LE ROI LOUIS XVII ET L'ÉNIGME DU TEMPLE

 

CHAPITRE VII. — À L'AVENTURE.

 

 

Au début de l'automne de cette année 1795, un métayer du bourg de la Pouèze, en Anjou, se présenta au quartier général de l'armée royale de l'Ouest[1], sollicitant un entretien du vicomte de Scépeaux, commandant en chef, et du comte de Châtillon, commandant en second. Il leur raconta qu'il avait recueilli chez lui un enfant se disant fils d'un châtelain de la rive gauche de la Loire, le baron de Vesins, disparu depuis la déroute de l'armée vendéenne, en 1793. Le paysan de la Pouèze, exposant qu'il n'était pas assez riche pour traiter cet enfant comme le voulait sa naissance, demandait qu'on lui trouvât un refuge où il serait reçu et hébergé d'une manière plus conforme à son rang. MM. de Scépeaux et de Châtillon s'intéressèrent tout de suite au sort de ce petit abandonné et dépêchèrent un de leurs aides de camp, Charles de Turpin, au château d'Angrie qu'habitait la vicomtesse de Turpin de Crissé, sa tante, pour la prier de recevoir le jeune Vesins, et de le garder chez elle jusqu'à ce qu'il retrouvât sa famille. Madame de Turpin y consentit volontiers et chargea aussitôt son homme de confiance, Moulard, d'aller chercher au quartier général l'enfant, qui arriva au château d'Angrie le jour même.

La vicomtesse de Turpin de Crissé[2] était une femme d'un haut caractère, douée de beaucoup d'énergie, de courage et d'intelligence[3]. Elle avait grandement contribué à la pacification de l'année précédente et était également estimée des chefs royalistes et des généraux républicains. Les uns et les autres lui avaient, à maintes reprises, témoigné au nom des Français une reconnaissance générale et exprimé leurs félicitations pour les services qu'elle avait rendus au pays[4]. Elle s'était fixée, depuis la reprise des hostilités, au château d'Angrie qui appartenait à son neveu Charles de Turpin, et cette vieille demeure seigneuriale était devenue le refuge des officiers émigrés qui y trouvaient dans leur dénuement, outre la sécurité due au grand renom de la châtelaine, toutes les ressources qu'on pouvait attendre d'une hospitalité noble et généreuse[5].

L'enfant, recommandé par MM. de Scépeaux et de Châtillon, reçut donc bon accueil ; madame de Turpin de Crissé fut au-devant de lui dans la cour ; il était un peu honteux de ses pauvres habits et avait l'air inquiet. La vicomtesse le rassura, l'engagea à ne point se considérer comme étant chez des étrangers et, pour dissiper son embarras, lui conseilla de s'occuper à quelque petit jeu. Ce qu'entendant, l'enfant se mit à pleurer, disant que depuis qu'il avait vu périr sa mère, il ne prenait plus d'amusement. Madame de Turpin augura bien d'un aussi heureux naturel ; dès le lendemain elle convoqua le tailleur, commanda pour son jeune hôte un petit habit gris de beau drap à revers noirs, semblable à l'uniforme des chefs royalistes. Il mangeait, bien entendu, à la table de la châtelaine, un peu gêné la première fois ; mais, en quelques jours, il se fit très bien à tous les usages du monde nouveau où il allait vivre. Seulement, il abusait de la complaisance des domestiques et les impatientait ; il était, en outre, rebelle à toute étude ; madame de Turpin entreprit de lui enseigner à lire, à compter, à écrire et de lui apprendre le catéchisme ; mais, quoiqu'il fût intelligent, elle le trouva toujours distrait, ennuyé et ayant horreur de l'application.

Les visiteurs étaient nombreux au château d'Angrie ; c'était, en quelque sorte, un lieu d'asile et les émigrés de passage y venaient chercher quelque répit. Le petit de Vesins se montrait envers eux familier ; un jour qu'un certain M. de la Mouricière, intrigué, sans doute, de sa présence, l'avait trop longuement et trop curieusement interrogé, l'enfant manifesta son impatience en allongeant à son interlocuteur indiscret des coups de pied. Cette fois, madame de Turpin juge qu'elle doit sévir : elle met l'enfant en pénitence dans une chambre du bout de la maison qui donne sur les fossés du château. Quand la porte se referme sur lui, il crie beaucoup, menaçant de déchirer tout ce qui lui tombera sous la main et de se jeter par la fenêtre. Bientôt il semble s'être résigné, car on ne l'entend plus. La châtelaine, déjà un peu inquiète, lui dit à travers la porte qu'elle est prête à lui pardonner s'il fait des excuses à M. de la Mouricière : elle n'obtient pas de réponse ; elle insiste sans plus de succès, et, prise de peur à l'idée que le prisonnier s'est échappé par la fenêtre et s'est laissé choir dans les douves, elle ouvre la porte. On se précipite... Personne ! Madame de Turpin est épouvantée, ses hôtes perdent la tête ; force de chercher, Charles de Turpin découvre sous un lit le petit espiègle fort satisfait de sa vengeance et enchanté du trouble procuré à sa bienfaitrice, trouble qui, causé par une simple malice d'enfant, paraîtra excessif ; car les gens d'alors vivaient en perpétuelles alertes et devaient être habitués aux fortes émotions.

D'une extrémité à l'autre du territoire, ce n'étaient, en effet, dans ces premiers mois du gouvernement directorial, que vols à main armée, enlèvements, brigandages, assassinats, pillages et disparitions. L'un de ces crimes, demeuré, comme bien d'autres, impuni, se rattache, — on le sait depuis peu, — à certains épisodes de l'affaire complexe de Louis XVII. On n'a pas oublié, peut-être, que Barras prétendait avoir remplacé par un substitué et remis à Petitval, châtelain de Vitry-sur-Seine, l'enfant qu'il avait trouvé au Temple le 10 thermidor, s'acquittant ainsi d'une promesse faite au financier royaliste en retour de son appui pécuniaire aux préparatifs du renversement de Robespierre[6]. Petitval était un homme parfaitement honnête et grandement estimé on ne lui connaissait aucun ennemi. Puissamment riche, il aidait, avec beaucoup de générosité et d'empressement, des personnes de considération tombées dans le besoin. C'était lui, on l'a vu, que, après la mort de Louis XVI, Malesherbes avait, sur l'ordre du Roi, chargé des intérêt du Dauphin : en lui livrant le prisonnier, Barras, — il importe de le rappeler, avait pris les précautions nécessaires pour que l'enfant ne pût être enlevé et stipulé qu'il demeurerait toujours à la disposition de la Convention.

Que se passa-t-il après que Petitval eut reçu son gage ? Nul ne l'a jamais su et, sur le séjour à Vitry, plane une ombre aussi opaque que celle dont s'enveloppe le Temple depuis la retraite de Simon. On est donc réduit, sinon aux hypothèses, qui seraient vaines, du moins au raisonnement et ce silence de Vitry-sur-Seine s'explique si le banquier a reconnu que le jeune hôte dont il est détenteur n'est pas le fils de Louis XVI. Il se croit joué par Barras qui excipe de sa bonne foi : il s'est engagé à livrer le détenu du Temple ; est-ce sa faute si ce détenu n'est plus le Dauphin ? Mais il faut éviter un éclat : il n'est pas possible que ceux, quels qu'ils soient, chez qui est caché le petit prince, le dissimulent bien longtemps. Petitval consent donc à temporiser ; mais les mois passent : le substitué qui est au Temple meurt : il faut bien le déclarer à l'état civil et l'inhumer sous le nom du fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Sur quoi le banquier se révolte : il a reçu la mission d'établir les preuves juridiques de la substitution et de rendre au petit Roi son existence légale, et il lui faut, en outre, maintenant poursuivre l'annulation d'un acte de décès qu'il incrimine de faux[7], et cela au profit d'un inconnu que le succès de ses démarches ferait roi de France ! Bon royaliste, Petitval se refuse à jouer ce rôle dans une comédie, qu'il juge sacrilège et à conserver chez lui l'enfant dont certainement il ne se dessaisirait pas si cet enfant était le Dauphin. En quoi le banquier fait preuve de loyauté, mais se révèle aussi comme bien imprudent, car les Barras, les Fouché, les Rovère, les Tallien, les Fréron, — et d'autres ! — le savent maintenant en possession de leur secret et redoutent la probité de cet honnête complice.

Ce sont là simples commentaires, — hasardeux, on l'avoue, — d'un fait brutal que voici : le matin du 21 avril 1796 les habitants du château de Vitry-sur-Seine ne se réveillèrent point : tous étaient morts. Madame Duchambon, belle-mère de Petitval, gisait égorgée dans son lit ; deux dames de ses amies en séjour au château, ainsi que deux femmes de chambre, avaient été massacrées à coups de sabre ; la tête de l'une d'elles était séparée du tronc ; le corps de Petitval fut découvert dans une allée du parc, le crâne fracassé ; son valet de chambre avait été abattu sur les marches du perron... Au total, huit ou neuf personnes avaient péri ; plusieurs domestiques, — qui s'étaient cachés ou sauvés, survivaient, entre autres une servante qui, folle de terreur, avait traversé la troupe des assassins, emportant dans ses bras un enfant en bas âge, le fils de Petitval. Rien n'avait été volé dans le château.

Les journaux mentionnèrent très sommairement cette tuerie[8], et l'on n'en connaîtrait pas à ce sujet davantage si l'on ne possédait le procès-verbal de la séance secrète du Directoire[9] où l'on discuta des causes et des circonstances de l'attentat. Ah ! ils n'ont point d'illusions flatteuses sur certains de leurs anciens collègues de la Convention, les cinq Directeurs ! Ils s'accordent à incriminer de l'assassinat de Vitry-sur-Seine les représentants qui, après avoir reçu l'argent de Petitval, l'ont sciemment leurré ; le banquier menaçait de dénoncer à l'opinion publique l'escroquerie éhontée dont il était la dupe. Rewbel énonce clairement : — On a tué Petitval, non seulement pour se soustraire au paiement des dettes contractées envers lui, mais encore pour s'emparer des documents qu'il possédait et pour empêcher ses révélations[10]. D'ailleurs, des policiers habiles, Dossonville et Asvédo, savaient, depuis quelque temps, que des hommes puissants avaient décidé la mort du banquier[11] ; les Directeurs ignorent si peu les raisons de cette hécatombe que Barras, donnant quelques détails sur le crime, dit à ses collègues : — La femme de chambre qui soigna l'enfant que vous savez a eu la tête coupée[12]. Ils décidèrent, d'ailleurs, de laisser la justice suivre son cours, — qui s'arrêta net avant les premières enquêtes ; si bien qu'os ne publia rien des pièces de l'instruction menée par le juge de paix, et qu'en tint secrets le nombre exact et les noms des victimes !

Quant à l'enfant que vous savez, il avait quitté Vitry-sur-Seine plusieurs mois peut-être avant le massacre : rien, dans le dialogue des Directeurs, n'indique qu'on s'inquiète ni de lui ni de l'endroit où il se trouve c'est évidemment, à leur avis, un personnage de peu d'importance, et cette indifférence démontre encore qu'aucun des gouvernants ne croit à l'individualité royale de l'hôte hébergé durant quelque, temps par l'infortuné châtelain de Vitry.

 

On a dû, pour mentionner ce tragique intermède à la place assignée par l'ordre chronologique, s'éloigner d'Angrie où la vicomtesse de Turpin. élève l'enfant que lui ont con fié les chefs de l'armée royale. On doit admirer l'indulgente bonté de la noble femme qui, en dépit des difficultés de tous genres occasionnées par sa délicate situation de conciliatrice entre les belligérants, avait entrepris l'éducation de ce petit étranger si peu docile. C'était un enfant aux yeux bleus, au nez aquilin, aux cheveux blonds, avec une belle figure et un beau sang, la taille bien prise[13] ; malgré ces avantages, par suite de quel aveuglement la vicomtesse, prenant tant de soins de cet intrus et s'occupant de lui avec une sollicitude attentive, ne s'aperçut-elle jamais qu'il n'était pas du monde auquel il prétendait appartenir ; comment les manières et le langage de l'élève ne décelèrent-ils pas à son hôtesse avisée son origine vulgaire ? Le hasard seul s'en chargea : en arrivant au quartier général de l'armée d'Anjou, le chevalier du Vesins, récemment débarqué d'Angleterre, apprit que l'un de ses neveux habitait le château d'Angrie : il protesta qu'aucun individu de ce nom n'était resté sur le continent ; toute la famille de Vesins, émigrée, vivait à Londres, d'où il venait. Le propos fut rapporté à la vicomtesse de Turpin ; loin de s'indigner contre l'imposteur et de le mettre aussitôt à la porte, elle ne se pressa pas de le renvoyer ; elle ne lui témoigna même pas son mécontentement. C'est seulement quand les troupes républicaines approchèrent d'Angrie qu'elle jugea opportun de l'éloigner du château. Elle confia l'enfant à un domestique, nommé Simon, chargé de le reconduire à ses parents.

