HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME PREMIER

 

CHAPITRE IV. — La Cassation de testament (2 septembre 1715).

 

 

Derniers soins rendus au Roi. — Hommages au nouveau Roi. — Exposition du cadavre. — Prévisions du duc d’Orléans. — Décisions des ducs et pairs. — Déploiement de forces militaires. — Débuts de la séance du Parlement. — Arrivée des princes. — Incident des ducs. — Discours du duc d’Orléans. — L’avocat-général opine. — Testament du Roi. — Codicilles. — La, Régence est déférée au duc d’Orléans. — Proclamation du Régent. — Discours de ce prince. — Paroles du duc du Maine. — Conclusions en faveur de M. le Duc. — Le Régent attaque les codicilles. — Altercation entre le Régent et le duc du Maine. — Retour du Régent au Palais. — Discours du Régent. — Conclusions des gens du Roi. — Arrêt rendu par acclamation. — La protestation des ducs se renouvelle. — Fin de la séance et de la journée.

 

Derniers soins rendus au Roi.

Dès que le Roi fut mort, le Saint-Sacrement, qui était exposé, fut remis dans le tabernacle[1]. Mareschal aidé des garçons de la Chambre, tira le corps du lit pour le changer de linge[2], l’accommoda proprement et l’exposa dans le même lit où il était mort[3]. Tartillière et Lagamie rendirent à leur maître le dernier service en lui fermant la bouche et les yeux[4], on soutint la mâchoire avec un bandeau[5] retenu par le bonnet. Le visage était jaunâtre et amaigri mais reconnaissable[6]. Les mains jointes tenaient un petit crucifix[7]. Le corps fut élevé de façon à être vu et le maître des cérémonies, Desgranges, fit entourer le lit de douze chandeliers et, aux pieds, une crédence couverte d’un riche tapis et d’une toilette à dentelle surmontée d’un crucifix avec deux chandeliers de vermeil. Des sièges furent disposés, à droite et à gauche, dans la balustrade, destinés aux prélats, aumôniers, confesseur et aux grands officiers[8]. Quand ces dispositions furent terminées, le duc de Bouillon, grand chambellan, ayant un plumet noir à son chapeau, s’avança sur le balcon de la chambre du Roi et cria : « Le Roi Louis XIV est mort. » S’étant retiré, il changea son plumet noir contre un blanc, reparut sur le balcon et cria à trois reprises : « Vive le Roi Louis XV[9]. » A dix heures, le cardinal de Rohan commença le De profundis et la psalmodie des prêtres et des religieux se poursuivit, pendant que des messes étaient célébrées jusqu’à midi sur deux autels dressés contre la cheminée et à l’opposite. Six gardes de la manche et cinquante gardes du corps de la compagnie écossaise, avec vingt suisses de la garde, rendaient les honneurs[10].

 

Hommages au nouveau Roi

Depuis le 30 août, les gardes du corps, bottés et harnachés, n’attendaient que le signal pour mener le nouveau Roi à Vincennes[11] ; peu d’instants après la mort, l’ordre fut porté de prendre les armes et de se rendre avec leurs officiers à l’appartement du jeune Roi ; ils se rangèrent en haie le long de la galerie avec les Cent-Suisses et virent bientôt le duc d’Orléans sortant de la chambre après avoir rendu les derniers devoirs, suivi de tous les princes, les princesses, la plupart des courtisans en habits de cérémonie. Gentilshommes de la chambre, ducs et pairs, cordons bleus, évêques, archevêques, lieutenants-généraux formaient leur cortège, grossi à tous moments des retardataires[12]. Le duc d’Orléans présenta cette foule à l’enfant de cinq ans et demi en lui disant : « Sire, je viens rendre mes devoirs à Votre Majesté comme le premier de vos sujets[13] ; » et montrant tous ceux qui l’accompagnaient : « Voilà la principale noblesse de votre royaume qui vient vous assurer de sa fidélité[14]. »

 

Exposition du cadavre

L’enfant répandait de grosses larmes[15] ; lorsqu’elles furent séchées, on l’amena sur un balcon et la foule, déjà nombreuse dans la cour du Château, l’acclama longuement[16]. A midi, cette foule fut admise à pénétrer dans les appartements et, contenue par un rigoureux service d’ordre, défila devant la dépouille mortelle jusqu’à huit heures du soir[17]. La curiosité, la tristesse ne suffisaient pas à ce public de Parisiens endimanchés, toujours désireux de distractions en sorte que bientôt, dans Versailles, on entendit de tous côtés jouer les violons[18]. Les plus sages s’entretenaient des derniers moments du vieux monarque et concluaient : « Il est mort en chrétien, en Roi et en héros, quoique dans les bras d’un jésuite[19]. »

 

Prévisions du duc d’Orléans

Une foule non moins bruyante s’attachait aux pas du duc d’Orléans, s’entassait dans « son appartement, plein à n’y pas pouvoir faire tomber une épingle par terre[20]. » Fort de sa longue fidélité, le duc de Saint-Simon pénètre jusque dans le cabinet où le prince est enfermé, lui rappelle que le moment est venu de convoquer les États-Généraux et donner satisfaction aux ducs sur « l’affaire du bonnet ». Le prince le laisse dire, songeant à autre chose. Il avait mandé le cardinal de Noailles qui se présenta à midi. « Qu’il entre, dit-il en entendant son nom, c’est moi qui l’ai fait venir[21] ; » et il l’entretint une heure, le mena chez Louis XV, au milieu d’une sorte de triomphe dont le cardinal paraissait ne pas s’apercevoir[22]. Philippe d’Orléans ne perdait pas un instant. Ayant aperçu le duc d’Antin, il lui donnait rendez-vous pour l’après-midi et lui envoyait dire par le duc de Noailles qu’il le destinait au conseil des finances[23]. Au maréchal de Villars il promettait en deux mots la présidence du conseil de la guerre[24]. Aux ducs réunis chez le duc de la Trémoille il dépêchait le duc de Noailles pour obtenir d’eux qu’ils ne fissent aucun désordre dans la séance du Parlement où devait être dévolue la régence du royaume[25] et, confiant dans l’habileté ou dans l’autorité du négociateur, il montait en chaise et courait en poste à Paris sans même attendre ses gardes[26]. Après y avoir vu Daguesseau et quelques-uns des principaux membres du Parlement, il était de retour à Versailles vers neuf heures du soir[27]. A peine rentré, il appelait Saint-Simon, qui accourait chez lui avec quelques ducs, et par un « discours bien doré » leur fit comprendre la nécessité de « n’innover rien le lendemain ». Les ducs étaient atterrés. Ne leur parlait-on pas de « préférer les affaires générales aux leurs ». Saint-Simon éclata : « Mais, Monsieur, dit-il, quand les [affaires] publiques seront réglées, vous vous moquerez de nous et des nôtres. » Le prince protesta, promit, jura, donna sa parole et pas un de ces grands seigneurs, « accoutumés à la servitude » n’osa discuter avec celui dans lequel ils croyaient entrevoir l’ombre de Louis XIV. Enfin Saint-Simon arracha la permission d’ouvrir la séance du lendemain par une protestation générale des droits de la pairie[28].

Cette séance du Parlement, à laquelle se trouvaient convoqués tous les principaux personnages et magistrats du royaume, allait décider d’intérêts si graves que l’attention publique se détournerait des cérémonies exécutées à Versailles pour l’autopsie et la mise au cercueil de Louis XIV dont les restes ne devaient être conduits à Saint-Denis que le 9 septembre[29].

 

Décisions des ducs et pairs

Le 2 septembre, entre cinq et six heures du matin, presque Décisions tous les ducs se rencontrèrent au logis de M. de Mailly, archevêque de Reims, situé au bout du pont Royal ; le prélat exposa à l’assemblée ce qui s’était passé dans la soirée de la veille entre le duc d’Orléans et les duc d’Antin, de Sully, de Charost, de Saint-Simon et quelques autres. Le murmure fut grand et la soumission absolue et immédiate. Saint-Simon, que M. d’Orléans avait désigné pour donner lecture de la protestation, la tenait prête, quoiqu’il se défendit, pour la forme[30]. Peut-être essaya-t-il à ce moment l’effet de son projet de discours, dont une copie raturée, corrigée, nous a été conservée[31]. Cependant le temps pressait et un peu après sept heures, une file de carrosses se dirigea vers le Palais[32].

 

Déploiement des forces militaires

Là, dès les premières lueurs du jour, le régiment des gardes françaises s’était, à petit bruit, emparé de toutes les avenues, des forces tandis que les officiers et les soldats d’élite s’infiltraient à l’intérieur. Leur colonel, le duc de Guiche, avait fait payer son concours six cent mille livres et se tenait, en habit d’ordonnance, le bâton de commandement à la main, dans la lanterne basse de la cheminée[33]. Les dehors du Palais par les quais, les deux côtés, depuis le Pont-Neuf jusqu’au pont Saint-Michel, et au pont au Change étaient occupés par une double haie de gardes françaises, officiers en tête portant le hausse-col. Les magistrats qui aperçurent ce déploiement de forces militaires ne cachèrent pas leur désapprobation. On les apaisa en leur expliquant que la mesure n’était pas prise contre le Parlement, mais pour enlever au duc du Maine, général des troupes suisses, la possibilité et jusqu’à l’idée de faire aucun mouvement[34]. En effet, on avait mis sur pied environ 3.000 hommes ayant chacun plus de dix coups à tirer[35]. Le duc d’Orléans, ménageant l’avenir et la possibilité d’un secours du roi d’Angleterre, avait fait placer lord Stair dans une autre lanterne de la Grand’Chambre[36].

 

Débuts de la séance du parlement

Convoqués dès le dimanche par billet[37], les magistrats remplissaient la Grand’Chambre vers six heures du matin, les présidents dans les bas sièges. Lorsque l’ordre et le silence furent établis[38], le premier président de Mesme annonça une séance importante. Il était instruit du dessein des ducs de soulever des incidents sur l’affaire du bonnet et voulait interroger la Compagnie sur la question de savoir si elle tolérerait qu’on troublât une séance consacrée aux affaires d’État. Un seul membre proposa la dissimulation, tous les autres inspirés et guidés par M. de Novion rendirent arrêt portant que « la voix de ceux des pairs qui ne voudraient pas se découvrir suivant les anciens usages ne serait pas comptée[39] ». Cela fait, les gens du Roi furent mandés. Ils présentèrent une lettre de cachet de Louis XV annonçant la mort de son bisaïeul et invitant la Compagnie à continuer ses fonctions[40]. Celle-ci remarqua avec satisfaction le  retranchement d’une formule qui avait blessé lors de l’avènement de Louis XIV et fit décider l’envoi d’une députation qui saluerait le nouveau roi et S’inviterait à « venir en son Parlement, se faire voir à ses sujets en son lit de justice[41] ». Ensuite, on reçut le duc de La Rochefoucauld qui alla prendre sa place[42]. Puis on délibéra sur les honneurs à rendre au duc d’Orléans et on désigna une députation composée des deux derniers présidents et de deux sous-doyens, un laïc et un ecclésiastique, pour aller à sa rencontre[43].

