LES PREMIÈRES CIVILISATIONS

TOME SECOND. — CHALDÉE & ASSYRIE. - PHÉNICIE

IV. — PHÉNICIE

 

LA LÉGENDE DE CADMUS ET LES ÉTABLISSEMENTS PHÉNICIENS EN GRÈCE[1].

 

 

Parmi les traditions relatives aux premiers âges des populations de la Grèce, il n'en est pas de plus constante et de mieux établie que celle qui fait apporter la connaissance de l'alphabet aux Pélasges par les navigateurs phéniciens, auxquels on donne pour chef Cadmus. Le plus grand nombre des auteurs de l'antiquité grecque et latine rapportent cette tradition, ou du moins y font allusion. Pas un autre fait peut-être, dans tout ce qui se rapporte aux époques primitives de la race hellénique, ne nous offre tous les écrivains aussi parfaitement d'accord. Aussi l'alphabet grec, sous sa forme la plus ancienne, était-il désigné généralement par le nom de Φοινικήϊα γράμματα, Lettres phéniciennes, et Hésychius nous fait connaître un verbe έκφοινίξαι, qui avait été composé d'après cette tradition.

Lors même que le rapport des figures des lettres grecques avec le plus ancien type connu de l'écriture phénicienne ne viendrait pas confirmer d'une manière irréfragable l'authenticité du souvenir relatif aux colonies du peuple de Chanaan apportant dans la Grèce, encore absolument barbare, la connaissance de l'écriture alphabétique, les noms des caractères de l'alphabet grec suffiraient pour l'établir. Comment expliquer, en effet, ces noms orientaux des lettres qui n'ont aucun sens en grec, et sont identiques aux noms hébreux, syriaques et éthiopiens, s'ils n'étaient venus en compagnie des signes qu'ils servent à désigner ? D'ailleurs, ainsi que l'a judicieusement remarqué Fréret, les Grecs étaient trop jaloux de leur réputation, trop disposés à s'attribuer des inventions dont ils n'étaient pas les auteurs, pour que, lorsqu'ils rapportent à une communication de l'extérieur une invention aussi importante que celle de l'alphabet, on ne doive pas croire qu'ils sont obligés de céder à une vérité irrésistible, et de laisser de côté leurs prétentions devant une tradition établie d'une manière tout à fait inattaquable.

Dans Hérodote (V, 58) et tous les écrivains classiques où il est question de la transmission de l'alphabet phénicien aux Grecs, le lieu de cette transmissions est fixé en Béotie, et le fait en est constamment attribué à Cadmus.

Occupé depuis plusieurs années d'un travail considérable sur l'histoire des écritures alphabétiques, que l'Académie des Inscriptions et belles-lettres a bien voulu honorer d'une de ses couronnes[2], et ayant à rechercher d'une manière toute spéciale l'élucidation des problèmes relatifs à l'origine de l'alphabet grec, j'ai dû, avant tout, m'occuper d'examiner l'authenticité de la tradition relative aux établissements phéniciens de la Béotie et de repasser les récits que nous font les anciens des voyages de Cadmus, cette personnification mythologique des navigateurs chananéens sur les côtés de la mer Égée.

Telle a été l'origine de la présente étude, qui faisait partie du mémoire soumis à l'Académie et a obtenu l'approbation spéciale de la commission chargée de ce concours. Dans mon étude de paléographie comparative, ce travail était un hors-d'œuvre, qui nuisait dans une certaine limite à l'unité du plan. Je me suis donc décidé, sur le conseil de mes juges eux-mêmes, à l'en détacher et à le publier séparément.

 

I

L'origine phénicienne de Cadmus est admise par tous les auteurs, mais leurs récits ne s'accordent pas sur la ville d'où on le fait sortir. Les uns le disent originaire de Sidon[3], les autres de Tyr[4]. En revanche, les traditions mythologiques sont d'accord pour en faire le fils du roi phénicien Agénor[5], dont le nom, comme l'a très-bien vu M. Movers[6], n'est qu'une traduction grecque de celui du dieu Baal, Άγήνωρ, le Conducteur, le seigneur des hommes (Baal, le seigneur) ; le frère de Phœnix, représentant la population chananéenne demeurée sur la terre natale, de Cilix, représentant les colonies de la côte de Cilicie[7], et enfin d'Europe, personnification de l'Astarté phénicienne[8], transportée en Crète, puis de là en Grèce, que les mythographes font, comme Cadmus, naître tantôt à Tyr[9], tantôt à Sidon[10].

Après l'enlèvement d'Europe par Jupiter, Agénor ordonne à son fils Cadmus d'aller à la recherche de sa sœur, en lui défendant de revenir s'il ne parvient pas à la retrouver. Téléphassa, mère de Cadmus et femme d'Agénor, se joint à son fils. Ils partent, et leur première étape est marquée dans l'île de Crète[11]. De là ils passent dans l'île de Rhodes, où Cadmus élève un temple à Posidon, son grand-père[12]. Mais toutes les recherches pour retrouver Europe sont vaines, et Cadmus se voit obligé, comme ses frères Thasos et Cilix envoyés à la même recherche et sous la même condition[13], de penser à se créer un établissement fixe dans ces contrées lointaines, puisque le retour dans sa patrie lui est désormais fermé. Il se rend en Thrace, touche à l'île voisine de Samothrace[14], et, fixé sur le continent, ouvre le premier l'exploitation des mines du mont Pangée[15]. Là, Téléphassa meurt[16], et Cadmus, l'ayant ensevelie, se rend à Delphes, où il consulte l'oracle pour connaître le sort de sa sœur. L'oracle lui répond de cesser de chercher Europe, mais de suivre une vache qu'il rencontrerait et de fonder une ville là où elle s'arrêterait en mugissant[17]. Cadmus rencontre dans la Phocide une vache telle que la pythie la lui a décrite, appartenant aux troupeaux de Pélagon[18] ; il la suit jusqu'en Béotie, où elle s'arrête enfin à la place où Thèbes fut bâtie. Le héros s'apprête à sacrifier la vache envoyée par les dieux à Minerve[19] ou à la Terre[20], mais il lui faut de l'eau, et il va en puiser à la source de Mars, voisine de ce lieu[21]. Il la trouve gardée par un serpent monstrueux, fils de Mars[22], qui tuait tous ceux qui osaient approcher[23]. Par les conseils de Minerve, Cadmus parvient à le tuer[24] ; sur l'ordre de la même déesse, il en sème les dents à terre ; elles produisent les Spartes, qui s'entre-tuent jusqu'à ce que Cadmus les sépare, lorsqu'il n'en reste plus que cinq, Échion, Udœus, Chthonius, Hypérénor et Pélorus[25].

Sur l'emplacement où il a tué le serpent, le héros phénicien fonde la ville de Thèbes, dont il devient roi. Jupiter lui donne pour épouse Harmonie, fille d'Arès et d'Aphrodite. Les noces se font avec un grand éclat dans la citadelle de la Cadmée, et tous les dieux y viennent apporter des présents aux nouveaux époux[26]. D'après d'autres auteurs, ce n'est pas à Thèbes, mais à Samothrace que Cadmus épouse Harmonie[27], ou bien il l'enlève dans cette île pour l'épouser à Thèbes, et l'enlèvement a lieu au milieu de la célébration des mystères[28].

Cadmus introduit dans la Béotie le culte de Bacchus[29]. Après quelques années de règne, il est chassé de Thèbes par Penthée[30]. Il se retire alors en Illyrie chez les Enchéliens[31], où il a pour fils Illyrius[32]. Il règne un certain temps dans ce pays, et enfin, changé en serpent avec sa femme Harmonie, il est transporté par Jupiter dans les Champs-Élysées[33]. Outre Illyrius, il laisse comme enfants Autonoé, Ino, Sémélé, Agavé et Polydorus[34]. Ce dernier monte quelque temps après sur le trône de Thèbes.

 

II

Dans ces récits, il est facile de distinguer la part historique des fables religieuses qui y sont ajoutées. Cadmus est le colon phénicien qui s'établit d'abord en Crète, ensuite dans les îles de l'Archipel et le long des côtes jusqu'en Thrace ; qui, cherchant un établissement fixe sur une terre fertile, pénètre dans l'intérieur jusqu'en Béotie, où il fonde une ville malgré la résistance acharnée et persévérante des indigènes, lesquels finissent par l'expulser ; qui, enfin ; s'avance jusque dans la mer Adriatique, sur les côtes de l'Illyrie.

Le nom même de Cadmus est une désignation générale empruntée aux langues de l'Orient, qui indique nettement l'origine asiatique de la colonie béotienne et marque la situation du pays d'où venait cette colonie par rapport à la Grèce. Qedem, en effet, dans les idiomes sémitiques, signifie l'Orient, qadmôn ou qadmoni l'oriental[35]. La Bible donne le nom de beni qedem, fils de l'Orient, aux Arabes, peuple situé à l'orient de la Palestine et de la Phénicie, et il est probable que les colons chananéens de la Grèce s'appelaient eux-mêmes de cette façon, par rapport à leur nouvelle patrie.

 Mais le nom de Cadmus ne contient pas seulement une désignation géographique. Qedem celui qui est en avant, et par conséquent celui qui se manifeste, était en Phénicie une des appellations du Dieu jeune et générateur, personnifiant dans toutes les religions orientales le rajeunissement perpétuel de la nature et la manifestation extérieure de la puissance divine. De là les traditions religieuses sur Cadmus, indiquées par les Grecs aussi bien en Phénicie que chez eux[36]. Ainsi, dans le personnage de Cadmus, deux idées, deux figures distinctes se fondent en une seule. Cadmus est en même temps l'oriental, le chef de la principale colonie phénicienne en Grèce, et l'un des dieux dont le culte fut apporté par cette colonie. Aussi, à Sparte[37] et à Thèbes[38], Cadmus est-il honoré comme une divinité. Dans les mystères phénico pélasgiques de Samothrace, un des Cabires se nomme Cadmus ou Cadmilus, corrompu ensuite en Casmilos et Camillos. Ce dernier nom ne diffère de celui de Cadmus qu'en ce qu'il présente à la fin, comme seconde composante, le mot el, qedem-el, qui coram Deo stat[39], appellation qui peut convenir également aux idées étroitement apparentées d'un dieu ministre ou démiurge, et d'une manifestation extérieure de la divinité suprême. Suivant Acusilaüs[40], Camillus était fils d'Héphæstus et de Cabiro, par conséquent le troisième personnage de la triade. S'il en faut croire, d'un autre côté, Dionysodore[41], après la triade mystique d'Axiokersos, Axiokersa et Axieros, qui constituaient les principaux Cabires ou Grands Dieux de Samothrace, on en plaçait un quatrième qui s'appelait Casmilus, le même qu'Hermès. Ottfried Müller[42] a établi l'identité de ce Cadmus ou Cadmilus de Samothrace avec l'Hermès des Pélasges, dieu de la génération et de la fécondité. Nous sommes amenés par là à voir dans Cadmus et dans ses voyages la personnification du culte phallique de la Phénicie, répandu chez les Pélasges de la Grèce par les navigateurs orientaux. A ce côté religieux du personnage de Cadmus se rattachent sa parenté et ses courses à la recherche d'Europe, laquelle n'est autre que l'Astarté sidonienne transportée par les mêmes navigateurs. Harmonie elle-même, comme l'a très-bien vu M. Movers[43], est une forme héroïque de la Vénus asiatique. Ainsi se complète l'association constante de Cadmus, image, comme dieu, du principe actif de la nature, avec les déesses ou les héroïnes qui en représentent le principe passif.

Ajoutons avec M. Maury[44], pour compléter ce qui se rapporte au côté religieux du fondateur de Thèbes, que le serpent de Mars, avec lequel la légende le met en rapport, rappelle le mythe égypto-phénicien d'après lequel Thoth ou Taaut, était un être ophiomorphe[45]. Mais là, comme dans beaucoup d'autres mythes, le héros ou le dieu qui tue un monstre s'identifie avec ce monstre, qui n'est qu'une sorte de dédoublement de lui-même. Car Cadmus, qui a tué le serpent, finit à son tour par être changé en serpent. Dans cette dernière phase de son existence, le héros phénicien de la Béotie, aussi bien que le serpent de Mars, rappelle d'une manière frappante Taaut serpent, et, comme l'a indiqué M. Movers[46], le vieux dragon, γέρων όφίων, adoré en Phénicie[47].

Le nom même de vieillard donné à ce dieu serpent convient à Cadmus, car le dieu éternellement renaissant et jeune qui se renouvelle comme le serpent lorsqu'il change de peau est en même temps le plus ancien des dieux, qadmôn[48]. Les deux idées ont une étroite relation, et la manière de les exprimer est presque identique dans les langues de la famille sémitique[49].

 

III

Mais Ottfried Müller[50] a voulu voir dans Cadmus un personnage mythologique propre aux Pélasges et sans provenance orientale. Par suite, il a contesté l'existence d'une colonie phénicienne en Béotie et l'antiquité des établissements chananéens sur les côtes de la Grèce. Ottfried Müller n'est pas un savant dont on puisse traiter légèrement les opinions, et quand on s'en écarte, ii faut démontrer que c'est pour de bonnes raisons. Nous devons donc discuter avec soin les arguments sur lesquels s'est fondé l'illustre antiquaire de Gœttingue.

Les arguments d'Ottfried Müller consistent en quatre points :

1° Le silence des plus anciens poètes sur Cadmus et les colons phéniciens ;

2° La certitude que les établissements des Phéniciens sur la côte de Grèce n'ont pu avoir lieu que très-postérieurement à la guerre de Troie ;

3° L'origine béotienne et pélasgique des noms de Cadmus et de Phœnix ;

4° La situation méditerranéenne de la ville de Thèbes, laquelle éloigne toute idée d'un établissement pour le commerce maritime.

Nous allons examiner soigneusement, l'un après l'autre, et discuter ces quatre points divers.

Pour ce qui est de la première raison alléguée, le silence d'Homère et d'Hésiode sur un grand nombre de traditions religieuses et historiques des Grecs a été bien des fois mis en avant par la critique germanique, pour établir que ces traditions étaient postérieures aux deux poètes. Aux yeux des érudits de l'école de Voss, les œuvres d'Homère sont le résumé de toutes les connaissances et de toutes les idées des Grecs à son époque. Ce qui ne s'y trouve pas a été inventé plus tard.

Il est vrai qu'un passage d'Hérodote semblerait de nature à confirmer ce système. Ce sont, dit le père de l'histoire, Homère et Hésiode qui ont combiné la théogonie des Grecs, qui ont imposé aux dieux leurs-noms, leur ont distribué les honneurs et les attributions, et qui ont fait connaître les types de leurs représentations[51].

Mais ce passage ne s'applique qu'aux croyances religieuses, dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Dans ce sens même il n'est, d'ailleurs, pas possible d'entendre le langage d'Hérodote d'une manière absolue. Quelle que fût son opinion à ce sujet, il n'eût pu dire aux Grecs assemblés que toutes leurs croyances avaient une origine poétique. Son texte doit être compris comme se rapportant à la forme extérieure et exclusivement anthropomorphique de la religion.

Quant aux traditions historiques, elles ne pouvaient toutes trouver place dans les poèmes homériques. Leur auteur n'a pas prétendu en faire une encyclopédie, et ce qui ne se rattachait pas à son sujet, de près ou de loin, a été nécessairement laissé de côté par lui. Or, en nous restreignant à ce qui regarde la colonie de Cadmus, l'argument négatif tiré du silence d'Homère n'a que peu de valeur. La guerre de Troie n'est venue qu'après les deux guerres thébaines ; la race royale qui se faisait remonter à Cadmus était dès lors presque détruite, et sa puissance réduite à néant. Aussi, dans le catalogue des forces grecques devant Troie, voyons-nous figurer les chefs des Béotiens, qui commandaient la campagne jusqu'aux portes de Thèbes[52], mais les habitants de cette ville ne prennent pas part au siège.

Cependant si cette absence des Cadméens sous les murs de Troie a enlevé à Homère l'occasion de placer leur généalogie et les détails d'origine qui l'auraient probablement accompagnée, il n'est pas difficile de trouver dans l'Iliade et dans l'Odyssée des allusions aux fables faisant partie du cycle mythologique de Cadmus, allusions qui prouvent, par conséquent, l'existence des traditions relatives à cette histoire au temps du chantre de la guerre de Troie. C'est ainsi qu'il désigne Ino comme fille de Cadmus[53], qu'il nomme dans un autre endroit les Cadméens[54], et qu'il raconte l'enlèvement d'Europe, qui est dans ses vers fille de Phœnix[55].

Quant aux colonies de Thasos et aux exploitations des mines de cette île par les Phéniciens, en parler rentrait encore moins dans le cadre d'Homère, et, d'ailleurs, nous verrons plus loin que ces établissements étaient peut-être déjà en partie ruinés au temps de la guerre de Troie.

Passons au second argument.

Ottfried Müller, niant les Phéniciens de Thèbes, ne conteste pas l'existence des colonies du même peuple à Thasos et en Thrace ; il prétend seulement que ces établissements sont marqués d'une manière précise à l'an 841 avant notre ère, plus de trois siècles après le siège de Troie, dans les Thalassocraties de Castor de Rhodes. Mais il nous semble difficile d'accorder une grande autorité à cette liste de dominations successives sur la mer Égée, qu'Eusèbe a extraite d'une portion perdue de l'ouvrage de Diodore[56]. La plupart des données qu'elle renferme, ne sont guère conciliables avec les événements connus.

Ainsi l'un des points les plus certains de l'histoire primitive de la Grèce est l'émigration des Ioniens d'Attique en Asie, 140 ans après la guerre de Troie[57]. Et cependant Castor inscrirait une thalassocratie des Pélasges 92 ans après cette guerre, c'est-à-dire postérieurement au retour des Héraclides, et mettrait la conduite de la colonie ionienne d'Asie à la 33e année de cette thalassocratie[58].

Que veut dire ensuite cette domination des Phrygiens, peuple entièrement méditerrané, sur la mer ?

Qu'est-ce aussi que cette suprématie maritime des Égyptiens, qui succède à celle des Phéniciens 382 ans après la guerre de Troie ? D'après le calcul de Castor, ce chiffre nous mènerait en 779 avant Jésus-Christ, c'est-à-dire à l'époque de la XXIIIe dynastie, Tanite, dans un moment de grand affaiblissement pour l'Égypte, deux siècles environ après les campagnes de Sésonchis, et soixante ans seulement avant l'invasion éthiopienne de Sabacon. Or, on le sait, le seul moment où il eût été possible d'admettre une sorte de thalassocratie égyptienne, postérieure à la prise d'Ilion, est le temps de la XXVIe dynastie, Saïte, lorsque Amasis fit la conquête de l'île de Cypre.

Comment admettre aussi la puissance des Lydiens sur la mer immédiatement après la ruine de Troie ? Après l'échec signalé que l'Asie venait de recevoir dans sa lutte avec la Grèce, la suprématie avait passé de ses mains dans celles des Hellènes et surtout de la puissante monarchie des Pélopides.

Ainsi, telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous, la liste de Castor de Rhodes est une suite de non-sens historiques, et on ne doit la citer qu'avec une extrême défiance. D'ailleurs, dans le cas spécial qui nous occupe, on ne pourrait même qu'à peine en tirer un argument négatif. La liste des thalassocraties citées par Eusèbe ne remonte pas plus haut que le siège de Troie. Or, de ce que les Phéniciens, dans un siècle qui correspond à celui de la grande prospérité de Tyr, ont pu dominer un moment de nouveau dans les mers de la Grèce, il ne s'en suit pas qu'ils n'aient point, plusieurs centaines d'années auparavant, au temps de la prospérité de Sidon, régné beaucoup plus longtemps et plus paisiblement en maîtres sur ces mêmes mers. Et, en effet, quarante-cinq ans de prépondérance, que Castor donne à la thalassocratie phénicienne, est un espace trop court pour la fondation de toutes les colonies du peuple de Chanaan dont l'existence n'est pas contestée sur les côtes helléniques, et pour les immenses travaux qu'Hérodote[59] dit avoir été faits par ce peuple dans les mines de Thasos. Il faut forcément faire remonter tout cela bien plus haut.

Il est vrai qu'Ottfried Müller a voulu confirmer les données de Castor par ce raisonnement relatif aux mines de Thasos, que les mêmes filons n'ont pu être exploités pendant plus de mille ans. Mais c'est là un argument auquel nous ne devons pas nous arrêter. Hérodote distingue avec soin la mine phénicienne de Thasos de celle qu'on exploitait de son temps ; elle était bien plus riche ; mais depuis longtemps elle avait été complètement épuisée après des travaux prodigieux (une montagne entière avait été retournée), lesquels avaient dû réclamer une très-grande suite d'années.

Nous passons aussi sur l'argument onomastique. Nous avons fait remarquer, en effet, tout à l'heure, le caractère essentiellement oriental et sémitique du nom de Cadmus, lequel ne peut s'expliquer par aucune autre famille de langues. La seule raison d'Ottfried Müller pour le dire pélasgique est son identité avec celui du Cadmus ou Cadmilus des mystères de Samothrace ; mais nous avons aussi fait voir que le nom et le culte de ce dieu se rattachaient aux langues et aux religions de l'Orient.

Quant à l'appellation de Phœnix, que le savant antiquaire de Gœttingue a rapprochée de celle de Cadmus, auquel Phœnix est en effet très-souvent associé, et qu'il a considérée de même comme un nom pélasgique interprété plus tard en tant que désignant un phénicien, il est vrai que Φοϊνιξ en grec a le sens de rouge et que son emploi dans le rôle de nom propre n'indiquerait pas nécessairement l'origine phénicienne du personnage qui le porte. Nous avons des noms analogues en français, M. Lerouge, par exemple, qui correspondrait bien à celui de Φοϊνιξ, et aujourd'hui encore chez les Grecs modernes le nom de Κόκκινος est un de ceux qui se rencontrent le plus souvent. Cependant on doit remarquer que dans les traditions primitives de la Grèce ce nom de Phœnix n'est jamais employé qu'avec des particularités qui caractérisent nettement une personnification du peuple phénicien. Le seul personnage appelé ainsi, qu'Ottfried Müller trouve à citer en tant qu'exclusivement grec ou pélasgique, est Phœnix le précepteur d'Achille[60]. Mais encore là n'est-ce pas un maitre phénicien ? Dans les mœurs héroïques telles que nous les décrivent les poèmes d'Homère, les arts et les sciences n'étaient pas encore devenus le patrimoine des Grecs ; ils avaient besoin pour s'y instruire d'avoir recours aux Asiatiques.

Au reste, nous ne nous bornons pas à repousser l'argument onomastique de l'illustre professeur de Gœttingue ; nous croyons que l'on peut tirer des conclusions toutes contraires de la même étude, celle des noms propres. Les épithètes divines propres à la Béotie portent, croyons-nous avec des savants éminents comme Movers et M. Maury, l'empreinte du passage des Phéniciens conservée jusqu'aux dernières époques du paganisme.

Minerve était adorée à Thèbes sous le nom d'Onga ou Onka[61] qui lui était également donné en Phénicie[62]. Le caractère asiatique de ce surnom est donc incontestable. Mais son étymologie est assez difficile à fixer. M. Movers[63] le tire de la racine 'akak, être échauffé par le soleil, et en restitue la forme primitive en 'akkah, la brûlante. M. Maury[64] y voit 'ôgen ou 'iggoûn, l'ancre, supposant qu'Athéné Onga était la déesse dont l'image décorait les ancres des vaisseaux phéniciens. Nous préférerions la première explication, qui ferait reconnaître dans Athéné Onga la Minerva virtus solis[65] dont parle Macrobe, c'est-à-dire une forme de l'Astarté solaire de la Phénicie[66].

Hésychius[67] nous apprend que dans la cité fondée par Cadrons Jupiter recevait le nom d'Έλιεύς. Ici pas d'hésitation pour l'étymologie, qui a été déjà indiquée par Bachart[68]. Έλιεύς est le même nom que celui d'Έλιοΰν, que Sanchoniaton[69] dit avoir été porté par le Dieu suprême (ύψιστος) des Phéniciens. Et en effet Pausanias[70] parle d'un Ζεύς Ύψιςτος, dont le nom serait la traduction exacte de El 'élioûn, qui devait être le même que le Ζεύς Έλιεύς, et dont le temple par son voisinage avait fourni le nom des Πύλαι Ύψίσται, l'une des sept portes de Thèbes[71], comme Athéné Onga avait fourni le nom des Πύλαι Όγκαΐαι[72].

L'Apollon national des Thébains portait l'épithète d'Isménius[73]. Ce nom, qui se répète sous un grand nombre de formes dans les traditions béotiennes, dans le nom du fleuve Isménus, fils d'Asopus et de Métope[74], dans celui du héros Isménius fils d'Apollon et de Mélia[75], auquel, d'après certaines traditions, le fleuve primitivement nommé Ladon devait son appellation d'Isménus[76], dans celui de la nymphe Isméné ou Isménis, dite tantôt fille d'Asopus et de Métope[77], tantôt fille de l'Isménus[78] ; ce nom, disons-nous, rappelle d'une manière frappante, dès le premier abord, celui de l'Eschmoun phénicien[79]. La ressemblance de son ne suffirait pas, il est vrai, pour justifier le rapprochement, si Ottfried Müller n'avait pas signalé lui-même[80] dans les fêtes de l'Apollon Isménien des symboles astronomiques et planétaires qui établissent une affinité profonde entre la nature de ce dieu et le caractère céleste et sidéral de l'Eschmoun chananéen[81]. Ce qui est surtout digne de la plus sérieuse attention est l'importance du nombre huit dans le culte de l'Apollon des Thébains, le renouvellement octaétérique de toutes les choses sacrées, etc., lorsqu'on se souvient que ce nombre était spécialement consacré chez les Phéniciens au dieu Eschmoun, que le nom de ce dieu signifie le huitième[82], qu'il est le huitième des Cabires phéniciens[83] et qu'il s'offre comme l'emblème du monde formé par le concours des sept planètes[84]. Eschmoun a été assimilé plus souvent par les Grecs à Esculape[85] qu'à Apollon, mais le père et le fils se confondent bien souvent dans la religion hellénique[86], et d'ailleurs Eschmoun, dieu essentiellement cosmique et sidéral, Eschmoun qui, dans certains mythes, comme celui que rapporte Damascius[87], est le feu ardent du ciel[88] en même temps que le huitième cabire, esch hhamôn, pouvait au moins aussi convenablement, si ce n'est plus, avoir été rapproché d'Apollon, le dieu lumineux et solaire, que d'Esculape le dieu de la médecine.

