LES TROIS COUPS D'ÉTAT DE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

CHAPITRE VI. — LES PRÉLIMINAIRES DE BOULOGNE.

 

 

Raisons du prince pour entreprendre une action prochaine. Situation du pouvoir. — Le marquis de Crouy-Chanel et la Russie. — Espionnage exercé à Londres. — Lord Melbourne, Lord Palmerston et M. de Brünow. — Situation du prince. — La propagande bonapartiste. — Forestier, Mésonan, Aladenize. — M. Degeorge. — Lombard. — Le général Magnan. — Les complices inconnus. — Le plan. — Les proclamations. — M. Smith. — Les conjurés. — Les sentiments de Louis-Napoléon.

 

Plus on avance dans les études historiques, plus on est forcé de reconnaître qu'il est à peu près impossible de savoir toute la vérité sur les épisodes que l'on interroge ; malgré l'effort le plus loyal et les recherches les plus prolongées, on reste devant tant d'inconnu que l'on hésite en face des plus petites choses ; affirmer devient dangereux ; conclure paraît une folie. Il semble alors que le sentiment et la raison soient nos meilleurs guides et que sans eux il n'y ait plus rien à tenter ; l'animosité où les tiennent certains professeurs médiocres chez lesquels la lecture d'innombrables manuels a fini par éteindre toute acuité du regard n'est pas sincère ; plutôt risible, elle les discrédite, car eux aussi ne parlent, sans se l'avouer, qu'au nom d'un sentiment, mais du plus sot, celui de la mauvaise humeur qu'ils éprouvent à ne plus rien voir qu'à travers le papier noirci ; enfermés dans ce puits artificiel, ils perdent pied et ne peuvent juger ; au contraire, nous pensons qu'aussi haut que montent les feuillets de l'érudition humaine, ils sont une aide, non une fin, et gagnent toujours à se condenser. Le fait est tout — puisqu'il constitue le point initial de ce qui suit, récits, rapports ou grimoires ; le retrouver sous l'amas de ce qui l'étouffe demeure le seul moyen d'y voir clair ; cet essai dépasse le procédé qui consiste à simplement classer des fiches et à les présenter telles quelles. Je veux une base solide — mais qu'elle serve à porter la statue véridique que je désire y élever, ou, du moins, son ébauche, et non quelque masse informe, ou même de simples matériaux. Ceci pour me défendre si, au sujet de l'affaire de Boulogne, je vais encore une fois contre. le sentiment général qui voulut n'y voir qu'une folie, et si je ne puis cependant fournir une preuve absolue qu'il se trompe[1]. Nous avons déjà remarqué, au sujet de Strasbourg, les éléments divers qui y avaient participé ; nous en remarquons ici davantage ; mais, comme précédemment, nous sommes forcés d'aller à tâtons. Les documents officiels font défaut : ou bien le second Empire — qui n'aimait pas la réclame, même posthume — les a détruits, ou bien les ministères où ils dorment demeurent fermés à nos investigations[2]. Ce qui précède pour excuser aussi la méthode employée, méthode qui s'efforce de montrer à la fois le résultat de la recherche et la recherche même, de manière à ne rien avancer de neuf sans le contrôle de ce qui l'a permis et soutenu.

L'histoire est surtout difficile quand il s'agit d'un complot où l'ensemble, nécessairement, demeure jusqu'à un certain point mystérieux. Le gouvernement qu'il combat ne peut tout révéler ; les conjurés, quant à eux, gardent un silence d'autant plus grand qu'il est la condition — souvent — de leur salut et de leurs succès futurs. L'entreprise manquée paraît absurde — alors que, réussie, elle eût été trouvée admirable et que chacun eût grossi les preuves de sa justification. — Devant cette affaire de Boulogne, il convient donc de se demander quels motifs poussèrent Louis-Napoléon à l'entreprendre, quelles espérances sérieuses parurent lui faire croire qu'il y réussirait, étant donnée l'expérience qu'il avait déjà des conspirations militaires et de leurs difficultés, quel ensemble de raisons le décida. — Rappelons d'abord sa confiance en lui-même et en son avenir — que nous avons déjà étudiée —, puis indiquons les points suivants : 1° La situation de la monarchie orléaniste ; 2° L'idée que Louis-Napoléon se faisait de sa cause par rapport à la France ; 3° L'aide qu'il avait cru trouver en Russie et même en Angleterre ; 4° Ses accointances avec des officiers et des régiments ; 5° Son plan lui-même — qui semblait excellent[3].

Le moment était on ne peut mieux choisi. Le pouvoir de Louis-Philippe, aux abois, traversait une crise sérieuse[4]. A l'intérieur, sa politique mécontentait tout le monde ; les ministères se succédaient sans qu'aucun parvint à rester populaire. La fameuse coalition des premiers mois de 1839 contre le cabinet Molé avait scandalisé. Les choses en étaient arrivées à ce point que, en dehors du cercle si restreint du pays légal, un cri de rénovation politique retentissait de toutes parts ; trois ou quatre drapeaux flottaient dans l'air : les républicains arboraient celui de l'appel au peuple ; les légitimistes agitaient, toujours bruyamment et avec une sincérité équivoque, celui du vote universel ; enfin l'opposition dynastique portait la bannière de la réforme électorale et le tiers parti celui de la réforme parlementaire[5].

A l'extérieur, la gloire de notre campagne africaine[6] ne gardait que peu d'éclat à cause des complications graves que nous avions avec l'Angleterre. Il avait été prouvé que les agents britanniques faisaient soulever la Syrie[7]. Le roi s'était fâché contre son ministre, et l'on avait préparé mollement la guerre. Nous étions seuls en Europe, brutalement exclus du pacte d'alliance formé entre la Grande-Bretagne et les puissances, et nous ne tentions rien pour revendiquer notre place[8]. — Louis-Napoléon pouvait donc faire appel au sentiment national vivement froissé, profiter de la colère populaire et traverser la France au cri de : Guerre à l'Anglais ![9] Il pensait cela d'autant plus possible qu'il avait préparé l'opinion française en sa faveur, non seulement par les Idées napoléoniennes et les Lettres de Londres, mais encore par deux journaux et par ses propres partisans. Il comptait également toujours sur l'influence de son nom ; et son tort, en ce dernier point, était de croire à la force des souvenirs dans toute la France ; le peuple seul gardait la foi. La bourgeoisie avait été l'ennemie de l'empereur et la restait — moins que dans le passé ; les fonctionnaires appartenaient au pouvoir qui les payait ; les gens riches dépendaient de leurs plaisirs — et surtout de leur ennui. Les sentiments napoléoniens n'existaient que chez le peuple exclusivement, c'est-à-dire dans les rangs des multitudes déshéritées de toute vie politique, n'ayant aucune action sur les événements, ne se rencontrant nulle part sur le passage des prétendants et ne se mêlant à aucun complot des coureurs d'aventures[10]. La plupart des lecteurs des Lettres de Londres et des Idées napoléoniennes s'y étaient intéressés d'une façon platonique ; ceux qui demandaient à tenter un coup de force demeuraient rares ; ceux qui le souhaitaient ne s'y engageaient pas nécessairement pour leur propre compte ; la masse du public, intéressée, mais indécise, applaudirait comme toujours ou sifflerait — une fois l'événement accompli, enfin resterait neutre. Et cela, le prince, exilé de France depuis longtemps, ayant encore présent à l'esprit le verdict de Strasbourg, vivant, comme il le faisait, dans une idée formelle de restauration bonapartiste, ne pouvait pas s'en rendre compte. Qu'on ajoute à ces considérations les trompeuses perspectives de l'éloignement, les flatteuses assurances des partisans intéressés, les aveuglements opiniâtres de l'émigration, et l'on comprendra comment se font ces entreprises qui semblent désespérées et qui ne sont que le résultat de fausses espérances[11]. Ces fausses espérances, elles-mêmes, ne sont fausses que faute de justification ; l'essai couronné de réussite, elles devenaient légitimes ; ceci pour montrer que cette fausseté n'est pas absolument démontrable. Ici, comme à Strasbourg, le souvenir de l'île d'Elbe hantait le prince. Oubliant qu'il n'avait pas derrière lui le passé de l'empereur pour se justifier, mais comptant cependant sur ce passé pour légitimer son présent, il croyait posséder là encore une raison d'espérer.