Il y a loin d'Angrie à Vesins, où Simon se rendait à tout hasard : quinze lieues au moins, et les chemins étaient difficiles. Simon montait un cheval rouge, ayant le petit en croupe : on passa la Loire et, le premier soir, on coucha à La Pommeraye : le lendemain, on fit route par Chemillé ; le petit fourbe s'obstinait à soutenir que son père était un seigneur et il désignait à Simon des fermes qu'il prétendait lui appartenir[14]. Mais lorsqu'on fut arrivé à Vesins, l'aubergiste de l'hôtel du Rocher reconnut dès l'abord le gars pour être Mathurin Bruneau, fils d'un sabotier du village décédé depuis plusieurs années, et dont la femme était morte, elle aussi. Comme c'était jour de marché, Simon, du seuil de l'auberge, cria, à la façon des vendeurs forains : Qui veut réclamer ce petit et le reconnaître ? Plusieurs curieux s'amassèrent et signalèrent à Simon qu'une sœur de Mathurin vivait à Vihiers, bourgade distante de deux lieues. Simon s'y rendit, trouva la femme indiquée qui reconnut aussitôt Mathurin et l'embrassa de bon cœur : comme elle n'était pas riche, et ne pouvait se charger de lui, elle supplia Simon de le remmener au château d'Angrie. Le domestique de la vicomtesse s'y décida aussitôt et revint avec l'enfant chez madame de Turpin ; celle-ci consentit, par charité, à reprendre l'imposteur qui, de cette aventure, rapportait un nom : il était maintenant Mathurin Bruneau, fils orphelin d'un sabotier de Vesins[15]. Et il demeura au château, non plus parmi les maîtres, mais vivant avec les gens, jusqu'au jour où madame de Turpin, obligée de fuir pour échapper à l'invasion des bleus et de se réfugier avec sa famille dans les bois, confia Mathurin à l'un de ses gardes, chez qui, mêlé aux enfants du village, il lui paraissait être en sureté[16].

Le séjour du pseudo-fils du baron de Vesins au château d'Angrie avait duré environ un an.

***

Dans les premières décades de l'an V, qui correspondent au début d'octobre 1796, un jeune garçon parcourait à pied, sans compagnon, le département de la Manche ; il s'arrêtait dans les villages, implorant gentiment l'hospitalité qu'on ne lui refusait jamais, et se dirigeait, d'étape en étape, vers Cherbourg où l'on croit qu'il voulait s'embarquer. Afin d'apitoyer les paysans, il se donnait pour le descendant d'une famille très distinguée, devenu malheureux par suite des événements de la Révolution[17]. — Les traits de son visage étaient agréables ; il avait de longs cheveux, naturellement bouclés, le sourire ingénu, un son de voix persuasif et, par surcroît, un grand air de dignité et de candeur. Il s'exprimait, d'ailleurs, avec facilité et paraissait avoir reçu quelque instruction. Mais soit qu'il ne fût pas doué de l'adresse et de la prudence indispensables à tout imposteur, soit qu'il ne sût pas encore jouer son rôle, ses allures intriguèrent ; il fut signalé à la police et arrêté lors de son arrivée à Cherbourg. On trouva sur lui une quantité de riches bijoux[18]. Le signalement du petit vagabond fut communiqué à tous les districts du département et l'on apprit ainsi que cet enfant était le fils d'un tailleur de Saint-Lô, nommé René Hervagault auquel la justice le rendait sans autre sanction qu'une sévère réprimande.

René Hervagault avait, à cette époque, 40 ans ; né à Saint-James, au diocèse d'Avranches, il était venu se fixer à Saint-Lô après son mariage avec une très jolie fille, Nicole Bigot[19], épousée, disait-on, plus encore par intérêt que par goût. Nicole Bigot n'était pas originaire de la Normandie ; issue de paysans francs-comtois[20], elle avait été, croit-on, amenée dans le Bessin par le jeune duc de Valentinois, fils du seigneur de Torigny, qui l'avait connue à Versailles où elle aurait été dentellière. D'après une tradition longtemps accréditée dans la contrée, ce gentilhomme, soucieux de faire un sort à sa maîtresse, menacée d'une maternité indésirée, l'avait mariée à René Hervagault, l'un des nombreux serviteurs de Torigny, lequel, ayant servi aux gardes-françaises sous le sobriquet de La Jeunesse, dédaignait les préjugés communs aux paysans arriérés de sa province. Son consentement empressé sauva, d'ailleurs, les apparences : on célébra le mariage à Paris, dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, le 24 février 1781 : l'enfant fut inscrit au baptême, à Saint-Lô, sous le prénom de Jean-Marie, le 20 septembre de la même année, délai minimum, mais suffisant, dont nul n'avait strictement le droit de se scandaliser ; d'autant que cinq autres enfants suivirent en quelques années, bien que le duc de Valentinois eût depuis longtemps cessé de s'intéresser à leur mère.

C'était ce petit Jean-Marie Hervagault qui, en 1796, à 15 ans, déserta la maison paternelle : le goût des aventures le poussait-il à cette escapade ? S'avisa-t-il d'une préférence marquée par le père Hervagault pour ses autres enfants ? Peut-on supposer qu'une indiscrétion l'avait instruit des bruits naguère répandus au sujet de sa naissance ? Il y a bien des énigmes à l'origine de ses aventures, et quoiqu'on ait prétendu en avoir percé le mystère, toutes, on le verra, ne sont pas résolues. Il faut d'abord signaler l'insouciance singulière du tailleur Hervagault à l'égard de rainé de ses enfants. Jean-Marie est évidemment peu surveillé ; il n'est guère heureux dans la maison de son père, puisqu'il s'en éloigne si facilement et si volontiers. A peine la gendarmerie départementale l'a-t-elle ramené à Saint-Lô, qu'il s'échappe de nouveau : il se dirige, cette fois, vers le Calvados, espérant peut-être gagner Trouville et le Havre. Il avait pris, — où ? — des vêtements de fille, mais confiait à tout venant qu'il avait adopté ce déguisement pour mieux dépister les poursuites et pour faciliter son passage en Angleterre. Dans les châteaux où il se présentait, il disait être le fils du duc d'Ursel, gendre du roi de Portugal ; ailleurs il s'attribuait pour père le prince de Monaco, ce qui tendrait à prouver que quelqu'un, — la mère peut-être, — lui avait révélé le secret de sa naissance[21]. Ce qui surprend c'est sa connaissance des noms et des alliances de la plus haute noblesse de France. Bientôt il laissera entendre que des liens de parenté l'unissent à Louis XVI, à la reine Marie-Antoinette, à Joseph II d'Autriche.... Partout il rencontre bon accueil ; on l'assiste, on lui fournit des subsides, et c'est ainsi qu'il arrive jusqu'à Hotot, dans le pays d'Auge. Là il fut arrêté, conduit chez le juge de paix et envoyé à la prison de Bayeux où le père Hervagault, averti de son incarcération, vint le réclamer et le ramena avec lui à Saint-Lô. On était au printemps de 1797[22].

Quoique les magistrats eussent recommandé au tailleur de surveiller étroitement son fils, celui-ci ne put se plaire à la vie étroite et monotone de la maison paternelle : au début de 1798[23], le voilà de nouveau en route : il porte un vieil habit bleu, un grand pantalon à la hongroise et il est chaussé de sabots. Peut-être a-t-il l'intention d'atteindre la Vendée, car il gagne d'abord Laval ; mais la difficulté de pénétrer dans ces régions de l'Ouest, très surveillées, le décide à prendre le chemin d'Alençon ; parvenu là, sans ressources, il frappe à la porte d'une dame Talon de Lacombe, qui habite seule une propriété aux Joncherets, distante de la ville d'une demi-lieue. Il se présente sous le nom de Montmorency ; il se rend, dit-il, à Dreux où se trouve le château de sa famille, dispersée par la Révolution ; il est épuisé de fatigue, il n'a plus un écu ; madame de Lacombe, prise de pitié, l'héberge, l'invite à séjourner chez elle jusqu'au jour où il aura recouvré ses forces ; elle lui fournit du linge, des vêtements, de l'argent, le traite en hôte de distinction, et Jean-Marie tient le rôle avec une aisance et un aplomb des plus convaincants : tous les soirs, au foyer de sa généreuse hôtesse, entouré des châtelains du voisinage qu'attire la présence de cet héritier d'un des plus beaux noms de France, il raconte avec une émouvante minutie de détails les infortunes de sa noble famille. Ses manières sont distinguées, son ton si sincère, sa physionomie si séduisante, il glisse si généreusement dans la main du palefrenier qui lut selle son cheval ou du domestique qui le lest à table un des louis d'or donnés par la bonne dame, que nul ne doute de son illustre origine Madame de Lacombe, le voyant rétabli, veut le conduire elle-même jusqu'au château familial et le remettre à ses parents ; il ne s'y oppose point, arrive à Dreux avec sa bienfaitrice, cherche, s'informe ; enquête. Nul ne le renseigne : on n'y connaît le nom de Montmorency que par le souvenir du connétable tué en 1562 dans une bataille fameuse, et madame de Lacombe, comprenant qu'elle a été dupée, abandonne son protégé et reprend tristement le chemin d'Alençon, regrettant la perte d'une quarantaine de louis d'or que le prétendu Montmorency a obtenus de sa trop facile bonté[24].

Hervagault continua son voyage : il traversa Paris sans que son passage y fût remarqué ; on le retrouve à Meaux dans la première quinzaine de mai ; sans argent, car il n'est pas thésauriseur, il erre par les rues de la ville à la recherche d'une âme charitable et il la trouve en la personne d'une marchande, la mère la Ravine, qui installe sa boutique sur le champ de foire. La bonne mine du jeune vagabond, le joli costume de nankin à rayures qu'il doit à la générosité de madame de Lacombe, sa mélancolie discrète intéressent la foraine à laquelle il conte un nouveau roman elle lui donne quatre louis et il va aussitôt retenir une place dans la diligence de Strasbourg qui passe à Meaux dans la soirée. Le lendemain matin, 24 mai, — 5 prairial an V, — il arrivait au relais de Châlons, se faisait servir à déjeuner et remontait en voiture la bourse totalement dégarnie.

Au bout d'une demi-heure de trajet, il demande qu'on arrête : il veut descendre. Une telle prétention n'avait rien d'insolite en ce temps d'interminables parcours. Perotte, le conducteur de la diligence, consent à une halte ; le jeune voyageur met pied à terre et gagne une haie voisine derrière laquelle il disparaît. Bientôt les postillons perdent patience ; Perotte appelle : nulle réponse ; les occupants de la diligence sont descendus, eux aussi : ils fouillent les buissons, commentent la disparition de ce jeune garçon dont la gentillesse et la modestie les ont charmés. On le hèle dans toutes les directions ; on cric qu'on n'attendra pas davantage, qu'on le laisse là... Point d'écho. Il fallut bien reprendre ses places et se décider au départ : la diligence s'éloigna dans la direction de Vitry-le-François qu'on appelait alors Vitry-sur-Marne.

Quand elle fut hors de vue, Hervagault quitta sa cachette et, errant par la campagne, il parvint ainsi jusqu'à la Marne et se dirigea vers un hameau posé au pied des coteaux de la rive ; c'était Mairy, distant de Châlons de deux lieues. Au premier paysan rencontré, il exposa qu'il était sans asile et s'effrayait de passer la nuit dans les champs. L'homme l'examina, fut séduit par son allure timide et craintive, et consentit à le loger s'il se contentait de partager le lit d'un garçon de labour ; mais, à cette proposition, l'autre se révolta, demandant avec insolence pour qui on le prenait et s'il était de mine à vivre avec les valets ? Le villageois interdit le crut fou : il alla conter sa rencontre au juge de paix de Cernon ; le garde champêtre se mit en campagne ; le soir même l'aventurier était arrêté et comme il refusait de répondre aux questions qui lui furent posées, on l'expédia le lendemain sur Châlons où il fut mis en prison[25].

Dès son premier interrogatoire, il prit le ton mystérieux, déclara son âge : 13 ans — mais garda le silence sur le lieu de sa naissance et le but de son voyage. Pourtant comme le magistrat insistait pour connaître au moins son nom, l'enfant eut un mouvement d'impatience et grommela : — On le cherche assez ! On ne l'apprendra que trop tôt ! Il fallut se contenter de cette vague déclaration. Le ministre de la police, avisé de l'incident, ordonna d'insérer dans les principaux journaux[26] l'avis de la présence dans les prisons de Châlons d'un jeune garçon disant être âgé d'environ 13 ans et dont l'extérieur n'annonçait pas davantage... ; la note décrivait le costume du prisonnier et signalait que sa conversation décelait une éducation plus qu'ordinaire. Cette publication n'obtint d'ailleurs aucun effet ; le détenu demeura sans nom.