Enfin c'est à la descendance de Cadmus que les mythographes[89] rapportent l'origine d'une divinité dont la nature marine convient spécialement à un personnage d'origine phénicienne[90], Mélicerte, dont le nom a déjà été identifié par la science à celui du Melqarth tyrien[91].

Bien loin donc que l'étude des faits onomastiques révèle dans Cadmus, comme l'avait pensé Ottfried Müller, une figure purement pélasgique, elle confirme les traditions mythologiques sur le caractère phénicien de ce héros. Jusqu'aux derniers soupirs du paganisme, la religion de Thèbes conserva l'empreinte profonde et ineffaçable de ses instituteurs chananéens, et non seulement Cadmus, mais encore d'autres personnages de sa race, s'offrent dans les auteurs avec des noms qui, malgré la tendance des Grecs à altérer les appellations étrangères, ont encore une physionomie entièrement asiatique.

Reste la question de la situation de Thèbes qui ne convient pas à un établissement commercial. Mais, d'après les traditions grecques et d'après l'ensemble des faits auxquels elle se rattache, était-ce bien là la nature de la colonie cadméenne ? Pour en comprendre complètement le caractère, il nous faut jeter un coup d'œil sur l'ensemble des établissements phéniciens de la Grèce et sur les différentes phases de leur histoire.

 

IV

La route que nous avons vu suivre à Cadmus dans les mythes relatifs à ce héros est exactement celle que les navigateurs phéniciens suivirent, remontant toujours vers le nord dans les mers de la Grèce, et poussant à chaque fois leurs établissements plus avant.

D'abord Chypre et la Crète furent occupées ; une population phénicienne assez compacte s'établit sur plusieurs points de ces deux îles, où elle trouva des indigènes appartenant à cette race mystérieuse des Kaphtorim, qui paraît correspondre aux Etéo-Crétois des Grecs et dont ne différaient peut-être pas beaucoup les Cariens[92], race que la Bible indique comme issue du sang de Cham et provenant de la Libye, qui parlait peut-être — certains indices le feraient conjecturer — un idiome ayant quelque analogie avec celui des Chananéens, et dans tous les cas possédait les premiers germes d'une civilisation analogue à celle de ces derniers[93].

Partant ensuite de là pour étendre leurs domaines et leurs comptoirs, les enfants de Chanaan pénétrèrent dans la mer Égée et sur les côtes de la Grèce. Les premiers points où ils fixèrent des établissements dans cette région furent Rhodes, Théra, Mélos et Cythère.

Rhodes, par sa situation, était appelée à être colonisée la première. Elle dut même l'être en même temps que la Crète, et ce fut avec cette autre ile la première station sur la route de la Grèce à l'entrée de la mer Égée. La population primitive était de race japhétique, probablement apparentée de près aux nations de l'Asie-Mineure, et nous la voyons figurer dans le tableau ethnologique du chapitre X de la Genèse comme constituant un rameau particulier sous le nom de Rodanim[94]. Dans la tradition grecque, cette population est autochtone, et ses princes sont dits de la famille des Héliades[95]. Conon rapporte que cette dynastie fut renversée par les Phéniciens, qui occupèrent l'île pendant un certain temps et furent chassés par les Cariens, lesquels, à leur tour, se virent expulsés par les Doriens, fondateurs de Lindus, Ialysus et Camirus. D'après deux écrivains rhodiens de date inconnue, Ergias et Polyzélus, cités par Athénée[96], les Phéniciens n'auraient pas été complètement chassés par les Cariéns, et lorsque les Doriens conduits par Iphiclus arrivèrent dans l'île, ils auraient trouvé dans les citadelles de Camirus et d'Ialysus une population chananéenne, gouvernée par un prince du nom de Phalas, qu'ils ne purent réduire qu'après un long siège et au moyen d'un stratagème raconté par Ergias[97]. Ce qui donne une grande autorité à ce rapport est que le nom de Phalas, ainsi que celui de Darcas ou Dorcia, assignés dans les mêmes récits, tantôt à un serviteur, tantôt à la fille du roi phénicien, sont tous les deux purement sémitiques et, par conséquent, conservés par une tradition exacte. Le premier se retrouve sous la forme Phellès dans le canon des rois de Tyr[98], à une place qui correspond à l'an 898 avant notre ère, et on y reconnaît facilement Phalou ou Palou, eximius, singularis[99] ; quant au second, ce doit être, ainsi que l'a justement conjecturé M. Movers[100], l'appellation de Darqôn, laquelle figure au livre d'Esdras (II, 56) dans la liste des compagnons de Zorobabel.

Nous avons vu dans notre § Ier, en analysant le mythe de Cadmus, qu'après la Crète, la première station du héros phénicien est indiquée à Rhodes. Zénon, cité par Diodore (V, 56), raconte avoir vu des inscriptions cadméennes dans le temple d'Athéné à Lindus, et le même écrivain ajoute que, dans la population d'Ialysus, l'élément phénicien, mêlé à l'élément grec, avait toujours gardé une part assez forte[101].

Des monuments matériels et dont le témoignage est irrécusable viennent aujourd'hui confirmer ces traditions, qui se présentent à nous, tantôt sous une forme réellement historique, tantôt sous le voile des mythes religieux. Nous voulons parler des curieux tombeaux fouillés depuis quelques années par M. Saltzmann dans la nécropole antique de Camirus[102], l'une des cités où, d'après Ergias et Polyzélus, les Phéniciens étaient demeurés jusqu'à l'invasion dorienne. De ces tombeaux, les plus anciens contenaient des objets purement phéniciens et reconnus comme tels par les juges les plus compétents, des bijoux d'or et des coupes d'argent exactement du même style que les fameuses coupes trouvées dans les tombeaux de Cæré et que les coupes rapportées de Chypre au Musée du Louvre par M. de Saulcy[103], puis des vases analogues à ceux que l'on découvre dans certaines îles de l'Archipel et sur lesquels nous reviendrons dans un instant. A côté, d'autres tombeaux de date un peu plus récente renfermaient des objets encore imités des arts asiatiques, mais où le goût grec se faisait déjà nettement sentir, des vases d'un style asiatico-dorien presque pareils à ceux que l'on découvre en si grand nombre à Corinthe et- où sur quelques-uns apparaissaient des inscriptions grecques. Ainsi ressortait des fouilles de M. Saltzmann la pleine confirmation des deux faits affirmés par les historiens rhodiens que cite Athénée, la présence des Phéniciens à Rhodes à une époque fort ancienne et le maintien de leur domination dans certaines villes, comme Camirus, jusqu'à l'arrivée des conquérants de race hellénique, malgré l'invasion carienne qui avait eu lieu dans l'intervalle.

Cet exemple suffit pour montrer l'importance de l'étude des traces monumentales qui ont pu être préservées jusqu'à nous, dans la question qui nous occupe. Plusieurs fois encore nous allons avoir occasion de recourir à des faits de la même nature pour confirmer lé témoignage des auteurs. Malheureusement nous ne pourrons en citer qu'un petit nombre, tandis qu'il en existe beaucoup, nous en avons la conviction ; mais parmi les traces monumentales qui subsistent encore sur le sol classique de la Grèce, celles-ci ont été jusqu'à présent presque entièrement négligées. Les faits que nous rassemblerons dans notre travail sont surtout à nos yeux des pierres d'attente destinées à attirer l'attention des voyageurs futurs sur les classes de monuments que nous nous efforcerons de signaler à leurs recherches.

 

V

A l'occupation de la Crète et de Rhodes, l'inspection de la carte montre que dut succéder immédiatement celle de Théra.

Dans le cycle des fables cadméennes, le héros y arrive à la recherche de sa sœur après avoir quitté Rhodes, et il y laisse une partie de ses compagnons[104] sous la conduite de Membliaros, fils de Pœcilès[105]. Un autre récit ajoute à ce fait la construction de deux autels par Cadmus dans l'île de Théra, l'un à Neptune et l'autre à Minerve[106]. Voilà pour ce qui est des traditions passées dans le domaine de la mythologie. Les souvenirs purement historiques sont d'accord et complètent les indications. Ainsi les chronographes enregistrent à l'an 1415 avant Jésus-Christ la fondation de Calliste (c'est le nom grec de cette île antérieur à celui de Théra) par les Phéniciens[107].

Les fils de Chanaan n'étaient pas les premiers habitants de cette île ; ils avaient été précédés par une autre population dont on a retrouvé les vestiges sous l'épaisse couche de tuf ponceux qui recouvre toute la surface de l'île de Santorin[108]. Nous ignorons absolument à quelle race appartenait cette population primitive, mais il serait permis de conjecturer qu'elle devait être de ce rameau japhétique que la Genèse (X, 4) désigne par le nom Kittim, rameau qui comprend tous les aborigènes des îles de l'Archipel[109] figurés sur les sculptures du palais de Médinet-Abou dans leur lutte avec l'Égypte, sous le règne de Ramsès III. Tout ce que nous en savons, d'après les récentes découvertes, est que les premiers habitants de Théra, bien que n'ayant encore qu'un usage imparfait des métaux et employant principalement des instruments de pierre, avaient cependant atteint un certain degré de civilisation. Ils connaissaient l'art du potier et fabriquaient de grands vases fort grossiers en terre blanchâtre ; leurs instruments de métal étaient en cuivre pur. Ils bâtissaient des maisons de pierre, couvertes avec des poutres d'olivier sauvage. Ils cultivaient l'orge, l'épeautre et le pois chiche ; ils avaient des troupeaux et employaient leur lait à faire des fromages. Le chien était dans leurs demeures à l'état domestique. Enfin ils recevaient des produits étrangers, entre autres des vases d'argile, par un commerce maritime. Mais cette population d'aborigènes paraît avoir été anéantie par un cataclysme terrible, l'effondrement de la partie centrale du volcan primitif de Théra, antérieurement à la venue des Phéniciens.

Quelques mots rapides sur l'histoire physique du volcan de Santorin sont ici nécessaires à l'occasion de ce cataclysme.

Longtemps avant toute histoire, quand cette grande chaîne de volcans qui, depuis l'Auvergne et le Vivarais, se prolonge le long des Apennins à travers toute l'Europe méridionale et la Méditerranée, brûlait en pleine activité, un cône volcanique sortit des eaux au midi de la mer Égée, soulevant sur son flanc méridional un énorme rocher de calcaire métamorphisé qui constitue aujourd'hui le mont Saint-Élie, le plus haut sommet de Santorin. La bouche de ce cône n'était pas au point même où s'exerce aujourd'hui la poussée principale de l'action volcanique, qui a produit les trois Kammènes, et donne encore naissance à l'éruption actuelle ; elle a changé de place, comme au Vésuve ; elle était plus au nord qu'aujourd'hui, entre l'île actuelle de Thérasia et l'anse de Mousacha dans l'île de Santorin. Le volcan primitif vomit d'abord des masses considérables de laves et de cendres, dont les couches, en se répandant autour de son orifice, se superposaient régulièrement les unes sur les autres, et il forma ainsi une grande He circulaire, dont la périphérie s'élevait en pente douce au-dessus de la mer et montait vers le cratère, constituant une sorte de dôme haut d'environ 700 mètres. Sa dernière période d'activité fut marquée par une pluie monstrueuse de pierres ponces de toutes les grosseurs, qui recouvrit toute la surface de l'île, même les portions du terrain calcaire, d'une couche blanchâtre dont l'épaisseur varie de 7 à 30 mètres.

Mais il est évident qu'à chaque éruption, à chaque poussée nouvelle des forces souterraines, non seulement de nouvelles couches de lave venaient se superposer aux couches antérieurement vomies par le cratère, mais la masse même du cône se soulevait à une plus grande hauteur au-dessus des flots. Un jour vint où le relèvement des couches atteignit son maximum d'excès, où le progrès du soulèvement laissa sous la partie centrale du cône des cavités qui n'étaient plus en rapport avec la masse qu'elles avaient à supporter. Alors un mouvement inévitable de bascule et de déchirement se produisit. Le sommet du cône s'effondra dans une catastrophe subite, entraînant avec lui dans l'abîme tout le centre de l'île, et ne laissant plus, autour d'un gouffre de 2.000 pieds de profondeur, que des rebords ébréchés, tels qu'on les voit aujourd'hui. Du côté de l'orient, et sur les deux tiers de la circonférence, s'étend l'île principale appelée Théra dans l'antiquité et Santorin aujourd'hui, qui a la forme d'un grand croissant ; au nord-ouest est l'île de Thérasia ; au sud-ouest et entre les deux, l'îlot d'Aspronisi. En même temps que le centre du cône primitif s'effondrait, la mer se précipita dans l'abîme que laissait cet écroulement et qu'elle remplit désormais.

Ce n'est point là une conjecture téméraire sur les révolutions primitives de l'île ; les traces de la catastrophe sont aussi fraîches et aussi visibles sur les flancs du cratère qu'on aurait pu les voir au lendemain du jour où elle se produisit. Que du centre du bassin de la rade de Santorin on regarde cette déchirure circulaire, ces falaises de Thérasia, de Théra et d'Aspronisi dont l'escarpement perpendiculaire semble une coupe faite à plaisir pour l'instruction des géologues, et l'on reconnaîtra des deux côtés, dans les flancs déchirés de ces îles, une entière symétrie de couches horizontales de diverses couleurs, rouges, grises, verdâtres, noires, jaunâtres et blanches, où la lave et les rapilli se superposent en alternant, et qui se correspondent aux mêmes hauteurs dans un ordre semblable. On ne peut douter, en voyant ainsi à nu ces stratifications régulières, qu'elles n'aient formé une seule île dans l'origine.

Le cataclysme géologique que je viens de décrire, et que M. Fouqué fait remonter entre 2000 et 1800 ans avant J.-C., trouva l'île habitée par les aborigènes. Les restes de leurs demeures ont été trouvés sous les déjections de la dernière période d'activité du volcan primitif. On a pu constater d'une manière certaine que ces demeures avaient été surprises et écrasées, comme celles de Pompéi et d'Herculanum, sous la pluie de cendres et de ponces de l'éruption gigantesque qui précéda de peu l'effondrement du cône, et peut-être le détermina. La pioche des fouilleurs a même rencontré les squelettes d'habitants qui avaient été étouffés par les matières volcaniques sans avoir pu fuir le danger. Il n'est pas probable que la population ait pu survivre, même en partie, à une convulsion aussi formidable de la nature. Mais l'île se repeupla bientôt par des gens de même race que ses premiers habitants, car on retrouve au-dessus de la couche de tuf ponceux produite par la grande éruption finale des débris identiques à ceux qui se rencontrent au-dessous, avec les mêmes poteries et les mêmes outils de pierre. C'est au milieu de cette seconde population que s'établirent les Phéniciens. Grâce à la supériorité de leur civilisation, ils paraissent l'avoir complètement absorbée.

Pausanias (III, 1, 7 et 8) atteste que 110 ans après la guerre de Troie, lorsque Théras, fils d'Autésion, qui se faisait remonter à la race des Cadméens de Thèbes, conduisit une colonie lacédémonienne et minyenne dans l'île à laquelle il donna son nom[110], la population y était toute phénicienne, et que c'était même à cause de cette communauté de race que les derniers descendants de princes Sidoniens de la Béotie l'avaient choisie comme lieu d'établissement. Les auteurs anciens nous signalent dans l'île de Théra une très-ancienne industrie dont l'origine orientale est évidente. C'est celle des broderies, représentant des animaux et d'autres figures que l'on appelait théréennes, selon les uns à cause du lieu où on les fabriquait, selon les autres à cause des sujets qu'elles représentaient[111]. Il est probable que le nom de Pœcilès, attribué au père de Membliaros, le chef de la colonie phénicienne de Théra, fait allusion à l'introduction de cette industrie.

Trois siècles seulement avant Jésus-Christ, le héros Phœnix, personnification des Phéniciens, était l'objet d'un culte à Théra[112].

L'île de Mélos est située un peu en arrière de Théra. L'établissement d'une colonie phénicienne dans cette île est attesté par Festus[113] et placé par les chronographes à la même date que celui de la colonie de Théra[114]. Étienne de Byzance[115] en attribue la fondation aux gens de Byblos et rapporte que l'île fut d'abord appelée elle-même Byblos, d'après la patrie de ses premiers colons. Étendue et d'une réelle importance comme poste pour commander la mer, même pour ceux qui possédaient déjà Théra, cette île fournissait de plus des produits naturels qui avaient dû faire attacher un intérêt considérable à sa possession par un peuple aussi essentiellement commerçant que les Phéniciens. Le soufre de Mélos, encore exploité de nos jours, était le meilleur avec celui de Lipara[116] ; l'alun de cette île le cédait à peine à celui d'Égypte[117]. Enfin on tirait de là un autre produit minéral fort recherché sur les marchés, que l'on appelait terre de Mélos[118]. Les naturalistes anciens rapportent que l'on s'en servait pour s'épiler le corps, pour faire passer les dartres, et que, contenant une assez forte quantité d'alun, elle était employée par les peintres pour donner plus de fixité à leurs couleurs. Au rapport de Thucydide, 700 ans environ avant sa prise par les Athéniens dans la guerre du Péloponnèse, Mélos fut occupée, comme Rhodes et Théra, par les Doriens, qui y trouvèrent encore les Phéniciens et les en expulsèrent[119].

Ainsi que nous l'avons fait tout à l'heure pour Rhodes, nous demanderons maintenant aux monuments la confirmation de ce que les auteurs disent sur l'établissement des Phéniciens à Théra et à Mélos. La mission que j'ai remplie en 1866 à Santorin avec la commission scientifique envoyée pour étudier la dernière éruption m'a mis à même de rechercher plus attentivement et plus complètement qu'on n'avait pu le faire jusqu'alors les vestiges de l'occupation chananéenne dans l'antique Théra. Ils sont nombreux, plus même qu'on n'aurait pu s'y attendre, et je dois maintenant les passer en revue.

En première ligne, il faut citer les importants tombeaux de la nécropole du cap Couloumbos, au nord-ouest de l'île[120]. Ces tombeaux, voisins du village au nom bien significatif de Φοίνικα, sont sans ornements architectoniques à l'extérieur. Ils se composent tous d'une chambre assez développée, de forme carrée ou rectangulaire, dans la paroi du fond de laquelle on voit une série d'ouvertures cintrées par où les corps étaient introduits dans des fours à cercueils. Des tombeaux de la même disposition se retrouvent à Milo et, comme nous le verrons plus loin, à Cimolos et à Anaphé, deux îles dont l'occupation primitive par les Phéniciens est certaine ; mais on en chercherait vainement des exemples dans le reste de la Grèce. Ce n'est donc pas trop s'avancer que d'attribuer les tombeaux du cap Couloumbos aux fils de Chanaan, et d'y voir des monuments de ces premiers dominateurs de Calliste. Et la conclusion devient encore plus nécessaire et certaine, si, le mètre à la main, on remarque que toutes les proportions de ces tombeaux ont pour base la coudée phénicienne. Je n'en citerai qu'un seul exemple. Les fours à cercueils y ont constamment 2m10 de long sur un 1m 05 de large et 4m 57 de haut, c'est-à-dire quatre, deux et trois coudées phéniciennes. Les tombeaux du cap Couloumbos sont creusés dans la couche même du tuf ponceux sous laquelle ont été trouvées les ruines des habitations des aborigènes primitifs, et à la surface de laquelle se rencontrent toujours les autres vestiges du séjour des Phéniciens dont je vais parler[121]. Ainsi se confirme et se démontre ce que j'avançais tout à l'heure, que le cataclysme de l'effondrement du volcan originaire, qui avait dû détruire les premiers habitants, avait été antérieur à la venue des Phéniciens, et que ceux-ci avaient trouvé l'île dans l'état même où nous la voyons aujourd'hui.

J'ai vu à Athènes, dans la riche collection d'empreintes de pierres gravées formée par M. Papadopoulos, l'empreinte de deux beaux scarabées phéniciens découverts à Milo. Le premier[122], possédé par M. Schaubert, est en jaspe rouge, et représente une divinité virile debout sur un lion, avec une sorte de lion cornu devant elle. Le second[123], de la collection du même amateur, est en porcelaine bleue semblable à celle d'Égypte ; on y voit sous le plat un dieu ou un roi en costume égyptien, coiffé du schent et tenant à la main le sceptre à tête de cucupha, et, en face de lui, un uræus colossal aussi grand que la fignre humaine, la tête surmontée du disque solaire. Le travail de ces deux monuments est absolument identique à celui des pierres gravées qui viennent maintenant en si grand nombre de la côte de Phénicie ou des nécropoles phéniciennes de la Sardaigne. Je n'ai pas été assez heureux pour rencontrer aucun objet du même genre pendant mon séjour à Santorin, mais les habitants m'ont affirmé qu'on en découvrait quelquefois.

C'est encore à la domination phénicienne que je rapporte certaines figurines en marbre ou en terre cuite, d'un travail aussi grossier et d'un aspect aussi étrange que les idoles sardes, retraçant l'image de la Vénus asiatique, nue et les bras croisés, telle que nous la trouvons aussi dans la Phénicie, dans l'Aramée et à Babylone[124]. Mais je reviendrai plus loin, avec d'amples détails, dans mon § VII, sur ces curieuses statuettes qui se rencontrent beaucoup plus fréquemment dans les Cyclades qu'à Théra, car j'en ai apporté à Paris les premiers échantillons connus pour provenir de cette dernière île.

Il me reste à parler maintenant de ces vases extrêmement antiques que l'on trouve en grand nombre dans les îles de l'Archipel, particulièrement à Santorin et à Milo[125], dont on rencontre aussi quelques exemplaires isolés à Égine[126], à Athènes[127], à Mycènes[128] et dans certaines autres localités, mais dont la fabrique paraît avoir été concentrée à Théra et à Mélos. L'ancienneté de ces vases dépasse celle de tous les autres monuments fournis par le sol de la Grèce, à part les enceintes de Mycènes et de Tirynthe, les restes des murs de la Cadmée à Thèbes et des fortifications pélasgiques de l'Acropole d'Athènes. A Santorin, on les trouve dans les tombes les plus anciennes, et j'en ai recueilli moi-même des fragments dans la nécropole du cap Couloumbos[129].

A Athènes, Burgon a découvert des vases de cette espèce dans des sépultures placées sur le flanc méridional de l'Acropole[130], et datant, par conséquent, de l'époque où la ville était bornée au sommet de la citadelle de Cécrops. D'autres fouilles en ont mis au jour dans le centre des tumuli de la Troade[131]. La présence des monuments de cette espèce à Mycènes n'indique pas une date moins élevée. Enfin quelques fragments de poteries semblables, qui de la collection de Raoul Rochette ont passé entre mes mains, se sont rencontrés à Cumes, notablement au-dessous de la couche des tombeaux de l'âge hellénique[132].

La distinction de cette fabrique céramique d'avec celle des plus anciens vases peints d'un art réellement hellénique, tels que ceux de Corinthe et de ses colonies, de Mégare[133], d'Égine, etc., n'a jusqu'à présent été établie nulle part d'une manière absolument nette[134]. Cependant elle est facile à faire, et, par tous les caractères de la nature de la pâte, des formes et du système d'ornementation, les vases primitifs manufacturés à Mélos et à Théra diffèrent autant des vases grecs archaïques que ceux-ci des vases postérieurs. La pâte des poteries dont nous voulons parler est d'une couleur gris jaunâtre, d'une densité et d'une dureté peu éloignée de celle du grès cérame. Mon compagnon de voyage à Santorin, M. Fouqué, l'un de nos plus habiles chimistes, qui a bien voulu à ma demande en analyser quelques fragments, a reconnu qu'elle était le produit d'une combinaison d'argile avec la pouzzolane blanche ou tuf ponceux qui recouvre toute la surface de l'île de Santorin[135]. D'autres fragments, provenant de Milo, présentent une texture et un aspect un peu différents, qui tiennent à la nature particulière des argiles modifiées par des accidents volcaniques qui ont été employées à en former la pâte et qui ne se rencontrent que dans cette île. Dans les vases du même style découverts à Athènes, dans les fragments fournis par le sol de Mycènes, la pâte est toujours de l'une des deux espèces que je viens d'indiquer, preuve irréfragable que sur ces points du continent hellénique les poteries qui nous occupent n'étaient pas le produit d'une fabrication locale, mais avaient été apportées par le commerce maritime des deux îles de l'Archipel habitées par les Phéniciens. La pâte des vases de Corinthe, d'Égine, de Mégare est, au contraire, fine et d'un jaune rougeâtre, comme la donnent les marnes argileuses des terrains tertiaires répandues dans toutes les parties de la Grèce[136].

