HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME PREMIER

 

CHAPITRE XII. — La Chambre de Justice (14 mars 1716 - 20 mars 1717).

 

 

Symptômes alarmants pour les financiers. — Vérification des billets. — Les « traitants ». — L’annonce d’une Chambre de Justice. — L’édit du 14 mars. — Bourvalais. — Autres traitants. — Méthodes de la Chambre de Justice. — Elle frappe les petits, épargne les autres. — L’opinion publique commence à se ressaisir. — Mécontentement et corruption. — Démêlés de la Chambre avec d’Argenson. — Les rôles de taxation. — Les « taxés ». — Les scènes de pilori. — Suppression de la Chambre. — Le souvenir qu’elle a laissé.

 

Symptômes alarmants sur les financiers

A peine Louis XIV eut-il disparu, un vent de disgrâce menaça les financiers. Dès le 8 septembre 1715 on lit dans le Journal de Dangeau que M. Rouillé du Coudray sera du Conseil des finances, « ce qui fait trembler les gens d’affaires, parce qu'il est informé de tous les traités[1] ». Le 9 septembre, Berthelot de Pléneuf est dénoncé[2], poursuivi, condamné à rembourser quinze cent mille livres[3], il prend la fuite[4]. Le 25, M. de Bercy, gendre de Desmaretz, reçoit la visite du Roi et du Régent[5] ; six semaines plus tard il est relégué en Normandie[6] avec défense d’approcher de Paris à moins de trente lieues[7]. Desmaretz lui-même est menacé[8], aussi « tous les financiers sont fort intrigués, remarque encore Dangeau, et il y en a beaucoup parmi eux qui veulent faire des offres à M. le duc d’Orléans pour éviter la recherche[9] ». Le 15 octobre, il est plus loquace : « On a, dit-il, supprimé beaucoup de traitants dans les provinces, qui viendront rendre compte ici de leur régie. Un peu avant la mort du feu Roi on avait supprimé presque toutes les compagnies qui avaient avancé de l’argent pour acquérir des droits sur les entrées de Paris ; c’est ce qu’on appelle les communautés. Les traitants voulaient jouir de ces droits-là et se charger de rembourser ces compagnies, ce qui leur aurait fort nui ; on diminue une partie de leurs droits, mais on leur en laisse l’administration jusqu’à ce qu’ils soient remboursés de leurs avances. Quelques-uns des plus gros financiers de Paris sont venus offrir à M. le duc d’Orléans quatre-vingt millions, argent comptant, s’il voulait faire cesser la recherche de tous les traités depuis 1687, et qu’ils s’assembleraient pour se cotiser entre eux pour lui fournir l’argent qu’ils offrent. M. le duc d’Orléans leur a répondu qu’il voulait huit cent millions en papiers qu’ils ont du Roi et qu’il sait qui sont entre leurs mains[10]. » Enfin, le 4 novembre, on publie « un arrêt du Conseil d’État qui oblige les traitants, sous-traitants et autres gens d’affaires, de rendre compte de leurs géries[11] ».

Alors les habiles se dégagent et les autres succombent. La Garde, payeur des rentes, à qui on redemandait 650.000 francs[12] est justifié[13] ; Samuel Bernard rend compte de toutes les affaires qu’il a négociées et reçut des félicitations et des remerciements[14] ; Regnault, receveur des tailles de la généralité de Paris, fait une faillite de plus de trois millions[15] ; d’autres vont suivre tant à Paris que dans les grandes villes du royaume[16]. La confiance hésite et le Conseil des finances se repent des deux arrêts qui ont donné le branle à l’opinion contre les gens d’affaires ; il travaille à en donner un troisième qui ramène la confiance. Ce ne sera pas une chose aisée[17]. On compte qu’il y a, en tout, dans le commerce, pour plus de six cent millions de papiers et on espère en retrancher une partie quand on aura bien vérifié les agiotages qui ont été faits sur quelques-uns de ces billets[18].

 

Vérification des billets

Le Conseil de finance, après lecture et examen de trois cent trente-trois mémoires sur la manière de régler cette montagne de billets[19], hésite, lambine[20], décide finalement l’établissement de « quatre bureaux où on portera tous les billets et on examinera avec soin ceux qui peuvent avoir été agiotés, et on fera les retranchements proportionnés à l’agiotage[21]. » Les chefs de ces quatre bureaux établis au Louvre sont M. de Caumartin de Saint-Ange pour les billets de la caisse des emprunts, M. Amelot pour ceux de la marine, M. de la Houssaye pour l’extraordinaire des guerres et l’artillerie, et M. des Forts pour les ordonnances et assignations[22]. Le 13 décembre, le Parlement publie une déclaration du Roi ordonnant de porter au Louvre tous les billets des fermiers généraux, de la caisse des emprunts, de la douane, du sieur Legendre, de subsistance et autres, pour être visés par les bureaux susdits, pendant un mois à compter du jour de la déclaration, faute de quoi ils seraient réputés de nulle valeur. Les particuliers qui en sont détenteurs doivent déclarer de quelle manière ils les ont acquis et si c’est par agiotage, ou par mauvais commerce, comme ceux de subsistance, ils recevront en échange des « billets de l’État » pour leur valeur sans préjudice de future réduction[23]. Pendant qu’on imprime à force les nouveaux billets[24], le public commence à se porter vers les quatre bureaux[25] où Caumartin bougonne d’être obligé de se rendre avec la goutte pour « la plus fatigante besogne que l’on puisse jamais faire. On s’écrase, dit-il, pour venir apporter des papiers[26] ». Dès la fin du mois de janvier, on en a apporté pour quatre cents millions[27], mais tout n’a point reparu[28] ; ce qui s’explique par la décision de certains, hommes d’affaires qui ont préféré détruire des centaines de mille livres de billets royaux qui leur avaient coûté dix fois moins cher plutôt que de consentir à ce qu’on lût leur nom au des d’aucun de ces billets[29]. Au reste, le nombre des billets est resté inférieur à celui qu’on attendait[30] ; le remède dont on avait fait si grand bruit, s’était, à l’usage, trouvé peu efficace.