 

Arrivée des princes

Entre huit et neuf heures, les ducs arrivèrent et prirent place sans soulever de difficultés[44]. Bientôt parurent les princes arrivés de Versailles dans le carrosse du duc d’Orléans[45], qui les laissa venir prendre leurs places. C’était M. le Duc, le comte de Charolais, le prince de Conti et les bâtards. « M. du Maine crevait de joie. Le terme est étrange, mais on ne peut rendre autrement son maintien. L’air riant et satisfait surnageait à celui d’audace, de confiance, qui perçaient néanmoins, et à la politesse qui semblait les combattre. Il saluait à droite et à gauche, et perçait chacun de ses regards. Entré dans le parquet de quelques pas, son salut aux présidents eut un air de jubilation..., aux pairs le sérieux..., le respectueux, la lenteur, la profondeur de son inclination fut parlante[46]. » Pour le comte de Toulouse et le prince de Dombes on y fit peu d’attention[47]. A peine assis, la Cour fut avertie que le duc d’Orléans entendait la messe à la Sainte-Chapelle[48]. La députation et les princes se rendirent à sa rencontre, les magistrats ayant ordre d’appeler le duc d’Orléans Monsieur, de se couvrir s’il se couvrait et d’encadrer le prince sans souffrir personne entre lui et eux[49].

 

Incident des ducs

Complimenté par le Trésorier de la Sainte-Chapelle à la tête du Chapitre[50], le duc d’Orléans se livra ensuite à la députation qui l’amena à la Grand’Chambre vers dix heures50. Le prince traversa le parquet[51] et prit sa place ordinaire à la droite du premier président, les autres princes gagnèrent leurs places. Pendant le mouvement causé par cette entrée, le duc d’Orléans prononça en hâte quelques mots pour calmer l’impatience des ducs, les priant de s’interdire tout ce qui pouvait agiter l’assemblée et ajoutant qu’on verrait plus tard à discuter leurs prétentions. Les plus rapprochés qui purent l’entendre murmurèrent et l’archevêque de Reims, premier pair du royaume se leva, s’avança et présenta au prince une requête en forme de protestation. Le duc d’Orléans, impatienté, l’invita à regagner sa place et à parler à haute voix. Mailly commença sa lecture dans laquelle il expliquait que les ducs ne se relâchaient de leurs droits que pour complaire au prince et ne pas troubler la séance. On entendit une petite voix qui criait : « Acte, acte... Oui, nous étions résolus » (sans dire de quoi faire). C’était « le petit boudrillon » qui trépignait sur son banc. On le laissa se démener, et le duc d'Orléans expliqua au premier président qu’il avait prié les ducs de ne pas occuper d’eux ; de Mesme répondit que rien de ce qui passerait dans cette séance ne pourrait préjudicier aux réclamants. Une fois de plus, Saint-Simon bondit, criant de sa voix aigrelette : « Pour cette fois seulement et sans tirer à conséquence[52]. » Mais personne ne faisait attention à lui.

 

Discours du duc d’Orléans

Le premier président avait pris la parole et, s’adressant au prince, l’assurait, au nom de la Cour du désir de travailler avec lui au service du Roi et de l’État, et protestait de sa résolution d’aller « au devant de tout ce qui pourra prouver le profond respect » qu’elle a pour lui[53]. Le duc d’Orléans répondit pour demander qu’on introduisit les gens du Roi ; ce qui fut fait[54]. Il se fit soudain un si profond silence que le prince parut déconcerté un instant[55], mais il se ressaisit, salua la Compagnie avec un air de majesté[56] et, lisant un papier posé sur son bureau[57] :

« Messieurs, après tous les malheurs qui ont accablé la France, et la perte que nous venons de faire d’un grand Roi, notre unique espérance est en celui que Dieu nous a donné ; c’est à lui, Messieurs, que nous devons à présent nos hommages et une fidèle obéissance ; c’est moi, comme le premier de ses sujets, qui dois donner l’exemple de cette fidélité inviolable pour sa personne, et d’un attachement encore plus particulier que les autres aux intérêts de son État. Ces sentiments, connus du feu Roi, m’ont attiré sans doute ces discours pleins de bonté qu’il m’a tenus dans les derniers instants de sa vie. Après avoir reçu le viatique, il m’appela et me dit : « Mon neveu, j’ai fait un testament où je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance ; je vous recommande le Dauphin, servez-le aussi fidèlement que vous m’avez servi, et travaillez à lui conserver son royaume. S’il vient à manquer, vous serez le maître, et la couronne vous appartient. » A ces paroles, il en ajouta d’autres, qui me sont trop avantageuses pour pouvoir les répéter, et il finit en disant : « J’ai fait les dispositions que j’ai cru les plus sages ; mais comme on ne saurait tout prévoir s’il y a quelque chose qui ne soit pas bien on le changera. » Ce sont ses propres termes. Je suis donc persuadé, que, suivant les lois du royaume, suivant les exemples de ce qui s’est fait dans de pareilles conjonctures, et suivant la destination même du feu Roi, la Régence m’appartient : mais je ne serai pas satisfait, si à tant de titres qui se réunissent en ma faveur, vous ne joignez vos suffrages et votre approbation, dont je ne serai pas moins flatté que de la Régence même ; je vous demande donc, lorsque vous aurez lu le testament que le feu Roi a déposé entre vos mains, et les codicilles que je vous apporte, de ne point confondre mes différents titres et de délibérer également sur l’un et sur l’autre, c’est-à-dire sur le droit que ma naissance m’a donné, et sur celui que le testament pourra y ajouter : je suis persuadé que vous jugerez à propos de commencer par délibérer sur le premier ; mais à quelques titres que j’aie droit à la Régence, j’ose vous assurer, Messieurs, que je la mériterai par mon zèle pour le service du Roi, et par mon amour pour le bien public, surtout étant aidé par vos conseils et par vos sages remontrances ; je vous les demande par avance, en protestant devant cette auguste assemblée que je n’aurai jamais d’autres desseins que de soulager les peuples, de rétablir le bon ordre dans les finances, de retrancher les dépenses superflues, et d’entretenir la paix au dedans et au dehors du royaume, de rétablir surtout l’union et la tranquillité de l’Église, et de travailler enfin avec toute l’application qui me sera possible à tout ce qui peut rendre un État heureux et florissant. Ce que je demande donc à présent, Messieurs, est que les gens du Roi donnent leurs conclusions sur la proposition que je viens de faire, que l’on délibère, aussitôt que le testament aura été lu, sur les titres que j’ai pour parvenir à la Régence, en commençant par le premier, c’est-à-dire par celui que je tire de ma naissance et des lois du royaume[58]. »

 

L’avocat général opine

Les gens du Roi se levèrent et l’avocat-général, Joly de Fleury prit la parole, fit un grand éloge du prince que ses droits appelaient à la Régence, comme si « la nature qui l’y a destiné avait pris plaisir à justifier son choix par des qualités éminentes qui l’[en] rendaient digne ». Ses conclusions tendaient à délibérer d’abord sur les droits du duc d’Orléans « suivant l’ordre de la nature » et ensuite d’après les dispositions du testament[59].

Ceci ayant été arrêté[60], le premier président sortit avec le procureur-général et le greffier en chef[61] gardien des clefs de l’armoire du testament qu’ils rapportèrent du greffe peu d’instants après. M. de Mesme tira le testament du coffret qui le contenait[62], présenta l’enveloppe, sans s’en dessaisir[63], au duc d’Orléans, lui faisant remarquer que la suscription était de la main du feu Roi et les cachets sains et entiers[64]. Après avoir coupé les lacs de  soie qui retenaient le testament attaché sous le contre-scel de l’édit du mois d’août 1714, la pièce passa de mains en mains, avec le codicille du 25 août que le duc d’Orléans venait de remettre, jusqu’aux mains de M. Dreux, conseiller au Parlement[65], doué d’une voix forte et claire, placé sur un des sièges hauts près de la lanterne de la buvette[66]. Après avoir réclamé que la discussion de ses droits précédât la lecture, le duc d’Orléans y renonçait, par suite de cette versatilité dont il donnerait bien d’autres exemples. Peut-être s’était-il laissé convaincre die la raison de convenance pour la mémoire du feu Roi et la dignité du Parlement de commencer par cette lecture exigée préalablement à tout le reste par l’édit dont M. Dreux fit d’abord la lecture[67]. Ensuite on passa au testament[68].

 

Testament du roi

[Page 1] « Ceci est notre disposition et ordonnance de dernière volonté Testament pour la tutelle du Dauphin notre arrière petit fils et pour le  Conseil de régence que nous voulons estre estably aprez nostre decez pendant la minorité du Roy.

« Comme par la miséricorde infinie de dieu la guerre qui a pendant plusieurs années agité nostre royaume avec des évènements différents et qui nous ont laissé de justes inquiétudes est heureusement terminée nous n’avons présentement rien plus à cœur que de procurer à nos peuples le soulagement que le temps del guerre ne nous a pas permis de leur donner les mettre en estât de jouir longtemps des fruits de la paix et esloigner tout ce qui pourrait troubler leur tranquillité nous croyons dans cette vue devoir estendre nos soins paternels a prévoir et prévenir autant qu’il despendde nous les maux dont nostre royaume pourrait estre troublé [Page 2] si par l’ordre de la divine providence notre decez arrive avant que le Dauphin nostre arriéré petit fils qui est lesritier presomtif de nostre couronne ait atteint sa (quatorziesme année qui est) laage de sa majorité. C’est ce qui nous engage a pourvoir a la tutelle a leducation de sa personne et a former pendant sa minorité un conseiil de regence capable par sa prudence sa probité et la grande experience de ceux que nous choisissons pour le composer de conserver le bon ordre dans le gouvernement de lestât et maintenir nos sujets dans l’obéissance qu’ils doivent au roy mineur.