Bien que les vases de Mélos et de Théra soient encore peu multipliés dans les collections de l'Europe, on en connaît déjà de propres à tous les usages pour lesquels on employait la poterie ; on y retrouve l'amphore, le pithos, l'œnochoé, la cylix, le scyphos, le Cratère, mais toujours avec des formes entièrement différentes de celles qu'ont employées les artistes grecs, même dans le style archaïque. Brongniart a réuni un certain nombre de ces formes dans la planche XIII de la Description du Musée céramique de Sèvres, et M. Birch en a donné quelques autres dans les vignettes de son ouvrage sur l'histoire de la poterie antique.

Les poteries primitives dont je parle se distinguent par un système d'ornementation fort particulier. La disposition et la nature des sujets, le principe des ornements les plus habituels, enfin le choix des couleurs, diffèrent absolument de ce qu'on voit sur les vases archaïques dont Corinthe a fourni les plus beaux spécimens. Les fonds sont généralement d'un blanc jaunâtre, et les peintures presque toujours rouges ou brunes ; le noir et le violet, qui sont les couleurs fondamentales des décorations des vases de Corinthe, ne se voient qu'extrêmement rarement sur ceux des îles phéniciennes, et presque toujours y sont les indices d'une fabrication que l'on ne doit pas considérer comme la plus ancienne. Les ornements constants sont des lignes horizontales, des chevrons, des zigzags, des enroulements pareils à ceux qu'on voit à la Giganteja du Gozzo[137], dans la mosaïque du temple de Vénus à Paphos[138], dans les fragments de la porte du trésor d'Atrée à Mycènes[139] et sur les tombeaux des anciens rois phrygiens[140], des séries de cercles concentriques, des lignes spirales, des méandres, des damiers, des étoiles, des roues à quatre rayons. Les figures sont disposées, soit dans des compartiments en forme de métopes, séparés, au lieu de triglyphes, par des diglyphes, soit en frises placées l'une au-dessus de l'autre. Ce sont presque toujours des animaux, dont quelques-uns appartiennent à la faune orientale et ne se sont jamais trouvés en Grèce ; nous avons noté sur les vases de cette catégorie le cheval[141], la chèvre[142], le sanglier[143], le rhinocéros[144], le lion[145], l'ibis[146], la poule d'eau[147], le cygne[148] et le dauphin[149]. Tous ces animaux sont représentés avec un style étrange, une raideur extraordinaire d'attitudes, des proportions étroites et d'une longueur exagérée, enfin une absence complète de détails anatomiques. Les êtres réels sont quelquefois, particulièrement sur les vases en formes de cylix ou de scyphos provenant de Milo, remplacés par des monstres fantastiques, comme le sphinx ailé[150] des religions asiatiques[151]. Quant à la figure humaine, elle est d'une excessive rareté sur les poteries de cette catégorie. Parmi celles qui proviennent de Santorin, on ne trouve de représentations de ce genre que sur des vases qui n'appartiennent déjà plus à la première époque purement phénicienne, comme le pithos d'où M. Gerhard a tiré la peinture expliquée par lui comme représentant la Diane Persique[152]. Sur les poteries de Mélos la représentation de la figure humaine semble avoir apparu, mais comme une rare exception, à une date plus antique que sur les poteries de Théra. Entre autres exemples, nous citerons celui d'un précieux scyphos de la collection de M. Comnos, à Athènes, antérieurement chez M. Orphanidis, qui représente une procession de femmes ailées portant des couronnes[153].

Ces figures ailées sont très-multipliées sur les vases de Corinthe et des fabriques analogues. Mais le style est tout différent. Tandis que les peintures des poteries de Théra et de Mélos sont les produits incontestables d'un art oriental, celles des poteries de Corinthe ont été évidemment exécutées par des artistes grecs imitateurs des Orientaux, et on y sent toujours, même dans celles qui ont l'aspect le plus asiatique, la trace d'un faire particulier qui les distingue des premières tout autant que les peintures de Cimabue se distinguent de celles de ses maîtres byzantins. De plus, si on rencontre quelquefois dans le champ des vases de Mélos et de Théra, derrière les figures, des astres et des symboles en forme d'ailes de moulin, on n'y voit jamais ce semis serré de fleurs et de rosaces qui constitue un des caractères principaux de la fabrique corinthienne et des fabriques analogues. Sous ce rapport même, le principe d'ornementation des deux classes de monuments céramographiques que nous comparons est si absolument différent que l'une n'est certainement pas la copie de l'autre. Et, selon l'ingénieuse observation de M. Birch[154], la décoration des vases de Corinthe est beaucoup plutôt imitée de broderies ou d'étoffes brochées, apportées de l'Asie par le commerce, que des plus anciens produits de la céramique des îles de l'Archipel.

Les caractères spéciaux de la sorte de poterie que nous avons cherché à définir étant une fois bien établis, son origine asiatique et phénicienne nous parait incontestable. Il suffit pour s'en convaincre de regarder le style des figures et des ornements de ces vases. La découverte que j'ai faite de fragments qui en proviennent dans la nécropole du cap Couloumbos est aussi une preuve irréfragable, car toutes les tombes de cette nécropole sont du même type, incontestablement chananéen comme je l'ai &montré tout à l'heure, et on n'y a point jusqu'à présent rencontré de vestiges de sépultures de l'âge hellénique.

Il faut remarquer, en outre, qu'on a trouvé des vases d'une fabrique différente, à la pâte composée d'une autre argile, mais avec da peintures toutes semblables sur deux points où les Phéniciens ont été longtemps les maîtres, à Rhodes[155] et à Chypre[156]. M. le marquis de Lagoy en possédait un Jans Ba collection, découvert à Calés, près de Lamanon (département des Bouches-du-Rhône), dans des grottes sépulcrales dont l'aspect rappelle d'une manière frappante les tombeaux des côtes de la Phénicie, et nous-même, dans ces grottes, nous en avons ramassé un fragment que nous avons déposé dans la collection du Cabinet des Médailles. Enfin, ce qui est bien plus important, l'Asie a maintenant fourni son contingent de poteries absolument pareilles à celles de Mélos et de Théra. Tel est un vase rapporté d'Assyrie par M. Victor Place et donné par lui au musée du Louvre[157] ; teks sont des fragments recueillis par M. de Saulcy dans la Moabitide et offerts par lui au même musée[158].

Dans les peintures du célèbre tombeau dit de Hoskins à Qournah, reproduites à la fin du tome Ier des Manners and systems of ancients Egyptians de Wilkinson, on voit les habitants du pays de Kéfa apportant les produits manufacturés de leur patrie en tribut au pharaon Toutmès III, et l'on sait aujourd'hui positivement, par la version grecque du Décret de Canope, que Kefa ou Kef-t est le nom égyptien de la Phénicie. Or, parmi les objets que les gens de ce pays offrent au monarque thébain, à côté de magnifiques vases de métal travaillé au marteau, nous voyons des poteries peintes à décors bruns. Par leurs formes et par le dessin de leurs ornements[159], ces poteries sont absolument identiques aux vases les plus fins que l'on découvre dans les habitations enfouies à Santorin et à Thérasia sous le tuf ponceux, et qui se distinguent dès le premier coup d'œil des céramiques réellement indigènes des mêmes habitations, lesquelles rappellent par leur grossièreté les vases des dolmens et des villages lacustres de l'Occident. La pureté de l'argile, aussi bien que l'élégance des formes et la finesse de la pâte, atteste l'origine étrangère de celles parmi les poteries trouvées sous les déjections du volcan primitif de Théra, qui reproduisent trait pour trait les vases d'argile placés entre les mains des Phéniciens du tombeau de Qournah. Il est donc évident qu'un commerce maritime-déjà actif les apportait de la côte d'Asie aux aborigènes de Calliste avant le grand cataclysme qui engloutit la majeure partie de l'île. Quand elle se fut repeuplée graduellement, le même commerce continua, fournissant aux nouveaux habitants des poteries semblables, car M. Fougue en a trouvé à la surface du tuf ponceux dans plusieurs endroits de Santorin. Ces poteries importées de Phénicie par mer servirent de modèles à celles que l'on fabriqua plus tard dans le pays même et dont nous venons de parler longuement[160].

Ces dernières n'ont sans doute pas commencé avant l'établissement des Phéniciens à demeure dans l'île. D'un autre côté, il est certain que la fabrication dut continuer, en se perfectionnant d'une manière graduelle, après l'arrivée des Doriens. En effet, dans les deux grandes nécropoles de Mésa-Vouno et d'Exomyti, à Santorin, on a trouvé des vases de style primitif et de la façon la plus ancienne en ce genre, dans les tombeaux doriens des huitième et neuvième siècles avant notre ère, dont les inscriptions ont fait connaître le plus ancien type de l'écriture grecque, le plus voisin de l'origine phénicienne[161].

Mais, commencée par les colons de la race de Chanaan, la fabrication de ces vases conserva, même alors, son caractère propre, bien distinct de ce qui se faisait dans le reste de la Grèce, et marque incontestable de son origine. Ainsi, qu'ils soient du temps où les Phéniciens étaient seuls maîtres à Mélos et à Théra, ou bien d'une date un peu postérieure, les vases dont je viens de dire en passant quelques mots fournissent une précieuse confirmation de ce que rapportent les auteurs au sujet de l'occupation primitive de ces îles par les Phéniciens à une époque extrêmement reculée.

 

VI

Mais un établissement des Phéniciens, bien plus important encore que ceux de Théra et de Mélos, et remontant à la même date, fut celui de Cythère. Située à l'entrée du golfe de Laconie, éloignée du continent de 40 stades seulement, Cythère commandait tout le littoral de la côte, et l'occupation militaire de cette position suffisait à protéger toutes les opérations commerciales que les négociants de la Phénicie venaient faire avec les habitants de cette partie de la Grèce. De plus, l'île de Cythère est située sur la route maritime qui conduit des ports de la Phénicie, en longeant les Cyclades, vers la partie occidentale de la Méditerranée. Maître de cette île, on commande absolument la route. Son port dans l'antiquité passait pour sûr et étendu ; enfin c'était encore, au temps de Thucydide, la dernière station des navires qui se dirigeaient en suivant les côtes pour aller en Sicile, avant d'être obligés de s'élever en pleine mer afin de gagner cette dernière contrée[162].

Voilà pour ce qui est de l'importance de Cythère comme position stratégique sur la mer[163]. Quant à ce qui regarde les articles d'exportation que l'on pouvait tirer de cette île, il faut se souvenir que de très-bonne heure la pêche du murex sur les côtes de la Phénicie même avait cessé de suffire au commerce des villes chananéennes et aux demandes qu'on leur faisait de partout de vêtements teints en pourpre, qu'alors pour alimenter l'industrie locale on avait été obligé de chercher ailleurs le murex[164] et d'apporter dans les côtes de la Phénicie, pour y être mise en œuvre, la pourpre des îles de la Grèce[165]. Or, nous savons par le rapport d'Aristote, cité dans Étienne de Byzance[166], que le coquillage de la pourpre se pêchait à Cythère en si grande quantité et y fournissait une si belle couleur que l'île avait reçu, à une certaine époque, le nom de Porphyrussa ou ile de la pourpre. Les vestiges de ces pêcheries de pourpre se reconnaissent encore dans les énormes amas du coquillage du murex brandaris qui existent à Cérigo et sur la côte voisine de la Laconie, auprès de Gythium[167].

Toutes les circonstances que nous venons d'énumérer durent amener de très-bonne heure les Chananéens à fonder dans l'île de Cythère un établissement fixe. Ce fut là que le premier sanctuaire de l'Astarté phénicienne fut élevé sur les côtes de la Grèce[168], et de là que le culte de cette divinité se répandit dans tout le pays. Aussi les deux plus anciens poètes grecs placent-ils à Cythère le centre et le point originaire du culte de Vénus ; Hésiode y fait naître cette déesse, et ne la représente que comme passant plus tard de cette île à Paphos[169], tradition que Diodore a enregistrée avec des détails empruntés à des auteurs aujourd'hui perdus[170]. Homère, à plusieurs reprises, donne à Vénus le surnom de Κυθέρεια[171], qu'après lui la plupart des poètes ont répété.

Le nom de Cythère, qui n'a aucune signification en grec, semble lui-même un monument du séjour des Phéniciens. Étienne de Byzance[172] dit qu'il vient de Cythérus, fils de Phœnix ; mais ce sont là deux de ces personnifications de peuples comme on en rencontre tant dans les traditions relatives aux établissements phéniciens. Ce qui est probable, c'est que Cythère dérive de l'une ou de l'autre des deux racines, sans doute originairement identiques, kathar ou qatar, qui toutes deux rendent les idées d'enveloppement et de lien, et dont la seconde a produit Qitrôn, nom d'une ville du territoire de Zébulon[173]. Quant au petit îlot de Cothen, à côté de Cythère, son nom est encore purement phénicien, qaton, le petit[174]. C'est le même que celui d'un des ports de Carthage.

Nous ignorons s'il existe actuellement à Cérigo, l'antique Cythère, des traces monumentales du séjour des Phéniciens[175]. Mais dans la petite île de Cerigotto, l'ancienne Ægilia[176], qui semble avoir été presque déserte aux temps helléniques comme aujourd'hui, nous avons remarqué les ruines cyclopéennes d'une ville de quelque importance, où l'on distingue encore jusqu'aux maisons. Le rapport qu'offre la Construction de ces maisons avec celle des édifices ruraux antiques dont les débris se rencontrent fréquemment en Phénicie[177], et cette circonstance que la ville était plus importante que n'a dû l'être la population d'Ægilia à l'époque grecque, nous font supposer que les monuments de cette île sont contemporains du séjour des Phéniciens. Nous nous bornons, du reste, à les signaler sommairement à l'attention des voyageurs futurs, n'ayant pu qu'y toucher un instant en passant, sur les indications d'un savant médecin ionien, M. Stamatélos Pylarinos de Céphalonie, qui demeura de 1851 à 1853 sur cette île où l'administration anglaise l'avait déporté.

L'occupation de Cerigotto par les Phéniciens n'a, d'ailleurs, rien que de fort naturel. Cette lie forme uns station qui ne manque pas d'importance, à moitié chemin entre la Crète et Cythère, et elle renferme un port bon et sûr, principalement pour les bâtiments d'un faible tonnage, comme étaient les vaisseaux des anciens.

 

VII

Après s'être solidement installés dans les trois îles de Théra, de Mélos et de Cythère, les enfants de Chanaan pénétrèrent dans l'Archipel, où Thucydide nous apprend formellement qu'ils occupèrent presque toutes les îles[178]. Malheureusement nous manquons de détails sur les lieux où ils y établirent des comptoirs ou des colonies ; mais, comme l'a judicieusement remarqué Movers[179], il est probable que les pêcheries de pourpre de Nisyrus, de Cos, de Gyarus et de la côte du Péloponnèse, et les mines de Siphnos[180] leur durent leurs premières exploitations, et que ce furent eux qui introduisent à Cos et à Armogos, comme à Théra, la fabrication des tissus bariolés et des broderies[181].

Leur établissement est indiqué d'une manière positive dans la petite île d'Oliaros, voisine de celle de Paros[182]. Movers[183] suppose, d'après cela, que ce furent les Phéniciens qui ouvrirent les carrières de marbre de cette île ; le fait est fort vraisemblable, et nous en citerons tout à l'heure une preuve. Mais Movers ajoute que c'est à des apports faits par le commerce chananéen que doit se rattacher la porte de marbre de Paros indiquée dans le labyrinthe d'Égypte[184]. Cependant on sait que le marbre, matière qui ne se rencontre nulle part en Égypte ou dans les contrées immédiatement limitrophes, n'apparaît dans les monuments de ce pays, et encore comme une rare exception, qu'au temps de Psammétique[185]. La porte de marbre du labyrinthe, si tant est qu'elle ait jamais existé, devait donc être une des additions faites à te monument sous la XXVIe dynastie, additions qui firent croie à Hérodote qu'il datait tout entier de cette époque[186]. Or, sous le règne de Psammétique et de ses successeurs, il est probable que les blocs de marbre apportés de Paros en Égypte l'étaient par les Ioniens ou les Cariens, et non par les Phéniciens.

Dans l'île d'Anaphé, voisine de Théra, nous rencontrons une tradition qui la fait coloniser par Membliaros, le chef de l'établissement phénicien de l'antique Callisté, et qui dit qu'elle s'appelait primitivement, d'après le nom de ce personnage, Membliaros ou Bliaros[187]. Ios, selon Pline (IV, 12), aurait porté dans les époques les plus anciennes le nom de Phœnicé, qui indique incontestablement la présence des Phéniciens. Enfin, si dans les traditions mythologiques locales nous cherchons quelques souvenirs d'histoire primitive, nous trouvons à Astypalée la nymphe qui porte le nom même de l'île, Astypalæa, donnée pour fille de Phœnix[188], et à Céos, comme roi, Aristée, gendre de Cadmus par sa fille Autonoé[189].

A Céos, nous nous trouvons déjà dans la partie septentrionale de l'Archipel. Tout à côté, dans l'antique Syros, Le Bas[190] a reconnu le site d'un établissement des Phéniciens que ne mentionne aucun auteur, à un lieu appelé encore aujourd'hui Φοίνικας. L'Odyssée nous montre, du reste, les navigateurs et les marchands phéniciens, même après la diminution de leur grande prépondérance dans les mers de la Grèce, abordant fréquemment à Syros pour y trafiquer[191]. A Φοίνικας, la conservation d'un nom tellement significatif au travers des siècles n'est pas le seul indice qui confirme l'opinion de Le Bas. En faisant ouvrir là quelques tombeaux qui paraissaient fort anciens, le savant académicien a constaté que les morts y avaient été placés la face tournée vers le couchant, et cette particularité des sépultures, contraire aux rites des autres peuples antiques, est attribuée formellement aux seuls Phéniciens par le scholiaste de Thucydide[192].

De semblables traces du séjour des enfants de Chanaan à Syros faut-il conclure, avec Bochart[193], dont Le Bas n'était pas éloigné de partager l'opinion, que le nom de cette île, fort difficile à expliquer en grec, dérive des langues orientales et d'un primitif schourah ou ascherah, heureuse, riche, nom qui n'aurait pas eu trait seulement à la situation privilégiée qui fait de Syros, encore de nos jours, l'entrepôt principal du commerce de l'Archipel, mais aussi à la fertilité du sol ? L'île n'a pas, en effet, été toujours ce rocher nu et stérile que nous voyons aujourd'hui. Voici comment la décrivent les poèmes homériques[194] : Il y a une île appelée Syrie, dont tu as entendu parler ; elle est au-dessus d'Ortygie, et c'est là qu'on voit les révolutions du soleil. Elle n'est pas très-grande, mais fertile, riche en troupeaux de bœufs et de brebis, féconde en vignes, et le froment y croît en abondance. La famine ne pénètre point chez ce peuple. C'est l'incurie des hommes pendant les siècles de barbarie, c'est le déboisement des montagnes, qui ont réduit à l'état où elle est maintenant, cette île, jadis si fertile, dont la description dans l'Odyssée serait de nature à justifier l'étymologie pro, posée pour son nom par Bochart.

Ce qui, du moins, semble bien probable, c'est la justesse de l'interprétation proposée par l'auteur du Chanaan pour les vers d'Homère :

Nσς τις Συρη κικλσκεται, ε που κοεις,

ρτυγης καθπερθεν, θι τροπα ελοιο.

L'expression τροπα ελοιο ne peut guère être entendue que comme se rapportant à un cadran indiquant les solstices, qu'auraient établi à Syros les Phéniciens, renommés par leurs connaissances d'astronomie, qu'ils tenaient probablement des Chaldéens et dont ils avaient si fréquemment besoin dans leurs expéditions lointaines. Ce monument, conservé sous la domination carienne et jusqu'aux temps homériques, aurait été perfectionné par Phérécyde, qui, d'après le témoignage d'Hésychius de Milet[195], n'aurait dû ses progrès dans les sciences qu'à la possession d'ouvrages mystérieux des Phéniciens[196].

L'ancienne habitation des Phéniciens n'a pas laissé moins de traces monumentales dans les Cyclades méridionales qu'à Mélos et à Théra.

J'ai publié dans la Revue archéologique[197] le plan et la coupe d'un tombeau de l'île de Cimolos, que sa disposition et ses mesures révèlent d'une manière indubitable comme d'origine phénicienne, aussi bien que ceux du cap Couloumbos à Santorin. Cimolos, malgré son peu d'étendue, n'avait pas dû être un point négligé des navigateurs marchands de Chanaan. Cette île se recommandait d'abord à eux par ses mines d'argent, encore exploitées au moyen âge, qui lui avaient valu des marins provençaux le nom de l'Argentière. Mais la principale célébrité de Cimolos, dans l'antiquité, venait d'une terre qui est particulière, et que les éléments qui la composent rendent propre à blanchir la laine[198]. Les foulons et les baigneurs de l'antiquité[199] en faisaient un fréquent usage, et les femmes de l'île s'en servent encore aujourd'hui en guise de savon[200]. La terre de Cimolos passait en outre pour avoir de précieuses qualités médicinales[201]. Les Phéniciens ne pouvaient avoir négligé un produit aussi précieux, et toutes les vraisemblances indiquent qu'ils avaient dû établir à Cimolos un comptoir pour son extraction et son exportation.

Des tombeaux pareils à celui que j'ai signalé à Cimolos, et également marqués du caractère phénicien le plus manifeste, existent encore à Anaphé[202], c'est-à-dire dans une île où nous avons vu tout à l'heure que les témoignages littéraires indiquaient une colonie de Chanaan.

Mais les vestiges les plus multipliés de l'occupation des Phéniciens dans les Cyclades méridionales sont ces figurines grossières de la Vénus Aschérah, nue, les bras croisés sous le sein, que l'on trouve fréquemment à Naxos, à Paros[203], à los, à Sicinos[204], à Anaphé[205], et même à Mélos et à Théra[206]. Le plus souvent la figure est simple et complète[207] ; sur d'autres plus grossières encore, les bras ne sont pas indiqués[208], ou bien c'est la tête qui manque et qui n'a jamais existé, comme dans une figurine de cette espèce, provenant de Milo, que nous avons vue à Athènes dans la collection de M. Papadopoulos ; enfin une quatrième variété de la même représentation, de toutes la plus rare, est beaucoup plus compliquée ; on y voit une plus petite figure, également nue et dans la même attitude que la première qui semble sortir de sa tête[209]. A part M. Thiersch (loc. cit.), qui les a attribuées aux Cariens, tous les savants, même les plus sceptiques à l'égard des antiquités phéniciennes des pays helléniques, M. Rœth[210], M. Welcker[211], M. Gerhard[212], y ont vu des produits de l'industrie des Phéniciens, opinion que rend évidente le rapport du style barbare de ces figurines avec celui des idoles sardes[213] et leur frappante ressemblance avec des images phéniciennes d'Aschérah ou d'Astarté découvertes à Malte[214] et dans les cités de la Basse Égypte, où les fils de Chanaan possédaient des comptoirs[215], ainsi qu'avec certaines figurines de Zarpanit en terre cuite trouvées à Babylone et dans les contrées environnantes[216]. Il est vrai que Ross[217] a prétendu que ces statuettes se rencontraient dans les tombeaux d'Anaphé, en compagnie de pointes de flèches ou de lances en obsidienne. Si le fait était vrai, il les ferait remonter avant l'époque des Phéniciens, au temps des aborigènes à demi-sauvages de l'Archipel, les Kittim de la Bible, qui — les découvertes récentes de Santorin nous en font foi — se servaient d'armes et d'instruments de pierre. Mais let gens d'Anaphé m'ont affirmé, contrairement au dire de Ross, qu'ils trouvaient les armes de pierre dans den sépultures ne contenant aucun autre objet, si ce n'est quelquefois des poteries grossières[218], et qu'ils rencontraient des statuettes d'Aschérah dans des sépultures d'une couche supérieure. Toutes les Vénus phéniciennes des Cyclades, parvenues à notre connaissance, sont en marbre de Paros[219], et elles sortent évidemment d'une même fabrique, qui devait être concentrée, soit à Paros même, soit à Oliaros, comme celle des vases à Théra et à Mélos.

 

VIII

Le voisinage de Sparte et de Cythère permet de croire que le culte d'Aphrodite Uranie, c'est-à-dire de l'Astarté phénicienne, que nous trouvons établi très-anciennement dans cette cité[220], y avait pénétré par le contact qui devait être continuel entre les Lacaniens et les colons chananéens de Cythère.

Le culte d'Aphrodite Uranie était aussi fort ancien dans l'Attique[221]. Doit-on lui assigner dans ce pays une origine analogue ? On attribuait à Égée la construction du temple de Vénus Céleste élevé dans Athènes même, mais les habitants du dème d'Athmonum prétendaient l'adorer depuis bien plus longtemps et attribuaient l'introduction de son culte à Porphyrion, roi, selon eux, plus ancien qu'Actæus lui-même, considéré pourtant comme le premier souverain de l'Attique. Or, comme l'ont fait remarquer mon père et M. de Witte[222], la traduction du nom phénicien de l'historien Malchus en Porphyre donne lieu de penser que le nom de Porphyrion recèle quelque appellation chananéenne. La date qu'indiquaient les traditions d'Athmonum est évidemment beaucoup trop élevée ; mais on doit conclure de ces traditions que, bien que les récits des Grecs ne mentionnent aucun établissement étranger dans l'Attique après la colonie de Cécrops, les Phéniciens prirent quelque peu pied dans ce pays. Cependant, à cause du silence des historiens et des logographes à ce sujet, il est probable que leurs établissements en Attique ne furent pas des colonies, mais de simples comptoirs commerciaux, lesquels suffirent pour influer sur la religion du pays.

