LA CHOUANNERIE NORMANDE AU TEMPS DE L'EMPIRE

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE II. — GEORGES CADOUDAL.

 

 

Georges était entré à Paris, le 1er septembre 1803, dans un cabriolet à caisse jaune, que conduisait, vêtu en cocher, le marquis d'Hozier, ancien page du roi, établi, depuis quelques mois, loueur de voitures rue Vieille-du-Temple[1]. D'Hozier mena Georges à l'hôtel de Bordeaux tenu, rue de Grenelle-Saint-Honoré, par la veuve Dathy[2].

La mission de préparer dans Paris des abris pour les conjurés avait été confiée à cet nouvel, dit Saint-Vincent, que nous avons vu déjà chez le vigneron de Saint-Leu. Nouvel s'appelait de son véritable nom Raoul Gaillard[3] : type parfait du chouan incorrigible, c'était un beau garçon de trente ans, aux dents blanches, au teint frais, grand rieur, vêtu à la mode. Il était très lié avec d'Aché et l'on prétendait qu'ils avaient à Rouen la même maîtresse[4]. La spécialité de Raoul Gaillard et de son frère Armand était l'attaque des diligences chargées des fonds de l'État : l'argent enlevé, versé dans la caisse royale, servait à payer les enrôlés. Depuis près de six mois Raoul Gaillard était à Paris, recherchant les logeurs discrets, assisté dans cette délicate besogne par Bouvet de Lozier, autre intime de d'Aché, avec qui il avait servi dans la marine avant la Révolution[5].

Georges descendit chez Raoul Gainant qui logeait à l'hôtel de Bordeaux ; mais il en partit le soir et alla coucher à la Cloche d'Or, chez Denand, à l'angle de la rue du Bac et de la rue de Varenne, où vint le rejoindre son fidèle domestique, Louis Picot, entré à Paris le même jour. La Cloche d'Or était, en quelque sorte, le centre des conjurés : ils remplissaient la maison et Denand leur était tout acquis C'était lin homme dévoué et peu timide. Il avait placé dans la remise du sénateur François de Neufchâteau, dont l'hôtel était tout voisin, le cabriolet, forme de Bruxelles, garni de drap blanc qui servait à Georges pour ses courses[6].

Six semaines auparavant, Bouvet de Lozier avait loué, par l'intermédiaire de Mme Costard de Saint-Léger, sa maîtresse, une jolie maison, isolée au bas de la colline de Chaillot, près de la Seine[7], et y avait installé comme concierges, un sieur Daniel et sa femme[8] dont il connaissait de longue date le dévouement à sa famille. On accédait au pavillon d'habitation par un double perron de quatorze marches : une première salle à quatre fenêtres était pavée de carreaux de marbre blanc et noir ; table de noyer pour huit couverts, chaises cannées de paille de couleur, dessus de portes représentant des jeux d'enfants, rideaux de mousseline des Indes à mille raies ; tel était le décor de cette pièce qui servait de salle à manger. Le salon suivant s'éclairait également de quatre fenêtres et contenait une ottomane et six fauteuils recouverts de velours d'Utrecht bleu et blanc, deux bergères en soie brochée, deux tables d'acajou à dessus de marbre. Puis venait la chambre à coucher avec son lit à colonnes, ses consoles, ses glaces. Au premier étage se trouvait un appartement de trois pièces et, clans un bâtiment voisin, était une grande salle qui pouvait servir de lieu d'assemblée ; le tout entouré d'un grand jardin, fermé, du côté de la berge, par une forte grille à deux vantaux[9].

Si nous nous attardons à cet inventaire, c'est qu'il a, semble-t-il, une sorte d'éloquence. Qui pourrait imaginer, en effet, que ce pavillon, si élégamment disposé, eût été loué par Georges pour s'y loger, lui et ses amis ? Ces hommes, dont on ne peut s'empêcher d'admirer le désintéressement et la ténacité, qui depuis dix ans luttaient pour la cause royale avec une héroïque endurance, supportant les plus rudes privations, affrontant les tempêtes, couchant sur la paille, marchant la nuit ; ces hommes, dont les corps s'étaient durcis à force de fatigues, gardaient des âmes d'une candeur véritablement touchante ; ils croyaient encore que le prince pour lequel ils combattaient viendrait un jour partager leurs dangers La chose avait été si souvent annoncée et si souvent ajournée qu'un peu de méfiance eût pu leur être permis ; mais ils avaient la foi et elle leur inspirait cette chose qui leur semblait toute simple et qui était sublime : tandis qu'ils se logeaient dans des bouges, qu'ils vivaient d'une paye, modique comme une aumône, parcimonieusement prélevée sur la caisse du parti, ils ménageaient une retraite confortable et soyeuse où leur prince — qui ne devait jamais venir — pût attendre douillettement qu'ils eussent, au prix de leur vie, assuré le succès de sa cause. Si l'histoire même de nos sanglantes discordes conserve toujours des allures d'épopée, c'est qu'elle abonde en exemples de ces abnégations aveugles, si lointaines, si introuvables aujourd'hui qu'elles nous paraissent d'une invraisemblable extravagance.

Après six jours passés à la Cloche d'Or, Georges vint prendre possession du pavillon de Chaillot, mais il y séjourna peu[10], car on le trouve, vers le 25 septembre, rue Carême-Prenant, 21, dans le faubourg du Temple ; d'Hozier avait loué là un logement à l'entresol et y avait fait pratiquer une cache par un entrepreneur, nommé Spain, doué d'aptitudes singulières pour ce genre d'architecture. Spain, sous prétexte de réparations indispensables, s'était enfermé avec ses outils dans l'appartement, et avait machiné dans le parquet une trappe habilement dissimulée, au moyen de laquelle, en cas d'alerte, les locataires pouvaient se glisser jusqu'au rez-de-chaussée et sortir par une boutique inoccupée dont la porte ouvrait sous le porche de la maison[11]. Spain apportait à la pratique de son étrange spécialité une sorte d'amour-propre : il se montrait fier d'avoir réussi à établir, dans le logement d'un de ses amis, le tailleur Michelot, rue de Bussy, une cache dont Michelot lui-même, obligé par sa profession à de longues absences, ne soupçonnait pas l'existence et où séjournèrent successivement quatre des conjurés[12]. Quand le tailleur était en courses, ses pensionnaires se dégourdissaient dans l'appartement ; dès qu'ils l'entendaient monter l'escalier, ils rentraient dans leur repaire, et le brave Michelot, qui devinait vaguement qu'un mystère planait sur sa maison, ne connut le mot de l'énigme que lorsqu'il comparut devant la justice comme complice de la conspiration royaliste dont il n'avait jamais entendu parler.

