une antichambre, d'une chambre à coucher à droite, d'un salon, au fond dudit antichambre, et d'un retranchement pratiqué dans ledit salon, rempli de feuilles de l'Ami du Peuple. — Archives nationales, DXXIXP, 63.

[38] Récit de Chévetel.

[39] Louis Blanc, Histoire de la Révolution, liv. V, chap. VI.

[40] Compte rendu par l'homme de confiance envoyé par M. le Ministre des Affaires étrangères. — Archives nationales, W, 274.

[41] Voici le texte du manifeste secret qui fut la base de la conjuration bretonne :

Par ordre des Princes, avec l'accession des Bretons émigrés, pour l'honneur des associés et le bien de la province :

1° Il y aura par ville d'évêché six commissaires et un secrétaire pris dans les trois ordres autant que faire se pourra. Ils recevront leurs instructions du chef de l'association ;

2° Dans chaque ville ou arrondissement il y aura des commissaires pris dans les trois ordres ; ils recevront généralement leurs instructions des commissaires d'évêché, lesquelles porteront : conformément aux instructions dictées le et reçues le du chef.

3° Les commissaires d'arrondissement ou de ville correspondront directement avec le chef ou indirectement par les commissaires de leur évêché... selon la promptitude plus ou moins grande que les circonstances exigeront ; mais, dans le premier cas, ils instruiront les commissaires d'évêché en leur faisant part des objets importants de leur correspondance avec le chef ;

4° Le chef fera connaître à MM. les commissaires les personnes qui, en cas de son absence ou d'événements imprévus, pourraient recevoir, donner et signer des intelligences et des instructions et le suppléer dans les courses et autres objets qui exigeraient en même temps son activité dans toutes les parties de la province ;

5° MM. les commissaires et autres membres de l'association prendront les mesures les plus actives et en même temps les plus sages pour propager l'esprit et les vues patriotiques de l'association, pour y réunir toutes les personnes qui, par leurs moyens quelconques, peuvent y être utiles. Les moyens d'utilité sont des hommes et de l'argent. Ces objets doivent être préparés de manière qu'on puisse, vingt-quatre heures après l'avertissement, les faire partir pour un ou plusieurs lieux désignés ;

6° L'objet de l'association est de contribuer essentiellement et par les moyens les plus doux au retour de la monarchie, au salut des droits de la province, celui des propriétés et l'honneur breton ;

7° Les commissaires nommeront des députés choisis indistinctement parmi eux et les autres associés pour se rendre à un y rendez-vous général qui sera assigné ;

8° Les commissaires feront parvenir le plus souvent qu'ilspourront au chef l'état de leurs moyens actuels et de leurs espérances. Ils accompagneront cet envoi de leurs conseils et des désirs de fa partie de l'association à laquelle ils seront particulièrement attachés... ;

9° Tous les membres seront pénétrés de ce sentiment patriotique que la division des ordres ne peut donner à aucun des trois d'influence distinctive dans les opérations de l'association où tous les propriétaires, ayant à ce titre des avantages égaux à obtenir, des dangers communs à éviter, doivent marcher main en main en se communiquant leur force individuelle pour composer une force générale dirigée avantageusement pour tous vers le même but ;

10° Les commissaires et autres membres de l'association feront tous les efforts que le courage et la sagesse approuveront pour faire entrer dans l'association les milices nationales et les troupes de ligne... ;

11° L'organisation militaire sera réglée à temps. Il est essentiel que les commissaires et autres associés fassent, sans perdre de temps, leurs efforts pour acquérir des hommes populaires disposant de beaucoup de bras ; les premiers auront, pour être officiers dans les différents grades, des titres proportionnés au nombre d'hommes qu'ils feront parvenir au rendez-vous. A mesure que MM. les commissaires auront acquis de ces hommes essentiels, ils enverront au chef leurs noms avec quelques remarques caractéristiques des degrés d'utilité dont ils peuvent être et de ceux de la confiance qu'on peut y mettre.

