HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XVII.

 

 

Mariage du roi. — Renvoi de l'Infante. — Négociations avec l'Angleterre et la Russie. — Marie Leczinska. — Tableau de sa vie. — Entreprise contre la vie de son père.

 

M. le Duc avait presque ignoré les lois que nous venons d'analyser, et il était trop occupé d'intérêts présents pour méditer beaucoup le sage règlement de l'avenir. Plus son espoir d'opposer à la maison d'Orléans les princes d'1spagne s'affaiblissait, plus la conservation du jeune roi animait sa sollicitude. Il cherchait par toutes sortes d'arts à lui inspirer le goût de la chasse, qui devait tout à la fois fortifier son corps et détourner son esprit des études sérieuses. La forêt de Chantilly devint donc l'académie du monarque de quinze ans ; les plus beaux tableaux d'Oudry décorèrent tour à tour son appartement ; le jésuite Tournemine eut la complaisance de publier une dissertation afin de prouver que l'inclination pour la chasse est dans un jeune prince le présage d'une vertu héroïque ; et le premier ministre poussa la séduction jusqu'à faire frapper, en l'honneur du roi, une médaille historique avec cette légende : Et habet sua castra Diana[1]. Ces indignes artifices étaient peu nécessaires. La même stérilité d'âme qui avait rendu si chère à Louis XV la passion du jeu, le précipita dans les fatigues de la chasse, avec si peu de ménagement, que le prince de Condé trembla quelquefois d'avoir trop bien réussi[2]. Quoi qu'il en soit, la complexion du roi avait passé d'une faiblesse habituelle à une vigueur mêlée de crises dangereuses. Il n'était plus de repos pour le ministre tant qu'un héritier de son maitre ne le rassurerait pas ; et l'on sent qu'un mariage convenu avec une Infante de six ans laissait devant ses désirs un vide bien redoutable.

Ce chef-d'œuvre de la politique de Dubois avait dès le principe trouvé des incrédules. Le mariage de l'infante, dit alors le duc de Noailles à la princesse de Carignan, finira comme le système de Law ; et l'exil paya cette mordante prédiction[3]. Quand, après la mort du Régent, le maréchal de Tessé arriva en Espagne, il trouva Madrid persuadé qu'il venait négocier le retour de l'Infante, et la cour fort effarouchée de ces présages. Mais le duc Bourbon, qui avait d'autres vues sur l'Espagne, promit solennellement de faire célébrer les fiançailles aussitôt que la princesse aurait sept ans[4]. Cependant il s'en fallait bien que ses desseins fussent arrêtée, car, pendant les neuf derniers mois de 1724, je le vois agiter la question dans ses conseils les plus secrets. Le comte de Morville, consulté sur les conséquences du renvoi de l'Infante, n'en dissimula' pas les dangers, et pensa que, jusqu'à la clôture des conférences de Cambrai, cet événement peut replonger l'Europe dans une guerre générale. Quelque temps après, il offre la liste des princesses qui étaient alors à marier, et dont le nombre s'élevait contre toute apparence à quatre-vingt-dix-neuf[5]. Mais Morville tire de cette foule une élite convenable, et attache des annotations à quelques noms principaux. On remarque ces mots à côté de la fille du czar : La princesse Anne de Moscowie est née d'une mère de basse extraction, et elle est élevée au milieu d'un peuple encore barbare. Et à côté de l'Infante de Portugal : La princesse est d'une nation peu féconde, et d'un sang dont on croit la communication périlleuse. Par une singularité assez frappante à cette époque, et dont il était loin de prévoir la suite, le ministre parle du malheureux Leczinski en ces termes : Le roi Stanislas a plusieurs parents peu riches, mais on ne sait rien de personnel qui soit désavantageux à cette famille. De son côté, le comte de La Marck était entré phis avant dans la confidence de M. le Duc, et maniait les questions les plus délicates dans cinq mémoires qu'il composa par son ordre[6]. Il pensait que, ne pouvant avoir l'Espagne pour complice, il fallait consentir à l'avoir pour ennemie, et il proposait au prince de Condé de marier le roi à mademoiselle de Sens, la plus jeune de ses sœurs, qui venait tout récemment de paraître à la cour avec l'éclat d'une rare beauté. Mais il ne cachait pas au prince que ce choix pris dans sa famille rendrait plus vif le ressentiment de l'Espagne, et le chargerait personnellement de tout l'odieux de la rupture. Poussant même ses vues plus loin, il lui faisait remarquer que l'âge de mademoiselle de Sens, excédant de près de cinq années celui du roi, pourrait un jour amener un dégoût dont le frère serait victime. Il jugeait cependant que ces motifs devaient céder à l'inestimable avantage de l'alliance royale. Mais le conseil secret, composé de M. le Duc, de la favorite et de Duverney, n'adopta pas cette conclusion, soit à cause de l'extrême frayeur qu'il avait de la guerre, soit peut-être aussi parce que madame de Prye, comptant plus sur l'intrigue que sur l'amour, craignait d'élever dans la famille de son amant des rivales de son propre crédit. Un nouveau projet fut demandé au comte de La Marck.

