HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE LX. — Les arts, les sciences, les lettres (1715-1723).

 

 

Train de maison. — La mode. — Watteau. — Décoration et ameublement. — Paris. — Jeu. — Laquais. — Théâtre de société. — Banque et négoce. — Sciences naturelles. — L’inoculation. — les sciences et les lettres. — Fontenelle. — Voltaire. — Œdipe. — La Henriade. — Montesquieu. — Les lettres persanes. — L’abbé de Saint-Pierre. — La prose française. — Manon Lescaut. — Académies. — Érudition. — Littérature étrangère. — Entraves à la presse. — Critique. — Théâtre. — Chanson. — Musique. — Théâtre de la foire. — Polémique religieuse. — Le poème De la Grâce. — Le Philotanus.

 

Train de maison

L’étude de la société française pendant la Régence sera toujours incomplète. La Cour et Paris tiennent une place presque exclusive de tout ce qui concerne la Province et le Peuple dans la plupart des écrits qui nous on été conservés. Une source d’informa- lions nous fait presque entièrement défaut : les « livres de raison ». Quelques-uns, en très petit nombre, consignent des événements connus d’autre part et n’ajoutent aucun trait à ce que nous en savions[1]. Les correspondances privées[2] nous surprennent souvent par la verdeur de langage et la licence des historiettes qu’on use narrer à une femme qui mériterait plus de respect[3]. Les chroniques particulières de Buvat, de Barbier, de Marais sont rédigées avec un souci louable d’impersonnalité, souci qui nous prive de nombreux détails utiles à connaître. Le registre de dépenses d’un président à mortier au Parlement de Normandie pendant les années 1720 et suivantes est moins laconique, il aide à voir vivre un ménage de magistrats possédant le luxe, le train de maison et les habitudes compatibles avec un état social déjà honoré[4]. Outre son hôtel situé à Rouen sur la paroisse Sainte-Marie, le président de Colmoulins possède quatre propriétés situées à Colmoulins, à Longthuit, aux Mesnils et, du chef de sa femme, à Bosethéroude. Ses gens sont au nombre de dix ou douze : un portier, deux cochers, deux laquais, un premier valet de chambre, deux valets de pied ou d’appartement, une cuisinière, des femmes de chambre. L’écurie compte huit chevaux et la remise six voitures : chaise de poste, carrosse de campagne, grand et petit carrosse, berline, carrosse pour Madame, doré et peint et tendu de velours cramoisi. Le mobilier ne paraît soumis à aucune transformation ni à aucun accroissement, mais l’argenterie ancienne fait place petit à petit à de nouvelles pièces fondues et ciselées à la mode du jour. Chaque année, le président donne à sa femme pour les dépenses ménagères une somme qui varie entre 5.900 et 8.600 livres tournois. La garde-robe entraîne d’importants achats. Un habit, veste et culotte en drap d’Elbeuf, gris cendré, coûte, à Rouen, 291 liv. 13 sols. 6 deniers ; un habit d’hiver en drap noir, veste en salin de Florence, culotte en velours noir de Gênes, coûte, à Paris, 234 liv. 9 sols. A la même date, le chevalier de Balleroy écrit de Paris à sa mère : « On m’a fait un habit, je n’oserais vous mander ce qu’il coûte ! J’ai peur de vous alarmer en vous laissant dans l’incertitude ; il est [brodé] en argent et va environ à neuf cents livres[5]. »

 

La mode

La mode se transforme avec tant de rapidité qu’en peu d’années, le maréchal de Villeroy, avec sa perruque à marteau, et ses vêtements à la coupe du dernier règne, fera l’effet d’un fossile. Tout change ; on commence par la tête et on invente la « coiffure à la culbute » confiée non plus aux doigts des femmes de chambre mais à l’art des coiffeurs. Bligny, attaché au service de la marquise de Prie, ouvre la dynastie qu’illustrera Frison et, après lui, Léonard. Les coiffeurs des dames invoquent l’appui du Parlement et le prient de faire « une grande différence entre le métier de barbier-perruquier (qui) appartient aux arts mécaniques, et l’art de coiffeur des dames qui relève des arts libéraux. Nous ne sommes ni poètes ni peintres, ni statuaires ; mais, par les talents qui nous sont propres, nous donnons des grâces à la beauté que chante le poète ; c’est souvent d’après nous que le peintre et le statuaire la représentant, et si la chevelure de Bérénice a été mise au rang des astres, qui nous dira si, pour parvenir à ce haut degré de gloire, elle n’a pas eu besoin de notre secours ? Les détails que noire art embrasse se multiplient à l’infini, l’art des coiffeurs des dames est donc un art qui tient au génie. » Ce mémoire est daté de l’année 1718, l’année où, avec la coiffure basse, importée d’Angleterre, se répand la mode des cerceaux et paniers venus du même pays. On voit, coup sur coup, paniers à guéridons, à coupole, à entonnoir arrondis au sommet, paniers à bourrelets évasés à la base, paniers à gondoles et à coudes, paniers à la Jansénius et à la Molina. Arlequin se divertit sur les tréteaux de la foire, se fait marchand de paniers et crie à tue-tête : « J’ai des bannes, des cerceaux, des volants, des matelas piqués ; j’en ai de solides pour les prudes, de pliants pour les galantes, et de mixtes [mur les personnes du tiers-état. » L’abandon du « grand habit paré », sous le poids duquel on fléchissait, fut pour plusieurs un scandale qui rappelle celui des vieux Romains quand ils virent la loge accablante remplacée par le manteau-pèlerine. Le décolleté perdit toute mesure et les manches amples et relevées découvrirent tout le bras. La mère du Régent n’avait pas caché sa surprise en voyant ses petites-filles sans corps de baleine ; dans les dernières années de sa vie elle crie son dégoût pour ces « négligés » que les honnêtes femmes n’ont pas le courage de condamner et dont l’indécence ne les effraie plus. Quelques prédicateurs dénoncent cette mode sous laquelle on dissimule les suites d’une faiblesse coupable ; on les laisse gronder. Le « négligé » fut une espèce de désordre savant, embelli par l’art, une révélation discrète, aiguisée par la nonchalance, une recherche piquante faite d'élégance et de simplicité. Vêtue de satin et enveloppée de mousselines, la Française de 1718, chaussée de mules, luttait de bonne grâce, pimpante et capiteuse, avec les jeunes gens qui l’entouraient.

Ils ont le des rond, nous dit un contemporain, la tête enfoncée entre les épaules, les bras fortement croisés sur la poitrine, et ils jettent autour d’eux des regards moqueurs. » Nœuds et aiguilla les, franges et dentelles perdent leur ancienne faveur comme i « perruque perd ses dimensions prodigieuses ; la broderie et les pierreries envahissent tout, ainsi que la poudre et les odeurs. La bourgeoisie adopte un vêtement moins ample qu’autrefois, la Cour se jette dans des profusions inouïes ; on voit le petit Roi, âgé de onze ans, donner audience à l’ambassadeur turc sous un habit de velours feu brodé de pierreries pour une valeur de vingt-cinq millions et pesant tout près de quarante livres.

 

Watteau

Cette société revit tout entière dans les tableaux et croquis du peintre des fêtes galantes. « Watteau, nous dit un contemporain, est attaché aux habillements vrais, en sorte que ses tableaux pou- vent être considérés comme l’histoire des modes de son temps[6], » ainsi l’auteur de l'Embarquement pour Cythère aura fait œuvre de peintre d’histoire[7]. Ces groupes légers dont le pied effleure ; le sol à peine, ils partent, ils s’éloignent et se perdent dans les lointains noyés d’une subtile lumière ; amants d’occasion qu’un désir rapproche, qu’une fantaisie séparera, ils cheminent, insoucieux et entrelacés, vers la galère de rêve, dont la proue d’or aux guirlandes de fleurs les emportera à l’aventure, n’importe où mais très loin, parmi la joie sans fin, sans fatigue et sans remords. C’est le voyage vers lequel s’élance la société de la Régence, fuyant ce quelle possède, avide de ce quelle ignore, ivre de jeunesse, de plaisir, d’insouciance et d’amour, de mouvement et de bruit, ravie de ce voyage parce qu’il ressemble à une escapade.

Ni les modes ni les peintres, ni le « grand goût » du dernier règne ne pouvaient survivre, pas plus que l’étiquette de Louis XIV et les mythologies de Charles Le Brun[8]. A l'existence théâtrale et à la peinture académique, succède, sans transition, un caprice que les hommes ont essayé de vivre et que Watteau a tenté de peindre. Ce réaliste a donné au caprice sa formule, il en a senti le frisson, l’a transcrit, vibrant et rapide, comme l’instant fugitif de la transition. Dans l’histoire de France l'Embarquement pour Cythère marque une date — 28 août 1717 — plus instructive et plus solennelle que beaucoup d’autres dates qui se lisent au bas d’un diplôme, d’un édit ou d’un traité de paix.