C'est de la rue Carême-Prenant[13] que Georges partit pour le premier de ses voyages à Biville. Nous avons indiqué les dates de ces pérégrinations dont le détail n'entre pas dans notre sujet. Le 23 janvier il rentrait définitivement à Paris, amenant Pichegru, Jules de Polignac et le marquis de Rivière qu'il était allé recevoir à la ferme de la Poterie. Il logea Pichegru chez un employé à la liquidation générale de la dette publique, nommé Verdet[14], qui avait cédé aux conjurés le second étage de sa maison de la rue du Puits-de-l'Hermite : ils restèrent là quatre jours ; le 27, Georges conduisit le général à la maison de Chaillot où ils ne couchèrent que quelques[15] nuits. À l'heure où ils s'y installaient. Querelle signait entre les mains de Réal ses premières révélations.

Nous n'avons pas à suivre les allées et venues de Pichegru, ni à conter ses entrevues avec Moreau : l'organisation seule du complot nous intéresse, en raison de la part qu'y avait prise d'Aché. Personne, d'ailleurs, n'a jamais démêlé le résultat politique qu'aurait pu amener la rencontre de l'ambition aigrie de Moreau[16], de l'insouciance de Pichegru et de l'ardeur fanatique de Georges. Dans cette collaboration bâtarde, ce dernier seul était décidé à l'action, encore qu'il se trouvât paralysé par l'obstination des princes à ne vouloir passer le détroit que quand le trône serait rétabli. Il disait vrai, lorsque pins tard, devant les juges, il affirmait n'être venu en France que pour tenter une restauration dont les moyens ne furent jamais réunis ; car on ne s'entendit même pas sur la façon dont on agirait à l'égard de Bonaparte. Une idée assez étrange avait d'abord été émise : le comte d'Artois, à la tête d'une bande de royalistes égale en nombre à l'escorte du Consul, devait l'attendre sur la route de la Malmaison et le provoquer à un combat singulier, mais la présence du prince était indispensable à cette réédition du combat des Trente et, comme il ne parut point, il fallut renoncer à ce projet d'un chevaleresque un peu suranné. On s'arrêta ensuite à l'idée d'un enlèvement ; des hommes résolus — les compagnons de Georges l'étaient tous — se chargeaient de pénétrer, la nuit, dans le parc de la Malmaison, enlevaient Bonaparte et le jetaient dans une berline qu'une trentaine de chouans, costumés en dragons, auraient escortée à fond de train jusqu'à la mer. Ce théâtral coup de force reçut même un commencement d'exécution : on en trouve l'écho dans les Mémoires publiés sous le nom du valet de chambre Constant[17], et certains détails de l'enquête confirment ces assertions : ainsi, Raoul Gaillard, qui continuait à loger à l'hôtel de Bordeaux et y traitait ses amis[18], entre autres Denis Lamotte, le vigneron de Saint-Leu, et Massignon, le fermier de Saint-Lubin, auxquels il offrait des déjeuners fort gais, avait découvert que Massignon cultivait à bail quelques terres appartenant à Macheret, le cocher du Premier Consul, et il s'était mis en tête d'entrer, à tout hasard, en relation avec ce personnage[19] ; il eut même l'audace de se présenter au château de Saint-Cloud dans l'espoir de le rencontrer. D'autre part, Genty, tailleur aux galeries de bois du Palais-Royal, avait livré quatre uniformes de chasseurs, commandés par Raoul Gaillard[20], et Debausseaux, tailleur à Aumale, avait, à l'époque de l'un des passages, pris mesure, à quelques-uns des hôtes qu'hébergeait Monnier, de capotes et de culottes de drap vert, auxquelles il ne manquait que des boutons de métal pour qu'elles fussent transformées en costumes de dragons[21].

Les dénonciations de Querelle coupèrent court à ces préparatifs : il ne restait qu'à se terrer. Bon nombre des conjurés y réussirent, mais tous n'eurent pas cette adresse. Le premier dont se saisirent les agents de Réal fut Louis Picot, le domestique de Georges[22]. C'était un homme rude et grossier, mais fanatiquement dévoué à son maître sous les ordres duquel il avait servi en Vendée. On le traîna à la préfecture, on lui promit la liberté immédiate en échange d'un mol qui pût mettre la police sur la piste de Georges ; on lui proposa une somme de 1.500 louis d'or qu'on prit soin de compter devant lui ; comme il repoussait ces offres, Réal le fit mettre à la torture. Bertrand, le concierge du dépôt, se chargea de la besogne ; on écrasa les doigts du malheureux Picot au moyen d'un chien de fusil et d'un tournevis ; on lui mit les pieds au feu en présence des officiers de garde[23]. Il n'avoua rien. Il a tout supporté avec une résignation criminelle, écrivait à Réal le magistrat enquêteur Thuriot[24] ; c'est une âme endurcie dans le crime et fanatisée. Je l'ai laissé aujourd'hui à ses souffrances et à sa solitude ; je ferai recommencer demain ; il a le secret de la cachette de Georges, il faut qu'il le livre.

Le lendemain, nouvelles tortures et, cette fois, la douleur arracha à Picot l'adresse de la maison de Chaillot : on y courut ; elle était vide : la journée, pourtant, avait été bonne, car la police, avertie par une dénonciation anonyme, avait mis la main sur Bouvet de Lozier au moment où il entrait chez sa maîtresse, Mme de Saint-Léger, rue Saint-Sauveur. Il fut interrogé et nia tout ; écroué au Temple, il se pendit pendant la nuit, à l'aide de sa cravate nouée en corde aux barreaux de son cachot ; un geôlier, l'entendant râler, poussa la porte et le décrocha ; mais Bouvet, plus qu'aux trois quarts mort, fut pris, dès qu'on l'eut ranimé, d'un tremblement convulsif et, en proie au délire, il parla... Ce suicide, pour tout dire, trouva des incrédules et bien des gens, informés des scènes dont le Temple et la préfecture étaient le théâtre, pensèrent qu'on avait un peu aidé Bouvet à s'étrangler, de même qu'on avait mis au feu les pieds de Picot. Ce qui rendait ces soupçons assez vraisemblables, c'est d'abord que les mains du pendu étaient horriblement enflées[25] quand il parut le lendemain devant Réal ; c'est ensuite la forme étrange donnée à la déclaration qu'il était censé avoir dictée, à minuit, au moment même où on le rappelait à la vie : Un homme qui sort des portes du tombeau, encore couvert des ombres de la mort, demande vengeance de ceux qui, par leur perfidie... On s'accordait à penser que ce n'était point là le style d'un pendu, râlant encore, et que les agents de Réal devaient avoir, tout au moins, prêté leur éloquence à ce moribond.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement en savait assez maintenant pour ordonner les pires mesures de rigueur contre les derniers royalistes. Bouvet n'avait pu indiquer, comme Picot, que le pavillon du quai de Chaillot et le logement de la rue Carême-Prenant, et l'on ignorait toujours la retraite de Georges. Les révélations, arrachées par la peur ou la torture à ses affiliés, grandissaient encore la figure de cet homme extraordinaire en montrant la puissance de l'ascendant qu'il exerçait sur ses compagnons et le mystère dont s'entouraient tous ses actes. Une légende se créait autour de son nom et les communiqués publiés par le Moniteur ne contribuaient pas peu à faire de lui une sorte de personnage fantastique qu'on s'attendait à voir surgir tout à coup, pour terminer la révolution par quelque grandiose coup de théâtre.