Quant aux deux journaux qui soutenaient sa cause, ils ne portaient. eux aussi, que dans un monde restreint. — Ils avaient paru l'un et l'autre en 1839 ; c'étaient le Commerce, rédigé par MM. Mocquard et Mouquin, et le Capitole, dont le titre avait été trouvé par le prince, rédigé par MM. Ch. Durand, Paul Merruau, Pierre Bonnet et Alexandre Perrin[12]. — Le Capitole était un journal assez inattendu qui poursuivait un double but ; l'un consistait à défendre la cause bonapartiste, l'autre à raccommoder la France avec la Russie. On racontait de singulières histoires sur l'origine de ce journal dont l'apparition, au mois de juin 1839, se rattachait, disait-on, à la plus bizarre des, intrigues. Parmi les agents de toutes classes que la diplomatie russe entretenait à Paris, se trouvait un écrivain français de troisième ou quatrième ordre qui avait dirigé quelque temps un journal en Allemagne et qui, venu fréquemment de Francfort, se prétendait chargé d'une mission secrète du czar dans le but de réconcilier la France avec la Russie. A l'appui de ces assertions, il laissait entrevoir des lettres écrites par le tsar lui-même, et dont il lisait mystérieusement quelques passages[13]. Il alla trouver M. de Montalivet, ministre de l'Intérieur, afin d'obtenir de lui la permission de développer sa thèse dans le Journal des Débats et dans la Presse, mais fut éconduit. Après avoir inutilement frappé à plusieurs portes, il fit rencontre d'un autre coureur d'aventures qui se donnait aussi pour un intime confident de princes, négociant des trônes et correspondant de plusieurs côtés avec les prétendants disponibles. Il se nommait le marquis de Crouy-Chanel ou prince de Croy. Une de ses dernières spéculations consistait à obtenir l'empire du Mexique pour un des infants, frère de don Carlos. Mis en présence, nos deux aventuriers, soit qu'ils se prissent au sérieux, soit qu'ils voulussent mutuellement se duper, conclurent un traité en règle. Stipulant au nom de deux grands états, comme s'ils en étaient les seuls représentants, ils scellèrent une alliance intime entre la France et la Russie. Le marquis, parlant au nom de 32 millions de concitoyens, promit l'amitié étroite de la France à l'autocrate, à la condition que celui-ci, en retour, donnerait à la France les frontières du Rhin d'abord, puis une de ses filles, l'aînée s'il se pouvait, à un prince dont, pour une telle alliance, on ferait 'au plus tôt un empereur des Français[14]. De Russie, on reçut des promesses formelles, parait-il, parmi lesquelles celle que la frontière rhénane nous serait restituée. C'était la dot que la princesse Olga devait apporter au prince Louis-Bonaparte et le cadeau de noce que la France allait recevoir du couple impérial[15]. Le rôle de la Russie serait indéniable, bien qu'il soit difficile aujourd'hui — pour ne pas dire impossible — d'en retrouver les traces. Des lettres auraient même étaient échangées entre le prince et le tsar[16]. Il n'y a rien là d'incroyable[17]. Par le traité de Londres, lord Palmerston réglait avec la Russie, l'Autriche et la Prusse ; et nous verrons plus loin qu'il essaya d'agir en personne auprès de Louis-Napoléon. Le gouvernement de Louis-Philippe mis à l'écart, le prince pouvait en venant, déclarer avec une sorte de vraisemblance que, fort de l'appui russe, il rendrait à la France sa situation d'autrefois. C'était enlever une inquiétude à la diplomatie européenne, car la France, malgré sa neutralité, avait adopté par l'entremise de M. Thiers une attitude en apparence résolue. Un crédit de 8.120.000 francs venait d'être accordé à la marine et tout le contingent disponible était appelé sous les drapeaux. Le prince arrivait comme un dénouement heureux au milieu de cette agitation universelle et, par une alliance franco-russe, rétablissait la paix du monde. Du moins, c'est ce qu'il envisagea, et c'est dans le but de préparer l'esprit public à cet événement que fut fondé le Capitole. — Comment ne pas croire aux ouvertures du marquis de Crouy-Chanel, étant donné qu'il montrait des lettres du czar lui-même ? Pour qui connaît la diplomatie du pays moscovite, ses nombreuses intrigues et ses ténébreuses menées, il ne paraîtra pas surprenant qu'on accordât quelques encouragements à une ouverture même extravagante, pourvu qu'elle pût amener des complications inattendues. Il est d'ailleurs si facile à un prince absolu de désavouer d'obscurs agents qu'il ne risque pas beaucoup à les pousser en avant. Quoi qu'il en soit, l'agent de la Russie montra bientôt les réponses reçues de Saint-Pétersbourg contenant le consentement au mariage projeté et l'engagement de livrer à la France les frontières du Rhin[18]. Sans être absolument sùr, le prince pouvait difficilement penser qu'il n'y avait dans tout ceci qu'une invention ; en cas d'insuccès, il se doutait bien d'être désavoué, mais, dans le cas contraire, il possédait un appui de premier ordre auprès des cours européennes et de la France. — Il y a là peut-être, quelque chose de sérieux, malgré la guerre de Crimée, qui fut une crise passagère. L'entente pécha par son intermédiaire. Comme beaucoup de gens de son espèce, Croup-Chanel était prèt à faire volte-face selon le besoin, car il semble que l'intérêt ait été son principal guide ; et il n'y manqua pas. Il finit par tout révéler à la police française et livra ou, plutôt, laissa saisir chez lui des pièces importantes de la correspondance du prince et de celle de l'autocrate. Parmi les papiers, on trouva une sorte de journal où étaient indiqués comme dans une exposition de théâtre, les faits qu'il était besoin de reconnaître pour réunir tous les fils du complot bonapartiste. Les lettres dont on n'avait point les originaux étaient copiées ; rien n'y manquait. L'arrestation du marquis motiva celles de quelques autres personnes. Celui-ci, un beau jour, s'échappa de prison et son évasion redoubla dans l'opinion les soupçons d'une complicité quelconque du prévenu avec la police de Paris, soupçons qui durent diminuer quant on le vit reprendre sa chaîne[19]. Le gouvernement de Louis-Philippe aurait fait de grands efforts pour obtenir les originaux des lettres entre Louis-Napoléon et l'empereur russe il les trouva enfin quand il mit la main sur l'Edimburgh-Castle[20]. Quoi qu'il en soit du sort de ces papiers, le rôle qu'a joué la Russie dans cette affaire n'a été à Paris un secret pour aucun des hommes qui, de près ou de loin, s'occupent d'affaires publiques. Que l'empereur Nicolas ait risqué un jeu sérieux et promis sans arrière-pensée au prince Louis la princesse Olga qui, depuis, a dû être fiancée à divers princes allemands, et, en dernier lieu, au prince régnant de Nassau, ou qu'il ait eu dès l'origine l'intention de mystifier le crédule héros de Strasbourg, tout en tentant un coup sur l'opinion publique en France, c'est ce qui n'est pas certain. Mais sa mauvaise volonté pour la dynastie d'Orléans n'en reste pas moins incontestable et sa correspondance contient à ce sujet mille preuves des dispositions de son esprit[21]. Il y a donc eu là réel ou non, néfaste puisqu'il n'aboutit à rien, un facteur capable de déclencher la décision du prince. Quant au marquis de Crouy-Chanel, il figure le premier de ces étranges personnages que l'histoire du second Empire présente en abondance. Il était réellement prince ; né à Rome en 1793, il descendait, affirmait-il, des rois de Hongrie, et, en 1814, avait fait partie de la maison militaire de Louis XVIII, ce qui ne l'avait pas empêché de prendre part à la révolution de Juillet. Puis, mis tin peu de côté par la France, il avait revendiqué la couronne hongroise[22]. Il suivait ainsi une ligne de conduite qui ne se démentait guère et au cours de laquelle il se montrait surtout occupé de lui-même. Louis-Napoléon le prit à son service comme agent et lui versa 140.000 francs.

Leurs relations durèrent trois mois, de juin à octobre 1839. — interrogé par le chancelier Pasquier, Crouy-Chanel avoua depuis, novembre, un voyage à Londres, mais prétendit n'y avoir point rencontré le prince. C'est en Suisse que le fils de la reine Hortense le connut pour la première fois ; l'aventurier était venu lui proposer la création d'un journal. Ce projet avait abouti, à travers les sentiers bizarres que nous venons de parcourir, au Capitole. — Il est évident, quand on récapitule tout ce qui précède, que Crouy-Chanel eut une certaine importance dans la préparation de l'affaire. Il en aurait été encore l'instigateur. L'année dernière, on a parlé d'un projet de Napoléon-Louis qui consistait à s'emparer de Louis-Philippe et de toute sa famille pendant le séjour qu'ils font chaque année à Eu. Le plan de cette entreprise avait été, dit-on, tracé par M. de Crouy-Chanel qui se rendit à Londres pour le proposer au prétendant. Il passionna l'imagination de ce jeune homme qui offrit à l'instant même à M. de Crouy-Chanel les moyens matériels nécessaires pour le mettre à exécution. M. de Crouy-Chanel aurait demandé pour cela une somme de 25.000 francs et cette somme lui aurait été comptée. Cet argent une fois en poche, il revint à Paris et sa visite fut pour le préfet de police auquel il livra moyennant 100.000 francs toutes les indications qu'il possédait. Cette histoire à laquelle les journaux donnèrent une grande publicité a été démentie récemment par M. de Crouy-Chanel qui l'a qualifiée de calomnie[23]. De ce fait, l'aventurier serait, en plus, agent provocateur, soit qu'il ait agi de lui-même pour augmenter sa fortune, soit qu'il ait été chargé en secret par le gouvernement d'entraîner le prince dans une entreprise qui le rendît en même temps ridicule et prisonnier. Il est certain que Louis-Philippe redoutait beaucoup Louis-Napoléon et entretenait à Londres un espionnage suivi, nombreux et fort cher. On a même dit qu'il avait, par des agents secrets, provoqué l'entreprise[24]. On a raconté que le roi, se plaignant à Thiers de ce qu'on n'exerçât pas une surveillance assez active à l'égard d'un prince ingrat qui le fatiguait par ses incessantes manœuvres, le ministre répondit qu'il lui serait facile de dissiper de pareilles inquiétudes en donnant plus d'activité aux manœuvres dont il se plaignait et que le prince viendrait promptement se livrer de lui-même. M. Thiers, ajoute-t-on, aurait été pris au mot et le prince, promptement circonvenu par le zèle d'officieux intermédiaires, aurait conçu de nouvelles espérances et rêvé de plus notables complices. Ainsi se trouverait peut-être expliquée la proclamation au peuple français qui nommait M. Thiers président du gouvernement provisoire[25]. Quoi qu'il en soit, il est constant que le cabinet des Tuileries était complètement au courant de ce qui se passait à Londres, suivait, peut-être, les préparatifs, les dirigeant même, et recevait de continuelles instructions sur toutes les démarches, sur toutes les actions du prétendant, jour par jour, heure par heure.

Il existait dans les cartons du ministère de l'Intérieur, nous ne -savons s'ils existent encore, des rapports écrits de la main d'un copiste exercé, contenant les détails les plus circonstanciés sur tous les mouvements du prince, intérieurs et extérieurs : Il s'est levé à telle heure, est sorti à telle heure, est allé dans telle maison, est rentré, est ressorti, etc., etc., tous renseignements qui indiquaient des relations très intimes et non interrompues. De son côté, l'ambassadeur français à Londres recevait des informations exactes et détaillées sans même se donner la peine de les chercher. Comme de Paris on lui écrivait de ne pas épargner l'argent pour se tenir au courant du complot, il répondit : Je n'ai pas besoin d'argent, les révélations viennent me trouver[26].