Ces ombres vêtues de satin et enveloppées de mousseline, Watteau les a contemplées, il en a empli sa vision. Elles sont là telles qu’il les observait dans ses flâneries quotidiennes au jardin du Luxembourg, vives et gracieuses, trottinantes et légères, rieuses ou fâchées. Cette grâce épanouie, ce chatoiement de soieries et de couleurs, cette opulence d’ombrages et de verdures, Watteau les emportait dans son atelier de sorte que lui « si sombre, si timide, si caustique partout ailleurs n’était plus devant son chevalet que le Watteau de ses tableaux, agréable, tendre et peut-être un peu berger[9]. »

Dans d’autres œuvres, moins impondérables, moins aériennes que la toile fameuse, il montrera des Assemblées dans un parc, mélange de réalité et de chimère où se promènent, s’égayent et s’assoient les contemporains. Sans cesser d’être l’historien de œ qui l’environne, il reste le poète de ce qu’il crée : féerie merveilleuse faite de grâce et de lumière. Cette lumière baigne de séduction toutes les langueurs qu’elle caresse, tous les abandons, toutes les coquetteries dont elle livre les secrets manèges à l’expérience du « berger ». Mais le « berger » s’est trouvé être un révolutionnaire à sa façon. Aux « mythologies » de Le Brun répondaient les « batailles » de Vander Meulen, or Watteau s’avisa un jour de dessiner des fantassins ; ce n’étaient que de petits soldats, mais taillés sur le modèle de ceux que dessineront un jour Charlet et De Neuville. Adolescent, il croquait dans les rues de Valenciennes « les différentes scènes comiques que donnent ordinairement au public les marchands d’orviétan », c’est ainsi que le Rémouleur et le Savoyard l’ont mené au Gilles et l’Enseigne de Gersaint ; c’est toujours la vie et la société que Watteau observe et qu’il représente jusqu’au jour où ce fils d’ouvrier, ce catholique soumis et pratiquant, scrupuleux même, ce peintre de la Régence, meurt à trente-six ans[10], laissant à la postérité l’image d’un monde qu'après lui il faut renoncer à peindre.

 

Décoration et ameublement

Watteau est élève de Gillot et l’art de Claude Gillot contient le germe de l’art joyeusement fantaisiste de Watteau. Ornemaniste, peintre, dessinateur, graveur, Gillot transforme la décoration MI l’allégeant. Sous Louis XIV, le moindre trophée prend des allures de panoplie où les casques, les grenades, les cuirasses, les écus et les palmes solidement assemblés par des chaînes s’enlisent en formidable appareil et font escorte au soleil. Sous la Régence, parmi les feuillages, les guirlandes et les herbes*folles gambadent des amours, tandis que des bergers jouent du chalumeau dans le grand air des champs où frissonnent des ormeaux et claquent des banderoles. Le Brun avait inculqué la symétrie comme on impose un dogme[11]. Dans l'ameublement et la décoration tout est redoublé. Robert de Cotte et Oppenordt n’osent s'affranchir de cette règle, mais dans quelques dessins de tables exécutés pour le Palais-Royal, et par conséquent pour le Régent[12], on observe déjà plus de gracilité, plus de complication que sous Louis XIV ; l’ornement s’amenuise, les visages tendent à perdre leur impersonnalité symbolique. A la symétrie succède l’équilibre qui permet la variété ; le vestiaire de Le Brun avec ses cuirasses, ses brassards et ses jambières est remplacé par le magasin d’accessoires de Just Maissonnier qui arrondit, qui frise, qui enveloppe, qui chantourne, et partout substitue le trait sinueux à la ligne droite, qui fait bomber, craquer, éclater tout ce qui n’est pas assez arrondi, assoupli, adouci. Ce ne seront désormais que coquilles et arabesques, nuages et parasols, treillis et espaliers. Boulle avait gouverné en despote l’art de l’ameublement, ses héritiers devront compter avec Cressent[13], se soumettre au goût nouveau et suivre la mode puisqu’ils ne la font plus : à l’ébène succède le bois coloré, les marqueteries de bois de rose et de bois d’amarante font place aux incrustations de métal et d’écaillé et principalement aux panneaux en ancien vernis de la Chine. Porcelaines et laques de Chine envahissent commodes, consoles et étagères, leur étrangeté s’excuse par leur exotisme et achemine lentement vers la rocaille, le biscornu et le rococo. Les beaux cuivres ciselés ne sont pas remplacés, mais assouplis et comme végétalisés[14].

 

Paris

L’anglomanie avait exercé sur la politique et sur la mode une influence indéniable ; une autre mode anglaise s’introduisit en France, celle des paris. Buvat, Barbier, Marais ne manquent pas de s’intéresser à cette nouveauté lorsque, le 6 août 1722, le marquis de Saillans paria contre le marquis d’Entragues qu’il irait deux fois de Paris à Chantilly et de Chantilly à Paris entre six heures et midi. Le pari était de vingt mille livres, les autres paris montaient à quatre-vingt mille livres, ce qui, dans le peuple, devient « un million ». Sous la porte Saint-Denis était dressée une tribune où étaient toutes les dames de la Cour avec les Condé, et une horloge apportée de l’Observatoire ; quatre mille badauds s’entassaient dans le faubourg Saint-Denis et sur la route de Chantilly distant de neuf lieues. Tout ce monde disait que Saillans se romprait le cou, il but un verre de vin à la santé des dames jeta le verre en l’air et partit ventre-à-terre, même cérémonie à Chantilly, cela était du marché, retour, nouveau départ, toujours sous une forte pluie et retour pour la deuxième fois à la porte Saint-Denis, gagnant le pari de vingt-cinq minutes, dispos et prêt à se rendre au dîner du Roi. Il avait lassé vingt-sept chevaux[15]. Ce n’était qu’une forme de l’intérêt porté à l’élevage, dont la Régence ne se désintéressera pas. Un règlement porté en 1717 connait la direction des haras à la seule noblesse[16].

 

Jeu

Le jeu avait été une plaie à la Cour pendant les années éclatantes du dernier règne, il s’aggrava et parvint à de tels excès que le Régent se trouva obliger d’interdire à sa fille la duchesse de Berry les enjeux insensés dont l’exemple n’était que trop imité. La bourgeoisie, affolée par les gains et les pertes du Système, joua sans frein et le gouvernement n’ayant pu contenir cette passion s’occupa de la réglementer, afin de mieux l’entretenir d’une manière profitable. Le 16 avril 1722, huit académies de jeux furent autorisées dans Paris, moyennant un tribut de deux cent mille livres pour les pauvres honteux. Ce fut un gentilhomme nommé Mornay de Montchevreuil qui en suggéra l’idée et en obtint le privilège. Son placet, très laconique, invoque pour seul motif de son entreprise l’exemple des anciens qui avaient des jeux de hasard dirigés par un préposé public. Par un raffinement singulier, l’honneur présida désormais à l’exercice d’une passion déshonorante, et la tricherie fut réprouvée comme aurait pu l’être, dans un trafic honnête, l’improbité[17].

 

Laquais

Nous avons parlé déjà des bals masqués, de l’invention d’un autre gentilhomme, le chevalier de Bouillon. Ce plaisir favorisa de grands excès ; on multiplia les équipages et les laquais qu’on employa à des services bizarres et parfois inavouables. « Autrefois, dit la Bibliothèque des gens de Cour dont les volumes parurent successivement pendant la Régence, une dame aurait rougi de faire porter sa robe à un grand laquais ; présentement la mode autorise cet usage, et les petits laquais ne sont bons qu’à porter à l’église le livre de leur maîtresse. Outre les grands laquais porte-queue, les dames ont des valets de chambre pour les habiller et les déshabiller. Les femmes de chambre n’ont soin que de la coiffure, de la pommade et de la boîte à mouches ; car de donner la chemise est un attribut qui appartient au valet de chambre. »

 

Théâtre de société

Lémontey n’a pas omis de signaler d'autres essais d’innovations, notamment dans le domaine de la pédagogie où le XVIIe siècle avait fort amolli l’ancienne rigueur scolastique. L’éducation dans les collèges des Jésuites comportait un théâtre que les Jansénistes dénonçaient avec horreur et qui n’a pas été sans influence sur le goût des théâtres de société, qui développa jusqu’à l’hypertrophie la jeune vanité française. Tandis qu’à l’abbaye de Chelles, on déclamait les tirades les plus passionnées du théâtre de Racine, le répertoire des Jésuites était très différent. A Caen, ils s’avisaient de représenter les docteurs de l’Université sous diverses formes, jusqu’à leur mettre des mitres de travers[18] ; à Paris, ils ajoutaient à la tragédie l’usage des ballets où danseurs de l’Opéra furent mêlés aux élèves de la Compagnie[19]. Parmi ces derniers se trouvaient un bâtard du Régent et, dans l’auditoire, son aïeule, qui le préférait à ses petits-enfants légitimes. Mais l’Opéra lui-même n’était-il pas réhabilité depuis que, parmi sa troupe, se trouvait un gentilhomme, M. Chassé du Ponceau.

 

Banque et négoce

Si on cherche dans un domaine plus vaste la trace d’une innovation plus féconde duc à la Régence, on ne peut hésiter à désigner la création des Conseils. Réservés à la plus haute noblesse du royaume, ils succombèrent par l’incapacité transcendantale de leurs titulaires, mais leur établissement avait éveillé des ambitions et ouvert des perspectives parmi la bourgeoisie qui ne cessa d’y songer et d’en préparer le retour en y marquant sa place. L’ascension de Dubois et de Pâris-Duverney furent d’autres leçons dont la signification ne fut pas perdue. Le Système de Law fut, en outre, un levain d’émancipation. Il habitua les esprits à combiner de vastes opérations commerciales et des entreprises industrielles qui associaient la finance de l’État au commerce des particuliers. Les plus habiles négociants de Marseille, de Lyon, de Nantes, et surtout du Havre se trouvèrent avertis des affaires publiques et associés à leur progrès. Le commerce entrait dans les Conseils non seulement pour s’y faire écouter, mais parfois pour s’y faire obéir. La qualité de ces hommes les élevaient fort au-dessus de la légion de traitants, d’usuriers et d’anciens laquais dont la Chambre de Justice de 1716 organisa le défilé pitoyable. L'intelligence élevée, la générosité ostentatoire de beaucoup de financiers devaient réhabiliter une catégorie d’hommes qui n’en était encore qu'à des précurseurs avec Samuel Bernard et Crozat. La nécessité besogneuse du trésor obligeait à compter avec eux et la richesse commença ainsi de prendre dans l’État la place que la force y avait jusqu’alors occupée presque seule. Le banquier tenant le ressort du crédit, le négociant levant les tributs du commerce sont, à bien des égards, des produits de la Régence, l’industriel exploitant les richesses naturelles va les suivre de près.