Cette fois il dirigea ses vues sur les filles du duc de Lorraine. Le souvenir des princes de ce nom, jadis si brillants et si dangereux, ne lui parut plus être qu'un épouvantail de l'histoire. D'ailleurs, comme les princesses étaient deux sœurs également séduisantes par la jeunesse et les grâces, il imagina que M. le Duc pourrait en donner une au roi, et lui-même épouser l'autre. Cet expédient aussi sage qu'ingénieux n'eut pas davantage l'approbation du conciliabule. La duchesse de Lorraine était tante du duc d'Orléans, et ce titre imprimait sur ses filles une tache ineffaçable. La Marck étendit donc ses recherches ailleurs, tandis que M. le Duc tâcha d'acquérir par d'autres voies des notions souvent bien trompeuses. La Faye, revenant de. Rome, eut ordre de s'arrêter à Modène pour y étudier le caractère des trois princesses. L'abbé de Livry fut chargé d'éclaircissements plus singuliers concernant la sœur du roi de Portugal. L'Allemagne, république de maisons souveraines, offrait surtout par la beauté du sang et l'illustration des races une pépinière de reines. Les choix y étaient faciles, depuis que les théologiens de la réforme avaient décidé que rame peut encore se sauver au sein des superstitions romaines. En y élevant les jeunes princesses dans l'étude des-langues et l'indécision des cultes, on les-rendait également propres à recevoir tous les dogmes et à partager tous les trônes. Je remarquerai en passant que ces exemples donnés de si : haut ont dû fortement contribuer au phénomène actuel des croyances germaniques. L'Allemagne réclamait donc un explorateur particulier. Madame de Prye, qui avait connu le sieur Lozillière comme secrétaire de l'ambassade française à Turin, lui procura cette mission, et il partit sous le nom un peu romanesque de chevalier de Méré. Si je juge de ses qualités par les instructions qu'on lui confia, ce devait être un Protée habile à s'introduire en tous lieux par le jeu, la dépense, l'esprit et les arts, et à se ménager également la trahison des valets, la confidence des gens de cour, l'indiscrétion des femmes, des médecins, des précepteurs et des familiers- de tout genre. Nous apprendrons le résultat de cette mystérieuse ambassade.

Le conseil de madame de Prye n'attachait à ces démarches qu'un intérêt douteux. Il ne voulait au fond qu'éviter la guerre, frappé de l'idée que, si le renvoi de l'Infante réconciliait l'Espagne et l'Autriche, ces deux puissances travailleraient à détruire par les armes le ministère de M. le Duc, comme les auteurs de la quadruple alliance avaient abattu celui d'Alberoni. Il lui semblait en outre qu'en cas d'hostilités, un prince du nom de Condé ne pouvait déléguer à d'autres le commandement de l'armée, et cette obligation produisait une difficile alternative ; car, si M. le Duc menait le roi à sa suite, toute la France se soulèverait contre l'inutilité des périls d'une tête si jeune et si précieuse, et si, au contraire, il s'en éloignait, l'intrigue obtenait mille moyens de perdre ce ministre dans les faibles affections d'un enfant. Ces motifs jetèrent le conseil secret dans une entreprise que Morville et La Marck avaient désapprouvée d'avance sans s'être concertés. Il s'agissait de marier le roi à une fille de la princesse de Galles, tant on était persuadé que la seule crainte des forces britanniques romprait le courroux de Philippe V. Une négociation aussi délicate ne devait pas suivre les canaux ordinaires, et l'on ne s'adressa point à Horace Walpole, qui maintenait à Paris tous les rapports entre les deux puissances. Le comte de Broglio portait à Londres le masque de notre ambassadeur. Le seul travail de tout son ministère était d'acheter pour le roi et pour le prince de Condé des chiens et des chevaux que l'aumônier de l'ambassade amenait régulièrement en France. Ce fut à ce diplomate désœuvré que M. le Duc confia ses vues sur la petite-fille du roi d'Angleterre, et le soin de les conduire par des routes tortueuses[7]. Il trouva un prétexte pour lui envoyer le portrait du jeune roi, dont la beauté presque idéale excita une vive sensation dan la cour d'Angleterre[8]. Mais un accident imprévu arracha bientôt le cabinet de la marquise de Prye à ces détours circonspects. Le 20 février 1725, le roi est frappé d'une maladie foudroyante qui met, durant quarante-huit heures, ses jours en péril. Le duc d'Orléans a un pied sur le trône, et les partisans de sa maison se rassemblent la nuit chez la duchesse sa mère. M. le Duc sent avec terreur le danger de sa position. Tant que la crise dure, il erre dans le palais comme un maniaque, assiège le lit du roi, et les résolutions les plus violentes naissent et se détruisent dans le tumulte de ses pensées. A peiné échappé de cette épreuve, et pâle encore d'effroi, il jure d'assurer sans délai sa tranquillité. Le temps de la prudence est passé, et il traitera comme ennemi tout ce qui osera contrarier sa fougueuse impatience.

Depuis quelques mois, le parti de renvoyer l'Infante avait été soumis au maréchal de Villaret et à l'évêque de Fréjus. Le premier l'avait embrassé avec chaleur ; et le second n'y avait fait nulle objection. Aussi redis du conseil fut unanime. Sans doute, s'écria le Comte de Morville, il faut renvoyer l'Infante, et par le coche, pour que ce soit plus tôt fait[9]. Il paya chèrement dans la suite cette saillie indiscrète ; mais elle ne' choqua point alors, parce que M. le Duc préférait un éclat brusque et sans retour à une négociation plus décente, mais embarrassée des lenteurs et des intrigues castillanes. Morville et Fleury présentèrent chacun les projets de lettres qui devaient porter en Espagne l'apologie de cet affront[10]. On y exprimait le vœu public pour la naissance d'un héritier du trône, et cette considération était vraie et imposante. On y parlait aussi de l'urgente péces9ité de mettre les mœurs du roi sous la protection du mariage, et ce scrupule, adressé à la conscience de Philippe V, réunissait le mensonge et le ridicule[11]. M. le Duc avait prévu que le maréchal de Tessé seconderait mal ses desseins. Cet ambassadeur aimait tendrement le roi et la reine d'Espagne, qui le comblaient de grâces. Il était d'ailleurs peu agréable aux jésuites, dont on espérait faire mouvoir les armes souterraines[12]. Tessé, brusquement rappelé, n'en put comprendre la cause, et ne céda qu'à des ordres répétés coup sur coup[13]. Ce fut seulement à Bayonne qu'il connut la vérité, et vit à quels soupçons de perfidie sa conduite franche et pleine de candeur allait être exposée. Le cœur blessé, il continua sa route, parut une fois à la cour et rechercha son asile des Camaldules. Le chagrin mortel l'y suivit, et Tessé succomba dans peu de jours, pleurant la faute de sa vieillesse qui lui avait fait sacrifier à une fumée de faveur les tranquilles illusions de la vie érémitique.