Il est difficile — jusqu'à l'apparition d'une preuve que l'avenir apportera peut-être — de connaître le rôle exact de Croup-Chanel ; il est également difficile de savoir si Louis-Napoléon y prit garde autant qu'il le parait. Interrogé à ce sujet devant la Chambre des pairs, il n'a eu aucune influence sur mes projets, déclara-t-il, parce que j'avais très peu de confiance en son jugement[27]. Ceci n'est peut-être pas seulement une défense ; nous observons que les rapports du prince et de l'aventurier sont courts ; ce qui nous amène à penser qu'après s'en être enthousiasmé, le fils de Louis s'en méfia, puis, averti par de fortes demandes d'argent et par son entourage, qui détestait Crouy-Chanel, rompit avec lui ; de son côté, Crouy-Chanel avait tout fait pour mettre le prince en défiance de ses amis et le priait de lui garder l'incognito vis-à-vis d'eux[28]. Mais, dans un esprit aussi plein de confiance en soi que celui de Louis-Napoléon, le souvenir des papiers russes est resté ; malgré tout, il s'est demandé si les ouvertures du tsar n'étaient pas réelles, si elles ne lui fournissaient pas une sorte d'indication précieuse. Il juge Crouy-Chanel à sa valeur — qui n'est pas honorable, mais ne trouve pas étonnant qu'il ait en main des signatures de l'autocrate et voit dans celles-ci un encouragement à ce qu'il médite ; et si cet espoir ne subsiste pas en entier, l'aventurier parti, néanmoins, il en reste quelque chose. Quant au négociateur, il est également admissible qu'il agit pour lui-même, pour le compte du gouvernement français ou pour celui du prince, réservant son dévouement définitif au victorieux, quel qu'il fût. Son rôle s'explique alors assez bien. Flairant une affaire, il va trouver le prétendant avec les lettres venues entre ses mains — ou qu'il invente, mais il est plus probable qu'elles existèrent, — puis il amorce l'aventure. Son client prêt, il revient en France et renseigne sur ses plans. Sa fuite de prison, le retour qu'il y fait, l'opinion publique menaçant de l'exécuter, et sa fuite nouvelle révèlent des connivences gouvernementales et des protections uniques. Peut-être est-il, enfin, d'une bonne foi momentanée, espérant réellement dans un avenir bonapartiste ; mis de côté ensuite, furieux et à court, il se retourne vers la monarchie de Juillet ; toutefois ce second rôle paraît moins croyable que le premier. — Quant aux pressions du pouvoir auprès de l'exilé pour lui faire jouer une partie perdue d'avance, elles présentent certains garants de vraisemblance au premier abord, puis les perdent[29]. Il est normal que le gouvernement, grâce à ses agents, fut averti que son adversaire viendrait en France, mais il ne semble pas qu'il ait su la date définitive de l'algarade et le point où elle devait aboutir ; s'il y avait eu guet-apens, même disséminées, des troupes auraient été prêtes dans les environs ; les précautions prises dès la capture de Louis-Bonaparte achèvent de prouver qu'il n'était pas attendu[30]. Louis-Philippe avait-il tant d'intérêt à ce qu'il revînt ? Dans ce cas, il serait possible que le gouvernement, craignant quelque éclat à l'arrivée des cendres de Napoléon, eût fa it tousses efforts pour attirer en France Napoléon-Louis afin de s'assurer de sa personne en temps opportun et de paralyser l'énergie de ses partisans[31]. Cela n'est pas dans les façons d'agir de Louis-Philippe, ni de ses ministres. Le faire fusiller était bien difficile et gros de conséquences ; il faut être ou très fort ou très faible pour se permettre pareille fantaisie, et le gouvernement se maintenait entre ces deux extrêmes[32] ; l'enfermer était installer en France un principe vivant de protestation. Il est difficile de penser que le roi ait pu s'efforcer vers cette faute de gaieté de cœur ; notre sentiment personnel est qu'il ne la commit pas ; mais, si on l'admet, c'est un facteur de plus pour, sinon justifier l'affaire de Boulogne, du moins établir que tout concourut à y entraîner Louis-Napoléon. Quant à Crouy-Chanel, quoi qu'il en soit de lui, son influence composite a existé — au moins pendant un mois. Celle du tsar Nicolas — vraie ou fausse — exista également et en dehors même de celui qui s'en disait l'agent et l'était peut-être — par celle qu'essaya d'exercer de son côté l'Angleterre, alliée avec la Russie, par l'entremise de lord Melbourne et de lord Palmerston[33]. De nouveaux motifs pouvaient encourager Louis Bonaparte et lui faire précipiter sa tentative. Depuis que le ministère anglais avait follement défié la France, des avances détournées, des politesses ouvertes avaient été faites au prince exilé ; jusque-là fort dédaigné des hommes officiels, il s'était vu publiquement recherché et presque courtisé. Lord Melbourne l'avait reçu en audience, lord Palmerston était allé en secret lui rendre visite. Lord Palmerston, ennemi particulier de Louis-Philippe, devait sans doute avoir quelque satisfaction à lui créer de nouveaux embarras en détachant des rives britanniques un prétendant audacieux. Peut-être même laissa-t-il entrevoir à celui-ci quelques vagues promesses qui pouvaient facilement être prises pour des engagements. On assurait dans le monde diplomatique que M. de Brünow avait aussi fait sa visite d'encouragement. Il n'en fallait pas tant pour ajouter aux illusions d'un prince pressé d'en finir et confiant dans le succès. Ce n'est pas, assurément, que le ministre anglais ou l'ambassadeur moscovite crussent sérieusement à une restauration napoléonienne ; mais une descente improvisée pouvait distraire les esprits de la grave question d'Orient, détourner les colères de Louis-Philippe et affaiblir son gouvernement par de nouvelles inquiétudes. Louis Bonaparte, sans s'en douter, servait d'instrument à des roueries diplomatiques, et les hommes d'État dont il croyait avoir l'appui, ne l'attiraient à eux que pour le pousser en avant comme la sentinelle perdue de la coalition[34]. Dans ce cas, Louis-Napoléon aurait préludé au rôle que devaient lui faire jouer en Europe Cavour et Bismarck[35]. Prisonnier d'une formule politique trop générale et surtout trop généreuse, regardant loin par-dessus l'époque même où il vivait, il ne savait pas voir qu'il n'y a en ce monde de certain que l'hypocrisie et l'intérêt... Ici, encore, il semble qu'on ait été un peu vite pour porter ce jugement. Certes, la politique de l'Angleterre et de la Russie était de créer des complications nouvelles à Louis-Philippe, mais croit-on que le prince au milieu d'elles n'ait pas poursuivi ses vues ? Nous avons noté ce qui était resté dans son esprit après les tentatives de Crouy-Chanel, il en fut de même après celles de lord Melbourne et de lord Palmerston. Parce que Louis-Napoléon n'a pas réussi, il parait absurde de dire qu'il aurait pu réussir, cependant le succès figurait une éventualité possible ; dans ce cas, en admettant qu'il n'y ait eu que ruse de la part de l'Angleterre et du tsar, leur situation devenait assez difficile, et ces deux États étaient forcés, au moins momentanément, de reconnaître l'Empire. Ce moment était tout ce qu'il fallait au prince pour se retourner. Ne l'eussent-ils pas fait, le prince avait beau jeu de jeter la France contre l'Angleterre qu'elle haïssait avec violence ; aucune guerre n'aurait même pu le rendre plus populaire. Si Louis-Napoléon avait donc réussi, puis réalisé cette lutte contre la Grande-Bretagne, on eût admiré sa maîtrise à jouer les nobles lords d'outre-Manche. On répliquera que ceux-ci savaient pertinemment que l'entreprise échouerait. — Aucun homme ne peut être assez sûr pour décréter d'avance qu'une entreprise de ce genre-là devait nécessairement, inévitablement avorter ; et nous allons constater qu'elle possédait, au moins en tant que préparation, plus de moyens sur lesquels elle avait droit de compter qu'à Strasbourg pif nous lui en avons reconnu pourtant un certain nombre. Non, le prince prit bonne note des déclarations russes et anglaises et y vit un double gage d'abord d'avenir, ensuite d'espoir ; et ce fut tout. Sa plus grande, sa véritable erreur fut de ne pas croire à l'indifférence française[36]. Or, il se trouve que, d'après les rapports de ses agents, d'après les engagements que ceux-ci avaient recrutés, il ne pouvait pas y croire[37]. — L'exil est terrible quand il dure parce qu'il empêche de prendre directement conscience des choses ; chaque année dont il s'augmente ajoute à la défaite de celui qui s'y résigne et, peu à peu, s'y engourdit. La prison est mille fois préférable, car le premier devoir d'un prétendant est d'agir coûte que coûte. Ham le prouva. L'homme qui en sortit ne ressemblait pas à celui qui y était rentré ; il y avait entre eux la distance d'un élève ès sciences politiques à un homme d'état véritable.

L'énergie des partisans napoléoniens était tenace. Après Strasbourg, elle avait persévéré. Depuis longtemps siégeait à Paris une commission bonapartiste travaillant au retour du système impérial. Un maréchal de France était le président de cette commission et l'un de ses membres les plus actifs était un député, connu par ses succès de tribune... Le gouvernement était sur la trace de correspondances importantes entre ses agents et les garnisons des villes les plus fortes de France. Napoléon-Louis avait reçu l'avis que beaucoup de régiments étaient prêts à se déclarer pour lui : il n'y avait qu'à se présenter et, par un coup d'éclat, il réunirait autour de lui tous les admirateurs du génie de l'empereur. On ne saurait dire si ces renseignements étaient exacts et s'ils n'étaient pas un moyen habilement ménagé pour attirer le prétendant en France. Toutefois, il est probable, ajoute la feuille anglaise à laquelle nous empruntons ces détails, que si tous les documents étaient publiés, on ne qualifierait pas Napoléon-Louis d'insensé. Il s'est trompé sur la question d'opportunité et voilà tout, disait un de ses partisans[38]. En ce cas, l'entreprise aurait été surtout prématurée et le prince, traqué par la police, se sentant brûlé, agit de peur d'être empêché d'agir.

Deux clubs étaient chargés de recruter des adhérents dans les hautes classes de la société, l'un composé de femmes, le Club des Cotillons où opéraient, entre autres, Mmes Salvage de Faverolles, Regnault de Saint-Jean-d'Angély, de Quérelles e t Gordon, l'autre composé d'hommes, les Culottes de peau, où se faisaient remarquer le général de Montholon, Vaudoncourt, Laborde, Bouffet de Montauban, Voisin, Dumoulin, le général Piat, Larrey[39]. Mme Gordon surtout continuait de se montrer zélée ; elle demeurait 108, rue Neuve-des-Mathurins et reçut plus d'une fois la visite de la police[40]. Vaudrey qui habite également Paris, par intervalles, l'aidait de son mieux ; il servait d'intermédiaire entre Londres et la capitale[41]. — Il est à remarquer que la plupart des hommes qui avaient pris part à l'affaire de Strasbourg étaient demeurés fidèles au prince. S'il n'y avait eu en lui qu'un prétendant ordinaire, ils ne l'eussent vraisemblablement pas fait, — en admettant qu'ils se soient déjà laissés engager par mégarde dans une première aventure ; et ces hommes ne sont pas tous des jeunes gens. De même, si la cause demeurait désespérée, — et l'avenir se chargea de prouver le contraire, — ils ne l'auraient pas servie avec un tel esprit de suite. C'étaient de véritables croyants ; le prince leur avait fait partager, à un point rare dans une époque aussi molle et dispersée que la leur, sa foi en lui-même. — Ici, les trois qui se montrèrent les plus actifs sont Le Duff de Mésonan, le lieutenant Aladenize et M. Forestier.

Forestier, simple commis négociant, s'était mis en rapport en 1839 avec Persigny[42]. Un de ses premiers services fut de procurer à ce dernier un passeport pour Londres, puis il se fit à Paris embaucheur plein de zèle et distributeur infatigable des brochures bonapartistes, les faisant pénétrer dans les ateliers, dans les casernes, dans les cabarets, échauffant les vieux souvenirs et réunissant autour de lui d'anciens militaires trop heureux de contribuer à refaire l'Empire. Chargé d'une foule de détails, il se montrait propre à tout et ne négligeait aucun des préparatifs confiés à son zèle[43]. C'est ainsi qu'il fit distribuer dans les casernes d'innombrables exemplaires des Lettres de Londres. — Il était nécessaire de posséder une recrue pareille, car il ne semble pas que les sociétés secrètes aient donné cette fois pour Boulogne comme pour Strasbourg[44]. Elles étaient maintenant nettement républicaines et, Louis-Napoléon, tout en restant démocrate, ne cachait pas qu'il voulait l'Empire ; son éloignement empêchait enfin de croire en lui comme par le passé. Gêné, froissé par l'exagération de certains radicaux qui réclamaient des réformes folles, il ne pouvait s'en montrer solidaire. Il le tenta par la suite ; pour le moment, il pensait être à même de réussir sans eux, comptant surtout à tort d'ailleurs, sur l'armée qui jamais n'a fait en réalité de coup d'état, même pas le dix-huit brumaire. Il avait essayé de s'entendre avec les libéraux, et plus d'une fois, mais sans succès ; ses ouvertures avaient été mal accueillies. Disposés à utiliser son concours pour attaquer le gouvernement royal, ils ne se résignaient pas à lui servir de marchepied pour son ambition personnelle. Ils s'en étaient déjà formellement expliqués avec des intermédiaires lorsque, au mois de juin, de nouvelles instances furent faites auprès des rédacteurs du National. Ceux-ci, sans beaucoup compter sur l'alliance qui leur était offerte, voulurent toutefois avoir une solution définitive, soit pour obtenir un concours sérieux, soit pour mettre un terme à des pourparlers sans portée. M. Degeorge, rédacteur en chef du Progrès du Pas-de-Calais, se trouvant alors à Paris, reçut mission des rédacteurs du National de se rendre auprès du prince pour obtenir de lui des explications catégoriques sur ses intentions ultérieures. — La conférence eut lieu à Londres dans une maison tierce et dura plusieurs heures. Louis Bonaparte commença par déclarer sa ferme résolution de recommencer la tentative qui avait échoué à Strasbourg ; il voulait, disait-il, en renversant Louis-Philippe, mettre la France en mesure de choisir la forme de gouvernement qui conviendrait à la majorité du pays. Quant à son système personnel, il ne dissimulait pas ses dispositions en faveur du rétablissement de l'Empire, repoussant avec force toute idée de république comme incompatible avec l'esprit français. Il développa longuement ses théories sur le système intérieur applicable au pays. Ce n'était qu'une contrefaçon des institutions impériales. Il ne cacha pas les espérances qu'il avait de voir l'empereur de Russie accepter volontiers pour chef de la monarchie en France un membre de la famille de Napoléon, donnant par cet aveu de l'authenticité aux connivences qu'on lui supposait avec la diplomatie moscovite. M. Degeorge vit facilement que les républicains avaient toute raison de se méfier d'un prince beaucoup plus soucieux de ses avantages personnels que des intérêts généraux de la nation. Il lui répondit que les traditions impériales ne pouvaient s'accorder avec les doctrines démocratiques et rendaient toute alliance impossible. On voulait bien accepter son nom comme un appui à la cause populaire, nullement comme un drapeau de restauration impériale ; comme un moyen, non comme un but. — Les deux interlocuteurs, comme on le voit, s'expliquaient avec franchise, l'un occupé de ses propres droits, l'autre des droits populaires. Enfin, le prince ne voulant rien céder de ses prétentions, M. Degeorge termina la conversation en lui disant : Puisqu'il en est ainsi, nous vous recevrons à coups de fusil. Toute la conversation, du reste, se tint de sang-froid, avec une grande convenance de part et d'autre, et, même après la déclaration énergique de M. Degeorge, le prince lui serra affectueusement la main au moment de la séparation, en exprimant ses regrets de n'avoir pu s'entendre avec les démocrates. Ceux-ci, bien avertis, renoncèrent à toute alliance avec un prince qu'ils n'avaient aucune raison de préférer comme monarque à Louis-Philippe[45]. Cependant, on peut se demander si une partie des libéraux, la moins avancée, ne pensait pas au prince. Des premières relations tout, peut-être, n'avait pas été rompu[46].