Ce qui est certain, c'est que plusieurs familles d'Eupatrides de l'Attique prétendaient avoir une origine phénicienne. Les Géphyréens, dont sortirent Harmodius et Aristogiton, se disaient descendants des compagnons de Cadmus dans la colonie de Thèbes[223]. Hésychius mentionne en outre une famille de Φοίνικες[224], et dans la liste des discours de Dinarque conservée par Denys d'Halicarnasse[225] nous en voyons un intitulé : Διαδικασία Φαληρέων πρός Φοίνικας ύπέρ τής ίερωσύνης τοΰ Ποσειδώνος.

Ces derniers Phéniciens ne semblent pas avoir été issus de la Béotie ; ils descendaient probablement des Chananéens très-anciennement établis dans le pays pour le commerce, et dont les rejetons avaient été compris parmi les métèques que Clisthène distribua entre les tribus et les dèmes de l'Attique[226].

Il existe à Phalère un tombeau creusé dans le roc et du type purement phénicien. M. Renan m'en avait signalé l'existence, et je l'ai visité en 1866. Mais peut-on lui assigner une date bien ancienne ? N'est-ce pas tout simplement la sépulture d'un de ces métèques phéniciens établis à Athènes pendant sa splendeur, dont on a déjà trouvé plusieurs épitaphes ?

Ne doit-on pas, au contraire, reconnaître les traces d'un antique séjour des Phéniciens dans l'île de la côte d'Attique que la défaite de Xerxès a pour jamais immortalisée ? Le nom de Salamine est difficile à expliquer par le grec ou par les idiomes voisins ; il offre, au contraire, une ressemblance frappante avec celui d'une des cités de l'île de Chypre, Salamis. La ressemblance est tellement frappante que la première impression reçue en les comparant est que les deux noms sont identiques, ont tous deux une origine sémitique et dérivent de la racine schalam, être sauvé, être en paix, d'où dérivait également Schalem ou Solyme, nom primitif de Jérusalem[227].

Mais cette ressemblance de noms ne constituerait pas une autorité suffisante, si, comme l'a déjà remarqué Bochart[228], nous ne rencontrions pas au début de l'histoire fabuleuse de Salamine un mythe qui reproduit trait pour trait la légende de Cadrans, sous d'autres noms, presque aussi significatifs, et qui, inspirée à la même source, nous ramène toujours au γέρων Όφίων de la Phénicie. Cychrée ou Cenchrée — dont le nom doit être mis en parallèle avec l'épithète de Gingras donnée à Adonis par les Phéniciens et les Cypriens[229] —, fils de Posidon, un dieu dont les rapports avec les navigateurs de l'Asie sont bien fréquents dans les traditions historico-mythologiques, et de Salamine, fille du fleuve béotien Asopus, arrive dans l'île qui reçut le nom de sa mère, et y tue, comme Cadmus, un énorme serpent, qui causait les plus grands ravages parmi les habitants.

Après avoir rendu ce service considérable au pays, il en devient roi[230]. Mais Cychrée, comme Cadmus, est lui-même serpent, et se confond avec le monstre qu'il a tué ; il reçoit, après sa victoire, le nom de roi serpent[231], on simplement serpent[232]. Enfin Pausanias (I, 36, 1) raconte qu'au moment où la flotte grecque réunie à Salamine se préparait à combattre les Perses, un serpent apparut sur les navires et qu'Apollon, consulté sur ce sujet, répondit que le serpent était le héros Cychrée.

Les deux légendes sont trop semblables pour ne pas être originairement la même. Si donc, avec MM. Movers et Maury, nous avons reconnu un caractère purement phénicien dans l'histoire de Cadmus, il faut reconnaître le même caractère dans celle de Cychrée, et, en rencontrant ce mythe chananéen dans les souvenirs locaux de Salamine, on est assez porté à admettre que les Phéniciens, d'une manière quelconque, ont dû prendre pied dans l'île et ont pu lui donner son nom.

Les traces, même matérielles, du commerce phénicien et de l'existence des comptoirs de ce peuple sont manifestes dans toute la contrée environnante.

A Mégare, j'ai découvert en 1860, le long des murs cyclopéens de l'Acropole de la Carie[233], dans l'intérieur de la ville hellénique, un tombeau d'une date extrêmement ancienne. Tous les objets découverts dans ce tombeau ont été rapportés par moi au musée du Louvre, et j'en ferai quelque jour l'objet d'une publication spéciale, avec les autres résultats de mes recherches à Mégare. La sépulture se composait d'une sorte de sarcophage grossièrement formé de sept dalles du calcaire coquillier du pays, le κογχίτης λίθος des anciens[234]. A l'intérieur, avec les ossements réduits en poussière par la vétusté, nous avons recueilli trois ornements d'or exécutés au repoussé, qui étaient peut-être des boucles d'oreilles ou d'autres objets de toilette dont l'usage nous échappe, décorés de tètes humaines de face coiffées à l'égyptienne, et traités dans ce style égyptisant qu'on remarque sur tant de monuments phéniciens[235] ; d'énormes fibules en bronze, imitant dans leur forme la coquille de la pinne marine et rappelant les grandes fibules du même métal découvertes avec les coupes phéniciennes dans les plus anciens tombeaux de Cæré[236] ; les débris d'un collier en petites perles d'émail bleuâtre ; un scarabée en cornaline offrant sous son plat la figure d'un scarabée les ailes ouvertes, dont le faire et la gravure sont pareils à ceux des scarabées qui nous viennent des nécropoles de la Phénicie ; les fragments d'un vase de style tout à fait asiatique, avec des ornements incrustés en pâte d'une autre nature et d'une autre couleur que celle qui forme le corps de la poterie ; ce vase semble avoir été primitivement recouvert d'un vernis assez analogue à celui de la porcelaine égyptienne ; enfin une figurine en terre cuite portant des traces de peinture et représentant, croyons-nous, l'Astarté phénicienne de Sidon et de Paphos, sous sa forme primitive d'un cône armé de bras et surmonté d'une tête grossière, telle que l'image de la déesse est représentée dans son temple sur les monnaies des Cypriens[237], telle qu'elle est retracée sur les ex-voto du temple de la Dea celestis à Carthage[238] et sur les momies de Cossura[239].

Tous ces objets ont un caractère oriental commun. Cependant une partie qui a dû être manufacturée sur place, la figurine de terre cuite en première ligne, est peut-être, non pas l'œuvre des Phéniciens, mais celle des Cariais, que les traditions historiques nous représentent comme les premiers fondateurs de Mégare[240] et comme habitant l'enceinte de laquelle dépendaient les sépultures dont nous avons fouillé une. Au reste, qu'ils fussent Sémites comme le pense M. Lassen[241], ou Kouschites comme l'a prétendu le baron d'Eckstein[242], les Cariens appartenaient au monde oriental, et leur civilisation devait bien peu s'éloigner de celle des Phéniciens, tellement que M. Movers, s'appuyant sur des arguments ingénieux, mais insuffisants, tendait à les confondre avec ces derniers. Mais dans le mobilier du tombeau de Mégare, il est certaines pièces, et avant tout le scarabée, les bijoux d'or et le vase, qui nous paraissent avoir été certainement fabriquées en Phénicie, à cause de leur similitude absolue avec les objets analogues qu'on trouve dans ce pays. Ainsi, que La sépulture fouillée par nous fût celle d'un Carien ou celle d'un Pélasge de la Mégaride, nous croyons pouvoir conclure qu'à l'époque où elle a été faite les rapports de commerce étaient continuels et étroits entre les Phéniciens et les habitants de Mégare, et que ces derniers tiraient, soit de Sidon, soit de Tyr, les principaux articles de luxe composant leur parure.

Un fait curieux est à noter au sujet de l'influence exercée par les religions asiatiques sur le culte local de Mégare, influence résultant des relations de cette ville avec la Phénicie et de la parenté, déjà signalée par M. Curtius[243], de la civilisation des Carions, ses premiers fondateurs, avec celles des Chananéens. Dans l'amas de terres cuites brisées qui se voit sur le flanc septentrional de la colline de la Carie à Mégare, non loin de l'endroit où j'ai fait exhumer le colosse de l'Apollon Agreus, amas qui semble renfermer les déchets de fabriques locales et qui peut se comparer à celui qu'on a déjà depuis quelques années signalé à Tarse, quelques sondages exécutés par mes soins ont fait reconnaître que dans les couches inférieures on rencontrait en assez grand nombre des-figurines d'Astarté en bétyle pareilles à celle qu'avait fourni le tombeau dont je viens de parler[244]. Les couches supérieures, qui semblent correspondre aux âges hellénique et romain, n'en renferment plus. Mais, en revanche, on y trouve par milliers des débris de statuettes d'une Vénus coiffée du polos et enveloppée de voiles, dont la tête offre tous les degrés de transition, depuis la tête informe des Astartés primitives jusqu'à un visage empreint des caractères du véritable style grec[245]. Aphrodite, sous le nom d'Epistrophia, était, d'après Pausanias, une des principales divinités de Mégare (I, 40, 5).

Dans les terres cuites que fournit en si grand nombre le sol de la patrie de Théognis, il faut reconnaître cette forme de Vénus, et la manière dont elle est enveloppée, έπιστεφομένη, dans ses voiles semble contenir une allusion à son nom même. Mais le type des représentations de l'Aphrodite Épistrophia et ses modifications, dont nous pouvons, grâce aux terres cuites de Mégare, suivre exactement toute l'histoire, montrent clairement que cette Vénus était une Astarté asiatique, apportée soit par les Cariens, soit par les Phéniciens, et plus tard hellénisée.

Les tombeaux les plus anciens d'Égine ont fourni, comme ceux de Mégare, quelques objets manufacturés en Phénicie, dont la présence atteste les anciennes relations commerciales avec ce pays. M. Finlay, dans sa collection à Athènes, possède un scarabée que lui-même, dès 1840, considérait comme phénicien[246], qui est semblable à ceux que l'on rapporte de la Syrie et de la Sardaigne, et dont la pierre est un jaspe vert, matière étrangère à la Grèce et très-habituellement travaillée par les Phéniciens. Ce scarabée a été trouvé dans une sépulture de l'île d'Égine, pendant les fouilles exécutées en 1829 par les ordres du président Capodistria.

L'apport d'objets de ce genre semble avoir même été à une certaine époque, fort reculée, si fréquent à Égine, que les habitants se mirent à imiter les scarabées d'origine orientale. Ainsi les fouilles de 1829 avaient fourni à M. Finlay deux scarabées d'agate de très-ancien style grec, dont l'un, encore en sa possession, montre sous le plat un scarabée avec les éployées comme celui que nous avons trouvé à Mégare, avec l'inscription : ΚΡΕΟΝΤΙΔΑ ΕΜΙ, Κερεοντίδα έμι, j'appartiens à Créontide[247], et dont l'autre, aujourd'hui perdu, représentait un bouc debout[248]. La fabrication de ces scarabées grecs semble avoir duré peu de temps et avoir eu bien moins de développement que la fabrique d'objets analogues en Étrurie, car ils sont de la plus grande rareté ; de plus on n'en a guère trouvé qu'à Égine, et on pourrait peut-être en conclure que c'était là seulement qu'on en faisait.

Il faut joindre aux faits que nous venons de signaler celui de l'importance du culte de Palémon ou Mélicerte à Corinthe. Nous avons plus haut, dans notre § III, montré le rapport de ce dieu avec le Melqarth tyrien, et par conséquent son culte à Corinthe paraît, indiquer, sur l'isthme qui sépare le Péloponnèse de la Grèce continentale, l'existence d'un comptoir phénicien par lequel il aura été introduit.

Dès que les colonies de marins et de marchands envoyés de l'Orient commencèrent à explorer les côtes de la Grèce, remarque M. Beulé[249], une position aussi merveilleuse, sur un isthme qui unissait deux grands pays et deux mers, dut frapper les explorateurs. Les souvenirs populaires avaient conservé le nom d'une Océanide, Éphyre (Ophir ?), qui avait donné son nom à la ville naissante. A la querelle du Soleil et de Neptune, qu'on prétendait s'être disputé la possession de la ville d'Éphyre, se rattachait la double idée d'Orientaux et de navigateurs. L'importance et la nature du culte de Vénus à Corinthe attestent également des liens étroits avec la Phénicie. Le voyage du Corinthien Bellérophon en Lycie, Médée venant de Colchide pour régner à Corinthe, sont de nouvelles preuves de cette constante parenté avec l'Orient. Le commerce des Corinthiens avec l'Orient était bien plus considérable que leur commerce avec l'Occident ; aussi avaient-ils construit deux ports, le Schœnus et Cenchrées, sur la côte orientale de leur isthme, tandis qu'ils n'en avaient qu'un seul, le port Léchée, sur la côte occidentale.

Ajoutons le fait, déjà signalé dans notre § V, de la découverte de vases phéniciens, fabriqués à Mélos ou à Théra, dans les plus anciens tombeaux d'Athènes, et nous aurons ainsi recueilli les preuves nombreuses et surabondantes de l'extension et de l'importance qu'avait le commerce des Phéniciens, venus soit de leur patrie lointaine, soit de leurs colonies de l'Archipel, dans le golfe Saronique, alors que ce peuple dominait sur les mers de la Grèce..

En même temps les poteries phéniciennes découvertes à Mycènes attestent le commerce de ce peuple et de ses colonies avec l'Argolide.

 

IX

Les récits mythologiques relatifs à Cadmus, après avoir conduit ce héros à Rhodes et à Théra, ne le font aller ni dans aucune autre île de l'Archipel, ni en Attique, ni dans le Péloponnèse, mais le font remonter plus loin au nord, à Samothrace et dans les environs du Pangée, en même temps qu'ils établissent son frère Thasos dans l'île de ce nom. Ceci nous oblige à dire quelques mots des colonies phéniciennes de cette région, que la tradition, comme on le voit, faisait fonder dans la même période historique que celle de la mer Égée.

Parlons d'abord de Thasos, cette ile que la richesse de ses mines avait fait surnommer par les poètes Chrysé, la dorée. Parmi les colonies chananéennes de la Grèce, il n'en est pas une seconde sur laquelle nous possédions des documents aussi précis que ceux fournis par Hérodote sur l'établissement de ce peuple à Thasos. J'ai vu moi-même, dit le père de l'histoire, les mines de cette île. Les plus remarquables sont celles que découvrirent les Phéniciens, qui avec Thasos occupèrent le pays, lequel reçut son nom du Phénicien Thasos. Ces mines phéniciennes sont situées entre le village d'Ényra et celui de Cényra, en face de Samothrace. Une montagne entière a été retournée pour y chercher le métal[250].

Scymnus (v. 658), Arrien[251] et Pausanias (V, 25, 12) attestent aussi la première occupation de l'île de Thasos par les Phéniciens, qui soumirent à leur autorité la population indigène. On sait que le dieu principal de cette île était Hercule[252], la divinité assimilée au Melqarth de Tyr, et Hérodote affirme avoir vu à Tyr même un temple consacré à l'Hercule Thasien[253]. Après des renseignements historiques aussi positifs, il est à peine besoin de mentionner les récits mythologiques relatifs au personnage de Thasos, représentant héroïque des colons phéniciens. Ainsi que nous l'avons remarqué plus haut en exposant le mythe de Cadmus, un grand nombre d'auteurs font de Thasos le fils d'Agénor et le frère de Cadmus[254] ; d'autres le font naître de Phœnix[255], les troisièmes enfin de Posidon[256]. De toutes les colonies phéniciennes dans les mers helléniques, celle de Thasos fut celle qui subsista le plus longtemps. Les Chananéens n'en furent, en effet, chassés que par les Pariens, dans l'expédition à laquelle prit part Archiloque, expédition placée par Denys à la XVe olympiade, vers 710 avant Jésus-Christ, par d'autres à la XVIIIe vers 708[257]. Telle est du moins l'opinion de Movers[258], qui l'appuie par un synchronisme ingénieux avec le siège de Tyr par Salmanassar en 707 ou 706, et avec la chute des colonies de Citium[259] et de Tartessus[260], contre-coup de cet événement. Cependant on doit remarquer que, d'après les fragments des poésies d'Archiloque, ce furent des Thraces plutôt que des Phéniciens qui furent trouvés, habitant l'île de Thasos, par les colons pariens[261]. Les récents explorateurs de Thasos, MM. Perrot, Gonze et Miller, n'ont jusqu'à présent signalé aucun vestige des établissements phéniciens de cette île.

L'occupation de Samothrace et de Lemnos par les Phéniciens n'est pas aussi positivement prouvée que celle de Thasos ; cependant elle nous semble avoir pour elle de très-grandes vraisemblances[262]. Si nous manquons, en effet, de récits d'un caractère purement historique, les traditions mythologiques qui font aller Cadmus à Samothrace sont claires et précises. Quant à la question de l'origine du culte des Cabires à Samothrace et à Lemnos, l'examen en réclamerait des développements qui dépasseraient les bornes raisonnables de ce mémoire. Nous nous contenterons donc de dire que nous sommes de ceux qui voient dans ces divinités les Kabirim de la Phénicie, mentionnés par Sanchoniathon[263].

Pour ce qui se rapporte à l'établissement des colonies phéniciennes sur la côte du continent en face de Samothrace et de Thasos, et à l'ouverture des mines du mont Pangée par ces colonies, la tradition faisant partie du cycle de Cadmus est la seule qui soit parvenue jusqu'à nous et qui s'y rattache. Movers[264] a voulu, d'après les noms d'un grand nombre de localités de la Thrace et de la Macédoine, placer des établissements phéniciens tout le long de ces deux pays. Mais, à part celui d'Abdère dont la ressemblance avec le nom de l'Abdère espagnole, 'Abderath, est très-frappante, la plupart des noms allégués par Movers n'offrent avec des noms de villes phéniciennes qu'une coïncidence fout à fait fortuite et s'expliquent d'une manière bien plus satisfaisante par la langue schkype ou albanaise, laquelle parait tenir de très-près à l'idiome uliginaire des habitants de la Macédoine[265].

 

X

Le caractère commun de tous les établissements phéniciens que nous venons de passer en revue est celui de comptoirs plus ou moins développés pour le commerce maritime. Dans la colonie de Thèbes, nous trouvons un autre caractère. Cadmus part à la recherche de sa sœur Europe ; c'est, dissimulé sous la forme du symbole et confondu avec les doctrines mythologiques, un fait historique dont la véritable physionomie est facile à deviner. Cadmus personnifie ici le colon phénicien partant pour fonder un établissement fixe, où les premiers navigateurs de sa nation n'ont fait que passer rapidement et répandre, par le contact avec les indigènes, l'influence de leurs idées. Il faut distinguer, en effet, nettement la nature de la physionomie prêtée par la tradition à ces deux personnages que l'on place cependant dans la même famille. Cadmos est un personnage plutôt historique que mythique ; il représente un fait de l'ordre positif et matériel, l'établissement des Phéniciens. Dans la figure d'Europe, au contraire, le mythe prend complètement le dessus. C'est que le côté historique de la légende de la fille d'Agénor se rapporte à un fait de l'ordre des idées. Europe représente la doctrine religieuse de la Phénicie, dont elle est elle-même un des plus importants personnages, transportée au-delà des mers et communiquée aux plus anciennes populations de la Grèce.

L'aspect de personnification des colonies fixes, que nous reconnaissons à Cadrons, est bien plus frappant dans les récits qui le font s'établir en Béotie que dans ceux qui parlent de son séjour en Crète, à Rhodes, à Théra ou à Samothrace. Son père Agénor lui a défendu de revenir en Phénicie ; il quitte donc sa patrie définitivement, sans esprit de retour. La ville où il va fixer son séjour est éloignée de la mer ; elle ne peut servir d'entrepôt au commerce ; toute son importance est dans la fertilité de la plaine qui l'entoure. C'est donc pour la première fois que les Phéniciens vont fonder une colonie véritable, occuper tout un territoire et s'y établir sans relations directes avec la terre natale ni même avec la mer, devenue pour eux une seconde patrie.

Aussi la fondation de l'empire des Cadinéens en Béotie rencontre-t-elle de la part des indigènes une résistance dont nous n'avons pas trouvé de traces à l'origine des colonies purement commerciales des Phéniciens, résistance symbolisée dans le récit mythologique par la lutte de Cadmus contre le Serpent fils de Mars. Pausanias (IX, 5, 1) nous a conservé sur cette lutte avec les populations indigènes une tradition purement historique, dépouillée de tout mélange d'idées religieuses. D'après cet auteur, lors de l'arrivée de Cadmus et des colons phéniciens, la Béotie était habitée par les Aones et les Hyantes ; ces derniers essayèrent de résister aux envahisseurs étrangers, mais furent vaincus et expulsés du pays. Les Aones, au contraire, instruits par leur sort, se soumirent et se mêlèrent aux Phéniciens. Clavier[266], avec un bonheur qu'il n'a pas eu dans l'explication de beaucoup d'autres mythes, a montré, dans le récit du combat que se livrent après la venue de Cadmus les Spartes nés de la terre, une forme fabuleuse de la discorde soulevée entre les Autochtones par l'arrivée des colons chananéens. Dès lors, ceux des Spartes qui survivent à la lutte et deviennent les compagnons de Cadmus sont les représentants des principales familles ioniennes qui acceptèrent la domination étrangère.

Cette explication de la fable des Spartes, adoptée aussi par Clinton[267], permet de bien comprendre le caractère des événements de l'histoire de la Béotie, depuis Cadmus jusqu'à la guerre des Épigones.

Cadmus ne reste pas longtemps paisible possesseur de son empire ; il est bientôt chassé et forcé de se retirer chez les Enchéliens. C'est l'élément indigène qui reprend le dessus ; après avoir accepté l'autorité des Phéniciens, après en avoir reçu les bienfaits de la civilisation, il réagit contre eux et cherche à les expulser. Aussi est-ce le fils d'un des Spartes alliés à la famille de Cadmus, Penthée, enfant d'Échion, qui occupe le trône à la place du héros phénicien[268]. Mais bientôt l'élément asiatique reprend la suprématie au nom de la religion. Penthée est déchiré par les Bacchantes, dans une de ces orgies d'origine orientale que les Phéniciens avaient enseignées au peuple de la Béotie, et dont on attribuait l'introduction à Cadmus lui-même[269]. Alors un prince de la dynastie phénicienne recouvre le sceptre, Polydorus, que l'on dit fils de Cadmus ; mais, pour assurer la tranquillité de son pouvoir, il a soin de s'allier à une des familles nationales. Les récits légendaires lui font épouser Nyctéis, que l'on désigne comme fille de Nyctée et petite-fille de Chthonius, l'un des Spartes[270]. Cela ne l'empêche pas d'être chassé à son tour par son père Nyctée[271]. A celui-ci succède Labdacus, fils de Polydorus, qui ramène au pouvoir la dynastie cadméenne[272]. Mais Labdacus est assassiné à son tour, et les indigènes se saisissent encore de ta prépondérance avec Lycus, frère de Nyctée, et ses deux fils, Amphion et Zéthus[273]. Laïus, fils de Labdacus, chassé tout enfant du pays, profite de la mort d'Amphion pour rentrer et s'emparer de nouveau de la couronne paternelle[274]. La race royale d'origine phénicienne l'emporte donc encore une fois sur les descendants des Spartes. Seulement Laïus cherche à s'appuyer sur une partie des indigènes contre l'autre partie. Pour affermir sa puissance, il exploite la jalousie qui devait exister entre la famille d'Échion, un moment au pouvoir sous Penthée, et celle de Clithonius, qui depuis lors l'avait supplantée. Pour opposer les Échionides aux Chthonides, il s'allie aux premiers en expulsant les derniers, et la tradition lui fait épouser Jocaste, descendante de Penthée et d'Échion[275]. Après la mort de Laïus, Créon s'empare quelque temps de l'autorité, puis Œdipe rétablit encore la dynastie cadméenne.

Dans toute cette histoire, les noms des princes et leur enchaînement successif n'ont qu'une bien médiocre autorité. Mais ce qui nous paraît en résulter d'une manière incontestable est l'existence de deux dynasties rivales, qui, avec des chances diverses, se disputaient le trône, l'une phénicienne et l'autre nationale.

Les malheurs d'Œdipe et de sa famille, ses crimes involontaires et ceux de ses fils, ne sont pas du domaine de l'histoire. Ils appartiennent purement é la mythologie, que les Grecs ont toujours eu l'habitude de mêler aux traditions de leurs primitives annales, d'une manière telle qu'on ne peut souvent y distinguer ce qui est de l'histoire et ce qui est de la religion. Tout ce qu'on peut discerner de vraiment historique dans cette partie des récits relatifs aux Cadméens est l'horreur profonde que leur race, en tant qu'étrangère, et leur culte, encore empreint de toute la barbarie et de toute l'obscénité orientales, inspiraient aux Grecs, dont cependant ils avaient été les instituteurs.

Aussi, dans les traditions helléniques, une terreur superstitieuse s'attache-t-elle au souvenir des rois de la race de Cadmos. Ce sont eux qui fournissent le plus de sujets à la tragédie antique. A leurs noms sont accolées mille histoires étranges et monstrueuses. Tous les mythes impurs et immoraux de la religion phénicienne deviennent dans la bouche du peuple des crimes réels que l'on attribue aux Cadméens. Laïus, amoureux de Chrysippe, fournit dans la Grèce le premier exemple des passions contre nature[276]. Œdipe son fils, en épousant sa mère Jocaste, réalise l'inceste sacré que l'on retrouve au fond de toutes les doctrines religieuses de l'Orient. Ajoutons à ces fables l'exposition d'Œdipe enfant et l'histoire des deux frères Étéocle et Polynice s'entre-tuant sous les murs de Thèbes, et nous aurons une suite de récits dans lesquels on reconnaît sans peine, en les étudiant de près, des mythes asiatiques transportés dans l'histoire.