Voilà un premier achoppement dans cet épisode d'apparence assez limpide : le fils du tailleur de Saint-Lô, né en septembre 1781, approche, en juin 1798, de la fin de ses 17 ans : or l'aventurier de Châlons n'en paraît pas compter plus de 13 : ce n'est donc pas le fils du tailleur Hervagault. On s'étonne qu'aucun de ses historiens n'ait été arrêté par cette difficulté : ne voit-on pas qu'elle compromet la vraisemblance de toute l'odyssée ? Car si l'on admet aisément qu'un enfant inspire de l'intérêt et recueille le bénéfice de sa faiblesse, il n'en est pas de même d'un jeune homme complètement formé, déjà barbu peut-être, apte, en tout cas, à gagner sa vie ; et dès lors on ne s'explique ni l'indulgence du magistrat de Bayeux, ni la commisération de madame de Lacombe, ni la singulière générosité de la mère la Ravine, ni les ménagements du commissaire de Châlons, ni tant d'autres marques d'attachement que le petit nomade reçoit partout où il passe. A la prison où il est écroué, il enjôle de nouveau tout le monde : madame Vallet, la femme du concierge et sa fille Catherine, spécialement chargée de sa surveillance, — c'est donc bien un enfant, — le déclarent charmant ; une semaine s'est à peine écoulée depuis le début de sa détention quand parvient à la maison d'arrêt une caisse adressée à l'inconnu par un expéditeur anonyme : cette caisse contient des comestibles de choix, une montre et un magnifique service d'argenterie dont on autorise le captif à faire usage, et qu'il reçoit en personnage dès longtemps accoutumé au luxe de la vaisselle plate. Il se montre, d'ailleurs, très recherché : il lui faut du beau linge ; il ne supporte pas de coucher deux nuits de suite dans les mêmes draps et comme on ne peut rien lui refuser, on change tous les jours ceux de son lit. Il se commande en ville des vêtements que le tailleur Hyacinthe lui fournit complaisamment : chez l'apothicaire Melchior, il a bientôt un compte de deux cents francs pour eaux de toilette ; il n'a pas d'argent, mais avec une prodigalité qui semble lui être naturelle, il n'en dépense pas moins et le geôlier paie pour lui : en quelques semaines ce brave homme avance pour son prisonnier 2.400 livres, — ravi, du reste, de contribuer au bien-être de cet attachant pensionnaire. Jamais pareil gaspillage ne s'est vu dans une prison, — si ce n'est au Temple, en août 1792, alors que, dénuée de tout, s'y installait la famille royale...

Et il advint ceci qui est extraordinaire : le détenu, mis en demeure de déclarer quels sont ses parents, a négligemment décliné son nom : il s'appelle Louis-Antoine-Joseph-Frédéric de Longueville, fils de feu le marquis de Longueville, seigneur de Beuzeville et autres lieux ; et tandis que le magistrat entreprend en Normandie une enquête qui se prolongera durant deux mois et demeurera, bien entendu, infructueuse[27], un coup de lumière illumine l'esprit de quelques bourgeois châlonnais, bouleversés par l'aveu de l'intéressant prisonnier dont on s'entretient par la ville : Louis, c'est le nom du dernier roi de France ; — Antoine rappelle celui de la pauvre Reine ; — Joseph, évoque le souvenir du frère de Marie-Antoinette ; — Fréderic, ainsi s'appelait le Roi philosophe... l'enfant est assurément d'origine illustre : ne serait-il pas le fils de Louis XVI, dont la mort a suscité, naguère, tant de légendes ? De l'hypothèse on passe vite à la certitude : le malicieux prince se réclame d'une origine normande : c'est, sans trahir le secret do bon rang auguste, par allusion au titre de duc de Normandie qu'il a porté dans ses premières années. On discute, on s'enflamme, on s'exalte, — le mystère et l'aventure ont, pour tous les esprits, tant de charmes ! — on va étudier à la prison les traits du jeune Longueville ; on examine sa démarche, ses gestes ; c'est à coup sûr un Bourbon : voilà comment le pensionnaire du père Vallet fut promu roi de France par la conviction de quelques initiés, et comment s'ébruita dans Châlons

De Joas conservé l'étonnante merveille.

Joas, lui, s'obstinait à se taire : il ne prétendait pas être le Dauphin ; mais il ne détrompait aucun de ceux qui lui attribuaient cette personnalité. Les initiés, — ainsi se désignaient ses partisans, — se passèrent de son aven et l'entouraient de soins et d'hommages. Une commerçante notable, madame Saignes[28], femme romanesque en dépit de sa peu ordinaire corpulence, de ses cheveux roux, de ses petits yeux et de son gros nez, s'institua son chambellan et son majordome ; elle transforma en un petit palais la cellule du prince, garnie de ses plus beaux meubles et tendue de tapisseries ; elle lui servait de gouvernante, voire de domestique ; c'est elle qui décida le concierge à laisser sortir le détenu qui, habillé en fille, et charmant sous ce costume d'emprunt, allait avec Catherine Vallet, se promener sous les quinconces du Jard ; c'est madame Saignes encore qui, mots couverts, répandit dans toute sa clientèle l'étonnante histoire et recruta une cour de fidèles au Roi anonyme. Parmi les plus assidus étaient une dame Felix, M. et madame Jacobé de Rambécourt, M. Adnet, notaire, mademoiselle Jacobé de Vienne et Jacobé de Pringy, M. de Torcy, M. Jacquier-Lemoine et aussi un ancien garde du corps de Louis XVI, M. de Beurnonville. Quand la conversation de ces courtisans obliquait vers le passé tragique et les catastrophes révolutionnaires, on voyait rouler dans les beaux yeux de l'enfant de grosses larmes qu'il avait peine à retenir ; lorsque vint la fête des Morts, il distribua des aumônes, demandant des prières pour son père mort sur l'échafaud de la Terreur, et comme, certain jour, un maladroit s'avisait de rappeler en sa présence le supplice de Marie-Antoinette, il eut un geste de désespoir, éclata en sanglots et s'enfuit dans la pièce voisine.

Les magistrats de Châlons se trouvaient en un terrible embarras : le ministre de la police, Dondeau, les houspillait incessamment : — Il semble, écrivait-il[29], qu'avec un peu d'attention, il ne doit pas être difficile de faire parler un jeune garçon peu familiarisé avec la dissimulation et les formes judiciaires ; pour en finir, il demanda l'âge exact de l'enfant et son signalement précis[30] et, quelques semaines plus tard, il annonçait triomphalement que le mystère était dissipé : grâce aux renseignements communiqués, il avait découvert le père du prisonnier de Châlons : c'était un pauvre tailleur de Saint-Lô, nommé Hervagault, et celui-ci se déclarait prêt à reprendre son fils si seulement la gendarmerie se chargeait de le lui ramener de brigade en brigade jusqu'à Caen.

On aurait scrupule à compliquer un imbroglio par lui-même suffisamment troublant ; mais on se demande comment, en apprenant qu'un enfant de treize ans et demi, vêtu d'une veste de nankin, a été arrêté à Châlons, le père Hervagault, put deviner qu'il s'agissait de son fils, alors dans sa dix-huitième année, et qui avait quitté Saint-Lô couvert d'une vieille houppelande bleue. On ne discerne pas davantage par quel procédé le ministre, — à moins qu'il fût doué de la double vue, ce qui n'était pas, certes ! le cas de Dondeau, — s'adressa précisément à Saint-Lô pour être fixé sur l'identité d'un enfant emprisonné dans la Marne. S'était-il donc enquis auprès de tous les commissaires de police de France ? Ou bien le père Hervagault avait-il entrepris de son côté quelque recherche qui donna l'éveil à l'autorité ? Non, bien certainement, car on en retrouverait trace soit dans les archives locales, soit dans celles du ministère. L'intervention du tailleur de Saint-Lô parut, dès l'abord, si peu fondée, que le ministre mettait en garde les magistrats châlonnais contre une collusion probable[31]. En attendant ordre était donné de veiller à ce que le prisonnier fût sévèrement surveillé.

Or aucune plainte n'était déposée contre lui : il n'avait lésé personne, ses fournisseurs refusant d'être payés ; l'apothicaire Melchior renonçait bénévolement aux sommes qui lui étaient dues, parce que, disait-il, ce jeune homme a bon caractère. Hyacinthe, qui avait fourni les vêtements, la dame Saignes qui avait meublé le cachot, protestaient ne plus se rappeler le chiffre de leurs débours, et le concierge Vallet lui-même ne réclamait pas un décime de ses 2.400 livres d'avances, protestant qu'il conserverait toujours, pour son prisonnier, beaucoup d'amitié[32]. Vallet fut révoqué de ses fonctions et perdit sa place pour ce beau mouvement, unique, assurément, dans les annales de l'administration pénitentiaire ; quant aux autres, en apprenant que leur prince était le fils d'un petit tailleur normand, après un court moment d'effarement, ils avaient senti redoubler leur foi en sa royale origine : il était pour eux de toute évidence que le Dauphin évadé du Temple avait été remplacé dans sa prison par un autre enfant dont le fils de Louis XVI avait dû adopter la personnalité : Hervagault, soit ! On ne désignera plus le Prince autrement et cette incarnation, si humiliante soit-elle, le protégera sûrement contre les dangers qui menacent le descendant des rois. Et tous les initiés s'accordent à juger surprenante l'apathie de ce tailleur de Saint-Lô qui, depuis six à sept mois, se résigne si facilement à la disparition de son fils. L'étonnement, — et la conviction, — s'accroissent quand on apprend que les lettres adressées par ce père insouciant à son enfant enfin retrouvé sont libellées sur un ton presque respectueux ![33]

Pourtant cette intervention mettait à l'aise la procédure. Le prisonnier avouant être le fils du tailleur, il ne s'agissait plus que d'obtenir la reconnaissance formelle du père. Le tribunal correctionnel décida, le 13 pluviôse an VII — 1er février 1799 — de retarder son jugement jusqu'au jour où l'individuité du prévenu serait officiellement établie, et Jean-Marie Hervagault fut remis aux gendarmes pour être conduit à Saint-Lô : le jour de son départ, on le vit consoler ses fidèles en larmes, massés devant la porte de la prison ; il partait abondamment pourvu d'argent ; on sut que, dès le premier gîte, il avait royalement traité son escorte et, à l'accueil qu'on lui faisait partout sur la route, on aurait dit qu'il était annoncé à l'avance dans les lieux où il passait[34]. Deux mois plus tard il reparaissait à Chialons, le père Hervagault ayant docilement signé la déclaration de reconnaissance, et le tribunal de la Marne condamnait Jean-Marie à un mois de prison.

 

A l'expiration de sa peine, on le dirigea de nouveau vers le chef-lieu de la Manche ; mais il n'alla pas jusque-là : à Guiberville, non loin de Torigny, il est arrêté sur une nouvelle tentative d'escroquerie ; on le conduit à Vire, où, jugé sans incident mais avec sévérité, il est condamné à deux ans de prison[35]. Sur cette nouvelle et longue détention on est peu renseigné, du moins si l'on s'en tient aux pièces authentiques : de certains témoignages assez suspects, il ressortirait que la marquise de Tourzel, avisée du séjour à Vire du faux Dauphin prisonnier, se serait intéressée à lui, et, curieuse de le connaître, sinon personnellement, ni même en effigie, mais d'après une description précise, aurait réclamé son signalement[36]. On a même fait allusion à des lettres adressées par l'ancienne gouvernante des Enfants de France au jeune prisonnier de Vire et aux réponses de celui-ci où il rendait un compte favorable des progrès de son instruction littéraire. Ce sont là racontages négligeables ; plus authentiques sont les relations entretenues par Hervagault — on lui laissera désormais ce nom — avec ses initiés de Châlons ; la dame Saignes, surtout, se signala par un zèle ardent, s'appliquant à tempérer les rigueurs de la détention par l'aménité de sa correspondance ; tous les dons recueillis pour le malheureux Dauphin lui étaient transmis par elle religieusement[37] ; et quand, dans l'été de 1801, approcha le jour de la libération, afin d'éviter que le pauvre enfant se trouvât de nouveau exposé sans soutien aux hasards et aux risques de la vie aventureuse, madame Saignes prit secrètement la route de Vire pour aller recevoir son prince à la porte même de la prison. Un autre initié châlonnais, le citoyen Peudefer, s'offrit à l'assister dans cette mission honorable ; mais, pour ne point éveiller les soupçons, il gagna par une autre route la capitale du Bocage normand. Enfin Hervagault est dans leurs bras : ils l'entraînent, le réconfortent, l'assurent de la fidélité de ses amis de la Marne. Cinq jours plus tard, il arrivait à Châlons avec ses gardes du corps. On crut prudent de ne pas entrer, pendant le jour, dans la ville et l'on attendit la nuit close pour gagner la maison de madame Saignes où une réception était préparée. Acclamations, hommages, baisemain, bombance : madame Saignes, triomphante, exultait de joie et ne cessait de répéter : Eh ! je vous l'avais bien dit que c'était le... ! Le voilà !