Le Duff de Mésonan fut choisi pour agir auprès des officiers supérieurs. Chef d'escadron d'état-major, mis à la retraite en 1838, il en voulait au gouvernement. Dès son départ, il protesta dans les journaux, et le prince, attentif à tout, lui avait envoyé une lettre de condoléance[47]. On prétend que ce fut lui qui, dans la suite, aurait indiqué à Louis-Napoléon, comme pouvant être amené à servir sa cause, le général Magnan, qu'il avait connu à Brest en 1829 et avec lequel il était resté en rapports amicaux[48]. — Cela tombait à merveille. Louis-Napoléon avait d'abord choisi Lille pour descendre en France et Magnan y dirigeait le commandement militaire. Magnan présentait des côtés propices. Entré au service sous l'Empire comme simple soldat, il avait gagné ses premiers grades à côté, des aigles ; il conservait, assurait-on, un profond souvenir de l'empereur, et se montrait, d'autre part, amoureux à l'excès de l'avancement rapide[49]. Il fut décidé que Mésonan irait le plus tôt possible trouver le général. Par la même occasion, le prince chargeait un autre de ses agents, Lombard, d'aller aussi à Lille où il connaissait un grand nombre d'officiers afin de tâter le terrain[50]. Par cette double action, le prétendant espérait s'acquérir la garnison. — C'était la même tactique qu'en Alsace.

Lombard, à peine arrivé à Lille, renoua vite avec ses anciens amis. Étant donné sa part dans la tentative de Strasbourg, il fallait, pour qu'on fréquenta encore avec lui, que cette affaire eût une certaine popularité ou fût oubliée ; or il est peu vraisemblable que des militaires oublient, à aussi peu de distance, une entreprise pareille ; s'ils l'avaient entièrement condamnée, leur accueil envers Lombard eût été froid, quoique poli ; il fut au contraire très chaud et partout[51]. Lombard prit la plupart de ses repas à la pension des officiers[52] et profita de l'intimité qui s'était mime établie pour se faire conduire sur les remparts de la citadelle et se rendre compte des lieux. De pareilles promenades, réitérées, finirent par attirer l'attention de quelques personnes soupçonneuses, puis celle de Magnan. Le général réunit les officiers qui lui avaient été dénoncés et leur adressa de sévères remontrances. La chose fit tant de bruit que le préfet s'en mêla et prévint le pouvoir. Magnan dut faire un rapport au ministre de la Guerre, car il n'apparaît pas qu'il le fit spontanément de lui-même[53]. Qui sait, sans l'intervention du préfet, s'il n'eût pas fermé les yeux, attendant les événements[54] ? Il est à remarquer qu'il ne parla qu'une fois mis en demeure et qu'il n'avait pas prévenu du Marne adressé par lui à certains de ses officiers. Le roi, dans ces circonstances, manœuvra au mieux de ses intérêts ; se réservant d'agir en sous-main, et sous un autre prétexte, il couvrit les officiers de son indulgence[55]. Le prince, loin de se tenir pour battu, dépêcha Parquin auprès de Lombard afin de l'aider et de renouveler son zèle, au cas qu'il faiblît. Parquin était également d'un choix judicieux ; il connaissait, lui aussi, plusieurs officiers de la garnison ; l'armée l'aimait pour sa bravoure autant qu'elle lui portait d'estime pour ses qualités militaires[56]. Le rôle essentiel restait toutefois dévolu à Mésonan.

Sa première visite au général réussit ; il fut invité à dîner[57]. A ce dîner, il fit connaissance avec le préfet départemental, le vicomte de Saint-Aignan, et quelques officiers supérieurs, dont le lieutenant Corbineau[58]. Il était un peu tôt encore pour démasquer ses batteries et Mésonan garda le silence ; à l'Attitude du général, il reconnaissait que sa présence semblait naturelle. Il en profita pour s'établir davantage dans l'intimité de son hôte et y parvint ; il est inadmissible, toutefois, que Magnan ait ignoré les griefs de son nouvel ami envers la monarchie de Juillet. Prié de nouveau à dîner, il augmenta les forces de sa position et, jugeant le moment opportun, décida de tout oser dès le lendemain. — C'était le 17 juin[59]. Il amena peu à peu la causerie au point où il la voulait puis tira de sa poche une lettre de Louis-Napoléon et la lut[60]. Elle était ainsi conçue : Mon cher commandant, il est important que vous voyiez de suite le général en question ; vous savez que c'est un homme d'exécution et que j'ai noté comme devant être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100.000 francs de ma part et 300.000 francs que je déposerai chez un banquier à son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement[61]. Cette lettre est significative. Elle montre chez le prince une confiance et une témérité sans égales, certainement exagérées si rien ne les soutient, en même temps qu'un doigté trop lourd. Il fallait faire comprendre les choses à demi-mot ; le général n'était pas suffisamment préparé ; la proposition arrivait comme un coup de massue, elle était blessante ; elle était même absurde, à en juger par la surprise de celui qui la recevait. Mais tout cela, précisément, est si extraordinaire, si maladroit, qu'on se prend à clouter. Les véritables paroles par lesquelles le général repoussa l'offre de Mésonan sont-elles bien celles qu'il s'attribue ? Car c'est lui, et lui seul, qui rapporte son propre langage, sans qu'il soit possible d'en contrôler l'exactitude. Sous l'histoire officielle, n'y aurait-il pas une autre histoire, inconnue[62] ? Il est permis de se demander si Mésonan, homme de cinquante-quatre ans, aurait agi avec une telle légèreté. On soupçonne qu'il avait acquis peu à peu des motifs pour le faire, sinon des gages ; on devine même que la lettre du prince n'était que le résultat de certaines assurances ; elle établissait aux yeux du commandant militaire la preuve indéniable de la bienveillance napoléonienne et la réalité de la mission dont l'ancien chef d'escadron se disait investi. Il paraît enfin inadmissible que le général ait reçu Mésonan sur le pied où il le reçut s'il n'avait eu quelque arrière-pensée, serait-ce seulement celle de savoir à quoi s'en tenir sur son hôte ; et nous voyons dans son peu d'empressement à prévenir le pouvoir que cette curiosité, loin de répondre à un zèle spécial pour le prince, dérivait plutôt d'un espoir personnel. — Le rôle de Magnan est encore plus étrange que celui de Voirol à Strasbourg.

Voici les paroles indignées que le général déclare avoir tenues, quand il est interrogé par la Chambre des pairs et, en écoutant le témoin, on ne peut s'empêcher d'admirer l'exactitude de sa mémoire, son adresse, puis la grande éloquence avec laquelle il parle à un ami. — Il répond à Mésonan : Commandant ! à moi ! à moi ! une pareille lettre ! Je croyais vous avoir inspiré plus d'estime ! Jamais je n'ai trahi mes serments, jamais je ne les trahirai... Mais vous êtes fou ! Mon attachement, mon respect pour la mémoire de l'empereur ne me feront jamais trahir mes serments au roi... Vous êtes fou de me mettre du parti du neveu... C'est un parti ridicule et perdu... — Il changera d'avis en 1850 — Quand je serais assez lâche, assez misérable pour accepter les 400.000 francs du prince, — Magnan en acceptera davantage plus tard, lorsque le succès du prince lui aura permis la bienveillance —... je les lui volerais, car le dernier des caporaux me mettrait la main au collet... Je devrais vous faire arrêter — Pourquoi ne le fait-il point ? — Mais il est indigne de moi de dénoncer l'homme que j'ai reçu à ma table — traduction libre : on ne sait pas ce qui peut arriver —... Sauvez-vous ![63]... — Je m'en lave les mains ; de la sorte je ménage tout, moi d'abord, vous ensuite, le prince après et, tout en n'engageant pas non plus l'avenir, je fais mon devoir. — Il ne manque à cette belle envolée que l'épisode du détachement et, comme Mésonan insiste, expliquant au général qu'il refuse une belle occasion de faire son avenir, Magnan s'écrie : La fortune à ce prix, je n'en veux pas ! Commandant Mésonan, pour Dieu ! par attachement pour moi, renoncez à vos projets ; je n'en dirai rien à personne[64]. Le général qui sait plaisanter s'écrie finalement, en poussant son interlocuteur dehors : Allez vous faire pendre ailleurs ![65] Il est à noter ici que le général, après avoir donné à Mésonan l'assurance qu'il ne dirait rien, raconta tout à un officier, le commandant Cabour[66], un mois plus tard, et, mis en demeure de parler, chargea le préfet, qui savait à quoi s'en tenir, d'avertir le ministre de l'Intérieur.

Mésonan, qui n'avait été se faire pendre ailleurs que momentanément, revint à Lille en juillet et n'hésita pas à se représenter devant le général pour tenter auprès de lui un dernier essai[67], ce qui semblerait bien prouver que l'attitude de celui-ci n'aurait pas été aussi terrible, ni aussi indignée qu'il l'a faite complaisamment dans ses dépositions[68]. — Interrogé par les pairs, Mésonan, à moins d'un manque d'honneur que sa tenue correcte démontre improbable, ne peut révéler ses conversations avec le général. A quoi bon perdre à jamais celui qui s'était montré un allié ? L'avenir demeure, qui peut permettre d'utiliser encore malgré lui-même un pareil partisan. Cependant, accusé, il est contraint de se défendre, surtout que Magnan, quant à lui, le charge sans aucune générosité. Aussi, très modérément, en présence même de son ancien ami avec lequel on le confronte, Mésonan déclare qu'il a causé longtemps politique avec le général ; que celui-ci lui a ouvert un cœur qui était froissé par quelques promotions, qu'il s'est même exprimé à ce sujet avec beaucoup de chaleur, que lui, Mésonan n'a fait aucune ouverture de la part du prince, qu'il a pu faire voir au général plusieurs lettres de celui-ci, mais que ces lettres ne contenaient rien de pareil aux offres dont on a parlé[69]. Le prince ne se souvient pas davantage, au moment de son interrogatoire, d'avoir écrit cette lettre[70]. — Je pense qu'il l'écrivit[71], mais lui et. Mésonan ne peuvent alors que nier ; ce qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre le droit de dire, c'est que Magnan, par ses confidences et ses aveux, ses promesses et ses réticences, ses plaintes contre le pouvoir, enfin par ses indécisions prolongées, avait autorisé l'offre qui lui fut faite. C'est pour s'être senti tellement compromis déjà que, la seconde fois où Mésonan vint le voir, il ne le fit pas arrêter davantage. Vous êtes fou, partez[72], lui aurait-il dit encore. Et il se contente de le signaler à nouveau, quelque temps après, au procureur royal comme agent du prince Bonaparte. — Oui, Magnan était, à ce moment-là engagé, peut-être contre sa volonté, grâce à l'adresse de son interlocuteur. Mésonan, quant à lui, voyagea en liberté dans les villes militaires des environs. Il agit efficacement à Dunkerque. Mais toute cette partie de sa propagande reste ignorée. Les seules négociations de Mésonan qui nous soient connues sont celles dont le débat devant les pairs nécessita la révélation, comme celles avec Magnan ; les autres furent d'autant plus tenues secrètes que le procès révélait à tous la sévérité du pouvoir cette fois-ci. Il n'est pas probable que le prince se fût étourdiment aventuré s'il n'avait eu d'autres complices que ceux qui figuraient au procès. La conspiration avait, en réalité, de plus grandes proportions qu'il n'en a paru dans l'instruction et les débats. Nous tenons de source certaine, par exemple, que le général Duchant, mort depuis, alors commandant de Vincennes, s'était sérieusement engagé à la cause napoléonienne.

