HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XVI.

 

 

Lois sous le ministère de M. le Duc. — Sur les finances. — Sur la mendicité. — Code noir. — Religionnaires.

 

LE prince de Condé avait marqué le début de son ministère par la création de sept maréchaux de France[1], et par cinquante-huit promotions dans l'ordre du Saint-Esprit. Cette prodigalité de hautes faveurs, moins propre à augmenter le nombre des amis qu'à diminuer celui des courtisans qui espèrent, annonça plutôt de la précipitation dans le caractère que du discernement dans l'esprit. Tandis que le prince tâchait, par un faux calcul, de conquérir la Cour, Paris-Duverney se flattait de gagner le peuple par une méprise bien plus sérieuse. Le passage des billets de banque et la tourmente perpétuelle des monnaies avaient porté le prix des denrées et de la main d'œuvre au-delà des proportions naturelles. Duverney entreprit de l'y ramener, et, ce qui est bien bizarre, voulut réparer le mal par les moyens qui l'avaient produit. Il diminue successivement de plus de moitié la valeur légale des monnaies[2], et réduit l'intérêt au denier trente[3]. Cette incroyable audace étonne les esprits le plus familiarisés avec les secousses de la régence, et suspend toutes les transactions commerciales. Mais Duverney, accoutumé à opérer sur les valeurs mortes du visa ou à imposer dans les camps le joug de la nécessite, oublie qu'il est maintenant en quelque sorte aux prises avec une nature vivante et passionnée.

Il ordonne aux habitudes de changer aussi vite que ses arrêts. La Bastille se remplit de ceux qui osent discuter ses principes ; les troupes du roi font main-basse, dans la capitale, sur les ouvriers qui défendent leurs salaires. Une lettre du ministre donne pour exemple aux intendants des provinces ces emprisonnements et des meurtres. La France alors se couvre de confusion. On mure les boutiques de ceux qui n'abaissent pas leurs prix au niveau des lois monétaires. Dans quelques lieux la puissance publique soumit à un tarif l'universalité des objets de commerce[4]. En 1793, lorsque la mort était plus prompte que la menace, la même entreprise s'est renouvelée sous le nom barbare de maximum. Mais elle parut insensée même dans ces temps prodigieux où les monstres n'étonnaient plus. Jugez du bouleversement qu'elle enfanta sous un gouvernement moins absolu. Cette lutte où Duverney apportait l'entêtement du savoir et le prince de Condé l'entêtement de l'ignorance, dura plus qu'on ne devait le craindre. Mais enfin chaque rigueur accroissant la défiance, et l'opposition devenant partout d'airain, il fallut remonter l'échelle plus promptement qu'on ne l'avait descendue, et restituer aux monnaies toute leur valeur[5]. L'imprudent ministre apprit, à sa honte, que vouloir faire par la violence ce que le temps seul a le droit d'opérer, c'est rendre impossible ce qui eût été inévitable. L'État perdit, par ces mutations d'espèces, trente-quatre millions huit cent vingt-huit mille huit cent dix-huit livres sur les sommes que les receveurs eurent réellement ou feignirent d'avoir dans leurs caisses. Cette déroute si méritée flétrit dès le premier pas tous les talents de Duverney, et suscita contre l'administration de M. le Duc une alliance de haine et de mépris qui la poursuivit jusqu'à sa ruine.

Les erreurs en finance sont ordinairement des fléaux passagers, parce que la promptitude. de leurs effets en provoque bientôt la réforme. Mais il est des lois dont les conséquences plus dangereuses minent lentement les bases de l'ordre public. Moins leur action est apparente, plus la sagesse a dû en méditer les principes. Il faut se défier de ce débordement de lois importantes qui sembla inonder les premiers mois du ministère de M. le Duc, car l'intempérance des règlements nouveaux est presque toujours dans le gouvernement un symptôme de faiblesse ou d'anarchie. Duverney essaya ses talents législatifs par la suppression des mendiants, dont les fautes de Louis XIV et les désordres de la régence avaient fort agrandi la race. Mais la mendicité, qui a remplacé, dans les misères humaines, l'esclavage des anciens, est une plaie de difficile guérison. On reconnaîtrait dans la déclaration dressée par Duverney[6] une trace confuse des institutions hollandaises, si l'on n'y était pas frappé davantage du caractère de brusquerie et d'imprévoyance qui marquait tous les travaux .de cette époque. Il avait imaginé d'ajouter à chacun des hôpitaux du royaume un asile volontaire pour les indigents, une prison pour les mendiants, et des ateliers pour les uns et pour les autres. Mais les fonds nécessaires à de telles dépenses, ou manquèrent tout-à-fait, ou furent insuffisants. L'opinion publique opposa d'ailleurs à ses plans une âpre résistance. Elle avait jugé le gouvernement de M. le Duc plus propre à faire des pauvres que digne de les secourir, et elle repoussa sa loi, de même qu'une âme fière refuse des bienfaits dont elle méprise l'auteur. Tous les administrateurs des hôpitaux s'accordèrent à laisser dépérir les métiers et à favoriser l'évasion des captifs. Les troupes de ligne et les maréchaussées se firent un point d'honneur de n'arrêter aucun mendiant. On envoya enrôler des archers dans les montagnes de l'Helvétie, mais il fallut bien se garder d'employer ces malheureux à la portée des garnisons suisses, car ils n'obtenaient point de quartier sous le sabre de leurs compatriotes. Des rigueurs outrées purent contribuer cette antipathie générale. Dans le dessein de reconnaître les mendiants, on résolut de leur imprimer un signe indélébile. Quelques-uns furent livrés à des chimistes qui les soumirent à l'essai de divers caustiques, et enfin une lettre officielle[7] annonça l'inutilité de ces hideuses expériences, et ordonna de marquer le bras des mendiants avec le feu, comme on en use dans les troupeaux d'une autre espèce. On pouvait craindre, que l'enceinte des hospices ne suffît pas à la foule des détenus ; mais le contrôleur-général Dodun, leva ainsi l'obstacle : Devant être couchés sur la paille et nourris au pain et à l'eau, ils tiendront moins de place[8]. Ces paroles exécrables furent tracées à Chantilly au milieu des fêtes où M. le Duc ruinait l'État et corrompait son jeune roi par la contagion des plaisirs et d'une prodigalité inouïe[9].

Le garde-des-sceaux d'Armenonville fit dans ce temps-là le seul acte qui ait laissé vestige de son ministère. Il rédigea une déclaration sur le vol[10], qui parut échappée des codes sanguinaires de Charles-Quint. Il est vrai que plus le luxe et le commerce multiplient les propriétés nobiliaires et les signes des richesses, moins l'irritation des désirs et les facilités du larcin sont contenues par les peines modérées qui suffisent aux peuples grossiers et cultivateurs. La régence, avait vu souiller par bien des crimes l'éclat momentané de son papier-monnaie. Mais l'indigne lieutenant de d'Aguesseau passa les bornes de la justice dans cette loi fameuse qui prononça indistinctement la peine de mort contre tout vol domestique, sans considération de la valeur de l'objet dérobé, ni de tout autre circonstance atténuante. Si la générosité du caractère français eût été douteuse, cette épreuve l'eût mise hors du soupçon. La classe opulente refusa les victimes qu'on offrait d'immoler à sa sécurité. Dans le châtiment d'un crime aussi bas que le vol, l'opinion publique divisa l'infamie entre le coupable qui la subissait et le maître avare qui le provoquait. On craignit autant d'implorer la loi que de la transgresser. Il résulta de cette lutte étrange que la disproportion (le la peine protégea le criminel et que nulle part plus qu'en France le vol domestique ne fut commun et impuni.