 

Sciences naturelles

Moins heureuse ou moins féconde à d’autres points de vue, la Régence ne posséda dans les sciences mathématiques ni dans les sciences exactes aucun homme qui rappelât, même de loin, l’œuvre de Descartes et celle de Pascal. Cependant des noms honorables et d’utiles carrières enrichissaient le patrimoine national. La médecine avait Sénac et Helvétius, l’anatomie Winslow et Morand, la botanique les Jussieu, la mécanique Truchet et Réaumur, la chimie devait quelques progrès à Humbert, mais c’étaient là de brillantes promesses plus encore que de précieuses réalités. Une prévention encore générale voulait que les sciences naturelles relevassent de la médecine qui n’avait guère amélioré ses méthodes depuis le temps de Molière. Ce piétinement détournait des médecins français de prêter attention et de prendre au sérieux une innovation que la conscience eut dû leur interdire de dédaigner.

 

L’inoculation

On ne peut lire le Journal de Dangeau sans être frappé des ravages accomplis par la petite vérole, principalement au début de la Régence ; ce fut une véritable épidémie qui emporta de nombreuses victimes. Précisément à cette époque un remède s’offrait. En 1716, lady Montague accompagnait son mari, nommé ambassadeur à Constantinople ; elle ne tarda pas ù constater l’existence d’une pratique ancienne en Orient pour combattre la variole par le moyen de l’inoculation. Le marquis de Bonnac, ambassadeur de France remarquait aussi que les Turcs « prennent la petite vérole par partie de plaisir, comme ailleurs on va prendre les eaux ». Il ne s’agissait que d’introduire sous l’épiderme le virus variolique recueilli avec une lancette sur une pustule arrivée à l’état de maturité. Lady Montague décrivait, dans une lettre du 1er avril 1717, l’insertion du venin variolique et, le 18 mars 1718, faisait inoculer son fils âgé de trois ans. Cinq jours plus tard, elle écrivait : « En ce moment l’enfant chante et joue, réclame son souper[20] ; » et revenue en Angleterre elle se livra à une sorte d’apostolat. Le gouvernement britannique autorisa l'inoculation sur les prisonniers de Newgate, ensuite sur les orphelins de l’Hôpital, le 22 avril 1722, la princesse de Galles fit inoculer ses enfants.

Le voisinage et l’alliance entre les deux états auraient dû promptement faire passer l’inoculation d’Angleterre en France. L’année 1723 fut particulièrement funeste à Paris, Voltaire assure que la petite vérole y emporta vingt mille personnes[21]. Presque en même temps la mortalité à Londres diminuait et une gazette française en attribuait tout le mérite à l'inoculation[22] ; mais rien ne put émouvoir l’apathie du public et l'hostilité des médecins. Un praticien revint de Londres et raconta ce qu’il avait vu[23], on n’en fit aucun cas et l’école de médecine de Paris soutint passionnément l’inutilité et le danger de l’inoculation.

 

Les sciences et les lettres. Fontenelle

L’académie des sciences devait à la protection du Régent une sorte d’éclat qui, au jugement, de beaucoup, est nécessaire, même au mérite. Le petit Renau, Louville, Varignon, Cassini poursuivaient leurs travaux de longue haleine sans se soucier beaucoup de savoir s’ils vivaient sous le feu Roi ou sous son successeur ; Polignac exposait la divisibilité de la matière et se fourvoyait avec Malézieu dans la politique qui mena l’un faire pénitence dans une abbaye, l’autre réfléchir dans une prison d’État. Plus sages ou plus heureux Mairan et Fontenelle s’assuraient l’amitié et la protection du Régent. Fontenelle non plus ne boudait pas la politique, mais il y apportait une garantie de succès, il n’y croyait pas trop pour s’y compromettre, assez pour en tirer profit. En 1718, il a rédigé pour, le compte de l’abbé Dubois le manifeste contre l’Espagne ; en 1722, pour le compte du cardinal Dubois, il compose la lettre demandant un Te Deum qui scelle la réconciliation avec l’Espagne, et Mathieu Marais bougonne : « On fait de lui et de son esprit tout ce que l’on veut[24]. »

On fait de lui surtout un des initiateurs du goût et un des parrains de la société du XVIIIe siècle. Quelques-uns de ses Eloges, et qui sont au nombre des meilleurs, datent de la Régence. Clarté, lucidité, finesse, élégance s’y trouvent dosées, mesurées, relevées d’esprit et de profondeur autant qu’on en doit mettre pour façonner un chef-d’œuvre. Ce sont, de préférence, des savants que ce lettré fait revivre, parce qu’il a le pressentiment de l’avenir promis à la science et qu’il sait à merveille son métier d’intermédiaire aimable, souriant et spirituel. Il ne compte pas comme savant, et son œuvre littéraire ne vaut guère, mais il est intelligent, curieux, contempteur de la tradition et épris de progrès, dédaigneux de l’autorité et respectueux de la raison. Sans être incrédule il a cessé d’être croyant, il lui suffit d’être sceptique, et toute sa malice ne va qu’à poser ironiquement des questions embarrassantes, sauf à esquiver respectueusement les réfutations péremptoires. Fontenelle est un informateur admirablement averti, l’esprit le plus cultivé de la fin du grand règne el, grâce à cela, l'introducteur désigné de la jeunesse impatiente de se produire.

Ce bel esprit tant décrié eut le goût et le talent d’intéresser, d'amuser, d’instruire. Son langage correct et poli devint l'annonciateur des découvertes les plus imprévues, parce qu’elles étaient confinées dans le domaine exclusif d’une corporation et d’un langage rébarbatifs. Charmé de ces récits qui semblaient autant de révélations, le public s’aperçut qu’il pouvait prendre intérêt et plaisir à des matières abstraites ; de leur côté, les savants furent flattés de n’être plus réduits à une petite coterie et ils ambitionnèrent le succès et les applaudissements, moins peut-être pour eux-mêmes que pour l’honneur de la science qu’ils avaient cultivée. La langue s’enrichit et s’assouplit afin d’exprimer ce qu’il fallait, à tout prix, lui faire dire ; la discipline de l’esprit gagna quelque chose à cette obligation d’exposer avec concision et clarté des notions qui n’excluaient pas les ressources du style et la simplicité de l’art.

 

Voltaire

Parmi ceux qui se dispensèrent des bons offices de Fontenelle, se trouvait un tout jeune homme de vingt ans. Fils d’une notaire au Châtelet, nommé Arouet, le temps lui avait manqué pour entasser les folies, mais il entassait les vers sur les vers et faisait alterner l’étude de la chicane avec les impromptus et la poésie. Ses peccadilles étaient en train de gâter tout à fait sa réputation quand le notaire, lassé de tant de frasques, accorda pour quelque temps son fils à un ami qui l’emmena près de Fontainebleau et l’entretint sur tous les tous de la gloire d’Henri IV et de la grandeur de Louis XIV. Dès que ce dernier fut mort, Arouet revint à Paris et s’y glissa dans la société frondeuse et libertine réunie au Temple. « J’eus l’honneur, disait-il, de prendre part à ses orgies. » Après quelques voyages imposés à Tulle, à Sully et à la Bastille, Arouet pensa faire peau neuve en changeant de nom, il se nomma lui-même Voltaire[25].

 

Œdipe

Dans sa chambre de la Bastille, le jeune homme avait repris une tragédie ébauchée dans l’étude de procureur ; à peine libre, il en fit juge le petit aréopage de Sceaux, d’où la pièce ne fil qu’un bond chez les comédiens. Elle fut représentée le 18 novembre 1718, et, de ce jour, Œdipe lança le nom de Voltaire dans la gloire Voltaire s’y trouva, comme chez lui, accueillit avec avidité les éloges et se précautionna de son mieux contre les retours de fortune. Le succès d'Œdipe avait tout le ragoût d’un triomphe sur la religion, les spectateurs étaient trop éveillés pour ne pas faire l’application de vers tels que ceux-ci[26] :

Nos prêtres ne sont point ce qu'un vain peuple pense

Notre crédulité fait toute leur science.

Interprété avec talent par Dufresne et par Mlle Desmares. Œdipe connut un succès inouï puisqu’il compta jusqu’à quarante-cinq représentations. Brochures, critiques, défenses se mirent de la partie, ajoutant leurs cris discordants au bruit de la pièce fameuse[27]. Voltaire entretenait de son mieux ce qui aidait à sa réputation. Les épîtres, les badinages, les épigrammes fusaient sur ses lèvres et sous ses doigts ; après le Regnante Puero, toutes les satires, toutes les licences, toutes les impiétés parurent sortir de son brillant esprit ; on le soupçonna un moment d’avoir écrit les Philippiques.