Nous savons, en outre, que l'on comptait positivement sur l'appui du général Magnan, commandant la division du Nord. Etait-ce une fausse espérance et l'agent qui fut envoyé près de lui trompait-il ou se trompait-il ? Toujours est-il qu'à Londres le général Magnan figurait sur la liste des fidèles impérialistes. — Ajoutons encore qu'après la descente à Boulogne tous les régiments faisant partie de la division du Nord furent changés de garnison et dirigés sur le midi. Ce qui prouverait que le gouvernement avait au moins de graves soupçons, sinon des renseignements certains qu'il voulut taire par prudence. Il était essentiel de montrer l'armée partout fidèle et de réduire le complot à une étourderie de jeune homme. — Nous ne devons pas oublier un fait qui annoncerait de nombreuses connivences. Pendant la marche de la division du Nord vers le midi, plusieurs d'entre les régiments traversant la ville de Ham, des officiers en grand nombre, firent remettre leurs cartes au prince captif. Celui-ci, de son côté, avait la liste des officiers dont on lui avait promis le concours ; il put voir quels étaient ceux qui semblaient lui renouveler leurs engagements. — Un autre incident mérite d'être rappelé. Le maréchal Clausel était arrivé dans les derniers jours de juillet aux bains d'Eaux-Bonnes, dans les Pyrénées, et y faisait tous les préparatifs qui annoncent un long séjour, lorsque le 4 août il disparut tout à coup, et l'on apprit qu'il s'était dirigé en toute hâte vers le nord. Ce n'est pas tout encore. Nous avons dit que le général Magnan était considéré par les conjurés de Londres comme une des colonnes de l'entreprise. Cependant, d'après les rapports faits au prince, le général aurait dit : Je ne puis prendre l'initiative du mouvement, mais si vous entraînez un seul régiment, je vous amène ma division entière. Or, le colonel Husson, commandant le 42e de ligne en garnison à Calais, avait promis de se mettre avec ses soldats à la disposition des conjurés au moment du débarquement. On avait donc un régiment pour prendre l'initiative, un général pour l'appuyer avec une armée. Le plan des conjurés reposait sur ces données. De Boulogne, ils devaient se porter rapidement sur Calais, gagner Lille, puis avec la division du nord, marcher sur Paris, soit directement, soit en passant par Eu pour y enlever la famille royale. En même temps, leurs adhérents de Paris, à la première nouvelle du débarquement, marchaient sur les Tuileries et s'en emparaient à l’improviste. Ils étaient, en outre, ainsi que nous l'avons dit, assurés de Vincennes et ces premiers succès devaient promptement leur rallier des partisans. On parlait aussi d'un comité bonapartiste présidé par un maréchal de France, qui avait des correspondances assez étendues avec les garnisons des villes les plus importantes[73].

* * *

N'étant pas suffisamment sûr de la garnison de Lille, ne comptant sur Magnan qu'au cas d'un premier succès[74], et jugeant qu'une côte un peu plus écartée vaudrait mieux, Louis-Napoléon avait, en second lieu, choisi Boulogne, comme point d'action, et Wimereux, à côté, comme lieu de débarquement. Boulogne présentait un accès facile et possédait une faible garnison où l'un des meilleurs alliés du prince n'avait cessé de préparer tout pour le recevoir et lui ouvrir les portes de la caserne, comme Vaudrey à Strasbourg, le lieutenant Aladenize. résidait à Saint-Omer, mais faisait partie du 42e de ligne dont les deux compagnies occupaient Boulogne[75]. Il se montrait dévoué, hardi, prompt à la décision ; il était jeune et pouvait servir d'exemple aux hommes de son âge ; enfin, deux compagnies de son régiment se trouvaient en garnison à Boulogne... Il était à portée d'y accourir promptement ; sa présence pouvait être décisive aux premières heures de l'action[76]. La garnison de Boulogne entraînée, celle de Lille suivait. Le prince, après avoir été rejoint par elle, marchait sur la capitale[77].

Tout était prêt. Des fusils avaient été commandés à Birmingham[78]. Forestier venait d'envoyer de Paris des uniformes auxquels le docteur Conneau cousit tous leurs boutons[79]. Ces boutons avaient été fabriqués à Londres ; les uns portaient le n° 40, les autres une épée, un casque, une branche de palmier[80]. Un certain nombre de Polonais en disponibilité avaient été enrôlés[81]. On envoyait de plus en France en qualité d'émissaires, des Français de basse condition qui résidaient à Londres, avec la mission de jeter dans les différentes villes de France situées sur la côte des semences de désaffection contre le gouvernement de Louis-Philippe, et de réveiller les sympathies du peuple en faveur de la famille de Napoléon. De fortes sommes d'argent auraient été distribuées par Napoléon-Louis à cette sorte de gens[82]. Enfin Conneau, toujours fidèle et dévoué, imprimait lui-même à l'aide d'une presse à main les proclamations qui devaient être lancées dès le débarquement[83]. Elles étaient nombreuses. — Voici les trois principales, plus un décret.

Proclamation au peuple français.

Français,

Les cendres de l'empereur ne reviendront que dans une France régénérée ! Les mines du grand homme ne doivent pas être souillées par d'impurs et hypocrites hommages. Il faut que la gloire et la liberté soient debout à côté du cercueil de Napoléon ! Il faut que les traîtres à la patrie aient disparu !

Banni de mon pays, si j'étais seul malheureux, je ne me plaindrais pas ; mais la gloire et l'honneur du pays sont exilés comme moi ; Français, nous rentrerons ensemble ! Aujourd'hui, comme il y a trois ans, je viens me dévouer à la cause populaire. Si un hasard me fit échouer à Strasbourg, le jury alsacien m'a prouvé que je ne m'étais pas trompé !

Qu'ont-ils fait ceux qui vous gouvernent pour avoir des droits à votre amour ? Ils ont promis la paix et ils ont amené la guerre civile et la guerre désastreuse d'Afrique ; ils vous ont promis la diminution des impôts, et tout l'or que vous possédez n'assouvirait pas leur avidité. Ils vous ont promis une administration intègre, et ils ne règnent que par la corruption ; ils vous ont promis la liberté, et ils ne protègent que privilèges et abus ; ils s'opposent à toute réforme ; ils n'enfantent qu'arbitraire et anarchie ; ils ont promis la liberté et depuis dix ans ils n'ont rien établi. Enfin ils ont promis qu'ils défendraient avec conscience notre honneur, nos droits, nos intérêts, et ils ont partout vendu notre honneur, abandonné nos droits, trahi nos intérêts. Il est temps que tant d'iniquités aient un terme ; il est temps d'aller leur demander ce qu'ils ont fait de cette France si grande, si généreuse, si unanime de 1830.

Agriculteurs, ils vous ont laissé pendant la paix de plus forts impôts que Napoléon pendant la guerre.

Industriels et commerçants, vos intérêts sont sacrifiés aux exigences étrangères ; on emploie à corrompre l'argent dont l'empereur se servait pour encourager vos efforts et vous enrichir.

Enfin vous toutes, classes laborieuses et pauvres qui êtes en France le refuge de tous les sentiments nobles, souvenez-vous que c'est parmi vous que Napoléon choisissait ses lieutenants, ses maréchaux, ses ministres, ses princes, ses amis. Appuyez-moi de votre concours et montrons au monde que ni vous ni moi n'avons dégénéré.

J'espérais comme vous que sans révolution nous pourrions corriger les mauvaises influences du pouvoir, mais aujourd'hui plus d'espoir ; depuis dix ans on a changé dix fois de ministère, on changerait dix fois encore que les maux et les misères de la patrie seraient toujours les mêmes.

Lorsqu'on a l'honneur d'être à la tète d'un peuple comme le peuple français, il y a un moyen infaillible de faire de grandes choses, c'est de le vouloir.

 Il n'y a en France aujourd'hui que violence d'un côté, que licence de l'autre ; je veux établir l'ordre et la liberté. Je veux, en m'entourant de toutes les sommités du pays sans exception et en m'appuyant sur la volonté et les intérêts des masses, fonder un édifice inébranlable.

Je veux donner à la France des alliances véritables, une paix solide et non la jeter dans les hasards d'une guerre générale.

Français ! je vois devant moi l'avenir brillant de la patrie, je sens derrière moi l'ombre de l'empereur qui me pousse en avant ; je ne m'arrêterai que lorsque j'aurai repris l'épée d'Austerlitz, remis les aigles sur nos drapeaux et le peuple dans ses droits.

Vive la France !

NAPOLÉON.

Boulogne, le ..... 1840.

 

Proclamation à l'armée.

Soldats !

La France est faite pour commander et elle obéit. Vous êtes l'élite du peuple et on vous traite comme un vil troupeau. Ils voudraient, ceux qui vous gouvernent, avilir le noble métier de soldat. Vous vous êtes indignés et vous avez cherché ce qu'étaient devenues les aigles d'Arcole, d'Austerlitz, de Iéna. Ces aigles, les voilà ! Je vous les rapporte, reprenez-les ! Avec elles vous aurez gloire, honneur, fortune, et, qui est plus que tout cela, la reconnaissance et l'estime de vos concitoyens.

Soldats ! entre vous et moi il y a des liens indissolubles : nous avons les mêmes haines et les mêmes amours, les mêmes intérêts et les mêmes ennemis.

Soldats ! la grande ombre de l'empereur Napoléon vous parle par ma voix.

Soldats ! aux armes I Vive la France !

NAPOLÉON.

Boulogne, le ..... 1840.

 

Proclamation aux habitants du Pas-de-Calais.

Habitants du département du Pas-de-Calais et de Boulogne !

Suivi d'un petit nombre de braves, j'ai débarqué sur le sol français dont une loi injuste m'interdisait l'entrée. Ne craignez point ma témérité, je viens assurer les destinées de la France et non les compromettre. J'ai des amis puissants à l'extérieur comme à l'intérieur qui m'ont promis de me soutenir. Le signal est donné et bientôt toute la France et Paris la première se lèveront en masse pour fouler aux pieds dix ans de mensonge, d'usurpation et d'ignominie ; car toutes les villes comme tous les hameaux ont à demander compte au gouvernement des intérêts particuliers qu'il a trahis.

Voyez vos ports presque déserts ; voyez vos barques qui languissent sur la grève ; voyez votre population laborieuse qui n'a pas de quoi nourrir ses enfants parce que le gouvernement n'a pas osé protéger son commerce et écriez-vous avec moi : Traîtres, disparaissez ; l'esprit napoléonien qui ne s'occupe que du bien du peuple s'avance pour vous confondre.

Habitants du département du Pas-de-Calais ! ne craignez point que les liens qui vous attachent à vos voisins d'outre=mer soient rompus. Les dépouilles mortelles de l'empereur et l'aigle impériale ne reviennent de l'exil qu'avec des sentiments d'amour et de réconciliation. Deux grands peuples sont faits pour s'entendre et la glorieuse colonne qui s'avance fièrement sur le rivage comme un souvenir de guerre deviendra un monument expiatoire de toutes nos haines passées !

Ville de Boulogne que Napoléon aimait tant, vous allez être le premier anneau d'une chaîne qui réunira tous les peuples civilisés ; votre gloire sera impérissable et la France votera des actions de grâces à ces hommes généreux qui, les premiers, ont salué de leurs acclamations notre drapeau d'Austerlitz.