« Ce conseil de rejence sera composé du duc dorleans chef du conseil du duc de bourbon quand il aura vingt [quatre ans accomplis du duc du maine du comte de toulouse du chance ! lier de france du chef du Conseil roya[69] des mareschaux de Villeroyde villar duxelles de tallart et dharcourt des quatre secrétaires destat et du contrôleur général des finances.

[Feuillet 2, page 3] « Nous les avons choisis par la connoissance que nous avons de leurcapacité de leurs talens et du fidelle attachement quils ont toujours eu pour nostre personneet que nous sommes persuadésqu’ils auront de mesme pour le roy mineur, « Voulons que la personne du Roy mineur soit sous la tutelle et garde ] du conseil de régense mais commeil est nécessaire que sous l’autorité de ce conseil quelque personne dun mérite universellement reconnu et distinguée par son rang soit particulièrement chargée de veiller à la sûreté conservationet éducation du roy mineur nousnommons le duc du maine pour avoir cette autorité et remplir cetteimportante fonction du jour de notre decez nous nommons aussy pour gouverneur du roy mineur sous l’autorité du duc du maine le mareschal de villeroy qui par sa bonne conduitte sa probité et ses tallens nous a paru [Page 4e] paru meriter destre honoré de cette marque de nostre estime et de nostre confiance, nous sommes persuadés que pour tout ce qui aura rapport a la personne et a léducation du roy mineur le duc du maine et le mareschal de Villeroy gouverneur animés tous deux par un mesme esprit agirontavec un parfait concert et qu’ils nobmettront rien pour luÿ inspirer les sentimens de vertu de religion et de grandeur dame que nous souhaittons qu’il conserve toutte la vie, voulons que tous les officiers de la garde et de la maison du roy soient tenus de reconnoistre le duc du maine et de lui obéir en tout ce quil leur ordonnera pour le fait de leur charge qui aura raport à la personne du roy mineur a sa garde et a sa sûreté.

« au cas que le duc du maine vienne | à manquer avant nostre decez | ou pendant la minorité du roy | nous nomons à la place le comte | de toulouse pour avoir la mesme [Feuillet 3 Page 5e] || auctorité et remplir les mesmes fonc | tions,

« pareillement si le mareschal de Villeroy decede avant nous ou pendant la minorité du roy | nous nommons pour gouverneur | à sa place le mareschal dharcourt.

« Voulons que touttes les affaires qui | doivent estre desidées par lauctori | té du roy sans aucune exception | ni reserve soit quelles consernent | la guerre ou la paix la disposition | et administration des finances | ou quil sagisse du choix des | personnes qui doivent remplir | les archeveschés éveschés abbaies | et autre benefices dont la nomination doit appartenir au roy | mineur la nomination aux charges de la couronne aux | charges de secrétaires destat à | celles de contrôleur général des | finances a touttes celles des officiers | de guerre tant des troupes de terre | que officiers de marine et galleres | aux offices de judicature tant [Page 6e] || des Cours supérieurs qu’autres a | celles de finances aux charges de gou | verneurs et lieutenants généraux pour | le roy dans les provinces et celles des | estats majors des places fortes tant | des frontières que des provinces | du dedans du royaume aux charges | de la maison du roy sans distinction | des grandes et petites qui sont à | la nomination du roy et generale | ment pour toutes les charges com | missions et emplois auxquels le | roy doit nommer soient proposées | et deliberées au conseil de la regence | et que les resolutions y soient | prises à la pluralité des sufrages | sans que le duc dorleans chef du | conseil puisse seul et par son | auctorité particulière rien determi | ner statuer et ordonner et faire expedier | aucun ordre au nom du | roy mineur autrement que sui | vant l’advis du conseil de la regen | ce. |

« s’il arrive qu’il y ait sur quelques | affaires diversité de senlimens [Feuillet 4 page 7] dans le conseil de la regence ceux qui | y assisteront seront obligés de se reunir |a deux ad vis et celuy du plus grand | nombre prévaudra toujours mais | sil se trouvait quil y eust pour | les deux advis nombre esgal de | sufrages en ce cas seulement ladvis | du duc dorleans comme chef du | conseil prévaudra. |

« Lorsquil sagira de nommer aux benefices | le confesseur du roy entrera au conseil | de regence pour y présenter le memoire | des benefices vacans et proposer les | personnes qu’il verra capables de les | remplir, seront aussi admis au mesme | conseil extraordinairement lorsquil | sagira de la nomination aux benefices deux archevesques ou evesques de ceux | qui se trouveront à la cour et qui | seront advertis par lordre du conseil | de regence pour sy trouver et | donner leur advis sur le choix des | sujets qui seront proposés. |

« le conseil de regence sassemblera | quatre ou cinq jours de la semaine | le matin dans la chambre ou cabinet | de lapartement du roy mineur et | aussitost que le roy aura dix ans accomplis [Page 8e] il pourra y assister quand il voudra | non pour ordonner et decider mais | pour entendre et pour prendre les premi | eres connoissances des affaires. | en cas dabsence ou empeschement du | duc dorleans celuy qui se trouvera | estre le premier par son rang tiendra | le conseil afin que le cours des affaires | ne soit pas interrompu et sil y a partage | de voix la sienne prévaudra.

« Il sera tenu registre par le plus ancien | des secrétaires destat qui se trouveront | presens au conseil de tout ce qui aura | esté délibéré et résolu pour estre | ensuitte les expéditions faittes au | nom du roy mineur par ceux qui | en sont, chargés.

« Si avant qu’il plaise à dieu nous appeler | à luy quelquun de ceux que nous avons | nommé pour remplir le conseil de la [ regence décede ou se trouve hors destat | dy entrer nous nous reservons de | pouvoir nommer une autre personne | pour remplir la place et nous le ferons | par un escrit qui sera entièrement | de nostre main et qui ne paroistra | pareillement qu’après nostre deces | et si nous ne nommons personne [Feuillet 5 page 9e] le nombre de ceux qui devront composer | le conseil de la regence demeurera réduit | a ceux qui se trouveront vivans au jour | de nostre mort. |

« Il ne sera fait aucun changement au conseil de la régence tant que durera | la minorité du roy et si pendant le temps | de cette minorité quelqu’un de ceux que nous | y avons nommé vient a manquer la | place vacquante pourra estre remplacée | par le choix et délibération du conseil | de la regence sans que le nombre de | ceux qui doivent le composer tel | quil aura esté au jour de nostre deces | puisse estre augmenté et le cas arrivant | que plusieurs de ceux qui le composent ) ne puissent pas y assister par maladie | ou autre empeschement il faudra | toujours quil sy trouvent au moins | le nombre de sept de ceüx qui sont | nommes pour le composer afin que | les délibérations qui y auront esté [prises ayant leur entiere force et | autorité et à cet effet dans tous les | edits déclarations lettres patentes pro | visions et actes qui doivent estre | délibérés au conseil de regence et | qui seront expediées pendant la [Page 10] minorité il sera fait mention expresse | du nom des personnes qui auront | assisté au conseil dans lequel les | edits déclarations lettres patentes et | autres expéditions auront esté résolus. | notre principale aplication pendant | la durée de nostre regne a toujours esté | de conserver dans nostre royaume la | pureté de la religion catolique | romaine en esloigner toute sorte | de nouveauté et nous avons fait tous | nos efforts pour reunir à l’eglise ceux | qui en estaient séparés nostre intention | est que le conseil de la regence s’a | tache à mintenir les lois et réglé | mens que nous avons fait à ce | sujet et nous exhortons le dauphin | nostre arriéré petit fils lorsqu’il sera en aage de gouverner par luy | mesme de ne jamais soufrir | quil y soit donné atteinte comme | aussy de maintenir avec la mesme | fermeté les edits que nous avons | fait contre les duels regardant | ces loix sur le fait dela religion | et sur le fait des duels comme les plus nécessaires et les plus [Feuillet 6e page 11] utiles pour attirer la bénédiction de | dieu sur nostre postérité et nostre | royaume et pour la conservation | de la noblesse qui en fait la principa| le force. |

« Notre intention est que les dispositions contenues dans nostre | edict du mois de juillet dernier en | faveur du duc du maine et du comte | de Toulouse et  leurs descendants ait | pour toujours leur entiere execution | sans qu’en aucun temps il puisse | estre donné atteinte à ce que nous | avons déclaré estre en cela de nostre | volonté. |

« Entre les différents establissemens | que nous avons fait dans le | cours de nostre regne il n’y en a | point qui soit plus utille à l’etat | que celuy de l’Hostel royal des | invalides il est bien juste que | les soldats qui par les blessures | quils ont reçus à la guerre où par | leurs longs services et leur aâge | sont hors destat de travailler et [ gaigner leur vie aient une | subsistance assurée pour le reste [Page 12] de leurs jours plusieurs officiers | qui sont dénués des biens de la | fortune y trouvent aussy une | retraitte honorables touttes | sortes de motifs doivent engager | le dauphin et tous les roys nos successeurs à soutenir cet establis | sement et luy accorder une protec | tion particulière nous les y | exhortons autant qu’il est en | nostre pouvoir. |

« La fondation que nous avons | faite dune maison a St-Cir pour | l’éducation de deux cent cinquante | demoiselles donnera perpetuelle | ment a ladvenir aux roys nos successeurs un moyen de faire des | grâces a plusieurs familles de la | noblesse du royaume qui se trouvant | chargées d’enfans avec peu de bien | auraient le regret de ne pouvoir | pas fournir à la depense nécessaire | pour leur donner une éducation | convenable a leur naissance nous | voulons que si de nostre vivant | les cinquante livres de [Page 13] revenu en fons de terre que nous | avons donné pour la fondation | ne sont pas entièrement remplis | il sait fait des acquisitions le plus | promptement quil se pourra après | Rostre deces pour fournir a ce qu’il en | manquera et que les autres sommes | que nous avons assignée a cette J maison sur nos domaines et receptes | generalles tant pour augmentation | de fondation que pour doter les | demoiselles qui sortent a laage de | vingt ans soient reguilierement | payées en sorte quen nul cas ny | sous quelque pretexte que ce soit | notre fondation ne puisse estre | diminuée et qu’il ne soit donné | aucune atteinte a lunion qui y a | esté faitte de la manse abbatiale | de labbaie de St dénis comme aussi | quil ne soit rien changé aux | reglemens que nous avons jugé | a propos de faire pour le gouver | nement de la raison et pour | la qualité des preuves qui [ doivent estre faittes par les demoiselles | qui obtiennent des places dans la | maison. |

« Nous navons dautre veue dans | touttes les dispositions de nostre | present testament que le bien de | nostre estât et de nos sujets | nous prions dieu quil benisse nos | tre postérité et quil nous fasse | la grâce de faire un assez bon | usage du reste de nostre vie pour | effacer nos peschés et obtenir | sa misericorde. | « Fait a marly le deuxieme d’oust | dix sept cens quatorze, |

Louis.