Bretagne, le 5 décembre 1791.

Signé : ARMAND DE LA ROUËRIE.

Certifié conforme à l'original déposé au secrétariat pour nous administrateur du district de Dol.

LODIN.

Archives nationales, W, 274.

[42] Il était fils de Marie-Gervais Tuffin de la Rouërie et de Marthe de Farcy du Mué.

[43] Hay de Bonteville (Gaston-Louis-Marie), né à Ernel le 9 décembre 1775, mort le 7 janvier 1846.

[44] Colin de la Contrie (Louis-René), né à Bazouges le 22 novembre 1761, mort le 19 septembre 1808.

[45] Picot de Limoëlan, né à Nantes, le 4 novembre 1768.

[46] Interrogatoire de Pierre-Claude Boujard. — Archives nationales, W, 275.

[47] Rapport de Lalligand-Morillon.

[48] Biographie bretonne.

[49] Morin de Launay.

[50] Le chevalier Jean-Isidore de Saint-Gilles, dit du Guesclin, né à Tréverin, vers 1774, assassiné près de Vitré en décembre 1798.

[51] Victor-Colas de la Baronnais, né à Saint-Enogat, le 13 septembre 1764, mort le 17 avril 1845. Malo de la Baronnais, son frère, organisa la division de Dinan. Quatre autres de ses frères, — la famille comptait dix-neuf enfants, — combattirent dans le camp royaliste où plusieurs furent tués.

[52] Henri-Baude de la Vieuxville, né à Saint-Malo, le 26 mars 1762, tué dans la forêt de Villecartier, près du château de la Ballue, le 29 mars 1796.

[53] René-Benjamin du Bouays de Couësbouc, né à Rennes. — Louis-Gratien du Bouays de Couësbouc, né le 17 août 1731 à Saint-Goudran, mort à Rennes, le 26 janvier 1827.

[54] Voir les Mémoires du colonel de Pontbriant. On trouvera, en note, et à l'appendice de cet ouvrage, des listes aussi complètes que possible des chefs de la Chouannerie ; presque tous attirés au parti insurrectionnel par le marquis de la Rouërie. On consultera également avec fruit les tables du livre de M. de la Sicotière sur Frotté et les insurrections normandes.

[55] Voici le texte intégral de cette commission : les traits remplacent les mots qui n'ont pu être déchiffrés.

M. André Mathieu — chevalier de la Villorée, ancien garde du corps du roi — des pouvoirs que — du roi — des armées de Sa Majesté — m'ont nommé — des différents ordres — que j'en ai reçus depuis.

Excité par la parfaite confiance qui est due aux principes qui ont dirigé votre conduite pendant la Révolution et par le dévoûment que vous avez toujours témoigné pour — toutes les volontés légitimes du roi, — généreuses, utiles, — auxquelles vous vous êtes livré pour concourir avec tous les bons citoyens et sujets fidèles de la province de Bretagne à y ramener tous ses avantages et à la préserver— lors de la commotion, de tous coups de licence et de brigandage.

En conséquence de tous ces motifs et de mon amour pour mon pays et de ma fidélité à mon roi, qui tous ensemble me font un devoir de — dans la cause de la patrie un homme d'honneur et d'utilité tel que vous.

En conséquence des pouvoirs qui m'y autorisent, je vous institue, par cette présente Commission, chef de la section formée des quatre compagnies qui se lèvent dans la ville de Fougères et paroisses circonvoisines et dans lesquelles vous êtes autorisé à faire entrer les citoyens des autres villes et campagnes qui préféreraient de servir sous vos ordres, et vous êtes dès ce moment en activité dans cette charge, dont les devoirs sont de faire connaître et exécuter auxdites compagnies les ordres et instructions que vous recevrez de temps à autre, soit de moi, soit en mon nom, de l'adjudant général ou officier ci-dessus désigné, suivant que les circonstances le permettront, les avis et instructions relatifs à l'avantage de l'association en général et à celui des compagnies de votre section.