Habitants de Boulogne ! venez à moi et ayez confiance dans la mission providentielle que m'a léguée le martyr de Sainte-Hélène. Du haut de la colonne de la grande armée, le génie de l'empereur veille sur nous et applaudit à nos efforts parce qu'ils n'ont qu'un but, le bonheur de la France.

NAPOLÉON.

Le général MONTHOLON,

faisant fonction d'état-major général.

Le colonel VOISIN,

faisant fonction d'aide-major général.

Le commandant MÉSONAN,

chef d'état-major.

Boulogne, le ..... 1840.

 

Décret :

Le prince Napoléon, au nom du peuple français, décrète ce qui suit :

La dynastie des Bourbons d'Orléans a cessé de régner.

Le peuple français est rentré dans ses droits. Les troupes sont déliées du serment de fidélité. La Chambre des pairs et la Chambre des députés sont dissoutes.

Un Congrès national sera convoqué dès l'arrivée du prince Napoléon à Paris.

M. Thiers, président du Conseil, est nommé à Paris président du gouvernement provisoire.

Le maréchal Clausel est nommé commandant en chef des troupes rassemblées à Paris.

Le général Pajol conserve le commandement de la première division militaire.

Tous les chefs de corps qui ne se conformeront pas sur-le-champ à ces ordres seront remplacés.

Tous les officiers, sous-officiers et soldats qui montreront énergiquement leur sympathie pour la cause nationale seront récompensés d'une manière éclatante au nom de la patrie.

Dieu protège la France !

NAPOLÉON[84].

 

Les dispositions les plus minutieuses avaient été prises et le prince les dicta lui-même au docteur Conneau[85]. Une partie en fut trouvée sur le colonel Voisin[86]. Elles achèvent de montrer combien l'affaire de Boulogne fut organisée dans ses moindres détails ; et, quand on songe à nouveau que, seul, le petit nombre de ces papiers nous est connu, on arrive à sentir que si toutes les forces sur lesquelles les conjurés comptaient avaient donné, ceux-ci auraient possédé les meilleures chances de réussir. — Voici deux de ces notes :

Donner le mot d'ordre et de ralliement B*** et N***

Arrêter tout ce qu'on rencontrera en chemin, faisant accroire que venant de Dunkerque pour une mission du gouvernement, on a été obligé de relâcher.

Marcher sur le château, ayant une avant-garde commandée par Laborde, Bataille, aide de camp, Persigny, sergent-major, et six hommes dont deux sapeurs et deux éclaireurs.

Parlementer avec le garde du château, Choulens ; le château pris, y laisser deux hommes dont l'un se tiendra en dedans et gardera les clefs ; l'autre fera sentinelle en dehors.

Le capitaine Hunin commandera l'arrière-garde, composée de Conneau, sergent-major, et de dix hommes. A son arrivée à la haute ville, il prendra les dispositions suivantes :

1° Fermer la porte de Calais ; 2° S'établir militairement à la porte de l'Esplanade ; 3° Fermer la porte de Paris ; 4° Poser une sentinelle sur la place d'armes, au point de repaire des trois portes, pour être prévenu à temps de ce qui pourrait survenir.

Le corps principal s'emparera de l'hôtel de ville où il y a 500 fusils et, chemin faisant, on enlèvera le poste de l'église Saint-Nicolas où se trouvent dix hommes et un officier ; on se dirigera sur la caserne et, avant d'y pénétrer, des sentinelles seront placées sur toutes les issues pour en interdire les approches.

Ces diverses opérations seront faites dans le plus profond silence, mais, une fois la troupe enlevée, on viendra s'installer à l'hôtel de ville ; on fera sonner le tocsin, on répandra des proclamations et on prendra les dispositions suivantes : 1° S'emparer de la poste aux chevaux ; 2° De la douane ; 3° Du sous-préfet ; 4° Des caisses publiques ; 5e Du télégraphe. — La haute ville sera indiquée comme lieu de rassemblement.

MM. le colonel Laborde et le capitaine Desjardins s'occuperont chacun de la formation immédiate d'un bataillon de volontaires qu'ils rassembleront sur la place d'armes, devant l'hôtel de ville. A cet effet, ils nommeront des capitaines chargés de recruter chacun cent hommes. Ces capitaines nommeront leur sergent-major et les volontaires choisiront leurs sous-officiers, ainsi qu'un sous-lieutenant et un lieutenant. Ces compagnies volontaires auront un effectif de cent hommes compris un sergent-major, quatre sergents, un fourrier et huit caporaux.

Aussitôt qu'une compagnie sera formée, on la conduira sur la place des Tintelleries et on la fera monter sur les voitures.

 

L'autre note était ainsi conçue :

Fonctions diverses.

Le sous-intendant Galvani se procurera des voitures, ainsi que le pain, la viande cuite et l'eau-de-vie pour un jour.

Orsi saisira les caisses publiques, se faisant accompagner d'hommes du pays ; il s'emparera aussi du sous-préfet.

Le colonel Laborde, avec six hommes, s'emparera de la poste aux chevaux ; il y laissera une sentinelle et rejoindra la troupe.

Le colonel Nébru réorganisera l'administration civile et militaire de la garde nationale.

M. Flandin choisira huit hommes pour aller en chaise de poste détruire le télégraphe de Saint-Tricat.

Le colonel Montauban s'emparera du poste des douaniers et les rassemblera sur l'Esplanade. Il s'occupera de surveiller en outre la réunion de 30 chariots attelés de 4 chevaux et prendra de préférence les voitures des mareyeurs qui peuvent contenir trente personnes. Ces voitures stationneront aux Tintelleries.

M. le colonel Vaudrey réunira tous les anciens canonniers ; il fera atteler une pièce ou deux, mettant, à défaut des caissons, ses munitions dans des voitures, ainsi que cinq bombes chargées pour servir de pétards. Il dirigera la distribution des armes et tout ce qui concerne le service de l'artillerie.

Le colonel Parquin réunira tous les chevaux de selle ; il en fera l'estimation et les répartira entre les officiers de l'état-major et les volontaires à cheval. Tl aura sous ses ordres M. de Persigny.

Le capitaine de Quérelles commandera le noyau de la compagnie des guides qui sera portée à cinquante hommes.

Le lieutenant ..... formera l'avant-garde avec le 42e. Cette avant-garde sera commandée en chef par le capitaine Desjardins.

Le commandant Mésonan, chef d'état-major, enverra des courriers à Calais, Dunkerque, Montreuil, Hesdin, munis d'ordres et de proclamations[87].

 

Devant ces preuves diverses, rappelons-nous encore une fois que tout ce qui a rapport à cette expédition nous vient de l'adversaire dont les efforts devaient tendre nécessairement à étouffer la vérité ; nous ne connaissons donc qu'un aspect des choses, et le plus désavantageux, — Dans le compte rendu du procès, nous lisons : Le rapporteur cite plusieurs autres pièces qui se rattachent aux moyens d'exécution du plan insurrectionnel[88].

Louis-Napoléon avait également pourvu aux moyens pécuniaires. Il était depuis quelque temps en instance auprès du roi de Hollande pour une réclamation de 1.200.000 francs relative à une reprise de sa mère, la reine Hortense. Une transaction était intervenue, moyennant laquelle le prince se contenta de 600.000 francs. Cette somme lui fut versée vers le commencement de juillet. On assurait dans les cercles politiques que la transaction avait eu lieu sur la médiation officielle de M. Thiers. Mais, pour le grand acte qui se préparait, cette somme était insuffisante ; on résolut de négocier un emprunt. La chose était difficile, le prince jouissant d'un crédit fort médiocre sur la place de Londres. Après plusieurs tentatives inutiles, il fallut recourir à des spéculateurs équivoques, décidés à tout oser pour se créer une bonne occasion de profit. Il y avait alors un haut employé de la trésorerie de Londres, M. Smith, qui, par suite de détournements successifs, allait se voir obligé d'accuser un déficit considérable. Voici en quoi consistaient ses coupables manœuvres. Il était chargé de recevoir les bons de l'Échiquier qui revenaient au trésor, avec mission de les annuler à mesure des rentrées. Mais, au lieu de les annuler, il les remettait en circulation et faisait son profit personnel de toutes les négociations ultérieures. En même temps, il se livrait aux spéculations de bourse afin de couvrir par les chances du jeu ce déficit menaçant. Mais, ainsi qu'il arrive toujours en pareil cas, les hasards furent contre lui ; les premiers vols durent être couverts par d'autres vols... M. Smith était aux abois lorsque d'autres joueurs auxquels il s'était affilié, vinrent lui parler de l'emprunt que tentaient de négocier les amis du prince Louis et de l'expédition qui nécessitait cet emprunt-là Smith y vit une dernière chance, une dernière porte de salut. Aidé de quelques spéculateurs et par leur intermédiaire, il s'engagea à faire le fonds de l'emprunt à condition qu'on lui révélerait l'époque précise de l'expédition contre Louis-Philippe. La condition fut acceptée et l'argent remis aux négociateurs de Louis Bonaparte. Disons bien que le prince ne connut pas ces détails : c'était le secret des intermédiaires. Quoi qu'il en soit, les conventions furent fidèlement observées. Les spéculateurs, avertis quelques jours à l'avance, envoyèrent sur toutes les places de l'Europe des ordres pour jouer à la baisse. L'opération était immense et semblait assurer des gains considérables. En effet, si le prince Louis réussissait, cette révolution soudaine dans le gouvernement français devait causer sur toutes les places un ébranlement profond. S'il ne réussissait pas, la tentative seule, une lutte de quelques heures, pouvait produire une commotion passagère, il est vrai, mais suffisante pour réaliser en vingt-quatre heures des bénéfices sur une grande échelle[89]. — Ce coup de bourse fait songer au second Empire et donne l'avant-goût d'une partie de ses aventures financières qui, sans être neuves au XIXe siècle, établirent cependant, peu à peu, un nouvel ordre de choses. Smith — dans un autre genre et des circonstances différentes — ébauche une première esquisse, encore vague, de Jecker.