A cette lecture la surprise de l’auditoire allait grandissant jusqu’à la stupéfaction. De son banc, le duc de Saint-Simon observait, dévisageait chacun. « Je remarquai, dit-il, un morne et une sorte d’indignation qui se peignit sur tous les visages, à mesure que la lecture avançait et qui se tourna en une sorte de fermentation muette[70]. » On peut l’en croire puisque un témoin oculaire anonyme écrivant le lendemain de l’événement assure que « pendant qu’on lisait, il s’éleva un bruit sourd. Mais le Premier Président, qui est du parti du duc du Maine, dit : « Il faut-écouter car ce testament est notre loi, après l’arrêt que nous avons rendu par lequel nous promettons de l’exécuter. » Il s’éleva sur le champ un murmure universel qui démonta le Premier Président[71]. » Soit fatigue soit émotion, Dreux quitta sa place que vint occuper l’abbé Menguy, conseiller-clerc, pour procéder à la lecture des codicilles[72] que le duc d’Orléans venait de tirer de sa poche et de remettre au Premier Président[73].

 

Codicilles

Sur une feuille de papier de même grandeur que le testament, pliée en quatre et insérée dans une enveloppe non cachetée on lisait un écrit de trois pages, avec une addition de trois lignes et demie à la quatrième page. L’abbé Menguy lut :

« Codicille. |                                                                                                       [Page 1] « Par mon testament déposé au | parlement j’ay nommé le | mareschal de Villeroy pour | gouverneur du dauphin et | jay marqué quelle devait | estre son autorité et ses | fonctions. |

« Mon intention est que du | moment de mon deces jusques | a ce que louverture de mon | testament ait esté faitte il | ait toutte lauctorité sur les | officiers de la maison du | jeune roy et sur les troupes | qui la composent il ordonne) ra aux dittes troupes aussy | tost après ma mort de se rendre au | lieu ou sera le jeune roy | pour le mener a vincennes | lair y estant très bon | le jeune roy allant a vincennes | passera par paris et ira au | parlement pour y estre fait | ouverture de mon testament [Page 2] en sa presence et des princes | des pairs et autres qui ont droit | et qui voudront sy trouver | dans la marche et pour la | seance du jeune roy au parle | ment le mareschal de Villeroy | donnera tous les ordres pour | que les gardes du corps les gardes françoises et suisses  prennent | les postes dans les rues et au | palais que lon a accoutumés | de prendre lorsque les rois vont | au parlement en sorte que tout | se face avec, la sûreté et la J dignité convenable.

« Après que mon testament | aura esté ouvert et leu le | mareschal de Villeroy men | nera le jeune roy avec sa | maison à vincennes ou il demeurera tant que le | conseil de regence le jugera | a propos. |

[Page 3e] « Le mareschal de Villeroy aura | le titre de gouverneur suivant | ce qui est porté par mon testa | ment aura l’œil[74] | sur la conduite du jeune. | roy quoyquil neust pas encore | sept ans jusques auquel | aage de sept ans accomplis la | duchesse de vanta dour demeu | rera ainsi quil est accoustumé | toujours gouvernante et chargée | des mesmes soins quelle a prise | jusques a present. |

« Je nomme pour sous gouver | neurs Sommery qui la deja esté du dauphin mon petit fils | et geofreville lieutenant | général de mes armées au | surplus je confirme tout | ce qui est dans mon testament | que je veux estre executé en | tout ce qu’il contient. Fait | a Versailles le 13me avril 1715 : |

LOUIS.

Au revers de ce feuillet, d’une main tremblante « qui cependant paraît toujours la même[75] », ce qui suit :

« Je nome pour preseur precepter du dauphin | le sr de fleuri y ancien evesque[76] de | fregeous et pour confesseur le pere le tellier[77]. |

« Ce 23 août 1715

LOUIS                                                                           LOUIS[78]

 

La Régence est déférée au duc d’Orléans

A ces derniers mots, le duc d’Orléans joua la surprise et dit de façon à être entendu : « Il m’a trompé[79]. » Le duc du Maine d’Orléans promenait ses regards sur l’assemblée tout entière[80], son adversaire prit la parole, dit que malgré le respect qu’il avait, toujours eu pour les volontés du feu Roi, et qu’il conserverait pour ses dernières dispositions, il ne pouvait pas n’être pas touché de voir qu’on refusait le titre qui lui était dû par droit de naissance et que les derniers adieux du Roi semblaient reconnaître. La Compagnie ayant statué une double discussion sur ses droits ; il insistait pour qu’elle opinât sur la Régence avant qu’il présentât ses observations sur les clauses du testament[81].

 

Proclamation du Régent

L’avocat-général entama un assez long discours dans lequel il soutenait la nécessité de « s’attacher plutôt à l’esprit qu’à la lettre du testament » et, après avoir énuméré des précédents historiques, concluait que « la Cour n’avait pas besoin du témoignage éclatant » de la capacité du prince, de ses sages dispositions et de ses désirs connus de procurer le bien du royaume, de son zèle pour la paix de l’Église, de sa confiance dans les lumières, les avis et remontrances du Parlement ; ce qu’il venait de dire à ce sujet n’ajoutait rien « à ce que toute la France avait lieu de se promettre de la droiture de ses intentions ». En conséquence, il requérait « qu’il plût à la Cour déclarer M. le duc d’Orléans Régent en France, pour avoir en cette qualité l’administration des affaires du royaume pendant la minorité du Roi, sauf à délibérer ensuite sur les autres propositions qui pourraient être faites par M. le duc d’Orléans[82]. » Là dessus les gens du Roi se retirèrent du parquet[83] et la délibération fut ouverte, mais les têtes bouillantes des enquêtes ne souffrirent même pas qu’on recueillît les voix dans la forme accoutumée et la Régence fut déférée au prince par acclamation[84]. Celui-ci semblait souhaiter que l’arrêt fût prononcé sur le champ ; le Premier Président  lui remontra qu’il ne le serait qu'au lit de justice mais, jusque-là, demeurait immuable[85].

 

Discours de ce prince

Les gens du Roi reparurent et le Régent engagea le fer. Promenant son regard sur tous les bancs, il se découvrit, se recouvrit, dit un mot de louange et de regret du feu Roi. Élevant le ton, il approuva tout ce qui concernait l’éducation du jeune Roi, quant aux personnes, et s’associa à d’éloge sur l’utilité et la beauté de Saint-Cyr. Mais le titre de Régent lui suggérait des observations sur lui-même et sur les princes. Le conseil de régence imaginé par le testament semblait destiné à un prince expérimenté dans l’art de régner ; tel n’était pas son cas particulier, il avait besoin de lumières et au lieu de décider d’après Ge rapport des ministres il se proposait d’établir plusieurs conseils chargés de soumettre, après discussion, les matières au Conseil de régence où l’on pourrait peut-être appeler quelques membres de ces conseils particuliers. Ce projet avait été conçu par le duc de Bourgogne et le feu Roi semblait l’adopter par rapport à la distribution des bénéfices ; lorsqu’il l’aurait mûri, le Régent ne manquerait pas de le soumettre aux lumières de la Compagnie. Ensuite, il demandait l’admission immédiate dans le conseil de régence de M. le Duc, qui n’y devait siéger qu’à vingt-quatre ans, et en avait vingt-trois ; ce qui lui vaudrait la présidence du conseil en l’absence du Régent. Quant au prince de Conti, un oubli seul pouvait l’avoir fait omettre sur la liste des membres du conseil, et il fallait réparer cet oubli.

Ayant ainsi caressé les bienveillances douteuses, le Régent se tourna vers le duc du Maine. Il allait, dit-il, parler séparément du testament et du codicille, qu’il avait peine à concilier avec les paroles et les actes du feu Roi, renvoyant vers lui ses ministres pendant les derniers moments de sa vie pour prendre ses ordres. Ceci montrait assez qu’il n’avait pas compris les dispositions qu’on lui avait arrachées. « Le conseil de régence est, dit-il, choisi à l’avance, je n’ai aucune autorité ; cette atteinte portée au droit de ma naissance, à mes sentiments d’attachement pour la personne du Roi, à mon amour, à ma fidélité pour l’État, est incompatible avec la conservation de mon honneur. J’ai lieu d’espérer assez de l’estime de toutes les personnes ici présentes que ma régence sera déclarée teille qu’elle doit être, c'est-à-dire entière, indépendante, avec la faculté de désigner les personnes dont  j’aurai à prendre les avis. Je suis loin de disputer au conseil le droit de délibérer sur les affaires ; mais si je dois le composer de personnes ayant l’approbation publique, il faut qu’elles aient aussi ma confiance. » « L’éducation du Roi, ajouta-t-il, est remise en bonnes mains, celles du duc du Maine, mais un Régent ne peut consentir à déférer à personne le commandement des troupes de la maison du Roi que les nécessités de la défense du royaume peuvent l’obliger à mettre en mouvement ; de plus le grand-maître de la maison du Roi ne devait pas se trouver dans la dépendance du duc du Maine[86].

Le duc du Maine se leva. Comme il se découvrait, le Régent avança la tête par-devant M. le Duc et lui dit d’un ton sec : « Monsieur, vous parlerez à votre tour. » Interloqué, le bâtard vit M. le Duc se lever et appuyer la demande du Régent ; il ne doutait pas qu’on le laisserait dans le Conseil avec la qualité de Chef du Conseil, quant à sa charge de grand-maître il entendait n’être pas subordonné au duc du Maine[87].

 

Paroles du duc du Maine

Celui-ci put enfin prendre la parole et se mit en devoir de donner lecture d’un « grand papier qui avait trois pages écrites in-folio[88]. » Il dit en substance qu’il sacrifierait toujours ses intérêts pour le bien de l’État, que prévoyant le trouble qui pourrait naître à l’occasion des droits que le testament lui attribuait, il avait pris la liberté de le représenter au feu Roi lorsque celui-ci lui en donna une notion peu de jours avant sa mort, mais Louis XIV avait répliqué qu’il voulait être obéi. Au surplus, il suppliait la Compagnie de vouloir faire un règlement sur les prérogatives à lui attribuées afin qu’il n’eut pas que la vaine apparence d’une fonction aussi importante que celle de la garde du jeune Roi sans les moyens convenables pour l’assurer[89].