 

Les traitants

Le Conseil de finance chercha autre chose. Il existait alors une variété de personnages sur lesquels, quelques années auparavant, Turcaret avait jeté une lumière fâcheuse, on les nommait « traitants » et ce mot exprimait des trésors de haine et d’envie. On attribuait, avec raison, aux traitants des malversations criminelles, source des plus scandaleuses fortunes ; on leur reprochait des opérations trop fructueuses aux dépens de l’État qui, obligé de recourir à eux à certaines heures tragiques où se jouait le destin de la France, avait dû tolérer, approuver, et quelquefois provoquer des contrats onéreux dont il porterait le poids, mais qui, pour l'instant, l’aidaient à vivre et à durer. Assurément ces traitants étaient tous plus ou moins fripons, mais la noblesse, leur débitrice, ne leur en eut pas fait grief, ayant elle-même de graves peccadilles à faire oublier ; ce qui soulevait contre eux l’avidité des courtisans c’était la curée énorme, monstrueuse, qui était promise. La caste qui détenait le pouvoir n’avait pas à user de ménagements à l’égard de gens de rien, très soucieux de dissimuler une origine fort humble et un passé souvent répréhensible d’où l’intelligence, l’audace, l’habileté, le travail et l’absence complète de scrupules les avaient élevés à la plus haute fortune. Toujours besogneuse, l’aristocratie allait chercher des épouses parmi les filles de ces traitants méprisés. Le marquis de la Fare donnait son nom à la fille du sieur Paparel[31] et le marquis de La Rochefoucault-Roye épousait la fille du sieur Prondre, un des hommes les plus tarés de ce temps[32], mais la fiancée apportait huit cent mille francs en dot, et peut-être quelque chose de plus qui ne paraissait pas dans le contrat[33], sans avoir la certitude que Prondre ne serait pas « recherché[34] ».

 

L’annonce d’une chambre de justice

En effet, des menaces d’abord vagues et de plus en plus précises allaient aboutir, au commencement du mois de mars à la création dune Chambre de Justice. « On en reparle beaucoup, note Dangeau dans son Journal, le 1er mars ; les avis ont été partagés, mais enfin l’avis de ceux qui voulaient qu’on en établit une l’a emporté. Nous n’en savons pas encore toute la forme, on sait seulement que M. le président de Lamoignon sera à la tête et M. le président Portail, en son absence[35]. » Des listes circulent de ceux qui doivent composer cette Chambre dont les gens d’affaires sont fort alarmés ; on assure qu’il leur sera interdit de quitter les lieux où la promulgation de l’arrêt les surprendra[36]. La nouvelle juridiction se compose de deux présidents à mortier, six maîtres des requêtes, dix conseillers au Parlement, huit maîtres des comptes et quatre conseillers de la Cour des aides. M. de Fourqueux sera procureur général[37].

 

L’édit du 14 mars

Le 7 mars, le Conseil de régence approuva à l’unanimité l’établissement de la Chambre de Justice[38], expédient renouvelé de du 14 mai l’année 1626. Le nouvel édit portait la date du 14 mars 1716 et accordait « la justice demandée contre les traitants et gens d’affaires, leurs commis et préposés qui par leurs exactions ont forcé nos sujets de payer beaucoup au delà des sommes que la nécessité des temps avait contraint de leur demander : aux officiers comptables, munitionnaires et autres, qui ont détourné la plus grande partie des deniers qui devaient être portés au Trésor royal, ou qui en avaient été tirés pour être employés suivant leur destination..., et à une autre espèce de gens, auparavant inconnus, qui ont exercé des usures énormes en faisant un commerce des assignations, billets et inscriptions des trésoriers, receveurs et fermiers généraux. Les fortunes immenses et précipitées de ceux qui se sont enrichis par ces voies criminelles, l’excès de leur luxe et de leur faste qui semble insulter à la misère de la plupart de nos autres sujets, sont, déjà, par avance, une preuve manifeste de leurs malversations... Les richesses qu’ils possèdent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples et le patrimoine de l’État... Les restitutions qui seront ordonnées à notre profit serviront uniquement à acquitter les dettes légitimes de notre royaume, et nous mettront en état de supprimer bientôt les nouvelles impositions, de rouvrir à nos peuples les plus riches sources de l’abondance par le rétablissement du commerce et de l’agriculture, et de les faire jouir de tous les bienfaits de la paix. »

Cet appel à la cupidité, à l’envie, à la haine eût été incomplet s’il n’eût fait appel à la délation ; en conséquence, les baillis, les sénéchaux, les lieutenants généraux et tous autres juges publièrent dans toutes les villes et bourgades de leur juridiction « que toutes les personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, qui auraient à faire des plaintes ou dénonciations... aient à venir en toute liberté les exposer devant la Chambre de justice. » A défaut de répugnance, la peur pouvait retenir certaines âmes, l’édit les prenait sous « sa protection et sauvegarde, faisant inhibitions et défenses à toutes personnes de les détourner ou intimider, soit par menace ou par quelque autre voie directe ou indirecte à. peine de la vie, de méfaire ou médire aux personnes susdites et à tous dénonciateurs, lesquels, à cette fin nous avons pris et mis en notre sauvegarde et protection spéciale. » Le cinquième des amendes infligées fut attribué aux dénonciateurs ; le dixième des effets cachés ou des dépôts livrés par eux leur fut assuré, enfin une déclaration du 1eravril 1716 ramena la France aux pratiques du règne de Domitien puisqu’il « serait (désormais) loisible à toutes personnes qui voudraient faire des dénonciations, même aux laquais et autres domestiques de ceux qui sont justiciables de la Chambre de justice, de faire lesdites dénonciations sous leurs noms, si bon leur semble, ou sous des noms empruntés. » A la délation anonyme l’édit joignait la confiscation déguisée sous le nom d’amende, élevée jusqu’à la valeur totale des biens et il énumérait avec complaisance la multitude de ceux qu'une législation atroce jetait d’une situation éclatante ou prospère et considérée au rang des suspects ; « officiers de finance, officiers comptables, trésoriers, traitants, sous-traitants et gens d’affaires, leurs associés, croupiers et autres participes, leurs receveurs, caissiers, commis-préposés et autres qui ont vaqué et travaillé tant en la perception et régie de nos droits et des deniers de nos recettes, qu’autres levées ordinaires, traités, sous-traités, entreprises et marchés, pour fournitures de vivres aux troupes et hôpitaux, étapes, fourrages, artillerie, munitions de guerre et de bouche aux villes et armées de terre et de mer, circonstances et dépendances ; et contre toute autre personne de quelque condition et qualité qu'elles puissent être, pour raison de péculat, concessions, exactions, malversations et abus commis tant dans les recouvrements, perception et maniement, que dans l'emploi et distribution des deniers publics, soit par suppositions de noms, compositions, dons, prêts, achats, voyages, ports, voitures de deniers, pertes supposées, frais de contrainte, adjudications à vil prix et par monopole, doubles quittances ou faux emplois, certifications, compositions faites sur les comptants, acquits patents, mandements, assignations ou rescriptions, gains illicites et commerces usuraires... et généralement tous crimes, délits et abus commis au préjudice de nos finances depuis le 1er janvier 1689[39].