Cependant l'abbé de Livry arriva de Lisbonne pour le remplacer à Madrid. Ce n'est pas vous traiter en favori, lui écrit M. le Duc, que de vous charger de cette mission. En effet, il en épuisa tous les dégoûts. Admis à l'audience du roi, il lui présenta ses lettres à genoux et les yeux baignés de larmes. Philippe, touché de sa douleur, prit la dépêche et chercha des ciseaux pour l'ouvrir ; mais la reine, qui survint à l'instant, s'y opposa. L'entretien fut long et calme. Le couple royal ne montra ni surprise ni emportement. Les discours de Livry n'ébranlèrent point leur froide inflexibilité, et il se retira sans avoir rien obtenu, pas même l'ouverture de ses dépêches. Cette contrainte rendit l'explosion plus terrible. La reine passa la nuit dans les larmes et le lendemain, ayant mandé l'ambassadeur d'Angleterre, elle lui dit avec émotion : Vous voyez comme on nous a traité ; souffrirez-vous cette indignité ? L'abbé de Livry et tous nos consuls reçurent le commandement de sortir de l'Espagne. Mademoiselle de Beaujolais, promise à don Carlos, fut aussi renvoyée sans que le roi ni la reine voulussent la voir. Sa sœur, veuve de Louis Ier, qui alors revenait en France, eut ordre de s'arrêter à Burgos et de l'y attendre. Philippe et son épouse affectèrent, plusieurs jours de suite, de se montrer en public, voilant par le sourire les blessures de l'orgueil. On laissa la populace promener dans les rues avec outrage l'effigie de Louis XV, et les bergers des Pyrénées vinrent furtivement dans les pâturages des vallées françaises couper les jarrets des bestiaux. A paris, les deux ministres espagnols Laullez et Monteleone demandèrent que l'Infante leur fût remise ; mais M. le Duc leur permit seulement de l'accompagner, parce qu'il voulut lui faire rendre les mêmes honneurs qu'elle avait reçus dans son premier voyage. La lenteur espagnole faisait place, dans cette circonstance, à une précipitation inouïe. Le marquis de Santa-Cruz, qui venait au-devant de l'Infante, entra inopinément dans Saint-Jean-Pied-de-Port avec une caravane de plus de quatre cents personnes. Un Suisse qui commandait la place se retira dans la citadelle, et le marquis fut effrayé de la peur qu'il avait faite. L'échange des princesses ressembla peu à celui auquel la paix avait présidé trois années auparavant. L'Infante, ignorant son sort, jouait avec la gaieté de son âge ; mademoiselle de Beaujolais était inconsolable, et sa sœur ne témoignait qu'une stupide apathie. Le marquis de Santa-Cruz ne poussa pas la fierté jusqu'à refuser les riches diamants dont Louis XV avait fait don à l'Infante[14]. Mais arrivé à Madrid, il étala dans le palais, aux, yeux du public, des morceaux d'un mauvais pain noir dont il-prétendit que les Français nourrissaient l'Infante, puérile méchanceté, plus propre à flatter te courroux d'une mère qu'à persuader les hommes raisonnables.

Cependant M. le Duc poursuit ses projets, et envoie au comte de Broglio des instructions pour demander la fille du prince de Galles. Cette démarche extravagante était l'essai diplomatique de Duverney, esprit singulièrement aventureux, qui ne se plaisait jamais plus que dans les choses qu'il ignorait. C'est de lui que le maréchal de Noailles disait à Louis XV : Duverney est un excellent munitionnaire, qui a le faible de faire des plans de guerre[15]. Comment croire que Georges Ier, qui ne régnait que par le titre de son hérésie, ferait apostasier sa petite-fille ? Comment espérer que les Anglais laisseraient passer dans les bras d'un roi de France une princesse que la constitution britannique n'excluait pas de la couronne ? Georges et ses ministres fermèrent la bouche au comte de Broglio par ces difficultés insolubles, et se firent à la cour d'Espagne un mérite de leur refus. Les gazettes annoncèrent comme conclu ce mariage impossible, et le pape, que la France ménageait alors, en fut épouvanté. Toute l'intrigue avait été ourdie à l'insu du comte de Morville, et il ne soupçonnait pas que l'indiscrétion des papiers publics était un petit stratagème du conseil de la marquise de Prye pour animer la négociation avec le roi Georges. Aussi trompé et aussi alarmé par cette nouvelle que le pontife romain, il écrivit à M. de Saint-Contest, notre plénipotentiaire à Cambrai : Il y a trop à perdre à être trop sage. Rangez-vous de manière à faire percer de tous côtés le bruit du mariage du prince des Asturies avec une archiduchesse. On sourit de pitié aux tribulations de toute cette politique fausse et mesquine. Mais, pendant que les Îles-Britanniques refusaient au prince .de Condé une reine de son choix, les glaces du nord lui en offraient une qu'il était loin d'attendre.