Ce qui est vraiment du domaine de cette dernière science, c'est la discorde qui succède au règne d'Œdipe, l'appel fait par un des princes de ta dynastie phénicienne aux chefs des peuples de la Grèce pour l'aider à combattre son heureux compétiteur, et l'empressement de ces chefs à répondre à son appel. L'expédition dirigée par Polynice échoue, niais la guerre contre Thèbes n'est pas seulement pour les Grecs l'occasion de servir l'ambition d'un des descendants de Cadmus ; c'est celle de briser la puissance de la dynastie étrangère. Comme telle, c'est une cause nationale, et l'on doit y voir le premier acte de la lutte de la Grèce pour s'affranchir de la suprématie asiatique, lutte dont le second acte se termine à la ruine de Troie, et le troisième à l'expulsion des Pélopides par les Doriens. Aussi, dix ans après l'échec des Sept Chefs[277], voyons-nous les Épigones revenir sous les murs de Thèbes, et cette fois la puissance des Cadméens est détruite sans retour. Le plus grand nombre des descendants des colons de Chanaan se retirent avec Loadamus[278]. Le fils de Polynice, Thersandre, est bien, il est vrai, remis sur le trône[279], mais son pouvoir n'est que précaire. Il essaie de faire oublier son origine étrangère, en s'associant à l'expédition des Grecs contre Troie ; mais il est tué en Mysie, au début de la guerre[280]. Alors les Thébains adoptent la forme du gouvernement républicain. Un moment Tisaméne, fils de Thersandre, essaie de ressaisir le sceptre et de restaurer la dynastie cadméenne ; mais poursuivi, dit-on, par les Furies, il est obligé de s'enfuir chez les Doriens[281], du pays desquels son descendant Théras ne revient un peu plus tard que pour aller se fixer au milieu de la population de Théra, tout entière d'origine phénicienne.

 

XI

Après avoir revendiqué pour les traditions relatives à la colonie cadméenne de Béotie un caractère purement historique, pouvons-nous espérer d'en fixer, au moins approximativement, l'époque probable ?

Des données chronologiques quelque peu certaines sur l' histoire primitive des Grecs sont chose qui fait absolument défaut. On ne peut arriver qu'à une approximation bien douteuse quant à la date de tel ou tel événement. Pour ce qui est de la colonie phénicienne de la Béotie, tout ce qu'on est en droit d'en dire avec certitude, c'est qu'elle doit être de plus de deux siècles antérieure à la guerre de Troie. Mais quelle est l'époque de cette guerre ? C'est déjà une question sur laquelle les auteurs anciens ne s'entendent pas.

Pour Hérodote, le siège de Troie tombe dans une année qui, en la rapportant à notre ère, est 1263 avant Jésus-Christ[282]. Or l'historien d'Halicarnasse place la colonie de Cadmus cinq générations avant l'Hercule thébain[283], et celui-ci une génération avant la chute de Troie. Les générations étant pour lui de 33 ans, c'est 198 années que nous devons ajouter à 1263, et par conséquent nous remonterions d'après Hérodote à 1461 pour la colonie de Cadmus. Mais, on le sait, le calcul du père de l'histoire pour la guerre troyenne ne repose sur aucune autorité solide ; c'est, il l'avoue lui-même, un simple calcul artificiel et approximatif de générations, et, comme celui de Duris, il est évidemment trop élevé.

On ne peut hésiter sérieusement qu'entre deux chiffres : celui de Trogue-Pompée, d'accord avec celui d'Ératosthène, et celui tiré par Ménandre des annales tyriennes.

Trogue-Pompée place en effet la prise de Troie un an après la fondation de Tyr[284]. Celle-ci étant connue d'une manière certaine et correspondant à l'an 1209[285], on tombe en 1208 pour la victoire des Grecs sur la puissance asiatique. Érathostène[286] place 407 ans d'intervalle entre la prise de Troie et la première Olympiade, ce qui fournit la date de 1183[287]. Apollodore[288] et Diodore de Sicile[289] suivent le même calcul. Denys d'Halicarnasse fait de même, à un an près, plaçant cet événement en 1184[290]. Thucydide est aussi du même avis, car il met l'occupation de Mélos. par les Doriens, fait de très-peu postérieur au retour des Héraclides, 700 ans avant la prise de cette ile par les Athéniens, c'est-à-dire en 1116[291], et on sait que tous les anciens s'accordent pour évaluer à 80 ans l'intervalle entre la prise de Troie et le retour des Héraclides. C'est donc la date de 1196 ou 1198 qui ressort du calcul de l'historien athénien. Enfin la chronique de Paros adopte celle de 1208[292], Dicéarque celle de 1212[293], et Sosibius celle de 1171[294]. Voilà donc toute une série de calculs qui s'accordent pour placer la prise de Troie entre 1212 et 4174, c'est-à-dire dans une période flottante de 41 ans. Mais sur quoi se fondent ces calculs ? C'est ici que, malgré leur coïncidence très-frappante, toute leur autorité s'évanouit, aucune série d'annales remontant jusqu'à ces époques reculées ne subsistant en Grèce au temps où les historiens classiques écrivaient leurs ouvrages. Tout ce qu'ils recueillaient se bornait à des traditions rendues encore plus confuses par l'incertitude des mesures du temps dont se servaient les anciens Grecs et par l'adjonction, souvent impossible à démêler, d'éléments mythologiques avec les éléments purement historiques. Tous les calculs faits uniquement à l'aide des données grecques ne sont que des combinaisons artificielles et sans autorité solide, fondées sur l'évaluation, toujours profondément incertaine, des générations.

Ce que nous disons là de la date assignée à la prise de Troie par Ératosthène et par les auteurs qui s'accordent avec lui s'applique aussi à celles qu'ont adoptées Isocrate[295], Éphore[296] et Démocrite[297], et qui varient de 1150 à 1120, à celle de Phanias d'Érésus[298], 1198, et à celle de Callimaque[299], 1127.

Ainsi que Volney l'a reconnu et l'a prouvé par d'excellents arguments[300], la seule date pour la prise de Troie qui présente de vrais caractères d'authenticité est celle de Ménandre, empruntée aux annales fixes et certaines d'une ville d'Asie[301] et concordant exactement avec celle que Ctésias prétendait avoir tirée des livres historiques assyriens[302]. De cette date il résulterait que Ménélas serait venu à Tyr sous le règne de Hiram, vers le temps du mariage de la fille de ce prince avec Salomon, et que par conséquent la chute de Troie aurait eu lieu vers 1023 ou 1022 avant notre ère. Ctésias, de son côté, rapporte qu'en 1023 un souverain du grand empire d'Assyrie, qu'il appelle Teutamès, envoya au secours de Troie Memnon, satrape de Susiane, avec une armée d'Éthiopiens. Or, quoique les récits de Ctésias soient en général fabuleux et que le roi d'Assyrie, qu'il cite en cet endroit, n'ait rien à voir avec ceux des monuments indigènes, il est probable que cette partie de la narration contient l'écho d'un souvenir réel, car on ne saurait méconnaître dans la figure de Priam tous les caractères d'un satrape héréditaire de l'empire asiatique, et dans l'expédition de Memnon, l'Ethiopien ou le Kouschite d'Asie, ceux d'un secours envoyé par le monarque suzerain à son vassal en danger[303].

L'exactitude de la date de Ménandre et de Ctésias est encore confirmée par un autre synchronisme avec l'histoire de l'Asie. Quelles que soient les variations, assez faibles du reste, qui s'offrent à nous pour l'époque de l'établissement des Pélopides en Grèce, les récits et les calculs des auteurs anciens s'accordent à placer cet établissement cent ans environ avant la guerre de Troie[304]. Or, lorsqu'on examine avec soin l'histoire des Pélopides, on est amené à voir en eux une branche des Satrapes héréditaires de la Lydie[305] ou de la Phrygie[306], passant sur la terre de Grèce et venant y implanter la civilisation avec la suzeraineté de l'empire asiatique[307], puis plus tard se révoltant contre le Grand Roi, et entraînant les Grecs dans cette guerre de Troie qui devait rompre tous leurs liens avec l'Asie. La fondation de la monarchie pélopide n'a donc pu avoir lieu qu'après le développement du grand empire d'Assyrie, et la constitution de cet empire est fixée par le témoignage de Bérose[308] et par les monuments assyriens eux-mêmes[309] à l'an 1250 environ avant notre ère. Si l'on adoptait le calcul d'Ératosthène, ou même celui de Callimaque, pour la prise de Troie (nous ne parlons pas de ceux d'Hérodote et de Duris), on aurait pour l'arrivée de Pélops en Grèce les dates approximatives de 1283 ou de 1227, impossibles l'une et l'autre, car celle de 1283 est antérieure à l'empire assyrien, et celle de 1227 n'est postérieure que de moins de 25 ans au début de cet empire et ne correspond pas, en conséquence, à l'époque de son grand développement. Avec les chiffres de Ménandre et de Ctésias, au contraire, un siècle avant 1023 fournit l'époque de 1123 environ, qui produit un synchronisme excellent[310].

Appliquons maintenant à l'époque de la colonie cadméenne les données que nous venons de recueillir et d'examiner sur celle de la guerre de Troie. Si l'on conserve pour l'intervalle entre ces deux évènements le chiffre de six générations ou 198 ans, et si on le considère comme un nombre fixe et certain, on est tenté de donner la préférence au calcul d'Ératosthène ou aux autres calculs analogues.

Prenant en effet les deux points extrêmes des calculs de cette classe, nous avons pour la colonie cadméenne 1212 + 198 = 1410, ou 1171 + 198 = 1369, deux dates fort séduisantes, car elles nous font tomber exactement dans la période de la prospérité sidonienne. Avec le calcul de Ménandre, 1023 + 198 = 1221, nous sommes rejetés dans une époque où aucune colonie phénicienne n'a pu être fondée, dans l'intervalle d'anéantissement de la puissance chananéenne par les Philistins, entre la destruction de Sidon, en 1254, et la fondation de Tyr, en 1209.

Mais après avoir refusé toute autorité au calcul par générations pour l'espace qui s'étend de la première Olympiade à la guerre de Troie, comment lui accorderions-nous une autre valeur lorsqu'il s'agit de mesurer le temps écoulé entre cette même guerre et l'établissement des Phéniciens en Béotie ?

L'évaluation d'Hérodote est uniquement fondée sur la succession des rois cadméens :

Cadmus.

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Polydorus.

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Labdacus.

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Laïus.

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Œdipe.

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Étéocle.

Polynice.

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Laodamas.

Thersandre.

Mais comme nous l'avons fait remarquer plus haut, cette généalogie ne peut être considérée comme ayant une valeur historique absolue et fournissant une filiation authentique. Si elle est intéressante pour nous faire connaître la lutte et les alternatives de domination des princes phéniciens et indigènes, rien n'est plus douteux que le caractère positivement historique de chacun des noms qui la composent, et, quand même tous ces personnages appartiendraient à l'histoire exacte, il est évident que là, comme dans les généalogies primitives de tous les peuples conservées uniquement par tradition, il a dû y avoir plusieurs degrés omis. La filiation qui a servi de base aux calculs d'Hérodote ne saurait donc être valablement opposée à toutes les vraisemblances qui montrent que la colonie cadméenne en Béotie a dû avoir lieu plus de cent ans avant l'établissement des Pélopides en Grèce.

On peut par conséquent, tout en fixant, comme c'est le résultat le plus probable, la chute de Troie en 1023 ou 1022 avant notre ère, placer l'établissement des Phéniciens en Béotie au seizième siècle avant Jésus-Christ, c'est-à-dire dans les derniers temps de la puissance florissante de Sidon.

Plusieurs raisons très-fortes militent en faveur de cette conclusion.

Il faut noter, en effet, dans les colonies parties des pays phéniciens deux périodes bien distinctes, celle des colonies sidoniennes et celle des colonies tyriennes. La direction où s'étendirent principalement les secondes est bien connue : c'est la partie occidentale de la Méditerranée, le littoral nord de l'Afrique, l'Espagne et la Sicile. Les Sidoniens avaient bien pénétré sur quelques points de cette région, fondé en Afrique Hippone et Cambé là où fut plus tard Carthage[311]. Mais le grand courant de leurs navigations s'était porté d'un autre côté en Cilicie, en Chypre, en Crète. Les colonies de la Grèce se rattachent à ce dernier ensemble, et la tradition hellénique, faisant aller Cadmus en Crète et lui donnant pour frère le fondateur des établissements de la Cilicie, s'accorde complètement avec la vraisemblance géographique.

Nous n'attachons qu'une importance secondaire à un argument très-fort aux yeux de quelques savants ; c'est que les récits et les poèmes les plus anciens des Grecs nomment toujours tes Sidoniens et non les Tyriens. On ne peut pas, croyons-nous, en tirer une preuve positive de ce que les rapports intimes et primitifs des populations de la Grèce avec les Chananéens eurent lieu dans la période sidonienne. Nous savons aujourd'hui à n'en pas douter que le nom de Sidoniens demeura l'appellation commune des Phéniciens, lors même que Sidon eut été détruite et que Tyr l'eut remplacée comme capitale du pays[312]. Dans l'Ancien Testament[313], le roi de Tyr dans la période d'hégémonie de cette cité reçoit encore le titre de roi des Sidoniens.

Les arguments tirés des récits d'Homère où figurent les Phéniciens ont une bien autre valeur. Au temps du grand poète de l'Ionie, les souvenirs de la guerre de Troie étaient encore vivants, et on doit considérer ses vers comme offrant, à part les endroits où la mythologie vient s'y mêler à l'histoire, un tableau fidèle de la vie héroïque à cette époque. Or, dans quelle situation nous montre-t-il les Phéniciens naviguant sur les mers de la Grèce, au moment de la guerre de Troie et dans les années qui précédèrent ? Il faut lire à ce sujet le récit qu'Eumée, fait, dans l'Odyssée, de son enfance et de son enlèvement par les pirates sidoniens[314]. On y voit clairement que dès lors les Phéniciens n'étaient plus les maîtres exclusifs de la mer. Les Grecs, à leur exemple, s'étaient créé une marine, et ils usaient de représailles en faisant des courses jusque sur la côte de Phénicie. Les enfants de Chanaan parcouraient encore la met Égée, mais en simples commerçants et non plus en dominateurs ; leurs produits manufacturés étaient célèbres et fort recherchés[315]. De plus, ils profitaient des discordes des Grecs entre eux pour vendre aux uns les esclaves enlevés aux autres ; mais pour les trouver établis partout, possesseurs exclusifs de la navigation, il fallait remonter bien plus haut dans les souvenirs.

La puissance de la monarchie des Pélopides dut influer beaucoup sur le développement d'une marine nationale chez les Grecs ; mais les débuts de cette marine remontaient peut-être à une époque un peu antérieure à celle de la grande prépondérance de cette monarchie. La mythologie, dans la fable des Argonautes, nous a transmis un souvenir des premières expéditions dirigées par les Grecs pour remplacer les navigateurs phéniciens, et de l'admiration superstitieuse qu'excita la hardiesse de ces premières expéditions. C'est le temps où les monuments de la terre des Pharaons, particulièrement les sculptures du palais de Médinet-Abou, nous montrent les aborigènes déjà plus qu'à des îles et des côtes de la mer du Nord, c'est-à-dire de l'Archipel et du Péloponnèse, lesquels, d'après les noms de leurs peuplades, paraissent de souche pélasgique, en possession d'une marine, confédérés avec les Dardaniens et Teucriens de l'Asie-Mineure, ainsi qu'avec les Sicules et les habitants de l'Italie méridionale[316], se livrant à des navigations assez étendues et ayant en particulier des relations étroites avec les populations libyennes[317].

Ce qui prouve, du reste, la très-haute antiquité de la domination des Phéniciens dans les mers de la Grèce et de leurs établissements de ce côté est ce fait qu'à l'époque du retour des Héraclides, c'est-à-dire 80 ans seulement après la prise de Troie, les Doriens ne trouvèrent plus ce peuple qu'à Théra, à Mélos et .à Thasos. Partout ailleurs les Cariens avaient pris leur place. Nous n'avons aucune donnée sur l'âge où commença cette thalassocratie carienne ; mais ses débuts seraient difficiles à placer, si l'on attribuait aux Tyriens les colonies phéniciennes de la Grèce. Entre la fondation de Tyr et le règne d'Hiram ou de ses premiers successeurs, il n'y a pas pour cette ville de période d'affaiblissement où elle ait pu perdre ses colonies. Au contraire, l'anéantissement de la plupart des comptoirs sidoniens se place tout naturellement dans le temps où les navigations phéniciennes cessèrent pendant près de cinquante ans, sous la prépondérance des Philistins, entre la ruine de Sidon et la fondation de Tyr.

Un dernier argument confirme l'attribution que nous faisons de la colonie de Cadmus en Béotie à l'ère de la prospérité sidonienne : c'est la nature même de cette colonie. Tous les établissements tyriens, qu'elle qu'ait été plus tard leur fortune, présentent ce caractère commun d'avoir été originairement commerciaux. A la période sidonienne seule convient un établissement du genre de celui de Thèbes. Les derniers temps de la puissance de Sidon coïncident, en effet, avec le moment où les tribus chananéennes, refoulées par les Israélites, se virent obligées d'abandonner en grande partie l'intérieur des terres où elles vivaient de la vie agricole, pour faire place aux envahisseurs, et de se refugier chez leurs frères du littoral qui débutaient dans la carrière des expéditions maritimes. A la suite de la conquête de la Terre-Promise par les Hébreux, il devait y avoir autour de Sidon et sur tout le littoral phénicien un trop plein de population habituée à l'agriculture, chassée des campagnes de l'intérieur, qu'il importait de transplanter ailleurs et de fixer dans des pays où elle pût prospérer. D'après ses résultats et la manière dont elle occupa tout le pays, nous devons attribuer une origine de ce genre à la colonie phénicienne de la Cilicie, laquelle remonte certainement au temps des Sidoniens. C'est seulement aussi la cause que nous venons d'indiquer qui dut porter à établir des émigrants chananéens dans une contrée uniquement propre à l'agriculture, comme l'est la plaine de Thèbes[318].

Un fait absolument semblable se produisit plusieurs siècles après dans l'histoire de la Grèce. Les Ioniens, refoulés dans l'Attique par l'invasion dorienne, s'y trouvèrent infiniment trop nombreux pour pouvoir y vivre tous. Il fallut qu'une partie d'entre eux se décidât à quitter l'Europe et à aller chercher une nouvelle patrie sur la côte de l'Asie-Mineure, où ils fondèrent les magnifiques cités de l'Ionie. Ainsi, dans les annales de l'humanité, des causes identiques, par une loi qui semble immuable, produisent les mêmes résultats.

 

XII

Obligés de nous attacher à des indices souvent bien fugitifs pour essayer de reconstituer quelques traits des événements d'une époque aussi reculée, nous devons faire appel à tous les ordres d'informations pour leur demander des lueurs de la vérité. Aussi, après avoir scruté les traditions dans lesquelles les Hellènes conservaient les premiers souvenirs de leur race plus on moins dénaturée par le mélange avec les mythes religieux, après avoir recherché les traces monumentales que les Phéniciens ont pu laisser de leur passage dans la Grèce, il nous faut interroger à son tour la philologie, ce précieux, bien que parfois trompeur, instrument d'investigations dont les sciences historiques sont entrées en possession dans notre siècle, et lui demander si son témoignage doit venir confirmer ou détruire les conjectures que nous avons laborieusement édifiées.

Depuis longtemps déjà les philologues ont constaté dans la langue grecque l'existence d'un certain nombre de mots qui ne se rattachent naturellement à aucune racine des idiomes de la famille aryenne, et qui sortent, au contraire, d'une manière évidente des langues sémitiques[319]. Que la communication de ces mots, pour la plupart du moins, ait eu lieu directement des Phéniciens aux populations de la Grèce, en même temps que celle des lettres alphabétiques et de leurs appellations, c'est encore un point sur lequel on est d'accord, et personne n'est venu contester le témoignage des auteurs anciens qui, pour quelques-uns de ces mots, nomment formellement les gens de Chanaan comme les ayant apportés en Grèce[320].

Les mots qui ont été déjà reconnus comme empruntés anciennement par le grec aux langues sémitiques, par l'intermédiaire des Phéniciens, sont d'abord ceux qui désignent les métaux qu'ils venaient chercher dans les îles ou sur le continent hellénique, les travaux d'exploitation minière qu'ils y exécutaient et certains végétaux qu'ils y trouvaient.

χρυσός = hharouts ;

νίρτον = nether ;

μέταλλον = matal[321] ;

κυπάρισσος = gopher ;

2° Les noms de végétaux ou de substances diverses portées d'Orient en Occident :

ύσσωπος = ezôb ;

βάλσαμον = besem ;

φΰκος = pouk ;

έβενος = habni ;

χαλβάνη = hhelbonah ;

κύμινον = kammon ;

κύπρος = kopher ;

λέβανος = lebonah ;

λήδον, λάδανον = lot ;

μύρρα = mor, forme araméenne murrah ;

κάννα = qaneh ;

κασσία = qetsiâ'h ;

κίνναμον, κιννάμωμος = qinnamôn ;

συκάμινος = schiqmah ;

μάννα = man ;

σοΰσον = schouschan ;

σίκερα = schechar ;

νέτωπον = netaphah ;

μάλθη = melet ;

σμΐρις = schamir ;

σάπφειρος = sapir ;

ΐασπις = yaschpheh ;

3° Ceux d'animaux originaires de l'Asie, comme : κάμηλος = gamal ;

4° Ceux d'instruments, de poids et mesures et d'objets d'usage de diverses natures, dont les navigateurs phéniciens apportèrent la connaissance aux populations encore barbares des contrées helléniques :

μνά = maneh[322] ;

κάδος = kad ;

κλωβός = kloub ;

χαύων, χαυνών = kawan ;

χιτών = chthoneth ;

σάκκος = saq ;

5° Ceux d'instruments de musique dont l'usage avait été emprunté à l'Asie :

νάβλα = nebel ;

κινύρα = kinnôr ;

σαμβύκη = sabkah ;

όθόνη = etôn ;

6° Ceux de diverses choses se rapportant au commerce et à la navigation :

άρραβών = erabôn ;

κιξάλλης. — Ce mot, qui, dans l'ancienne antiquité grecque, signifiait un pirate[323], et qui devait se prononcer originairement κιξάλλης, nous semble, comme à M. Renan, ne pouvoir dériver que de la racine sémitique schalal, dépouiller, piller, avec un redoublement initial. Le nom du schin aura passé au son à dans la première syllabe, d'après une analogie très-familière au sanscrit.

L'origine sémitique et phénicienne des mots que nous venons de citer est, nous l'avons déjà (lit, reconnue par tout le monde ; mais les avis diffèrent sur l'époque où ils ont été introduits dans l'idiome des Grecs. M. Bertheau[324] prétend qu'ils sont étrangers pour la plupart à la langue homérique, et en tire un argument en faveur de l'opinion d'Ottfried Muller pour placer l'influence des Phéniciens dans les régions helléniques vers le huitième siècle avant Jésus-Christ. M. Renan se range à cette opinion ; mais nous croyons devoir soutenir une manière de voir entièrement opposée.

Il faut, suivant nous, distinguer deux catégories dans les mots empruntés par les Grecs aux langues sémitiques. Pour les uns, l'emprunt doit être extrêmement antique ; ils se sont fondus dans la langue et en font partie essentielle. Ce sont surtout les noms des matières que les Phéniciens allaient chercher en Grèce, un ou deux tout au plus des substances d'origine asiatique, ceux des objets d'usage et ceux des choses relatives au négoce. Ils correspondent parfaitement à la nature de ce commerce primitif de la race de Chanaan avec les populations les plus anciennes de la Grèce dont nous avons essayé de retracer le tableau ; car ce commerce devait être nécessairement celui de tout peuple civilisé avec des peuples encore barbares ; il consistait à aller chercher en Grèce à l'état brut des matières premières dont l'industrie phénicienne avait besoin, et à porter en échange des produits manufacturés que les habitants du pays ne savaient pas encore fabriquer. Quant aux noms d'animaux de l'Asie, à ceux de la plupart des parfums, des pierres précieuses et des résines végétales usitées pour la médecine, comme à ceux des instruments de musique, ils n'ont jamais pris qu'assez imparfaitement droit de bourgeoisie dans le grec, où ils ont toujours gardé le caractère de mots étrangers empruntés pour rendre des idées qui n'avaient pas d'expression dans la langue. On doit les rattacher à des rapports postérieurs avec la Phénicie et à l'époque du plein développement de la civilisation hellénique. Ce n'est que lorsqu'il en est arrivé à un très-grand raffinement qu'un peuple consomme les objets désignés par ces mots. Les rudes habitants de la Grèce au temps des colonies cadméennes ne devaient pas en demander aux navigateurs venus de Sidon.

Cette distinction une fois établie, prenons les poèmes d'Homère. Bien loin d'y trouver la confirmation du fait affirmé par M. Bertheau, nous y rencontrons l'emploi multiplié de cinq des mots de la première catégorie, sur treize que nous y rangeons. Ce sont χρυσός[325], avec les nombreux dérivés dans la composition desquels entre ce mot[326] κυπάρισσος[327], φΰκος[328], χιτών[329] ; quant à μύρρα, le mot même ne se trouve pas, mais il était déjà tellement entré dans la languie qu'Homère emploie souvent le verbe μύρομαι, qui en est directement dérivé[330]. De plus, nous rencontrons dans l'Odyssée un verbe qui ne se retrouve nulle part ailleurs, et qui paraît être tombé en désuétude dès une époque fort ancienne, τιθιαβώσσω, en parlant des abeilles qui font leurs rayons,

νθα τιθαιβσσουσι μλισσαι[331].

et ce verbe semble bien manifestement devoir son origine au sémitique debasch miel, avec le redoublement initial τι.