 

Conclusions en faveur de M. le Duc

Joly de Fleury, voyant l’aigreur qui se mêlait à la discussion, conclusions dit que les propositions et les demandes des princes paraissaient d’une si haute importance que les gens du Roi demandaient à se retirer quelques moments du parquet pour en délibérer et qu’ils prendraient leurs conclusions après avoir examiné le testament, le codicille et les propositions des princes. On leur remit le testament et les codicilles et ils prolongèrent leur discussion  pendant une heure après laquelle ils reparurent et présentèrent leurs conclusions favorables à l’entrée de M. le Duc au Conseil de régence, en qualité de Chef du Conseil sous l’autorité du Régent. Pour rétablissement des conseils, le choix des personnes qui les composeraient, l’éducation du Roi et le commandement des troupes on proposait d’en remettre la discussion à une deuxième séance qui serait tenue l’après-midi ou le lendemain[90]. Sur quoi, M. le Duc fut nommé par acclamation Chef du Conseil de régence[91] et le Régent demanda au Premier Président si une deuxième séance n’interromprait pas quelque affaire et à quelle heure le Parlement pouvait se réunir de nouveau ? M. de Mesme répondit qu’il n’y avait pas d’affaire qui ne dût céder à celle qui se traitait et que, pour l’heure, le prince en serait le seul maître. Le Régent fixa trois heures et demie[92].

 

Le Régent attaque les codicilles

L’acclamation avait été telle que le duc du Maine gardait le silence. Son adversaire comprit qu’il se réservait pour soutenir le codicille, dont la conservation eut annulé tout ce que lui-même venait d’obtenir. Avant de lever la séance et après quelques minutes de silence il reprit la parole. « Les clauses du testament, dit-il, ont paru si étranges aux personnes qui les avaient suggérées que, pour se rassurer elles-mêmes, elles ont voulu devenir les maîtres de la personne du Roi, du Régent, de la Cour et de Paris. Si la Compagnie a senti combien mon honneur était blessé par les dispositions du testament, il est impossible qu’elle n’apprécie pas à quel point toutes les lois et toutes les règles sont violées par les dispositions des codicilles. Ils ne laissent en sûreté ni ma liberté ni ma vie. Ils mettent le Roi dans la dépendance absolue de ceux qui ont osé profiter de la faiblesse d’un roi mourant. La régence est impossible à de telles conditions et la sagesse de la Compagnie ne peut admettre la validité de codicilles qui jetteraient la France dans les plus grands malheurs. »

Le duc du Maine avait passé par toutes les couleurs ; il prit la parole et soutint que la charge de l’éducation et de la garde du Roi entraînait l’entière autorité sur sa maison civile et militaire sous peine de ne pouvoir répondre du service et de la personne même du monarque. Son attachement, si connu du feu Roi, lui avait valu cette marque de confiance... Le Régent interrompit,  M. du Maine se jeta dans les louanges du maréchal de Villeroy, son adjoint et qui avait joui de la même confiance. Le Régent répliqua qu’« il serait étrange que la première et la plus entière confiance ne fût pas en lui, et plus encore qu’il ne pût vivre auprès du Roi que sous l’autorité et la protection de ceux qui se seraient rendus les maîtres absolus du dedans et du dehors, et de Paris même par les régiments des gardes. »

 

Altercation entre le Régent et le duc du Maine

La dispute s’échauffait, se morcelait par phrases coupées de l’un à l’autre, raconte Saint-Simon[93], lorsque en peine de la fin d’une altercation qui devenait indécente et cédant à l’ouverture que le duc de la Force venait de me faire par-devant le duc de La Rochefoucauld qui siégeait entre nous deux, je fis signe de la main à M. le duc d’Orléans de sortir et d’aller achever cette discussion dans la quatrième des enquêtes[94], qui a une porte de communication dans la Grand’Chambre, et où il n’y avait personne... Il avait la vue basse. Il était tout entier à attaquer et à répondre, en sorte qu’il ne vit point le signe que je lui faisais. Quelques moments après je redoublai, et n’en ayant pas eu plus de succès, je me levai et m’avançai quelques pas, et lui dis, quoique d’assez loin : « Monsieur, si vous passiez dans la quatrième des enquêtes, avec M. du Maine, vous y parleriez plus commodément, » et m’avançant au même instant davantage, je l’en pressai par un signe de la main et des yeux qu’il put distinguer. Il m’en rendit un de la tête, et à peine fus-je rassis que je le vis s’avancer par-devant M. le duc à M. du Maine ; et aussitôt après tous deux se levèrent et s’en allèrent dans la quatrième des enquêtes. Je ne pus voir qui, de ce qui était épars hors de la séance, les y suivit[95], car toute la séance se leva à leur sortie, et se rassit en même temps sans bouger et tout en grand silence. Quelque temps après M. le Comte de Toulouse sortit de place et alla dans cette chambre. M. le Duc l’y suivit un peu après. Au bout de quelques temps le duc de La Force en fit autant.

« Il y fut assez peu. Revenant en séance, il dépassa le duc de Rochefoucauld et moi, mit sa tête entre celle du duc de Sully et la mienne… et me dit : « Au nom de Dieu, allez-vous en là-dedans, cela va fort mal. M. le duc d’Orléans mollit, rompez la dispute, faites rentrer M. le duc d’Orléans ; et dès qu’il sera en place, qu’il dise qu’il est trop tard pour achever, qu’il faut laisser  la Compagnie aller dîner, et revenir achever au sortir de table ; et pendant cet intervalle, ajouta La Force, mander les gens du Roi au Palais-Royal, et faire parler aux pairs dont on pourrait douter, et aux chefs de meute parmi les magistrats.

« L’avis me parut bon et important. Je sortis de séance et allai à la quatrième des enquêtes. Je trouvai un grand cercle assez fourni de spectateurs. M. le comte de Toulouse vers l’entrée en avant, mais collé à ce cercle, M. le duc vers le milieu en même situation, tous assez éloignés de la cheminée, devant laquelle M. le duc d’Orléans et le duc du Maine étaient seuls, disputant d’action à voix basse, avec l’air fort allumé tous deux. Je considérai quelques moments ce spectacle, puis je m’approchai de la cheminée, en homme qui voudrait parler.

— « Qu’y a-t-il, monsieur ? me dit M. le duc d’Orléans d’un air vif d’impatience.

— « Un mot pressé, monsieur, lui dis-je, que j’ai à vous dire. »

« Il continuait à parler au duc du Maine, moi presque en tiers ; je redoublai, il me tendit l’oreille.

— « Non pas cela », lui dis-je, et lui prenant la main : « Venez-vous en ici. »

« Je le tirai au coin de la cheminée. Le comte de Toulouse qui était là auprès se recula beaucoup, et tout le cercle de ce côté-là. Le duc du Maine se recula aussi d’où il était en arrière.

« Je dis à l’oreille à M. le duc d’Orléans qu’il ne devait pas espérer de rien gagner sur M. du Maine, qui ne sacrifierait pas le codicille à ses raisons, que la longueur de cette conférence devenait indécente, inutile, dangereuse ; qu’il était là en spectacle à tout ce qui y était entré comme en séance, et encore mieux vu et examiné ; qu’il n’avait de parti que de rentrer en séance, et dès qu’il y serait la rompre. » Le conseil était sage. Peut-être le prince vit-il alors ce que Saint-Simon a négligé de dire mais que le duc d’Antin nous apprend. L’altercation se prolongeant, les amis du Régent avaient introduit dans la quatrième des enquêtes les capitaines des gardes, des gendarmes, et des chevau-légers qui protestaient en présence des gens du Roi que, par le droit de leurs charges, ils ne pouvaient recevoir d’ordres que du Roi ou du Régent[96]. Quoiqu’il en soit le prince répondit à Saint-Simon :

— « Vous avez raison, je vais le faire. »

« Mais, faites-le donc sur le champ, et ne vous laissez point amuser. C’est M. de La Force à qui vous devez cet avis, et qui m’envoie vous le donner. »

On rentra en séance et « le bruit qui accompagne toujours ces rentrées étant apaisé » le Régent « dit à la Compagnie qu’il était tard, qu’il y en avait encore pour longtemps, qu’il fallait aller dîner et venir achever après. » Il se leva et chacun alla chez soi.

 

Retour du Régent au Palais

De retour au Palais-Royal, le Régent fit appeler Daguesseau et Joly de Fleury pour concerter la conduite à tenir, dîna avec Canillac, Conflans et Saint-Simon qui monta peu après en carrosse, précédant le prince, lequel arriva entouré des suisses de sa garde traversant les rues d’où les troupes avaient été retirées et que remplissait la foule à qui on jeta quelques poignées d’argent. Comme il était défendu de crier sur son passage « Vive le Roi ! » on entendit seulement crier plusieurs fois Vivat ![97]

 

Discours du Régent

Entre trois et quatre heures[98] le Régent fut reçu par la même députation que le matin et conduit en la Grand’Chambre. Lorsqu’il eut pris place[99] et le bruit inséparable d’une nombreuse suite apaisé[100], il dit qu’il fallait reprendre l’affaire au point où elle était demeurée et fit entrer les gens du Roi. Devant tous il exposa avec plus de détail les propositions relatives au conseil de régence. Il ne pouvait s’assujettir à celui qu’avait prévu le testament, il voulait outre un conseil de régence où se rapporteraient toutes les affaires, un conseil de la guerre, un des finances, un de la marine, un des affaires Etrangères, une des affaires du dedans et un conseil de conscience composé de personnes attachées aux maximes du royaume, il espérait que la Compagnie ne lui refuserait pas quelques-uns de ces magistrats qui, par leur capacité et leurs lumières pussent soutenir les droits et les libertés de l’Église gallicane. Bien qu’il fût au-dessous de sa dignité d’être soumis à la pluralité des voix dans le Conseil de régence, il y consentait de bon cœur dans les affaires, sachant le besoin qu’il avait des lumières d’autrui, mais en s’assujettissant à cette condition il croyait que la Compagnie lui permettrait de composer à son gré ce conseil. Quant à la distribution des grâces, des charges, des emplois, des bénéfices il en revendiquait la responsabilité pour lui seul, voulant pouvoir récompenser ce qui méritait de l’être. Il voulait être libre pour accomplir le bien et consentait à être lié pour ne pouvoir faire du mal à personne. Sur tout ceci il demandait les conclusions des gens du Roi ; après quoi il s’expliquerait sur le reste. Mais ceux-ci demandèrent qu’il achevât de faire connaître ses desseins, afin qu’ils pussent prendre des conclusions sur l’ensemble et la Cour rendre un seul arrêt.