 

Bourvalais

Sans attendre la promulgation de l’édit, dès le 9 mars, Bourvalais et Miette sont menés à la Bastille avec trois de leurs associés[40], leurs maisons sont mises sous le scellé et on y laisse garnison. En même temps, la poste reçoit défense de fournir aucune chaise ni chevaux à qui que ce fût sans un ordre écrit de M. de Torcy[41] ; ainsi seront pris au gîte, comme vient de l’être Miotte dans son grenier à foin[42], tous ceux qui n’ont pas les mains nettes. On ne saurait être surpris de l’intérêt passionné que la France entière porta à ces poursuites. Pendant une année, les chroniqueurs accordent à ces procès et aux révélations qu’ils amènent une attention jamais lassée. Quelques maltôtiers vont surtout occuper les imaginations ; un des plus célèbres est Bourvalais sur qui on ne savait rien avant qu’on le rencontrât laquais, ensuite tour à tour facteur, huissier, piqueur à la construction du pont Royal, intéressé dans les affaires du huitième et traitant, accusé d’avoir fait depuis peu sortir du royaume douze cent mille louis d’or à seize livres chacun qui faisaient la somme de 19.200.000 livres. On assurait en outre qu'il avait fait dire au Régent qu’il ferait en sorte d’acquitter pour cent millions de l’État au profit du Roi, par les gens d’affaires qu’il connaissait et qu’il contribuerait aussi de son côté. De son hôtel de la place Vendôme il n’emporte que douze chemises, sa femme autant[43], pendant qu’on charge six tombereaux de meubles précieux dont trois d’argenterie qui fut aussitôt portée à la Monnaie et mise en pièces[44]. Quelques jours plus tard on met en vente son écurie : une trentaine de chevaux d’Espagne et d’Angleterre[45]. Après l’avoir condamné à financer de grosses sommes — quatre millions quatre cent mille livres[46] — et accordé à sa femme une obole de six francs par jour[47], le malheureux est l’objet d’un nouvel arrêt pour instruire son procès au criminel et accablé par tant d’infortunes ne peut retenir ses larmes chaque fois qu’on l’amène subir l'interrogatoire. Naturellement les historiettes obligées pullulent : armoire de fer, sacs d’écus dissimulés, etc.[48]

 

Autres traitants

Miotte n’est pas plus épargné, et sa maîtresse, dénoncée par son propre fils, est également conduite à la Bastille[49]. Les sieurs Lenormand, Thévenot, Cabou, Barangue vont l’y rejoindre[50], ainsi que Gruet[51], que nous retrouverons. Les dénonciations se multiplient et sont récompensées[52] ; les visites domiciliaires n’épargnent rien ni personne[53] ; si on signale quelques bravades[54], on rencontre aussi des suicides[55] qu’on met au compte de la fièvre chaude. Certains se dénoncent eux-mêmes et jouent les magistrats. Un homme d’affaires logé proche les Jacobins de la rue Saint-Honoré, s’avisa d’aller trouver M. de Fourqueux et lui dit : « Je viens, monsieur, vous dénoncer un homme qui a cinq millions de biens ; mais avant que de vous en dire le nom, je vous prie de m’en assurer le cinquième par écrit signé de vous puisque la déclaration du Roi le porte. » Ce que M. de Fourqueux lui ayant expédié, il ajouta : « C’est moi-même, monsieur qui ai présentement cinq millions de biens et je n’avais que la valeur de huit cents livres quand je commençai à exercer un emploi, ainsi conformément à la déclaration du Roi, voilà un million qui m’appartient pour ma dénonciation, qui est juste et sincère. Pour les quatre autres millions, il faudra voir si je les ai bien ou mal acquis dans les affaires où j’ai eu quelque part[56]. » Cet homme finança deux millions en deniers comptants et la Chambre le déchargea du reste ; au sieur Rivier décharge de toute recherche ainsi qu’au sieur Charpentier mais seulement après qu’on leur eut rayé une dette prétendue de deux millions au premier pour fourniture de chevaux, de trois millions au deuxième pour fourniture de viande[57].

 

Méthodes de la Chambre de Justice

Les pièces conservées dans la collection Bertin du Rocheret nous permettent de prendre une idée des opérations de la Chambre de Justice. Voici comment elle éclaire ses doutes et forme sa conviction[58] :

X..., âgé de cinquante ans, a bien 400.000 livr. Il est, depuis l’âge de vingt ans, dans les affaires. Il a été huit ans commis à 1200 livr. Depuis ce temps jusqu’à présent il a toujours été dans les traités et, suivant sa déclaration il a eu, savoir :

Dix mille de patrimoine, ci

10.000 l.

De dot

3.000 l.

De succession

7.000 l.

20.000 l.

La déclaration de biens monte à 400.000 livr. consistant en :

une charge de secrétaire du Roi valant

80.000 l.

rente sur la ville

40.000 l.

billets d’État

50.000 l.

terres

50.000 l.

maisons

60.000 l.

patrimoine ci-dessus spécifié

20.000 l.

fonds dans les affaires

100.000 l.

400.000 l.

Les dettes à distraire montent à 50.000 livr. ensemble les 20.000 l. de patrimoine, au total 70.000 l. ; reste partant, 330.000 livr. qu’il a de reste, distraction faite de son patrimoine et de ses dettes.

Il est taxé à 230.000 livr., payables savoir :

En sa charge de secrétaire du Roi

80.000 l.

rentes sur la ville

40.000 l.

billets de l’État

50.000 l.

en argent comptant

60.000 l.

Somme pareille

230.000 l.

