HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XIX.

 

 

Négociation après le renvoi de l'Infante. — Pologne, Exécution de Thorn. — Traité de Hanovre. — Prusse. Frédéric-Guillaume. — Russie. Catherine Ire. — Création de la milice. — Troubles intérieurs. Exil de M. le Duc. Fleury ministre.

 

LA cour de France, tourmentée do cabales intestines, souffrait aussi de la tempête générale, excitée en Europe par le renvoi de l'Infante. Il lui importait de se rapprocher des puissances du Nord, qu'une sorte de vasselage envers le cabinet de Londres lui avait trop fait négliger ; Le comte de Rottembourg fut donc envoyé en Prusse, et l'abbé de Livry en Pologne. Cette république, qui ne savait supporter ni son roi ni sa liberté, devenait un point d'observation intéressant depuis le mariage de Marie Leczinska. Si Charles XII avait passé pour l'Alexandre du Nord, Frédéric-Auguste en était l'Hercule. Courageux et libéral, il embrassait les voluptés avec une indomptable énergie. La princesse Wilhelmine de Prusse a compté trois cent cinquante-quatre enfants naturels de ce monarque. Mais ces excès, qui étaient à Dresde le luxe de sa force, semblaient être à Varsovie l'ouvrage de sa politique. Ne pouvant introduire dans la république des soldats saxons, il y apportait des vices pour amollir au moins ceux qu'il ne lui était pas donné d'enchaîner. Les Polonais lui reprochent d'avoir corrompu leurs mœurs, et arraché les femmes à la retraite. Au temps dont je parle, ses gardes amenaient de force aux bals de sa cour les personnes des deux sexes qui se récréaient dans les cercles de la ville, et le lendemain des carrosses les reportaient chez elles accablées de la fatigue des plaisirs et des vapeurs de l'ivresse. La dévotion même de ce joyeux tyran avait quelque chose de gigantesque et de dissolu. Il dépensait des sommes énormes à la construction d'un calvaire ; où l'on arrivait de nuit par une avenue de plusieurs lieues, que formaient en pleine campagne des colonnes surmontées de lanternes. C'est au sein de ces folles bacchanales qu'on députait l'abbé de Livry encore tout froissé des outrages de Lisbonne et de Madrid. Le but prochain de son ambassade était de détourner la république, d'une adhésion au traité de Vienne. Mais Stanislas y aperçut un plus brillant avenir. Ce fugitif, qui, peu de mois auparavant, avait offert son abdication pour cent mille écus de rente et pour l'indigénat en faveur du gendre qu'il choisirait, qui depuis avait affecté devant les ministres français une sainte aversion des grandeurs humaines, laisse maintenant éclater sa passion pour le trône, et tâche par ses discours et ses écrits[1] d'allumer le zèle de l'abbé de Livry. Il le prémunit contre les séductions d'une cour fourbe et déloyale, lui peint Auguste comme un despote abhorré de ses sujets, violant leurs privilèges, enlevant leurs femmes nobles dont il fait ses concubines, et méditant le démembrement de la Pologne pour en réunir une partie à ses états héréditaires. Stanislas se donne ensuite pour l'idole de ses compatriotes, déclare qu'il n'aspire point à détrôner Auguste, mais à lui succéder par préférence au prince électoral., et assure que déjà dans les palatinats on aime à le désigner en secret par le titre de Dauphin de Pologne. Mais dans les moyens qu'il indique à l'ambassadeur pour fixer des suffrages inconstants et mercenaires, la défiance, le mépris et l'injure percent contre cette même noblesse sur laquelle il prétend un jour régner ; tant il est vrai que le meilleur choix d'un monarque entre ses égaux sera toujours une source féconde de senti-mens pernicieux !

Cependant le brusque rapprochement de l'Autriche et de l'Espagne, ce que chaque jour découvrait des clauses secrètes de leur alliance, et ce que la prévention ou la peur y ajoutait d'imaginaire, semaient l'inquiétude dans tous les cabinets. Le roi Georges accourt sur le continent ; le comte de Broglie l'accompagne, et Frédéric-Guillaume, son gendre, vient le trouver au château de Heren-Hausen. Leurs conférences produisent le traité d'Hanovre, conclu le 3 septembre 1725 entre la France, l'Angleterre et la Prusse, et, fondé sur la base d'une garantie et d'une défense mutuelle. L'Europe se partage entre les alliés de Vienne et ceux d'Hanovre. Les deux lignes se disputent l'adhésion de la Hollande, de la Suède, du Danemark, de la Russie, des princes de l'empire. Le monde politique ressemble à un chaos où tous les corps déplacés cherchent en tumulte un nouvel équilibre Le ministre français se flatte de noyer ses fautes dans cette confusion générale. Mais dès le premier pas, il se trouve engagé dans une querelle contre ses propres principes. Encore tout échauffé à la persécution des protestants français, un article du traité d'Hanovre l'oblige de s'unir aux vengeurs des protestants polonais. La sanglante tragédie de Thorn avait animé cette croisade.