Le Régent aborda la question du commandement des troupes de la maison du Roi, affirma qu’il ne pouvait être divisé sous peine de faire naître une occasion de troubles et de guerre civile. Malgré qu’il fut bien persuadé que M. du Maine concourrait toujours avec lui au bien de l’État, il ne devait pas permettre que les officiers de la maison, qui ne reçoivent d’ordres que du Roi seul, en pussent recevoir de tout autre que du Régent[101]. En un mot, il prétendait avoir seul le commandement des troupes et réclamait pour M. le Duc, en sa qualité de grand-maître de la maison du Roi, la nomination à toutes les charges indépendamment du duc du Maine.

 

Conclusions des gens du Roi

Les gens du Roi donnèrent de grandes louanges au projet de formation des conseils qui, conçus par le duc de Bourgogne ne pouvaient, à son défaut, être mieux réalisés que par le duc d’Orléans de qui les réticences apparaissaient comme des gages de sagesse et des promesses de félicité. « La Cour pourrait-elle refuser à un prince qui ne veut conduire ce grand royaume que pat l’avis des personnes sages et éclairées, le pouvoir d’ajouter et retrancher et de changer ce qu’il jugera à propos dans le Conseil de régence ? » En accordant au Régent tout ce qu’il réclamait, on évitait le péril de « rendre tout électif en France » ; or, « la seule idée d’élection fait envisager d’abord les intrigues, les cabales, sources funestes de divisions. » Le pouvoir ainsi affermi, on devait envisager l’éducation du petit Roi et rien n’était nouveau ni singulier dans la séparation entre le gouvernement de l’État et la surveillance du monarque. La volonté du feu Roi, le suffrage de M. le Régent, les lumières et les vertus de M. le duc du Maine concouraient à lui faire déférer cette précieuse éducation avec le titre de Surintendant, titre qui renfermait toute l’étendue de pouvoir que M. du Maine devait avoir dans cet emploi.

Deux difficultés subsistaient. Celle relative aux droits du grand-maître était admise et M. le Duc les exercerait indépendamment du duc du Maine. Celle relative au partage du commandement était résolue en faveur du Régent, car l’intérêt de l’État exige l’unité de commandement et l’éducation du Roi n’a rien à en souffrir. D’ailleurs, « l’union si parfaite qui règne entre M. le Régent, M. le duc de Bourbon et M. le duc du Maine donnera à celui-ci les mêmes avantages pour l’éducation du Roi que s’il avait le commandement des troupes, et le concert qui subsistera toujours entre M. le duc du Maine et les officiers des troupes de la maison du Roi, sans lui donner une autorité de droit, lui procurera un pouvoir de déférence et d’affection aussi réel et aussi utile au Roi que si ce pouvoir lui eût été déféré[102]. »

 

Arrêt rendu par acclamation

Sous ce dernier sarcasme, le duc du Maine était devenu livide[103], il expliqua, qu’on ne lui laissait qu’un titre sans pouvoir, et demandait à être déchargé de tout, satisfait de la qualité de Surintendant de l’éducation du Roi. Le Régent demanda qu’on prit acte de cette déclaration et, pour lui, il se chargerait avec plaisir de la garde du jeune Louis XV. Mais l’assemblée paraissait entraînée dans un ouragan. On opinait, on votait ; le codicille était abrogé par acclamation comme l’avait été le testament. Daguesseau n’eut que le temps de placer quelques mots. Joly de Fleury fut plus disert, réclamant le loisir indispensable pour délibérer sur la déclaration du duc du Maine. Celui-ci, poussé à bout, d’un ton élevé, quoique avec mesure, déclara qu’il était fort inutile de délibérer et renouvela son désistement. Il voulait, à tout prix, être déchargé. « Hé bien, monsieur, on vous décharge, » dit une voix ; celle du duc d’Orléans[104]. Il proposa de donner cette charge à M. le Duc comme lui appartenant de droit, mais cette proposition souleva un grand murmure dans la Compagnie et le Régent, décontenancé, dit d’aller aux voix[105].

Les gens du Roi, qui s’étaient, une fois de plus, retirés pour délibérer sur le désistement du duc du Maine, rentrèrent et dirent que les questions militaires passaient leur compétence. M. Le Nain, doyen du Parlement, s’empressa d’appuyer ces conclusions. Le Premier Président objecta que ces conclusions n’en étaient pas. « Je le savais bien » répondit le doyen. Et comme M. du Maine persistait à demander acte de son désistement, le Régent l’interrogea sur ses craintes pour la sûreté du jeune Roi, qu’il comptait ne quitter guère et mener à Vincennes où il serait comme à Paris. Le duc du Maine répondit des choses vagues et réclama encore son désistement. « Messieurs, dit le Régent, il ne faut point faire de violence à Monsieur. » Et aussitôt, par une espèce d’acclamation universelle, on le désista de tout[106].

L’arrêt fut applaudi de la foule éparse hors de la Grand’Chambre, et celle qui remplissait le reste du Palais y répondit à mesure que la nouvelle lui parvint. Ce bruit apaisé, le Régent fit un remerciement court, poli, majestueux à la Compagnie, promit de faire servir son autorité au bien de l’État et reçut le compliment du Premier Président[107].

 

La protestation des ducs se renouvelle

Cette dure journée était finie. Le Régent n’osa pas manquer complètement de parole à ses amis et laissa tomber un mot pour que les protestations des ducs fussent reçues. M. de Mesme répéta ce qu’il avait dit le matin, Mais déjà, le petit Saint-Simon se dressait et criait : « Inscrit dans vos registres qu’à la considération de M. le Régent nous n’avons rien fait, car nous étions résolus et très résolus... »

— « Non, monsieur, on n’en mettra pas un mot dans nos registres, » interrompit le président de Novion.

— « Mais, mais, acte de nos protestations », criait à tue-tête Saint-Simon.

— « A qui le demandez-vous ? Est-ce à la Cour ?»

— « Oui, à la Cour !

— « Cela étant, vous la reconnaissez donc pour vos juges ?

— « Non pas ! » répliqua Saint-Simon qui ne sut que répondre[108].

« Non, non » se mirent à crier tous les ducs[109]. Le maréchal de Villars, toujours avantageux, s’empressa de dire qu’il ne doutait pas que le jugement du feu Roi ne dût être d’un grand poids dans cette affaire[110].

« Le feu Roi, dit-il, m’a dit plus de vingt fois qu’il voulait juger cette contestation et la finir. »

« Et à moi, monsieur, répliqua le Premier Président, il m’a dit plusieurs fois le contraire et qu’il ne voulait point s’en mêler[111]. »

Villars imagina à l’instant une conversation dans laquelle il disait au feu Roi qu’il était indécent de voir les ducs et pairs obligés d’attendre que le Premier Président les questionnât et tenus de se découvrir alors qu’il s’adressait à eux la tête couverte, et Louis XIV blâmait cette conduite extraordinaire et peu convenable à leur dignité.

— « A moi, monsieur, dit aussitôt M. de Mesme, le Roi m’a fait l’honneur de me dire, lorsque vous avez voulu agiter vos prétentions, qu’il fallait tâcher de vous concilier, mais qu’il ne prendrait jamais connaissance de cette affaire. »

— « Il y a deux cents ans qu’on vit de même, prononça M. le Nain, il ne faut rien changer aux anciens usages[112]. »

— « Monsieur, accommodons-nous, et n’en parlons plus » proposa le duc de Noailles[113]. Et aussitôt, quelques pairs, parmi lesquels Saint-Simon[114], dirent que l’affaire regardait le Régent. Celui-ci s’empressa de répondre qu’ils donnassent leurs mémoires et qu’il tâcherait de les accommoder[115].

— « Nous vous rendrons toujours le respect que nous vous devons, dit le président de Novion, mais vous voulez bien me permettre de vous dire que vous ne pouvez pas être juge de ce différent et qu’il n’y a que le Roi seul qui puisse, de son autorité, changer cet ancien usage[116] ; il faut attendre qu’il soit en âge[117]. »

— « Ou par le Régent représentant la personne du Roi, » ajouta Saint-Simon.

— « Le Roi seul, et majeur », conclut Novion[118].

Visiblement contrarié, le Régent se leva brusquement pour se retirer[119] suivi des princes et des ducs. Comme il traversait le parquet, on entendit une voix se plaindre que l’on n'avait pas pris tous les avis, mais décidé par acclamation sur la décharge donnée au duc du Maine. Il fallut regagner chacun sa place et le Premier Président prit les voix. L’abbé Rouret, conseiller de la première des enquêtes, et de qui la plainte entraînait cette formalité, dit :

— « Nous voyons bien à qui on ôte la garde du Roi, mais nous ne voyons pas à qui on la donne. La personne du Roi est assez précieuse pour l'assurer ».

 

Fin de la séance et de la journée

— « Je m’en charge », dit le Régent et il sortit[120], monta en carrosse et alla droit à Versailles parce qu’il était six heures du soir et qu'il voulait saluer son jeune maître avant que celui-ci fût couché, comme pour lui rendre compte de ce qui s’était passé. Son compliment achevé, il s’en alla chez sa mère qui « fut au-devant de lui l'embrasser, ravie de joie, et après les premières questions et cojouissances, elle lui dit qu'elle ne désirait rien autre chose que le bonheur de l’État par un bon et sage gouvernement, et sa gloire à lui ; qu’elle ne lui demanderait jamais rien qu’une seule chose qui n'était que pour son bien et son honneur, mais qu’elle lui en demandait sa parole précise : c’était de n'employer jamais en rien du tout, pour peu que ce fût, l’Abbé Dubois, qui était le plus grand coquin et le plus insigne fripon qu'il y eût au monde, ce dont elle avait mille preuves, qui, pour peu qu’il pût se fourrer, voudrait aller à tout, et le vendrait, lui et l’État pour son plus léger intérêt. Elle en dit bien d’autres sur son compte, et pressa tant son fils qu'elle en tira parole positive de ne l'employer jamais[121]. »

 

 

 



[1] P. Narbonne, Journal, p. 44 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 46, à Paris on sut la mort à dix heures ; Mascara à Grimaldo, 30 août, dans op. cit., t. XXVII, p. 353.