Pierre Ier venait de terminer, dans une mort pusillanime, une carrière mêlée de grandeur et de désordres. Il avait lutté par des, excès contre l'affaiblissement de ses forces. Dans le dernier mois de sa vie, il parcourait encore Pétersbourg, menant un cortège de plus de deux cents musiciens ou hommes ivres, et se souillant de débauches aux dépens des maisons qu'il visitait. On le vit en habit de matelot et, à l'âge de cinquante-trois ans, exécuter publiquement avec sa femme une danse tartare. Tout à coup, au milieu des préparatifs du mariage de sa fille aînée avec le duc de Holstein Gottorp, il est assailli d'une maladie furieuse qui le traine au tombeau en douze jours d'atroces douleurs[16]. Son âme si fière en fut abattue, et la constance du héros fit place aux faiblesses du mourant. Ses remords lui rappelèrent la perte de son fils ; il crut en voir le spectre, et plusieurs fois on l'entendit crier : J'ai sacrifié mon sang ! Espérant fléchir le ciel par des actions qui lui fussent agréables, il fit mettre en liberté quatre cents prisonniers, communia trois fois en sept jours, et voulut qu'on priât pour lui dans tous les temples, sans distinction de croyances. Tandis que l'incrédule czar expirait dans ces devoirs pieux, Catherine étonnait par un spectacle non moins extraordinaire. Cette esclave couronnée, qui ne savait même pas lire et écrire, remplit dans cette crise, avec autant de force de caractère que de présence d'esprit, les rôles de femme, de veuve, de mère et de marâtre ; garda la confiance et ferma les yeux de son redoutable époux, satisfit à toutes les formalités de la douleur, mit le trésor en sûreté, gagna les soldats, fit mouvoir à propos le favori Menzikoff, et, presque ensevelie dans des flots de crêpe, suivant l'usage du pays, se montra partout pleurant, conspirant, régnant. La veille, on désespérait de sa fortune, et le lendemain elle était impératrice de toutes les Russies. Cependant le czar n'avait point disposé de cet immense héritage, et la loi le déférait, dans ce cas, à son petit-fils, seul rejeton du malheureux czarewitz. Cet enfant de dix ans avait un protecteur naturel dans son oncle, l'empereur Charles VI[17], et cette idée troublait la sécurité de l'usurpatrice. Ce fut en ce moment que la nouvelle du renvoi de l'Infante parvint aux bords de la Neva, et que Catherine jugea aussitôt de quel secours serait notre alliance pour son autorité naissante. Le duc de Holstein, son gendre, et le prince Menzikoff vinrent successivement de sa part chez M. de Campredon, notre ministre offrir la main d'Elisabeth, sa seconde fille, pour Louis XV, la conversion de cette princesse à la foi catholique, et un traité qui dévouerait aux intérêts de la France toutes les forces moscovites. Trois jours après, un surcroît de bienveillance témoigna combien le succès était vivement désiré. Les mêmes négociateurs soumirent à M. de Campredon un projet singulier de marier le duc de Bourbon à la fille de Stanislas, et de lui garantir le royaume de Pologne à la mort du roi Auguste. La marine confirma elle-même à notre ministre ces diverses propositions. Tandis qu'un courrier les portait à Versailles, les gazettes divulguèrent à Pétersbourg le mariage de Louis XV avec la princesse d'Angleterre. Malgré ce contre-temps, le cabinet russe était si échauffé de l'alliance française, que le duc de Holstein proposa encore à M. de Campredon de renouer le projet de mariage qui avait été entamé du vivant du czar entre M. le Duc et la princesse Elisabeth. La cour de France répondit à toutes ces avances avec une extrême civilité. Dans une, lettre où Catherine et .sa fille étaient comblées de louanges, on s'excusa d'avoir porté ailleurs le choix du roi par la différence des religions, et la crainte que l'abjuration de la fille ne nuisît à la mère dans l'esprit de ses sujets. M. le Duc se refusa aussi à une alliance éclatante dont l'avantage était éventuel, et qui probablement convenait peu à la marquise de Prye[18].

Ni l'importance ni la lenteur des communications de Pétersbourg n'avaient dérangé la marche inconsidérée du cabinet de Chantilly. Quand Charles VIII renvoya la fille de Maximilien, l'acquisition d'une grande province encourageait cette témérité, et le mariage d'Anne de Bretagne était résolu : Mais le duc de Bourbon avait offensé Philippe V sans autre plan que l'absurde espérance d'obtenir une princesse d'Angleterre, et ce but manqué le livrait aux périls de l'incertitude et de la précipitation. Le chevalier de Méré, revenu de sa galante ambassade, apportait le tableau physique et moral de vingt-huit princesses. Mais le fantôme du duc d'Orléans et la faveur qu'on lui supposait dans les familles souveraines de l'empire, faisaient paraître tous ces choix redoutables. Il fallait une princesse assez abandonnée de toute protection humaine pour rassurer le ministre ombrageux. On ne pouvait contester à Marie Leczinska cette triste recommandation. Comme le lieu qu'elle habitait en Alsace avait été la première station du chevalier de Méré, son portrait se trouvait à la tète de la collection formée par ce voyageur. Stanislas, son père, était ce palatin de Posnanie qu'un caprice de Charles XII assit un moment sur le trône de Pologne et que la fortune entraîna dans la déroute de son protecteur. La mort du roi de Suède le força de quitter le duché de Deux-Ponts, qui passait sous d'antres lois, et la nouvelle reine ne put lui payer les arrérages du subside que le Conquérant lui avait promis[19]. Elle voulut au moins le consoler en obtenant pour lui du Régent de France un asile dans la basse Alsace[20]. On prétend que le ministre de Saxe se plaignit de cette hospitalité ; et que le duc d'Orléans lui répondit fièrement : Mandez à votre maitre que la France est l'asile des rois malheureux. La vérité n'est entrée pour rien dans cette anecdote. La cour de Saxe ne réclama pas, et nul traité ne l'autorisait à se permettre auprès d'une puissance du premier ordre une démarche aussi présomptueuse. Les paroles qu'on prête au duc d'Orléans eussent dépassé les bornes de la sottise dans la bouche d'un prince qui venait d'être contraint, à la face de l'Europe, de chasser Jacques III jusqu'au-delà des Alpes. On ne saurait trop se défier de ces ornements apocryphes de notre histoire. C'est surtout parmi nous que l'imagination d'un peuple vif et spirituel favorisé les inventions de te genre. J'ai vu, de notre temps, fabriquer ainsi de ces faux bons mots qui circuleront un jour dans nos annales. Stanislas, sa mère, sa femme, sa fille, deux moines et quelques gentilshommes, compagnons de sa fuite, furent établis entre les vieilles murailles de la commanderie de Weissembourg. Le cardinal Dubois lui faisait compter mille livres chaque semaine par la monnaie de Strasbourg[21]. Stanislas ne montra point dans la détresse le caractère qui ennoblit le malheur. L'humiliation de la misère se peint dans ses lettres souples et basses. Il flatte, il caresse sans mesure Dubois, Le Blanc, Campredon, Polignac ; il invoque l'entremise du pape et de la Suède, et leur offre au plus vil prix d'abdiquer le titre royal, de reconnaitre son rival, et de s'abandonner à la pitié du csar. Dès que M. le Duc parvint au ministère, il fut assailli à son tour des complaintes de Weissembourg, et augmenta un peu le tribu de cette cour indigente[22]. Ce bienfait était le seul rapport entre eux lorsque le récit du chevalier de Méré fixa singulièrement l'attention de M. le Duc sur la princesse Marie. Il est d'ailleurs probable que le lieutenant-colonel Vauchoux, attaché à Stanislas par une ancienne amitié, avait déjà sollicité pour cet illustre fugitif l'intérêt de la marquise de Prye. Mais il faut convenir que dans les vues du ministre et de la favorite, le portrait de Marie Leczinska, tracé par le chevalier de Méré, devait paraître bien séduisant. Ces mœurs naïves et pures, ce mélange d'études graves et de gaieté innocente, ces devoirs pieux et domestiques, cette princesse qui, aussi simple que la fille d'Alcinoüs, ne connaît de fard que l'eau et la neige, et qui, entre sa mère et son aïeule, brode des ornements pour les autels ; tout retraçait dans la commanderie de Weissembourg l'ingénuité des temps héroïques. M. le Duc présuma facilement ce que serait sur le premier trôné de l'Europe une étrangère ainsi formée par la dure nécessité et tirée par lui seul de ce grand abaissement. Détourné par la politique de l'honneur de couronner une princesse de son sang, il vit dans Marie Leczinska une sœur d'adoption dont il maîtriserait sans partage l'esprit docile et l'âme reconnaissante.