Paris vécut dans la fièvre les premiers jours de mars 1804, suivant avec anxiété le duel à mort engagé entre le Premier Consul et cet homme-fantôme traqué dans la ville, qu'on croyait rencontrer partout[26] et qui demeurait insaisissable. Les barrières étaient fermées[27] comme aux jours les-plus tragiques de la Terreur ; des patrouilles de policiers et de gendarmes gardaient toutes les rues ; les troupes de la garnison étaient réparties, armes chargées, le long des boulevards extérieurs ; des affiches blanches annonçaient que les recéleurs des brigands seraient assimilés aux brigands eux-mêmes ; c'était la mort pour qui donnerait asile à l'un deux, ne fût-ce que pendant vingt-quatre heures, sans le dénoncer à la police ; le signalement de Georges et de ses complices[28] était inséré dans tous les journaux, distribué en brochures et placardé sur tous les murs ; on y indiquait leurs derniers domiciles et tous les renseignements qui pouvaient les faire reconnaitre ; les commis des barrières avaient ordre de fouiller les tonneaux, les charrettes des blanchisseurs, les paniers et, comme les cimetières étaient situés hors de l'enceinte, de visiter avec le plus grand soin les voitures de deuil qui y transportaient les morts[29].

 

Georges, en quittant Chaillot, était retourné chez Verdet, rue du Puits-de-l'Hermite. Comme il ne sortait pus et que ses amis n'osaient venir le voir, Mme Verdet s'était instituée le commissionnaire de la conjuration.

Un soir elle ne revint pas. Chargée de porter une lettre à Bouvet de Lozier, elle était arrivée rue Saint-Sauveur au moment où l'on emmenait Bouvet au Temple et elle avait été arrêtée avec lui. Ainsi le cercle autour de Georges se rétrécissait ; il lui fallait quitter au plus vite la rue du Puits-de-l'Hermite, car la torture pouvait arracher à Mme Verdet le secret de son asile. Mais où aller ? Le pavillon de Chaillot, l'hôtel de la Cloche d'Or, la maison de la rue Carême-Prenant étaient maintenant connus de la police. Charles d'Hozier consulté, indiqua une retraite qu'il se réservait pour lui-même et que lui avait ménagée Mlle Hisay[30], pauvre fille contrefaite et maladive qui servait les conjurés avec un zèle infatigable, prenant toutes sortes de déguisements, parvenant à lutter d'adresse et d'activité avec les agents de Réal. Elle avait loué chez la femme Lemoine fruitière, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, une boutique et une chambre haute, en se réservant d'y placer des personnes de sa connaissance[31].

C'est là qu'elle conduisit Georges dans la nuit du 17 février. Le lendemain, deux de ses officiers, Burban et Joyaut, vinrent l'y rejoindre ; tous trois vécurent chez la femme Lemoine penaud vingt jours ; ils habitaient la chambre haute, laissant inoccupée la boutique du rez-de-chaussée, où se tenaient en surveillance Mlle Hisay et la petite Lemoine, âgée de quinze ans. Le soir venu, toutes deux montaient à la chambre des proscrits et y passaient la nuit, séparées par un rideau des lits où dormaient Georges et ses complices. D'ailleurs la fruitière et sa fille ignoraient absolument la qualité de leurs hôtes, Mlle Hisay les ayant présentés comme étant trois commerçants inquiétés par leurs créanciers et que le malheur des temps obligeaient à se cacher.

Cet incognito occasionnait des incidents assez piquants : certain jour, la femme Lemoine, revenant du marché où les commères du quartier avaient disserté sur la conspiration dont tout Paris s'entretenait, dit à ses locataires :

— Oh ! mon Dieu ! vous ne savez pas ? On assure que ce malheureux Georges veut nous faire tous périr : si je savais où il est, je le ferais prendre[32].

Une autre fois, la jeune fille apporta la nouvelle que Georges avait quitté Paris, déguisé en aide de camp du Premier Consul. Quelques jours plus tard, comme Georges lui demandait ce qu'on disait de nouveau elle répondit :

— On annonce que ce coquin s'est évadé dans un cercueil.

— Je voudrais bien être sorti de même, insinua Burban.

Cependant la police avait perdu les traces du conspirateur ; on estimait généralement qu'il était parvenu à franchir les barrières, quand, le S mars, l'officier de paix Petit qui, de longue date, connaissait Léridant, l'un des conjurés, l'aperçut, causant avec une femme, sur le boulevard Saint-Antoine. Il le suivit et le vit aborder, quelques pas plus loin, un individu dont les traits le frappèrent par leur similitude avec ceux de Joyaut, le signalement de celui-ci étant affiché sur tous les murs.

C'était Joyaut, en effet, sorti de chez la femme Lemoine dans le but de procurer à Georges un logement où il se trouvât moins à la merci d'un hasard que dans la mansarde de la fruitière. Léridant lui indiqua la maison du sieur Caron, parfumeur, rue du Four-Saint-Germain, comme la retraite la plus sûre de Paris. Depuis plusieurs années, Caron, royaliste militant, hébergeait, à la barbe de la police, les chouans dans l'embarras : il avait caché pendant plusieurs semaines Hyde de Neuville ; son appartement était machiné à souhait ; ainsi il avait, pour les cas extrêmes, pratiqué dans son enseigne surplombant la rue, une cachette où un homme pouvait se tenir à l'aise en cas de perquisition dans l'intérieur de la maison. Léridant s'était assuré du consentement de Caron et il fut convenu que le lendemain, à la tombée de la nuit, Georges quitterait la montagne Sainte-Geneviève pour gagner la rue du Four. Léridant devait venir le prendre, à sept heures, dans un cabriolet.

Quand il vit terminé le colloque dont son instinct policier lui révélait l'importance, Petit, qui s'était tenu à distance, suivit Joyaut à travers les rues et ne le perdit de vue qu'à la place Maubert. Soupçonnant que Georges était logé dans le quartier, il y organisa une permanence, posta des agents sur la place du Panthéon et dans les rues étroites qui y donnaient accès ; puis il reporta sa surveillance sur Léridant, logé avec un jeune homme, nommé Goujon, au cul-de-sac de la Corderie, derrière l'ancien club des Jacobins.

Le lendemain, 9 mars, l'officier de paix Petit apprenait, par ses espions, que Goujon avait loué, pour toute la journée, un cabriolet portant le n° 53[33]. Il courut à la préfecture et prévint son collègue Destavigny qui, avec une nuée d'inspecteurs, vint prendre position sur la place Maubert. Si, comme le supposait Petit, Georges était caché près de là, si, encore, la voiture lui était destinée, elle devait forcément traverser la place où convergeaient les principales rues du quartier : l'ordre était de la laisser passer, au cas où elle ne contiendrait qu'une personne[34], mais de la suivre avec les plus extrêmes précautions.