Thorn, ancienne capitale de l'ordre teutonique, maintenait dans son sein, non sans une extrême jalousie, les deux religions catholique et réformée, ainsi qu'un gymnase luthérien et un collège de jésuites. Dans une procession que ces religieux faisaient le 17 juillet 1724 autour d'un cimetière voisin, un de leurs écoliers jette bas le chapeau d'un élève du gymnase, et cette violence est suivie d'une rixe. A la vue d'un enfant luthérien qu'on entraîne dans le couvent, la populace s'ameute et enfonce les portes. Des meubles et des images saintes sont brisés et foulés aux pieds. Les magistrats, qui n'ont pu empêcher un désordre si imprévu, se pressent en vain d'offrir aux jésuites une ample satisfaction ; on veut se servir de cet accident pour ruiner dans Thorn la domination luthérienne. Des troupes arrivent et désarment la bourgeoisie. Les prisons se remplissent d'accusés. La diète assemblée ordonne que le procès soit poursuivi à la rigueur par le tribunal assessoral du grand-chancelier, et porte la fureur jusqu'à confirmer d'avance la sentence qui sera rendue. Le roi, luthérien par sa naissance, musulman par ses mœurs, et catholique par son ambition, voit avec indifférence ce débordement de fanatisme, et attend l'occasion d'en profiter sans interrompre ses prodigieuses débauches[2]. Le tribunal ne démentit pas ces sinistres présages. Il condamna vingt bourgeois de Thorn, parmi lesquels on comptait les principaux magistrats, à la peine de mort, et quelques-uns à des supplices recherchés. Les biens des condamnés furent donnés aux jésuites, les temples enlevés aux protestants, et le gymnase relégué dans un village. Cependant il fanait, pour exécuter la partie sanguinaire de l'arrêt, que les jésuites prêtassent un serment, et le besoin de Bette formalité laissa quelque espoir. Le légat écrivit aux jésuites qu'ils ne pouvaient jurez dans une telle matière sans se rendre irréguliers. Le grand-chancelier obtint la promesse du recteur que le serment ne serait pas prêté. Quelques personnes aussi pieuses qu'humaines se flattaient d'arriver ainsi à la révision du jugement qui révoltait par son atrocité, et surtout par la condamnation capitale des magistrats dont les torts paraissaient bien douteux. Mais les jésuites de Thorn éludèrent ces soins touchants, et, par un de ces stratagèmes que tolèrent leurs molles doctrines, ils firent jurer trois de leurs frères qui n'étaient pas dans les ordres sacrés[3]. Aussitôt on commença par mettre à mort dix condamnés, et à leur tête marcha au supplice Resner, président de la ville, vieillard de soixante-douze ans, vénéré pour ses vertus. A quelque temps de là, les mêmes jésuites, autorisés par un usage superstitieux, figurèrent dans leur église avec des mannequins une scène tirée de la Bible. Ils choisirent le sacrifice de la fille de Jephté, et, en commémoration du massacre des luthériens, ils l'ornèrent d'un  simulacre de dix têtes fraîchement coupées. Étrange infamie de souiller les autels du Dieu de paix d'un culte de bourreaux, d'un trophée de cannibales ! L'exécution de Thorn excita l'horreur universelle. Les magistrats eurent de. la peine à préserver d'affreuses représailles les catholiques d'Elbing, de Dantzick et de Kœnigsberg. Les rois d'Angleterre et de Prusse, poussés par un zèle religieux, et la Russie par des vues politiques, adressèrent à la Pologne des plaintes et des menaces. Ils appelèrent à leur aide les puissances garantes du traité d'Olive, l'un de ces pactes salutaires qui avaient éteint par la tolérance, les feux de la guerre de trente ans. Ce fut à ce titre que le duc de Bourbon se vit contraint par les alliés d'Hanovre de s'enrôler sous l'étendard protestant. Ses remontrances ne reçurent des Polonais qu'une réponse ironique, telle que la méritait son inconséquence. La république s'arma pour repousser soixante mille hommes prêts à envahir ses frontières. Mais trop d'intérêts opposés animaient les vengeurs du luthéranisme pour que leur ligue fût durable ; et la Pologne, s'obstinant à ne montrer dans ses victimes que des perturbateurs sacrilèges, triompha d'un courroux qui s'était dissipé en manifestes. N'oublions pas cependant que l'échafaud de Thorn a été le premier fondement de la querelle des dissidents, et que les oppresseurs l'expièrent, non par des remords, mais par un demi-siècle des plus profondes calamités.