Ce dernier mot nous révèle l'existence d'une autre catégorie d'emprunts très-anciennement faits par le grec aux langues sémitiques. Ce sont un certain nombre de mots relatifs aux choses de l'agriculture et de la campagne, particulièrement de noms d'animaux, qui semblent indiquer qu'une portion des colons chananéens dans les contrées helléniques s'était adonnée à la vie agricole et avait fourni des leçons dans ce genre aux populations indigènes, confirmant ainsi ce que nous avons dit de la nature de la colonie cadméenne de la Béotie.

Un des plus frappants parmi ces mots est celui de σής, qui désigne les insectes qui rongent le blé et d'autres plantes. On ne saurait en effet y méconnaître le sas, teigne, du lexique hébraïque. Pour désigner les animaux de l'espèce bovine, le grec possède deux mots différents ; le premier, βοΰς, est le nom proprement aryen appartenant à la même racine que le sanscrit go, gaûs ; le second ne se ramène aussi naturellement à aucun radical de la famille indo-européenne : c'est ταΰρος, qui fait déjà partie de la langue homérique[332] et y produit même des dérivés[333]. Comment y méconnaître le mot sémitique désignant le même animal, qui en hébreu s'offre à nous sous la forme schôr et en araméen sous la forme tôra[334] ? Ταΰρος se retrouve en latin, taurus. Il semble, du reste, que les populations primitives de l'Italie, si étroitement apparentées avec celles de la Grèce et parlant des idiomes très-voisins, aient emprunté encore plus de mots que ces derniers aux navigateurs phéniciens pour désigner des animaux vivant dans leur propre pays ; car nous trouvons en latin :

Turtur = tor et drôr,

Corvus = 'oreb,

Taxus, taxo = takhasch,

qui ne se retrouvaient pas en grec[335].

Les noms hellénique et latin de vin, οΐνος, et vinum, n'ont de correspondants dans aucun autre idiome aryen, excepté en arménien ; mais si on chercherait vainement l'étymologie à l'aide du sanscrit, les diverses langues sémitiques nous offrent un mot identique yain en hébreu et en araméen, et wayn en arabe. Et ce mot est bien proprement d'origine sémitique, car il sort du radical yavan, qui implique l'idée de la fermentation. Le grec κέγχρος et le latin cicer font défaut au sanscrit et à toutes les langues voisines. N'est-il pas naturel d'en rapporter la naissance au sémitique kikkar, orbe, cercle, puisque justement le pois-chiche est la plus exactement ronde et sphérique de toutes les graines légumineuses ? Le radical qui en grec s'applique à toute espèce d'herbe et de légume, χόρτος, et en latin fournit le nom du jardin, hortus, a aussi été depuis longtemps signalé comme ne se retrouvant pas dans les autres idiomes de la famille indo-européenne ; mais dans la famille sémitique, nous voyons hharasch, labourer, hhoresch, forêt, fourré, qui, par une permutation très-habituelle, devient hhereth. Entre hhereth et hortus, ou χόρτος, le rapprochement est bien naturel et bien séduisant ; mais celui qu'il faut établir entre le nom du concombre en grec, σίκυς, et dans les langues sémitiques, paqqu'oth, phalqu'oth, déjà indiqué par M. Hitzig[336], est plus certain encore.

Tous les mots que nous venons d'étudier se rattachent évidemment par leur origine à des colonies chananéennes de nature agricole, analogues à ce que nous avons vu qu'avait dû être celle des Cadméens à Thèbes ; mais en voici un bien plus curieux encore pour nous, puisque les traditions helléniques en rapportent le point de départ à la colonie cadméenne elle-même : c'est le nom du pont γέφυρα. Ce mot, dit-on, vient du nom des Géphyréens, qui descendaient des Phéniciens venus avec Cadmus en Béotie[337]. Établis d'abord à Thèbes, puis à Érétrie en Eubée[338], les Géphyréens avaient fixé plus tard leur demeure à Tanagra dans la Béotie[339], ville qui s'était alors appelée Géphyra[340], et où ils avaient établi les premiers ponts, γέφυραι, que l'on eût vus en Grèce[341]. Expulsés de Tanagra quelque temps après la guerre des Épigones[342], ils avaient enfin cherche un asile en Attique, où les Athéniens les avaient reçus au nombre des citoyens, sous certaines conditions, έπί ρητοΐσι, dit Hérodote. On leur avait, en effet, fixé pour demeure les bords du Céphise au point où il était traversé par la voie sacrée d'Éleusis ; et les conditions qui leur avaient été imposées étaient la construction et l'entretien du pont jeté sur cette rivière, qui rendait d'un accès plus sûr et plus facile la principale artère des communications d'Athènes avec le reste de la Grèce par la voie de terre[343]. On le voit dans les récits dont nous venons d'analyser la substance, les Géphyréens sont présentés comme d'origine chananéenne et comme de grands constructeurs de ponts ; l'origine même du nom de cette sorte de constructions est rattachée constamment à leur souvenir ; seulement on ne dit pas s'ils s'appelaient Géphyréens comme bâtisseurs de ponts, ou si les ponts avaient reçu le nom de γέφυραι en tant que l'œuvre des Géphyréens. Γέφυραι, n'est certainement pas un mot à l'origine aryenne ; il ne cadre avec aucun radical du sanscrit ou des idiomes congénères. Mais si nous cherchons quel est le mot qui exprime l'idée de pont dans les langues sémitiques, nous trouvons en hébreu geschour et en arabe djisr. Entre geschour et γέφυρα, il semble au premier abord qu'il y ait une très-grande distance, et cependant nous regardons les deux mots comme identiques. Il faut, en effet, tenir d'abord compte de la facilité de permutation du sch et du th, constante dans les idiomes sémitiques, et presque de règle lorsqu'on passe de l'hébreu à l'araméen. Une forme gethour pour geschour n'a donc rien que de parfaitement naturel, et a dû exister. Dès lors on est en droit de la tenir pour l'origine de γέφυρα, car une des permutations les plus habituelles et les plus normales de la langue grecque est celle du t aspiré ou θ en φ.

Remarquons, du reste, en passant, comme une coïncidence qui ne doit pas être fortuite, que si nous rencontrons en Grèce, à côté du mot γέφυρα, pont, une localité du nom de Γέφυρα et une population de Γεφυραΐοι, à laquelle on assigne une origine chananéenne, en Syrie, à côté du mot geschour, pont, nous voyons une localité du nom de Geschour[344] et une population de Geschouriim[345].

M. Oppert disait, en 1866, dans la leçon d'ouverture de son cours de philologie comparée près la Bibliothèque alors impériale : La grammaire grecque nous indique un organisme analogue à la grammaire sanscrite, latine, slave ; mais le dictionnaire, quoique montrant une très-grande majorité de mots, surtout de racines verbales, évidemment aryens, nous révèle une minorité très-respectable de termes étrangers à toutes les autres langues indo-européennes, et des vocables sémitiques. Ces termes ne se bornent pas aux expressions désignant des animaux, des métaux, des végétaux, mais expriment en partie les notions les plus essentielles à la vie civile et politique, et pour lesquelles les Hellènes seuls se séparent de l'unanimité des nations indo-européennes. Il ajoutait en note : Je compte prouver assez prochainement l'existence d'un élément sémitique dans le dictionnaire de la plus belle des langues indo-européennes.

Nous attendons avec une vive impatience le travail ainsi annoncé par M. Oppert, dans lequel cet éminent érudit développera et complétera avec son savoir philologique si immense et si sûr la démonstration du fait que nous n'avons pu qu'indiquer en passant. D'après ce qu'il annonce, M. Oppert étendra la preuve des emprunts faits par le grec aux langues sémitiques aux expressions d'ordres d'idées dans lesquels on n'avait pas jusqu'à présent recherché ces emprunts. Il démontrera de plus en plus, de cette manière, combien fut puissante et à quelle haute antiquité remonte l'influence des colons chananéens sur les habitants encore barbares de la Grèce, avec lesquels ils se trouvèrent en contact, influence à laquelle les races du continent hellénique durent la communication de l'écriture et de l'alphabet.

Mais dès à présent, et par nos seuls efforts, nous arrivons à cette conclusion que, parmi les mots que la langue grecque a reçus des Phéniciens, ceux qui paraissent le plus anciennement introduits, et somme toute, les plus importants, sont antérieurs à l'âge des poésies homériques, qu'à cette époque l'adoption en remontait assez haut pour qu'ils eussent déjà pris rang parmi les racines mêmes de la langue, et pour qu'ils eussent fourni toute une série de dérivés, soit à eux seuls, soit en entrant en composition avec d'autres racines.

Le fait que nous constatons a bien son importance. Il fournit une des meilleures et des plus sûres preuves de la date reculée que nous assignons aux colonies phéniciennes qui communiquèrent aux races de la Grèce un grand nombre de connaissances, dont la plus importante fut celle de l'écriture alphabétique.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Publié en 1867, dans les Annales de philosophie chrétienne.

[2] Ce travail, développé et complété, est maintenant en cours de publication, sous le titre d'Essai sur la propagation de l'alphabet phénicien dans l'ancien monde. Il formera cinq volumes grand in-8° ; un volume et demi ont déjà paru en trois fascicules.

[3] Euripid., Bacch., v. 171 et 1025. — Aristophan., Ran., v. 1256. — Stat., Theb., II, v. 300. — Ovid., Metam., III, v. 129 ; Pontic., I, III, v. 77. — Senec., Œdip., v. 710.

[4] Hérodote, II, 49. — Euripid., Phœniss., v. 617, cf. v. 209. Euripid. ap. Porphyr., De abstinent. carn., IV, 19. — Stat., Theb., II, v. 613. — Ovid., Metam., II, v. 845 ; III, v. 35 et 539 ; Fast., I, v. 489 ; V, v. 605.

[5] Euripid., Bacch., v. 171. — Apollon. Rhod., III, v. 1186. — Ovid., Metam., III, 8.

[6] Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 131.

[7] On lui donne aussi quelquefois pour frère Thasos, personnification des colons phéniciens des iles situées le long de la côte de Thrace. (Schol. ad. Euripid., Phœniss., v. 5. — Pausan., V, 25, 7. — Conon., Narrat., 37.)

[8] Bœtticher, Ideen zur Kunstmythologie, t. I, p. 307 et suiv. — Hœck, Kreta, t. I, p. 53 et suiv. — Welcker, Ueber eine Kretische Colonie in Theben, die Gœttin Europa und Kadmos den Kœnig, p. 1 et suiv. — Movers, Die Phœnizier, t. I, p. 509.

[9] Hérodote, II, 49 ; IV, 45. — Euripid., Phœniss., v. 647 ; ap. Porphyr., De abstin. carn., IV, 19. — Ovid., Metam., II, v. 845 ; III, v. 35 et 539 ; Fast., I, v. 489 ; V, v. 605. — Senec., Hercul. fur., v. 9. — Stat., Theb., I, v. 10 ; II, v. 73 et 613 ; III, v. 406. — Pausan., V, 25, 7. — Quint. Curt., IV, 4, 20. — Claudian., Epigr. 4, v. 5 ; Consul. Stilich., I, v. 318. — Oppian., Cyneg., IV, v. 291.

[10] Amer., Fragm., 55. — Plato., De leg., II, p. 664. — Phrynich., ap. Aristoph., Vesp., v. 220. — Schol. ad. h. loc. — Isocrat., Encom. Helen., 30. — Lucian., De Dea Syria, 4 ; Dial. deor. marin., XV,1. — Nicandr., Theriac., v. 60. — Evhemer. ap. Athen., XIV, 77, p. 658. — Achill. Tac., I, 1. — Hygin., Fab., 178. — Dict. Cret., I, 2, 26. — Ampel., Lib. mem., 9. — Schol., ad Homer., Iliade, B, v. 494.

[11] Vib. Sequest, De flumin., p. 13.

[12] Diodore de Sicile, V, 58.

[13] Apollodor., III, 1, 1.

[14] Diodore de Sicile, V, 48.

[15] Callisthen. ap. Strabon, XIV, p. 680.

[16] Apollodor., III, 4, 1.

[17] Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 638. — Aristoph., Ran., v. 1256.

[18] Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 638. — Pausan., IV, 12, 1. — Hygin., Fab., 178.

[19] Voyez Jacobi, Handwœrterb. der Mythol., v° Kadmos.

[20] Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 638. — D'après Ovide, à Jupiter : Metam., III, v. 26.

[21] Apollon. Rhod., III, v. 1180. — Hygin., Fab., 6 et 178. — Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 930. — Tzets. ad Lycophr., Cassandr., v. 1206.

[22] Hygin., Fab., 6.

[23] Tzetz. ad Lycophr., loc. cit.

[24] Hellanic. ap. Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 657. — Pherecyd. ap. Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 662. — Ovid., Metam., III, v. 60 et suiv. — Hygin., Fab., 178.

[25] Pausan., IX, 5, 1. — Apollodor., II, 4, 1. — Schol. ad Eurip., v. 670 et 942. — Schol. ad Pindar., Isthm., I, v. 41.

[26] Pindar., Pyth., III, v. 160 et suiv. ; Fragm., 8, p. 652, ed. Bœckh. — Theogn., v. 15 et suiv. — Schol. ad Pindar., loc. cit. — Diodore de Sicile, IV, 65 ; V, 49. — Stat., Thebaïd., II, v. 266. — Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 71.

[27] Diodore de Sicile, IV, 48 ; V, 49.

[28] Schol. ad Euripid., Phœniss., v. 7. — D'après un autre récit, Cadmus épouse non Harmonie, mais Électre, fille d'Atlas. (Schol. ad Euripid., loc. cit.)

[29] Hérodote, II, 49. — Euripid., Bacch., v. 181.

[30] Paus., IX, 5, 2.

[31] Apollon. Rhod., IV, v. 517. — Scyl., Peripl., p. 9. — Strabon, VII, p. 326. — Phylarch. ap. Athen., XI, p. 462. — Nicandr., Theriac., v. 607. — Steph. Byz, v° Βουθόη et Ίλλυρία. — Nenn., Dionys., IV, 417 et suiv. ; XLIV, v. 116 et suiv. ; XLVI, v. 364 et suiv.

[32] Apollodor., III, 5, 4. — Steph. Byz., v° Ίλλυρία. — Eustath., ad Dionys., v. 95, p. 104.

[33] Apollodor., III, 1, 1 ; 4, 1 et suiv. ; 5, 4. — Cf. Pind., Olymp., II, v. 141. — Schol., ad. Pind., Pyth., III, v. 153 et 167. — Strabon, I, p. 46 ; VII, p. 326. — Pausan., IX, 5, 1. — Hygin., Fab., 6. — Ovid., Metam., III, v. 98 ; IV, v. 575. — D'après un récit particulier, conservé par Ptolémée Héphestion (I, p. 12, ed. Roulez), ce n'est pas en serpent, mais en lion, que Cadmus est changé à la fin de ses jours.

[34] Hesiod., Theog., v. 975.

[35] Voyez Movers, Die Phœnizier, t. I, p. 517.

[36] Athen., XIV, p. 858. — Cf. Movers, Die Phœssisier, p. 513 et suiv. ; Encyclop. de Ersch et Gruber, part. XXIV, p. 394-408.

[37] Pausan., III, 15, 6.

[38] Plutarque, Pelopid., 19.

[39] Voyez Ch. Lenormant et de Whitte, Élite des monuments céramographiques, t. III, p. 196.

[40] Ap. Strabon, X, p. 472.

[41] Ap. Schol. ad Apollon. Rhod., I, v. 915-921.

[42] Orchomenos und die Minyer, p. 119, 216 et 461.

[43] Das phœnizische Altherthum, t. II, p. 85 et suiv.

[44] Histoire des religions de la Grèce antique, t. III, p. 236.

[45] Sanchoniaton, p. 45, éd. Orelli.

[46] Die Phœnizier, t. I, p. 517.

[47] Nonn., Dionysiac., II, v. 274 ; XLI, v. 352. — Cf. l'expression de l'Apocalypse (XII, 9 ; XX, 2) : le serpent antique, pour désigner Satan, et la locution rabbinique équivalente, signalée par Schœttgen à l'occasion du passage de l'Apocalypse.

[48] Movers, Die Phœnizier, t. I, p. 516. — Voyez sur le dieu Qadmôn et son rapport avec la conception de l'Adam qadmôn de la Kabbale et des Ophites ou Naasséniens, mes Lettres assyriologiques, t. II, p. 172-175.

[49] Le dieu Cadmus a déjà été reconnu par Panofka, avec sa sagacité habituelle, sur un certain nombre de peintures de vases de ce style grec archaïque qui est directement imité des produits de l'art de l'Asie (Panofka, Cabinet Pourtalès, p. 69, pl. XV. — Cf. Ch. Lenormant et de Whitte, Élite des monum. céramograph., t. III, pl. XXXI, XXXII et XXXIII A.). — Le type de ce personnage est celui d'un dieu viril, âgé et barbu, muni d'ailes recourbées, le corps terminé inférieurement par une queue d'anguille. Un oiseau qui semble une sorte d'oie ou de canard, et dont la présence est pour le moment inexplicable, ou bien dans d'autres cas un lion, faisant allusion à la forme du mythe rapporté par Ptolémée Hiphestion, accompagne l'image de ce dieu. — Voyez mon Essai de commentaire des Fragments cosmogoniques de Bérose, p. 465.

[50] Orchomen., p. 113 et suiv.

[51] Hérodote, II, 53.

[52] Iliade, II, v. 494-517.

[53] Odyssée, V, v. 336.

[54] Iliade, IV, v. 385.

[55] Iliade, XIV, v. 321 et suiv.

[56] Syncell., p. 172, 180, 181, 238, 239 et 247. — Euseb. Armen., p. 168, ed. Mai. — Cf. Heyne, Nov. Comment. Societ. Reg. Scient. Gotting., t. I et II ; Opuscul., t. VI, p. 482 et suiv.

[57] Voyez Clinton, Fasti Hellenici, t. I, p. 112-123.

[58] Syncell., p. 180.

[59] Hérodote, VI, 47.

[60] Orchomen., p. 119.

[61] Pausan., IX, 12, 2. — Steph. Byz., v° Όγκαΐα. — Nonn., Dionys., V, v. 70. — Cf. Selden, De diis Syris, p. 264.

[62] Steph. Byz., v° Όγκαΐα.

[63] Die Phœnizier, t. I, p. 613.

[64] Histoire des religions de la Grèce, t. I, p. 97.

[65] D'après Porphyre, Saturn., I, 17.

[66] Quelle que soit du reste sa véritable étymologie, l'appellation d'Athéné Onga se rattache à toute une série de noms religieux importés très-probablement de l'Orient, qui tous se reproduisent dans des mythes relatifs à Minerve ou à Neptune, dieu si fréquemment associé à la fille de Jupiter. En Béotie, la ville d'Onchestus est le théâtre d'un culte tout spécial pour Posidon (Pausan., IX, 26, 3) ; c'est en se mêlant aux cavales oncéennes que ce dieu rend Déméter mère du cheval Arion (Pausan., VIII, 25, 3) ; le roi de Béotie, sous lequel le gonflement du lac Copaïs produit un cataclysme terrible, s'appelle Ogygès (Pausan., IX, 5, 1. — Schol., ad Apollon. Rhod., Argon., III, v. 1177. — Serv., ad Virg., Eclog., VI, v. 41). Dans la religion de l'Asie-Mineure, nous retrouvons une appellation analogue, celle de Jupiter-Neptune de Mylasa, en Carie, nommé Ogoa ou Osogo (Pausan., VIII, 10, 3. — Strabon, XIV, p. 659). En même temps, chez les Arcadiens, c'est Apollon qui est appelé Όγκαΐος (Pausan., VIII, 25, 5). — Sur ces noms divers et sur les idées auxquelles ils se rapportent, voyez du reste Ch. Lenormant, Nouvelle galerie mythologique, p. 52-56. Cette série de rapprochements tendrait, du reste, à donner au nom d'Athéné Onga une origine aryenne et non sémitique.

[67] Au mot Έλιεύς.

[68] Chanaan, l. I, c. 17.

[69] Sanchoniathon., p. 24, ed. Orelli.

[70] Pausan., IX, 8, 3.

[71] Sur les noms de ces sept portes, voyez Æschyl., Sept. adv. Theb., v. 380 et suiv. — Euripid., Phœniss., v. 1111. — Apollodor., III, 6, 6. — Stat., Thebaïd., VIII, v. 353. — Nonn., Dionys., V, v. 69 et suiv.

[72] Le regrettable M. Brandis s'est occupé du caractère sémitique des sept portes de Thèbes dans une dissertation spéciale que je n'ai malheureusement pas sous les yeux.

[73] Pausan., IX, 10, 2 et 5. — Pindar., Fragm., 8, ed. Bœckh.

[74] Apollodor., III, 12, 7. — Diodore de Sicile, IV, 72.

[75] Mélia est, dans Pindare (Pyth., XI, v. 6-11), le lieu où était situé le temple d'Apollon Isménien.

[76] Pausann., IX, 10, 5.

[77] Apollodor., II, 1, 3.

[78] Ovid., Metam., III, v. 169.

[79] Voyez Ch. Lenormant et de Whitte, Élite des monuments céramographiques, t. II, p. 111 et 317.

[80] Orchomen., p. 220 ; Die Dorier, t. I, p. 235.

[81] Sur ce caractère du dieu phénicien, voyez Maury, Revue archéologique, t. III, p. 761 et suiv.

[82] Voyez Movers, Die Phœnizier, p. 527 et suiv.

[83] Damasc., ap. Phot., Biblioth., p. 352, ed. Bekker. — Sanchoniath., p. 38, ed. Orelli.

[84] Xenocrat., ap. Clem. Alex., Protrept., v. 69.

[85] Cf. Movers, loc. cit. — Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, t. III, p. 247.

[86] Lenormant et de Whitte, Élite des monuments céramographiques, t. II, p. 111. — Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, t. III, p. 448-452.

[87] Esmoun, raconte Damascius, était le plus beau des dieux, et Astronome fut éprise d'amour pour lui. Ils se rencontrent un jour à la chasse ; la déesse poursuit le jeune dieu, qui. pour résister à sa tentation amoureuse, se mutile d'un coup de hache, de la même manière qu'Origène. Astronome, au désespoir, le ressuscite par sa chaleur vivifiante et lui donne, en mémoire de cet événement, le nom à Esmoun, puis elle lui fait prendre place dans le ciel à côté d'elle.

[88] Maury, Revue archéologique, t. III, p. 771.

[89] Voyez Jacobi, Handwœrterb. der Mythol., aux mots : Palœmom, Leukothea et Athamas.

[90] Maury, Hist. des religions de la Grèce antique, t. III, p. 245.

[91] Maury, Hist. des religions de la Grèce antique, t. I, p. 417 ; t. III, p. 240.

[92] Voyez Knobel, Die Vœlkertafel der Genesis, p. 216 et suiv., p. 294. — Stark, Forschungen zur Geschichte und Alterthumskunde der Hellenistischen Orients, Iéna, 1852, in-8°.

[93] M. Ebers, dans son livre sur la Bible et les livres de Moïse, propose une très-ingénieuse étymologie de Kaphtorim par l'égyptien Kef-t ôer, la grande Kef-t. Le nom de Kef-t est celui que les Égyptiens donnaient à la Phénicie. Il rappelle les Céphènes d'Hellanicus et le roi Céphée que la légende grecque fait régner à Joppé. (Note de 1878.)

[94] Genèse, X, 4. — Cf. Bochart, Phaleg., l. III, c. 6. — Ch. Lenormant, Introduction à l'histoire de l'Asie occidentale, p. 315.

Il y a cependant des doutes sur la leçon Rodanim, dans le texte du chapitre X de la Genèse. Quelques savants préfèrent la variante Dodanim, qui serait le nom d'une fraction plus étendue de la race pélasgique, nom qu'il faudrait comparer à ceux de Dodone et des Dardaniens (Knobel, Die Vœlkertafel der Genesis, p. 104 et suiv.).

[95] Conon, Narrat., 47, ap. Phot., Biblioth., 186.

[96] Atehn., VIII, p. 360 et suiv.

[97] Cf. Dict. Cret., I, 15 ; IV, 4 ; VI, 10.

[98] Josèphe, Contr. Ap., I, 18.

[99] Movers, Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 344.

[100] Movers, t. II, part. II, p. 251.

[101] Diodore de Sicile, V, 58.

[102] Voyez Samuel Birch, Archœologische Zeitung ; Archœologiecher Anzeiger, 1860, p. 70-73. — Saltzmann, Revue archéologique, novembre 1861.

Le grand ouvrage dans lequel M. Saltzmann avait commencé la publication de ses fouilles de Camirus s'est trouvé interrompu après un très-petit nombre de livraisons, et il est probable qu'il ne sera jamais repris.

[103] Sur ces coupes, voyez de Longpérier, Journal asiatique, 1855, p. 411, 418.

[104] Hérodote, IV, 147 et 148.

[105] Pausan., III, 1, 7 et 8.

[106] Theophrast. ap. Schol. ad Pindar., Pyth., IV, v. 88.

[107] Syncell., p. 299. — Cramer, Anecdot. græc., Paris, t. II, p. 190. Barhebræus, Chron. Syr., p. 16.