La nuit était venue et aucun incident n'avait encore été signalé confirmant les hypothèses de Petit, quand, un peu avant sept heures, un cabriolet déboucha sur la place, venant de la rue Galande. Un seul homme s'y trouvait, tenant les rênes. Les espions qui, sous différents costumes, Muaient autour de la fontaine, le reconnurent d'après son signalement : c'était Léridant. Le cabriolet, du reste, portait le n° 53 et n'avait qu'une lanterne allumée, celle de gauche. Il monta lentement la pente de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève ; les agents, rasant les murs, le suivaient de loin. Petit, l'inspecteur Caniolle, l'officier de paix Destavigny le serraient de plus près, s'attendant à le voir s'arrêter devant une des maisons de la rue où ils n'auraient qu'à cueillir Georges sur le seuil ; mais à leur grand désappointement, le cabriolet tourna à droite dans l'étroite rue des Amandiers et s'arrêta contre une porte cochère toute proche de l'ancien collège des Grassins. Comme la lanterne projetait une lumière très vive, les trois policiers se dissimulèrent dans les allées voisines ; ils virent Léridant descendre de voiture. Il entra sous une porte, sortit, rentra encore et attendit près d'un quart d'heure. Enfin il fit tourner son cheval et remonta sur le siège.

Le cabriolet s'engagea de nouveau dans la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève qu'il acheva de gravir au petit pas du cheval ; il prit la place Saint-Étienne-du-Mont, longeant les maisons : Caniolle marchait à quelques pas derrière lui ; Petit et Destavigny suivaient à plus grande distance. Au moment où la voiture arrivait è l'angle de la rue des Sept-Voies, un groupe de quatre individus sortit de l'ombre ; l'un d'eux saisit la barre du tablier, et, s'aidant du marchepied de droite, se jeta dans le cabriolet qui ne s'était pas arrêté et qui partit aussitôt à grande allure...

Les agents avaient reconnu Georges, déguisé en fort de la halle. Caniolle, plus rapproché, s'élança : les trois hommes restés sur place et qui n'étaient autre que Joyaut, Burban et Raoul Gaillard, tentèrent de lui barrer le passage ; Caniolle, les repoussant, se mit à la poursuite de la voiture qui disparaissait dans la rue Saint-Etienne-des-Grès. Il l'atteignit au moment où elle s'engouffrait dans le passage des Jacobins ; saisissant les ressorts, il se laissa emporter ; les deux officiers de paix, moins agiles, suivaient en criant : Arrête ! arrête !

Georges, assis à la droite de Léridant, qui tenait les rênes, était tourné vers le fond du cabriolet et cherchait à suivre, par le vasistas, les péripéties de la poursuite ; au moment où il s'était jeté dans la voiture, il avait aperçu les policiers et avait dit à Léridant :

— Fouettez, fouettez fort.

— Pour aller où ? demanda l'autre.

— Je n'en sais rien, mais il faut aller[35].

Et le cheval, cinglé de coups, avait pris le grand trot.

Au bas du passage des Jacobins qui, par un angle assez aigu, débouchait dans la rue de la Harpe, Léridant dut forcément ralentir pour tourner sur la place Saint-Michel et ne pas manquer l'entrée de la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince. Il se dirigeait vers la rue du Four, espérant, grâce à la pente de la rue des Fossés, distancer les policiers et arriver chez Caron avant qu'ils eussent atteint le cabriolet.

De la place qu'il occupait, Georges ne pouvait, par l'étroite vitre, voir Caniolle, cramponné à l'arrière de la capote ; mais il en apercevait d'autres, courant à toutes jambes. Destavigny et Petit avaient, en effet, continué leur poursuite ; leurs cris recrutaient, sur tout le parcours, les espions postés dans le quartier ; au moment où Léridant lançait à une allure folle le cabriolet dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, toute une meute d'agents se ruait derrière lui.

A l'approche de ce tourbillon les passants apeurés se garaient sous les portes ; une seule idée hantait si bien tous les esprits, qu'à l'aspect quasi fantastique de cette voiture emportée dans la nuit, au bruit des coups de fouet, des cris, des jurons, du heurt sonore des sabots du cheval sur le pavé, une seule clameur s'élevait Georges ! Georges ! C'est Georges ! Aux fenêtres brusquement ouvertes apparaissaient des visages anxieux ; de toutes les portes sortaient des gens qui, sans savoir, se mettaient à courir, entraînés comme une trombe. Georges vit-il dans cette circonstance un dernier moyen de salut ? Crut-il pouvoir &échapper à la faveur de la cohue ? Toujours est-il qu'à la hauteur de la rue Voltaire, il sauta du cabriolet. Caniolle, à ce moment, quittant l'arrière de la voiture que Petit et un autre agent, nommé Buffet, venaient enfin de devancer, se jeta sur les rênes et, se laissant traîner, contint le cheval qui s'arrêta fourbu. Buffet fit un pas vers Georges qui l'étendit mort d'un coup de pistolet ; d'une seconde balle il se débarrassa de Caniolle ; il pensait encore se perdre dans la foule et, peut-être allait-il y réussir, car Destavigny, qui accourait sans souffle. le vit devant lui, placé avec cette tranquillité de l'homme qui n'a rien à craindre ; quelques personnes auprès de lui, trois ou quatre, étaient là, sans paraître plus penser à Georges qu'à rien. Il allait tourner l'angle, très déclive, de la rue de l'Observance, quand Caniolle, qui n'était que blessé, le frappa de son gourdin : en un instant Georges fut entouré, terrassé, fouillé, garrotté[36]...

Le lendemain, plus de quarante particuliers, parmi lesquels étaient plusieurs femmes, se faisaient connaître au grand-juge comme étant, chacun individuellement, le principal auteur de l'arrestation du chef des brigands[37].

Par le carrefour de la Comédie, les rues des Fossés-Saint-Germain et Dauphine, Georges, lié de cordes, fut conduit à la préfecture. Une foule houleuse l'escortait avec plus de curiosité que de colère, et l'on peut s'imaginer quelle fut l'émotion, dans le vieil hôtel de la police, quand on entendit de loin, sur le quai des Orfèvres, la rumeur grandissante annonçant l'événement et que, soudain, des corps de garde aux salons du préfet Dubois, la nouvelle courut : Georges est pris !

Un instant après on poussait le proscrit vaincu dans le cabinet de Dubois, interrompu dans son dîner, et il gardait encore, sous les liens qui l'entravaient, tant de hauteur et de sang-froid que le tout-puissant fonctionnaire en fut presque intimidé. Desmarest, qui se trouvait là, ne put lui-même se sous traire à cette impression. Georges, que je voyais pour la première fois, dit-il, avait toujours été pour moi comme le Vieux de la Montagne, envoyant au loin ses assassins contre les puissances. Je trouvai, au contraire, une figure pleine, à l'œil clair, au teint frais, le regard assuré, mais doux, aussi bien que sa voix[38]. Quoique replet de corps, tous ses mouvements et son air étaient dégagés : tête toute ronde, cheveux bouclés, très courts ; point de favoris, rien de l'aspect d'un chef de complot à mort, longtemps dominateur (les landes bretonnes. J'étais présent lorsque le comte Dubois, préfet de police, le questionna : l'aisance du prévenu dans une telle bagarre, ses réponses fermes, franches, mesurées et dans le meilleur langage, contrastaient beaucoup avec rues idées sur lui[39]. Ses premières répliques dénotaient, en effet, un calme déconcertant ; on peut citer celle-ci : comme Dubois, ne sachant évidemment par où commencer, lui reprochait, un peu niaisement, la mort de l'agent Buffet, un père de famille, Georges lui donna, en souriant, ce conseil : — La prochaine fois, faites-moi donc arrêter par des célibataires.