Cependant le garde-des-sceaux, honteux de cette loi, qui souillait son nom d'une vile célébrité, et plus honteux encore du besoin de la révoquer, autorisa secrètement les cours souveraines à la modifier dans l'application. Mais les magistrats préférèrent, comme on devait s'y attendre, la rigueur de la règle au cri de l'équité, et ne déférèrent point à cette invitation clandestine où le remords n'osait se revêtir de formes législatives. La lettre singulière de M. d'Armenonville nous a été conservée dans le recueil des ordonnancés d'Alsace, et l'on se souvient peut-être du courroux qu'elle excita, vers la fin du dernier siècle, au sein du parlement de Paris, lorsqu'un de ses membres eut la générosité d'en rappeler l'existence dans un papier public. Je ne vis pas sans douleur un tribunal révéré défendre, comme son patrimoine, une loi sanguinaire, dont l'exécution aurait dû lui paraître un odieux fardeau. Je ne saurais concevoir cet attachement opiniâtre pour des coutumes inhumaines, et il n'a fallu rien moins que les témoignages réitérés de l'histoire pour me convaincre, en quelque sorte malgré moi, de l'instinct de cruauté qui était particulier à la magistrature française[11]. Quoi qu'il en soit, un regard de pitié que le garde-des-sceaux laissa tomber peu de mois après sur le sort des prisonniers, fut peut-être une expiation de sa fatale imprudence. La déclaration du 11 juin 1724 abolit l'usage d'affermer les prisons comme un droit domanial, et purgea la France de ce reste d'une incroyable barbarie, sur qui le siècle de Louis XIV avait passé avec distraction.

J'hésite à qualifier de loi l'édit qui régla le sort des nègres dans les colonies[12], et je désirerais qu'un malheur sans bornes n'eût pas la sanction d'un nom révéré. En vain le rédacteur du code Noir s'efforça de mêler quelque ombre de justice à des cruautés nécessaires. Tout ce que l'édit statuait de rigoureux fut excédé ; tout ce qu'il promettait de favorable fut éludé ; car l'esclave, assimilé par le droit civil aux meubles et aux troupeaux de ses maîtres, n'a pas même en lui la capacité d'être protégé. C'est de nos mœurs non pas de nos lois, que sa destinée peut dépendre. La compagnie des Indes, échappée du naufrage, commençait à familiariser les Français avec des patries lointaines. Leur caractère se modifiait sous d'autres cieux par des goûts et des préjugés nouveaux. Je montrerai dans la suite la vive réaction que le naturel des Créoles et l'opulence coloniale exercèrent sur la métropole. Mais je puis remarquer dès à présent que le trait caractéristique des planteurs français fut une extrême impatience de jouir, et que cette passion toute puérile leur faisant porter au-delà des bornes de la prudence le nombre et le travail des esclaves, prépara autour d'eux la matière d'un déplorable incendie. Si quelque prévoyance eût guidé les auteurs du code, leur premier soin n'eût-il pas été de maintenir une certaine proportion entre la population blanche et cette race brutale d'Africains invités par la nature à la mollesse, et condamnés par la force à des fatigues sans récompense. Ils travaillèrent au contraire à diminuer le nombre des Européens, en introduisant dans les colonies l'intolérance religieuse la plus absolue. La routine eut plus de part que la piété à cette faute dangereuse et ferma les yeux d'un conseil inattentif sur l'exemple de l'Angleterre qui s'était heureusement servie de ses possessions américaines pour faire écouler de son sein les sectes les plus acariâtres. Mais la France était si loin d'une telle sagesse qu'elle irritait alors sans nécessité ses propres dissidents.

Je veux parler de la déclaration rendue contre les calvinistes, le 14 mai 1724. Cette loi de désastres a occupé deux règnes ; elle a fait pendant soixante ans la destinée de la douzième partie des Français. Ses effets furent si étranges que l'ingénieux Rulhières, désespérant de les expliquer, les appela un jeu de la fortune. Des magistrats, des ministres, Gilbert de Voisins, Malesherbes, Turgot, Breteuil, Loménie, la combattirent par des écrits vigoureux. Mais un nuage leur en cacha toujours l'origine secrète. J'ai heureusement retrouvé cette tradition, qui ne put arriver jusqu'au conseil de Louis XVI. Je ferai connaître et l'auteur de cette loi fatale, et les particularités de sa formation. Mais je dois dire auparavant quelle était, depuis la mort de Louis XIV, la situation des protestants ; car la légèreté avec laquelle on a coutume .de juger la régence n'a pas même effleuré cette partie des ses annales.

Un code rigoureux, grossi pendant quarante-neuf ans contre les réformés[13], était pour le nouveau règne un dépôt difficile. La mort du persécuteur fascina les opprimés par de douces espérances. Les vallées des Alpes rendirent quelques fugitifs. Le Dauphiné, le Languedoc, la Guienne et le Poitou virent reparaître cette foule de dissidents que la tyrannie avait contraints' à la dissimulation. Le précepte de l'Evangile qui ordonne aux chrétiens de prier ensemble fut leur premier devoir. Des grottes, des déserts servirent à ces réunions. Pour que rien ne s'y passât de suspect, ils en prévinrent les magistrats et s'y rendirent de jour avec les femmes, les vieillards et les enfants. Les récits qu'ils en adressèrent eux-mêmes au Régent respirent l'innocence et la simplicité. La secte qui, en 1637, avait compté huit cent six églises, errante alors, sans temples et sans prêtres, ne subsistait que par sa foi, ses mœurs et ses martyrs, appuis religieux plus solides que les décrets de la politique ou la discipline des synodes. Le duc d'Orléans fut peut-être aussi flatté qu'embarrassé de la confiance des Protestants. Rien dans ses principes ne s'opposait à la tolérance du culte évangélique ; rien dans son cœur ne justifiait les atrocités du dernier règne. Mais il n'avait assuré sa propre puissance que par le secours d'un parti de dévots, et il avait institué pour eux le conseil de conscience, bizarre association de mots et de choses disparates qui ne pouvait exister qu'en envahissant ce qui n'est du ressort d'aucune loi. Des hommes prudents lui persuadèrent d'ailleurs qu'une trop prompte tolérance fournirait des armes aux restes factieux de la vieille cour, à ces nombreux ennemis qui affectaient tant de zèle pour la mémoire du roi et pour les progrès de la foi catholique. Ainsi partagé entre ses affections et sa sûreté, le Régent déclara qu'il maintiendrait les édits contre les religionnaires, mais qu'il espérait trouver dans leur bonne conduite l'occasion d'user des ménagements conformes à sa clémence[14]. Apprenons quel fut le sort de la secte sous une répression si équivoque.