 

La Henriade

Autre mécompte, et symptôme de la défiance qu’il inspirait ;après l’arrestation de son ami le duc de Richelieu[28], compromis dans le complot de Cellamare, la police l’invita à s’absenter de Paris pendant quelque temps, et Voltaire se rendit à Sully sur Loire, où « plus hardi en paroles qu’au combat », il s’attira une fâcheuse affaire[29]. De retour à Paris, il fait jouer Artémise qui tombe à plat[30] et « si prodigieusement que lui-même dit qu’il la trouvait plus mauvaise que personne... Un auteur, ajoutait-on, ne peut mieux se rendre justice[31] ». Mais l’affaire qui préoccupe alors Voltaire plus que tout le reste, c’est son poème épique qu’il promène de salon en villégiature, qu’il retouche et retravaille, et qui sera intitulé Henri IV ou bien la Ligue. « On en parle, dès 1720, comme d’une merveille[32]. » Il ne paraîtra que trois ans plus tard, mais pendant cet intervalle, Voltaire ne connaît pas le repos. Non content des succès mondains que lui attirent les poésies légères qu’il produit sans effort, il ressent l’aiguillon d’une carrière plus relevée, celle d’un philosophe, réformateur et guide de l’esprit humain. Il avait peut-être lu quelques articles du Dictionnaire de Pierre Bayle, vers 1718 ; sept ans plus tard, en 1721, il fréquente lord Bolingbroke au château de la Source, dans l’Anjou ; et la philosophie, déiste et sensualiste de ce personnage l’a certainement impressionné. Entre temps, il compose des vers pour la fête donnée à Saint-Cloud par le Régent à Mme d’Averne[33], sollicite la protection de Dubois, se fait bâtonner sur le pont de Sèvres par l’espion Beauregard à qui le secrétaire d’État Le Blanc, instruit du guet-apens, a seulement recommandé : « Fais donc en sorte qu’on n’en voie rien[34]. » A son tour, il s’offre à Dubois pour une mission d’espionnage[35] et prend congé du ministre par une flagornerie[36] ; consulte Jean-Baptiste Rousseau sur son poème en gestation et se brouille avec lui. A la fin de l’année 1722, il se flattait encore de publier son poème en France, ayant, à force d’en donner lecture, fini par en tirer cinq cent écus de pension[37]. Mais averti que le privilège lui sera refusé, aussitôt il prend ses mesures pour faire imprimer l’ouvrage à Rouen, en secret, avec la connivence de quelques magistrats du Parlement, d’où il le fait introduire à Paris (juin 1723). La Henriade fit événement, plutôt à raison de l’auteur que du sujet ; on ne s’entendit pas sur son compte. Le cardinal Dubois la fit examiner par son neveu pour savoir si rien ne pouvait choquer la Cour de Rome[38], les docteurs de Sorbonne y sentirent quelque venin semi-pélagien[39], les Jésuites y flaireront un relent de jansénisme[40], les courtisans furent peu satisfaits[41].

Théologiens, Jésuites et courtisans en furent pour leurs critiques, le succès de la Henriade dépassa toute prévision. Ce fut de l’ivresse : la France avait donc enfin son poème épique ! son Homère ! son Virgile ! Voilà ce qu’on disait partout, en lisant ce poème presque interdit ; et l’on ne se doutait pas que cette épopée, loin de devenir jamais un vrai poème national, tomberait dans le discrédit, presque dans l’oubli, moins de cent ans après avoir été saluée comme une merveille de l’esprit humain[42]. De quoi était fait le succès qui accueillit son apparition ? De l’éloge de la tolérance, de la réprobation de la guerre civile, de l’apothéose d’Henri IV ? Il n’y paraît pas, l’engouement était fait de rien, de la longue attente, du nom de l’auteur, de quelques nobles tirades et d’une multitude de mauvais vers ; au-dessus de tout cela il planait une séduction à laquelle le Français n’est jamais insensible : la divinisation d’Henri IV c’était la satire de Louis XIV. Le feu Roi avait certes regagné dans l’opinion publique une assez belle place après les mésaventures du Système, mais on prenait quand même plaisir à lui retirer son auréole et à le faire descendre du rang des dieux, sauf à y faire monter son aïeul à sa place. La malice était plaisante et ce fut la malice qui amusa, séduisit, enchanta. Dans la Henriade, le pape et les évêques, l’armée et la noblesse, le feu Roi et les princes du sang recevaient coups de plume et coups de griffe, coups d’encens et coups d’épingles. Le public fut déridé et, comme ces lardons s'alignaient avec des majuscules, il crut y voir des vers et, du poème, fit une épopée.

 

Montesquieu - Les Lettres persanes

Voltaire venait d’être précédé par Montesquieu et le triomphe de la Henriade faisait écho à celui des Lettres persanes. Une malice plus sournoise, une imagination plus libidineuse, un scepticisme plus railleur avaient valu à ce livre, imprimé à Rouen sous la rubrique d’Amsterdam, un « débit prodigieux » et, en moins d’une année, quatre éditions et quatre contrefaçons[43]. En 1721, quand il parut, on ne s’étonnait plus que de très peu de choses. Le Régent avait bouleversé l’État. Dubois avait bouleversé les alliances, Law avait bouleversé les finances, il devait être permis aux littérateurs de bouleverser les idées. Montesquieu s’y employa. Son livre fut une œuvre de jeunesse, exactement de l’époque où il parut, c’est pourquoi il est spirituel, licencieux et impertinent, par dessus tout malin d’une malice recherchée et cruelle. La génération à laquelle il offre son ouvrage s’amuse au récit des voyages de Bernier, de Chardin et de Tavernier. Montesquieu lui fera entrevoir un Orient truqué, dont la transparence permet d’apercevoir les mœurs et les coutumes de l’Occident qu’il s’agit de critiquer ; il saura être impitoyable pour se faire pardonner d’être superficiel.

Le don d’observation est médiocre, la critique des mœurs est d’ordre inférieur, mais l’observation est juste, le croquis rapide, la silhouette fixée d’un trait net et sec ; cela ressemble plus à du journalisme qu’à de la littérature, seulement c’est un journalisme d’une qualité rare et d’une essence particulière. La satire politique y est mélangée avec le personnel, les pratiques et les ustensiles du sérail ; le livre semble destiné aux barbons et aux collégiens, il sera lu par tout ce que la Régence compte de futurs admirateurs de Crébillon, divertis par les détails scabreux, les sous-entendus obscènes et une gynécologie de mauvais lieu. Ce sérail, plus gascon que persan, parut une trouvaille ; mais quand on apprit que l’auteur était président à mortier du parlement de Bordeaux, le contraste entre la grivoiserie du sujet et la profession de l’auteur emporta tout et décida le succès.

La forme épistolaire prêtait sa facilité à un ouvrage où toutes les questions agitées alors étaient effleurées en courant. Le décousu d’une correspondance, ses redites, ses retouches, expriment à merveille le mouvement de l’entretien d’une société qui passe dune épigramme à une historiette et discute tour à tour les finances, la morale et le libre arbitre. Les institutions et les lois, les coutumes et les individus, les croyances et les privilèges ne sont pas à l’abri, mais l’artifice oriental permet tout et l’islamisme reçoit sans broncher tous les coups destinés au christianisme. Montesquieu ne songe pas à être athée, il parle de Dieu, mais seulement comme s'il existait. « Quand il n’y aurait pas de Dieu, écrit-il, nous devrions toujours aimer la justice, c’est-à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet Être dont nous avons une si belle idée, et qui, s’il existait, serait nécessairement juste. » Naigeon et Jérôme Lalande, à la fin du siècle, ne seront pas plus hardis. Montesquieu serait surpris de voir qu’il a fait école, car il croit la monarchie et l’Église si solidement assises qu’il les juge inébranlables et ne souhaite pas qu’on y touche ; si on le fait, que ce soit « d’une main tremblante ». Mais une fois cette concession faite à la prudence, Montesquieu jette à pleine main les sentences comme des graines qui feront lever l’esprit révolutionnaire. « Je ne puis comprendre, écrit-il, comment les princes croient si aisément qu’ils sont tout, et comment les peuples sont si prêts à croire qu’ils ne sont rien. » La noblesse n’est pas plus épargnée et, à partir de 1721, beaucoup se répéteront qu’« un grand seigneur est un homme qui voit le roi, qui parle aux ministres, qui a des ancêtres, des dettes et des pensions, prend sa prise de tabac avec hauteur, se mouche et crache avec flegme, et caresse son chien d’une manière offensante aux hommes ». La race ne risque pas de s’en perdre car « le corps des laquais, plus respectable en France qu’ailleurs, est un séminaire de grands seigneurs. Ceux qui le composent prennent la place des magistrats ruinés, des gentilshommes tués et quand ils ne peuvent pas suppléer par eux-mêmes, ils relèvent toutes les grandes maisons par le moyen de leurs filles, qui sont comme une espèce de fumier qui engraisse les terres montagneuses et arides. »

Le clergé est transpercé et la religion souffre tout. On se représente généralement le mouvement philosophique comme une explosion soudaine, à peine pressentie par quelques sursauts et quelques lueurs avant l’année 1750. La modération de Montesquieu, l’indifférence de Prévost, les quelques incartades de Voltaire donnent le change sur l’esprit régnant au début du XVIIIe siècle. Les entraves apportées au commerce de la librairie ne permettent pas de prendre une idée précise de l’état de l’opinion politique et religieuse. Cependant on rencontre dès la fin du XVIIe siècle et dans les premières années du XVIIIe, des négations hautaines, radicales, véhémentes, injurieuses, des négations cuirassées d’érudition et soutenues de science ou de métaphysique, qui heurtent tout l’appareil de dogme, d’histoire et de philosophie sur lequel le christianisme repose. Mais ces négations, sauf exception, sont demeurées manuscrites, ou toujours, ou longtemps. Or ces manuscrits circulaient, les copies s’en multipliaient, on les payait parfois assez cher. Il existait des ateliers et des marchands de manuscrits dangereux, écrits jansénistes, libelles diffamatoires, ouvrages impies. La police, les traquait[44].