[2] Bibl. Mazarine, ms. 2346, Registre de Michel Ancel-Desgranges, maître des cérémonies, dans Saint-Simon, Mémoires, édit. de Boislisle, t. XXVII, p. 376.

[3] « En observant de mettre sous le drap un dessus de table [en marbre] pour empêcher la corruption pendant les vingt-quatre heures qu’il avait à y rester ». Desgranges, loc. cit.

[4] Anthoine, Journal, p. 75.

[5] Mascara à Grimaldo, 2 septembre, dans op. cit., t. XXVII, p. 358 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 47.

[6] Anthoine, Journal, p. 75.

[7] Registre de Desgranges, op. cit., p. 376 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 47.

[8] Registre de Desgranges, op. cit., p. 377.

[9] P. Narbonne, Journal, p. 44 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 47 ; Anthoine, Journal, p. 76.

[10] Registre de Desgranges, op. cit., p. 377 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 47.

[11] P. Narbonne, Journal, p. 44.

[12] Saint-Simon, Mémoires, édit. Charnel, Paris, 1906, t. VIII, p. 194.

[13] J. Buvat, Journal, t. I, p. 46 ; Dangeau, Journal, t. XVI, p. 137 : Le duc d’Orléans mit un genou en terre devant lui et lui baisa la main.

[14] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 137 ; Journal et Mémoires de Mathieu Marais, avocat au Parlement de Paris, sur la Régence et le règne de Louis XV (1715-1737), édit. M. de Lescure, in-8°, Paris, 1863, t. p. 177.

[15] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 187 ; Marais, Journal, t. I, p. 195.

[16] J. Buvat, Journal, t. I, p. 47.

[17] Registre de Desgranges, dans op. cit., t. XXVII, p. 377 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 47.

[18] P. Narbonne, Journal, p. 44, Paul d’Estrée, Le « Pot Pourry » de Menin. Documents inédits, dans Souvenirs et Mémoires, 1900, t. V, p. 298.

[19] P. Narbonne, Journal, p. 44 ; Marais, Journal, t. I, p. 190.

[20] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 194.

[21] Gazette de la Régence, janvier 1715-juin 1719, édit. E. de Barthélémy, in-12, Paris, 1887, p. 7 ; Marais, Journal, t. I, p. 177 ; Anthoine, Journal, lettre annexée, p. 136.

[22] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 137 et Additions de Saint-Simon, p. 162 ; Gazette de la Régence, p. 7 ; Anthoine, Journal, p. 76.

[23] Mémoires du duc d’Antin, dans Mélanges publiés par la Société des bibliophiles français, 1882, t. I, p. 124.

[24] Mémoires du maréchal de Villars, édit. de Voguë, in-8°, Paris. 1897, t. IV, p. 64.

[25] Mémoires de Villars, t. IV, p. 65.

[26] Dès le 30 août, le duc d’Orléans avait fait connaître ses prétentions au président de Mesme, voir Marais, Journal, t. I, p. 174-176.

[27] P. Narbonne, Journal, p. 44. Depuis un an, le duc d’Orléans avait eu des entretiens secrets au Palais-Royal avec le cardinal de Noailles, le président de Maisons, Daguesseau, Joly de Fleury, MM. de Fortia, Gaumont et l’abbé Pucelle qui s’introduisaient par des maisons du voisinage, voir La vie de Philippe d'Orléans, petit-fils de France, Régent du royaume pendant la minorité de Louis XV, par M. L. M. D. M. in-12. Londres, 1736, t. I, p. 121.

[28] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII. p. 196 ; E. Fyot, L’affaire du bonnet avec deux documents inédits, dans Mémoires de l’Académie de Mâcon, 1901, 3e série, t. VI. p. 211-235.

[29] Le procès-verbal d'autopsie a été publié par Chéreau, dans l’Union médicale, 1862, p. 452 ; par Corlieu, La mort des rois de France, in-12, Paris, 1873, p. 117-118 ; par A. Franklin, La vie privée d’Autrefois, Les Chirurgiens, in-12, Paris, 1893, p. 290-201 ; par de Grouchy, dans Carnet historique et littéraire, 1899, t. IV, p. 156-158 ; par de Boislisle et Lecestre, Mémoires de Saint-Simon, t. XXVII, p. 379, dans le Registre du maître des cérémonies Desgranges. Ce texte diffère de celui conservé par les Anthoine, Journal, p. 77-78, lequel est également reproduit dans l’ouvrage susdit, t. XXVII, p. 381, note 1. Desgranges a donné le texte de la plaque du cercueil de plomb, plaque retrouvée depuis et entrée au musée de Cluny, voir M. Billard, Les tombeaux des Rois sous la Terreur, in-12, Paris, 1907, n. 50, pl. : « Ici est le corps de Louis XIV par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, décédé en son château de Versailles, le 1er septembre 1715 ». (a) Sur le cercueil de chêne une autre inscription, perdue, et un peu plus longue est donnée par Anthoine, op. cit., p. 79. Desgranges, op. cit., p. 381-383 et Anthoine, op. cit., p. 79-80 ont donné les détails de l'exposition du corps dans la chambre du lit « tendue d’un des plus riches meubles qui fussent à Versailles ». Le cercueil et le cœur étaient posés sur le lit de parade. Cette « chambre du lit de parade » contiguë à la « chambre du trône »» était la deuxième après le Salon de la guerre. Marais, Journal, t. I, p. 193, raconte que le lit de parade exécuté par ordre de Mme de Montespan offrait le portrait de cette dame dans le ciel du lit.

(a). Le texte de Desgranges n'est pas tout à fait exact : le voici d’après l’original : « Ici est le Corps de Louis 14 par la grâce de Dieu Roy de France] et de Navarre très Chrestie[n] décédé en son Chasteau de Versailles le premier jour [de] Septembre 1715. Requiescat in pace. »

[30] Saint-Simon, Mémoires, 1906, t. VIII, p. 197-198.

[31] A. de Boislisle, Projet de discours pour le lit de justice du 2 septembre 1715, dans Annuaire-bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1880, p. 125-128 ; A. de Boislisle dit que les corrections sont de la main du président de Maisons ; lequel était mort depuis dix jours (voir ci-dessus, chap. 2e).

[32] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 199.

[33] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201 ; Marais, Journal, t. I, p. 183 ; P. Narbonne, Journal, p. 45.

[34] Président d’Aligre, Relation de ce qui se passa au Parlement de Paris à la mort de Louis XIV (août et septembre 1715) dans Revue rétrospective, 1836, 2e série, t. VI, p. 22.

[35] Marais, Journal, t. I, p. 183.

[36] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201 ; L. Wiesener, Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, in-8°, Paris, 1891, t. I, p. 48, note 2.

[37] Journal de ce qui s'est passé au Parlement à la mort du roi Louis XIV, dans Marais, Journal, t. I, p. 157 ; Aligre, Relation, p. 7.

[38] A six heures et demie, Anthoine, op. cit., p. 141.

[39] Marais, Journal, t. I, p. 158 ; Aligre, Relation, p. 8, et p. 10 : « M. le premier président avait écrit secrètement et en place à M. le duc d’Orléans pour l’avertir, avant son arrivée, de la délibération arrêtée ».

[40] Aligre, Relation, p. 8 ; Marais, Journal, t. I, p. 158 ; Ce qui se passa au Parlement à la mort de Louis XIV, dans J. Buvat, Journal, t. I, p. 479 : c’est le Procès-verbal des registres du Parlement. Procès-verbal qui avait été publié par Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 2 suivantes. ; voir aussi Lenglet-Dufresnoy, Mémoires de la Régence, édit. 1749, t. I, p. 145-190 ; Mercure Historique, reproduit dans Archives curieuses de l’histoire de France, par F. Danjou, 2e série, t. XII, p. 451 suivantes.

[41] J. Buvat, Journal, t. I, p. 480.

[42] Aligre, Relation, p. 8 ; Marais, Journal, t. I, p. 158-159 ; Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 199.

[43] Aligre, Relation, p. 9 ; Marais, Journal, t. I, p. 159 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 480.

[44] Aligre, Relation, p. 9 ; Marais, Journal, t. I, p. 109.

[45] Gazette de la Régence, p. 8 ; P. Narbonne, Journal, p. 45 ; Anthoine, Journal, p. 80.

[46] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 200.

[47] Marais, Journal, t. I, p. 159.

[48] Aligre, Relation, p. 10 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 481 ; Relation de ce qui s’est passé au Parlement lors de la Régence, dans Anthoine, op. cit., p. 142.

[49] Aligre, Relation, p. 10.

[50] Anthoine, Journal, p. 80 ; Gazette de la Régence, p. 8.

[51] Gazette de la Régence, p. 8.

[52] Aligre, Relation, p. 11 ; Marais, Journal, t. I, p. 159-160 ; Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 200 ; P. Chéruel, Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, in-8°, Paris, 1865, p. 90 suivantes.

[53] J. Buvat, Journal, t. I, p. 481 ; Lémontey, Histoire de la Régence, 1832, t. I, p. 34.

[54] Aligre, Relation, p. 11 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 481.

[55] Collection de Fontanieu, dans Lémontey, op. cit., t. I, p. 35.

[56] Anthoine, Journal, p. 81 ; J. Buvat, Journal, t. I, p. 481.

[57] Aligre, Relation, p. 11 ; Marais, Journal, t. I, p. 161.

[58] J. Buvat, Journal, t. I, p. 481-483.

[59] J. Buvat, Journal, t. I, p. 483-484 ; Aligre, Relation, p. 12.

[60] J. Buvat, Journal, t. I, p. 485 ; Aligre, Relation, p. 12.

[61] C’étaient MM. de Mesme, Daguesseau et Dongois.

[62] Aligre, Relation, p. 12. D’après la Relation à la suite du Journal, des Anthoine, p. 144 : « l’enveloppe s’est trouvée fort gâtée et moisie, le corps du testament fort humide ».

[63] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201.