Sa courageuse fierté ne se démentit ni dans les interrogatoires qu'il eut à subir. ni devant la Cour de justice : ses réponses au président sont superbes de dédain et d'abnégation ; il assume toute la responsabilité du complot, il nie reconnaître aucun de ses amis ; il pousse la générosité jusqu'à garder une attitude pleine de dignité courtoise envers ceux qui l'ont trahi ; même il cherche à pallier l'insouciance de ses princes dont l'égoïste inertie l'a perdu. Jusqu'à l'échafaud, il resta grand ; onze de ses fidèles Chouans moururent avec lui, au nombre desquels étaient Louis Picot, Joyaut et Burban, dont les noms ont été mêlés à notre récit[40].

Ainsi se terminait la conspiration ; Bonaparte en sortait empereur ; Fouché, ministre de la police et son concours allait ne pas être inutile car si, aux yeux du public, Li mort de Georges simulait un dénouement, elle n'était, en réalité, qu'un simple incident d'une lutte qu'on pouvait prévoir acharnée. Le coup de sonde de l'enquête avait révélé l'existence d'un mal incurable : tout l'Ouest de la France était gangrené de chouannerie ; de Rouen à Nantes, de Cherbourg à Poitiers, des millions de paysans, de bourgeois, de hobereaux restaient attachés à l'ancien régime et si tous n'étaient pas gens à s'armer pour sa cause ils devaient apporter à l'équilibre de la nouvelle machine gouvernementale un contrepoids qui en fausserait le fonctionnement. Et puis ce que Georges avait tenté, un autre ne pouvait-il l'essayer à son tour ? Si un homme plus influent que lui sur l'esprit des princes décidait l'un deux à franchir le détroit, que compterait alors la gloire toute neuve du parvenu, mise en balance avec l'antique prestige du nom de Bourbon, grandi encore et comme sanctifié par les tragédies révolutionnaires ? Telle était la crainte qui hantait l'esprit de Bonaparte ; l'idée l'exaspérait que, sur la terre de France, ces Bourbons exilés, sans soldats, sans argent, fussent plus maîtres que lui : il se sentait chez eux et leur nonchalance même, comparée à son agitation sans trêve, gardait quelque chose de dédaigneux et d'insolent.

La police n'avait, en somme, mis la main que sur un petit nombre des conjurés : beaucoup, même de ceux qui, comme Raoul Gaillard, avaient joué un rôle de premier plan, étaient parvenus à se soustraire à toutes les recherches. lis étaient évidemment les plus habiles, partant les plus dangereux et il pouvait se rencontrer parmi eux un homme jaloux de recueillir la succession de Georges.

La capture à laquelle Fouché et Réal attachaient le plus de prix était celle de d'Aché dont on avait constaté la présence à chacune des étapes de Biville à Saint-Leu. Depuis trois mois, à Paris même, partout où la police avait instrumenté, elle avait relevé la piste de ce même d'Aché qui semblait avoir présidé à toute l'organisation du complot. Ainsi il avait été signalé rue du Puits-de-l'Hermite, chez Verdet, pendant le séjour de Georges[41] ; il s'était plusieurs fois rencontré avec Raoul Gaillard ; en inventoriant les papiers d'une demoiselle Mangeot, chez qui avait dîné Pichegru, on avait découvert deux notes assez énigmatiques où le nom de d'Aché figurait[42].

Mme d'Aché et l'aînée de ses filles avaient été, on l'a vu, écrouées, en février, à la prison des Madelonnettes : on avait laissé la seconde fille, Alexandrine, en liberté, dans l'espoir qu'abandonnée à elle-même dans Paris qu'elle ne connaissait pas, elle commettrait quelque imprudence qui livrerait son père à la police. Elle s'était logée rue Traversière-Saint-honoré, à l'hôtel des Treize-Cantons, et, dès son arrivée, Réal avait attaché deux espions à sa personne ; mais leurs rapports étaient d'une monotonie désolante : Très bonne conduite, très sédentaire,elle vit et elle est journellement avec le maître et la maîtresse de l'hôtel qui sont d'un âge mûr,elle ne voit personne, on la dépeint sous les couleurs les plus avantageuses[43]. De ce côté encore il fallait renoncer à tout espoir de s'emparer de d'Aché.

On essaya d'un autre moyen, le 22 mars, ordre fut donné d'ouvrir les barrières. Fouché prévoyait bien que, clans leur bâte de quitter Paris, ceux des complices de Georges dont on n'avait pu s'emparer, reprendraient aussitôt la route de Normandie, et que, grâce à la surveillance exercée sur ce point, une nouvelle rafle pourrait être faite. La mesure, habilement conçue, amena quelque résultat.

Le 25 mars, un paysan de Mériel, près l'Isle-.Adam, nommé Jacques Pluquet, qui travaillait à son champ, sur la lisière du bois de la Muette, vit venir à lui quatre individus, coiffés de, chapeaux rabattus sur des bonnets de coton et portant à la main de forts gourdins à nœuds. Ils lui demandèrent si l'on pouvait passer le bac de l'Oise à Mériel. Muguet, répondit que la chose était facile, mais qu'il y avait des gendarmes pour examiner tous ceux qui passaient. Ceci parut les faire hésiter. Ils se donnaient pour des conscrits déserteurs venant de Valenciennes : Périr pour périr, disaient-ils, nous aimons mieux rejoindre notre pays.

Le récit de Pluquet est assez pittoresque pour qu'on le cite textuellement :

Je leur ai demandé d'où ils étaient ; ils m'ont dit : d'Alençon. Je leur ai observé qu'ils auraient de la peine à aller jusque-là sans être arrêtés. L'un d'eux m'a dit : C'est vrai, car depuis le coup de chien qui vient d'arriver à Paris, on monte la garde partout. Celui-ci, laissant aller les trois autres devant, me dit : Mais si on nous arrêtait, que nous ferait-on ? Je lui répondis : On vous conduirait à votre corps, de brigade en brigade. Sur cela il m'a dit : Si on nous rattrape, on nous fera faire dix mille lieues. Et il m'a quitté pour gagner ses camarades ; le plus jeune pouvait avoir vingt-deux ans et m'a paru fort triste et bien fatigué[44].