Le... Entendez le Roi de France ; mais il était convenu que le mot ne serait pas prononcé : il fallait, en effet, agir avec une grande prudence pour ne pas réveiller les méfiances assoupies des autorités et surtout l'animosité de l'ex-conventionnel régicide Batelier, devenu commissaire du Directoire près le tribunal de Vitry et demeuré l'ardent champion de l'idée révolutionnaire[38]. Une fois en possession de l'objet désiré, les fidèles d' Hervagault cherchèrent pour lui un asile confortable chez quelque personnage assez important pour être, par sa situation, à l'abri des tracasseries de la police : M. Jacobé de Rambécourt, riche propriétaire à Vitry, sollicita l'honneur de le recevoir — se procurant ainsi la satisfaction de narguer le jacobin batelier dans son propre ressort. Allié aux nobles familles du Perthois, M. de Rambécourt, ci-devant écuyer et seigneur des Clauserets, avait fait, en 1789, partie de l'assemblée de la noblesse lors de la convocation des États généraux ; il possédait à Vitry un vaste hôtel où le jeune Roi pourrait attendre dignement son intronisation prochaine. M. de Rambécourt, accompagné d'une dame Michel, estimée à Vitry pour ses sentiments royalistes, allèrent chercher à Châlons le Télémaque français — on n'imagine pas de quelle débauche de métaphores l'incognito du Prince était l'occasion — et le ramenèrent à Vitry où était disposé pour lui un appartement à l'hôtel de Rambécourt.

Hervagault fut traité là avec autant de profusion que d'élégance, et son adaptation subite à ce cérémonial, qui paraissait lui être depuis longtemps habituel, consolidait encore la foi de ses adeptes qui, du reste, n'avaient pas besoin de ce surcroît de fondement La Cour se composait, outre M. et madame Jacobé de Rambécourt, de M. et mademoiselle Peudefer, des dames Saignes et Félix, de Châlons, de M. de Torcy, fils du député de la Marne au Conseil des Cinq Cents et des initiés déjà mentionnés. Le 6 fructidor an IX, veille de la ci-devant Saint-Louis, la fête du Roi fut célébrée à Pringy, chez madame Jacobé : on présenta à Hervagault un superbe bouquet qu'il daigna accepter aux cris de joie et de reconnaissance de tous les assistants fondant en larmes. D'après le témoignage de M. de Bournonville, l'ancien garde du corps, c'est à cette réunion que, sollicitée par ses partisans, Sa Majesté consentit à donner la preuve de son identité royale : l'un d'eux, ayant habité Rome au temps de l'émigration, avait entendu raconter que le Dauphin, évadé du Temple, fut conduit dans la ville éternelle où le Saint-Père Pie VI, afin de pouvoir le retrouver en cas de nouvelles aventures, lui apposa sur la jambe, en présence de vingt cardinaux, un stigmate au moyen duquel le fils de France pourrait à l'avenir se distinguer des imposteurs éventuels, étrange procédé de reconnaissance, épisode bien peu vraisemblable, qui se retrouva, sans qu'on puisse en discerner la raison, dans les récits de la plupart des faux Louis XVII. — Hervagault écouta l'anecdote en souriant, et comme on le suppliait de mettre fin à l'angoisse unanime, il voulut bien desserrer la boucle de sa jarretière droite, abaisser son bas de soie, et montrer l'empreinte de l'écusson de France qu'il portait au-dessous de l'articulation du genou droit[39]. Quoique ce ne fût point là une preuve, car, s'il était un trompeur avisé, Hervagault avait eu tout le temps de se tatouer durant sa détention à Vire, les initiés de Vitry crièrent au miracle et contemplèrent avec ivresse cette sainte marque apposée par la main infaillible du Vicaire de Dieu ! Et c'est merveille de considérer combien sont aveugles et hostiles à toute critique les convictions basées sur les sentiments ; on le vit bien le jour où le Dauphin de Vitry consentit à narrer son odyssée depuis son incarcération au Temple jusqu'à son arrivée aux rives de la Marne.

C'était à une soirée chez le notaire Adnet, ami de M. Claude Jacquier dont Hervagault, après son retour de Pringy, occupait la maison, l'une des plus somptueuses demeures de Vitry située dans la rue Pavée. Il y retrouvait l'étiquette de Versailles, des personnalités considérables de la ville s'estimant heureuses de remplir auprès de lui les plus vils emplois[40]. Il acceptait leurs services sans hauteur ni dédain, mais avec une dignité complaisante. Or comme, à la prière de ses nombreux invités, le notaire s'était permis de supplier Monseigneur de raconter sa sortie du Temple et ce qui lui était advenu par la suite, le prétendu Dauphin se lança dans un récit tissu avec art qui, il faut l'espérer, ne nous a pas été rapporté textuellement, sinon on serait en droit de juger aussi sévèrement l'audacieuse hâblerie du narrateur que l'ignare patience de son auditoire[41]. Il y est question de Simon et de sa femme, altérés de sang et de vin, dont la bouche dégoûtante ne proférait que des propos obscènes ; d'une garde-malade dévouée dont le jeune prince reçut les soins au Temple même ; d'entrevues quotidiennes avec sa sœur qu'on réunissait à lui aux heures des repas et des jeux. Pas un mot en revanche des six mois d'isolement qui s'écoulèrent entre le départ des Simon et le 9 thermidor. On y voit un inconnu vêtu en matelot et M. de Frotté, armé jusqu'aux dents, enlevant l'enfant dans un panier de blanchisseuse, l'arrivée au camp de Charette, puis un séjour chez le roi d'Angleterre, le voyage à Rome, l'accueil extravagant du Pape imprimant sa marque indélébile sur le jarret du jeune prince qui, certain désormais de ne plus se perdre, va à la Cour de Portugal, est fiancé, — il a onze ans ! — à une veuve, la princesse Bénédictine, sœur de la Reine ! Neuf princes souverains, dont les ambassadeurs accourent à Lisbonne, le reconnaissent Roi de France et se liguent pour sa cause. Puis vient un voyage à Berlin, la rentrée en France où le fils de Louis XVI est appelé par le Comité de Clichy. Surpris par le coup d'État du 18 fructidor, — et toujours habillé en femme ! — il erre de ville en ville jusqu'à Cherbourg... On connaît le reste. Et ce scénario de feuilleton où tout est malmené, chronologie, événements historiques, vraisemblance même, est exposé en beau langage, semé de prosopopées chères au style de l'époque : Ô rives délicieuses du Tage sur lesquelles s'élèvent sept collines !... Magnifique palais des Quélus ! C'est dans tes murs que j'ai connu l'amour ! Ciel, quels souvenirs heureux se présentent en foule à mon imagination enflammée ! Ô trop modeste Bénédictine !... Non, il n'est pas possible qu'après avoir subi cette pièce d'éloquence, les initiés de Vitry se fussent sentis en proie, non plus seulement à l'enthousiasme, mais au fanatisme, et eussent protesté que c'était bien là Charles-Louis de Bourbon, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette d'Autriche. Hervagault avait jusqu'alors fait preuve de trop d'habileté et de tact pour qu'il eût compromis, par une rapsodie de ce genre, la situation qu'il s'était acquise.

Il est curieux de remarquer que, pour tous ceux qui s'offrirent comme Dauphins évadés, — et le nombre en est grand, puisqu'il atteint la trentaine, — l'écueil fut toujours l'exposé des circonstances de leur enlèvement et des péripéties qui le suivirent. Aucun d'eux n'a su fournir, sur ces événements d'importance, une Version qui s'accorde à peu près avec ce que l'on sait de l'Histoire. Le rôle, au début du mollis, était cependant facile à jouer, puisqu'il suffisait de dire : je ne Sais pas Hervagault qui entra en scène avant tous les autres n'avait qu'à se taire pour être applaudi ; ses auditeurs lui fournissaient à profusion ses répliques ; aussi est-il probable que le discours résumé ci-dessus ne fut jamais prononcé. A l'époque où Hervagault vivait en Champagne, était publié à Paris un roman, — d'ailleurs sans valeur, — Le Cimetière de la Madeleine par Regnault-Warin, — où les faux Louis XVII de l'avenir devaient imprudemment puiser leur documentation, car le théine en était l'évasion du fils de Louis XVI, sujet nouveau alors, mais périlleux ; l'imprimeur de l'ouvrage n'en put douter quand il vit ses formes brisées par la police du Consulat, et quand il entendit. se fermer sur lui et sur l'auteur les portes de la prison du Temple que ce dernier eut ainsi l'occasion de visiter, te qui ne lui était jamais arrivé, encore qu'il en fût beaucoup parlé dans la publication incriminée[42]. Le livre suscita bien des curiosités, il faut le croire, puisque, à mesure que les éditions clandestines du Cimetière étaient saisies, la vogue de l'ouvrage s'affirmait[43]. Un exemplaire en parvint-il jusqu'à Vitry ? Hervagault eut-il l'occasion de le lire ? C'est possible ; mais il eût commis une grande faute en empruntant à cette œuvre de pure imagination que les contemporains paraissent avoir accueilli comme la plus authentique des histoires ! Hervagault possède en effet sur ses successeurs l'avantage incontesté d'avoir été celui qu'on essaie de copier mais qui n'imite personne ; sa juvénilité, son aspect physique, ses espiègleries, son insouciance, ses réticences même, lui attiraient plus de partisans que ne l'auraient fait de longs discours. Et puis, si peu instruite des événements de la Révolution que fit alors la généralité des Français, ces royalistes champenois, en hébergeant le Prétendant, savaient risquer, sinon l'échafaud, du moins la déportation il fallait qu'ils eussent, pour croire à l'illustre origine de leur hôte fêté, d'autres motifs que le tatouage du jarret royal ou l'amour de la trop modeste Bénédictine. Celui-ci, de son côté, disposait d'autres arguments, plus probants : l'étrange conduite de son prétendu père, le tailleur de Saint-Lô, qui, comme s'il y avait été contraint, était venu naguère le chercher à Cherbourg, lors de sa première escapade ; qui n'avait pas songé à aller le reprendre à Vire après sa détention de deux années qui ne s'inquiétait plus de son sort et se tenait coi depuis que l'autorité n'exigeait plus qu'il se manifestât. Il pouvait surtout arguer de son âge, — 16  ans, en 1801, au lieu de 20 qu'aurait eu le véritable Hervagault, et nul, sur ce point, ne l'aurait contredit ; car, en cet été de Vitry, sa physionomie était encore si enfantine que, lorsque le jeune garçon parcourait les rues de la ville, escorté de M. Jacobé de Rambécourt respectueux et plein d'égards envers son gentil compagnon, les passants prenaient celui-ci pour une demoiselle déguisée, et la réputation de l'austère gentilhomme en subit même quelque atteinte.

***

Ici se révèle un personnage inattendu, le citoyen Charles Lafont-Savine, ci-devant évêque de Viviers. Issu d'une famille de vieille noblesse, il avait été mal élevé par sa mère, une Castellane, femme ardente, spirituelle et frivole, qui recommandait la lecture de l'Émile et du Contrat social à cet enfant de sa prédilection, destiné cependant à l'Eglise[44]. D'abord grand vicaire à l'évêché de Mende, puis à Laon, Lafont de Savine avait été, à 36 ans, en 1778, sacré évêque de Viviers : il unissait à des connaissances étendues, une mémoire étonnante, le don des langues et de la parole et un esprit très lucide lorsqu'il ne se portait pas sur les objets de ses successifs engouements[45].