Les alliés d'Hanovre étaient au reste moins occupés des progrès de la tolérance que du développement de leur ligue. La Hollande, sollicitée d'y adhérer, recommença tous les manèges qui avaient accompagné son entrée dans la quadruple alliance, et entreprit de négocier séparément avec l'empereur et avec l'Espagne. Ce tâtonnement te' nait plus aux habitudes verbeuses de son cabinet qu'à l'hésitation de ses desseins, car elle était résolue de tout hasarder pour anéantir la compagnie d'Ostende, à qui les traités de Vienne venaient d'assurer une dangereuse prépondérance. Les idées vagues d'honneur national et d'équilibre politique sont de bien froids mobiles en comparaison de l'instinct âpre et clairvoyant que les peuples marchands apportent dans les intérêts de leur trafic. Cette passion des Hollandais, qui devait plaire aux alliés d'Hanovre, produisit un effet contraire sur celui dont la bonne volonté importait le plus à la France, sur le roi de Prusse. Voltaire a fait de ce prince une peinture grotesque et.fidèle ; sa propre fille, la margrave de Bareith, a renforcé par des récite naïfs les couleurs du satirique français. Un Tartare, ivre es grossier, se fût réveillé sur le trône avec des caprices moins étranges que Frédéric-Guillaume. Brutal jusqu'à la cruenté ; dévot jusqu'au piétisme, intempérant jusqu'à la crapule, tyran sordide de sa famille et sage administrateur de ses sujets, il inspirait le dégoût ou le respect suivant le degré d'éloignement d'où on l'envisageait, dans sa cour ou dans ses provinces. Plusieurs causes ébranlaient la fidélité du roi, toujours prêt à se retirer par frayeur des engagements qu'il contractait avec légèreté. Le fermeté des Hollandais lui faisait craindre que l'alliance pacifique d'Hanovre ne prît dans leur intervention un caractère offensif. Le général Seckendorff, ministre autrichien, augmentait ses terreurs, égarait sa raison et gagnait sa confiance par de continuels excès de table dont la cour de Vienne faisait les frais. MM. de Rottembourg et Du Bourguay, ambassadeurs de France et d'Angleterre, luttaient en vain contre ce genre de séduction. Je ne résiste pas à l'envie de transcrire quelques lignes d'un écrit que ce singulier monarque leur adressa lui-même, et où la rusticité du style rend plus saillant le bon sens du Vandale. Je me déclare contre l'empereur, lequel ne manquera pas de faire agir contre moi les Moscovites et les Polonais. Je demande si Leurs Majestés me tiendront alors le dos libre. L'Angleterre étant tout environnée de la mer, et la France se trouvant couverte de places fortes, se croient assez en sûreté, tandis que la plupart de mes Etats est exposée à tout ce qu'on voudra entreprendre. Par ce dernier traité, j'entre donc en guerre pour le bien de messieurs les Hollandais, pour qu'ils puissent vendre le thé, café, fromages et porcelaines plus cher ; et ces messieurs ne veulent pas faire la moindre chose pour moi, et moi je dois tout faire pour eux. Messieurs, dites-moi, est-il équitable ? Si j'entrais dans cette alliance, ne diriez-vous pas que le roi de Prusse a donné dans les panneaux ? Si vous prenez à l'empereur ses vaisseaux et lui ruinez son commerce d'Ostende, sera-t-il plus petit empereur qu'il est à cette heure ? de ne veux pas entrer dans l'alliance offensive comme un aveugle ou un galopin ; je veux savoir le pot aux roses et tous les secrets aussi bien que les rois de France et de la Grande-Bretagne, comme partie, et pas en subalterne et inférieur. Le pot aux roses est qu'on prendra des provinces à l'empereur ; mais lesquelles ? et à qui tomberont-elles en partage ? Où sont les troupes ? où est le réquisit pour soutenir la guerre ? Puisqu'on veut commencer la danse, il la faut bien commencer. Après la guerre, on fait la paix. M'oubliera-t-on ? Serai-je le dernier ? faudra-t-il que je signe par force ?[4]

Ce langage de Frédéric-Guillaume présageait à ses alliés une défection prochaine. Un caprice de ce prince en fut l'avant-coureur. Etant un jour retenu dans son lit par la goutte, il se souvient qu'à l'occasion du traité d'Hanovre le roi George lui a fait présent d'un cheval de race, et aussitôt il ordonne que ce bel animal soit à l'instant chassé de ses écuries et abandonné dans la rue. La cour de France, qui apprenait chaque jour des traits encore plus extravagants de la vie privée du monarque prussien[5], en calculait mal les conséquences. On décidait dans les boudoirs de la marquise de Prye qu'une tyrannie d'aussi mauvais goût ne pouvait durer ; on attendait de chaque courrier la fin de cet état violent, et l'on s'obstinait, malgré les avis du comte de Rottembourg, à ne prendre de mesures que pour le temps où la Prusse aurait déposé son fou couronné. Cette légèreté à juger par des délicatesses françaises les passions d'un peuple allemand, laissa l'inconcevable despote de Berlin consommer sa désertion, et abandonner M. le Duc entre les armes de l'Espagne et de l'Autriche.