* * *

Le corps expéditionnaire, y compris Louis-Napoléon, comptait cinquante-six personnes. Parmi ces hommes, tout ce qui est domesticité — si l'on en croit l'interrogatoire[90] — ignore vers quelle aventure spéciale elle est conduite ; seul, Thélin, qui avait vu Strasbourg, sans être .tout à fait dans la confidence, sait à quoi s'en tenir ; ce qui reste extraordinaire, c'est qu'il n'ait rien dit aux autres et que ceux-ci, embauchés pour la plupart très hâtivement, aient entrevu seulement une partie de plaisir. Leur intérêt était de démentir toute complicité et ils n'y manquèrent pas ; ils firent les saints avec un parfait ensemble. — Quant aux conjurés réels, il est inadmissible qu'ils n'aient rien su, et leurs dénégations à ce sujet ne prouvent pas grand'chose. On peut néanmoins observer que Forestier, Bataille et Aladenize sont, avec, bien entendu, Persigny et Conneau, les seuls qui paraissent avoir participé à toute la confidence ; il est possible de croire que les autres ne connaissaient précédemment ni le jour, ni l'heure du départ et encore moins le lieu oit le navire devait aborder ; leurs affirmations à ce sujet devant la Cour étonnent moins. Louis-Napoléon avait plus d'une raison de méfiance ; et, avant son départ, deux amis étaient venus en ajouter en le suppliant de prendre garde et, au besoin, d'abandonner son entreprise[91]. Cependant, on peut être surpris que des hommes comme ceux qui accompagnaient le prince aient cru h une promenade sans conséquence, étant donné ce qu'ils savaient déjà du caractère de leur chef ; les chevaux qu'on embarqua devaient leur fournir matière à de curieuses réflexions ; le nombre des compagnons de voyage qui emplissaient le bateau, certains colis d'armes et de cartouches, le mystère du départ, étaient révélateurs ; il semble qu'ils aient exécuté une consigne préparée d'avance, probablement sur l'instigation du prétendant, en jouant l'ignorance devant la Chambre des pairs ; leur plan était si réglé que l'éventualité de l'insuccès s'y trouvait, en ce cas, aussi[92]. Tous ceux qui ont pris part à l'entreprise de Boulogne connaissaient sans doute ses intentions de renouveler ses attaques sur la France, mais tous n'avaient pas été informés à l'avance de l'exécution : les domestiques, par exemple ; il les faisait marcher sans avoir besoin de rien leur communiquer de ses desseins ; à d'autres, sur le dévouement desquels il croyait pouvoir compter, il lui suffisait de dire Faites cela, et ils le faisaient sans savoir jusqu'où cela pouvait les conduire. Mais il avait certainement des amis qui, avancés plus que les autres dans sa confiance, n'ignoraient rien de ce qu'il méditait, et qui ont dù former son conseil intime. On ne peut guère douter que, depuis quelque temps, l'idée ne fut arrêtée dans ee conseil d'entrer en France par les départements du Nord, que certains des conjurés avaient, depuis quelques mois, explorés dans tous les sens. Des cartes très soignées de ces départements étaient en la possession de Louis Bonaparte et on les a retrouvées parmi ses effets ; il avait même tracé au crayon un plan où se trouvaient notées, avec les lieux d'étapes, les distances à parcourir entre les principales villes, puis, pour chacune d'elles, les régiments qui y tenaient garnison, le nombre d'hommes dont ils se composaient et l'arme à laquelle ils appartenaient. Tout était disposé pour organiser immédiatement dans toute la France les régiments, la population, la force armée et le gouvernement[93]. La plupart des conjurés importants surent donc à quoi s'en tenir ; les discussions de la dernière heure le prouveraient. Si le prince ne les avertit qu'en mer, cela montre à quel point il avait su — une fois encore — se faire aimer de ses partisans. Il ressortirait même des dépositions de Persigny et de Conneau que Louis-Napoléon ne prit conseil que de lui dans cette affaire, ne soumit son projet à aucune discussion, agit et se résolut seul[94]. Dans une lettre écrite de sa prison, l'ancien metteur en scène de Strasbourg déclare : Je n'ai point été le conseiller du prince dans cette entreprise. Est-ce à dire que le prince en eut un autre ? Il ne le paraît pas. Il a tout ordonné lui-même[95].

On peut dire que Louis-Napoléon crut au succès de sa tentative, et davantage qu'en 1836. A cette époque de sa vie, plus sérieusement peut-être qu'à aucune autre, il est convaincu. Il estime que le terrain est préparé comme il ne pourra jamais l'are. Depuis l'affaire suisse, nul arrêt de sa part ; par la plume, par la propagande, par lui-même, il a complété l'œuvre de Strasbourg ; il en a tiré tout ce qu'il était possible pour s'avancer sur la scène du monde. Il est de ceux qui agissent quand même ; et, en face de la couronne qu'il se croit sur le point de gagner, il ne sait plus attendre. Il y a chez lui de l'impatience. Le pire lui parait préférable à sa situation présente ; il est décidé à tout plutôt qu'à ne pas réussir ou à ne pas l'essayer. Boulogne va être sa dernière poussée de jeune homme. Qu'il gagne où non la bataille, il compte sur une bataille sérieuse — et là réside son erreur, là s'établit la preuve qu'il fut trompé ou que toute une partie des conjurés, au dernier moment, — l'élément militaire, — recula. Il sait le côté hasardeux de son aventure, mais n'y en a-t-il pas nécessairement, et comment s'y arrêter ? Dans toute entreprise de cette nature, on abandonne toujours quelque chose à la fortune et, la part faite au hasard est ordinairement la plus forte[96]. — Etant donné le point où il en est, les assurances qu'il a reçues, le plan qu'il a dressé et les illusions qui le possèdent, il est normal qu'il se présente sur le sol français.

La foi sera toujours plus forte que la logique[97]. On s'en rend compte en lisant certains passages des Lettres de Londres, écrites, en grande partie, sous sa dictée, ou inspirées et revues par lui, et surtout l'un d'eux sur lequel ce livre finit comme par une menace. Il est extrait des Révolutions romaines, de Vertot, et raconte la jeunesse d'Octave ; il vient après un parallèle entre Napoléon et César, parallèle conduisant lui-même à une autre comparaison indiquée comme il suit pour le cas où le lecteur serait ignorant ou distrait : Cette inconcevable et mystérieuse ressemblance se poursuit même après la mort des deux grands hommes. Le nom de César et le nom de Napoléon, tous deux si puissants sur l'imagination des peuples, ne doit pas avoir d'héritiers directs. A la mort du dictateur, c'est son petit-neveu, c'est Octave qui ose porter le grand nom de César, comme c'est aujourd'hui le neveu de Napoléon qui semble vouloir jouer un rôle analogue. Mais la destinée d'Octave avant de devenir empereur des Romains présente des rapprochements encore plus extraordinaires. Et Persigny lit à son interlocuteur le morceau suivant : Le jeune neveu de César est à Apollonie sur les côtes d'Epire où il achève ses études et ses exercices, et verse d'abondantes larmes sur la mort de son oncle. — Tous les lieutenants du dictateur ont abandonné sa cause et trahi le peuple romain pour mendier les faveurs de l'aristocratie. Antoine, Lépide et les autres se parent de la gloire de César pour en imposer au peuple ; mais ils trahissent sa mémoire, s'emparent de ses biens, proscrivent sa famille et vivent publiquement avec les assassins de leur bienfaiteur. — Lui, le .jeune César, languit proscrit loin de Rome, en proie à la douleur et aux regrets ; mais son âme ardente aspire à venger la mémoire outragée de son oncle, et bientôt il révèle au monde par un acte public le but de son ambition. Ses parents, ses amis le supplient de rester en exil, de ne pas revendiquer l'héritage du grand homme. Tout le monde lui conseille d'oublier de dangereuses prétentions ; et on l'assure qu'il ne peut y avoir pour lui de sûreté et de bonheur que dans l'obscurité d'une vie privée. Mais le jeune Octave repousse ces conseils pusillanimes, il déclare qu'il aime mieux mourir mille fois plutôt que de renoncer au grand nom et à la gloire de César. Ainsi donc, le jeune Octave ose seul et sans appui entreprendre la grande mission de continuer l'œuvre de son oncle. Proscrit et condamné par des lois iniques, il ne craint pas de braver ces lois et de partir pour Rome. Un jour, il arrive sur la côte de Brindes et débarque près de la petite ville de Lupia, sans autre escorte que ses serviteurs et quelques-uns de ses amis, mais soutenu du grand nom de César qui, seul, devait bientôt lui donner des légions et des armées entières. Et, en effet, à peine les officiers et les soldats de Brindes ont-ils appris que le neveu de leur ancien général est près de leurs murailles, qu'ils sortent en foule au-devant de lui et, après lui avoir donné leur foi, l'introduisent dans la place dont ils le rendent maitre. Ce premier succès n'est qu'éphémère ; il est bientôt suivi de peines et de tribulations ; mais enfin c'est là et de cette manière, que commence la grande destinée du neveu de César, cette destinée qui le poursuit à travers mille vicissitudes et mille chances diverses et le porte enfin, quinze ans après la mort de son oncle, à la tête du peuple romain sous le nom d'Auguste et le titre d'empereur[98].

Ainsi, le prince va chercher jusque dans l'histoire romaine un encouragement et une justification. Napoléon ne lui suffit plus ; il y ajoute César. A travers les âges, il veut établir une sorte de destinée impériale, un même exemple, une idéale dynastie[99]. La leçon de Rome fortifie la leçon napoléonienne. Ce romantique retrouve, malgré les brumes qui l'entourent, ce qu'il pense être le classicisme latin ; pourtant, cela reste du romantisme, quoique du meilleur et du plus fécond ; et il y a en lui du littérateur. Il suit la tradition de son oncle en prenant un dernier mot d'ordre à la Ville Éternelle : le Consulat avait réalisé la conception romaine de la Révolution française de même que l'Empire en avait consacré à son tour, avec de nombreuses additions, l'épanouissement suprême ; mais il fallait quelque mérite pour retrouver la source antique en 1839, après tant de faux-fuyants et de platitudes[100]. Le plus curieux, en regardant boire aux mamelles de la louve régénératrice cet enfant du siècle qu'elle ne devait guérir qu'à moitié, c'est de reconnaître qu'il y arrivait davantage par les chemins de sa sentimentalité ambitieuse que par ceux de son raisonnement.

 

 

 



[1] On peut ajouter qu'au point de vue résultat, malgré son insuccès, l'affaire de Boulogne — comme l'affaire de Strasbourg — favorisa le développement de la cause napoléonienne. Ceux qui ont trouvé ce second acte de l'aventure exécrable tout reconnu. On peut dire, écrit A. de Tocqueville dans ses Souvenirs, au demeurant, que ce fut sa (à Louis-Napoléon) folie plus que sa raison qui, grâce aux circonstances, fit son succès et sa force ; car le monde est un étrange théâtre. Il s'y rencontre des moments où les plus mauvaises pièces sont celles qui réussissent le mieux.

[2] Il a, en effet, été répondu à nos demandes par un refus.

[3] A ne la juger que d'après les apparences, l'entreprise de Boulogne est un fait inconcevable : ce qu'elle a été, on le sait ; mais ce qu'elle aurait pu être, nul ne viendra le dire, et c'est sans doute une des révélations réservées à l'histoire. B. Renault, Histoire du prince Louis-Napoléon, etc. Ruel. 1852.

[4] Le 29 juillet, lorsqu'on transporta le reste des victimes de 1820 sous la colonne élevée à la place de la Bastille, des ouvriers et des étudiants au nombre de quatre mille avaient côtoyé le cortège en chantant la Marseillaise, jugée alors comme un chant séditieux, montrant bien ainsi que le peuple ne considérait pas la monarchie d'Orléans comme le pouvoir qui devait résulter de 1830. Les gardes nationaux eux-mêmes murmuraient à cause de l'absence du roi et de ses fils à la cérémonie. Ou disait partout de Louis-Philippe : Il a Dieu merci, assez profité du dévouement de ses victimes : il aurait dû les honorer. Le roi avait cependant compté sur cette solennité pour rapprocher les esprits ; et le résultat était contraire. La classe bourgeoise seule, par amour de la pais à tout pria, restait fidèle au trône ; le reste de la France s'en séparait de plus en plus.

[5] Elias Regnault, Histoire de Huit arts, Pagnerre. 1851, t. I.

[6] La prise de Médéah, du col de Mouzaia et de Milianah.

[7] Elias Regnault, Histoire de Huit ans.

[8] L'acte diplomatique du 15 juillet était un défi porté à la France. L'Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse signaient de concert un traité pour la solution de la question d'Orient, sans même en faire part à notre pays. On tranchait sans elle une question débattue avec elle, on finissait à quatre ce qui avait été commencé à cinq on disait insolemment à la France qu'elle ne comptait plus parmi les grandes nations ; on disait, ce qui était pis encore, que la France accepterait l'injure sans oser se venger. Un des meneurs de toute cette intrigue, lord Palmerston, répétait à qui voulait l'entendre que la France crierait comme un enfant mutin. mais s'apaiserait à la vue des verges. Ajoutons, pour être vrais, que ces bravades s'adressaient moins à la nation qu'au gouvernement, moins au peuple français qu’au roi Louis-Philippe. On connaissait ses entêtements pacifiques, et son impopularité même était une garantie pour l'étranger. Il avait d'ailleurs trop de guerres à l'intérieur pour pouvoir oser quelque chose au dehors ; il entreprenait en ce moment une campagne contre la réforme, une campagne coutre les ouvriers, sans conspire ses campagnes perpétuelles contre la puissance parlementaire ; il ne lui restait ni loisir, ni forces pour entreprendre une campagne contre les rois coalisés. Il faisait leurs affaires chez lui ; il ne pouvait aller les trouver chez eux... Quoique l'injure ne s'adressât pas à elle, la nation en ressentit vivement le contrecoup, et un immense cri de colère retentit par toute la France. E. Regnault, ouv. déjà cité. L'insulte ne fit que s'accentuer en même temps que le mécontentement de la nation. Le tsar ne dissimula plus les antipathies profondes que lui inspiraient la révolution de Juillet et le roi choisi par la bourgeoisie parisienne. — En somme, Louis-Philippe et ses ministres, Thiers et Guizot, étaient joués. Ils le sentirent les uns et les autres et la colère royale fut terrible — en paroles. La presse radicale savait qu'elle n'irait pas plus loin et disait nettement : La guerre, vous ne la ferez pas, vous ne pouvez pas la faire. C'était vrai.