Son palais épiscopal, planté au bord du Rhône, était l'un des plus beaux de France : il en avait peuplé les jardins de roitelets et de rossignols ; sa meute était renommée ; son faste mondain rivalisait avec celui des Rohan et des Dillon. Est-ce pour ne pas quitter ce bien-être que, élu en 1789 député aux Etats généraux, Mgr de Savine démissionna au bout de dix jours[46], et que, plus tard, il fut l'un des quatre prélats français qui se soumirent à la Constitution civile du Clergé ? Il prêta le serment dans la chaire de sa cathédrale et, maintenu, par conséquent, dans son diocèse, il cumula ses fonctions d'évêque constitutionnel avec celles d'administrateur du département. Alors commencèrent les excentricités : quittant la soutane pour l'habit de garde national, organisant dans son palais des bals patriotiques, permettant à ses prêtres le mariage, il usait en même temps, il faut le dire, de l'influence de sa popularité pour soustraire aux fureurs démagogiques nombre d'ecclésiastiques insermentés. Il donna libre cours à ses rêveries humanitaires ; en raison de son génie incohérent on l'avait surnommé le Jean-Jacques du Clergé. Sa charité et sa philanthropie ne se ralentirent jamais, ce qui ne l'empêcha pas, après thermidor, d'être traduit devant le Tribunal révolutionnaire[47], qui le renvoya absous, et gratifié d'un satisfecit. Mais ayant abdiqué sa dignité et se trouvant sans ressources, il se fixa à Paris et obtint un emploi à la bibliothèque de l'Arsenal.

L'ex-évêque de l'Ardèche vivait donc parmi les livres et les savants[48] satisfait de son sort ; mais en dépit de sa déchéance, il était resté gentilhomme et bon Français. La pensée que ce petit duc de Normandie, qu'il avait vu à la Cour et dont la naissance lui inspira jadis un mandement éloquent[49], était mort dans l'isolement, usé, à 10 ans, par la misère et le manque de soins, troubla le prélat dévoyé au point, que sa consciente fut hantée d'une sotte de remords. Dans ce cœur libéré du passé, le Roi rentrait avant Dieu. Soit que Savine se refusât à croire possible cette fin misérable, soit que sa perspicacité jugeât suspectes les précautions affectées pour la publier en la dissimulant, il entreprit une enquête personnelle et, grâce aux relations que sa vie mouvementée n'avait pu manquer de lui créer dans tous les mondes, il parvint à interroger les chirurgiens que le Comité de Sûreté générale avait chargés de l'autopsie du prisonnier du Temple : ils ne lui cachèrent point qu'ils avaient bien ouvert le cadavre d'un enfant, mais qu'ils n'avaient pas reconnu cet enfant pour être le fils du ci-devant roi Louis XVI[50].

Il ne se contenta pas évidemment de ce sent renseignement et dut recueillir d'autres informations, car sa conviction était faite lorsque, dans l'automne de 1798, il apprit, — peut-être par l'avis inséré dans les journaux sur l'ordre du Ministre, — que la prison de Châlons détenait un enfant dont l'âge, — 13 ans ; — correspondait à la date de la naissante du prince et dont le signalement s'accordait avec les portraits et les descriptions de la personne du jeune Roi. Aussitôt Savine renoncé à son emploi de bibliothécaire[51] ; il court à Châlons, se présente au détenu, reconnait en lui immédiatement et sans hésitation, le Dauphin survivant. Il s'érige sur-le-champ en conseiller : à lui seul, semble-t-il, les initiés châlonnais doivent de comprendre que le prince ne peut, sans s'exposer à de nouvelles tortures, revendiquer son auguste nom ; celui d'Hervagault, auquel une intrigue encore confuse l'a rivé, lui servira de refuge contre la malignité des hommes : s'il le rejette, ce sera la prison d'Etat, le secret, l'empoisonnement... Et Savine répète à son cher prince : — Monseigneur, vous êtes Hervagault, ou vous êtes mort ! L'ex-évêque ne borne pas à ce conseil ses bons offices : c'est lui qui va entreprendre l'instruction du détenu, le préparer à remonter un jour sur le trône ; il se fera un professeur, son guide ; lui donnera des leçons de latin, de littérature, d'histoire, et, pour la première fois depuis son abjuration, il rouvre un catéchisme, — catéchisme orthodoxe[52], — afin que l'ancien élève de Simon, qui ne sait plus ses prières, soit élevé dans la foi de ses ancêtres ! et il n'y a pas sans doute dans notre histoire un trait plus révélateur du formidable désarroi moral et des bouleversements sociaux occasionnés par la Révolution que ne l'est cet épisode ; presque ignoré ; d'un enfant perdu salué Roi par quelques provinciaux, façonné aux devoirs de la couronne par un démocrate notoire et instruit de la religion de ses prédécesseurs les monarques très chrétiens, par un renégat excommunié.

 

Après avoir reparu, durant six mois, à sa bibliothèque[53], Savine retrouva en 1801 Hervagault à Vitry et le prépara à la première communion ; il lui procura différents ouvrages sur la Révolution[54], lui traça un programme d'études et reprit les leçons de latin. On s'étonne de voir ce prélat, ayant jadis connu la Cour et son personnel, converser des choses du passé avec l'adolescent qu'il croit être le fils de Louis XVI, et ne pas être détrompé après ces échanges réitérés de souvenirs communs : au contraire, sa foi en la personnalité du prince s'affirme de jour en jour. L'abbé Barret, l'aumônier et, par conséquent le confesseur du pseudo-prince, est aussi l'un de ses plus enthousiastes partisans, et il y a là un fait troublant qui n'a pas échappé aux historiens d'Hervagault ; ceux même qui n'ont jamais admis la possibilité de son origine royale, frappés de cette sorte d'épidémie de crédulité, en arrivent à se demander si cet enfant n'a pas surpris quelque confidence, quelque secret ignoré de tous ; s'il n'a pas été mêlé, en comparse, à l'une ou l'autre des intrigues du Temple ; on n'aperçoit pas, en effet, qui aurait pu faire la leçon au fils du tailleur de Saint-Lô et l'instruire, même sommairement, de certaines particularités de la vie de, Versailles, des Tuileries et de la prison, au point qu'il pût illusionner un prélat grand seigneur, exalté peut-être, mais point sot et nullement naïf. Rien dans la correspondance de Mgr Lafont de Savine ne dénote un dérangement d'esprit : certaines lettres sont même remarquables pour qui songe que leur auteur a touché les bas-fonds de la tourbe révolutionnaire et reçu les confidences des pires démagogues : en mettant les amis d'Hervagault en garde contre les dangers qui le menacent, il fait, en termes prudents, presque terrifiés, allusion à quelque secte internationale, puissance supérieure à toutes les autres, écrit-il, et qui gouverne aujourd'hui l'Europe, puissance à laquelle le Dauphin n'échapperait pas si jamais il paraissait reprendre son essor vers ses premières destinées. Je me doute même que cette terrible puissance, qui a des yeux et des bras partout, n'ait des espions à ses gages qui veillent sur cet enfant et ne le laissent vivre qu'à la condition qu'il sera perdu dans le néant et le mépris[55].

Malgré ces bons avis de discrétion, l'extraordinaire aventure d'Hervagault s'était ébruitée dans toute la région et plus loin encore, puisque la survie de l'enfant mystérieux parvint jusqu'à Madame Royale qui était à Vienne et à Louis XVIII alors à Mittau, lequel déclara à ce sujet que si, contre toute vraisemblance, la chose se trouvait vraie, la personne qui y est le plus intéressée, — c'est-à-dire lui-même, — éprouverait une joie sincère et croirait avoir retrouvé son fils[56]. On pense donc bien que l'ex-conventionnel Batelier, commissaire du gouvernement près le tribunal de Vitry-sur-Marne, n'ignorait rien de ce qui se passait à l'hôtel de M. Jacquier Lemoine et chez les Rambécourt. Il en avisa Fouché, alors ministre de la police, et reçut, en réponse, un ordre d'arrestation. Le 16 septembre 1801, un souper de gala réunissait les initiés autour de leur prince quand, au moment où l'on allait se mettre à table, on vit entrer dans la salle le commissaire de police Drouart, accompagné de Bonjour, le brigadier de la gendarmerie. Grand émoi. On entoure Hervagault qui, seul, fait bonne contenance ; comprenant qu'il va coucher en prison, il commande d'un ton impérieux à son hôte d'aller dans sa chambre lui querir son habit, et l'ébahissement du commissaire égale celui du gendarme de voir ce propriétaire honoré courir à l'ordre de ce polisson, rapporter le vêtement, et aider humblement son hôte à en passer les manches : leur effarement s'augmente quand le prévenu, apercevant le curé Barret : — L'abbé, dit-il, allez me chercher mes besicles qui sont sur ma table de nuit ; et le vénérable prêtre obéissant, tout en larmes, présente les lunettes en s'inclinant jusqu'à terre. Le notaire Adnet arrive à ce moment : il vient d'apprendre ce qui se passe ; il est si ému qu'il s'approche, les bras ouverts, prêt à embrasser le prince ; mais celui-ci, dédaigneusement, lui tend la main sur laquelle l'autre applique un baiser respectueux. Et tous les convives, — ce que la société vitryate compte de plus riche et de mieux posé, — sortent de l'hôtel avec l'inculpé que le gendarme emmène : on le suit jusqu'à la prison, et, derrière, par la ville en rumeur, viennent les domestiques apportant les plats et les vins du souper qui va se poursuivre à la geôle jusque bien avant dans la nuit[57].

Ce prélude donne le ton de cette détention préventive ; tous les jours baisemain, quatre repas plantureux servis dans des vaisselles de prix par les domestiques de la maison Jacquier ; aux heures où la Cour n'est pas réunie, le prisonnier n'est jamais seul : ses fidèles se relaient auprès de sa personne afin qu'il ne s'ennuie pas ; il a un secrétaire qui dépouille son courrier et auquel il dicte sa correspondance, — car e n'écrit guère et ne signe jamais, — Le dimanche, quand, à l'heure de la messe, le polisson se rend à l'église, il est toujours suivi d'un valet porteur d'un coussin et d'un livre d'oraisons... Tout ce qu'apprenant, le préfet du, département conseille d'abandonner les poursuites et d'envoyer tous ces extravagants à l'hôpital des fous. Mais Batelier tient bon ; il sait qu'on l'accuse de commettre un nouveau régicide et peut-être apporte-t-il A l'instruction de l'affaire une animosité personnelle ; il prolonge l'enquête durant cinq mois et, le 17 février 1892 seulement, le tribunal de Vitry condamne 4 quatre ans d'emprisonnement Hervagault qui, durant l'audience, abrite sa dignité dans un mutisme presque absolu. La dame Saignes, accusée de complicité, entend prononcer en sa faveur un verdict d'acquittement.

Les deux parties firent appel : le procureur avec l'espoir d'obtenir la condamnation de madame Saignes ; les partisans d'Hervagault dans la certitude que ce jugement inique, uniquement inspiré des rancunes de Batelier, serait réformé devant un autre tribunal. Jamais, en effet, de mémoire de procédurier, une condamnation pour escroquerie n'avait été prononcée sans qu'une plainte fût au préalable déposée : or, non seulement les escroqués ne se plaignaient pas, mais ils suppliaient qu'on leur permît de continuer leurs largesses. Aucune loi, disaient-ils, par la bouche de Me Hatot et de Me Caffin, avocats de l'accusé, aucune loi n'interdit de traiter avec honneur le fils d'un pauvre tailleur, de lui baiser la main et de le servir à table : nous savons que notre hôte n'est autre que Jean-Marie Hervagault, né à Saint-Lô, de parents modestes : c'est comme tel que nous l'hébergeons, que nous le fêtons, que nous l'entourons de soins et d'hommages, — et telle est la thèse que Me Caffin s'apprêtait à soutenir devant le tribunal d'appel de Reims. Hervagault avait été transféré dans cette ville le 16 mars 1802. Mgr de Savine l'y avait suivi en qualité de grand aumônier, et, jugeant qu'il y avait urgence à ce que le rejeton des rois fît souche d'authentiques Bourbons avant de succomber sous les coups de ses redoutables ennemis, il lui offrait à choisir entre trois sœurs aussi aimables qu'intéressantes, toutes trois originaires du Dauphiné. — ce qui était presque symbolique, — et filles du marquis V. de L... qui lui-même était né des amours de Louis XV avec mademoiselle de Nesle. Hervagault, fidèle au souvenir de la belle-sœur du roi de Portugal, résista quelque peu et ne céda aux sollicitations du prélat que par considération pour l'avenir de la monarchie[58]. Par malheur, Fouché, ministre de la police, fut informé, bien probablement par Batelier, son ancien collègue à la Convention, des incidents qui troublaient la Champagne ; il recommanda Hervagault au commissaire du gouvernement séant à Reims : — Dans le cas où cet individu serait acquitté, écrivait-il, vous prendriez les mesures nécessaires pour qu'il fût, sur-le-champ, amené par devers moi[59], et, dès les premiers jours d'incarcération dans sa nouvelle prison, le prévenu fut, par mesure de haute police, tenu à une sorte de secret ; seuls les magistrats et son avocat obtinrent l'autorisation de pénétrer dans son cachot. Il était prisonnier d'Etat.