Les provinces obéissaient à des commandants choisie par Louis XIV et animés encore de l'esprit de Louvois. Leur pouvoir était sans bornes contre l'hérésie, et la différence de leur caractère décidait seule de la variété de leurs mesures. En Dauphiné, les premiers psaumes du désert éveillèrent l'attention du comte de Medavy, et suivant le système des dragonnades, il jeta des soldats dans les lieux suspects. Mais le peuple ces contrées, naturellement modéré, fin, et plus intéressé que religieux, entra en accommodement. Les communes obtinrent la retraite des garnisons par la promesse de l'entière abolition du culte[15]. Ce que l'habileté dauphinoise avait fait sur la rive gauche du Rhône, la terreur le produisit en Languedoc. Le duc de Roquelaure poussa ses troupes avec vivacité, et sa vigilance fut accompagnée d'horribles menaces. Dans ce pays des  imaginations mobiles, autant l'expansion des réformés avait été naïve et prompte, autant leur abattement fut extrême. Vingt-trois jours après la mort du roi, tout était retombé sous le joug paisible des orthodoxes[16]. Le Régent put même licencier vingt-cinq mille hommes de milices bourgeoises qui étaient sur pied depuis la révolte des camisards, et prolongeaient dans la province une ombre de guerre civile. Berwick contenait la Guienne par un régime encore plus dur. Ce maréchal qui portait dans ses veines le fanatisme des Stuarts, osa proposer le massacre des tranquilles assemblées du désert[17]. Le Régent crut épargner ces malheureux en les remettant à la justice du parlement de Bordeaux. Mais cette compagnie, où la jeunesse de Montesquieu était encore sans crédit, obéit cruellement aux inspirations de Berwick. Il fallut que la main du Régent se hâtât d'arracher à la chaîne des forçats une foule de citoyens utiles qu'on y avait traînés contre son intention. Le comte de Chamilly surpassait, dans la Saintonge et l'Angoumois, les rigueurs du bâtard écossais. Bien ou mal informé du nom des habitants qui fréquentaient le prêche, il alla brûler leurs maisons : Ce qui a été exécuté, écrit-il au conseil de la guerre, sans désordre, sans opposition, et tout s'est passé, de la part des troupes, avec toute la conduite et toute la bonne discipline possible[18]. La cour, ne prévoyant pas où s'arrêterait un zèle si froidement atroce, prit le parti d'abandonner à Chamilly le sort des ministres et de lui interdire toute poursuite contre les autres dissidents. Depuis lors il n'annonça aucune capture, sans gémir sur celles que lui faisait manquer une restriction trop humaine. Ce cruel incendiaire était neveu du maréchal de Chamilly, pour qui l'amour soupira dans un cloître les fameuses Lettres Portugaises. Aucun mouvement religionnaire ne se manifesta dans les provinces du nord. Je remarque seulement que quelques opinions des piétistes allemands s'introduisirent alors parmi les luthériens des villes du Montbéliard, réunies à la France par un traité qui autorisait la liberté de conscience. Le parlement se disposait, faute de mieux, à persécuter ces novateurs mystiques. Mais le duc d'Orléans, se moquant de son zèle inconsidéré, lui épargna le ridicule de défendre l'hérésie contre l'hérésie. Lorsque les projets d'Alberoni allumèrent la guerre d'Espagne, il était à craindre que les calvinistes du Midi, trompés dans leurs espérances, n'écoutassent des séductions étrangères. Mais leur fidélité demeura inébranlable, et ils y furent maintenus par l'exhortation que leur adressa Jacques Basnage, l'homme le plus considéré de l'Europe protestante. L'abbé Dubois, lors de sa première mission en Hollande, avait connu ce savant réfugié, et l'avait rattaché aux intérêts de la France par la restitution de ses biens. Ce noble échange de justice et de générosité fit autant d'honneur au caractère de Basnage qu'à la prévoyance de Dubois.

Cependant quelques hommes d'état déploraient les suites de la révocation de redit de Nantes. Ils savaient que l'amour de la patrie rivait encore dans l'aine incertaine des réfugiés, et que le moment de la régence, longtemps attendu, était décisif pour leur retour ou pour leur perte. Ils proposèrent au duc d'Orléans des idées qui sans heurter de front les ordonnances du feu roi, devaient rendre à l'État une foule de manufacturiers et de sujets précieux. Il s'agissait surtout de la fondation d'une colonie dans la ville de Douai. Mais le conseil de conscience combattit avec aigreur ces ménagements politiques, et le projet y fut deux fois repoussé en 1717 par les jansénistes, et en 1712 par leurs adversaires. Le gouvernement de la religion se partageait entre le conseil de conscience et celui de l'intérieur ; le premier soufflant sans relâche le feu de la persécution que le second tâchait de calmer sans l'éteindre. Les registres de celui-ci offrent un tableau fidèle de la situation des religionnaires, qu'on appelait tour à tour protestants, ou nouveaux convertis, ou mal convertis, suivant la nature des coups qu'on voulait leur porter. De longs abus de pouvoir avaient troublé le cours des lois, et les curés s'étaient arrogé une police redoutable[19]. On les voyait porter la désolation dans les familles, et chasser comme des concubinaires ceux qui s'étaient mariés devant les ministres. Le conseil arrêta cette fureur anti-sociale[20]. La mort d'un protestant était aussi, dans plusieurs lieux, le signal d'excès déplorables. La populace demandait en hurlant le cadavre de l'hérétique. Les juges le livraient au bourreau, et quelques magistrats eurent l'indignité de solliciter pour eux-mêmes la confiscation de ses biens[21]. Le conseil s'efforça de mettre un frein à ces dégoûtantes horreurs[22]. Mais ses principes n'allaient pas plus avant. La liberté de conscience lui semblait une révolte[23], et, sous tes moindres prétextes, il faisait enlever les enfants des nouveaux convertis. Ce genre de violence, regardé comme, le véritable dissolvant de l'hérésie, s'exerçait avec l'indifférence de l'habitude. L'invention en était due à madame de Maintenon, qui, ennemie des rigueurs sanguinaires, conseilla toujours celle-ci. Cette femme, qui n'eut point d'enfants, et vécut loin des caresses de sa mère, n'avait rien dans son cœur qui l'avertît de la cruauté de ce système.

Dans les matières qui dépendaient de lui-même, le Régent montrait une raison moins timide. Il voulut qu'on assignât aux soldats calvinistes des régiments étrangers qui servaient en France, des lieux pour l'exercice de leur culte[24]. Il donna aussi des cimetières aux sujets des puissances protestantes qui mouraient dans le royaume[25]. Jusqu'alors leurs familles les faisaient transporter hors des frontières après que les officiers des douanes avaient apposé sur leur cercueil un plomb qui le garantissait de plus amples outrages de la curiosité fiscale. Mais les restes des religionnaires français continuèrent à être le jouet de la barbarie la plus révoltante et la plus contraire à tout ordre public. Leurs parents les enterraient furtivement. Des chantiers ouverts étaient à Paris le théâtre ordinaire de cette piété clandestine. On sait que les enfants de Duquesne s'enfuirent avec les ossements de ce grand homme. En 1730, le corps de la célèbre Adrienne Lecouvreur fut porté- par sui fiacre dans la rue de Bourgogne et enfoui sous une borne à la faveur des ténèbres. Peut-être le maréchal de Saxe ressentait-il encore cette injure lorsqu'il ordonna lui-même que les restes glorieux du vainqueur de Fontenoy fussent consumés dans la chaux. Ce fut seulement eu 1736 que, sans parler des protestants, une loi très-ambiguë chargea les officiers de police de la sépulture de ceux que l'église romaine rejetait de la communion de ses morts[26]. S'il s'agissait de juger sur les détails précédents la part qu'eut la régence dans la destinée des religionnaires, on dirait que, manquant de fixité dans ses principes et d'accort entre ses agents, elle fit un peu de bien, un peu plus de mal, et ne répara aucun des maux passés. Le seul vrai soulagement que reçut la secte lui vint d'une étrange source. La peste du Midi, en occupant les oppresseurs de leur propre sûreté, laissa respirer les victimes. Le fléau qui ne suspendit point les combats de la bulle, protégea le calvinisme en vertu de la loi des haines religieuses qui proportionne l'antipathie des sectes à leur rapprochement. Quoi qu'il en soit, une résignation silencieuse enveloppa les églises réformées durant les dernières années de la régence ; et Dubois, qui régnait sans partage, se garda bien d'irriter leurs tranquilles douleurs.