Le lendemain, des gens d'Anvers découvrirent dans un bois une petite cabane construite en fagots : les quatre hommes y avaient passé la nuit. On les aperçut, les jours suivants, errant dans la forêt de l'Isle-Adam. Enfin, le ter avril, ils se présentèrent chez le passeur de Mériel, nommé Eloi Cousin, qui hébergeait chez lui deux gendarmes. Tandis que les fuyards sollicitaient le passeur de les prendre dans son bateau, les gendarmes se montrèrent et les quatre hommes prirent la fuite ; un coup de feu abattit l'un d'eux ; le second, qui s'arrêtait pour secourir son camarade, fut aussitôt appréhendé ; les deux autres purent gagner le bois et s'échapper.

Le blessé fut mis sur un bateau et conduit à l'hospice civil de Pontoise où il mourut le lendemain. Réal, aussitôt prévenu, expédia Querelle, qu'il gardait soigneusement en prison, afin de l'utiliser en cas de besoin, et celui-ci, mis en présence du cadavre, le reconnut aussitôt pour être celui de Raoul Gaillard, dit Houvel, dit Saint-Vincent, l'ami de d'Aché, le principal fourrier de Georges[45] ; l'autre était son frère Armand qui fut immédiatement dirigé sur Paris et écroué au Temple.

La commune de Mériel avait, dans la circonstance, bien mérité de la patrie et le Premier Consul lui en témoigna, pour l'exemple, sa satisfaction de façon éclatante. Il exprima le désir de connaître cette population si dévouée à sa personne et, le 5 avril. le sous-préfet de Pontoise se présentait aux Tuileries à la tête de tous les hommes du village. Bonaparte les félicita personnellement et, pour marquer plus efficacement sa gratitude, il leur distribua une somme de 11.000 francs trouvée dans la ceinture de Raoul Gaillard. Cette manifestation était certainement glorieuse pour les paysans de Mériel, mais elle eut un résultat qu'on n'avait pas prévu : en rentrant chez eux le lendemain, ils apprirent, en effet, qu'un inconnu, bien vêtu, bien armé, monté sur un cheval de prix, profitant de l'absence des habitants, s'était présenté au village, et, après beaucoup de questions faites à des femmes et à des enfants, il s'était rendu à l'endroit où Raoul Gaillard avait été blessé, en s'informant si on n'avait pas trouvé un étui auquel il semblait attacher une grande importance. Cet incident fit souvenir que, dans le bateau qui le menait à Pontoise, Raoul Gaillard, déjà mourant, s'était inquiété de savoir si on avait trouvé dans ses effets un étui à rasoir. Sur la réponse négative, il avait paru très fâché et on l'entendit murmurer que la fortune de celui qui découvrirait cet objet était faite.

La visite de cet inconnu — revu depuis dans la campagne, sur les hauteurs et proche les bois, — les menaces de vengeance qu'il avait proférées, cet étui mystérieux fournirent matière à un rapport détaillé[46] qui rendit Réal perplexe. N'était-ce point là d'Aché ? Une grande battue fut organisée dans la forêt de Carnelle ; elle ne donna aucun résultat : on explora de même, quatre jours plus tard, la forêt de Montmorency ou quelques indices du séjour des brigands. furent relevés ; mais de d'Aché point de traces et, malgré l'acharnement que les agents de Réal, grisés par la promesse de fortes primes, apportaient à cette chasse aux chouans, il fallut bien, après des semaines et des mois de recherches, d'enquêtes, de ruses, de fausses pistes suivies, de pièges inutilement tendus, se résigner à admettre que la police avait perdu la voie et que l'habile complice de Georges était pour longtemps disparu.

 

 

 



[1] Abraham-Charles-Auguste d'Hozier : il avait vingt-sept ans en 1803. Procès de Moreau, II, 415 et Archives nationales, F7 6398 : précis de l'existence de Charles-Auguste d'Hozier depuis 1790.

[2] Archives nationales, F7 4602.

[3] Il était fils d'un cultivateur aisé de Quévreville, près de Rouen.

[4] La femme Levasseur : elle avait disait-on, un fils de chacun d'eux.

[5] On présume que c'est par Bouvet que d'Aché a été affilié dans le parti : ils sont, l'un et l'autre, officiers de marine : ils ont les mêmes connaissances, les mêmes goûts et les mêmes habitudes : presque compatriotes ils se voyaient chez Mme de Saint-Paér, dont la maison servait de rendez-vous à tous les mécontents qui se trouvaient à quelques lieues à la ronde de ses propriétés. Archives nationales, F7 6397.

[6] Archives de la préfecture de police.

[7] La maison appartenait à un sieur Barizon, le prix de la location était de 1.500 francs pour six mois de jouissance : le bail avait été signé le 19 juillet 1803. Archives nationales, F7 6397.

[8] La femme Daniel, née Madeleine Pethuy, blanchisseuse de bas de soie, avait élevé le fils de Bouvet de Lozier. Archives nationales, F7 6397.

[9] Etat des lieux et meubles de la petite maison louée à Mme de Saint-Léger.

[10] D'après les débats du procès, il s'y serait installé pour trois semaines, vers le 7 septembre (Procès, t. II, p. 419), mais la déposition du concierge Daniel est formelle : il prit avec sa femme, dit-il, possession de la maison le 16 août et ils y restèrent absolument seuls pendant deux mois environ : il portait à Mme de Saint-Léger les fruits du jardin ; elle lui annonça un jour qu'elle partait pour la campagne, mais que des personnes de ses amis viendraient habiter la maison et qu'il faudrait les recevoir comme si c'était elle-même. Huit jours après, deux individus arrivèrent, conduits par Hyacinthe (Bouvet de Lozier). Daniel lui remit les clefs et leur donna de la chandelle parce qu'il faisait nuit : ils restèrent à la maison pendant huit jours. Archives nationales, F7 6397.

[11] Archives nationales, F7 6405.

[12] D'Hozier, entre autres, y passa quatre jours. Procès, V, 139.

[13] La femme qui, dans le logement de la rue Carême-Prenant, faisait le lit et rangeait la chambre des conjurés, s'appelait Marie-Josèphe : la cousine de Georges : elle disparut avec ces messieurs. Archives nationales, F7 6405 et Procès, II, 420.

[14] Jacques Verdet, quarante-huit ans, né à Vaucouleurs (Meuse). Il semble que ce soit par l'intermédiaire de Monnier d'Aumale, que d'Aché avait attiré Verdet au parti. Archives nationales, F7 6402 et Procès, II, 406.

[15] Deux individus sont arrivés et ont couché quelques nuits. Il y eut, pendant deux ou trois jours, deux chevaux dans l'écurie, soignés par Joseph (Louis Picot), domestique de Larive (Georges) ; Hyacinthe (Bouvet de Lozier) a apporté un jour une hure de sanglier et deux paniers de vin. Déposition du concierge Daniel. Archives nationales, F7 6397.