 

Elle frappe les petits, épargne les autres

Par ainsi prélevée son patrimoine, la dot de son épouse et ses dettes payées, le tout suivant sa déclaration, il reste au cotisé un gain de la somme de 100.000 livres.

Cet arbitraire s’étendait au royaume tout entier, puisque la Chambre de Justice avait pouvoir de commettre et subdéléguer dans tous les bailliages et sénéchaussées tels juges et en tel nombre qu’elle trouverait à propos pour y connaître, à l’exclusion de tous autres juges, de l’exécution de l’édit. Comme s’il eut appréhendé qu’un retard involontaire dérobât les agents du fisc aux vengeances des petits officiers de justice, le duc de Noailles pressait les intendants d’établir dans les principales villes de leurs généralités des personnes chargées de recevoir les dénonciations à transmettre aux subdélégués[59]. A ce coup, la terreur fit place à l’affolement, chacun se crut désigné en vertu d’un édit affirmant « que ceux qui ont fait un commerce et un métier ordinaire de négocier à l’occasion et au détriment [des finances du Roi] les différents papiers qui ont eu cours dans le public, ont fait, par des voies obliques et frauduleuses des gains illicites. » Si peu dignes d’intérêt qu’ils fussent, ces traitants ne devaient être frappés que si leur culpabilité il a il évidente. Comme si souvent, les petits, les humbles furent sacrifiés : Pénot, huissier aux tailles à Guéret ; Chartier, receveur des traites à Vichy furent condamnés à mort ; Paparel, dont la fille était marquise, obtint une commutation de peine ; Dumoulin, trésorier provincial ; Seigne, huissier aux tailles à Nevers ; Lempereur, subdélégué à Montdidier furent envoyés aux galères[60].

 

L’opinion publique commence à se ressaisir

Afin d’amuser l’opinion, le gouvernement prodiguait les promesses et les chiffres. Le Régent ne demandait que d’atteindre le 1erjanvier 1717 pour ôter le dixième et la capitation. La Chambre de Justice devait lui fournir de quoi décharger le peuple de la plus forte de ces deux impositions et peut-être même de toutes les deux[61]. On raconte que de 1689 à 1715 les traitants ont profité de dix-huit cents millions. Ce calcul « paraît bien excessif » ne peut s’empêcher de dire Dangeau, qui sait compter, mais qu’importe, ce calcul-là fait espérer, ajoute-t-il, que malgré les dépenses immenses qu’ont faites les gens d’affaires on en tirera des sommes qui diminueront bien les dettes du Roi[62]. On se flatte de retirer, avant le 15 avril, plus de soixante millions en papier, sans préjudice de trois cents millions qu’on espère atteindre[63], mais au 1er mai on n’a pas encore dépassé seize millions en papier[64] et l’opinion publique commence à se lasser. Le 22 mai, on emprisonne des particuliers qui ont écrit en faveur des gens d’affaires et pour blâmer la conduite de la Chambre de Justice à leur égard[65].

 

Mécontentement et corruption

La Chambre de Justice frappait à tort et à travers, s’attaquait au gré de ses rancunes, de ses fantaisies, de ses vengeances, menaçait les fortunes, scrutait les contrats. « On citait, on arrêtait tous les jours de nouveaux accusés, ceux même qui avaient applaudi à l’établissement de ce tribunal commencèrent à craindre d’y être appelés, leur innocence n’étant pas capable de les rassurer ; et ce formidable appareil, loin de libérer l’État et de lui procurer aucun avantage réel, loin de rouvrir peuple les riches sources de l’abondance, se réduisit à la dispersion de plusieurs familles, à la perte du reste de confiance, à une disette prodigieuse d’espèces, et à la chute totale du commerce. Les marchands, appuyés du prévôt des marchands, s’en plaignirent, et prièrent le Régent de mettre fin a ces recherches. La. Chambre des comptes fit des remontrances dans le même esprit. Les Parlements de Provence et de Toulouse indignés de la rigueur des arrêts de ce tribunal, en firent publier d’autres... par lesquels il était défendu de mettre à exécution ceux de cette Chambre. Les Parlements de Dijon et de Grenoble se déclarèrent contre elle avec la même fermeté[66]. » L’intérêt public ne souffrait pas moins des excès de la Chambre que l’intérêt particulier. En beaucoup d’endroits les commis des fermes n’osèrent plus quitter leur domicile, trésoriers, receveurs, fermiers s’interdirent l’exercice de leur charge et la fraude put s’exercer avec une facilité dont le trésor fit les frais, les impositions ne rentrèrent plus[67]. Les particuliers qui vivaient de l’opulence des traitants furent réduits à l’indigence à partir du jour où ceux-ci furent ruinés ou affectèrent de le laisser paraître. On savait d’ailleurs à quels marchés donnait lieu cette juridiction impitoyable. L’argent des financiers loin d’alléger les charges du peuple servait à enrichir l’entourage du Régent. Les traitants n’eurent pas à rechercher des protecteurs mais à se défendre contre l’avidité de leurs protectrices[68]. Mme de Parabère, maîtresse du régent, fit remettre à Hénaut partie de son amende moyennant commission ; le fait fut rendu public et aussi l’anecdote du grand seigneur offrant à un financier taxé à 1.200.000 livres sa libération moyennant 300.000 l. : « Vous venez trop tard M. le comte, répond-il ; je viens de faire affaire avec Mme la comtesse pour 100.000 livres. » L’affaire Paparel montrait à tous ce qu’il était possible d’attendre de cette prétendue justice. Avant même que le jugement fut rendu et qu’on pressentait impitoyable, la Gazette ne manquait pas d’insinuer : « C’est en ce cas qu’on verra agir la clémence du Régent et ses bontés pour M. de la Fare[69]. » Le voilà condamné et aussitôt la Fare intercède[70], le Régent accorde tout et pendant que ce compromettant beau-père est enfermé au château de Saumur avec ses domestiques et son cuisinier[71], sa fille, que la Fare ne pouvait plus souffrir, se retire dans un couvent[72] et c’est le gendre qui reçoit les biens confisqués à charge de rembourser le Roi et les créanciers[73]. Pour le consoler de ces tribulations familiales, le petit Roi lui remet la croix de Saint-Louis[74]. Dans le cas de l’exempt Pommereu, âme damnée de d’Argenson[75], l’homme est arrêté, relâché par ordre du Régent, mis en sûreté et alors, mais alors seulement, la Chambre reçut permission de courre après ; aussi l’affaire « fait grand bruit[76] », la Chambre refuse de travailler à toute autre affaire aussi longtemps qu’elle ne recevra pas satisfaction, il ne faut rien moins qu’une démarche du duc de Noailles pour l’apaiser[77].