Par quel caprice un nouvel édit d'intolérance fut-il ajouté à ce triomphe de l'intolérance ? Comment parut-il sortir d'une cour sans pudeur et de cette famille des Condés, chez qui le libertinage de la .pensée se transmettait comme un tic héréditaire, et précisément à la même époque où le dévot Charles VI fondait dans Prague, avec de grands privilèges, une colonie de protestants ? Lavergne de Tressan, issu d'aïeux calvinistes et aumônier du Régent, était devenu, par la faveur de ce prince, évêque de Nantes et secrétaire du conseil de conscience[27]. La familiarité des roués et soixante-seize bénéfices accumulés, dit-on, sur sa tête, n'annonçaient pas un prélat bien austère. Dès qu'il se vit membre d'un conseil, la vanité de faire, l'ambition de parvenir, et l'exemple de Bissy, qui avait conquis la pourpre par la guerre du jansénisme, le décidèrent à tenter la fortune dans la persécution des protestants ; et il s'y porta sans ordre, sans piété, sans passion, avec le calme d'un entrepreneur qui reprend les travaux d'une mine délaissée. Mais il lui fut plus facile de compiler quelques lois anciennes que de les faire consacrer de nouveau par l'autorité. Dubois repoussa son plan avec ce brusque mépris dont il payait tous les novateurs. Après la mort de ce ministre, Tressan sollicita sans fruit le duc d'Orléans. La paresse et la bonté de ce prince répugnèrent également an rôle de persécuteur que lui proposait son aumônier, c'est-à-dire l'homme qu'il avait coutume de regarder comme le plus inutile de ses serviteurs. Mais quand, sous le gouvernement de M. le Duc, la puissance législative fut mise au pillage, l'obstiné prélat fit adopter ce rebut de la régence, sans mémoire, sans examen, comme un hommage au feu roi, et une simple formule d'exécution[28]. La foudre étant ainsi allumée, il engagea M. de Bâville à en diriger les coups. Le vieillard expirait ; mais sa force sembla renaître pour une tâche si conforme aux passions de sa vie. L'instruction secrète qu'il dressa pour les in-tendons est un chef-d'œuvre de ruse et d'oppression. La mort surprit M. de Bâville achevant cet ouvrage, et savourant l'odeur de proie qui charmait ses derniers jours.

L'étonnement que causa la déclaration de 1724 est attesté par tous les contemporains. Le clergé, les intendants, les tribunaux, ne l'avaient ni demandée, ni prévue. Elle consommait pour la France la perte des exilés ; elle ravivait des lois éparses dont un nouveau règne, des mœurs plus douces et des lumières plus générales hâtaient la vétusté. Elle admettait la fiction imaginée para le jésuite Tellier, six mois avant la mort du roi, qu'il n'y avait plus de calvinistes en France, et néanmoins, ne les reconnaissant point pour catholiques, elle les foulait dans un cercle sans issue. Le rédacteur trahissait son inexpérience par l'alliage de dispositions incompatibles, car il ne s'était pas aperçu que Louis XIV, ballotté par les factions de l'église, avait embrassé tour à tour des systèmes opposés dans la poursuite de l'hérésie. Deux nouveautés de ce code peindront le génie de son auteur. La première surpasse la fureur des anciens édits qui exigeaient pour le supplice des relaps qu'ils eussent confirmé leur apostasie devant un officier de justice. Tressan, mécontent d'une forme qui rendait les coupables bien rares, y substitue la simple déposition des curés et des vicaires, et charge les ministres des autels d'une fonction si mal assortie à la sainteté de leur caractère. La seconde invention de l'évêque de Nantes, moins cruelle dans ses conséquences, est empruntée aux pays souillés de la plus basse superstition. Elle autorise les prêtres catholiques à visiter sans témoin les nouveaux convertis. Or, soit que des pasteurs célibataires aient porté dans ces entrevues des mœurs trop hardies, soit plutôt que des femmes calvinistes aient profité de l'imprudence de la loi pour accuser des convertisseurs imposteurs, ce privilège tomba sous le poids .du scandale[29]. Au teste, toutes les anciennes proscriptions étaient soigneusement renouvelées : exclusion des emplois et des professions libérales ; enlèvement des enfants ; mariages flétris ; naissances illégitimes ; successions envahies ; la mort, les galères, les confiscations frappent commodes crimes, la piété, la fuite, l'hospitalité, les actions les plus louables, les droits les plus saints. Si le gouvernement avait eu, pour son malheur, le pouvoir de réaliser complètement ce sinistre décret, il aurait vu deux millions de citoyens, privés à la fois de culte, de morale, de famille et de patrimoine, devenir par degrés une nation étrangère dans l'État, une sorte de tribu barbare, rejetée bien au-dessous des juifs, et telle que ces vagabonds désignés de nos jours par la dénomination énigmatique de bohémiens.

Les premiers .effets de cette loi intempestive révélèrent la plupart de ses vices. Il fallut d'abord l'entamer par les exceptions que réclamèrent, eu vertu des traités, les luthériens de l'Alsace, les Hollandais à Paris et les Suisses à Lyon[30]. Le clergé, qui n'eût osé la demander, la reçut avec transport, et voyant dans cette faveur d'un règne naissant le gage d'une longue intolérance, il en outra les maximes. Mais ce qui n'était parmi les chefs qu'esprit de corps, devint fanatisme dans les rangs inférieurs de l'église. La correspondance des intendants atteste combien les curés s'éloignèrent alors des usages précédents, et se plurent à désespérer, par des épreuves sacrilèges, les protestants qui recouraient à leur ministère pour la bénédiction des mariages ou pour d'autres actes d'une foi apparente. Ils exigeaient d'eux qu'ils maudissent leurs parents décédés, et jurassent qu'ils croyaient à leur damnation éternelle. Les prêtres du Dauphiné se montrèrent lés plus avides de ces imprécations inhumaines. Paris fut aussi témoin d'un crime qui eût mis en deuil les cités anciennes. Une fille, une religieuse eut l'infamie de dénoncer sa mère[31]. J'observe néanmoins qu'à cette époque des principes plus doux pénétraient dans la magistrature. Plusieurs tribunaux n'exécutaient point la nouvelle loi, et les évêques s'en plaignaient avec amertume. Mais d'autres cours de justice suivaient plus aveuglément l'impulsion des prélats, et les religionnaires de leur ressort fuyaient en foule hors du royaume. Le ministre Court de Gébelin, dont la sagesse avait préservé les Cévennes des embûches d'Alberoni, se vit chassé de sa patrie ingrate, et emporta dans son berceau l'enfant à qui les sciences ont dû le célèbre ouvrage du Monde primitif. C'était la sixième émigration des réformés. La Suède dépeuplée les appelait à elle par une proclamation, et la providence se servait de l'ambition d'un évêque français pour réparer à nos dépens les maux causés dans le Nord par l'ambition d'un guerrier. Le conseil du roi, informé des suites fâcheuses de la déclaration, hésita entre le regret de la surprise qu'on lui avait faite et la honte de revenir sur ses pas. Après avoir interrogé les intendants, il défendit secrètement toute procédure contre le relaps[32], et la précaution était d'autant plus nécessaire que ces procédures, entièrement conçues dans l'esprit de l'inquisition espagnole, pouvaient atteindre tout protestant. Mais en même temps le ministre de la guerre ordonna qu'on établît des embuscades aux passages des frontières pour saisir les fugitifs, et faire des exemples sur les habitans les plus considérables des villages réformés. Au milieu de ces contradictions la loi se décréditait, et, six ans après, on voit l'infatigable Tressan presser le cardinal de Fleury d'en ranimer le venin par de nouvelles dispositions[33]. Ce vieux ministre sous qui le bien et le mal se firent médiocrement, n'écouta point cet ardent conseiller. Malheureusement rien n'est plus dangereux que le sommeil des mauvaises lois.