La lutte entre les traités de Vienne et d'Hanovre n'était pas moins vive à Pétersbourg. Une arène si éloignée annonçait l'influence des créations du czar, et de l'empressement de hi Russie à se mêler aux intérêts des vieilles puis-salaces. Celle même qui régnait à l'autre extrémité de l'Europe semblait tenir le premier rang dans ses affections. Les rapports de la Russie avec l'Espagne s'étaient conservés depuis qu'Alberoni, dont la politique parcourait le monde, un brandon à la main, n'eût pas dédaigné les Tartares de Moscou. Cadix venait de voir un cotisai et des vaisseaux russes entrer dans son port, et un ambassadeur de ces Scythes modernes avait paru à Madrid[6]. On sait aussi combien la cour de Russie s'était montrée jalouse de notre alliance ; mais les refus de M. le Duc, et surtout notre union obstinée avec l'Angleterre, avaient fort altéré cette bienveillance. Un jour que M. de Campredon combattit avec quelque succès l'antipathie du cabinet russe pour le gouvernement britannique, Jokosinski, l'un des ministres de la czarine, sortit de la conférence à moitié ivre, courut dans l'église où était déposé le corps de Pierre Ier, et lui cria devant tout le peuple : Ô mon maitre ! sors du tombeau, et viens voir comme on foule aux pieds tes maximes[7]. Mais si l'Angleterre était haïe, l'Autriche était suspecte, et une juste défiance éloignait l'un de l'autre Catherine et Charles VI. Des intrigues subalternes embrouillaient encore- des intérêts si compliqués. Un moine italien, créature du baron de Ripperda, semait les pensées confuses de ce second Alberoni. Un émissaire de Jacques III sollicitait la subversion de son pays[8]. La veuve du czar, en perdant la crainte de son maître, semblait avoir perdu son génie. La grande âme de la souveraine n'était plus que les sens impétueux de l'esclave livonienne. Abandonnant les devoirs du trône à l'altier Menzikof et au frauduleux Ostermann[9], Catherine, obsédée de gloire et insatiable de volupté, se contentait de régner dans ses jardins et d'y présider à des nuits lascives ; qui reproduisaient, sous un climat de fer, les antiques turpitudes des faubourgs d'Antioche. Tandis que Seckendorff corrompait la cour soldatesque de Frédéric-Guillaume, le comte de Rabutin, autre ministre de l'empereur, tendait parmi les saturnales de la Neva les pièges de la plus habile politiqua Triomphant d'un cabinet mercenaire, il sut l'attacher au traité de Vienne, et préluda, par ce succès, à une révolution plus étonnante ; car nous le verrons bientôt, sans crime et sans violence, rendre le sceptre des Russies à un enfant oublié, au fils de ce farouche Alexis, qui s'était promis de semer du sel sur les ruines de Pétersbourg.

La ligue de Hanovre se consolait cependant de la perte de la Prusse et de la Russie, par l'acquisition de la Suède et du Danemark, et le hasard de la guerre semblait pouvoir seul juger entre des forces si égales. M. le Duc, premier moteur de cette crise, se disposait avec crainte et lenteur à en soutenir l'assaut. Ce moment fut signalé par l'institution la plus mémorable de la monarchie française dans le dix-huitième siècle, je veux parler de la Milice. Les peuples, absorbés par les travaux lucratifs du commerce, ou parvenus aux derniers raffinements de l'art social, achètent une armée exotique, et font la guerre par des impôts. Les nations moins avancées recrutent leur armée dans la partie oisive et infime de leur population, et chargent une discipline sévère de l'épurer ; la France en était à ce période. Elle enrôlait annuellement de dix-huit à vingt mille hommes, dont les deux tiers sortaient de la corruption des villes[10]. Mais il était démontré que depuis Charles VII jamais les engagements libres n'avaient suffi en temps de guerre. On y suppléait par des moyens violents et irréguliers qui procuraient instantanément des levées d'hommes dont il restait à faire des soldats. Paris-Duverney, qui avait porté dans les camps un esprit exempt des préjugés militaires, imagina de constituer une armée secondaire et nationale, tirée du milieu du peuple par le sort, ayant ses régiments et ses officiers, soumise à un service réglé- mais temporaire, et unissant, durant la paix, l'habitude des armes aux travaux de l'agriculture. Cette idée était entièrement neuve dans, notre établissement militaire ; les francs-archers, qui s'en rapprochaient le plus, en différaient par des points essentiels. Si, comme on le prétend, le cardinal de Richelieu l'avait conçue, il ne l'exécuta pas. Duverney donna ainsi à la France une milice de soixante mille hommes, divisée en cent bataillons[11]. Dès le premier jet, la forme en fut si parfaite que, seize années après, le comte d'Argenson, ayant, voulu la refondre, ne put que l'admirer et la suivre. Nous verrons dans la suite les désastres que répara cette utile institution, et nous dirons aussi comment, altérée par d'innombrables injustices, et avilie à dessein par les gens de guerre qui trafiquaient du recrutement, elle n'obtint ni dans les jugements du public ni dans les affections de la patrie la place qui lui était due.