 

Démêlés de la Chambre avec d’Argenson

Lenormand et Gruet, nous dit la Gazette, rejetaient tout ce qu’on leur reprochait sur M. d’Argenson qui leur prescrivait la sévérité dont ils usaient. D’Argenson était depuis trop d’années lieutenant de police pour n’avoir pas beaucoup d’ennemis, mais il faisait bonne mine à mauvais jeu[78]. C’était une consigne observée par toute la famille, mais à laquelle nous devons une jolie lettre de son fils.

« La Chambre de Justice, écrit-il à une amie, continue ses poursuites avec un zèle et un désintéressement dignes d’admiration et de respect. Leur amitié pour mon père ne s’est point refroidie : mais M. le duc d’Orléans s’est tellement opposé aux marques qu’ils voulaient lui en donner, qu’ils ont été obligés de modérer leur empressement. Les taxes font maintenant ce que tous les prédicateurs du monde n’avaient jamais osé seulement entreprendre. Le luxe est absolument tombé et une simplicité noble, mais modeste à pris sa place. Les ris sont à la vérité plus modérés ; mais les financiers commencent à goûter le repos que donne la bonne conscience et que leur assurent les quittances et les arrêts de décharge que l’on leur fait prendre, par lesquels on leur remet toutes les malversations, exactions, vexations, concussions et autres crimes qu’ils ont commis : et ces titres magnifiques qu’ils transmettront un jour à leur postérité seront la première illustration des maisons dont ils seront les chefs.

« Les bals de l’Opéra et de la Comédie sont aussi déserts que l’antichambre de M. Desmaretz ou de M. de Pontchartrain. Les églises sont un peu plus fréquentées. On y voit, par exemple, des gens d’affaires, qui n’ont pas encore été taxés, demander aux pieds des autels un sort plus doux que celui de leurs compagnons ; mais Dieu n’écoute ni leurs prières ni leurs larmes, et l’on voit, quatre jours après, les gens qui ont reçu leur arrêt, le renier et le maudire... On y voit maintes jeunes filles en pleurs regretter la bourse des traitants qui les entretenaient avec tant d’éclat et de profusion, ou se plaindre de la dureté de ceux qui ont maintenant part au gouvernement et qui travaillent à bâtir leur fortune avant que de songer à faire celle de leurs maîtresses[79]. »

L’arrestation de Pommereu et deux autres exempts était un stratagème de la Chambre de Justice pour compromettre d’Argenson et même le Régent, car ce bas policier semble avoir été initié à quelques intrigues du cordelier Le Marchand[80].  Malgré l’intervention du prince, la Chambre ne veut pas lâcher prise[81], car il est certain que d’Argenson a eu le talent de se brouiller avec elle[82] et ses avances tardives ne parviendront pas à les réconcilier[83]. Il veut que les Partisans parlent d’autre chose et le fait savoir aux maîtres de cafés qu’il reçoit dans son arrière-cabinet, leur disant « avec beaucoup d’honnêteté qu’ils devaient empêcher que l’on parlât chez eux contre le gouvernement, contre la Chambre de Justice et surtout contre la personne du Régent[84]. » Tel est l’ordre : il faut admirer l’institution qui a réglé en quelques mois pour neuf cent et tant de millions de taxes[85]. « Parcourez tout l’univers et tout ce qui s’est passé depuis la création : il n’y a eu aucun endroit où l’on ait vu ce qui se pratique aujourd’hui en France, et que six à sept hommes rendent à leur prince cinq à six cents millions sans que cela cause aucun désordre et sans qu’il en coûte la vie à plus de quatre ou cinq personnes[86]. »

 

Les rôles de taxation

Chaque confiscation entraînait après elle des lenteurs insupportables à l’avidité impatiente du duc de Noailles. Une Déclaration du 18 septembre 1716 y mit ordre. Elle donnait dix jours pour tout délai aux traitants ou aux gens d’affaires, à leurs croupiers et participes pour donner une déclaration de leurs biens et de leurs effets au vrai, et pour rectifier celles qu’ils pouvaient avoir données, à peine de subir la rigueur des ordonnances ci-devant rendues à ce sujet, et qu’après avoir payé ce à quoi ils seraient taxés, ils seraient obligés de reconnaître et d’avouer pour ce qui leur resterait de bien qu’ils l’auraient reçu comme une pure grâce de là bonté du Roi, sans l’avoir méritée, et que la Chambre de Justice aurait toujours la même autorité sur eux en général pour examiner dans la suite s’ils auraient déclaré juste[87]. La commission de taxation fut composée de six membres, dont là moitié tirée de la Chambre de Justice : Lamoignon, Portail, Fourqueux, l’autre moitié tirée du Conseil des finances, Le Pelletier-des-Forts, Fagon, Rouillé-Ducoudray.

 

Les « taxes »

Dès le mois de juillet on annonçait le rôle des « taxés » qui, dit-on, « passera 300 millions[88] » et cette rumeur terrifiait les traitants à ce point qu’ils venaient « en foule faire des soumissions et donner au Roi une partie de leurs biens, moyennant une amnistie « pour le passé » et une assurance qu'on leur laissera le surplus[89] ». Le calcul des ces offres ne satisfait pas et afin d’en provoquer de plus avantageuses « on use d’une grande sévérité envers les prisonniers de la Chambre de Justice dans la Conciergerie : ils étaient dans ce qu’on appelle les cachots blancs où il y avait des croisées grillées donnant sur tine petite cour qui fait d’un cachot blanc un cachot noir[90]. » Ces procédés odieux pour extorquer de l’argent n’ayant pas donné ce qu’on eh espérait, la commission en vint aux listes tant redoutées. La première fut signifiée le 5 novembre 1716, elle atteignait cinquante-deux individus ou familles et le total s’élevait à 17.526.900 livres[91]. Le 14 novembre, deuxième liste portant soixante-deux noms et un total de plus de 13 millions[92]. D’autres rôles succèdent, — on en comptera vingt — atteignant quatre mille quatre cent soixante-dix chefs de famille[93]. On a parlé de la terreur et du désespoir qui s’emparèrent de ces maisons superbes dont les financiers avaient décoré Paris[94], mais beaucoup ne virent changer que leur extérieur. « Les taxés, nous dit-on, se mortifient en apparence et se contentent de ne plus étaler que des écriteaux au-devant de leurs maisons, qu’ils ne vendent pourtant point ; mais au-dedans ils se réjouissent et font aussi bonne chère qu’auparavant[95]. » « Ces messieurs prennent le parti de diminuer leurs dépenses, leurs domestiques, leur table par où ils espèrent vivre encore assez largement[96]. »