En conséquence des mêmes pouvoirs des Princes, je charge tous les membres de l'association bretonne et des autres provinces de vous regarder — comme chef de section dans ladite association et de vous aider de tous leurs moyens dans les choses dépendantes de cette charge.

La présente commission ne peut être révoquée que par ordre des Princes ou provisoirement — sur l'avis unanime du conseil chef de l'association.

Fait à la Rouërie, 1792.

ARMAND DE LA ROUËRIE.

Par ordre de M. le marquis de la Rouërie, chef de l'Association bretonne :

L. DESHAYES, secrétaire.

[56] Archives du Ministère de la Guerre, dossier du comte de la Belinaye.

[57] J’ai fourni à la coalition de feu le marquis de la Rouërie, mon neveu, des fonds très considérables, que j'ai perdus. Lettre du comte de la Belinaye au Ministre de la Guerre, 20 octobre 1820. — Archives du Ministère de la Guerre.

[58] Bossart, commissionnaire ; Guillon, perruquier ; Jacques Pitel, cuisinier ; Lorin, garçon d'écurie ; Larue, jardinier en chef ; Guillaume Labbé, second jardinier ; Quimbros, domestique de basse-cour ; Legrand, second palefrenier ; fille Lemaçon, femme de chambre ; Lagontrie, sommelière ; La Guillon, femme du perruquier ; Françoise Dauvergne, fille de cuisine ; Jeanne Giron, fille de basse-cour ; Deshayes, homme d'affaires. Il faut ajouter à cette liste Saint-Pierre, le valet de chambre déjà cité, qui suivait le marquis dans tous ses déplacements. — Archives nationales, W, 275.

[59] Interrogatoire de Pierre-Claude Boujard. — Archives nationales, W, 275.

[60] Interrogatoire de Pierre-Claude Boujard. — Archives nationales, W, 275.

[61] Il semble, du moins, que ce fut Tuffin que la Rouërie chargea de cette mission ; mais nous n'en avons pas la certitude. Le nom de l'émissaire est, en effet, sur toutes les pièces originales, raturé de telle sorte qu'il reste illisible.

[62] Le comte de Provence avait quitté Paris le 20 juin ; il avait d'abord séjourné à Mons et à Bruxelles.

[63] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° VI. — Archives nationales, W. 274.

[64] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° XVII. — Archives nationales, W. 274.

[65] Pièce saisie à la Fosse-Hingant, n° XVIII. — Archives nationales, W, 274. La lettre est datée de Schœnbornlust, le 4 octobre 1791.

[66] Récit de Chévetel.

[67] Récit de Chévetel.

[68] Récit de Chévetel.

[69] Jugement en faveur des Créanciers de feu le Marquis de la Rouërie. — Archives du Greffe du Tribunal de Fougères.

[70] Note du chevalier de Fontevieux : Il m'est dû, pour frais de voyage, au mois de décembre 1791, la somme de 900 livres. — Pièce saisie à la Fosse-Ingant, n° XXIII. — Archives nationales, W, 274.

[71] Le passeport de Fontevieux nous donne son signalement : Taille. 5 pieds 2 pouces ; cheveux et sourcils bruns ; yeux roux ; nez gros ; bouche moyenne ; menton fourchu ; visage maigre.

[72] Ils étaient bien les mêmes que ceux de la Caisse d'Escompte, frappés avec la même planche, mais ils étaient faux, en raison de leurs numéros et de je ne sais quelle autre formalité. — Récit de Chévetel.

[73] Récit de Chévetel.

[74] Charles II, par la grâce de Dieu, prince palatin du Rhin, duc de Bavière, etc., en considération des qualités personnelles du sieur Jean-Baptiste-Georges Fontevieux, officier au service des Etats-Unis de l'Amérique... le nommons notre agent dans les Etats-Unis.

Coblentz, le 15 septembre 1788.

CHARLES P. P., duc des Deux-Ponts.

Archives nationales, W, 274.