[108] Voyez la Revue archéologique, novembre 1866. — Fouqué, Mission scientifique à l'île de Santorin, dans les Archives des Missions, 2e série, t. IV (1867).

M. Gorceix a rendu compte de ses fouilles, postérieures à celles de M. Fouqué, dans le Bulletin de l'École française d'Athènes, t. Ier.

[109] Knobel, Die Vœlkertafel der Genesis, p. 95 et suiv.

[110] Cette étymologie est-elle certaine et doit-on considérer Théras comme un personnage réellement historique ? Θήρα ressemble beaucoup au mot θήρ, θήρα, monstre, animal sauvage, et un tel nom aurait été naturellement appliqué au volcan redoutable qui sommeillait sous l'ile de Théra, révélant de temps à autre son existence par des convulsions comme celles dont cette année a été témoin.

[111] Hésychius, v° Θήραιον et Θηροειδεΐς. — Pollux, Onom., VII, 48 et 77.

Des broderies semblables sont attribuées dans Homère aux ouvriers phéniciens. (Iliade, II, v. 289.)

[112] Bœckh, Corp. inscr. græc., t. II, p. 364, n° 2448.

[113]Melos.

[114] Syncell., p. 299. — Cramer., Anecdot. grœc., Paris, t. II, p. 190. — Barhebræus, Chron, Syr., p. 16.

[115]Μήλος.

[116] Diosc., V, 121. — Pline, XXXV, 50.

[117] Diosc., V, 123. — Diodore de Sicile, V, 11. — Pline, XXXV, 52.

[118] Diosc., V, 180. — Pline, XXXV, 19.

[119] Thucydide, V, 84.

[120] Voyez mon Rapport à l'Empereur, dans les Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1866, p. 272.

[121] Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions, 1866, p. 271.

[122] Papadopoulos, Περιγραφή έκτυπωμάτων άρχαίων σφραγιδολίθων άνεκδότων, n° 283.

[123] Papadopoulos, n° 284.

[124] Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions, 1866, p. 272.

[125] Abeken, Mittel-Italien, p. 19. — Birch, History of anciens pottery, t. I, p. 253. — Voyez mon Rapport à l'Empereur, dans les Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions, 1886, p. 273.

[126] Brongniart, Musée céramique de Sèvres, pl. XIII

[127] Stackelberg, Grœber der Hellenen, pl. IX. — Burgon, Transactions of the Royal Society of Literature, t. II, p. 258.

[128] Gell, Argolis, p. 42. — Dodwel, Classical tour in Greece, t. II, p. 237. — R. Rochette, Mém. de l'Acad. des inscr., nouv. sér., t. XVII, part. II, p. 78.

[129] Il ne faut pas cependant ajouter foi à l'assertion de Bory de Saint-Vincent, qui prétendait avoir trouvé quelques-uns de ces vases, aujourd'hui conservés au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale et au Musée céramique de Sèvres, dans des tombeaux antérieurs à l'effondrement du volcan primitif et recouverts par toute l'épaisseur de la couche du tuf ponceux (Brongniart, Traité des arts céramiques, t. I, p. 577). J'ai pu constater de visu la fausseté de cette assertion (Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions, 1866, p. 270). Les tombeaux fouillés par Bory de Saint-Vincent à Mésa-Vouno sont creusés dans la roche calcaire du Saint-Élie ; le tuf ponceux ne les recouvre aucunement. Ils ne sont pas même parmi les plus anciens de et je ne crois pas qu'on doive les faire remonter avant l'établissement des Doriens.

[130] Burgon, Transact. of the Roy. Soc. of Literature, t. II, p. 258. — Birch., Hist. of anc. pott., t. I, p. 256 et 257.

[131] Birch., Hist. of anc. pott., t. I, p. 253.

[132] R. Rochette, Mém. de l'Acad. des inscr., nouv. sér., t. XII, part. II, pl. VIII, n° 1 et 9 ; Ann. de l'Inst. arch., t. XIX, p. 242.

[133] En exécutant des fouilles à Mégare, nous avons trouvé de nombreux fragments de vases d'un style analogue à celui des vases de Corinthe, mais d'une fabrique différente. Des échantillons de ces fragments ont été déposés par nous au Musée du Louvre. Ce sont les poteries mégariennes dont parlent les anciens : Athen., I, p. 28. — Steph. Byz., v° Μέγαρα.

[134] Voyez cependant Brongniart, Traité des arts céramiques, t. I, p. 577 et 586. — Birch, History of ancient pottery, t. I, p. 252-256. — De Witte, Gazette des Beaux-Arts, t. XIV, p. 264.

[135] Voyez Archœologische Zeitung, Archœologischer Anzeiger, 1866, p. 258.

[136] Les argiles d'Egine, qu'employaient les céramistes antiques, servent encore aujourd'hui à fabriquer en très-grande quantité des sortes de bardaques à rafraîchir l'eau, dont la pâte est semblable à celle des vases peints que l'on découvre dans les tombeaux de cette île, avec la différence qu'elle est poreuse, particularité qu'on obtient en mélangeant à l'argile du sel marin, que l'eau, mise pour la première fois dans le vase, dissout, laissant dans la pâte un grand nombre de petites vacuoles.

[137] Mon. inéd. de l'Inst. arch., sect. franc., t. I, pl. I et II.

[138] Hammer, Topographische Ansichten gesammelt auf einer Reise in die Levante, p. 151. — Münter, Der Tempel der Himmlischen Gœttin zu Paphos, p. 34.

[139] Dodwell, Tour in Greece, t. II, p. 232. — Gell, Argolis, pl. VII. — Supplement to the antiquities of Athens, pl. IV.

[140] Texier, Voyage en Asie mineure, t. I, pl. LIV, LVIII et LIX.

[141] Cabinet des Médailles de Paris, Musée Britannique et Musée du Temple de Thésée, à Athènes.

[142] Musée Britannique.

[143] Stackelberg, Grœber der Hellenen, pl. IX.

[144] Cabinet des Médailles.

[145] Musée Britannique : Birch, History of ancient pottery, t. I, p. 257.

[146] Cabinet des Médailles, Musée Britannique et Musée du Temple de Thésée à Athènes.

[147] Musée Britannique.

[148] Musée Britannique.

[149] Musée Britannique.

[150] Cabinet des Médailles et collection de M. le comte de Vogüé.

[151] Sur ces animaux fantastiques, voyez Ch. Lenormant, Revue numismatique, 1842, p. 101.

[152] Archœologische Zeitung, 1854, pl. LXI.

[153] Cependant différentes circonstances à relever sur les curieuses amphores primitives trouvées à Milo et publiées par M. Gonze (Melische Thongefœsse, Leipzig, 1862), prouvent que la plupart des vases où l'on voit la figure humaine, même ceux qui paraissent le plus archaïques, sont d'origine hellénique et plus récents que ceux où l'on voit seulement des ornements et des images grossières d'animaux. (Voyez de Witte, Revue archéologique, 1862, p. 401 et suiv.)

Je suis également porté à croire avec M. le baron de Witte (Gazette des Beaux-Arts, t. XIV, p. 264), que, parmi les vases de Théra, ceux qui sont décorés de figures d'animaux, même étrangers à la faune de la Grèce, sont d'un âge moins reculé que ceux qui ne présentent que des ornements insignifiants. (Voyez Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866, p. 273.)

[154] History of ancient pottery, t. I, p. 260.

[155] Dans les fouilles de M. Saltzmann à Camirus, et antérieurement.

[156] Ross, Inseln., t. IV, p. 44.

[157] Des fragments de vases peints analogues avec des inscriptions araméennes sont conservés dans la collection assyrienne du Musée Britannique. Ils ont été découverts par M. Layard à Nimroud, et publiés dans son second recueil de planches.

[158] Voyez de Longpérier, Journal asiatique, 1855, p. 418 ; Notice des antiquités assyriennes du Louvre, 3e édit., p. 61, n° 282, et p. 131-155, n° 576-578.

[159] Les mêmes ornements se retrouvent dans la peinture égyptienne sur les vêtements des hommes de Kéta.

[160] Cet alinéa constitue une addition à mon texte de 1867.

[161] Ross, Inseln, t. I, p. 68. — Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866, p. 273.

[162] Thucydide, IV, 53.

[163] Cf. Movers, Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 270.

[164] Movers, Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 270.

[165] Ézéchiel, XXVII, 7.

[166]Κύθηρα.

[167] Expédition scientifique de Morée, Histoire naturelle, t. III, p. 190. — De Saulcy, Revue archéologique, nouv. sér., t. IX, p. 216, 218.

C'est d'après mes observations que M. de Saulcy parle dans ce travail des amas de coquillages qui marquent l'emplacement des anciennes fabriques de pourpre à Cythère et sur la côte de Laconie. Le savant académicien y établit d'une manière décisive que ce n'était pas de la même espèce de mollusque que l'on tirait la matière tinctoriale de la pourpre en Grèce et à Tyr. En Laconie, on employait le murex brandaris ; à Tyr, le murex trunculus.

[168] Hérodote, I, 105. — Pausanias, I, 15, 5 ; III, 23, 1.

[169] Theog., v. 192.

[170] Diodore de Sicile, V, 56.

[171] Odyssée, VIII, v. 288 ; XVIII, v. 192. — Hymn. in Ven., v. 1.

[172]Κύθηρα. — Ch. Eustath. ad Dion., v. 499, p. 195 ; ad Iliade, XV, 432.

[173] Jud., I, 30.

[174] Voyez Movers, Die Phœnizier, t. II, part. 2, p. 270.

[175] J'ai publié, postérieurement à la rédaction de ce travail, une statuette en bronze évidemment phénicienne, ou plus exactement d'imitation phénicienne, qui a été trouvée à Cythère et que possède le Musée Britannique ; Revue archéologique, nouv. sér., t. XVIII, p. 124.

[176] Pomp. Mela, II, 7. — Pline, IV, 12. — Steph. Byz. v° Αέγιλία.

[177] Elles ressemblent aussi d'une manière frappante aux maisons dont on trouve les ruines dans toute l'enceinte de la ville proprement dite de Mycènes, en avant de l'Acropole, et à celle que j'ai découverte, encore entière, à Mésa-Vouno de Santorin. (Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866, p. 276.)

[178] Thucydide, I, 8.

[179] Die Phœnizier, t. II, part. 2, p. 265.

[180] Hérodote, III, 57. — Suidas, v° Σίφνος.

[181] Cf. Samuel Bochart, Chanaan, l. I, c. 7 et 14.

[182] Steph. Byz., v° Ώλίαρος.

C'est l'île que l'on appelle actuellement Antiparos, célèbre par sa vaste grotte si riche en stalactites.

[183] Die Phœnizier, t. II, part. 2, p. 273.

[184] Pline, XXXVI, 19.

[185] Champollion, Lettres d'Égypte, p. 52.

[186] Hérodote, II, 148.

[187] Steph. Byz., v° Άνάφη et Μεμβλίαρος.

[188] Pausan., VII, 42. — Apollon. Rhod., Argon., II, v. 866. — Steph. Byz., v° Άστυπάλαια.

[189] Hesiod., Theog., v. 977. — Pausan., X, 27, 3.

[190] Voyage en Grèce, Itinéraire, p. 29-32.

[191] Odyssée, XV, v. 416-483.

[192] Schol. ad Thucyd., I, 8.

[193] Chanaan, l. I, c. 14.

[194] Odyssée, XV, v. 403-407.

[195] De sapient., v° Φερεκύδης.

[196] Je dois cependant signaler la nouvelle interprétation que M. Émile Burnouf propose des vers d'Homère, appliquant les mots θι τροπα ελοιο à la grotte sacrée que M. Lebègue vient de découvrir sur les flancs du Cynthe à Délos (Revue archéologique, nouv. sér., t. XXVIII, p. 105.) Il est pourtant difficile de rapporter à Ortygie un membre de phrase qui s'applique bien plus naturellement dans les vers à Syros, ainsi que l'ont entendu jusqu'ici tous les interprètes antiques et modernes.

[197] Nouv. sér., t. XIV, p. 56.

[198] Pline, XXXV, 57.

[199] Aristophan., Ran., v. 713.

[200] Tournefort, Voyage du Levant, t. I, p. 144, édit. in-4°. — Lacroix, Iles de le Grèce, p. 476.

[201] Pline, XX, 81 ; XXVI, 74 ; XXVIII, 28 et 46 ; XXIX, 85 ; XXXI, 46 ; XXXIV, 46 ; XXXV, 56 et 57.

[202] Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866, p. 272.

[203] Thiersch, Abhandl. der Bairisch. Akadem., t. I, p. 586.

[204] Ross, Σίκινος, Progr., 1837.

[205] Ross, Abhandl. der Bairisch. Akadem., t. II, p. 408 et suiv.

[206] Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866, p. 272.

[207] Fiedler, Griech. Reisen, pl. V, n° 3. — Gerhard, Ueber die Kunst der Phœnicier, pl. IV, n° 1.

[208] Fiedler, pl. V, n° 1 et 2. — Gerhard, pl. IV, n° 2 et 4.

[209] Fiedler, p. 586. — Gerhard, pl. IV, n° 3.

[210] Abendl. Philos., I, p. 92.

[211] Dans ses suppléments au Handb. der Archœol. d'Ottfried Müller, § 72, 1.

[212] Ueber die Kunst der Phœnicier, p. 14.

[213] L'origine proprement phénicienne des célèbres idoles de Sardaigne, bien qu'admise par les savants les plus compétents, a été quelquefois contestée. Elle me parait démontrée d'une manière certaine par la publication qu'a faite M. Albert de La Marmora (Mémoires de l'Académie de Turin pour 1854, p. 185) d'une image de bronze exactement semblable, trouvée à Beyrouth. J'ajouterai que j'ai possédé une petite statuette du même style et du même travail que les idoles sardes, ramassée par moi-même dans le sable de la plage de Beyrouth (Catalogue Raifé, n° 551), et qu'on en voit une autre, provenant du même lieu, dans le musée d'Aix-les-Bains, auquel elle a été donnée par M. le vicomte Lepic.

[214] Ch. Lenormant, Revue de l'Architecture, t. II, p. 498, pl. XXI, n° 3.

[215] Ch. Lenormant et de Witte, Él. des mon. céramogr., t. IV, p. 54.

[216] Ch. Lenormant et de Witte, Él. des mon. céramogr., t. IV, p. 62. Layard, Monuments of Niniveh, pl. XCV, n° 5 et 6. — Birch, History of ancient pottery, t. I, p. 124.

[217] Archœologische Aufsœtze, t. II, p. 492.

[218] Revue archéologique, nouv. sér., t. XV.

[219] Il faut en excepter une que j'ai rapportée en 1866, et qui est en terre cuite. (De Witte, Gazette des Beaux-Arts, t. XXI, p. 114.) Celle-ci offre une identité presque parfaite avec les statuettes provenant de la Babylonie. Elle se trouve actuellement au Musée Britannique.

[220] Pausan., III, 13, 19 ; III, 15, 10 ; III, 17, 5.

[221] Pausan., I, 14, 6 ; I, 19, 2.

[222] Él. des mon. céramogr., t. IV, p. 26.

[223] Hérodote, V, 57. — Voyez ma Monographie de la Voie Sacrée Eleusinienne, t. I, p. 246 et suiv.

[224] Bossler, De gentibus Atticœ sacerdotalibus.

[225] De Dinarch., p. 653, ed. Reiske.

[226] Aristot., Politic., III, 2. — Voyez les observations de M. Wordstworth, Athens and Attica, p. 225, note 1.

[227] Genes., XIV, 18. — Psalm., LXXVI, 3. — Joseph., Ant. jud., I, 10.

[228] Chanaan, l. I, c. 21.

[229] Pollux, IV, 10, 76.

[230] Apollodor., III, 12, 6 et 7.

[231] Tzetz ad Lycophr. Cassandr., v. 175.

[232] Steph. Byz., v° Σάλαμις.

[233] Sur la distinction des deux acropoles de Mégare, Caria et Alkathoos, voyez Rhangabé, Mém. prés. par div. sav. étr. à l'Acad. des Inscr., sér. 1, t. V, part. I, p. 275.

[234] Sur cette pierre, et son identité avec le κογχίτης λίθος dont parle Pausanias, voyez Rhangabé, Mém. présent. par div. sav. étr. à l'Acad. des Inscr., sér. 1, t. V, part. I, 298 et suiv.

[235] Ces bijoux sont maintenant exposés dans une vitrine du Louvre.

[236] Voyez Raoul-Rochette, Journal des savants, 1843, p. 354 et 355. — De Witte, Bullet. de l'Acad. de Bruxelles, t. XI, part. I, p. 246.

[237] Millin, Galerie mythologique, pl. XLIII, n° 171-173. — Münter, Der Tempel der Himmlischen Gœttin zu Paphos, pl. IV. — Lajard, Recherches sur le culte de Vénus, pl. I, n° 10-12. — Gerbant, Ueber die Kunst der Phœnicier, pl. III, n° 17 ; Ueber das Metroon zu Athen und über die Gœttermutter, pl. I, n° 11.

Tacite (Hist., II, 3), Philostrate (Vit. Apollon. Tyan., III, 48), Maxime de Tyr (Dissert., VIII, 8) et Servius (ad Virg. Æneid., I, v. 720) sont d'accord avec le témoignage des médailles de Cypre, et décrivent la Vénus de Paphos comme adorée sous la forcie d'une pierre conique. Le même cône se voit placé entre deux cyprès sous le portique du temple d'Astarté, au revers d'une curieuse médaille d'Ælia Capitolina (Lajard, Recherches sur le culte de Vénus, pl. XV, n° 7). D'autres monuments monétaires de l'Asie occidentale, et notamment une médaille coloniale d'Héliopolis, frappée en l'honneur de Philippe père (Lajard, Culte de Vénus, pl. XV, n° 2), nous offrent l'image d'Astarté debout entre deux personnages supportés chacun par un cône ou par un cippe de forme conique. Je renvoie dans la note suivante à l'image tracée sur les ex voto du temple de la Dea cœlestis à Carthage. Dans les ruines de cette même ville, on a découvert un cône de dimensions considérables, qui avait évidemment servi d'idole (Hamaker, Diatribe philologico-critica monumentorum aliquot punicorum nuper in Africa repertorum interpretationem exhibens, pl. I, n° 1-4. — Münter, Der Tempel des Himmlischen Gœttin, p. 11), et un autre dans la Giganteja du Gozzo (La Marmora, Nouv. Ann. de l'Inst. arch., t. I, p. 18 et suiv. — Mon. inéd. de la sect. franç. de l'Inst. arch., pl. II, 0, 0, 0).

Tout montre, ainsi que le cône, une des trois formes divines par excellence,(les deux autres sont la sphère et le cylindre), suivant une inscription découverte à Pergame, où le culte de la Vénus de Paphos était florissant (Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresque de la Grèce, p. 171 ; Corp. inscr. græc., n° 3546), était le symbole essentiel de la Vénus asiatique. Mais le cône, comme le Lingam indien, n'est qu'une forme déguisée et épurée du phallus ; les académiciens d'Herculanum l'ont entrevu les premiers (Pitture d'Ercolano, t. III, p. 275) ; après eux, Creuzer (Symbolik, l. IV. c. 6, § 2 ; t. II, p. 221 et suiv. de la traduction de M. Guigniault) et M. Guigniault (La Vénus de Paphos et son temple, à la fin du tome IV de la traduction de Tacite par Dumont, p. 429,), en ont complété la démonstration de la manière la plus positive. Clément d'Alexandrie (Protrept., II, p. 13, ed. Potter) et Arnobe (Adv. gen., v. 18) racontent que l'on distribuait des phallus eux initiés du temple de Paphos ; mais Münter a fort bien établi que ce devaient être seulement de petits cônes analogues à ceux, si multipliés dans les collections d'antiquités, qui portent gravé sur le plat un sujet de travail asiatique. Tout ceci nous donne le droit de supposer que les deux grands phallus que Lucien (De dea Syr., 16), dit avoir vus en avant du temple d'Hiérapolis de Syrie devaient lire des cènes analogues à celui de l'Astarté papinienne, ou plutôt des monolithes analogues par leur forme aux moughazil d'Amrith.

[238] Gesénius, Mon. phœnic., pl. XXIII et XXIV.

[239] Gesénius, Mon. phœnic., pl. XXXIX, 13, D.

[240] Pausanias, I, 37, 5 ; I, 50, 5.

[241] Ueber die Lykischen inschriften und die alten Sprachen Kleinasiens, dans la Zeitschrift der deutschen morgenlœndischen Gesellschaft, t. X, p. 381.

[242] Questions relatives aux antiquités des peuples sémitiques, p. 37.

[243] Die Ionien vor der ionischen Wanderung, p. 15.

[244] M. Gerhard (Ueber das Metroon zu Athen., pl. III) a publié deux figurines analogues, découvertes auprès de Platées par Ross, et passées récemment dans les vitrines du musée de Berlin, avec toute la collection de ce savant. L'illustre archéologue prussien appelle ces figurines Dœdalische Idole, et leur assigne une origine pélasgique. Mais le caractère primitivement phénicien de ces représentations, que nous considérons comme étant celles d'Astarté, me semble rendu indubitable par les considérations que l'on a vues plus haut sur le rapport étroit et essentiel entre le symbole du cône et le culte de la Vénus asiatique, ainsi que par l'existence d'une figurine de terre cuite étalement en forme de cône et armée de bras, mais sans tête, que j'ai rapporté de Thèbes de Béotie, et offert au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale. On distingue, en effet, sur la partie postérieure de cette figurine, trois lettres phéniciennes incontestables tracées à la pointe.

Ce monument a été trouvé en 1859 dans un tombeau extrêmement ancien, à l'intérieur de la ville hellénique et romaine, le long des murailles cyclopéennes de la Cadmée. Une semblable situation indique une date très-haute, quoique cependant bien postérieure à celle où l'élément chananéen prédominait dans la population de Thèbes. Mais, malgré cela, la découverte d'un objet indubitablement phénicien dans les ruines de cette ville n'en est pas moins curieuse et digne d'être notée.

J'ai rapporté de Thèbes en 1866 trois autres figurines de style très-ancien, plates et grossières, représentant une déesse en forme de cône ou de bétyle, avec deux bras rudimentaires et une tète (actuellement au Musée Britannique). Elles portent une couronne élevée ; de grandes boucles d'oreilles pendent jusque dans le cou. Une de ces figurines a la tête ornée d'un diadème ; une autre a un disque placé devant la couronne élevée. (Voyez de Witte, Gazette des Beaux-Arts, t. XXI, p. 108.) C'est bien évidemment la même divinité que celle dont l'image était retracée par le cône simple que j'ai acquis aux mêmes lieux en 1860 ; son image a été en se perfectionnant graduellement par une progression exactement semblable à celle que l'on a déjà suivie pour la figure de l'Artémis de Perga (Ch. Lenormant, Revue numismatique, 1843, p. 272). S'il fallait donner un nom à ces déesses, on peut penser à Harmonie, forme héroïque d'Astarté, plutôt qu'à Vénus, dit M. de Witte. Et, en effet, j'ai déjà rappelé dans le paragraphe II du présent travail qu'Harmonie devait être rapprochée de l'Astarté sidonienne. Son nom même, Άρμονία, n'est que l'exacte traduction du nom d'une des formes de la divinité féminine chez les Chananéens (Movers, Die Phœnizier, t. I, p. 508 et suiv.), la Θουρώ ή μετονομασθεΐσα Χούσαρθις (Thorah, appelée aussi Hhaschereth) de Sanchoniathon (p. 42, ed. Orelli).

Quoi qu'il en soit de ce dernier point, il ressort des monuments que je viens de passer en revue qu'à Thèbes on adorait une déesse issue directement de l'Astarté de la Phénicie, et ayant gardé dans sa représentation jusqu'à une époque assez tardive les marques incontestables de son origine. C'est une donnée à ajouter à celles que j'ai rassemblées plus haut, dans le paragraphe III, au sujet du caractère phénicien empreint dans les principaux cultes de Thèbes.

[245] Catalogue Raifé, n° 1032.

J'ai déposé un certain nombre d'échantillons de ces figurines au Louvre et au musée archéologique d'Orléans.

[246] Bullet. de l'Inst. arch., 1841, p. 141.

[247] Finlay, loc. cit., p. 140. — Papadopoulos, Περεγρ. έκτυπ. άρχ. σφραγιδ. άνεκδ., n° 453.

[248] Finlay, loc. cit., p. 141.

[249] Gazette des Beaux-Arts, t. XIV, p, 204.

[250] Hérodote, VI, 47.

[251] Ap. Eustath. ad Dionys., v. 517, p. 202 et suiv.

[252] Polyæn., Stratag., t, 45, 4.

Voyez les médailles d'argent à la légende ΠΡΑΚΛΕΟΥΣ ΣΩΤΗΡΟΣ ΘΑΣΙΩΝ, Eckhel, Doctr. num. vet., t. II, p. 54.

[253] Hérodote, II, 44.

[254] Pausan., V, 25, 12. — Apollodor., III, 1, 1. — Conon., Narrat., 37. — Steph. Byz., v° Θάσος. — Schol. ad Euripid., Phœniss., v. s.

[255] Arrian. ap. Eustath. ad Dionys., v. 517, p. 202. — Apollodor., III, 1, 1.

[256] Arrien., ibid. — Apollodor., ibid.

[257] Clem. Alex., Stromat., I, 21. — Cf. Fischer, Griechisch. Zeittafeln, p. 78 et 79.

[258] Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 278 et 279.

[259] Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 386.

[260] Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 410 et suiv.