L'évêque de Fréjus contemplait avec une joie discrète ce travail dé l'égoïsme. La fille de Stanislas apportait un poids léger dans cette rivalité qui subsiste naturellement entre la jeune épouse et le vieux précepteur d'un prince. Fleury fut doublement satisfait d'un choix qui lui convenait et qu'il n'eût osé faire lui-même. Le roi, toujours froid et timide, se soumit sans curiosité et sans murmure à ce nouveau devoir aussi insipide pour lui que toute autre cérémonie de son rang. Mais l'opinion publique démêla parfaitement, dans cette bizarre alliance, le calcul d'un tuteur qui sacrifiait l'État et le monarque à ses vues personnelles. La France fut, au moins étonnée qu'on livrât la main de son roi à la fille d'un fugitif dont la royauté fortuite n'était plus qu'un fardeau et un gage de discordes. M. le Duc, qui ne s'aveuglait point sur la justice de ces reproches, députa vers Stanislas le chevalier Vauchoux, avec la mission expresse de lui déclarer qu'en mettant sa fille sur un trône, il devait abjurer tout espoir de recouvrer celui de Pologne, et que jamais la France n'approuverait de sa part aucun retour ambitieux[23]. Stanislas était encore atterré de sa gloire imprévue. On sait qu'en recevant la première lettre de M. le Duc, lui et sa famille se jetèrent à genoux pour remercier le ciel d'une faveur aussi inespérée. Il lui en coûta peu dans ces moments d'ivresse de promettre au ministre français l'abnégation qu'on lui imposait. Sans doute ses protestations étaient alors sincères. Mais la créature de Charles XII n'avait pas une de ces aunes que respecte la loi commune. Leczinski se trompait lui-même, et dans peu de mois il éprouva que la soif du pouvoir suprême ne s'éteint plus sur les lèvres qui en ont goûté les douceurs et même l'amertume.

Cependant le mariage déclaré ne se préparait pas sans obstacles. Une calomnie tissue avec art en suspendait la fête[24]. Un crime allait l'ensanglanter. M. du Harlay, nouvellement nommé à l'intendance d'Alsace, était venu visiter la cour de Weissembourg. Le 12 juin, un inconnu se présente et lui parle ainsi : Avant-hier j'ai rencontré sur l'autre bord du Rhin un nommé Steinhel, dont le frère est secrétaire du résident de Saxe à Francfort. Cet homme a renouvelé connaissance avec moi, et m'a engagé à le suivre au château de Falkembourg, où il habite chez son cousin, bailli du prince de Linange. C'est là qu'il m'a fait part d'un complot formé pour délivrer la cour de Saxe des alarmes que lui cause le roi Stanislas, surtout au moment où le roi de France va devenir son gendre. Il m'a montré deux cassettes pleines d'un tabac à fumer délicatement préparé selon la manière dont l'emploient les Turcs. Mais le tabac de l'une de ces cassettes est empoisonné ; et voici comment il m'a expliqué l'intention des conjurés. Quelqu'un ira, sous l'apparence d'un marchand, offrir au roi de lui vendre de ce tabac asiatique ; et lui laissera pour essai celui dont la préparation est innocente. On ne doute pas que sa qualité exquise n'engage le roi à en redemander, et alors, le même marchand y substituera les feuilles qui donnent la mort ; et comme leur effet se développe lentement et sans blesser aucun organe, le colporteur aura le loisir de se retirer à l'abri du péril et même du soupçon. Steinhel m'a proposé alors de me charger de cette vente dont mille ducats et une compagnie dans l'armée doivent être la récompense, et il m'a promis que la garantie m'en serait donnée au nom du roi Auguste par le général Flumming et par un sieur Bisque, capitaine saxon, qui ont seuls le secret et, la direction de l'entreprise. J'ai accepté. Steinhel m'a remis la cassette-de tabac non empoisonné que je vous apporte. Nous sommes convenus de nous revoir demain au château de Falkembourg, où je l'instruirai de l'issue de nos premières démarches. Je n'exige aucun prix de la révélation que je viens de vous faire. Je m'appelle Rolelr de Reichenau ; je suis un militaire réformé du service des Deux-Ponts, et si vous demandez quel intérêt je prends au roi Stanislas, je vous avouerai qu'il est bien léger. Je me suis souvenu d'avoir été autrefois de garde à la porte de sa maison. Sa bonne mine m'avait plu, et c'est le seul motif qui me décide aujourd'hui à sauver ses jours[25].