Rappelons-nous ce temps dont quelques témoins vivent-encore, où du sein de la mollesse et des arts, où du milieu du règne d'un prince débonnaire, sortit une proscription digne des âges les plus barbares. Le mensonge nouveau qu'il n'y avait plus de calvinistes en France, et la faute ancienne de confondre dans les mêmes mains le pouvoir sacré qui fait les catholiques avec la fonction civile qui fait les citoyens, en furent la première cause. Les gens de robe, idolâtres des subtilités, la développèrent, et une fatale réunion de circonstances arma la cour en faveur des sophistes. La guerre avec l'hérétique Angleterre aigrissait les esprits ; la corruption naissante des mœurs du roi fit imaginer qu'une sanglante hypocrisie jetterait un voile sur les vices du trône ; enfin les secrétaires d'état étant devenus indépendants par la mort du cardinal de Fleury et par l'insouciance de son élève, M. de La Vrillière resta maître du sort des religionnaires. Il était le cinquième de son nom qui eût tenu la verge des persécuteurs. Ses pères avaient dû leurs fortunes à cette sévérité héréditaire ; et des traditions de famille prenaient facilement à ses yeux la couleur des raisons d'état. Une pension qu'il recevait du clergé était d'ailleurs le prix de tes cruautés. Tout à coup des controverses du palais se changent en une persécution furieuse, qui cette fois s'étend jusqu'au nord. Dans la basse Normandie, on arrache avec de cruelles violences les enfants depuis l'âge de huit ans, et l'on presse. par la prison et par des amendes les familles de ceux que les archets n'ont pu saisir. Six cents habitons s'enfuient épouvantés chez nos voisins. Mais c'est surtout entre les Alpes, la Loire et l'Océan que s'appesantit l'orage. On démolit les maisons des calvinistes ; les cadavres sont exhumés ; des soldats portent le carnage dans les agapes du désert ; des jésuites leur servent de délateurs et de guides ; le corps d'un de ces moines, tué près de la ville de Nîmes dans le désordre d'une attaque nocturne, apprend qu'aucun rôle ne répugne à leur zèle[34]. Les prisons regorgent de captifs de tout sexe et de tout âge. Les laboureurs des Cévennes et du Vivarais se cachent dans les bois, laissant les chaumières désertes et les moissons perdues[35]. Des commissions, présidées par les intendants d'Auch, de Montpellier, de Perpignan, de Poitiers, de Montauban, de La Rochelle, choisissent les victimes ; les parlements de Bordeaux, d'Aix et de Grenoble en frappent à leur tour ; et un seul arrêt de cette dernière cour en proscrit deux cents. Toulouse voit exécuter le pasteur La Rochette et trois frères gentilshommes du nom de Caussade. Ils vont à la mort en chantant des psaumes, et le pasteur qui doit périr avec eux bénit les trois frères avant leur commun supplice. Partout on a soin d'étouffer par le bruit des tambours la dernière parole des condamnés : L'atroce habitant des chiourmes s'étonne et s'indigne peut-être de voir enchainer à ses côtés une foule d'hommes simples et religieux, flétris par le bourreau de la marque des malfaiteurs. Les femmes, rasées et battues de verges, sont jetées pour la vie dans les cachots de la tour dé Constance, au milieu des marais pestilentiels d'Aigues-Mortes. Le 30 mars 1745, le marquis de Valory, notre ambassadeur en Prusse, fit connaître au gouvernement le sort effroyable de ces infortunées, et l'intérêt général qu'il excitait en Allemagne ; mais la cour resta sourde à des gémissements que répétaient les échos de Berlin. Lorsque, bien des années après, le prince de Beauvau se fit ouvrir ce gouffre, il y trouva le reste de tant de victimes, quatorze malheureuses qui respiraient encore, oubliées de la nature entière et conservées par une sorte de prodige. Ému d'horreur et de pitié à la vue de ces spectres souffrants qui s'attachèrent à ses genoux, et dont aucune   langue ne possède d'expressions assez hideuses pour peindre la misère, il rompit leurs fers[36]. L'une d'elles, fille d'un pasteur évangélique, y gémissait depuis l'âge de six ans. Une autre, Marie Béraud, était aveugle depuis l'âge de quatre ans, Anne Soleirol y comptait déjà seille ans de supplice lorsque, le 11 avril 1749 le grand Frédéric avait vainement imploré sa délivrance. Il n'existe point de recensement des religionnaires atteints par cette persécution, qui dura de, puis la mort du cardinal de Fleury jusqu'à la destruction des jésuites[37]. Je conjecture qu'on peut évaluer à mille le nombre des condamnations, à trois mille celui des emprisonnements temporaires, et. à un plus grand nombre l'émigration qui fut la dernière de ce règne. Remarquons cependant que la période de vingt années, souillée d'une frénésie si barbare, est celle ou la gloire littéraire du dix-huitième siècle jeta en France son plus vif éclat. Ce contraste imprévu de lumière et d'ignorance, de chefs-d'œuvre et de supplices, de philosophie et de férocité, eût fait croire que, dans les mêmes frontières, vivaient deux peuples dissemblables d'origine, de mœurs et de civilisation.