 

L’abbé de Saint-Pierre

Elle ne dédaignait pas de surveiller l’abbé de Saint-Pierre. Non qu’il fût dangereux, on ne le lit plus de nos jours, on ne le lisait guère sous la Régence que pour le plaisanter, et cependant plusieurs ont pensé d’après lui et comme lui. Sa clairvoyance s’embrumait d’utopies et s'égarait à la poursuite de toutes sortes d’ingrédients chimériques. Louis XIV avait enterré tous les faiseurs de systèmes : Catinat, Vauban, Boisguilbert, Fénelon, mais l’abbé de Saint-Pierre enterra Louis XIV et voulut sa revanche à lui. Il marchait vers l’avenir avec une confiance imperturbable et il le prédisait dans un jargon lamentable, accouplant des mots qu’on ne se rappelait pas avoir vu rapprochés comme : garanties civiles, égalité sociale, droit de suffrage, liberté d’examen. On n’écoutait guère, ou bien on s’égayait de ces folies, mais l’abbé allait son chemin, toujours discourant et écrivant, ayant fait provision de patience et supérieur au découragement.« Quand j’arrivai à Paris, raconte-t-il, je disputais avec tout le inonde ; enfin m’étant aperçu que la raison ne ramenait personne, j'ai cessé de disputer. » Il ne disputa plus, il exposa, il raisonna, il démontra, il fatigua, s’insinuant, s’accrochant, plus gênant que gêné, parlant sans cesse dans une, société où on lisait peu, mais où on causait beaucoup, et il arriva que ses idées ne s’imposant pas, il imposa sa personne. C’était un résigné, il avait pris son parti d’être importun, de déplaire, ne connaissant pas d’autre moyen de faire pénétrer ses idées et de faire écouter ses plans. Deux choses lui devinrent indifférentes plus que tout au monde : l’ennui qu’il apportait aux autres et le ridicule qui s’attachait à lui-même. « Les hommes, avait-il coutume de dire, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose. » Il répétait donc ; sans se lasser, mais non pas sans lasser.

En 1718, sa Polysynodie parut un outrage au feu Roi et lui attira des tracas, l’abbé n’en écrivit pas une ligne de plus et n’en prononça pas une parole de moins, il était dit qu’il ne devait s’arrêter jamais, il allait donc, répandant ses idées avec la régularité d’une mécanique et la sérénité d’un automate. Ce n’était pas des idées entrantes, elles étaient plutôt rebutantes, au moins par le style ; cependant il a prédit et il a prêché plusieurs innovations ou réformes qui se sont vues depuis, mais les a-t-on vues parce qu’il les avait annoncées ou quoiqu’il les eût prônées, on ne saurait le dire, et il importe peu de le tirer au clair. Les contemporains l’ont bafoué, la postérité l’a pillé ; s’il avait été spirituel il aurait dit : « On me fusille, mais on vide mes poches. » Parmi les détrousseurs on rencontre Voltaire, Montesquieu, Rousseau qui l’ont lu, résumé, épuré', débité, mis en circulation après l’avoir refrappé et monnayé à l’effigie et au cours du jour. Pour bien entendre à quel point l’abbé et ses idées comptaient pour peu de chose, il suffit de se rappeler que l’Académie a pu l’exclure sans que la vigilante Sorbonne ait songé à le relancer lui ni ses idées.

Ses idées n’étaient pas toutes chimériques, mais elles étaient prématurées. Deux siècles ont passé et, suivant son vœu, l’élection est devenue un des rouages de la machine gouvernementale ; non que les magistrats, les officiers, les prêtres, les rois fussent, comme le voulait d’abbé, désignés par le scrutin, mais la nation recourt à l’élection et lui remet le choix de ses représentants politiques. De même l’abbé de Saint-Pierre préconise l’abolition du droit d’aînesse et de la vénalité des charges, la réforme de la taille, le développement de l’instruction primaire, la publication d’un journal officiel[45]. S’il se trouvait dans tout ceci beaucoup à corriger, il ne s’y trouvait rien à supprimer et lorsque de plus sages que lui ne voyaient dans le despotisme que la garantie d’une immuable félicité, l’abbé dénonçait cet idéal ruineux et affirmait gue l’âge d’or n’était pas dans le passé, mais qu’il fallait contraindre l’avenir à l’enfanter[46].

 

La prose française

Si novateur et révolutionnaire qu’il fût par les idées, l’abbé de Saint-Pierre restait archaïque par son style et dépaysé au milieu d’une société qui ne s’exprimait plus dans la langue en usage sous le feu Roi. Un changement s’opérait dans la prose française, encore embarrassée et comme bordée de locutions massives qui retardaient sa vive allure. On s’aperçut, vers le temps de la Régence, que chargée d’articles et d’auxiliaires, et privée d’inversions et de désinences sonores, cette prose piétinait dans l’ornière des langues anciennes et qu’il lui fallait une marche plus rapide et une construction plus svelte. Aussitôt des protestations retentirent, l'académie de Soissons dénonça la tendance nouvelle à introduire la concision, le savant Jean Leclère annonça la déchéance rapide d’un idiome trop souple et élégant. C’est cependant cette prose nouvelle dont Dubois fait usage dans ses dépêches (?) comme Massillon dans le Petit-Carême (1718) et l’abbé Prévost dans Manon Lescaut.

 

Manon Lescaut

« Voici un livre populaire. Grand, très grand événement. Il ne paraît qu’en 1727, mais il est certainement écrit, ou du moins commencé vers le temps qu'il raconte, vers les cruelles années des enlèvements pour le Mississipi[47]. » Et Michelet y tient, il y reviendra : « Quand on sait lire, écrit-il, on lit très clairement que Manon est de la Régence et nullement du temps de Fleury[48]. » En effet, quand on lit cette histoire graveleuse et touchante qui rappelle la plus étrange tentative matrimoniale qu’ait suscitée une de nos anciennes colonies, il est impossible de reporter le livre après la Régence.

Pourquoi Manon Lescaut, dès la première scène,

Est-elle si vivante et si vraiment humaine

Qu'il semble qu'on l'a vue et que c'est un portrait ?...

Pourquoi ? demande Musset. Parce que ce torrent de passion, de larmes et de boue c’est la magique peinture de ces fiévreuses années qu’on nommera toujours « la Régence ». Le chevalier des Grieux et Manon arrivent de leur province, lui à dix-sept ans, elle à quinze et se mettent bien vite au niveau de la corruption de Paris. On a tout tenté pour les identifier, les suivre, leur constituer un état-civil, retrouver leur trace. Ces recherches sont agréables, elles sont parfois utiles, lorsqu’elles nous montrent que le début et la fin du roman sont de véritables chapitres d’histoire coloniale où l’exactitude des détails avive l’émotion du récit. Ainsi le conteur a fait œuvre d’historien, il a évoqué les scènes d’un drame sur lequel les uns s’étaient attendri pendant que d’autres gouaillaient, et l’épisode qu’il conte prend place vers 1719 ou 1720, lorsque se multiplièrent les convois de « filles de joie » à la Louisiane. Entre sa sortie du noviciat des Jésuites et son entrée au noviciat des Bénédictins, Prévost a dû rencontrer de ces convois. Les charrettes des filles étaient encadrées d’archers en armes, mais toutes les filles n’étaient pas d’abominables gourgandines, et parmi elles se trouvaient de malheureuses enfants comme cette petite de Neufchèze qu’on a mise au couvent, par trois fois et trois fois s’est sauvée. Elle s’est crue bien cachée dans une maison suspecte, mais on l’y a découverte et elle part pour « Micicipy ». La véritable Manon c’est Prévost qui l’a rencontrée, ensuite parée dans son imagination, abritée dans son cœur, embaumée et ensevelie à jamais non pas auprès du lac Pontchartrain, mais dans le roman fameux, qu’on ne mit en vente qu’au mois de juin 1731 aux vitrines des libraires d’Amsterdam, mais qui circulait dès 1728 et probablement plusieurs années plus tôt, manuscrit rédigé peut-être dès 1720 ou 1721.

Le beau côté de l’affaire n’est pas que Prévost se soit épris de Manon, gentille et caressante, enjouée et frivole, fruit délicieux et gâté d’une civilisation exquise et corrompue ; le beau côté c’est que Prévost auteur lâche et diffus, cette fois, sous l’aiguillon d’une rêverie ardente, se soit mis à écrire bien. Il n’avait pas de génie, mais il eut quelques jours de talent et le charme dont sa plume a paré la fillette impudique a été pour elle comme une absolution. « Cent ans après, elle corrompt encore », a écrit Michelet ; et deux cents ans après aussi !

.......… Ah ! folle que tu es,

comme je t'aimerais demain, si tu vivais !

lui crie Musset. Mais elle vit toujours, elle vit telle que Prévost l’a créée : joli animal que son instinct conduit, qui sait que le péché lui va, qu’elle en est plus jolie, aimée, désirée et payée davantage. Sa souillure revêtue d’innocence n’est qu’une guenille, sa dépravation corrigée d’espièglerie n’est qu’une vilenie dont elle s’embarrasse peu, n’aimant et ne poursuivant qu’une chose : le plaisir. Tour à tour rouée et naïve, cynique et câline, cette prostituée n’est qu’incomplètement pervertie ; la souffrance présente et la mort prochaine réveilleront dans son « cœur trois fois féminin » des forces assoupies, ignorées d’elle-même, d’autant plus intactes et vivaces que ses égarements les ont respectées. Celle qui portait l’inconstance jusqu’à la folie deviendra fidèle jusqu’au sacrifice, cette fille amollie par l’habitude du plaisir se raidira à tout souffrir, la fuite, le désert, la mort même, pour l’amour du chevalier que sa précoce « expérience » avait dévoyé et corrompu.