Mais, quelque imposant que fût ce système militaire, suffisait-il au moment de sa création pour conjurer une guerre imminente ? Le ministère anglais, qui désirait la paix autant que M. le Duc, employa des moyens d'une maturité moins lente. Horace Walpole partit de Paris sous le prétexte d'aller siéger au parlement, et bientôt trois flottes sortirent des ports d'Angleterre, rune destinée à contenir les Russes dans la Baltique, l'autre à observer les côtes d'Espagne, et la troisième à fermer au passage des galions les mers de l'Amérique. Ce triple armement parut le triomphe de la puissance britannique. La France, à qui on l'avait caché parce qu'on craignait ses timides délais, fit par dignité quelques reproches, et conçut toute l'importance de cet acte de vigueur : En effet, dans les  deux lignés qui partageaient l'Europe, l'Espagne espérait seule une rupture, et peut-être en Espagne n'y avait-il que la reine qui la voulût sincèrement. Le colonel Stanhope s'étant présenté devant elle avec des dépêches de sa cour : J'apporte, lui dit-il, ou la paix ou la guerre. — La guerre ! la guerre ! s'écria vivement la fougueuse Italienne. Cet empressement peut seul expliquer la prodigieuse fortune de Ripperda, qui, à son retour de Vienne, fut bientôt créé duc et premier ministre. Ce rustique Hollandais ressemblait plus à un tribun de populace qu'au favori d'un roi. Il unissait au langage des halles le ton d'un inspiré. En parlant des rois de France, d'Angleterre et de Prusse qui avaient signé le pacte d'Hanovre. J'apprendrai, disait-il, à ces canailles à faire des traités entre eux. Je prédis à la France qu'elle va être envahie par un déluge d'Allemands, de Russes et de Polonais, qui recommenceront les fameux ravages des Huns et des Vandales. Quant à l'Espagne, il prétendait la gouverner par les maximes du règne de Salomon, et il avait pour confident et pour conseil Lambilly, l'un de ces esprits brouillons qui s'étaient fait proscrire en 1719 dans l'échauffourée de la petite noblesse de Bretagne. Cependant de cruelles épines incommodaient son triomphe. Le retard des gelions retenus par la flotte anglaise ite lui permettait pas d'acquitter le subside de trois millions de piastres sans lequel l'empereur ne pouvait armer. D'un autre côté il avait trompé la reine par la promesse peu fondée du mariage de son fils don Carlos avec une archiduchesse. Ripperda imagina de sortir de ce défilé en feignant tour à tour de se rapprocher de l'Angleterre et de la France, et il découvrit pour ce dessein, dans Madrid, un sieur Stelpart qui autrefois y avait été notre chargé d'affaires[12]. Il se flattait, par ce manège, de jeter une défiance réciproque entre les alliés d'Hanovre, d'alarmer la cour de Vienne pour la rendre plus docile, Ou même de l'abandonner sans péril si elle persistait dans son exigence. Cette politique tortueuse était au-dessus de ses forces, et le perdit dans un labyrinthe d'indiscrétions et de fourberies. Le ministre autrichien le démasqua. Le roi et la reine d'Espagne rougirent de leur ouvrage, et démirent Ripperda de tous ses emplois, en lui assignant .une pension de trois mille pistoles. Si la démence de cet homme eût été douteuse sa conduite l'eût alors confirmée. Il poussa l'égarement jusqu'à se faire conduire par le ministre de Hollande chez l'ambassadeur anglais, auquel il demanda un asile. Il entra en pleurant, et courut embrasser le portrait du roi Georges comme l'autel d'un Dieu tutélaire. Les confidences tes plus extraordinaires payèrent l'hospitalité qu'il obtint[13]. Quand on lui demanda pourquoi il ne préférait pas pour sa retraite la maison du nonce, qui était le refuge naturel d'un nouveau catholique, il répondit qu'il avait plus de confiance dans les vaisseaux que dans les bréviaires. Cependant le conseil de Castille vit un crime d'état dans la démarche de Ripperda, et un détachement des gardes vint enlever le coupable de l'hôtel de l'ambassadeur. Il en sortit emportant deux bouteilles de vin et oubliant tous ses papiers. Le public l'insulta sans pitié ; car les Espagnols, reconnaissant déjà combien leurs intérêts étaient sacrifiés par le traité de Vienne, détestaient l'aventurier qui rayait négocié. ll fut conduit au château de Ségovie, d'où il s'évada après deux ans de captivité. On rapporte qu'il passa en Afrique, où, s'érigeant en prophète, il prêcha une religion nouvelle, et néanmoins vécut et mourut paisible, à la faveur de la tolérance que les pirates accordent à tous les cultes, et du respect que le mahométisme recommande pour tous les fous.

Les partisans de la paix se réjouirent de la disgrâce de Ripperda. Sic transit gloria mundi, écrivit en plaisantant M. le Duc[14], et il ne se doutait pas qu'il traçait sa propre histoire, et qu'au lieu d'un perturbateur, l'Europe allait en voir tomber deux. La France, lasse de son guide, n'offrait plus que troubles, murmures et confusion ; la magistrature et le clergé respirant la vengeance ; la noblesse irritée de la réduction de la maison militaire du roi, et de l'ordre de réviser les pensions depuis le dernier règne ; le tourbillon des. lois monétaires bouleversant le commerce ; la levée et l'équipement de la milice ajoutés aux charges des provinces[15] ; les fermiers du joyeux avènement rançonnant depuis le juge sur son tribunal jusqu'à l'hôtelier dans sa taverne ; des taxes imposées aux corps de métiers sous le nom de ceinture de la reine, autre avanie féodale, imaginée pour les noces du suzerain. Au milieu de ce système d'exactions, l'impôt du cinquantième mettait le comble au désordre. La plupart des parlements avaient refusé de l'enregistrer, et le soulèvement des sujets avait suivi la résistance des cours. Dans plusieurs contrées, des bandes de trois à quatre cents femmes, armées de fourches et de bâtons, parcouraient de jour et de nuit les campagnes au son du tambour, et menaçaient de brûler quiconque percevrait ou paierait la nouvelle imposition. L'avenir n'alarmait pas moins que les courses de ces bacchantes ; car, en supposant la levée exacte des contributions si contestées, il s'en fallait encore de onze millions cent quatre-vingt-un mille trois cent soixante-treize livres que les recettes n'atteignissent aux dépenses ; et si les craintes de la guerre se réalisaient, les moyens de la payer échappaient à toute prévoyance humaine. La Misère du peuple toujours croissante ne portait pas une vaine accusation contre les fautes du gouvernement. Paris compta, en 1726, plus de morts et plus d'enfant exposés, moins de naissances et moins de mariages que dans les deux années précédentes, où la population avait lutté contre les fléaux d'une disette et d'une petite vérole épidémique[16]. Le duc de Bourbon, dans une sorte de vertige ; méconnaissait tous ces symptômes de ruine. Les courtisans l'abandonnaient au bord d'un abîme que lui seul ne voyait pas, et l'opinion que tout était perdu achevait de tout perdre.