 

Les scènes de pilori

Sur de pauvres diables, tombait la honte et l’ignominie. Le peuple s’associa d’abord à ces cruautés bouffonnes de l’exposition, du pilori, de l’amende honorable. Le 11 juillet, on le régala de l’exécution du sieur Lenormand, qui fit amende honorable nu-pieds, tête nue et en chemise, tenant une torche allumée à la main. Il portait un écriteau sur la poitrine, un autre sur le des avec ces mots : Voleur du peuple. En approchant de la halle, les harangères hurlaient : « Qu’on le roue, qu’on le pende, ce fripon, ce faussaire ! » Ramené à la Tournelle, le concierge l’attacha debout à un arbre au milieu de la cour et la multitude payait quatre sols pour l’aller regarder, injurier et frapper[97].

Ces scènes répugnantes se renouvelèrent plusieurs fois ; c’était la part faite à la populace dans la récupération des biens mal acquis. Le supplice du nommé Gruet, reconnu coupable de vexations à l’égard des communautés de marchands et artisans fut particulièrement ignoble[98]. Condamné à faire amende honorable au pilori pendant trois jours de marché pour être, de là, mené aux galères et ses biens confisqués[99], Gruet avait, en onze ans, gagné 200.000 livres. Le 12 décembre, plus de deux cent mille Parisiens étaient aux fenêtres et dans les rues pour le voir passer.

Ilfut conduit faire amende honorable devant l’église Notre-Dame et à la Chambre de justice, puis exposé au pilori pendant deux heures, nu-tête et nu-pieds, transi de froid. Étant arrivé devant Notre-Dame, il poussa la torche allumée qu’il tenait à deux mains, à droite et à gauche, et il en brûla le visage d’une femme et la perruque de deux hommes richement vêtus, et renversa comme un furieux plusieurs personnes à coups de pied. Après avoir demandé pardon à Dieu à haute voix, il s’obstina à ne vouloir point demander pardon au Roi, disant qu’il n’a voit rien fait de ce qu’on lui avait imputé, qu’en exécution des ordres qu'on lui avait donnés de sa part, et, que si Sa Majesté vivait, elle ne souffrirait pas qu’on lui fit un pareil traitement. Étant arrivé proche du pilori devant l’image ou statue de la sainte Vierge, après avoir demandé pardon à Dieu, il refusa de le demander à la justice en proférant des paroles les plus obscènes. Étant mis à la roue du pilori, qui se tourne de tous côtés pour être vu du public, les vendeuses de la halle, harengères et autres lui firent des huées dont tout autre que lui aurait été démonté, en criant de toutes leurs forces : « Au voleur ! au voleur ! » et lui jetèrent de la boue et des trognons de chou. Assises à plusieurs tables dans les Halles elles buvaient à sa santé par dérision. Il ne fut pas insolent comme à son amende honorable, mais après avoir été exposé deux heures on le fit descendre tout tremblotant de froid et il revint à la Tournelle le visage tout vert et défait comme un mourant.

Cette scène hideuse se renouvela le 16 et le 19 décembre. On entendait des femmes crier à pleine voix : « Arrêt de condamnation de Gruet, inspecteur de M. d’Argenson » ; mais la police affectait de ne rien entendre. « D’autres disaient qu’il y avait un homme aussi coupable que Gruet et qu’ils le verraient volontiers à ses côtés. C’est une terrible bête qu’une populace ameutée et qui, heureusement, ne connaît pas sa force, car si celle de Paris se ruait sur le reste des habitants, on aurait de la peine à s’en rendre maître[100]. »

 

Suppression de la Chambre

L’opinion publique se ressaisit ; elle compara les châtiments Suppression infligés à quelques misérables, les dilapidations pardonnées aux puissants, les scandales révélés chaque jour, alors elle s’attendrit sur ceux qu’elle avait détestés naguère et s’enflamma contre les spoliateurs. C’était le moment où la Chambre de justice, trouvant les condamnations individuelles trop lentes, procédait par fournées, frappait des corporations entières. Les notaires furent taxés à douze millions sous la menace de rechercher dans leurs minutes les contrats frauduleux qu’ils auraient pu dresser ; les « gens d’affaires » furent tarifés à des amendes s’élevant au dixième de leur fortune. Ces procédés monstrueux faisaient toujours rentrer quelque argent et le gouvernement imagina de prolonger un peu plus l’existence de sa complice en la rajeunissant. Une déclaration du 18 septembre 1716 réduisit la Chambre à six membres, dont trois tirés du Conseil de finance. Pendant six mois de plus on taxa, à peu près à l’aventure, tous ceux de qui l’on pouvait espérer quelque paiement. Un édit du mois de mars 1717 supprima enfin la Chambre de justice, la dernière juridiction de cette nature qui déshonora l’ancienne monarchie[101]. Elle avait accompli peu de bien et beaucoup de mal ; ouvert la voie aux exactions futures et constitué la plus large entreprise de spoliation tentée en France par un gouvernement légal entre le procès des chevaliers du Temple et la saisie des biens nationaux en 1789. La morale y reçut un fâcheux accroc et le sens persistant de l’équité, qui réside au fond de la plupart des âmes fut péniblement froissé. Les observations émanées des intendances montrent que les injustices dont furent victimes-les malheureux « manieurs d’argent » sont de celles qui laissent un long mépris et une sourde colère parmi les populations : Pierre Mauroy, receveur des tailles à Bordeaux, taxé à 14.000 livres « est en réputation d’être fort honnête homme et d’être trop taxé. » Robert Branda, taxé à 9.400, travaille depuis trente-six ans dans les affaires du roi. Quelque recherche que j’aie faite, je n’ai pu découvrir aucune sorte de bien qu’il n’ait gagnée par son travail. La surprise est générale qu’il ait été taxé à une si forte somme, et ou ne croit pas que son bien soit suffisant pour la payer. Jean Vendryès, employé dans les vivres, taxé à 10.000, n’a qu’un petit bien de 6.000 à 7.000 livres à Gradignan et se charge de greffier des affirmations du Parlement ; neuf enfants ; passe pour être fort honnête homme ; taxe excessive ». Pierre Marot, contrôleur de la monnaie, « est pauvre et a neuf enfants..., a beaucoup de peine à faire subsister sa famille ; il y a de la justice à se décharger[102]. »