Le chevalier des Grieux c’est l’abbé Prévost. Ses supérieurs monastiques nous l’ont montré : « Cheveux blonds, yeux bleus bien fendus, teint vermeil, visage plein » ; lui-même s’est fait connaître le plus faible, le plus inconstant, le plus inoffensif des hommes en qui « la passion violente rend la raison inutile. » Cette passion qu’il redoute il s’y abandonne, mais il la condamne parce que « n’étant pas capable d’étouffer entièrement dans le cœur les sentiments de la vertu, elle empêche de la pratiquer ». Ces aspirations iront rejoindre les projets de vie paisible et solitaire : jardin, bibliothèque, conversation, frugalité, sage arrangement que bouleverse le souvenir et le regret de Manon. Dès qu’elle se montre à lui, il oublie et il abandonne tout pour elle ; il la suit partout, au tripot et jusqu’à l’escroquerie, parce que l’amour excuse tout et autorise tout. Il ne s’en repent pas, ne s’en cache même pas, au contraire, il réclame pour son caractère l’estime et l’admiration. Dans l’Avis au lecteur, Prévost explique comment « le public verra dans la conduite de M. des Grieux un exemple terrible de la force des passions », il prétend exposer par l’exemple « de ce jeune homme faible et aveugle et de cette jeune fille corrompue » tous les dangers du dérèglement. Voici pourquoi il écrit ce livre brûlant peut-être au lendemain de l’aventure et pendant son année de noviciat ; il y découvre une œuvre morale, il y dépose toute passion, toute amertume, toute langueur corruptive pour faire œuvre, croit-il, d’apologiste et de convertisseur ! Éclose dans une cellule, l’Histoire de Manon Lescaut s’y haussa à la dignité d’une confession, elle fut un délassement à des travaux plus arides et une récréation entre deux notices latines ajoutées au Gallia christiana[49].

 

Académies

Tout conspirait alors à la prospérité des lettres. L’exemple donné par le Régent portait des fruits ; non content de favoriser et de protéger savants, artistes et écrivains, le prince les attirait auprès de sa personne, les entretenait de leurs travaux avec une curiosité trop bienveillante pour qu’on songeât à lui reprocher ce qu’elle pouvait avoir de prétentieux[50]. Fontenelle et Mairan, Vertot et Longepierre entretenaient le duc d’Orléans, plaidaient auprès de lui la cause des académies, attiraient son attention sur la Bibliothèque du Roi qui lui dut son nouveau et vaste logis, l’hôtel de Nevers que Law avait occupé un instant avec sa banque, et qu’elle n’a plus quitté[51]. L’académie des Inscriptions et Belles-Lettres garda, elle aussi, le nouveau titre que le Régent lui imposa. En même temps qu’il fondait les universités de Dijon et de Pau[52], quatre courtisans dotaient les académies provinciales de Lyon, de Bordeaux, de Marseille et de Pau, prélude et promesse du Club de l’entresol.

 

Erudition

Ces institutions devaient favoriser la transmission des disciplines savantes en honneur pendant le dernier règne. Des vieillards illustres disparaissaient les uns après les autres comme s’éteignent les flambeaux d’une fête qui finit. Le Père Male- branche et le savant évêque Huet succombaient exténués de vieillesse mais encore laborieux, l’abbé de Choisy et l’abbé Fleury revoyaient leurs « Histoires » mémorables[53], Mme Dacier terminait sa longue fréquentation d’Homère[54] tandis que le Père Lelong succombait à la tâche[55]. Mais des érudits plus jeunes, non moins laborieux ni moins savants allaient suivre. Dom Pierre Constant éditait les lettres des Papes, Dom Bernard de Montfaucon expliquait les monuments de l’Antiquité et ceux de la Monarchie française dont son confrère Martin Bouquet entreprenait de raconter l’histoire à l’aide des seuls textes authentiques pendant que Dom de Sainte-Marthe refondait ce Gallia christiana auquel travailla quelque temps l’abbé Prévost. Fréret et l’abbé Dubos approfondissaient l’étude des origines nationales en même temps que Félibien, Sauvai, Lobineau introduisaient méthode et critique dans l’histoire de Paris. La connaissance des provinces entrait dans une voie féconde avec l’Itinerarium burgundicum, écrit posthume de Dom Jean Mabillon et le Voyage littéraire de deux bénédictins, Dom Martène et Dom Durand, convaincus eux aussi que la science et le travail sont des devoirs monastiques. Dans une autre direction de recherches, l’abbé Savary achevait son Dictionnaire de commerce, ouvrage sans exemple et imprimé par souscription[56] ; car ce n’est pas un des moindres sujets d’étonnement d’une telle époque que le succès de ces gros livres. L’Antiquité expliquée de Montfaucon a été mise en vente à trois cents livres, peu après on l’achète quatre cents, elle monte à cinq cents et l’on dit qu’elle ira bientôt à sept cents livres. « C’est un vrai Mississipi » déclare un souscripteur[57].

 

Littérature étrangère

Beaucoup de noms pourraient être ajoutées à ceux-ci[58], mais il semble peu utile de rappeler auteurs et ouvrages tombés dans un juste oubli. Ni le P. Daniel ni l’abbé Raguenet ne sont des historiens, ni Du Tot et La Jonchère des économistes, ni le président Bouhier et l’abbé de Dangeau des littérateurs. A l’étranger, des protestants réfugiés en Prusse, en Hollande ou en Angleterre y écrivent, dans une langue saine mais terne, des livres accueillis avec faveur et délaissés avec raison. Les auteurs introduits sous le voile d’une traduction furent peu nombreux et peu recherchés. L’Espagne n’est représentée que par l’histoire de Mariana et quelques contes, l’Italie par des fadaises comme le Roland amoureux de Boyardo et le Voyage de Garneri Carreri, l’Angleterre par un plus grand nombre d’écrits, entre autres plusieurs traités philosophiques de Locke, la théologie de Clarke et Collins, »les sermons de Headly, l’optique de Newton, le conte du Tonneau, certains poèmes de Pope et le Robinson Crusoë[59].

 

Entraves à la presse

Les Mémoires historiques du cardinal de Retz avaient ouvert une veine nouvelle où l’intérêt est fait de malice et d’indiscrétion. Successivement parurent les mémoires de Gourville, de Joly, du comte de Brienne, de Mme de Motteville soulevant un vif intérêt[60] que surexcitait la malveillance du gouvernement pour ces révélations parfois embarrassantes. Les Mémoires de Mlle de Montpensier furent saisis et brûlés par ordre du Régent, on s’en consola en disant : « Nous les aurons par la Hollande[61]. » L’Angleterre nous fournissait aussi de livres interdits car le régime de la librairie loin d’être adouci fut aggravé pendant lu Régence : le 12 mai 1717, une déclaration royale ajoutait la peine du carcan aux moyens employés jusqu’alors pour contenir la presse. Toutefois une combinaison imprévue servit utilement la science historique. Les idées de calcul introduites par Law suggérèrent l’expédient des souscriptions applicables surtout aux vastes publications scientifiques. Ce mélange d’escompte et de crédit qui assura au libraire des facilités pour fabriquer, et à l’acheteur pour payer, permit de tenter et de faire réussir de fortes entreprises avec de faibles moyens[62].

 

Critique

Quatre journaux gouvernaient ce qu’on était convenu de nommer la « république des lettres ». Le Mercure de France, le Journal des Sçavans, celui de Trévoux et celui de Verdun. Ces publications mensuelles bornaient leur rôle à celui de rapporteurs, ils ne jugeaient point, ils « extrayaient », et si la-charité était sauve la critique n’y gagnait rien. Ces analyses incolores évitaient toute personnalité, toute observation amère contre l’ouvrage[63], à l’exception du Journal de Trévoux impuissant à garder son sang-froid lorsqu’il rencontrait sur son chemin un écrit janséniste. Une méthode si peu en rapport avec celle qui a prévalu depuis était déjà condamnée à disparaître dans le plus bref délai. Le 1er janvier 1724 parut un nouveau Journal des Sçavans dirigé par l’abbé Bignon et qui allait sonner le glas de l’ancienne façon. « Les auteurs n’en demeurent pas à de simples extraits, nous dit Mathieu-Marais ; ils critiquent, ils censurent, ils disent leur avis, et parlent hardiment de toute matière. Cela ne peut pas durer[64] ! » Cela dura néanmoins.

 

Théâtre

La critique théâtrale était plus scrupuleuse encore. Tant que la pièce était la propriété de l’auteur, le Mercure, qui seul parlait des théâtres, se contentait de publier l’analyse que lui adressait l’auteur lui-même, ou d’annoncer, en cas de retard, que l’auteur ne la lui avait pas encore envoyée. C’est seulement après un certain nombre de représentations, et lorsque l’ouvrage appartenait aux comédiens, que le journaliste risquait des observations critiques aussi tardives qu’insipides et superflues. Du reste, à l’exception d'Œdipe, le théâtre de la Régence est d’une grande médiocrité. Dancourt donne les Curieux de Compiègne, Le Grand, Cartouche ou les Voleurs, Lagrange-Chancel fait représenter Oreste et Pylade, et vingt autres rapsodies font défiler tout le répertoire classique : Antiochus et Electre, Caton et Romulus, Sémiramis et Pyrrhus, etc. Les auteurs comiques s’évertuent sans mieux réussir[65].