Cette confidence jeta M. du Harlay dans une grande perplexité. Fallait-il mépriser un avis important donné avec précision et naïveté ? Pouvait-on croire un étranger, un inconnu, n'offrant nuire aspect que celui d'un poudreux aventurier ? Convenait-il d'inquiéter la cour de France par ce fâcheux récit, et de la mettre dans la pénible alternative, ou de manquer la découverte du crime si on suivait les formes politiques, ou de susciter de graves querelles si on la brusquait par la violation du territoire de l'Empire ? Du Harlay était jeune, courageux, homme d'exécution. Il prend son parti avec noblesse et vigueur, et résout d'aller lui-même enlever le coupable et le corps du délit, au risque évident d'être clés-, avoué s'il réussit et puni s'il échoue. Il choisit sur-le-champ une troupe de trente hommes parmi les officiers de la garnison, les soldats de la maréchaussée et les serviteurs de la maison de Stanislas, et le même jour, à onze heures du soir, il part à leur tête sous la conduite du dénonciateur, dont la personne est soigneusement gardée. Le détachement franchit en silence, et dans les ténèbres, les forêts qui environnent Weissembourg et où s'entrelacent plusieurs territoires étrangers ; et à la pointe du jour il arrive devant Falkembourg, éloigné de huit lieues du point de départ. La ruse procure l'entrée du château ; la troupe armée en occupe aussitôt toutes les issues, et le fouille avec un soin extrême. Steinhel ne s'y trouve pas, et n'y a point passé la nuit. Le rendez-vous qu'il y avait assigné à son délateur n'était probablement qu'une première épreuve dont il voulait éluder les chances. Mais le bailli a été saisi dans son lit, et on le mène à la chambre de Steinhel que l'on visite en sa présence, et où, suivant l'indication de Rolelr, on trouve entre deux matelots la cassette de tabac de Turquie. M. du Harlay propose alors au bailli de mâcher ou de fumer de ce tabac ; mais celui-ci refuse en donnant des signes d'effroi, en disant qu'il croit que ce tabac, envoyé de Francfort à son cousin, est empoisonné. M. du Harlay dresse un procès-verbal que le bailli signe de la manière suivante : WEIDNER, lequel déclare n'être coupable du crime de son cousin[26]. Le plus difficile de l'expédition restait à faire, c'était. la retraite. On résolut de l'effectuer sur Landau, moins éloigné que Weissembourg. Il n'en fallait pas moins emmener prisonnier un magistrat du pays et traverser, en armes et en plein jour, les terres du prince de Linange et de l'électeur palatin, où la moindre alerte pouvait faire sonner le tocsin et courir toute la population sur une escorte peu nombreuse dont la bravoure ne servirait probablement qu'à rendre la déroute plus sanglante. Grace à l'extrême célérité de la marche, et à la précaution de ne choisir que des chemins rudes et désertai la petite armée de l'intendant atteignit dans la journée, avec des fatigues excessives, tes purs de landau, et y déposa sa capture.

L'absence de Steinhel et les dénégations de son parent ne promettaient pas de vives lumières sur le fond du complot. Le refus qu'avait fait le bailli d'user du tabac suspect s'élevait seul contre lui ; mais il atténuait cet indice en soutenant que les discours des soldats l'avaient parfaitement averti qu'il s'agissait de la recherche d'une substance empoisonnée. Cette explication n'était pas rigoureusement impossible ; en sorte qu'après deux mois de détention et plusieurs interrogatoires, on fat réduit à renvoyer l'accusé à son prince. La cour désavoua publiquement M. du Harlay, et le remercia en secret de son zèle et de sa belle conduite : Un seul homme se montra implacable ; ce fut le vieux maréchal Dubourg, commandant de la province. Outré de ce qu'un homme de robe eût si facilement rempli l'office du. plus brave guerrier, il dénigra l'intendant par d'injustes reproches, mit aux arrêts les officiers qui l'avaient suivi ; et hissa percer toutes les faiblesses d'un dépit ridicule. Heureusement l'Empereur, avec qui notre position était devenue fort critique depuis le renvoi de l'Infante, affecta moins de sévérité, et n'exigea pas la satisfaction que le duc de Richelieu fut chargé de lui offrir pour l'incursion de Falkembourg. Les pointilleries politiques plièrent dans cette occasion sous l'ascendant de la justice naturelle. On adressa aux princes dont le territoire avait été violé le procès-verbal de M. du Harlay, après qu'on en eut retranché les passages qui compromettaient personnellement l'électeur de Saxe. Ce ménagement semblait équitable, car rien n'attestait la complicité d'Auguste ; son caractère s'accordait mal avec d'aussi noires combinaisons ; et sa cour pouvait nourrir à son insu de ces serviteurs ardents qui se font un double mérite d'assurer à leur maître le profit d'un crime, sans lui imposer la peine de l'inventer ou la hante de le prescrire[27]. Depuis sa retraite en Alsace, Stanislas avait déjà été exposé à plusieurs entreprises que la vigilance de la reine de Suède, du Régent et du prince de Condé écarta successivement de sa personne. Le projet d'empoisonnement déconcerté par M. du Harlay fut la plus odieuse et la dernière de ces tentatives. L'asile de Chambord put enfin arracher le malheureux palatin à cette fortune trop bizarre qui, dans l'ombre de la vie privée, lui conservait les dangers du trône.

La ville de Strasbourg fut le premier théâtre où la famille de Leczinski, tirée des masures de sa commanderie, raccoutuma par degrés ses yeux à l'éclat des pompes royales. Des princes vinrent de l'autre bord du Rhin grossir la foule de ses courtisans. Le duc d'Antin et le marquis de Beauvau, envoyés pour demander la nouvelle reine, et les femmes appelées à former sa maison, accoururent de Versailles. Le duc d'Orléans arriva lui-même au travers des sarcasmes de la cour de Lorraine, et représenta le roi dans la célébration du mariage, sacrifiant ainsi à la vanité de son rang et à un don-de cent mille écus ses propres ressentiments, et la honte de détruire l'ouvrage de soli frère. La princesse Marie désarma par une douceur modeste les préventions françaises[28]. Sort père étonna par quelques façons étranges. Off lé vit baiser la signature de son gendre. Avant de recevoir le collier de l'ordre, il voulut passer la nuit dans une église de capucins, pour imiter ces veilles pieuses où les anciens chevaliers se préparaient à leurs serments. Il adressa pour adieux à sa fille une instruction sur les devoirs du trône et du mariage, hérissée de toutes les rubriques des sermonnaires[29]. Parmi les hommages qui avertissaient Stanislas du changement de sa fortune, il dut distinguer une lettre flatteuse qu'il reçut alors de Jacques III, son émule de malheurs[30]. L'orgueil du Polonais s'inquiéta de la forme dans laquelle il répondrait à un prétendant qui n'avait vu le trône que de loin, et ne s'y était pas assis comme lui. Le comte de Morville fut consulté sur cette comédie d'étiquette jouée par deux ombres royales. L'heureux Stanislas n'oubliait pourtant pas la main qui l'avait relevé, et le comte de Rottembourg, qui se rendait à son ambassade de Berlin, devint le confident de sa reconnaissance. Il apprit à ce ministre que l'échange de ses domaines patrimoniaux contre la Courlande était sur le point de se conclure par l'entremise de la Suède, et il le chargea d'offrir au roi de Prusse cette acquisition moyennant la principauté de Neufchâtel, que celui-ci céderait au duc de Bourbon. Le comte de Rottembourg trouva Frédéric-Guillaume très-disposé à cet arrangement, sous la seule condition qu'on substituerait à la Courlande des terres voisines de la Prusse ou de la Poméranie. Le temps manqua seul à la perfection d'un traité qui allait livrer au prince de Condé l'ancien héritage de la maison de Longueville[31]. Mais pendant qu'une souveraineté étrangère s'approchait de lui, son propre gouvernement chancelait, et le tumulte des fêtes ne pouvait couvrir les maux et les fautes qui s'accumulaient sans mesure.