D'ailleurs, à cette époque, l'intérêt qu'inspirait l'énigmatique figure de l'aventurier décline de jour en jour : trop de gens ont inconsciemment soufflé le rôle et l'on ne peut plus s'étonner qu'il soit bien su. On doit donc abréger le récit de cette existence peu banale en se bornant à relater ses péripéties les plus marquantes. Le 3 avril 1802, contre l'attente générale, le tribunal confirmait, en ce qui concernait Hervagault, le jugement de Vitry et condamnait la dame Saignes à six mois de prison[60]. La foule qui donnait l'assaut à la salle d'audience acclama l'avocat du Dauphin et accueillit le prononcé de l'arrêt par des marques de dépit et d'indignation. Une quête au profit du condamné fut d'un produit considérable et, riche d'argent et de bijoux, il fut écroué à la maison de détention. Le désespéré Savine, surnommé par les initiés le Blondel français, vivait dans l'angoisse : très renseigné, il savait que Fouché ne laisserait pas le fils de Louis XVI achever paisiblement son temps de prison ; il redoutait la déportation, pis peut-être, et avait organisé une surveillance aux abords de la geôle afin d'être le premier informé de tout préparatif suspect.

N'avait-il point résolu d'enlever son prince bien-aimé aux gendarmes ! Il attend ainsi durant quatre mois, couchant parfais dans un fossé de la route pour être sûr de ne pas manquer le passage de son idole : le 24 août 1802, il apprend qu'Hervagault est parti pour Soissons où il est appelé à déposer comme témoin dans une affaire criminelle[61]. L'ancien évêque se lance à sa poursuite : il arrive à Soissons en même temps qu'Hervagault, court à la prison, sollicite l'autorisation d'y pénétrer ; comme elle lui est refusée, il dépose, entre les mains du concierge, un louis d'or pour le détenu. Son émoi, son insistance éveillent les soupçons. On lui demande son nom, sa profession : — Ancien évêque de Viviers. Il est conduit à la sous-préfecture ; son passeport, qu'il doit exhiber, le désigne sous la qualification d'employé. On arrête l'ex-prélat qui entre ainsi dans la prison dont on vient de lui refuser la porte[62]. Seulement Hervagault n'y fait que passer ; le soir même il est ramené à Reims. Savine demeure incarcéré à Soissons jusqu'au jour où il est expédié à Paris. Interrogé, — il déclare nettement qu'il croit son pupille le fils de Louis XVI, fondant son opinion sur les renseignements qu'il a recueillis depuis qu'il est à la recherche de l'origine de ce jeune homme[63]. Sur quoi il est envoyé à Charenton ; et, pour comble d'infortune, cette escapade a rappelé l'attention de Fouché sur le Dauphin de la Marne. Curieux de voir cet adolescent qui, partout où il passe, suscite des dévouements si ardents, il donne l'ordre d'amener Hervagault à Paris. Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1802, la gendarmerie vient lever l'écrou du prisonnier : il est conduit de brigade en brigade vers la capitale. Il passe à Soissons le 14 ; le 15 à Villers-Cotterêts ; le 18, en arrivant au Bourget, il est remis aux gendarmes de la Seine... Fouché n'est plus ministre ! Depuis trois jours le ministère de la police est supprimé, et Hervagault, dont on ne sait que faire, est conduit à Bicêtre, le grand réceptacle de tous les crimes, de toutes les misères et de toutes les dépravations.

Et c'est pourtant à l'époque où il s'enfonçait dans cette géhenne que Hervagault fut au plus près du triomphe suprême... Il n'est point téméraire de prendre au sérieux une allégation de son premier historiographe, Beauchamp, dont les sources d'information ne sont point méprisables puisque ce personnage, attaché aux bureaux de la police générale depuis le temps du Comité de Sûreté générale jusqu'en 1806, dut satisfaire sa curiosité d'historien en puisant dans les dossiers dont son emploi lui permettait la libre consultation[64]. Or il prétend que Fouché aurait proposé à Bonaparte de tirer parti du faux Dauphin de Vitry en le reconnaissant solennellement comme fils de Louis XVI et en obtenant ensuite de lui, soit par terreur, soit par séduction, la renonciation de ses droits au trône. Mais, ajoute-t-il, Bonaparte rejeta ce moyen d'usurpation indigne de sa haute fortune et, dès lors, Hervagault fut voué à la prison et au malheur[65]. L'infortuné lutta pourtant : réduit à l'impitoyable régime de Bicêtre, se croyant abandonné de tous ses partisans, il essaya de vaincre l'inaptitude qui l'avait jusqu'alors rendu rebelle à l'étude ; il s'appliqua, lut avec fruit ; on assure même qu'il parvint à traduire les auteurs latins et se plaisait à la lecture d'Horace et de Tacite... comme l'avait fait Louis XVI au Temple.

Cependant ses fidèles remuent le monde et dépensent l'argent sans compter. Toute la famille Jacquier a quitté Vitry pour s'installer à Nancy ; on tente de grouper là des prosélytes ; on affirme que le fils de Louis XVI existe ; que ses deux oncles, le comte de Provence et le comte d'Artois, malgré leur répugnance, mais forcés par les Cours étrangères, l'ont solennellement reconnu par un acte authentique. Un manifeste est imprimé qui bientôt va paraître[66] ; c'est pour en prévenir l'effet que les princes ont tenté de faire assassiner Bonaparte par Georges Cadoudal ; mais le Dauphin s'est opposé à ce crime : n'est-ce pas son intérêt de se manifester seulement après que l'Usurpateur aura solidement rétabli la monarchie ? On prépare secrètement des légions, notamment en Normandie, en Picardie, en Franche-Comté, et le nombre des partisans s'accroît journellement. Les Jacquier ont des intelligences dans toutes les administrations, même à la police générale ; ils sont assurés de n'être pas inquiétés ; jamais le gouvernement n'oserait risquer l'éclat d'un jugement[67]...

Il faisait mieux : il attendait du temps et de la griserie de la victoire qu'on oubliât le passé : qui aurait eu l'audace, après Austerlitz, d'opposer un revenant de vingt ans au maître du monde ? Aussi Hervagault végéta-t-il, durant quarante et un mois, dans la misère et le délaissement. Quand il quitta enfin Bicêtre, le 17 février 1806, — à vingt-cinq ans, s'il était véritablement le fils du tailleur de Saint-Lô, — il se trouvait sans un sou en poche, n'ayant pour référence qu'une feuille de route signalant qu'il sortait de l'infamante geôle et l'astreignant à regagner Saint-Lô avec itinéraire obligé.

On a su depuis, que, parti de Bicêtre dans la matinée, le libéré, encore vêtu des loques de sa prison, se dirigea vers le faubourg Saint-Germain, s'informant de la demeure de certaines familles nobles de l'ancienne Cour ; il frappa à plusieurs portes ; mais les valets éconduisirent ce quémandeur déguenillé. Comment loger pour la nuit dans Paris où il ne connaît personne ? Au crépuscule, il regagne le centre de la ville ; un de ses compagnons de Bicêtre, nommé Emmanuel, lui a donné l'adresse de sa femme, qui demeure non loin de Saint-Jacques-la-Boucherie ; Hervagault se dirige vers cette vieille église, dans l'étranglement des rues tortueuses ; il découvre la maison indiquée, s'informe : la dame Emmanuel est absente ; il faudra repasser plus tard[68]. Tout en face du portail de l'église, dans la rue des Ecrivains, se trouve une pâtisserie achalandée, tenue par les époux Boizard[69], et voilà Hervagault, épuisé de fatigue, posté devant la vitrine où sont exposées tartes et brioches. La pâtissière, veillant à son étalage, aperçoit cet être souffreteux et d'aspect minable : prise de pitié, elle lui demande ce qu'il fait là, et comme il répond humblement qu'il attend une voisine, elle l'invite à entrer dans son magasin, le fait passer dans la pièce du fond, l'installe sur une chaise et revient à ses clients.

Rentrant peu après dans l'arrière-boutique afin de surveiller l'inconnu, elle le trouve le front dans les mains et pleurant à gros sanglots sur un petit portrait de Louis XVI peint sur soie qu'il a décroché du mur. La bonne femme s'étonne : aurait-il connu le Roi ! Ses parents ont-ils servi ce malheureux prince ? Hervagault ne peut parler ; les larmes l'étouffent, M. Boizard parait à ce moment, il se renseigne, reproche à sa femme d'avoir été trop confiante, et il interroge le jeune homme qu'elle a inconsidérément accueilli. — A-t-il seulement des papiers ? — Le malheureux tire de sa poche sa feuille de route : comment ! il sort de Bicêtre ! et pour quelle faute a-t-il été emprisonné ? Ses parents vivent-ils encore ? — A ces questions, le vagabond ne répond que par des pleurs. Les Boizard, émus autant qu'intrigués, braves gens, du reste, royalistes gt charitables, supposent que leur visiteur appartient à quelque noble famille émigrée ; n'ayant pas le courage de renvoyer ce garçon à l'air si honnête et si doux, ils offrent de le loger pour la nuit, espérant en apprendre plus long le lendemain : mais ils n'obtiennent aucune confidence ; leur hôte se bornant à répéter qu'il est un enfant du malheur et priant qu'on le conduise hors de Paris et qu'on le laisse là, sans plus s'occuper de lui. Le voyant faible et souffrant, le pâtissier et sa femme n'ont point dé peine à le retenir jusqu'à ce qu'il soit en état de partir : ils lui procurent des vêtements convenables, le conduisent à l'Opéra et aux Variétés, se montrent pleins d'attentions et de prévenances à l'égard de cet abandonné, ne doutant plus, à l'observer de près, qu'il ne soit l'enfant, d'un très grand seigneur. Tourmenté de questions, il finit par déclarer qu'il est le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, suppliant qu'on lui garde le secret : — J'ai peur d'être arrêté, dit-il, j'ai déjà été si malheureux ![70]

Quel émoi pour ces boutiquiers parisiens qui avaient vécu au temps du bon Roi et de la belle Reine ! Ils hébergeaient dans leur chambre le blond Dauphin de Trianon, l'enfant de la tragique légende, le pupille de l'odieux Simon ! Ils en étaient si ébahis et troublés qu'ils redoutaient d'être détrompés, ne se lassant pas d'interroger le prince, de l'entendre raconter ses souvenirs des Tuileries, de Varennes et du Temple. Pas un personnage de l'ancienne Cour qu'il ne connût ; il se rappelait les noms de certains commissaires qui, à la prison, avaient gardé la famille royale, et il s'informait de leur sort. N'y tenant plus, madame Boizard alla confier son bonheur à un ecclésiastique qu'elle révérait, M. le curé de Saint-Germain-des-Prés. — C'est un imposteur ; le Dauphin est mort, dit le prêtre ; puis, après un instant de réflexion : — Il y a pourtant des choses si étranges !... Etant surveillé, et n'osant s'assurer par lui-même de l'identité du personnage, il conclut : — Revenez dans quelques jours, je vous dirai définitivement mon avis. La pâtissière revint, en effet, et le curé, cette fois, fut très affirmatif : — Le Dauphin est mort ; débarrassez-vous de cet homme. Voilà comment, bien muni d'argent, bien pourvu d'effets et de livres par ses hôtes qui lui firent, en outre, présent du portrait de Louis XVI, Hervagault quitta Paris dans les premiers jour de mars 1806, poursuivant sa mystérieuse et fatale odyssée.