Les protestants, immolés sans résistance, n'étaient plus un parti. Les grands, dont les vertus même sont de l'ambition, avaient déserté les dogmes de Calvin pour les faveurs de Versailles. La physionomie de la secte se conservait seulement dans l'intérieur des familles. Esquissons quelques-uns des traits qu'elle portait alors, et que la tolérance de nos jours a presque tous effacés. L'agriculteur des montagnes, opprimé dans sa croyance, s'irrite du joug : il va prier la nuit comme on marche au meurtre. Les femmes portent des armes sous leurs vêtements, et les mœurs de la contrée restent farouches et défiantes. Dans les villes, une teinte grave et décente signale les sectaires, et une fraternité secourable les unit comme des Moraves. Leur peuple est sans mendions et leur commerce sans faillites. Privés de luxe, ils créent des capitaux ; bannis des emplois publics et des chimères de la vanité, ils transmettent de père en fils des maisons de banque que la probité accrédite, et des manufactures que le temps perfectionne. Une loi les oblige à n'avoir d'autres serviteurs que des catholiques ; une autre loi plus cruelle réduit les femmes enceintes à n'être secourues que par des mains ennemies. D'ardents évêques dénoncent ceux qui vont recevoir, sur des vaisseaux, en pleine mer, la bénédiction nuptiale. Fréquemment un curé ou un moine se présente à l'heure qui réunit la famille, visite les livres, interroge les enfants, et,  tel qu'un fantôme menaçant, s'assied devant la table du repas. Cette contrainte habituelle les façonne, dès l'âge le plus tendre, à une rare discrétion. Sans cesse exposés à perdre leurs enfants ou à les racheter par des rançons[38], leur amour mutuel s'accroit de cette inquiétude, et l'on est moins surpris de trouver dans ces maisons patriarcales des âmes héroïques telles que Jean Fabre, qui se livre pour son père, se laisse condamner à sa place aux galères perpétuelles, et les subit sans se plaindre durant sept années[39]. Souffrants comme les premiers chrétiens ; les réformés en ont la foi et la piété. Les saintes Ecritures, qu'ils dérobent aux recherches ennemies, sont l'étude et la consolation de tous. Les pages les plus obscures leur plaisent davantage, parce que l'œil de l'opprimé repaît d'heureuses visions. Leur imagination s'exalte aussi dans les lieux du prêche, qui sont tour à tour le lit des torrents, le creux des carrières, la profondeur des cavernes. Le maréchal de Richelieu, qui sentit combien ces aspects âpres et gigantesques disposaient l'âme aux fortes impressions, tira du désert les calvinistes de son gouvernement, en leur assignant divers édifices de médiocre étendue où il toléra leur culte. Je reconnais dans cette politique la science du cœur humain, qu'on devait attendre d'un si parfait courtisan. La classe des ministres évangéliques semblait tenir au berceau de l'église. Pontifes d'une secte qui demande peu de rites et beaucoup d'instruction, appelés à se faire entendre en pleine campagne, dans des assemblées qui s'élevaient quelquefois à douze et vingt mille assis-tans, leur vocation exigeait une grande force physique. Mais combien leur est plus nécessaire la vigueur de l'orne ! Proscrits, sans domicile et souvent sans nom, ils voyagent la nuit, et nul hôte ne couvre leur tête sans risquer la sienne ; la sainteté des fonctions et la majesté du péril sont leur cortège. Une vie sans repos et des sacrifices ignorés ne leur montrent d'autre perspective qu'un gibet sur la terre et une palme dans les cieux. Quand l'orage redouble, les vieillards font retraite, et Lausanne nourrit pour ces temps de désastres une pépinière de martyrs[40]. A la vérité, la plupart de ces vertus sont moins le privilège du dogme que le fruit du malheur, et je doute qu'à la place de leurs adversaires, les réformés n'en eussent pas imité les rigueurs. Les croyances où domine le fatalisme ne favorisent que trop les affections dures et violentes. Nos jansénistes n'associèrent pas l'indulgence à leurs triomphes éphémères, et l'on sait que des observateurs qui jugent de plus haut que les bancs de l'école, n'ont voulu voir dans les doctrines de la grâce qu'une sorte de calvinisme enduit de superstitions.

La persécution des protestants finit comme un rêve pénible. Le caractère national s'était fatigué de ces tortures inutiles, et la loi de 1724 fut pour ainsi dire frappée à mort sur l'échafaud de Calas. Il eût été sage de la révoquer alors, ou du moins à l'ouverture du nouveau règne. Mais M. de Maurepas, qui porta dans le ministère l'aine que Louis XV avait eue sur le trône, laissa faire à l'opinion publique ce qui appartenait à la puissance royale. L'apathie de ce vieillard efféminé rendit la révolution complète. Les parlements se déclarèrent les défenseurs des religionnaires qu'ils venaient d'opprimer, et maintinrent leur état civil par de grossiers subterfuges. Des orateurs de la magistrature et du barreau s'illustrèrent dans cette insurrection, et je me souviens du prodigieux intérêt qu'excitèrent ces causes scandaleuses où d'un côté figuraient la justice, l'éloquence et le malheur, et de l'autre la loi, la religion et la plus avide bassesse. Le conseil du roi, entraîné par l'enthousiasme commun, n'osa casser des arrêts plus équitables que réguliers, et les ministres eux-mêmes se prêtèrent à éluder une loi qu'on ne savait ni détruire ni respecter[41]. Le clergé assemblé poussa bien encore quelques cris d'intolérance que la plupart de ses membres désavouaient en particulier[42]. Les jésuites ne se fussent pas contentés de ce fanatisme d'étiquette ; mais ce grand corps n'existait plus, et ses tronçons lancèrent dans la poussière un impuissant venin[43]. La partie éclairée de la nation était si honteuse de cette législation hypocrite que, dès la première assemblée des notables, le bureau que présidait le plus âgé des frères du roi proposa d'en abroger la tyrannie. Enfin les formes de l'état civil furent rendues aux protestants par l'archevêque de Toulouse, principal ministre. Cette concession ne fit que des ingrats, parce qu'on la jugea imparfaite et tardive. Toute juste qu'elle était, elle parut moins donnée par la haute raison du trône, qu'arrachée à l'imbécillité d'un gouvernement en décadence, et, comme un signe de détresse, elle appela tous les mécontents au naufrage de la monarchie. Ainsi acheva de s'éteindre, après soixante-trois ans, une ordonnance conçue avec autant d'étourderie que d'iniquité, et dont la destinée fut toujours d'être fatale, par sa naissance, par son exécution et même par sa chute. Je n'ai pu apprécier cette grande erreur du ministère de M. le Duc, sans unir dans un tableau rapide les effets qu'elle produisit. On ne mesure bien les lois que d'un point de vue éloigné, et celle-ci était assez importante pour autoriser un léger déplacement dans l'ordre des faits.

 

 

 



[1] Le comte de Broglie, le duc de Roquelaure, le comte de Medavy, le comte Dubourg, le duc de La Feuillade et le duc de Grammont.

[2] Arrêts des 4 février, 27 mars, 22 septembre 1724 et 14 décembre 1725. Le louis descendit, par ces quatre échelons, de 27 livres à 14 livres ; le marc d'or de 1087 livres 12 sous à 561 livres 5 sous ; le marc d'argent de 74 livres 4 sous à 38 livres 17 sous.

[3] Édit du 28 juin 1724.

[4] M. Souffrain, dans un ouvrage publié en 1806 et intitulé : Essais, variétés historiques sur la ville de Libourne, 3 vol. in-8°, nous a conservé le tarif général qui fut fait pour cette ville en 1724 par le concours de l'intendant, du parlement et des magistrats municipaux. Ces actes extravagants étaient autorisés par la lettre du contrôleur-général, du 30 juillet. Voyez par vous-même les prix auxquels on peut contraindre les marchands de baisser leurs marchandises, et punir ceux qui n'y auraient pas obéi.

[5] Arrêts du 27 mai et 15 juin 1726. Un édit du mois de janvier précédent avait ordonné une refonte générale.