 

 

 



[1] Diane a aussi ses armées.

[2] Quand l'ambassadeur d'Espagne vint annoncer la mort de Louis Ier, à laquelle on croyait que le trop violent exercice de la chasse avait contribué, M. le Duc lui recommanda de profiter de l'occasion pour conseiller au roi d'éviter de semblables excès. Le marquis de Lanlès, s'étant acquitté de sa commission, Louis XV répondit vivement : Oh ! mon cousin jouait à la paume et moi je n'y joue pas.

[3] Lettre de Dubois au père d'Aubenton, du 18 août 1722.

[4] Cette promesse est consignée dans une lettre adressée, le 19 août 1724, par M. le Duc au roi Louis Ier. Le 22 février précédent, le comte de Morville avait écrit au maréchal de Tessé : Si vous trouvez de l'incertitude sur le sort de l'Infante-reine, le sentiment de monseigneur le Duc a été que vous ne pouviez trop vous appliquer à faire cesser, pour le présent, les soupçons, parce que, s'il est jamais nécessaire qu'ils renaissent, on trouvera aisément les moyens de les faire revivre.

[5] Vingt-cinq catholiques, trois anglicanes, treize calvinistes, cinquante-cinq luthériennes, et trois grecques.

[6] 20 et 30 avril, 26, 28 et 30 juillet 1724.

[7] Lettre de M. le Duc au comte de Broglio, du 19 janvier 1725.

[8] Lettre du comte de Broglio à M. le Duc, du 27 janvier 1725.

[9] Mémoires de Saint-Simon.

[10] Fleury fit plus. Le 7 août suivant il adressa, dans le même esprit et en son propre nom, une lettre au roi d'Espagne, où il lui disait : Je n'ai confié mon dessein à personne, c'est à l'insu de tout le monde que j'écris à Votre Majesté. Quand Fleury fut à la tête des affaires, il s'excusa de cette lettre sur la violence du duc de Bourbon. Dans tout ce qui concerna le renvoi de l'Infante, il eut constamment deux styles et deux visages.

[11] La France, y disait-on, est aussi inquiète sur les suites de la force du tempérament de Sa Majesté, qu'elle l'avait été d'abord sur la faiblesse de sa santé. Je lis au contraire dans le mémoire du comte de La Marck, qu'un des inconvénients du projet est le peu d'empressement que le roi témoigne pour se marier, et son indifférence pour le temps et la personne.

[12] Dans son mémoire du 30 avril 1724, le comte de La Marck s'explique ainsi : Il convient que M. le Duc mette les jésuites dans ses intérêts, en se réunissant avec eux, afin de gagner par eux le confesseur du roi Philippe, qui fasse n'eue à ce prince timide et s dévêt des scrupules Sur le besoin que le roi a déjà actuellement de se marier, sur le grand nombre d'années qu'il faut attendre pour que le mariage de l'Infante se puisse consommer, et enfin sur le peu de sympathie qui parait dans l'esprit du roi pour l'Infante, afin de donner envie au roi Philippe de rappeler sa fille et de consentir à un autre mariage pour le roi. Les instructions pour l'abbé de Livry furent rédigées dans ce sens. Il y était en quelque sorte plus accrédité auprès de la compagnie de Jésus qu'auprès du roi.

[13] Je ne puis pourtant, écrivait-il à M. le Duc, partir d'ici comme d'un cabaret, ou comme un banqueroutier. Lettre du 26 février 1725.

[14] Par ma foi, il avait plus d'envie de les tenir que nous de les lui donner. Lettre de M. le duc de Duras, du 14 mai.

[15] Lettre du maréchal de Noailles au roi, du 27 mai 1743.

[16] J'ai lu un exposé confidentiel qu'un des chirurgiens du czar faisait jour par jour de sa maladie. Il exclut toute idée d'empoisonnement. Pierre mourut, comme le cardinal Dubois, d'un abcès à la vessie, et subit une opération inutile.

[17] Le fils de Pierre Ier avait épousé la sœur de la femme de Charles VI. Saint-Simon parle de cette alliance avec son âcreté ordinaire : La princesse de Wolfembutel, sœur de l'impératrice régnante et femme du czarewitz, mourut d'un coup de pied que son mari lui donna dans le ventre étant grosse. La vanité d'un petit prince, son grand-père, la sacrifia à des barbares que l'empereur voulait acquérir. Sa figure, son esprit, sa vertu méritaient un meilleur sort. Elle fut toujours malheureuse avec le plus Russe des Russes, et ne reçut de protection et de douceur que du fameux czar, son beau-père. Mémoires de Saint-Simon.