Les conseils qu'on refusait à M. le Duc assiégeaient l'évêque de Fréjus. De toutes parts on le conjurait de mettre un terme aux malheurs de l'État ; mais tout atteste que ce vieillard, content de son sort et chargé déjà de soixante-treize années, n'embrassa qu'avec répugnante ce parti nécessaire. Il lui en coûtait de briser son ouvrage. Il pressa plusieurs fois M. le Duc de calmer la tempête par l'éloignement des deux favoris Marqués de la haine publique ; il porte cette prière à la teint elle-même. Ce n'était agir ni en ennemi ni en ambitieux. Repoussé par des refus, il céda enfin à sa probité de citoyen, à son affection pour le roi ; et peut être aussi à la peur de périr lui-même dans un bouleversement général. Une lettre du duc de Charme prouve qu'il hésita encore au moment de l'action, et que la révolution qui eut lieu le 11 juin avait dû s'effectuer neuf jours plus tôt. Le roi, partant pour Rambouillet, dit à M. le Duc avec un sourire plus gracieux qu'à l'ordinaire : Mon cousin, ne me faites pas attendre pour souper ;  et quelques heures après, le duc de Chatost lui remit, de la part du monarque, une lettre d'une sécheresse extrême, qui lui or donnait de se retirer à Chantilly sous peine de désobéissance. Le prince obéit à l'instant sans parler à personne et un lieutenant des gardes lé suivit jusqu'au lied de son exil. On a reproché ; dans les formes de cette disgrâce, de la dureté à Fleury et de la fausseté au jeune roi. Mais il est vraisemblable que le premier, redoutant une explication orageuse, outra les précautions pat timidité, et que le second, instruit dès son enfance du besoin de dissimuler sur le trône, céda au puéril amour-propre de surpasser la leçon de ses maîtres. L'évêque de Fréjus ne laissa pas la renommée apprendre à madame la Duchesse la retraite de son fils, et il en reçut une réponse aussi bienveillante que la décence le permettait. Soit orgueil, soit délicatesse, il aspira aussi à convaincre M. le Duc de la justice de sa disgrâce, et il lui adressa à lui-même le tableau de ses torts, et pour ainsi dire le procès de son ministère, monument curieux de l'histoire de cette époque. Le prince, naturellement fougueux, fut aussi indigné du manifeste que de la formule de son exil, et proféra contre l'évêque de Fréjus des invectives et des provocations si outrageantes, que celui-ci ne voulut point paraître les ignorer, et arrêta cet esprit hautain par une seconde lettre, où étaient fondues avec beaucoup d'art l'apologie et la menace.

La chute du premier ministre fut apprise dans Paris avec des transports inexprimables. La police n'empêcha pas sans peine les illuminations et les feux de réjouissance. Fleury désirait un triomphe modeste, mais complet et solide. La docilité de son élève lui en laissa seul poser les bornes. La reine reçut de son 'époux une lettre froide et absolue, qui la mettait, pour ainsi dire, sous la tutelle du vieil évêque. Elle la montra, baignée de ses larmes, au maréchal de Villars, qui nous en a conservé les expressions. Je vous prie, madame, écrivait le roi, et, s'il le faut, je vous l'ordonne, de faire tout ce que l'évêque de Fréjus vous dira de ma part, comme si c'était moi-même. Signé Louis[17]. Le Blanc, qui cachait dans l'exil une tête naguère échappée à tant d'ennemis, fut fait de nouveau secrétaire-d'État de la guerre ; et Pelletier-Desforts plaça Dodun au contrôle-général. Les frères Paris furent renvoyés, et l'infatigable Duverney alla bientôt méditer ses plans entre les murailles de la Bastille. Une lettre de cachet ensevelit la marquise de Prye dans sa terre de Normandie[18]. Sa vie avait été un scandale ; sa mort prématurée fut un phénomène. Elle expira debout et sans maladie d'une atteinte que l'art ne soupçonne pas ; combat cruel et invisible où, tandis que la force de son caractère lui prêtait l'éclat extérieur de la 'santé, une douleur sans mesure lui donna intérieurement la mort. Le duc de Bourbon .rentra pour toujours dans l'obscurité qui lui était due, après avoir épuisé la France et troublé l'Europe par trente mois d'un règne abject, où des vices sans grâces et une tyrannie sans adresse firent regretter les erreurs de la régence. Des soupçons plus outrageants le poursuivirent dans-sa retraite, et osèrent montrer ce petit-fils du grand Condé enrichi par des rapines dont le remords empoisonna ses derniers joins[19].