[64] Aligre, Relation, p. 12 ; Marais, Journal, t. I, p. 161. Voici la description matérielle faite par Gilbert de Voisins, greffier en chef du Parlement : « Dans le portefeuille se trouve un acte en papier commun [c.-à-d. non timbré], compris en quatre feuilles [doubles, soit huit feuillets ou seize pages], dont le dernier feuillet n’est point écrit, ledit acte finissant au milieu de la quatorzième page, recouvert d’une cinquième feuille de papier blanc, lequel paraît avoir été enfermé de toute sa grandeur, sans être plié, en une feuille de papier cachetée de sept cachets du cachet particulier du feu Roi, sur laquelle se trouvent ces mots qui paraissent de la main du feu Roi : « Ceci est notre testament ». Et au-dessous « Louis ».

[65] C’était le père du grand-maître des cérémonies, Thomas Dreux, dont le fils ajouta à son nom celui du marquisat de Brézé.

[66] Saint Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201 ; Aligre, Relation, p. 12 ; Villars, Mémoires, t. IV, p. 73.

[67] Aligre, Relation, p. 13 ; Marais, Journal, t. I, p. 162 ; Buvat, Journal, t. I, p. 485.

[68] Gazette d'Amsterdam, n° extraordinaire du 27 septembre 1715, n° LXXVIII, Dumont, Corps diplomatique, t. VIII, part. 1ère, p. 434-438 ; ce texte a été maintes fois reproduit et avec de grandes inexactitudes. L’original étant perdu on donne ici la copie figurée par Gilbert de Voisins, exécutée après la séance du 2 septembre et conservée aux Arch. nat., carton K 137 n° 16 ; elle a été donnée dans Saint-Simon, Mémoires, édit. de Boislisle, t. XXVII, p. 359-372. Les fautes d’orthographes ne sauraient être mises au compte de Voysin, le chancelier, d'où il suit que le testament aura été transcrit par Louis XIV lui-même d’après la minute du chancelier. La date du premier codicille a beaucoup varié, on peut s’en tenir, à celle de la copie figurée : 13 avril, que confirme le procès-verbal de la séance du Parlement du 2 septembre (Arch. nat. X1A 8431, fol. 404 v°) où on lit : treizième avril. Ce codicille rédigé depuis quatre mois et demi était resté entre les mains du chancelier qui le donna au duc d’Orléans lequel l’apporta à la séance du 2 septembre dans une enveloppe cachetée. Le second codicille est daté (en chiffres) du 23 août ; nous avons dit dans les chapitres précédents qu’il fut tracé non le 23 mais le 25, « sur la quatrième page d’un codicille [celui du 13 avril] qu’il avait fait et dont les trois premières étaient remplies » (Dangeau). Le greffier remarque que l’écriture du second codicille est tremblante, les fautes abondent, il y a des mots illisibles. Or, le 25 août, le Roi venait de perdre le sens un moment, ceci, explique assez qu’il ait écrit 23 pour 25, ou bien le 3 fut si douteux que Gilbert de Voisins et de Mesme l’ont pris pour un 5. Marais, Journal, t. I, p. 162, dit que le testament tient « sept ou huit pages de la propre main du Roi et assez mal écrites ». La Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 144, dit que « le corps du testament [est] signé Louis sans être écrit de la main du Roy », et dit que le deuxième codicille est signé du 20 août.

[69] C’était le duc de Beauvilliers qui mourut quatre jours après le dépôt du testament.

[70] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201.

[71] Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 137 ; Marais, Journal, p. 162.

[72] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 201.

[73] Buvat, Journal, t. I, p. 485 ; Aligre, Relation, p. 14 ; Marais, Journal, l. I, p. 162, 179 ; Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XVI, p. 164, écrit par erreur que le « codicille avait été mis en même lieu [que le testament] après qu’il eut été fait ». Non ; il resta à la garde de Voysin qui l’exploita comme on a dit plus haut.

[74] Sur l’enveloppe du codicille on lisait : « Addition à mon testament ».

[75] D’après une note de la copie figurée de Gilbert de Voisins, avant et après ce mot, il y a un autre mot biffé dans l’original.

[76] Avant ce mot il y a deves, biffé.

[77] Ces quatre mots ont été écrits en dessous de la ligne et sous d’autres mots biffés.

[78] D’après une note de la copie, cette seconde signature est placée dans l’original sous les mots le pere le tellier et paraît avoir été destinée à en faire l’approbation.

[79] Marais, Journal, t. I, p. 180.

[80] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 202.

[81] J. Buvat, Journal, t. I, p. 486 ; Marais, Journal, t. I, p. 164 ; Aligre, Relation, p. 14-15 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 146. Il y a moins à prendre qu’à laisser dans un travail de J.-G. Barbier. Le testament de Louis XIV, dans L'Investigateur, Journal de la Société des Études historiques, 1875, t. XLI, p. 139-156. Le Journal de Narbonne dit, p. 46, que « le testament du feu Roi fut anéanti sans avoir été ouvert » et donne ce détail : « On opina. L’avis du président Boullanger et de quelques autres fut de lire le testament pour en connaître les dispositions et d’en envoyer des copies collationnées aux autres Parlements pour avoir leur opinion avant d’admettre M. le duc d’Orléans à la régence. Ces sages avis ne furent point écoutés... Le Parlement qui avait été emmiellé... »

[82] Buvat, Journal, t. I, p. 486-488 ; Marais, Journal, t. I, p. 164 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 146.

[83] Buvat, Journal, t. I, p. 488.

[84] Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 146 ; Lémontey, op. cit., t. I, p. 35.

[85] Marais, Journal, t. I, p. 164, 181. Madame, Correspondance, édit. G. Brunet, t. I, p. 188, ne tint la régence de son fils pour chose sûre et certaine qu’après le lit de justice.

[86] Buvat, Journal, t. I, p. 488-490 ; Marais, Journal, t. I, p. 164-166 ;  Aligre, Relation, p. 15-16 ; Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 202.

[87] Buvat, Journal, t. I, p. 290 ; Marais, Journal, t. I, p. 166 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 147 ; Aligre, Relation, p. 17.

[88] Marais, Journal, t. I, p. 166.

[89] Buvat, Journal, t. I, p. 490-491 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 147-148.

[90] Buvat, Journal, t. I, p. 491-493 ; Marais, Journal, t. I, p. 166-167 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 148 ; Aligre, Relation, p. 16.

[91] Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 148 ; Buvat, Journal, t. I, p. 3.

[92] Marais, Journal, t. I, p. 167 ; Buvat, Journal, t. I, p. 493-494 ; Aligre, Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 148.

[93] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 203-205 ; Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XVI, p. 164.

[94] Dans les Additions, il écrit deux fois : la première des enquêtes.

[95] Nous verrons que les gens du Roi s’y trouvèrent.

[96] Lémontey, op. cit., t. I, p. 36, note 2, renvoie à Mémoires du duc à Antin, 9 vol. in-fol. manuscrits ; il les cite plusieurs fois ensuite. En 1856, Sainte-Beuve dans son introduction aux Mémoires de Saint-Simon de l’édition Chéruel les suppose aux archives de l’État ; en 1860, dans son lundi sur les Mémoires du duc de Luynes, il ne donne plus aucun indice. En 1858, Louvet, n’en sait pas plus dans une notice sur le duc d’Antin. Ces neuf volumes in-folio nu peuvent être confondus avec le mince cahier publié sous le titre de Mémoires du duc d’Antin dans les Mélanges de la Société des bibliophiles français, Paris, 1882, t. I, cahier qui dut être écrit en 1716, et qui a disparu. H. Jouin a demandé Que sont devenus les mémoires du duc d’Antin ? dans Revue de l’art français ancien et moderne, 1884, t. I, p. 145-146, et Tamizey de Laroque sollicitait des prières pour que fussent retrouvés les mémoires du duc d’Antin, dans Revue de Gascogne, 1884, t. XXV, p. 55 ; puis en 1885, t. XXVI, p. 540, il citait le Bulletin du bibliophile, janvier-février 1885, Chronique, p. 93, contenant ces mots : « Nous avons pertinemment que ces mémoires existent et qu’ils font aujourd’hui partie de la bibliothèque de M. le duc de Mouchy. »

[97] Aligre, Relation, p. 21-22.

[98] Buvat, Journal, t. I, p. 494 ; Marais, Journal, t. I, p. 167 (à trois heures) ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 148 (à quatre heures) ; Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 206 (un peu avant quatre heures) ; Aligre, Relation (à trois heures) ; Lettre du 3 septembre dans Anthoine, op. cit., p. 140 (à quatre heures).

[99] Buvat, Journal, t. I, p. 494.

[100] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 206.

[101] Buvat, Journal, t. I, p. 494-495 ; Marais, Journal, t. I, p. 167 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 148-149.

[102] Buvat, Journal, t. I, p. 495-496 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 149 ; Aligre, Relation, p. 18.

[103] Buvat, Journal, t. I, p. 496-501.

[104] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 206.

[105] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 206-207 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 151 ; Lettre du 3 septembre, p. 139, M. Marais, Journal, t. I, p. 168-169 ; Buvat, Journal, t. I, p. 501 ; Aligre, Relation, p. 18-19.

[106] Lettre du 3 septembre, op. cit., p. 139.

[107] Marais, Journal, t. I, p. 169-170 ; 181-182.

[108] Saint-Simon, Mémoires, t. VIII, p. 207-208.

[109] Marais, Journal, t. I, p. 171 ; Aligre, Relation, p. 20 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 153.

[110] Lettre du 3 septembre 1715, à la suite du Journal des Anthoine, p. 139.

[111] Aligre, Relation, p. 20.

[112] Marais, Journal, t. I, p. 182 et p. 171 ; Aligre, Relation, p. 20-21 ; Chéruel a publié en note au t. VIII, p. 483, un passage d’un manuscrit de la bibliothèque du Louvre, F n° 401, venant de la famille de Caumartin et donnant quelques détails sur les incidents de la fin de la séance du 2 septembre.

[113] Marais, Journal, t. I, p. 171 ; Aligre, Relation, p. 20-21 ; Relation à la suite du Journal des Anthoine, p. 152.

[114] Aligre, Relation, p. 21.

[115] Relation, à la suite du Journal des Anthoine, p. 151.

[116] Lettre du 3 septembre, op. cit., p. 139 ; Marais, Journal, t. I, p. 172.

[117] Relation, à la suite du Journal des Anthoine, p. 153 ; Lettre du 3 septembre, op. cit., p. 140 ; Marais, Journal, t. I, p. 172, 183.

[118] Ms. de l’anc. bibl. du Louvre F n° 401, loc. cit.

[119] Aligre, Relation, p. 21.

[120] Aligre, Relation, p. 21.

[121] Marais, Journal, t. I, p. 172-182.