[16] Dans la conférence qui eut lieu le 28 janvier entre Pichegru, Georges et Moreau, celui-ci ne cacha pas qu'il demandait pour lui la dictature. — Qu'est ceci, dit Georges avec colère, et pour qui nous prenez-vous ? Nous n'aurions donc travaillé que pour vous ? S'il en est ainsi, je me retire et vous pouvez bien faire vos affaires tout seuls. Et il sortit en répétant : — Il parait que Moreau ne voulait se servir de nous que pour prendre la place du premier Consul : mais, un bleu pour un bleu, j'aime encore mieux celui qui y est que ce j. f...

Déposition de Bouvet de Lozier. Voir Nougarède, op. cit., t. I, p. 67.

[17] Des conspirateurs avaient fait faire des uniformes semblables à ceux des guides consulaires qui faisaient jour et nuit le service auprès du Consul et le suivaient à cheval dans ses excursions. Sous ce costume, et à l'aide de leurs intelligences avec leurs complices de l'intérieur du château (des ouvriers marbriers chargés des embellissements et des réparations à faire aux cheminées...) ils auraient pu facilement s'approcher et se mêler à la garde qui était logée et nourrie à la Malmaison ; ils auraient pu même parvenir jusqu'au premier Consul et l'enlever... Leur point de ralliement était aux carrières de Nanterre : il y avait dans le parc de la Malmaison une carrière assez profonde : on craignait qu'ils n'en profitassent pour s'y cacher et on y avait fait mettre une porte en fer. Mémoires de Constant, t. I, p. 42-43.

[18] Déposition de Jeanne Mougeal, cuisinière à l'hôtel de Bordeaux. Archives nationales, F7 6402.

[19] Saint-Vincent nous a emmenés déjeuner et je vis qu'il y avait là quatre personnes de sa bande. Désirant voir M. Macheret qui était à Saint-Cloud, Saint-Vincent nous proposa de nous y mener : il paraissait désirer voir ce cocher sans chercher, cependant à lui parler, pour boire, disait-il, une goutte ensemble, s'il le rencontrait... Déposition de J.-B. Massignon. Archives nationales, F7 6402.

[20] Archives nationales, F7 6397.

[21] Archives nationales, F7 4602, et Procès, V, 361.

[22] Archives de la préfecture de police.

[23] On a commencé par m'offrir 1.500 louis et ma liberté : on les a comptés sur la table pour partir où je voudrais aller et dire l'adresse de mon maitre : j'ai dit que je ne la savais pas. Le citoyen Bertrand a envoyé chercher l'officier de garde et lui a dit d'apporter un chien de fusil et un tournevis pour me serrer les doigts. Il m'a fait attacher, il m'a fait serrer les doigts autant qu'il a pu... C'est la vérité, les officiers de garde peuvent le dire : j'ai été chauffé au feu... Déclaration de Picot. Procès, IV, 335.

[24] Il n'est pas inutile de rappeler que Thuriot de la Rozère, ancien conventionnel régicide, avait été du parti de Robespierre jusqu'à sa chute et s'était ensuite prudemment rangé au nombre des Thermidoriens.

[25] Fauriel, Les derniers jours du Consulat.

[26] Le général Duplessis au général gouverneur de Paris, 23 pluviôse an XII. Deux militaires reconnaissent Georges dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, le suivent jusqu'au coin de la rue Coquillière où il entre dans un café. Les deux sergents y sont entrés, ont demandé une bouteille de bière et ont été chercher la garde. Pendant celte minute, Georges étonné que deux militaires demandassent une bouteille de bière sans la boire, en témoigna sa surprise tout haut et s'en fut avec son camarade. Archives nationales, F7 6392.

[27] 8 ventôse an XII (28 février 1804).

En vertu de l'ordre du Premier Consul, toutes les barrières de Paris seront fermées ce soir, à compter de sept heures précises : on laissera entrer tous ceux qui se présenteront et on ne laissera sortir personne jusqu'à demain, six heures du matin.

10 ventôse. — Le conseiller d'Etat, préfet de police, recommande de bien prendre garde que Georges ne sorte des barrières déguisé en charretier. Archives de la préfecture de police. Le même carton contient de nombreux renseignements sur la surveillance des barrières et des spécimens des cartes délivrées aux militaires que leur service obligeait à sortir de Paris.

[28] Voici, entre autres, celui de Georges chef de brigands.

Georges, dit Larive, dit Masson, trente-quatre ans et n'en paraissant pas davantage, cinq pieds quatre pouces, extrêmement puissant et ventru, épaules larges, d'une corpulence énorme ; sa tête très remarquable par sa prodigieuse grosseur. Col très court, le poignét fort et gros, jambes et cuisses peu longues. Le nez écrasé et comme coupé dans le haut, large du bas : yeux gris dont l'un est sensiblement plus petit que l'autre ; sourcils légèrement marqués et séparés. Cheveux châtain clair, assez fournis, coupés très courts, ne frisant point, excepté sur le devant où ils sont plus longs ; teint frais, blanc et coloré, joues pleines, sans rides. Bouche bien faite, dents très blanches, barbe peu garnie, favoris presque roux, assez fournis, mais n'étant ni larges, ni longs ; menton renfoncé.

Il marche en se balançant et les bras tendus, de manière que ses mains sont en dehors.

Archives de la préfecture de police. Imprimé.

[29] Archives de la préfecture de police.

[30] Marie-Michèle Hisay était la fille du toiseur de Spain, par qui d'Hozier l'avait connue.

[31] Procès de Georges, Pichegru et autres, t. I, p. 333.

[32] Procès de Georges, Pichegru et autres, t. I, p. 234.

[33] Archives nationales, F7 6392.

[34] Procès de Georges, Pichegru et autres, t. IV, p. 74.

[35] Interrogatoire de Léridant, Archives nationales, F7 6392.

[36] Dépositions de Caniolle, de Destaviguy, de Petit et autres témoins et acteurs de l'arrestation. Procès de Georges, Pichegru et autres. Passim.

[37] Archives nationales, F7 6391.

[38] Il est intéressant de comparer cette description avec le signalement que nous avons reproduit plus haut. Ainsi on peut voir que, depuis qu'il était traqué par la police, Georges avait coupé les favoris qu'il portait ordinairement.

[39] Desmarets, Témoignages historiques.

[40] Nous n'avons pas à raconter le procès de Georges et de ses complices, mais nous avons, sur leur exécution, un document si précieux que nous croyons devoir le reproduire. C'est le rapport qui fut, le jour même, adressé à l'Empereur et qui fut rédigé par l'inspecteur de police chargé de surveiller les condamnés jusqu'au dernier moment :

Préfecture de police, Paris 6 messidor an XII.

Aujourd'hui, à une heure du matin, les condamnés Georges Cadoudal, Coster Saint-Victor, Roger dit Loiseau, Ducorps, Picot, Deville, Joyau, Burban, Lemercier, Lelan, Pierre-Jean Cadudal et Mérille, ont été extraits de Bicêtre et conduits à la maison de justice.

Leur départ de cette première prison a paru leur faire une impression profonde.

En arrivant à la Conciergerie, ils étaient tous défaits et abattus. à l'exception de Coster et de Roger qui avaient pris leur ton de fermeté et d'assurance.