 

Chanson

La poésie légère n’inspire aucun talent en dehors de Voltaire et chanson on peut omettre la mention et jusqu’au souvenir des tragédies de collèges, latines ou françaises, il n’importe guère. La chanson ne peut pas obtenir plus d’indulgence. Pour quelques couplets malicieux, il faut subir des montagnes de sottises grivoises ou malsaines. Brevets de calotte ou cacotès, mirlitons[66], noëls[67], tout ce fatras collectionné par Maurepas, Marais, Barbier, Desfontaines et la Monnoye croupit dans des recueils qui n’ont de satirique que le nom[68].

 

Musique

La musique fut tout aussi indigente et on éprouve comme une humiliation en parcourant la liste des inconnus qui représentaient alors la science de la composition musicale. Mouret, qui fut, à proprement parler, le musicien de la Régence, se distingua par la grâce et nota de jolies chansons. La musique de Lulli gardait ses admirateurs passionnés. Des comédiens ambulants parcouraient les provinces, et, s’ils ne pouvaient jouer les pièces entières, ils choisissaient différents actes dans des pièces diverses. Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Orléans, Tours, d’autres villes d’une médiocre population, possédaient des académies de musique et des salles de concert. Des femmes qualifiées, des hommes considérables chantaient sans inconvenance dans des assemblées publiques. Dès le commencement du XVIIIe siècle, les instruments à cordes s’étaient introduits dans le chant des églises. On y employa ensuite des acteurs des théâtres, et même, dans quelques couvents, des comédiennes cachées derrière un rideau, que leur coquetterie entrouvrait souvent. Cette licence doit d’autant moins surprendre que les églises, jalouses d’attirer la foule, et privées de musique sacrée, dont la France était alors fort indigente, s’empressaient d’adapter aux paroles saintes les airs le plus à la mode. On chantait beaucoup alors et la musique faisait une partie essentielle de l'éducation noble, la bourgeoisie y attachait moins d’importance. Cependant l’ignorance restait grande et générale. Le luth vieillissait et le théorbe encore plus. Le clavecin et la basse de viole étaient, sous la régence, les instruments favoris. Un préjugé éloignait du violon et de l’accompagnement, qu’on regardait comme la ressource des gens du métier. La difficulté de l’un et de l’autre pouvait bien ou fond être la cause réelle de ce dédain, car la science était peu commune. Des sonates de Corelli étant arrivées à Paris en 1718, le Régent ne trouva point de violon en état de les faire entendre, et il envoya Batiste à Rome pour étudier et nous aplanir les difficultés de la composition italienne. L’Italie possédait alors Pergolèse, l’Allemagne avait Haendel, la France n’avait rien à leur envier ; en 1722, J. Rameau publiait un livre qui ouvrait à la science musicale des perspectives nouvelles : le Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels.

 

Théâtre de la foire

A égale distance de la poésie et de la musique, le théâtre de la foire subsistait à coups de malices et de gaillardises. Le Sage fournissait son répertoire de quelques couplets que sauvait le souvenir de Turcaret et le succès de Gil Blas, en attendant que Piron prodiguât sur la scène foraine les étincelles de sa verve. Jusqu’à lui la grosse farce alourdit le genre qui, comme la chanson, ne touche à la littérature que par ses prétentions.

 

Polémique religieuse

Et on en peut dire autant d’une autre variété représentée par deux pièces si complètement oubliées qu’on se figure non sans peine l’enthousiasme qui accueillit le poème De la Grâce, par Louis Racine (1720) et la joyeuse satire de l’abbé de Grécourt intitulée Philotanus (1719) ; pièces qu’il faudrait classer parmi la polémique religieuse[69].

 

Le poème de la Grâce

Le poème De la Grâce fut terminé à Fresne, à l’aide des conseils du chancelier Daguesseau et sous l’aiguillon de ses cri : tiques ; c’est un ouvrage tout pénétré des préoccupations de la querelle janséniste et si ennuyeux qu’on prit le parti de le louer sans réserve afin de se dispenser de le lire. C’était bien là cette éloquence trop pompeuse et toujours vide que Daguesseau assénait à heure dite et à jour fixe sur son auditoire résigné. Style solennel, images grandioses, rhétorique apprêtée, locutions emphatiques, glaciales prosopopées, tout le matériel du sublime est là dans les mots et dans les idées, mais tout cela défile dans une lenteur de pensée et de diction, avec un effort et un artifice, une magnificence si accablante qu’on se dérobe et qu’on ouvre Philotanus[70].

 

Le Philotanus

C’est l’œuvre d’un chanoine de Tours, nommé l’abbé de Grécourt, « un grand diable de prêtre, bien pourvu de gueule, bien fondu de jambes, beau décrotteur de matines, beau dépendeur d’andouilles ; ce grand personnage ne donne pas un poème à lire, il le récite à table, lorsqu’on a renvoyé les valets, une bouteille vis-à-vis de lui, qui se renouvelle au moins une fois. Il n’a pas d'autre façon de réciter et, si le vin n’était pas bon, au premier coup finirait son récit. Le poème est composé de quinze cents vers ; on ne peut pourtant pas dire que c’est de la poésie, c’est de la prose rimée. Le sujet est traité avec badinage, sérieux... et très théologique... (!). Le poète raconte que, se promenant dans la campagne, il rencontra sous un buisson quelque espèce de haillon ; que, s’étant approché, à la queue tordue et aux cornes il reconnut que c’était Satan ; qu’il défit de son col son scapulaire et le cordon de Saint-François dont il lui passa un nœud coulant ; qu’il le traîna sur le bord d’une mare qu'il convertit au même moment en eau bénite ; qu’il menaça de l’y jeter s’il ne lui répondait exactement vrai, qu’il lui en fit même essuyer une flaquée... et le diable, bien tremblant, répondit à toutes ses questions, donna son nom : Philotanus, conta tout ce qu’il avait fait à Rome avec le Pape et les cardinaux, les intrigues de la Cour de France, etc.[71] » On voit la veine et on devine, sans trop de peine à quelle découvertes elle conduit ; les Jésuites y sont fort maltraités comme on pouvait s’y attendre.

Il a semblé inutile de déterminer avec précision la place des lettres pendant la Régence[72] dont il reste à parcourir les derniers événements.

 

 

 



[1] M. de Flamare, Le livre de raison de François Née de Durville, 1710-1723 dans Bulletin de la Société nivernaise des lettres sciences et arts, 1893, t. XV, p. 263-273 ; L. de Backer, Journal de Jean de Saint-Denis, prêtre de Pontoise, 1717-1734, dans Mémoires de la Société historique et archéologique de l’arr.de Pontoise et du Vexin, 1883, t. IV, p. 51-62.

[2] Je n’ai pu me procurer L. Spach, Lettres écrites à la Cour par M. d'Angervillers, intendant d'Alsace de 1716 à 1724, dans Bulletin de la Société pour la conservation des monuments d'Alsace, 1879, t. XIV, part. 2, p. 1-162.

[3] Principalement quelques correspondants de la marquise de Balleroy.

[4] G. A. Prévost, La vie privée d’un magistrat au commencement du XVIIIe siècle, dans Revue des questions historiques, 1884, t. XXXV, p. 413-453.

[5] Le chev. de Balleroy à sa mère, 24 avril 1720, dans Les correspondants de la marquise de Balleroy, t. II, p. 157. On rencontre quelques chiffres intéressants pour la vie courante dans le Journal de Rosalba Carriera pendant son séjour à Paris en 1720 et 1721, édit. A. Sensier, in-12, Paris, 1865.

[6] Dubois de Saint-Gelais, Description des tableaux du Palais-Royal avec la vie des peintres, in-12, Paris, 1727, p. 75.

[7] Sur l’inspiration possible de ce sujet, voir R. de la Sizeranne, Watteau, dans Revue des deux-mondes, 15 août 1921.

[8] P. Marcel, La peinture française de la mort de Le Brun à la mort de Watteau, 1690-1721 ; in-8°, Paris, 1905, p. 288.

[9] Expressions du comte de Caylus.

[10] 19 juillet 1721 ; Gersaint et Caylus parlent de « la pureté de ses mœurs », il fit avant sa mort rechercher et détruire ses ouvrages qu’il ne trouvait pas décents. Voir encore Dubois de Saint-Gelais, Histoire journalière de Paris, 1716-1719, in-8°, Paris, 1855, Paris.

[11] P. Mantz, Les meubles au XVIIIe siècle, dans Revue des arts décoratifs. 1883-1884, t. IV, p. 313 ; A. Valabrègue, Claude Gillot, dans Gazette des Beaux-Arts, 1809, t. II.

[12] A. de Champeaux, Portefeuille des arts décoratifs, pl. 22 et 638.

[13] R. Guerlin, François Cressent, sculpteur amiénois, dans Réunion des Sociétés des beaux-arts des départements, 1892, t. XVI, p. 276.

[14] Molinier, Histoire générale des arts appliqués à l'industrie, in-fol. s. d. (1898), t. III, p. 101 ; Lettres patentes de Louis XIV pour l'établissement d'une fabrique de porcelaine de Chine auprès de Paris, dans Archives de l'art français, 1858-1860, t. VI, p. 360.