[261] J'ai laissé subsister ici ma rédaction de 1867. Mais je crois aujourd'hui que les monuments épigraphiques de l'Assyrie lèvent cette difficulté. Le siège de Tyr commença sous Salmanassar VI, comme celui de Samarie, vers 724 av. J.-C. Poursuivi pendant cinq ans, au témoignage de Ménandre (ap. Josèphe, Ant. jud., IX, 14, 2), il se termina vers 719 par la chute de la ville, sous le régne de Sargon, qui se vante en effet d'avoir pris Tyr (voyez Schrader, Die Keilinschriften und das Alte Testament, p. 76 et 268). Ne pouvant plus recevoir de secours de la métropole bloquée, la colonie phénicienne de Thasos dut succomber dans cet intervalle. Si donc les colons pariens n'arrivèrent qu'en 708, ils durent en effet trouver les Thraces indigènes seuls maîtres depuis quelques années des anciens établissements chananéens. (Note de 1873.)

[262] Voyez Movers, Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 280 et suiv.

[263] Pag. 39, ed. Orelli. — Voyez Guigniaut, Religions de l'antiquité, t. II, part. II, p. 1096. — Movers, Die Phœnizier, t. I, p. 652.

[264] Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 284.

[265] Voyez Hahn, Albanesische Studien, p. 211-279.

[266] Histoire des premiers temps de la Grèce, t. I, p. 142 et suiv.

[267] Fasti hellenici, t. I, p. 87.

[268] Pausan., IX, 5, 2.

[269] Pausan., IX, 5, 1 et 2.

[270] Pausan., IX, 5, 1 et 2. — Apollodor., III, 5, 2.

[271] Pausan., IX, 5, 1 et 2.

[272] Apollodor., III, 5, 3. — Pausan., IX, 5, 1 et 2.

[273] Pausan., IX, 5, 3. — Apollodor., III, 5, 3.

[274] Pausan., IX, 5, 3. — Apollodor., III, 5, 3.

[275] Pausan., IX, 5, 3. — Apollodor., III, 5, 3.

[276] Schol. ad Æschyl., Sept. adv. Theb., v. 8f.

[277] Pausan., IX, 9, 2. — Apollodor., III, 7, 2.

[278] Hérodote, V, 60. — Pausan., IX, 9, 2.

[279] Pausan., IX, 8, 3.

[280] Pausan., IX, 5, 7.

[281] Pausan., IX, 5, 8.

[282] Cf. Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 103.

[283] Hérodote, II, 44.

[284] Justin., XVIII, 3.

[285] Voyez Movers, Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 137.

Il faut s'entendre sur ce mot de fondation de Tyr. Tyr existait bien avant 1209, mais ce n'est qu'alors qu'elle devint une grande ville. Dans le précieux texte qui nous a été conservé dans le papyrus hiératique du Musée Britannique, connu sous le nom de Papyrus Anastasi n° 1, où sont racontées les missions d'un fonctionnaire égyptien sous le règne de Ramsès II, ou de son successeur Merenphtah (Chabas, Voyage d'un Égyptien en Syrie, en Phénicie, en Palestine, au XIVe siècle avant notre ère, Châlons-sur-Saône, 1866, in-4°), Tyr est citée comme une simple ville de pécheurs, du même rang que Sarepta, tandis que Byblos, désignée comme ville des mystères, Béryte et Sidon, sont déjà de grandes cités.

[286] Ap. Clem. Alex., Stromat., I, p. 402, ed. Potter.

[287] Cf. Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 124.

[288] Ap. Euseb. Armen., p. 139, ed. Mai.

[289] XIX, 2 et 3 ; XX, 1 et 2.

[290] Ant., I, p. 187. — Cf. Clinton, op. cit., p. 126.

[291] Thucydide, V, 84.

[292] Marm. par., sect. 24.

[293] Cf. Clinton, op. cit., p. 127.

[294] Ap. Clem. Alex., Stromat., I, p. 403, ed. Potter.

[295] Cf. Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 128.

[296] Ap. Clem. Alex., Stromat., t, p. 403, ed. Potier.

[297] Ap. Clem. Alex., Stromat., t, p. 403, ed. Potier.

[298] Ap. Clem. Alex., Stromat., t, p. 403, ed. Potier.

[299] Cf. Clinton, op. cit., p. 128.

[300] Chronologie d'Hérodote, dans ses Œuvres complètes, 2e édit., t. V, p. 439 et suiv.

[301] Ap. Clem. Alex., Stromat., I, p. 388, ed. Potter. — Tatian., Or. adv. Grœc., 37. — Euseb., Præpar. evang., p. 493 B.

[302] Ap. Diodore de Sicile, II, 22.

[303] Volney, loc. cit. — Ch. Lenormant, Introduction à l'histoire de l'Asie occidentale, p. 24.

Ce qui est certain par le témoignage des textes assyriens eux-mêmes, c'est qu'aux XII et XIIIe siècles avant notre ère, la puissance guerrière des rois d'Assyrie s'exerçait principalement sur l'Asie-Mineure (voyez mon Commentaire des fragments de Bérose, p. 146 et suiv.). Aussi, faut-il attacher une très-sérieuse valeur au témoignage d'Hérodote (I, 7) sur l'établissement d'une dynastie d'origine assyrienne en Lydie à cette époque. (Note de 1873.)

[304] Cf. Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 80 et suiv.

[305] Thucydide, I, 9.

[306] Pausan., II, 22, 4 ; V, 13, 4.

Selon d'autres auteurs, Pélops était Paphlagonien : Apollon Rhod., Argon., II, v. 358. — Diodore de Sicile, IV, 74. — Schol. ad Pindar., Olymp., I, 37.

[307] La civilisation en Grèce fut à son origine purement asiatique, et ne prit que plus tard une physionomie propre, sous l'empreinte du génie de la nation hellénique. L'influence formatrice de l'Asie s'exerça par deux courants principaux sur cette terre classique, l'un venant de la Phénicie et l'autre de l'Asie-Mineure. Nous venons d'étudier dans ce mémoire le courant phénicien, dont l'action se porta principalement sur les iles de l'Archipel et sur la Béotie, et pénétra par là dans le reste du pays. Le courant d'influence de l'Asie-Mineure réclamerait une étude pareille. Ce n'est pas ici le lieu de la faire. Mais nous remarquerons seulement que le foyer principal et incontestable en a été l'Argolide, c'est-à-dire le centre même de la monarchie des descendants de Pélops.

Lorsque les Grecs encore barbares n'étaient point en état de construire par eux-mêmes une enceinte fortifiée, c'est de la Lycie que toutes les traditions nous montrent les rois d'Argos faisant venir les Cyclopes pour bâtir les murailles de Tirynthe (Pausan., II, 25), de Mycènes (Pausan., II, 16 ; VIII, 25. — Euripid., Hercul. fur., v. 945 ; Elect., v. 1166 ; Iphig. Aul., v. 265) et de leur capitale (Euripid., Troad., v. 1094). Le fameux bas-relief des lions ; sculpté au-dessus de la porte de l'acropole de Mycènes (Gen., Argolis, pl. VIII-X) est la confirmation la plus puissante et la plus décisive de ces souvenirs. Le style de ce bas-relief dénote, à n'en pouvoir douter, la main d'ouvriers venus de l'Asie-Mineure ; c'est cet art, issu de l'art assyrien, mais plus grossier et ayant sa physionomie à part, que nous voyons concentré dans l'Asie-Mineure à une époque extrêmement ancienne et dont on trouve des monuments çà et là, sculptés sur les rochers, en Lydie et en Phrygie, à Nymphi, à Ghiaour-Kalé, à Plérium (G. Perrot, Revue archéologique, nouv. sér., t. XII, p. 1-14 ; t. XIII, p. 425-436 ; voyez surtout le beau mémoire du même écrivain sur l'art de l'Asie-Mineure, dans la Revue archéologique, nouv. sér., t. XXVII, p. 336-345, 373483). Le sujet lui-même, qui n'a rien à voir avec la religion grecque, est parement asiatique, non phénicien, mais inspiré par les cultes de l'Asie au-delà de l'Euphrate, dont l'action était puissante sur l'Asie-Mineure. C'est le pyrée ou autel de feu, chargé du bois qui doit entretenir la flamme sacrée, entre les deux lions qui représentent les deux principes en antagonisme dans le monde, suivant le système adopté et épuré par Zoroastre (Creuzer, Symbolik, l. II, chap. V ; t. I, p. 368-377 de la traduction de M. Guigniaut. — Ch. Lenormant, dans les Mélanges d'archéologie des RR. PP. Martin et Cahier, t. III, p. 118 et 134-140).

Le culte du feu, issu de la Haute-Asie, est celui qui donna naissance au culte de Hestia ou Vesta, et des Pénates, dont on suit la marche avec certitude depuis l'Asie-Mineure jusqu'en Italie, et que toutes les traditions antiques font venir de la Péninsule asiatique comme de son berceau (voyez Klausen, Æneas und die Penaten, in-8°).

Nous ne pouvons ici qu'indiquer sommairement ces faits, ces rapprochements et cet ordre d'idées, qui demanderaient pour aire développés un mémoire spécial d'une certaine étendue. Mais il ne faut jamais les perdre de vue lorsqu'il s'agit du caractère originaire de la monarchie des Pélopides et des contrées que les traditions indiquent comme point de départ de leur famille.

[308] Euseb. Armen., p. 18, ed. Mai.

[309] Oppert, Rapport au ministre de l'Instruction publique, p. 31 et suiv.

[310] Ceci doit être profondément modifié, non pas au point de vue du résultat chronologique, que je crois toujours exact et en faveur duquel j'ai à produire des arguments plus solides, non plus en ce qui est du caractère tout asiatique de la dynastie des Pélopides. Mais le rapport que j'avais cru entrevoir entre la fondation de cette dynastie et le développement de l'empire d'Assyrie n'était qu'une illusion. Les progrès de l'étude des documents assyriens ont dissipé la fantasmagorie d'un empire ninivite immense dès ses débuts, à laquelle avaient trop longtemps fait croire les récits de Ctésias. La date de l'avènement de la dynastie assyrienne dans Bérose, qui coïncide assez exactement avec celle du commencement de la domination de l'Assyrie d'après Hérodote, n'est autre en réalité que la date de la première conquête de Babylone par un monarque assyrien. Sans doute les rois d'Assyrie au XIIe siècle portaient leurs armes fort loin dans l'Asie-Mineure, mais ils ne l'avaient pas soumise à leur sceptre ; et quand les Pélopides vinrent de Lydie ou de Phrygie en Grèce, ils n'y apportèrent certainement pas une suzeraineté que leur pays d'origine ne reconnaissait pas.

Mais les monuments égyptiens nous fournissent aujourd'hui pour les annales primitives de la Grèce des synchronismes infiniment précieux et d'un caractère très-positif, qui confirment les époques adoptées par nous pour la guerre de Troie et pour l'avènement des Pélopides.

S'il est deux faits d'histoire primitive sur lesquels les traditions de la Grèce s'accordent d'une manière frappante, ce sont incontestablement la substitution de la dynastie de Banals à la dynastie pélasgique d'Inachus et de Phoronée trois siècles avant la guerre de Troie et cent soixante-deux ans environ avant la venue de Pélops (voyez Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 8 et 73) ; puis la fondation un peu antérieure de l'empire des Dardaniens dans la Troade (Voyez Clinton, t. I, p. 88).

Or, voici les faits que l'on constate sur les monuments de l'Égypte.

Le royaume des Dardaniens (Dardani), avec ses villes d'Ilion (Ilouna) et de Pédasa (Pâdasa), étendant sa puissance sur la Mysie (Masou), était déjà florissant au temps de Ramsès II, et tenait une des premières places dans la grande confédération asiatique combattue par le monarque égyptien dans la guerre que chante le poème de Pentaour (voyez Maspero, De Carchemis oppidi situ., p. 37-39).

Dans la grande tentative d'invasion de l'Égypte par les populations des côtes de la Méditerranée, sous le règne de Mérenphtah, fils de Ramsès II, le rôle prépondérant et l'hégémonie sur ceux qui viennent de la Grèce appartient aux Akaiouscha (voyez tous les textes relatifs à cette guerre dans Chabas, Études sur l'antiquité historique, p. 193-226), c'est-à-dire aux Achéens, que Denys d'Halicarnasse (Ant. rom., I, 17), d'accord avec Hérodote (VIII, 73), identifie aux anciens Pélasges d'Argos.

En revanche, dans les guerres de Ramsès III contre les mêmes populations (voyez la traduction des textes dans Chabas, Études sur l'antiquité historique, p. 230-231), le nom des Akaiouscha ne figure plus, et leur place est remplie dans la confédération par les Daanaou ou Danaou, dont le nom est manifestement celui des Δαναοί.

Ainsi, nous voyons l'appellation de Daanaou=Δαναοί se substituer sous Ramsès III à celle d'Akaiouscha=Άχαιοί pour désigner les habitants du Péloponnèse. La coïncidence de ce changement avec celui que produisit la substitution de la dynastie de Danaüs à celle d'Inachus sur le trône d'Argos est trop frappante pour qu'on puisse la regarder comme purement fortuite. Pour ma part, je vois là une indication précise sur la date où les Danaëns succédèrent à la vieille dynastie pélasgo-achéenne en Argolide, et cette date, se trouvant ainsi placée entre les règnes de Mérenphtah et de Ramsès III en Égypte, c'est-à-dire entre la fin du XVe et la fin du XIVe siècle av. J.-C., reporte forcément l'avènement des Pélopides au XIIe siècle et la prise de Troie en 1023. (Note de 1873.)

[311] Voyez Movers, Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 134 et suiv. — Et mon Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, 3e édit., t. III, p. 35.

[312] Movers, Die Phœnizier, t. II, part. I, p. 322.

[313] I Rois, XVI, 31.

[314] Odyssée, XV, v. 403 et suiv.

[315] Iliade, IV, v. 288 et suiv. — Odyssée, IV, v. 215 et suiv. Cf. Odyssée, XIV, v. 256-258.

[316] Les textes égyptiens relatifs à cet état de choses ont été rassemblés d'une manière plus complète que nulle part ailleurs par M. Chabas, dans ses Études sur l'antiquité historique d'après les sources égyptiennes (Châlon et Paris, 1872). J'ai essayé de déterminer d'une manière que je crois exacte, dans mon Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, la place des luttes des Égyptiens contre les peuples de la Méditerranée dans le cadre de l'histoire générale, et j'ai vu avec satisfaction mes idées à ce sujet adoptées par M. Gladstone (Juventus mundi, Londres, 1869).

Le souvenir de la confédération que les monuments égyptiens nous montrent luttant avec les Pharaons de la me et de la XXe dynastie me parait s'être maintenu très-exactement dans les traditions de la Grèce, en revêtant la forme de cette thalassocratie crétoise de Minos, le premier des Grecs qui eut, dit-on, une marine puissante, thalassocratie à laquelle les témoignages d'Hérodote (III, 122), de Thucydide (I, 4 et 8), d'Aristote (Politic., II, 8) et de Strabon (I, p. 83) attribuent un caractère très-positivement historique (voyez Bolanachi et H. Fazy, Précis de l'histoire de Crète, p. 104-112). C'est d'après cette idée que j'ai dressé l'une des cartes de la pl. IX de mon Atlas d'histoire ancienne de l'Orient ; mais je crois qu'il est nécessaire de préciser les faits qui m'y ont conduit.

La confédération des peuples de la Méditerranée, combattue par Mérenphtah, se divise en deux groupes : d'un côté les peuples de race libyque, Libyens proprement dits (Lebou), Maxyes (Moschouasch), Kahaka et Sardones (Schardana) ; de l'autre, les peuples pélasgiques de l'Italie et de la Grèce, Sicules (Schekoulscha), Tyrrhéniens ou Tusques (Tourscha), Achéens (Akaiouscha) et Laconiens (Lekou). Sous Ramsès III, les peuples italo-grecs agissent indépendamment des Libyens ; à leur tête, dit-on formellement, marchent les Teucriens (T'ekkri) et les Pélasges de la Crète, les ancêtres des Philistins (Pelesta), non encore établis sur la côte de la Palestine, comme ils le furent un siècle plus tard, et cherchant à y prendre pied. Ce sont même ces derniers qui ont l'hégémonie la plus caractérisée, et ils entraînent à leur suite les Damions da Péloponnèse (Daanaou), les Tyrrhéniens (Tourscha), les Osques (Ouaschascha) et les Sicules (Schakalscha). La confédération, dirigée par les Philistins du milieu de la mer, c'est-à-dire par les Pélasges de la Crète, étend donc son autorité sur les îles de l'Archipel, le Péloponnèse, le midi de l'Italie et la Sicile, dont les habitants ont pris les armes aux ordres de Pelesta. En même temps un des principaux peuples de la côte d'Asie-Mineure, les Teucriens, prend part à la guerre sur un pied d'égalité avec les chefs de la confédération qui embrasse la Grèce et l'Italie.

Que nous disent maintenant les traditions grecques sur la thalassocratie crétoise ? Minos, ayant formé la première marine nationale, domine les Cyclades et étend son hégémonie sur toute la Grèce (Thucydide, I, 4). On signale des établissements crétois de cette époque dans la plupart des iles de l'Archipel (voyez Bolanachi et Fazy, p. 118-121). On en place également un à Ténare, en Laconie (Plutarque, De ser. numin. vindict., p. 530. — Hésychius, v° Τέττιγος. Minos, avec sa flotte, soumet une partie de la Sicile, où il lutte contre les Sicanes, les rivaux des Sicules (Diodore de Sicile, IV, 79. Hérodote, VII, 170), et il y fonde Heraclea, Minoa et Engyon. De son temps, un peu après lui, les Crétois dominent sur la Iapygie, où ils bâtissent Hyria, Brentésion et Tarente (Hérodote, VII, 170. — Strabon, VI, p. 279. — Conon., Narrat., 25). Son frère Rhadamanthe réunit sous son sceptre une partie de la côte d'Asie-Mineure aux iles septentrionales de l'Archipel (Diodore de Sicile, V, 79). Enfin son autre frère, Sarpédon, se forme un royaume indépendant, mais allié, en Lycie (Hérodote, I, 173. — Diodore de Sicile, V, 79), et dans une portion de la Carie et de l'Ionie (voyez Bolanachi et Fazy, p. 121-126).

Ainsi, la thalassocratie que les monuments égyptiens nous montrent contemporaine de Ramsès III, et celle que la légende grecque attribue à Minos, ont le même centre et embrassent exactement les mêmes contrées. Il me semble donc assez difficile de ne pas les identifier. Mais dans ce cas, si l'on admet la date de 1023, que je crois la meilleure pour la guerre de Troie, il deviendra évident que la donnée la plus généralement admise des Grecs rapproche trop Minos de ce dernier événement, en n'admettant qu'un intervalle de trois ou quatre générations (voyez Clinton, Fasti hellenici, t. I, p. 71). Diodore de Sicile (IV, 60) serait davantage dans le vrai en admettant un plus grand nombre de générations. Par contre, la tradition grecque me parait fort juste et concordant bien avec le cadre des événements de l'histoire de l'Asie et de l'Égypte, quand elle met Minus un peu après la colonie cadméenne. Enfin, si l'on doit, comme nous le pensons, faire coïncider la thalassocratie crétoise de Minos avec le règne de Ramsès III en Égypte, la relation que nous essayons d'établir à la fin de ce paragraphe entre la colonie chananéenne de la Béotie et l'invasion du pays de Chaman par les Israélites tend à se confirmer. (Note de 1873.)

[317] Il faut se souvenir ici du grand rôle que jouent les fables libyennes dans les plus vieilles légendes de la Grèce.

[318] Jusque fort tard, la tradition nationale des habitants de la Byzacène et de la Zeugitane revendiquait comme un titre de gloire de descendre aussi des Chananéens de la Palestine méridionale obligés de s'expatrier devant les Israélites, principalement de Gergéséens et de Jébuséens (Procope, Bell. Vandal., II, 20. — Syncell., p. 87. — Voyez ce que disent le Talmud de Jérusalem Scheb., c. 6, f. 35, et le Talmud de Babylone, Synbedr., c. 11, f. 91), et l'on n'a pas d'objections sérieuses à opposer à l'authenticité de cette tradition ; aussi les savants modernes qui peuvent faire autorité en semblable matière, Movers (Die Phœnizier, t. II, part. II, p. 427-435) et Munk (Palestine, p. 81), n'ont-ils pas hésité à l'admettre. Les Sidoniens avaient dû être assez naturellement amenés à établir des réfugiés dans cette région, car ils y avaient eux-mêmes déjà fondé les villes d'Hippone et de Cambé. (Voyez encore mon Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, 3e édit., t. III, p. 48 et suiv.)

[319] Bogan, Homerus ebraizans, Oxford, 1658. — Ernesti, Opuscula philologica, p. 178 et suiv. — De vestigiis linguæ hebraicæ in lingua græca. — Gésenius, Geschichte der hebrœischen Sprache, part. I, § 18. Mon. phœnec., p. 383. Renan, Hist. des langues sémit., 1re édit., p. 192 et suiv.

[320] Hésychius, v° Σαμβύκη.

[321] Il faut encore joindre χαλκός, de la racine hhalag, lisser, polir, et ensuite former, travailler.

[322] Ce nom est venu, plutôt que par les Phéniciens, d'Assyrie en Grèce par l'Asie-Mineure, avec le poids même de la mine, qui s'appelait en assyrien mana (Voyez mon Essai sur un document mathématique chaldéen, Paris, 1868). Όβολός me parait aussi dériver de l'assyrien aplous, qui désignait une des plus petites divisions pondérales dans le système métrique de Babylone et de Ninive.

[323] Democrit. ap Stob., Serm., XLII. — Hésychius, v° Κιξάλλης. — Bœckh, Corp. inscr. græc., n° 3044.

[324] Zur Geschichte der Isræliten, p. 5.

[325] Iliade, IX, 126. — Odyssée, II, v. 338 ; IX, v. 202 ; XIII, v. 273.

[326] Χρυσάμπηξ : Iliade, V, v. 358 et 363.

χρυσάορος : Iliade, V, v. 509 ; XV, v. 256.

χρύσειος : Iliade, IV, v. 134 ; V, v. 730.

χρυσή : Iliade, V, v. 425 ; ami, v. 470.

χρυσηλάκατος : Iliade, XVI, v. 183 ; XX, v. 70. — Odyssée, IV, v. 422.

χρυσήνιος : Iliade, VI, v. 205. — Odyssée, XIII, v. 285.

Χρυσόθρονος : Iliade, I, v. 611 ; IX, v. 529.

Χρυσόπτερος : Iliade, VIII, v. 398 ; XI, v. 185.

Χρυσόρραπις : Odyssée, XI, v. 227 et 331.

Χρυσοχόος : Odyssée, III, v. 425.

[327] Odyssée, V, v. 64.

Κυπαρισσήεις : Iliade, II, v. 593.

Κυπαρίσσινος : Odyssée, XVII, v. 348.

[328] Iliade, IX, v. 7.

[329] Iliade, II, v. 42 ; III, v. 57 ; V, v. 113 ; XII, v. 439 ; XVIII, v. 25 ; XXI, v. 31 ; XXVI, v. 580. — Odyssée, VIII, v. 441 ; XII, v. 434 ; XIV, v. 515 ; XV, v. 60 ; XIX, v. 242 ; XXIV, v. 226.

[330] Iliade, VI, v. 373 ; XVII, v. 441 ; XVIII, v. 234 ; XIX, v. 6 et 213 ; XXIII, v. 106.

[331] Odyssée, XIII, v. 106.

[332] Iliade, VII, v. 223 ; XVI, v. 487 ; XVIII, v. 580 ; XX, v. 403. — Odyssée, II, v. 6 et 8 ; XII, v. 181.

[333] Iliade, X, Λ. 2658 ; XII, v. 161.

[334] D'après Plutarque, dans la vie de Sylla, les Phéniciens disaient θώρ.

Cependant ταΰρος et taurus peuvent être aussi rapprochés du sanscrit sthira, gothique situr, ancien allemand stior. En général, les noms du bœuf et du taureau offrent, suivant l'expression de M. Pictet, de ces bivia à l'entrée desquels on s'arrête incertain. Ils sont presque identiques dans les langues aryennes et sémitiques, et même en égyptien (voyez Pictet, Les origines indo-européennes, t. I, p. 330-343) ; aussi, l'on est en droit de les faire remonter avant la séparation des trois grandes races rattachées par la Bible à la souche Noachide.

[335] Le latin ferrum, qui suppose un primitif fersum et même fersrum, est peut-être aussi à rattacher au sémitique barzil.

[336] Zeitschr der deutsch. Morgent. Gesellsch., 1855, p. 752.

[337] Hérodote, V, 57.

[338] Hérodote, V, 57.

[339] Hérodote, V, 57.

[340] Hérodote, V, 57.

[341] Etym. Magn., v° Γέφυρα.

[342] Hérodote, V, 57. — Schol. ad Euripid.

[343] Voyez notre Monographie de la Voie Sacrée éleusinienne, t. I, p. 246-249.

[344] II Sam., III, 3 ; XIII, 37 ; XV, 8.

[345] Deuteron., III, 14. — Jos., XII, 5 ; XIII, 13. — I Chronic., II, 23.

M. Hitzig, dans un mémoire fort érudit et fort intéressant (Zeitschr. der deutsch. Morgent. Gessellsch., 1855, p. 747-779), rapproche comme nous γέφυρα de geschour et les Γεφυραΐοι de la Béotie des Geschouriim de la Syrie. Mais il entreprend de démontrer que ces derniers étaient une population aryenne habitant au milieu des Araméens. Nous soutenons, on le voit, la thèse diamétralement contraire à la sienne.