Georges, en arrivant à la maison de justice, ne proféra point une parole ; son regard était morne. il se jeta sur un lit et ce ne fut que vers cinq heures et demie du matin qu'il reprit du calme et de l'assurance qui ne firent que s'accroitre jusqu'au moment du départ pour le supplice.

Coster est celui qui a causé le plus longtemps et avec le plus de tranquillité.

Il a dit à M. Veyrat, officier de paix, que le Gouvernement avait fait une grande école en ne faisant point fusiller tous les conjurés le lendemain de l'arrestation de Georges ; que tout Paris eut alors applaudi à cette mesure et qu'ils seraient morts dans l'infamie ; mais qu'en les livrant à la Cour de justice criminelle, on leur avait mis cent pieds de gloire sur la tête.

— Je mourrai, ajouta-t-il, avec courage ; mais ce qui me désole, c'est que j'aime sua patrie et je suis sûr qu'elle sera malheureuse.

Puis prenant un ton fort gai, il regardait en riant son habit de Bicêtre, coupé par deux couleurs tranchantes, et il disait.

— Je ne ressemble pas mal à un arlequin du boulevard.

Il demanda si on avait fait périr Moreau ; sur la réponse négative, il ajouta :

— Quant à Pichegru, nous nous verrons probablement ce soir et il nous dira s'il s'est véritablement étranglé lui-même.

Il finit par dire à M. Veyrat qu'il avait mis dans sa conduite, lors de l'arrestation de lui, Coster. et de Roger, autant de courage que d'intelligence et d'honnêteté ; mais qu'il était fort heureux qu'il ne l'eût pas tué, étant, ainsi que Roger, armé jusqu'aux dents.

Coster, Roger, Mérille et Burban étaient dans la même chambre ; peu de moments après leur arrivée, ils firent la prière en commun ; c'est Coster qui parlait tout haut ils finirent leur oraison en chantant un refrain : il est doux de mourir pour la religion et son roi.

Roger, dit Loiseau, était dans la unique situation d'esprit que Coster. Il disait en plaisantant qu'il avait encore, il y a quatre mois, trois virginités : 1° je n'avais jamais été arrêté et M. Veyrat m'a pris à l'improviste dans mon lit ; 2° je n'ai jamais été en prison et le concierge de la Force a eu mes prémices à cet égard ; 3° reste dame guillotine avec qui je vais faire connaissance tout à l'heure. Il fera chaud ce soir et cela sera plus sérieux que dans le cabinet de M. Bertrand (le concierge du Temple).

Mérille affectait de montrer du courage quand ses trois compagnons lui parlaient ; mais il retombait bientôt dans l'affaissement, ne disait mot et conservait un air vraiment féroce ; il dit à Veyrat, que s'il n'avait pas compté se tirer d'affaire à la préfecture avec son passeport, il l'eût poignardé au moment où il l'avait arrêté chez Denant.

Picot, valet de Georges, avait la tournure d'un homme ivre ou abruti ; il paraissait fort peu inquiet de tout ce qui allait se passer.

Les autres condamnés n'ont rien offert de remarquable aux observateurs.

Ils déjeunèrent tous avec appétit et mangèrent des viandes froides.

Vers les huit heures, MM. Voisin, curé de Saint-Etienne, demandé par Coster et Kerravenan, prêtre de Saint-Sulpice, demandé par Georges, vinrent les confesser.

D'autres prêtres se présentèrent spontanément, savoir :

MM. Garnier, vicaire de Notre-Dame, qui confessa Louis Ducorps,

Froment, vicaire de la même église, pour Devina et Burban,

Leriche, vicaire de la même église, pour Cadoudal.

Grisel, prêtre de Saint-Eustache, pour Roger.

Reinac, de Saint-Roch, pour Picot.

Saint-Pard, de Saint-Roch, pour Lelan.

Lutton, de Saint-Merry, pour Lemercier.

Collet, de Saint-Merry, pour Joyau.

Boileau, de Saint-Merry, pour Merille.

L'abbé Malmaison, prêtre de Saint-Merry, se présenta également, ne confessa personne ; mais parla à quelques-uns des condamnés.

Un gendarme nommé Monasson, paraissant prendre beaucoup d'intérêt à Roger et à Coster, fit desserrer les fers de celui-ci qui ensuite les ôta tout à fait ; sur l'observation qu'on lui fit qu'il avait commis une imprudence, il répondit qu'on pourrait les ôter aux autres et s'en rapporter aux gendarmes. Il a montré beaucoup d'humeur de ce qu'on avait remis les fers de Coster.

Dans un autre moment, Monasson étant assis près de Roger, parut lui faire quelques signes d'intelligence, murmura quelques mots entre ses dents et parut montrer beaucoup d'humeur de la surveillance : le lieutenant-colonel Rhedy l'a fait relever et arrêter.

En sortant de la maison de justice, Georges dit à Picot : Ah ! ça ne va pas faire l'enfant.

Dans la route que ces individus parcoururent et qui était remplie par une foule curieuse, on n'entendait partout une l'expression de l'exécration et du mépris pour ces brigands, et on peut dire que l'opinion publique était généralement et fortement prononcée contre eux.

Au moment où la tête de Georges est tombée, des cris mille fois répétés de : Vive l'empereur ! se firent entendre parmi les spectateurs ; la même chose eut lieu après la mort de Picot et de Deville qui, à l'instant de périr, avaient crié : Vive la religion, vive le Roi !

Deville, au moment où il est parti de la Conciergerie, a déclaré qu'il avait confié, lors de son arrestation, une montre, un cachet et une clef d'or, au sieur Gille, maréchal de logis de la gendarmerie à Montmorency, et que lorsqu'il les lui a redemandés, celui-ci a nié le dépôt.

L'ordre et la tranquillité ont été parfaitement maintenus... Archives nationales, AFIV 1890.

[41] Archives nationales, F7 6397.

[42] La demoiselle Mangeot, interrogée, répondit : C'est un petit garçon qui m'a remis ces papiers, j'ignore de quelle part. Archives nationales, F7 6402.

[43] Archives nationales, F7 6397.

[44] Archives nationales, F7 6399.

[45] Le corps de Raoul Gaillard fut porté sur une civière de Pontoise à Paris et présenté au ministère de la police. F7 6399.

[46] Ce cavalier n'a pas laissé ignorer ses projets de vengeance contre le maire et il est venu trois jours de suite et il a parlé plus familièrement à Joseph la Chauquette habitant de la commune. Non seulement ce cavalier inconnu s'est montré dans le village de Mériel, dans la campagne, les hauteurs et proche les bois, mais encore un autre étant à pied, vêtu d'un habit long, s'est promené dans les champs, dans les endroits qu'avaient parcouru les Gaillard et Tamerlan, et aussitôt qu'il aperçut un laboureur qui faisait signe à un autre de s'approcher de lui, il s'est enfui à toutes jambes et a disparu dans le bois. Archives nationales, F7 6399.