[15] M. Marais, op. cit., t. II, p. 322 ; Buvat, op. cit., t. II, p. 411 ; Barbier, op. cit., t. I, p. 229.

[16] Registre du Conseil du Dedans, 7 octobre 1715.

[17] M. Marais, op. cit., t. II, p. 317, 319, 321 ; juillet 1722 ; sur la fureur du jeu à Versailles.

[18] M. Marais, op. cit., t. II, p. 90, février 1721.

[19] P.-E. Lémontey, op. cit., t. II, p. 322, 478-479.

[20] Lady Montague à son mari, 23 mars 1718 : The boy... is at this time singing and playing, very impatient for his supper, Lémontey, op. cit., t. II, p. 406.

[21] En 1723, la mortalité générale pour Paris fut de 20.024 personnes : c’est ce chiffre que Voltaire a dû lire, reproduire et dénaturer, M. Marais, op. cit., t. III, p. 16 ; septembre 1723 : « la petite vérole tue tout le monde. »

[22] Journal de Verdun, mars 1725 ; voir Les correspondants de la marquise de Balleroy, t. II, p. 341, lettre du 12 juillet 1721.

[23] De Lacoste, Lettre sur l’inoculation de la Petite Vérole comme elle se pratique en Turquie et en Angleterre, avec un appendice, in-12, Paris, 1723.

[24] M. Marais, op. cit., t. II, p. 265 ; mars 1722.

[25] Ce sont les lettres des mots AROVET Le Jeune.

[26] Œdipe, acte IV, sc. I ; voir acte II, sc. V ; acte III, sc. IV et V.

[27] Quérard, Bibliographie voltairienne, in-8°, Paris, 1848, p. 132-133, n. 727-741. Les correspondants de Mme de Balleroy, t. I, p. 370, 380, 383, 386.

[28] Ch. Révillout, Voltaire et le duc de Richelieu, leurs relations avant le mariage du duc avec Mlle de Guise (1718-1734), étude chronologique et littéraire à propos de la première lettre comme écrite par Voltaire à Richelieu, dans Revue des langues romanes, 4e série, t. III, (t. XXXIII de la collection), p. 528-581.

[29] M. de Caumartin à Mme de Balleroy, 3 et 18 mai 1719, dans op. cit., t. II, p. 51-52, 57.

[30] M. de Caumartin à Mme de Balleroy, 17 février 1720, dans op. cit., t. II, p. 123-124.

[31] M. de Caumartin à Mme de Balleroy, 21, 26 février, dans op. cit., t. II, p. 127-128, 131.

[32] M. Marais, op. cit., t. I, p. 269, janvier 1720.

[33] Barbier, Journal, t. I, p. 144, juillet 1721.

[34] M. Marais, op. cit., t. II, p. 311, juillet 1722.

[35] Voltaire à Dubois, 28 mai 1722.

[36] M. Marais, op. cit., t. II, p. 538, septembre 1722.

[37] X à Mme de Balleroy, 9 janvier 1722, dans op. cit., t. II, p. 411 ; Le Mercure dit : 2.000 livres.

[38] Voltaire à Thieriot, Forges, juillet 1724, dans Œuvres complètes, édit. Beuchot, t. II, p. 111.

[39] Discours préliminaire de la tragédie d’Alzire (1736), dans Œuvres complètes, t. IV, p. 169.

[40] P. Lémontey, op. cit., t. II, p. 216 ; Le Nouvelliste du Parnasse, Paris. 1731, t. II, p. 355-357, XXXIe lettre.

[41] G. Desnoiresterres, La jeunesse de Voltaire, in-8°, Paris, 1867, p. 300.

[42] L. Crouslé, Voltaire, dans Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française, 1898, t. VI, p. 97.

[43] Voir Lettres persanes, édit. des Bibliophiles, 1886, Préface, par M. Tourneux, p. V-XIII.

[44] G. Lanson, Questions diverses sur l’histoire de l’esprit philosophique en France avant 1750, dans Revue d’Histoire littéraire de la France, 1912, t. XIX, p. 2-4 ; Origine et premières manifestations de l’esprit philosophique dans la littérature, dans Revue des Cours et Conférences, 26 décembre 1907 au 21 avril 1908 (conduit en gros le sujet de 1680 à 1715) : La guerre des philosophes contre l’Eglise et la religion dans la première partie du XVIIIe siècle d’après les manuscrits conservés dans les bibliothèques publiques, dans Bulletin de la Société d’Histoire moderne, 1911. p. 38-40.

[45] J. Drouet, L'esprit pratique de l’abbé de Saint-Pierre, dans Revue du Dix-huitième siècle, 1914, t. II, p. 161-174 ; C. Paultre, La taille tarifée de l'abbé de Saint-Pierre et l’administration de la taille, in-8°, Paris, 1903.

[46] P. Albert, La littérature française au XVIIIe siècle, in-12, Paris, 1890, p. 41-42.

[47] J. Michelet, Histoire de France, La Régence, édit. Le Vasseur, 1883, p. 308.

[48] Ibid., p. 81, note. C’est en octobre 1728, et non 1727, que Mlle Aïssé fait allusion à Manon dans une lettre à Mme de Calendrini, Lettres de Mlle Aïssé, in-12, Paris, 1873, p. 271 ; H. Harrisse, L’abbé Prévost. Histoire de sa vie et de ses œuvres d'après des documents nouveaux, in-12, Paris, 1896, p. 125-131.

[49] P. Heinrich, L’abbé Prévost et la Louisiane ; étude sur la valeur historique de Manon Lescaut, in-8°, Paris. 1907 ; on y trouvera tous les textes utiles à l’histoire des déportations « à Mississipi » ; V. Schroeder, L’abbé Prévost, sa vie, ses romans, in-8°, Paris, 1908 ; Marc de Villiers, Histoire de la fondation de la Nouvelle-Orléans, 1717-1728, in-8°, Paris, 1917 ; A. Beaunier, La véritable Manon Lescaut, dans Revue des deux mondes, 1918, 6e série, t. XLVII, p. 697-708 ; Edmond, L’abbé Prévost à l’abbaye de Jumièges (1731), dans Bulletin historique trimestriel de la Société des antiquaires de la Morinie, 1897, t. IX, p. 263.

[50] Mémoire de l’Académie des Inscriptions, t. I, p. 28.

[51] M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, janvier, septembre 1721, dans op. cit., t. II, p. 257, 357, 498 ; J. Buvat, Journal, t. II, p. 300 ; octobre 1721.

[52] M. Marais, op. cit., t. II, p. 356-358 ; septembre 1722.

[53] Barbier, Journal, t. I, p. 209 ; avril 1722.

[54] M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 391-392 ; août 1720.

[55] M. Marais, op. cit., t. II, p. 177-178 ; juillet 1721.

[56] M. Marais, op. cit., t. II, p. 466 ; juin 1723.

[57] M. Caumartin à Mme de Balleroy, 8 décembre 1719, dans op. cit., t. II, p. 87.

[58] P. E. Lémontey, op. cit., t. II, p. 470 suiv.

[59] Sur l’accueil fait en France au Robinson Crusoë, voir Les Correspondants, t. II, p. 182 ; Arch. de la Bastille, t. XII, p. 515 : « très mauvais ouvrage pour les mœurs de la religion ».

[60] M. Marais, op. cit., t. II, p. 462 ; juin 1723.

[61] M. d’Argenson à Mme de Balleroy, 15 janvier 1719, 26 septembre 1721, t. II, p. 358.

[62] Lémontey, op. cit., t. II, p. 477.

[63] Montesquieu, Lettres persanes, lettre CVIIIe.

[64] M. Marais, op. cit., t. III, p. 96 ; mars 1724 ; il ajoute « M. de Sallo finit bientôt le sien pour avoir pris cette route ».

[65] J. Vic, Les Dominos, dans Revue du Dix-huitième siècle, 1917, p. 289-335 : G. Leroy, Néricault-Destouches, membre de l’Académie française, gouverneur des ville et château de Melun, in-8°, Paris, 1862 ; M. Marais, op. cit., t.III, p. 22.

[66] M. Marais, op. cit., t. II, p. 466 ; juin 1723 ; Barbier, Journal, t. II, p. 285, juin 1723.

[67] M. Marais, op. cit., t. II, p. 444, avril 1723, J.-B. Morin, La Monnoye et ses noëls bourguignons. Examen critique de cet ouvrage, in-8°, Dijon, 1905.

[68] Voir A. Genty, Chansons de la Régence. Trois chansons attribuées au Régent, in-16, Paris 1861.

[69] Lémontey a rappelé le livre de Mlle de Beaumont et la réfutation de J. Lenfant : Il suffit, op. cit., t. II, p. 482.

[70] M. Marais, op. cit., t. II, p. 370-372, novembre 1722 ; Les correspondants de Mme de Balleroy, 7 décembre 1722, t. II, p. 503.

[71] M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 15 mai 1719, dans op. cit., t. II, p. 55-57.

[72] On ne dit rien dans ce chapitre du fameux roman Gil Blas de Santillane dont la première partie (tomes Ier et IIe) publiée en 1716, a été écrite dans les derniers temps de Louis XIV : la deuxième partie, (tome III, en 1724). Alors le tableau de genre prend les dimensions d’un tableau d’histoire ; aux scènes de la vie privée succèdent les incidents de la Cour, des ministères, de l’administration. Dans l’intervalle de 1715 à 1724, Le Sage a regardé la Régence, élargi son cadre et, à défaut d’idées, ses observations. G. Lanson, Histoire de la littérature française, 1906, p. 663.