[6] Déclaration concernant les mendiants et vagabonds, donnée à Chantilly, le 18 juillet 1724.

[7] Circulaire du 25 mars 1725.

[8] Instruction aux intendants, du 7 juillet 1724.

[9] Ce fut dans le cours de ces fêtes, qu'un cerf aux abois tua le duc de Melun. Mademoiselle de Clermont, une des sœurs du duc de Bourbon, le regretta toute sa vie, et dans un veuvage mélancolique, resta fidèle à sa mémoire, car on croit qu'elle d'était attaché ce jeune courtisan par une sorte de mariage clandestin, tel que le comportait l'extrême débordement de cette cour. Il semblait que les fêtes de Chantilly fussent destinées à ces accidents barbares. En 1718, un tigre, sorti de la ménagerie, vint sur une pelouse où toutes les femmes de la cour figuraient un ballet en costumes champêtres. Les unes s'enfuirent en poussant des cris, et les autres tombèrent évanouies. Mais l'animal féroce se laissa paisiblement reconduire dans sa loge. Ce voyage de Chantilly de 1718 fut encore célèbre à la cour par la nouveauté d'une étiquette gracieuse qui s'y établit entre le marquis de Lassay ; amant titulaire de madame la duchesse de Bourbon, qui donnait la fête, et le comte de Riom, amant aussi avoué de la duchesse de Berri, qui la recevait.

[10] 4 mars 1734.

[11] Choisissons entre les parlements celui de Paris, qui passait pour en être le moins dur, et prenons au hasard dans ses annales quelques traits séparés par de grands intervalles. N'est-ce pas lui qui s'obstina, pendant tout le règne de Charles V, malgré un ordre du roi et une bulle du pape, à refuser te secours d'un confesseur aux condamnés à mort ? C'est-à-dire qu'il pratiqua, de sang-froid, au nom de la justice, ce qui serait regardé à bon droit comme le comble de la rage dans un ennemi, et que des juges chrétiens affectèrent d'être assez méchants pour partager avec les démons l'approvisionnement des enfers et le monopole des supplices éternels. Lorsqu'en 1788 Louis XVI eut la sainte inspiration de prescrire un délai entre l'arrêt et l'exécution des peines capitales, ce même parlement eut le front d'y résister, et, ce qui est bien plus révoltant, il s'enveloppa d'hypocrites sophismes pour combattre une disposition juste, nécessaire, et qui, adoptée plus tôt, aurait probablement épargné le meurtre de Calas et de tant d'autres innocents. En vérité, ne croit-on pas entendre les cris d'une hyène qui a peur de se voir enlever sa proie ?

[12] Code Noir, ou Edit de mars 1724.

[13] Louis XIV avait déjà rendu cinquante et une lois contre les protestants, avant la révocation de l'édit de Nantes. Elles sont toutes postérieures à la mort de Mazarin, et commencent avec les amours adultères du monarque.

[14] C'est le sens des lettres qu'il écrivit au duc de Roquelaure et à d'autres commandants de provinces, et qu'il chargea ceux-ci de faire entendre aux calvinistes.

[15] Registres du conseil de la guerre, 1er juin 2717.

[16] Lettre du duc de Roquelaure au Régent, du 23 septembre 1715.

[17] M. le maréchal de Berwick donne avis que les nouveaux convertis continuent de faire des assemblées près de Nérac et de Clérac, et que les bourgeois de ces villes y ont part. Il fait connaitre les conséquences de faire des exemples sévères à ce sujet pour arrêter le mal pendant qu'il en est encore temps, et il serait d'avis d'envoyer ordre à toutes les troupes de charger les assemblées qui se feront dans le voisinage de leurs quartiers. Son Altesse Royale, à qui il en a été rendu compte, a approuvé que l'on fasse le désarmement. Elle a dit que les prédicants doivent être punis de mort, et qu'au surplus elle fait savoir ses intentions au parlement de Bordeaux, mais qu'elle n'approuve pas que l'on fasse charger ces assemblées par des troupes armées, voulant éviter l'effusion du sang. (Registre du conseil de la guerre. Séance du 23 février 1717.)

[18] Registres du conseil de la guerre, 17 août 1717.

[19] Mignot, curé de Saint-Etienne-Val-Francesquo, diocèse de Mendes, fit, de sa seule autorité, battre de verges par des soldats une fille trop zélée calviniste. Elle mourut de ce supplice au bout de quinze jours. La dénonciation de cet attentat, faite au Régent, raconte que le ciré avait lui-même guidé les soldats dans la campagne, et leur avait fait couper les baguettes sous lesquelles périt cette malheureuse.

[20] Registres du conseil du dedans, 2 décembre 1715.

[21] Registres du conseil du dedans, 8 juillet 1716.

[22] Il faut ignorer la manière dont meurent ceux qui sont sujets aux ordonnances, pour ne pas être obligé de faire le procès à leurs cadavres ; le spectacle de les voir veiner sur la claie faisant un très-méchant effet... Vous verrez la nécessité de contenir ces séditieux, et combien il importe que de pareilles gens ne se déclarent pas dénonciateurs dans ces occasions où la justice ordinaire ne doit procéder qu'après avoir reçu des intendants les instructions conformes aux intentions de la cour. (Lettres du conseil du dedans, extraites des registres.)

[23] En voici un exemple transcrit mot à mot des registres, séance du 4 janvier 1716. Les religionnaires du Mont-de-Marsan, en Guienne, demandent la permission de vivre en liberté de conscience. Néant. J'observe que plus de la moitié de ces registres est remplie de ces tristes détails, tant il est vrai qu'un gouvernement se prépare d'interminables embarras, quand il fait la faute de devenir persécuteur.

[24] Registres du conseil de la guerre, 31 août 1716.

[25] Arrêt du conseil du 20 juillet 1720. Cet arrêt, resté presque inconnu, défendait à tous les Français, sous peine de désobéissance, d'assister aux convois des protestants étrangers. Ce ne fut que trois années après, au mois d'avril 1723, que la ville de Paris chitine enfin un cimetière dans le voisinage du boulevard Saint-Martin. (Archives de l'Hôtel-de-Ville.) La loi fut encore plus mal exécutée dans les provinces, puisqu'en 1740 l'anglais Young, ayant perdu sa fille à Montpellier, fut réduit à l'ensevelir lui-même dans une fosse creusée de ses mains. Le courroux du père et du poète a éternisé cet attentat dans des vers admirables de sa troisième nuit.

[26] Déclaration du 9 avril 1736.

[27] Il fut ensuite archevêque de Rouen et directeur des économats.

[28] Les ministres de Louis XVI retrouvèrent la minute de la déclaration de 1754 sans rapport préliminaire, et portant seulement en marge les dates d'anciens édits. Ils témoignèrent leur étoilement de cette forme insolite.

[29] Dans un mémoire adressé, le 31 janvier 1730, au cardinal de Fleury, par M. de Tressan, ce dernier convient que cette disposition a donné lieu à des scandales, et qu'il faut y renoncer. Mais il dit que ce n'est point lui qui l'a insérée dans la loi, et qu'il ne conçoit ni comment ni par qui elle y a été glissée. Cet aveu fait juger du désordre avec lequel la législation s'exerçait sous le ministère de M. Le Duc.