La poursuite des traitants préoccupe plus que tout le reste l’opinion publique qui répète les mots de millions sans se faire une idée précise de leur signification. Le profit réel du Trésor fut des plus médiocres. Les 219 millions de taxes n’étaient pas toutes payables en numéraire ; en outre, on vit des taxes réduites au tiers, au quart, à moins encore, on en vit d’autres payables en espèces déclarées payables en billets jusqu’à un certain délai, plusieurs fois prorogé inutilement. Les réclamations se succèdent toujours inefficaces. En 1718, on se contentera du paiement d’un vingt-cinquième en espèces[103] ; en 1722, il n’est plus question d’espèces ; en 1726, le contrôleur réclame toujours ce qui lui est dû[104]. En définitive l’institution avait déshonoré ceux qui s’y étaient employés, l’État y avait gagné peu de chose et une faible quantité de papier avait été écoulée. « Ce fut d’ailleurs la dernière fois que l’État recourut à ce procédé détestable ; l’expérience était faite, et, à défaut de sentiments plus élevés, le souvenir des scandales et des embarras graves auxquels avait donné lieu la Chambre de 1716 suffit pour empêcher désormais les contrôleurs-généraux d’y recourir[105]. » De cet épisode il subsista des monuments singuliers. Tandis que Voltaire flétrissait dans des vers médiocres la Chambre de justice, on répandait des chansons barbares et des estampes atroces. L’une intitulée l’Opéra d'enfer représentait les financiers dans des tortures hideuses, l’autre montrait la Justice et la mort assises sur un pressoir achevant d’épuiser l’or et le sang de membres humains. Le Régent voulut mieux, il fit frapper une médaille sur laquelle on voyait Hercule terrassant le voleur Cacus avec cette légende[106] :

VICTOR AVARAE FRAVDIS

Le public négligea médaille et hémistiches, il fit mieux, il supputa les dépenses. Cette Chambre qui devait enrichir le Roi on ne savait d’elle au juste que ce qu’elle avait coûté. En une année elle avait englouti neuf cent mille livres qu’on ne reverrait pas et en quatre mois d’hiver elle avait brûlé du bois pour dix mille francs[107].

 

 

 



[1] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 169 ; 8 septembre 1715.

[2] Buvat, Journal, t. I, p. 53 ; 9 septembre 1715.

[3] Ibid., p. 53 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 207 ; 10 octobre ; M. de Guitaut à Mme de Balleroy, Paris, 18 octobre 1715, dans Les Correspondants, t. I, p. 51.

[4] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XVI, p. 207. Nous retrouvons Pléneuf à Rome avec le P. Lafitau.

[5] Buvat, Journal, t. I, p. 97 ; 25 septembre 1715 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 197 ; 25 septembre 1716.

[6] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 231-232 ; 10 novembre 1716.

[7] Buvat, Journal, t. I, p. 106 ; M. Caumartin de Saint Ange à Mme de Balleroy, 19 novembre 1715, op. cit., t. I, p. 64.

[8] Gazette, p. 39, 49 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 266, 268, 270.

[9] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 207 ; 10 octobre 1715.

[10] Dangeau, Journal, t.XVI, p. 211 ; 15 octobre 1715.

[11] Buvat, Journal, t. I, p. 104.

[12] Dangeau, Journal, t.XVI, p. 235 ; 14 novembre 1715 ; Gazette de la Régence, p. 17 ; 6 septembre 1715.

[13] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 243 ; 23 novembre 1715.

[14] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 236 ; 16 novembre 1715.

[15] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 234 ; 13 novembre 1715 ; Buvat, Journal, t. I, p. 114.

[16] Gazette de la Régence, p. 19 ; 15 novembre 1715.

[17] M. Caumartin de Saint-Ange à Mme de Balleroy, 16 novembre, op. cit., t. I, p. 67.

[18] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 237 ; 18 novembre 1715.

[19] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 243 ; 23 novembre 1715.

[20] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 252, 256 ; 29, 30 novembre, 4 décembre 1715.

[21] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 257 ; 6 décembre 1715.

[22] Dangeau, Journal, t. XVI, p.260 ; 9 et 10 décembre 1715.

[23] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 261 ; 13 décembre 1715 ; Buvat, Journal, t. I, p. 113 ; 14 décembre 1715.

[24] Buvat, Journal, t. I, p. 120.

[25] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 267 ; 21 décembre 1715.

[26] M. de Caumartin de Saint-Ange à Mme de Balleroy, 6 janvier 1716, dans op. cit., t. I, p. 60.

[27] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 307 ; 24 janvier 1716.

[28] M. de Caumartin à Mme de Balleroy, 1er février 1716 ; dans op. cit., t. I, p. 72.

[29] Gazette de la Régente, p. 55 ; 12 janvier.

[30] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 309, 313 ; 28 janvier et 2 février 1716.

[31] Buvat, Journal, t. I, p. 141 ; Gazette, p. 81.

[32] M. de Caumartin à Mme de Balleroy, 28 novembre, dans op. cit., t. I, p. 68-69.

[33] Gazette de la Régence, p. 43 ; 30 décembre 1715 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 258 ; 7 décembre.

[34] Gazette de la Régence, p. 36 ; 16 décembre 1715.

[35] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 330, 1er mars 1716.

[36] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 332-333, 5 mars 1716.

[37] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 333 ; 6 mars 1716.

[38] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 333 ; 7 mars ; M. de Breteuil à Mme de Balleroy, 7 mars 1716, dans op. cit., t. I, p. 82.

[39] Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 80, 85, 100, n° 50, 52, 55 ; Buvat, Journal, t. I, p. 126.