Le 11 mars, il se présente au préfet de la Manche[71] qui l'invite à vivre honnêtement de sa profession de tailleur. — Ma profession ! Ma profession ! fait Hervagault en levant les yeux au ciel et en cherchant, écrit le préfet, à se donner des airs de prince déchu ; pourtant il voit bien qu'il lui faut vivre ignoré et promet de n'oublier jamais l'obscurité de sa famille, mais tout cela avec des expressions entortillées et du ton d'un homme qui obéit à l'autorité mais sans faire une renonciation absolue à son rôle[72]. Il n'y renonce pas, en effet, car, l'été venu, il disparaît, retourne à Vitry, et, après une absence de près d'un mois, revient à Saint-Lô. Le père Hervagault ne veut plus entendre parler de cet incorrigible : il conjure le préfet de l'en débarrasser : Incorporer le délinquant dans le bataillon colonial de Belle-Isle en mer, griffonne, en marge du rapport, Fouché redevenu ministre après deux ans de vacance[73]. Voilà le faux Dauphin dans une troupe de recrues, en route pour la Bretagne. Avant d'arriver à Montcontour il réussit à échapper aux gendarmes. On le voit à Auray, se présentant dans les maisons, cette fois sous le nom d'Hervagault[74] ; il est repris, sévèrement surveillé, conduit à Belle-Isle ; mais, tout de suite, sa bonne mine opère de nouveaux miracles : le commandant Adelbert, chef du bataillon, le traite avec distinction, intimement convaincu de sa fabuleuse origine ; d'autres officiers, le général Rolan, le général Quantin eux-mêmes, se montrent extraordinairement indulgents envers ce mauvais sujet, dont une note de cette époque fournit un précieux portrait : d'une ligure intéressante, mais efféminée, il est d'une complexion délicate : il paraît la devoir à sa longue détention et à l'usage du vin et des liqueurs fortes. Son caractère est irascible et emporté ; il a do l'esprit naturel, mais aucune éducation ; il sait à peine lire et écrire. Tout son système consiste à traiter tout ce qui l'environne avec dédain, à recevoir avec une sorte de mépris ce que lui offre la sottise, et à affecter la générosité[75]... Mais pour ceux qui sont pénétrés de l'émouvante légende, quoi d'étonnant à ce que l'élève de Simon n'ait pas plus d'instruction que son Mentor, qu'il aime le vin ; quoi d'étonnant à ce que le petit Dauphin, jadis espiègle et volontaire, soit devenu un homme emporté et irascible ?

Il suffit qu'on puisse supposer seulement que ce pauvre hère dégradé est l'enfant de nos Rois pour qu'on lui pardonne tout ;les griefs les plus autorisés tournent, pour les croyants, en sa faveur : c'est pourquoi on le voit peu à l'exercice et encore moins aux corvées ; il ne paraît pas non plus à la caserne : logé dans une maison particulière, il se promène à cheval, habillé en bourgeois et suivi d'une ordonnance attachée à son service. Il reçoit du continent des lettres, de l'argent, des bijoux, des bonbons, et trouve crédit ouvert dans toutes les boutiques de la petite ville du Palais, où ses dettes se montent bientôt à 2.500 francs[76]. Un jour, chevauchant dans son île, devenue presque son royaume, il rencontre le curé de Sauzon, l'abbé Cavadec ; il le hèle, lui demande s'il ne connaîtrait pas quelqu'un de confiance qu'on puisse emmener à Paris où on serait bien reçu. Et, devant l'air ébahi de l'ecclésiastique : — Ne savez-vous pas qui je suis ? dit-il. Le curé s'empressa de prendre le large, n'ayant pas envie de se compromettre et d'être enfoui pour le reste de ses jours dans les cachots du château de Ham, comme trois ou quatre autres prêtres[77]. Telle était la réputation d'Hervagault qu'il est promu danger d'Etat ; il semble que toute l'administration de l'Empire est liguée contre lui. En novembre 1808, le bataillon colonial s'embarque à Lorient sur la Cybèle ; l'un des officiers du bord est un jeune chirurgien de vingt-deux ans, nommé Rober[78] ; il est appelé à donner des soins au soldat Hervagault en qui il découvre des qualités estimables ; quelques relations s'établissent entre les deux jeunes gens, qui sont à peu près du même âge, si bien que Hervagault, touché dès égaras que Robert lui témoigne, lui confie qu'il souhaite voir la frégate prise par les Anglais — Mon sort serait assuré, murmure-t-il. En dépit de ce vœu peu patriotique, comme la Cybèle est attaquée quelques jours plus tard par une corvette ennemie, Hervagault se distingue et se bat si valeureusement que le capitaine, — un Italien nommé Christiano, — dit hautement : — Ce jeune homme a mérité dix fois pour une la croix de la Légion d'honneur ; mais je ne saurais la demander pour lui sans me compromettre. Comme Robert s'étonne de ce propos, il apprend que, d'après les ordres formels du gouvernement, Hervagault doit être fusillé si le bâtiment est menacé d'être pris par les Anglais[79].

L'officier de santé, très surpris de cette confidence, se l'expliqua quand, dans le courant d'avril 1809[80], le bataillon étant débarqué aux Sables-d'Olonne, Hervagault révéla à Robert son origine royale : — Si je vous avais fait cet aveu plus tôt, ajouta-t-il, vous auriez pu croire que je voulais vous intéresser à mon sort ; aujourd'hui votre protection ne m'est plus nécessaire et vous ne devez par douter que je vous dis la vérité[81]. Lorsqu'on fut à terre, Hervagault offrit à Robert un dîner splendide et visita avec lui quelques châteaux de la côte dont les habitants lui prodiguaient les témoignages du plus profond respect. Puis il s'enfonça dans l'intérieur de la Vendée et le chirurgien retourna à son dépôt. Afin de conserver le souvenir de ces événements extraordinaires, il rédigea un journal où ils étaient consignés avec la plus grande précision[82].

On perd ici la trace d'Hervagault. A l'en croire, il déserte, emprunte de l'argent, vient à Paris, se cache durant quinze jours chez une dame Deservinanges, anciennement attachée à la maison du comte d'Artois, puis chez sa prétendue sœur, la demoiselle Hervagault, rue de la Porte-Montmartre, n° 40. Il va à Strasbourg, passe le Rhin dans l'intention de gagner Vienne ; mais les mouvements de l'armée française le forcent à rétrograder ; il se fixe à Versailles chez une comtesse de Béthune[83] qui meurt durant son séjour ; il se décide à passer en Angleterre ; on l'arrête à Rouen où un document signale son passage : c'est une lettre du préfet de la Seine-Inférieure devant lequel il comparaît. Il est sans argent ; on ne trouve sur lui qu'une montre en or valant quatre ou cinq louis, un chapelet et un petit volume portant pour titre : Histoire de Notre Dame de Liesse. A son cou est attachée par un ruban noir une médaille de cuivre sur laquelle sont gravés, — d'un côté, l'image de la Sainte-Vierge, — et au revers, un Christ avec cette légende : Consummatum est. Tandis qu'on le fouillait, on le vit porter à sa bouche un morceau de papier qu'il déchira entre ses dents ; on s'empara de ces fragments, on les réunit et on lut quatre vers injurieux pour S. M. l'Empereur[84]. Médaille et quatrain sont encore joints, dans le carton des Archives, au rapport du préfet qui fut soumis à Son Excellence. Hervagault, ramené sous bonne escorte à Paris, fut écroué, sans jugement, à Bicêtre, par mesure de haute police[85]. Vaincu, cette fois, il comprit que c'était sans espoir de revanche. Dans cet enfer d'où il ne devait plus sortir vivant, avili par les plus répugnantes promiscuités, rongé de maux infâmes, il sombra dans l'abjection et le désespoir. Le père Hervagault et Nicole Bigot vivaient cependant encore : on ne voit pas qu'ils s'inquiétèrent du sort de leur enfant...

Le jour où il mourut, — c'était le 8 mai 1812, — un prêtre assistait à ses derniers moments : il tenta d'exhorter le moribond et d'exciter sa contrition, lui représentant que son imposture était la cause de ses malheurs. A ce mot d'imposture Hervagault eut un sursaut de vie, protestant, au moment de paraître devant Dieu, qu'il était le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette... L'émotion l'étranglait ; il s'enfonça dans ses couvertures, tourna la tête, et garda jusqu'à la fin un obstiné silence[86]. Son nom figure au registre du Grand Hospice de Bicêtre[87] ; on le retrouve aussi sur le livre des inhumations de la chapelle de l'établissement[88], et encore à l'état civil de la commune de Gentilly, où, à sa date, dans le cahier des décès, on lit ces indications, évidemment transcrites d'après les écrous de la prison : Jean-Marie Hervagault, âgé de trente ans, célibataire, fils de . . . . . et de . . . . ., comme si la plume de l'insouciant rédacteur de cet acte incomplet s'était refusée à violer le secret du mort qu'allait recevoir la fosse des pauvres.

 

 

 



[1] A l'annonce de la mort du Dauphin au Temple, Charette avait repris les armes. L'armée royale d'Anjou avait suivi le mouvement de la Vendée et tout l'ouest de la France était de nouveau en insurrection.

[2] Née Jeanne-Elisabeth de Bongars. Son mari, lieutenant des gardes du corps de Monsieur, frère de Louis XVI, avait émigré en 1794.

[3] Mémoires relatifs aux différentes missions royalistes de madame la vicomtesse Turpin de Crissé, par Alphonse de Beauchamp, dans les Mémoires secrets et inédits pour servir à l'histoire contemporaine, tome II.

[4] Beauchamp, loc. cit.

[5] Beauchamp, idem.

[6] Nous avions eu recours à sa bourse quand il avait fallu préparer la révolution thermidorienne.

[7] Revue historique, loc. cit., p. 74-75.

[8] Entre autres, la Gazette française du 5 floréal an IV. 24 avril 1796 : le Publiciste philanthrope, le Journal des hommes libres. Le fait y est relaté en quelques lignes. Voir aussi Aulard, Réaction thermidorienne, II, 138, où se trouve un rapport de police du 3 floréal.

[9] La séance du 9 floréal-28 avril. Revue historique.

[10] Revue historique, page 79.

[11] Revue historique, page 82.

[12] Revue historique, page 73.

[13] Dépositions de Mathieu Hardoux, officier retraité. Archives du Greffe de Rouen, et de Urbain-Michel Landais, gendarme. V. Louis XVII, par J. de Saint-Léger, p. 294 et 297.

[14] Déposition de René Montauban, dit Simon. Archives du Greffe de Rouen.

[15] Déposition de René Montauban, dit Simon. Archives du Greffe de Rouen.

[16] La plupart des détails de cet épisode ont été rapportés par madame de Turpin, déposant plus tard en justice. Greffe de la Cour de Rouen. Voir Louis XVII, dit Charles de Navarre, par madame J. de Saint-Léger, pages 269-319-320-339, et d'autres versions du même fait, pages 280-281-282.

[17] Un faux Dauphin dans le département de la Marne. Jean-Marie Hervagaulth, d'après des documents inédits — 1781-1812 — par Gustave Laurent, Châlons-sur-Marne, 1899.

[18] Rapport du citoyen Chaix, commissaire du gouvernement près le tribunal de Reims, cité par G. Laurent.

[19] Comme on le pense bien, ce nom de Bigot qui figure à l'acte de décès de l'enfant du Temple et qu'on retrouve dans la famille du premier des Faux-Dauphins, a suscité nombre d'hypothèses. La plus généralement répandue est que le père Hervagault avait cédé, pour une bonne somme d'argent, à des conspirateurs royalistes ou autres, ce fils qu'il n'aimait pas, et pour cause ; le petit Hervagault aurait remplacé le Dauphin au Temple, et le jeune prince serait venu prendre au foyer des Hervagault la place de son substitué ; mais Nicole Bigot, n'ayant pas consenti à livrer son fils sans que quelqu'un de ses proches veillât sur lui, aurait demandé à l'un de ses parents, habitant Paris, — Rémy Bigot, — de ne point perdre de vue son enfant : ainsi s'expliquerait l'ingérence injustifiée de ce Rémy Bigot, qui paraît pour la première fois au Temple en janvier 1794 ; il aurait amené alors à la prison son neveu qui vient y remplacer le Dauphin ; on retrouve Rémy Bigot au moment du décès et il se déclare ami du défunt ; c'est qu'il est mis là afin de pouvoir attester plus tard que l'enfant qui vient de mourir est le petit Hervagault inhumé sous le nom du fils Capet... Ces suppositions sont ingénieuses ; mais un examen approfondi oblige à les repousser ; Nicole Bigot, fille de André Bigot, petite-fille de Claude-François Bigot, toua paysans de Colombier, Haute-Saône, ne paraît avoir aucun lien de parenté avec Rémy Bigot, fils de Pierre-Florent Bigot, petit-fils de René Bigot, Parisiens de père en fils. Elle n'était, à coup sûr, ni sa sœur, ni sa nièce, ni même sa petite-nièce, ni sa cousine issue de germains. fout ce qui semble établir un très vague et très lointain rapport entre ces deux familles Bigot, ce sont les prénoms de Pierre-Florent sous lesquels est désigné le père de Rémy, et qui sont assez semblables à ceux d'un oncle do Nicole, appelé Pierre-Laurent ; encore pour trouver là l'indication de quelque parrainage, faudrait-il admettre une erreur de rédaction, assez fréquente, il est vrai, au XVIIIe siècle, dans le libellé des actes. On voit aussi que le mariage de René Hervagault avec Nicole Bigot, qui ne sont, l'un ni l'autre, habitants de Paris, a lieu à Saint-Germain-l'Auxerrois ; et c'est également dans cette paroisse que s'est marié, trois ans auparavant, Rémy Bigot. Mais ces coïncidences, de pur hasard, peut-être, ne sont pas les indices d'une parenté.