Ainsi se ferma cette période de dix années durant laquelle les chefs des deux branches collatérales de la maison régnante gouvernèrent successivement le royaume avec une puissance absolue et une antipathie constante. Cette époque, dont rai décrit les événements si variés, ne fut pas moins féconde en résultats presque tous inaperçus ou calomniés. La monarchie, l'administration et l'esprit public, les richesses, les mœurs et les goûts de la nation, les sciences, les lettres et les arts, reçurent des nuances qui modifièrent leur nature ou une direction qui changea irrévocablement leur destinée. C'est à démêler ces combinaisons nées des chocs de la fortune et de l'esprit humain, que je vais appliquer une attention dégagée de tout système. Je rallierai dans ces tableaux bien des faits privés que mes récits n'ont pu admettre, et qui, n'ayant de minutieux que l'apparence, pèsent plus dans la balance du philosophe que sur les tablettes chronologiques.

 

 

 



[1] Instructions de Stanislas à l'abbé de Livry, du 8 janvier 1726. J'ai dû faire connaître cet écrit parce qu'il portait le premier germe d'une guerre qui éclata sept années après.

[2] Le roi de Pologne a anticipé le jour de sa fête qui était hier. On a tiré plus de deux cents volées de canon qui marquaient autant de rasades dans des verres, presque aussi grands qu'une pinte de Paris. C'est une chose incroyable, et toute l'assemblée fut renversée. Ce prince devait traiter tontes les dames ; mais les effets du jour précédent l'ont obligé de remettre à une autre fois.  Lettre de M. Maron, envoyé de France, au comte de Morville, du 4 août 1724.

[3] Lettre de M. Maron au comte de Morville, du 16 décembre 1724.

[4] Ce fut le 5 décembre 1725, que Frédéric-Guillaume, informé que les ambassadeurs de France et d'Angleterre dinaient ensemble, vint prendre place à leur table. Il tira de sa poche un écrit en plusieurs articles qu'il avait composé lui-même en langue française et tracé de sa main. Il le lut à haute voix et le leur laissa. J'ai extrait de cet écrit le passage qu'on vient de lire.

[5] Cette époque de la vie de Frédéric-Guillaume parait avoir été la plus féconde en bizarreries. Outre les excès de tyrannie domestique rapportés par Voltaire et la margrave, en voici quelques-uns d'un autre genre, qui ne sont pas moins certains. Il crée son fou chambellan, le fait peindre dans le costume de cette dignité avec un masque de Scaramouche, et l'envoie ensuite au cachot. Il engage une controverse théologique avec un ministre luthérien, et la termine per des coups de bâton. Il emploie la même réplique avec son maitre des cérémonies, qui n'avait pas parlé avec assez de respect de la marine des Moscovites. Un jour, tandis qu'il était à table, on lui apporte un énorme brochet qu'on venait de pêcher ; il le fait servir en cet état, et oblige, par son exemple et par ses ordres, vingt-deux témoins à dévorer ce poisson tout vivant. Je ne parle pas des châtiments militaires qu'avait inventés son infernale imagination ; car la langue n'a point d'expression qui puisse en faire supporter la dégoûtante image. Il faut aussi mettre au rang de ses manies son empressement à rechercher des soldats d'une taille colossale. On jugera de la violence de ce goût puéril par le passage suivant d'une lettre du comte de Rottembourg à M. le Duc : Le roi de Prusse a une telle passion pour les hommes de haute taille, qu'on ne doute pas qu'il ne renonçai à la négociation de Vienne, si le roi Georges voulait lui donner douze hommes gigantesques qu'il couche en joue dans le duché de Brunen.  A côté de ce maitre rigoureux, déjà s'élevait le prince royal, railleur, spirituel, et ami de la France. En 1728, ayant suivi son père à la cour de Dresde, et se trouvant assis à table auprès de l'abbé de Livry, notre ambassadeur, il lui dit à voix basse : Je bois à l'alliance d'Hanovre ! Le lendemain, il demanda quelle pièce on devait représenter sur le théâtre, et lorsqu'on lui eut répondu que c'était la comédie du Tartuffe, hâtons-nous, s'écria t-il, je veux voir jouer les ministres du roi mon père. Le grand Frédéric avait alors quinze ans. Lettre de l'abbé de Livry à M. de Chauvelin, des 24 et 30 janvier 1728.

[6] Le maréchal de Tessé raconte ainsi le début de cet ambassadeur dans sa lettre à M. le Duc, du 19 juin 1724 : L'envoyé du czar est le plus silencieux Moscovite qui soit jamais venu de Sibérie. Le bonhomme don Miguel Guerra est le ministre avec lequel il traite ; et la valeur de huit ou dix apoplexies fait qu'il est obligé de tenir sa tête avec la main, parce que sa bouche tournerait absolument sur son épaule. Dans leur audience, chacun se mit vis-à-vis l'un de l'autre dans des fauteuils, et après un quart d'heure de silence, le Moscovite ouvrit la bouche et dit : Monsieur, j'ai ordre de l'empereur mon maître, d'assurer le roi catholique qu'il l'aime beaucoup. Et moi, répliqua Guerra, je vous assure que le roi mon maitre aime beaucoup l'empereur votre maitre. Après cette conversation laconique, ils se regardèrent un quart d'heure sans rien dire, et l'audience finit.