[18] J'ai rendu compte à monseigneur le Duc de la proposition qui vous a été faite pour son mariage avec la princesse, Elisabeth. Je ne puis assez vous dire jusqu'à quel point S. A. S. a été touchée d'une marque aussi éclatante de l'amitié et de la bienveillance de la czarine, et je ne pourrais vous peindre qu'imparfaitement toute la douleur que S. A. S. à ressentie de n'être plus en liberté de recevoir l'honneur que cette princesse voulait bien lui faire. Mais en même temps monseigneur le Duc ne met point de bornes aux mouvements de sa reconnaissance. Lettre du comte de Morville à M. de Campredon, du 31 mai 1715. J'ai transcrit ce passage parce qu'on lit dans les Mémoires de Duclos que ce fut M. le Duc qui demanda pour lui-même, à défaut du roi, la main d'Elisabeth. Je suis forcé de dire que bien rarement dans les faits Duclos est un guide fidèle. Dès qu'il a trouvé la place d'une épigramme, il ne cherche plus la vérité.

[19] Ce subside était de cent mille écus de Poméranie, et il en restait dû soixante-quatre mille sur l'année 1718.

[20] Dans le temps qu'en me pensait mûre, abandonné de tous côtés, je relève mes espérances plus que jamais, depuis que Sa Majesté la reine de Suède me remet entre les mains de Son Altesse Royale Monseigneur le Régent. Lettre de Stanislas à M. Le Blanc, du 9 septembre 1719.

[21] Ce fut encore la reine de Suède qui sollicita ce secours par une lettre fort touchante, du 15 janvier 1720, où elle représentait le roi de Pologne prêt à succomber de disette et de calamité.

[22] Stanislas lui écrivit alors dans les termes suivants, le 13 mars 1724 : Je vous envoie le sieur Meszech, qui a ordre de vous ouvrir en tout mon cœur et de le remettre entre vos mains, et vous exposer que je ne me trouve pas moins agité des apparences favorables, par la crainte de les voir dissipées, que d'un sort douteux duquel votre seule assistance me pourra tirer, après que votre sainte probité et juste discernement sera convaincu combien il m'est pénible de l'endurer. L'augmentation de revenu accordé par M. le Duc, fut de mille livres par semaine. Stanislas l'en remercia par une lettre du 1er septembre.

[23] Instructions de M. le Duc au chevalier de Vauchoux, du 20 avril 1725.

[24] M. le Duc reçut un écrit anonyme, mais très-circonstancié, où l'on exposait que Marie Leczinska était attaquée d'épilepsie, et que sa mère avait consulté sur ce mal une religieuse de la ville de Trèves qui se mêlait de médecine. Cette révélation, aussi grave que délicate à vérifier, jeta la cabale de Chantilly dans la plus cruelle anxiété. Il fallut imaginer de mauvais prétextes pour différer le mariage, tandis qu'on envoyait en grand secret le sieur Du Fenyx à Trèves et à Weissembourg avec des instructions datées du 1er mai, qui expriment au plus haut degré le trouble et l'effroi. Cependant on ne put recueillir aucun indice de la prétendue épilepsie, et l'on attribua cette fable au ressentiment de la cour de Lunéville. Une lettre du duc d'Antin, du 26 juillet, nous apprend que la duchesse de Lorraine regardait comme un larcin fait à ses filles l'élévation de la princesse Marie, et que son mari, plus résigné, avait bien de la peine à calmer son emportement et ses invectives.

[25] Extrait de la dénonciation de Rolelr de Reichenau.

[26] Procès-verbal de M. du Harlay, du 13 juin 1725.

[27] Ce jugement favorable à l'électeur de Saxe est justifié par la conduite qu'il tint en 1731. Un Alsacien, nommé Geisberg, prenant le titre de chevalier de Chevremont, et vivant près de Francfort sous la protection du prince de Birkenfeld, lui proposa dans une lettre de le défaire de Stanislas par des moyens sûrs. L'électeur envoya des officiers arrêter ce misérable, ainsi qu'un vieux médecin chimiste qui résidait avec lui, et il offrit à la France de les lui livrer. Lettres du marquis de Monti.

[28] Je conviens qu'elle est laide : mais elle me plait au-delà de tout ce que je peux vous exprimer. Lettre du duc d'Antin au comte de Morville, du 28 juillet. La même lettre contient quelques autres particularités. Le roi et la relue de Pologne sont outrés de douleur de ce que le comte de Tarlo leur a mandé qu'ils ne pourraient plus manger avec leur fille après la célébration du mariage. Je ne sais où diable le marquis de Dreux a pris une si cruelle étiquette. Ce serait un poison pour leur vie, et le triomphe de tous leurs ennemis qui ne cherchent qu'à les dépriser. Quand l'étiquette y serait, il faudrait passer par-dessus. La Suède ne le leur pardonnerait jamais. La princesse et sa famille désirent passion. Dément qu'elle soit mariée le jour de la Vierge, pour laquelle on a une dévotion très-particulière. Sur la question d'étiquette on décida que Marie pouvait manger en particulier, mais non pas en public, à moins qu'elle n'eût la place d'honneur, c'est-à-dire entre son père et sa mère, le roi de France ne cédant point la main à des rois électifs.

[29] Il avait choisi pour texte ces paroles : Oyez et prêtez l'oreille ; oubliez votre peuple et la maison de votre père. Stanislas publia ce sermon, et ce fut, je crois, son début dans les lettres. Je ne puis douter que les ouvrages qui ont paru soue son nom n'aient été retouchés par d'autres mains, car ses propres manuscrits attestent qu'il était hors d'état de se servir correctement de notre langue.

[30] Votre propre situation vous doit rendre plus sensible à la mienne, et il parait que la Providence, en récompensant votre vertu, ait voulu en même temps me susciter, en votre personne, un ami également capable et empressé à soutenir les intérêts de ma petite cause. JACQUES R. Lettre du Prétendant à Stanislas, du 6 juin 1725.

[31] Lettres du comte de Rottembourg à M. le Duc, du 5 novembre 1725 et 6 avril 1726. M. le Duc, par sa réponse du 15 mai, accepte l'offre avec joie, et recommande au négociateur une grandee discrétion pour ne pas effaroucher le canton de Berne qui aspirait à l'acquisition de Neufchâtel. Mais quelle que soit l'issue de l'affaire principale, il lui ordonna de mettre obstacle au projet des Bernois, attendu que l'accroissement disproportionné de ce canton est contraire aux intérêts de la France.