[30] Néanmoins, en 1734, Bignon, intendant de la Rochelle, voulut obliger les Anglais et les Hollandais domiciliés en France à faire baptiser leurs enfants dans l'église paroissiale, au lieu de la coutume où ils étaient de les envoyer recevoir le baptême en Angleterre et en Hollande. Il alléguait pour motif que le salut des âmes avait toujours été le devoir le plus cher au roi de France. Il fallut lui remontrer que les stipulations de la paix d'Utrecht, et la réciprocité garantie aux Français chez l'étranger, condamnaient ce zèle indiscret. L'ignorance des intendants commençait dès lors à être tort commune.

[31] 11 août 1724, dénonciation où la sœur Sainte-Marie-Susanne de la Miséricorde, carmélite de la rue Chapon, demande que la dame Conrart, sa mère, soit enfermée, attendu qu'il y a tout à craindre pour son salut éternel. La police moins sévère se contenta de lui enlever ses passeports et de lui défendre de quitter Paris.

[32] Cette défense fut faite à l'insu de Tressan, car ce prélat l'ignorait encore en 1730, et se plaignait de ce qu'on ne pouvait obtenir aucun jugement contre les relaps. Il faut remarquer que depuis que la loi avait déclaré qu'il n'y avait plus en France que des commis, le plus léger acte de calvinisme constituait le crime de relaps, et emportait la peine de mort et la confiscation.

[33] C'est l'objet du mémoire donné par lui le 31 janvier 1730, et dont j'ai parlé dans une note précédente.

[34] Les jésuites s'étaient mis à la tête de cette persécution, autant par ambition que par principes. Ouvrir au salut des hommes une voie douce et large, mais les forcer d'y entrer par le fer et par le feu, fut toujours leur double maxime. Ils voyaient du même œil l'effusion du sang des protestants ou des Sarrasins. Voici une anecdote que je trouve à ce sujet dans une lettre de la comtesse de Bonneval au comte, depuis maréchal, de Bellisle, du 8 décembre 1734. M. le duc de Villars doit être reçu demain à l'Académie française. Le service de son père devait se faire ces jours-ci, mais il est retardé, parce que le père Tournemine, qu'on avait choisi pour prononcer l'oraison funèbre, est en querelle avec madame la maréchale de Villars. On prétend que, dès la première partie de l'oraison funèbre, ils se sont brouillés, parce que le bon père a voulu faire du maréchal un saint, en disant qu'il avait demandé le commandement dans les Cévennes pour y mourir martyr. Je ne sais pas comment cela se conciliera. La maréchale ne veut pas être la veuve d'un saint ; le docteur ne veut pas abandonner son exaltation, et à une seconde répétition, il y a apparence qu'ils se sépareront très-mal ensemble.

[35] Lettre de l'intendant de Languedoc, du 1er septembre 1751.

[36] M. de La Vrillière fut très-irrité de ce mouvement généreux du prince de Beauvau, et lui envoya l'ordre de faire rentrer dans la tour les quatorze femmes mises en liberté. Mais le prince de Beauvau, qui avait de l'élévation dans rame, lui répondit : J'ai fait murer l'infâme cachot, et tant que je commanderai dans la province, il ne se rouvrira pas. Puis il s'adressa directement au roi, qui approuva sa conduite.

[37] On peut en prendre une idée imparfaite dans les pièces justificatives de l'ouvrage d'Armand de la Chapelle intitulé : La nécessité du culte public parmi les chrétiens, et dans le mémoire historique imprimé à la suite du Patriote français et impartial, édition de 1751.

[38] C'est un effet, inévitable des mauvaises lois de corrompre ceux qui les exécutent. Sous Louis XIV, les édits d'intolérance fondèrent la tyrannie des intendants et commandants. Sous Louis XV, la déclaration de 1724 provoqua les exactions d'une foule d'agents ecclésiastiques, civils et militaires. Entre plusieurs exemples, feu citerai deux : Favene, négociant de Montauban, se brouille avec l'intendant, et aussitôt le pirate lui enlève une de ses filles, et choisit celle pour qui la prédilection du père lui était bien connue. Sabonardière, riche manufacturier de >limes, avait six enfants ; les livres de son commerce, qui sont aujourd'hui entre les mains de ses fils, constatent qu'il lui en coûta, dans le cours de sa vie, près de deux cent mille livres pour satisfaire aux avanies que lui attira la crainte de perdre ses enfants. Le Languedoc était gouverné sur ce point comme la Grèce et l'Asie Mineure le sont encore de nos jours.

[39] Jean Fabre obtint, le 1er janvier 1756, des soldats qui venaient d'arrêter son père, pour avoir assisté au prêche dans le voisinage de Nîmes, la permission de prendre sa place. Il fut condamné, par jugement du 12 mars suivant, aux galères perpétuelles, ainsi qu'un autre négociant appelé Turge. Ce fut le 13 mai 1762, que le duc de Choiseul fit expédier l'ordre de le mettre en liberté. Cette aventure héroïque et touchante devint le sujet d'un drame assez médiocre, composé par Fenouillot de Falbaire en 1767, joué en Italie en 1770, et seulement en 1778 sur quelques théâtres de France.

[40] Le séminaire de Lausanne était entretenu aux frais de plusieurs puissances protestantes : l'Angleterre, la Hollande, la Prusse, etc. Le temps où a cessé cette contribution volontaire est très-voisin de nous. Puisse-t-il ne pas renaître ! L'affection du pays de Vaud pour les protestants français était une dette de la reconnaissance. Après la révocation de l'édit de Nantes, nos habitants de Midi s'y réfugièrent en grand nombre et y plantèrent la vigne sur d'arides montagnes défrichées en terrasses et par échelons. Cette méthode que, dans ses Lettres sur l'Italie, M. Lullin de Châteauvieux appelle la culture cananéenne, avait été apportée de la Palestine en France par le retour des croisés. L'industrie de nos pauvres exilés dans le pays de Vaud fut ai prospère, que sur plusieurs lieues carrées des montagnes qui entourent Vevey, l'arpent de terre qu'on achetait couramment pour trois francs avant leur arrivée, s'y vend aujourd'hui dix mille francs.

[41] M. de Vergennes délivrait sans difficulté des permissions de se marier dans l'étranger, avec lesquelles les calvinistes, sans sortir de France, se rendaient chez l'ambassadeur de Hollande, dont le chapelain bénissait leurs mariages. Les prêches étaient connus et tranquilles ; la police souffrait, dans les, convois nocturnes, tus luxe grave qui plait particulièrement aux réformés, etc., etc.

[42] Remontrances de l'assemblée du clergé de 1780.

[43] Pendant que le conseil discutait l'édit du mois de novembre z787, les ex-jésuites Bonnaud et Lanfant publièrent un livre anonyme de trois cent quatre-vingt-huit pages, intitulé : Discours à lire au conseil, en présence du roi, par un ministre patriote, sur le projet d'accorder l'état civil aux protestants. Cet ouvrage surpassait de beaucoup en talent et en violence ceux du fameux Caveyrac. Peu d'exactitude dans les faits, une partialité qui va jusqu'à la rage, et surtout l'indifférence du siècle contribuèrent au froid accueil qu'il reçut. Il était imprimé avec luxe, et se distribuait gratuitement aux frais des personnes dont-les auteurs dirigeaient les consciences.