[40] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 335 ; 9 mars 1716 ; Buvat, Journal, t. I, p. 124 ; Mercure, mars 1716, p. 261-275.

[41] Buvat, Journal, t. I, p. 125.

[42] Buvat, Journal, t. I, p. 124 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 335 ; 9 mars 1716.

[43] Buvat, Journal, t. I, p. 126-127 ; 20 mars 1716.

[44] Buvat, Journal, t. I, p. 127 ; 23 mars 1716.

[45] Buvat, Journal, t. I, p. 131 ; 31 mars 1716.

[46] Buvat, Journal, t. I, p. 127 ; 26 mars 1716.

[47] Buvat, Journal, t. I, p. 129.

[48] Buvat, Journal, t. I, p. 136, 138, 139.

[49] Buvat, Journal, t. I, p. 127 ; 21 mars 1716 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 349 ; 24 mars 1716 ; Gazette, p. 77 ; 15 mai 1716.

[50] Buvat, Journal, t. I, p. 127, 131.

[51] Buvat, Journal, t. I, p. 131.

[52] Buvat, Journal, t. I, p. 131. Un prêtre de Saint-Sulpice gagna cent livres pour avoir dénoncé un dépôt, un notaire plus délicat fut envoyé à la Bastille.

[53] Buvat, Journal, t. I, p. 128 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 353-354, 1er avril 1716.

[54] Buvat, Journal, t. I, p. 130.

[55] Buvat, Journal, t. I, p. 133 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 355 ; 4 avril 1716 ; Gazette, p. 77, 15 mai 1716 ; Buvat, Journal, t. I, p. 184, 254.

[56] Buvat, Journal, t. I, p. 129.

[57] Buvat, Journal, t. I, p. 129.

[58] A. Nicaise, La Chambre de justice, Episode de l’histoire du XVIIIe siècle 1716-1717, dans Mémoires de la Société d'agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, 1876-1877, t. XXI ; Documents inédits de la collection Berlin du Rocheret, vol. ms. 115 de la bibliothèque d’Epernay.

[59] Arch. départem. de la Gironde, G 3276.

[60] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 470, 473.

[61] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 344 ; 16 mars 1716.

[62] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 345 ; 19 mars 1716.

[63] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 347, 349 ; 21 mars, 25 mars 1716.

[64] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 374, 3 mai 1716.

[65] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 384, 22 mai 1716.

[66] Cl. Dupin, Œconomiques,  in-4°, Carlsruhe, 1745, t. I, p. 140 ; M. Manon, op. cit., t. I, p. 74-75 ; Buvat, Journal, t. I, p. 156.

[67] Bibl. nat., ms franç. 7726 : Mémoire des fermiers généraux, 30 août 1716.

[68] H. Baudrillart, Histoire du Luxe privé et public depuis l'antiquité Jusqu'à nos jours, in-8°, Paris, 1878, t. IV, p. 246.

[69] Gazette de la Régence, p. 79 ; 18 mai 1716.

[70] Gazette, p. 81 ; Buvat, Journal, t. I, p. 141.

[71] Buvat, Journal, t. I, p. 157 ; Gazette, p. 94 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 407.

[72] Buvat, Journal, t. I, p. 142.

[73] Buvat, Journal, t. I, p. 151.

[74] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 392 ; 8 juin 1716.

[75] Dangeau, Journal, t. XVI, Additions de Saint-Simon, p. 159.

[76] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 459 ; 26 septembre 1716, p. 460 ; 27 septembre.

[77] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 460 ; 28 septembre 1716.

[78] Gazette de la Régence, p. 86, 96 ; 15 juin, 24 juillet.

[79] Le chevalier d'Argenson à Mme de Balleroy, Paris, 4 janvier 1717, dans Les Correspondants, p. 99-101 ; Ch. Aubertin, L'Esprit public au XVIIIe siècle, in-8°, Paris, 1873, p. 146-147.

[80] Sur l'affaire de ce personnage qui mourut en prison en Espagne, voir A. Baudrillart, Philippe V et la Cour de France, t. II, p. 104-145 ; Buvat, Journal, t. I, p. 177 ; Gazette de la Régence, p. 118.

[81] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 458-459 ; 25 septembre ; p. 459 ; 26 septembre 1716.

[82] Gazette, p. 120 ; 5 octobre 1716.

[83] Gazette, p. 122 ; 30 novembre 1716.

[84] Gazette, p. 122 ; 30 novembre 1716.

[85] Buvat, Journal, t. I, p. 183.

[86] Gazette, p. 121-122 ; 30 novembre 1716.

[87] Buvat, Journal, t. I, p. 175 ; la déclamation datée du 18 fut publiée le 21.

[88] Gazette, p. 97, 27 juillet 1716.

[89] Gazette, p. 102, 3 août.

[90] Gazette, p. 110, 31 août.

[91] Buvat, Journal, t. I, p. 187-190.

[92] Buvat, Journal, t. I, p. 197-200.

[93] Lémontey, op. cit., t. I, p. 68.

[94] Lémontey, op. cit., t. I, p. 66.

[95] M. d’Argenson à Mme de Balleroy, 22 janvier 1717, op. cit., t. I, p. 104.

[96] Gazette, p. 121, 30 novembre 1716.

[97] Buvat, Journal, t. I, p. 157, 11 juillet 1716 ; Gazette, p. 93, 19 juillet ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 411, 11 juillet 1716.

[98] Buvat, Journal, t. I, p. 131, 159.

[99] Gazette, p. 123, 11 décembre 1716.

[100] Buvat, Journal, t. I, p. 234-235, 12 décembre, Gazette, p. 128, 14 décembre.

[101] Le discours de fermeture par le Chancelier, dans une lettre du chevalier d'Argenson à Mme de Balleroy, 20 mars 1717, dans Les Correspondants de la marquise de Balleroy, t. I, p. 135-136 ; Gazette de la Régence, p. 155-156, 26 mars 1717.

[102] Bibl. nat., ms. franç. 11381.

[103] 104 Arch. départ, de la Gironde, C. 3276 ; Arrêt du Conseil du 26 février 1718.

[104] Arch. départ. de la Gironde C. 3276 : Lettre du 12 octobre 1726.

[105] M. Marion, op. cit., t. I, p. 77.

[106] Lémontey, op. cit., t. I, p. 66.

[107] Gazette de la Régence, p. 157 ; 27 mars 1717.