[7] Lettre du marquis de Campredon au comte de Morville, du 3 mai 1725.

[8] Cet envoyé était M. Ray. Le Prétendant avait aussi dépêché à Madrid lord Warthon, serviteur-nouveau à qui sou inconduite avait fait quitter à la fois sa patrie et sa religion. Jacques III entretenait en même temps une correspondance secrète avec l'évêque de Fréjus et accréditait auprès de ce dernier un prétendu évêque de Rochester pour son ministre. Dès que l'horizon se troublait quelque part, on était sûr d'y voir pulluler les émigrés jacobites.

[9] M. Ostermann est l'aine des affaires étrangères. Sa principale habileté consiste dans la chicane, la subtilité et la dissimulation. Il a peu de droiture, et c'était l'endroit qui lui avait acquis la confiance du feu czar. Lettre de M. de Campredon, du 5 mai 1725.

[10] Le recrutement coûtait trois millions. Les généralités du nord de la France fournissaient plus de recrues que celles du midi ; car, pour composer l'armée de cent trente-cinq mille trois cent quarante-six hommes, les premières donnaient une tête sur cent quarante-neuf de leur population générale, et les autres une sur deux cent soixante-dix-neuf. Il désertait un sixième de moins des soldats du nord que de ceux du midi. Enfin le nord offrait seulement un septième, et le midi un cinquième en hommes incapables de servir par leur petite taille ou leurs infirmités.

[11] Ordonnance du 27 février 1726. Dans les derniers temps, le nombre des Français qui tiraient à la milice était, année commune, de trois cent trente-huit mille huit cent onze, et celui des miliciens quatorze mille quatre cent soixante-huit.

[12] Depuis qu'il ne résidait plus de ministre français à Madrid, M. te Duc y avait quatre correspondants secrets : Sartine, Marillac, Stelpart et Montgon. Leurs lettres m'ont donné une idée assez favorable de l'exactitude des Mémoires de ce dernier.

[13] Le colonel Stanhope envoya son secrétaire présenter au cabinet de Londres le récit des révélations verbales du duc de Ripperda. Si on l'en croit, il ne s'agissait de rien 'noies, dans les pians arrêtés entre Philippe V et Charles VI, que de démembrer plusieurs provinces de France, d'assurer à l'infant don Philippe la succession éventuelle de Louis XV, de marier don Carlos à l'héritière de la maison d'Autriche, de reprendre Gibraltar et Minorque, de rétablir Jacques Stuart sur le trône, etc. Cet écrit, communiqué mystérieusement par le ministère anglais au cabinet de Versailles, est plein de faussetés et de rêveries mêlées à quelques vérités peu intéressantes. Les deux ministres d'Angleterre et de Hollande firent, contre l'enlèvement de Ripperda, qui avait eu lieu le 25 mai 1726, des protestations que les publicistes jugèrent mal fondées, et qui n'eurent aucune suite.

[14] Lettre de M. le Duc au duc de Liris, du 3 juin. Il écrivit le même jour aux trois ministres castillans, Castelar, Orendayn et Grimaldo, pour les féliciter d'être débarrassés d'un premier ministre extravagant.

[15] Habillement de chaque homme, quarante-cinq livres ; solde du sergent, deux sous par jour ; du soldat, un sou.

[16] L'augmentation des morts fut de neuf cent quatre-vingt-trois, celle des enfants abandonnés de deux cent six ; la diminution des naissances de trois cent cinquante-cinq, et celle des mariages de seize. (Archives de la ville de Paris.)

[17] Le manuscrit de l'Arsenal, section de l'Histoire de France, n° 220, contient une version de cette lettre un peu différente : Madame, ne soyez point surprise des ordres que je donne. Faites attention à ce que M. de Fréjus vous dira de ma part ; je vous en prie et vous l'ordonne. LOUIS.

[18] Elle y fut accompagnée par madame du Deffand, son émule en beauté, en galanterie et en méchanceté. Ces deux amies s'envoyaient mutuellement chaque matin les couplets satiriques qu'elles composaient l'une contre l'autre. Elles n'avaient rien imaginé de mieux, pour conjurer l'ennui, que cet amusement de vipères.

[19] Je tiens du fils aîné de M. de Givry, que M. le Duc avait fait un codicille qui n'a point paru dans le public, par lequel il suppliait le roi de recevoir une restitution de six cent mille livres qu'il lui devait ; que l'on avait porté au roi ce codicille ; que son premier mouvement avait été d'avoir horreur de quelqu'un qui s'était mis dans un cas semblable, et qu'avec mépris il avait répondu qu'il les donnait à M. le prince de Condé. Lettre du chevalier de Bellisle au comte de Bellisle son frère, du 11 juillet 1740.