[20] Elle naquit à Colombier, près Vesoul, le 28 août 1757.

[21] Le duc de Valentinois, châtelain de Torigny, était, comme on ne l'ignore pas, prince de Monaco.

[22] L'arrestation est du 26 ventôse an V-16 mars 1797.

[23] Hérelle, Louis XVII en Champagne, 1878.

[24] Histoire des deux faux Dauphins, par Alphonse de Beauchamp, 1818, p. 60.

[25] On suit ici Hérelle, Alphonse de Beauchamp et Gustave Laurent dont les récits diffèrent peu, ayant été écrits d'après les pièces de la procédure.

[26] Journaux de la Champagne ou de Paris ? On n'a pas trouvé trace de cette insertion que G. Laurent place à la date de juin 1798.

[27] Dépêches des 24, 25 et 29 fructidor et du 2e jour complémentaire de l'an VI. Dossiers de Vitry. Citées par G. Laurent.

[28] Pierrette-Julie, femme divorcée de Pierre-Joseph Saignes, perruquier. Madame Saignes, âgée en 1798 de quarante-huit ans, était établie à Châlons marchande de meubles et d'étoffes.

[29] Lettre du 27 vendémiaire an VII, citée par G. Laurent.

[30] 21 brumaire an VII. Journal de la Manche du 19 septembre 1906 : Un aventurier saint-lois, par Léon Gosset, d'après les pièces du procès et les récits locaux.

[31] Les réclamations du tailleur Hervagault, écrivait le ministre, n'offrent point une garantie suffisante pour considérer le détenu comme fils de celui-ci. Il est nécessaire que ce prétendu père justifie dans la meilleure forme, tant par pièces que par témoins, que l'individu qu'il réclame est son fils. Dossier de Vitry, cité par G. Laurent.

[32] Journal de la Manche, loc. cit. Etude de M. Léon Gosset.

[33] G. Laurent, p. 30.

[34] G. Laurent, p. 36.

[35] Le 23 thermidor an VII-11 août 1799.

[36] Voici le texte de ce signalement. tel qu'il est reproduit dans Les Intrigues dévoilées de Gruau de la Barre, tome I, p. 536. Tout invite à ne l'accepter que sous réserve : Signalement de Louis-Charles de France (?) fait en la prison de Vire, le 10 septembre 1800 : âge, environ 15 ans ; taille 5 pieds environ, cheveux châtain clair, sourcils grands, bien faits, bien frappés et plus foncés que les cheveux ; les yeux saillants, vifs et très beaux ; le nez bien fait, front moyen, bouche moyenne ; menton petit et fourchu ; une lentille au coin de l'oreille droite... une cicatrice sous le sourcil droit, occasionnée par l'opération qui fut faite à M. Louis dans la prison de Châlons (?) ; une autre petite cicatrice entre le nez et la lèvre supérieure ; sur le milieu de la jambe droite, au défaut du mollet, du côté droit, une empreinte en forme d'écusson, portant au milieu trois fleur de lys, en haut la couronne royale et autour les lettres initiales des noms de baptême de M. Louis, de son papa, de sa maman, de sa tante Elisabeth. Au surplus le visage légèrement marqué de petite vérole. Au bas de l'expédition se trouvent ces mots : Pour madame de Tourzel.

[37] Alphonse de Beauchamp, 67.

[38] Voir une plainte du Conseil général de la Commune de Vitry contre Batelier. Moniteur. Réimpression, XXV, 370. Il semble que certaines étrangetés de l'affaire Hervagault ont pour origine des haines de clocher et qu'une étude serrée de l'antagonisme entre la société royaliste de Vitry et l'ancien Conventionnel, expliquerait peut-être l'ardeur apportée à défendre le pseudo-dauphin et à l'attaquer. Il est à remarquer que, sous l'Empire, Batelier resta en fonction. Il figure à l'Almanach de l'an XIII comme procureur impérial prés le tribunal de Vitry.

[39] Gazette des Tribunaux, septembre 1847. Voir le signalement, p. 352, note.

[40] G. Laurent, 47.

[41] Ce récit est reproduit par Beauchamp. Histoire des deux faux Dauphin, pp. 75 et suiv.

[42] Voir, au début du troisième volume du Cimetière de la Madeleine un avertissement où l'auteur raconte ses démêlés avec la police consulaire.

[43] Voir Tourneux, Bibliographie... III, n° 12137.

[44] Simon Brugal, Le schisme constitutionnel dans l'Ardèche. Lafont de Savine.

[45] Biographie moderne ou Galerie historique civile, militaire... 1816.

[46] Moniteur. Introduction. Réimpression, tome XXXII, p. 613.

[47] Tribunal révolutionnaire. Audience du 21 vendémiaire an III-12 octobre 1794. Charles Lafont-Savine... nommé administrateur du département, évêque depuis 1778, a été le premier fondateur des sociétés patriotiques ; a fait de son mieux pour propager l'esprit républicain ; n'a quitté son évêché qu'en vertu du décret de la Convention nationale et quand il en a été requis. Archives nationales, W. 466, n° 235. Wallon, Journal du Tribunal révolutionnaire, VI, 208.

[48] Les appointements du bibliothécaire étaient fort irréguliers : de ventôse à prairial an III, Savine reçoit 150 livres par mois, en messidor et thermidor 300 livres, en fructidor 833 livres. En germinal an IV il touche 1.500 livres pour la première quinzaine et, pour la seconde, 84 livres 13 sous, le chiffre s'enfle ou diminue suivant que le paiement s'effectuait en espèces ou en assignats. Les émoluments de Savine, à dater de prairial an IV, se régularisent à 88 livres 6 sous 8 deniers. Renseignements fournis par M. Henri Martin, conservateur de la Bibliothèque de l'Arsenal.

[49] Abbé Sicard, L'ancien clergé de France, I, 222.

[50] Archives nationales, F7 6312. Interrogatoire de Lafont-Savine.

[51] Abbé Sicard, loc. cit. Savine ne figure plus sur les états de la bibliothèque de l'Arsenal depuis la fin de nivôse an V.

[52] Abbé Sicard, loc. cit.

[53] De prairial an IX à ventôse an X Savine, qui habite première cour de l'Arsenal, est employé au triage des livres des dépôts littéraires des Cordeliers et de Louis-la-Culture Renseignement communiqué par M. Henri Martin, conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal.

[54] Alphonse de Beauchamp.

[55] Archives nationales, F7 6523, cité par J. de Saint-Léger, Louis XVII dit Charles de Navarre.

[56] Voir un article de M. Ernest Daudet dans le Figaro du 9 août 1904. Il ressort de cette correspondance entre Madame Royale et son oncle que des religieuses avaient, dès 1798, informé le P. de Lestrange, abbé de la Trappe, qu'un prétendu Dauphin courait le monde. L'abbé avait transmis ce renseignement à la princesse qui en avait écrit à Louis XVIII, en ne lui cachant pas qu'elle regardait nette histoire comme une chimère, qui, ajoutait-elle, d'après tout ce que je sais là-dessus n'a aucune vraisemblance.

[57] Lettre de Batelier, du 7 vendémiaire, citée par G. Laurent, p. 63, note.

[58] Beauchamp, 179, 180. Beauchamp qui, à quinze ans de distance, a écrit deux récits des aventures d'Hervagault, donne comme date à la demande formelle de la main d'une des trois petites-filles de Louis XV, le 25 août 1802. Pour de la Saint-Louis.

[59] Lettre du 24 ventôse an X, 15 mars 1802.

[60] G. Laurent a publié intégralement le réquisitoire du commissaire du gouvernement Chaix près le tribunal de la Marne. Révolution française, XXXVIII, p. 101-129.

[61] Archives nationales, F7 6312.

[62] Archives nationales, F7 6312.

[63] Histoire des deux faux Dauphins...

[64] Il est facile de constater que Beauchamp a eu communication, non seulement des dossiers de Vitry et de Reims, mais aussi des pièces composant aujourd'hui le dossier Hervagault aux Archives nationales.

[65] Histoire des deux faux Dauphins, par Alphonse de Beauchamp. Paris 1818. Cet ouvrage était, on l'a dit déjà, la seconde étude consacrée par Beauchamp à Hervagault ; la première avait paru en 1803 sous le titre : Le faux Dauphin en France ou histoire d'un imposteur se disant le dernier fils de Louis XVI, rédigée sur des pièces authentiques et notamment sur le jugement du Tribunal criminel du département de la Marne. Il n'est pas inutile de remarquer que, en reprenant ce sujet scabreux à l'époque de la Restauration, Beauchamp, qui se piquait de royalisme, laisse néanmoins percer une certaine complaisance pour son héros : il ne veut pas douter que ce ne fût un imposteur ; mais il accumule les traits de nature à faire croire tout le contraire : il est vrai que, en 1818, Hervagault étant mort ne gênait plus le roi régnant : il s'agissait à cette époque de ruiner le crédit d'un autre faux Dauphin et on ne pouvait mieux y réussir qu'en rendant intéressant le premier au détriment de son imitateur.

[66] Serait-ce le manifeste de Charles X roi de France, dont il est question dans le bulletin de Fouché du 11 janvier 1805 ? Voir La Police secrète du Premier Empire : bulletins quotidiens adressés par Fouché à l'Empereur, publiés par Ernest d'Hauterive, d'après les documents originaux inédits. Tome I, 18 décembre 1805, n° 766. Le manifeste, signalé à Toulouse en 1805, parut en 1806. Bibl. nat., La 35, 14.

[67] Archives nationales, AFIV 1492. Bulletins de Fouché. Voir d'Hauterive, I, n° 927, 18 février 1805. En fait, malgré qu'elle rôt signalée par les autorités locales comme étant l'âme d'un vaste complot — ou plutôt d'une gigantesque escroquerie, — madame Jacquier ne fut pas inquiétée. On se contenta de la surveiller discrètement. V. encore, même ouvrage, I, n° 942.

[68] On trouve, à une époque un peu postérieure, mention d'un certain Emmanuel, israélite, marchand colporteur, marié à une femme Sophie Moyse. Cet Emmanuel fut tué le 28 juillet 1830 lors des combats des rues. Peut-être est-ce là le fils du compagnon de prison d'Hervagault.

[69] Cet épisode que rapporte Beauchamp, d'après des rapports qu'on n'a pas retrouvés, est de ceux qu'il est fort difficile de contrôler. Cependant, quoique les annuaires du temps ne mentionnent aucun pâtissier portant le nom de Boizard, on rencontre un certain Paul-Jean Boizard, dont la profession n'est pas indiquée, né à Paris le 6 novembre 1754, marié le 7 novembre 1787 à Saint-Jacques-la-Boucherie avec Jeanne-Marie Bachard. Simple présomption de la véridicité du récit de Beauchamp.

[70] Beauchamp, 234 et suiv.

[71] Archives nationales, F7 6312.

[72] Lettre du préfet de la Manche au ministre. Archives nationales, F7 6312. Il est assez intéressant de constater que, à l'époque où Hervagault prend la route de Normandie, une surveillance est exercée sur la marquise de Tourzel et sur sa famille, de séjour au château d'Abondant, Eure-et-Loir. Archives nationales, AFIV 1497, d'Hauterive, II, n° 473.

[73] Archives nationales, F7 6312.

[74] Archives nationales, AFIV 1498, d'Hauterive, II, n° 1578.

[75] Archives nationales, F7 6312.

[76] Archives nationales, AFIV 1502.

[77] Archives nationales, AFIV 1502.

[78] Joachim-Marie Robert, né à Vannes, le 18 Janvier 1786, embarqué en qualité d'officier de santé de troisième classe sur la frégate la Cybèle, du 4 novembre 1808 au 27 mars 1809. Archives du ministère de la Guerre.

[79] Archives nationales, F7 6979, pièce 115.

[80] La Cybèle fut désarmée le 27 mars. Archives du ministère de la Guerre.

[81] Archives nationales, F7 6979, pièce 115

[82] Archives nationales, F7 6979, pièce 115. Il faut remarquer avec quelle réserve, lorsqu'il écrivit, à l'époque de la Restauration son histoire des Deux faux Dauphins, Beauchamp résume ce document dont il est évident qu'il eut connaissance.

[83] Ou Béclune, nom peu lisible.

[84] Ennemi des Bourbons dont je reçus l'homone (sic). — Vil flatteur de Barras, j'épousai sa... — Je proscrivis Moreau, j'assassinai d'Anguin (sic). — Et pour comble d'horreur, je monte sur le thrône. Archives nationales, F7 6312.

[85] Le 7 juin 1809.

[86] Beauchamp.

[87] Archives de la Préfecture de police.

[88] A été inhumé par moi, prêtre soussigné, Jean-Marie Hervagault. Langolin, aumônier.