[9] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. — En apprenant la possibilité d'un traité entre les quatre puissances, le maréchal Soult s'écria : C'est le traité de Chaumont !

[10] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[11] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[12] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. — Le titre du journal avait été trouvé par le prince qui, parait-il, s'en montrait satisfait. Il y tenait comme à une découverte sublime et fut près de renoncer à tout projet parce qu'ou proposait une autre appellation.

[13] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[14] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. Ces lettres portées à Londres par le marquis, y furent reçues avec ivresse.

[15] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[16] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[17] Ce qui suit est fort curieux à ce sujet et mérite d'être mentionné ; Le 15 février, on lit dans la Presse, qui recevait alors certaines confidences du château, la note suivante : Des bruits de nature à porter atteinte à la dignité du gouvernement russe ont circulé à la suite de l'arrestation de M. Ch. Durand, rédacteur du Capitole. Ces bruits ont été légèrement recueillis et, ce qui parait étrange, par des personnes que la haute position qu'elles occupent aurait dû prévenir contre des nouvelles si peu fondées. Il résultait des bruits auxquels la Presse faisait allusions que l'on avait saisi des papiers chez M. Durand qui prescrivaient que le gouvernement russe entretenait avec le parti bonapartiste de secrètes intelligences. L'empereur de Russie donna l'ordre aussitôt â un ambassadeur à Paris de déclarer au maréchal Soult que le gouvernement russe exigeait que l’on publiât ces papiers que l'on disait avoir trouvés chez M. Durand... il soutint, en outre, que le gouvernement russe n'était jamais descendu à des expédients réprouvés par la saine politique. Le maréchal Soult répondit qu'il n'avait jamais eu le moindre doute sur la loyauté du cabinet russe, et qu'il n'avait rien trouvé qui pût l'autoriser à croire de pareils bruits. Le National, le Courrier français intervinrent dans le débat sans pouvoir le rendre plus clair. Le Journal des Débats s'en mêla également ; mais loin d'atténuer les bruits que l'ambassadeur de Russie déclarait calomnieux, il sembla vouloir les accréditer ; et ce qui leur donnait plus de consistance, c'est qu'on savait que M. Charles Durand avait antérieurement été, sinon l'agent armé du gouvernement russe, du moins son agent temporaire et que, lorsqu'il participait à la rédaction du Journal de Francfort, il avait reçu de la Russie des secours qui lui avaient été accordés pour insertions de rectifications. Le rédacteur du Capitole ne pouvait détruire ce fait qui était notoire, mais il niait énergiquement d'avoir eu avec le gouvernement russe aucun rapport, ni direct, ni indirect, depuis qu'il avait quitté Francfort. Il fut aussi grandement question, dans la cours de l'instruction de ce mystérieux procès, d'une pièce importante qui se trouva soustraite du dossier et sans doute remise aux mains du roi. — Crouy-Chanel n'aurait donc, en ce cas, pas agi seul. — Rittiez, Histoire de Louis-Philippe, t. III. p. 30, déjà cité.

[18] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte. — Ces négociations avec la Russie sont d’autant moins surprenantes qu'elles se justifiaient par des précédents. L'Empire moscovite s'était mêlé des affaires françaises plus d'une fois. non seulement en 1815, mais encore en 18t6 et les aimées suivantes. On roulait remplacer Louis XVIII par le prince d'Orange. Quatre puissances, et particulièrement la Russie, songeaient déjà à la possibilité d'un changement de dynastie. Dans le mois de juin 1816, les réfugiés de Brucelles adressèrent un mémoire à l'empereur Alexandre sur la situation de la France ; le rédacteur de ce mémoire fut, m'a-t-on dit, M. Teste ; l'agent qui parvint jusqu'à Varsovie. M. de Vieil-Castel, y fut très bien accueilli par le grand-duc Constantin. Ce mémoire fit une très grande impression sur l'esprit d'Alexandre ; il aurait eu un résultat fâcheux pour Louis XVIII si l'ordonnance du à septembre n'était arrivée à temps. Capefigue, Histoire de la Restauration, t. I, p. 130. — Longtemps la cour de Russie a regardé le frère et les enfants d'Hortense comme un en-cas politique, des instruments propres à servir les intérêts des tsars et à favoriser parmi nous quelque grave perturbation. A. Morel, Napoléon III. Le Chevalier, 1870, Paris. — Enfin les pourparlers remonteraient même avant Strasbourg : Des écrivains ont donné pour irrécusable que des encouragements arrivèrent alors à ce jeune homme (L.-N.) d'un autre point de l'horizon. L'empereur de Russie, Nicolas, et plusieurs autres souverains d'Allemagne, par haine de l'établissement de Juillet, entrèrent en pourparlers gracieux avec Louis-Napoléon. Des engagements mutuels auraient été pris et des ressources assurées au prétendant. Ibid., p. 134.

[19] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[20] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[21] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[22] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[23] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte. — A. Morel, Napoléon III, déjà cité.

[24] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte. — A. Morel, Napoléon III, déjà cité.

[25] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[26] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[27] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. Interrogatoire du 26 août.

[28] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. — L'élément bonapartiste qui agissait en France ignora au début le rôle de Crouy-Chanel. — Persigny cependant avait dû en savoir quelque chose ; et si Fon se base sur la date où parut la brochure des Lettres de Londres, on se demande si déjà avant même que Crouy-Chanel n'entrât eu jeu, de vagues avances n'avaient pas été faites par la Russie. L'auteur, dit Persigny, terminait enfin en développant les avantages que l'Angleterre aurait dans l'hypothèse d'une nouvelle révolution, à s'unir à la combinaison napoléonienne et à prévenir la politique russe qui, par une récente alliance avec la famille de Napoléon, se montrait déjà disposée à favoriser certaines prétentions. P. 22.

[29] Le gouvernement risquait là un trop gros jeu. Il avait, en plus, déjà suffisamment de questions intérieures et extérieures à régler. Tout ce qu'on peut dire, c'est que M. Persil, dans son rapport, semble s'être appliqué à couvrir Crouy-Chanel, mais cela ne signifie point que celui-ci ait été chargé par le gouvernement d'entrainer le prince en France ; cela signifierait simplement glue Crouy-Chanel trahit la confiance de Louis Bonaparte ou bien encore que le gouvernement, avant réellement reconnu eu lui un agent d'une puissance étrangère — ou même de deux puissances — ait voulu le mettre hors de cause afin de ne pas s'attirer de nouveaux ennuis. Quoi qu'on puisse penser de la nature des desseins que Crouy-Chanel nourrissait pendant tout le temps qu'ont duré ces intrigues, il est donc impossible d'en tirer la conséquence qu'il ait connu la résolution d'agir exécutée sur Boulogne, ni qu'il y ait concouru en aucune manière. Rapport de M. Persil. Procès du prince Napoléon-Louis Bonaparte, Bobaire, 1840.

[30] Voir plus loin. De plus, s'il avait été attendu, il est vraisemblable qu'au lieu de faire tirer sur lui par une garde nationale hâtivement rassemblée et maladroite, le gouvernement l'aurait fait accueillir par une bonne fusillade de troupes régulières afin de le tuer sûrement.

[31] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[32] Depuis la chute de Napoléon, la France est partagée en deux camps hostiles, d'un côté des hommes d'ordre et d'autorité mais qui n'out pas les sentiments des niasses, et, par conséquent ne peuvent eu obtenir la confiance, et, d'un autre côté, des hommes populaires dont les idées de liberté mal conçues sont incompatibles arec l'autorité et qui n'entendent rien au gouvernement. Lettres de Londres, p. 23.

[33] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[34] Histoire de Hait ans, déjà citée.

[35] La théorie des nationalités unissait les trois hommes mais Cavour et Bismarck ne la comprenaient que pour leur propre pays, et avec d'autant plus de force et de netteté.

[36] Louis Bonaparte était soutenu par une profonde conviction, et cette conviction, du moins, n'était pas une erreur. Il croyait à l'immense popularité du nom de Napoléon et se fiait à la magie des souvenirs, Mais là où il se trompait, c'est qu'il s'imaginait rencontrer ces souvenirs dans toutes les classes de la société, soit chez les fonctionnaires, soit même chez cette bourgeoisie de tous temps ennemie de l'empereur. Histoire de Huit ans. — Une armée aux passions incertaines et toujours contenues, une bourgeoisie prête à tout subir et à tout payer pourvu que son demi-sommeil timidement grognon ne soit pas trop troublé, un fonctionnarisme routinier, taquin et immensément réparti, une plèbe qui ne sait pas se rendre compte et se contente de paroles, des députés qui n'agissent qu'au moment de leur élection et qui, une fois à la Chambre, prennent des cris pour des actes, des sénateurs résignés, un chef d'Etat irresponsable entouré de ministres vagues et flottants, et, à travers tout cela, la persévérance sournoise d'une anarchie destructive à laquelle tous les moyens sont bous, voilà ce que le parlementarisme a fait de la France.

[37] Partout les agents du prince lui révélaient le mépris qui environnait le pouvoir, les espérances secrètes de l'armée, générale. Le bonapartisme des théâtres et des cafés brochant là-dessus, les lettres des amis, l'enthousiasme de son entourage, enfin la lecture même des journaux français et le tableau plutôt triste que présentait la politique orléaniste, il était fatal que le prince ne se rendit pas compte de l’indifférence profonde qui se cachait sous tout cela et le permettait en même temps. L'exil, nécessairement, déforme ; il agrandit ou rapetisse, enthousiasme ou désespère, suivant l'âme et la volonté de celui qui le subit ou l'accepte.

[38] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[39] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[40] La police fit des perquisitions chez Mme Gordon, notamment en novembre 1830, comme le prouve cette lettre au baron Larrey : ... Il ne m'est rien arrivé. Je doute allègue qu'il puisse jamais m'arriver quelque chose de l'Adieux. Je sais trop à quels gens j'ai affaire et je me règle là-dessus ; la police est descendue (sic) chez moi. J'y suis assez habituée depuis les affaires de Strasbourg, mais elle a trouvé chez moi ce qu'elle y trouve toujours, des lettres insignifiantes, de la musique et des chiffons de femme ; il était difficile de m’arrêter sur de semblables griefs, aussi messieurs du roi se sont-ils retirés en silence, l'œil morne et la tête baissée. — Dame police est du genre féminin, c'est vrai, mais moi aussi et j'avoue sans détours que je me crois moins stupide qu'elle, Voilà mon bon et cher monsieur, tout ce qui m'est arrivé. J'ai depuis trois ans été en but (sic) à de si viles si basses tracasseries, que cette (sic) épisode est passée inaperçue ; la cause que je défends à liante et intelligible voix est si noble, si grande, si sainte pour moi que c'est ma religion tout entière, religion à laquelle je serai toujours un disciple fidèle et dévoué ; mais je ne conspire pas ; aucun do nous ne conspirant, d'ailleurs pourquoi faire ? Le pouvoir d'aujourd'hui conspire pour nous mieux que nous ne pourrions le faire nous-mêmes. — Vous voyez que je ne suis pas alarmée ; leur visite jusqu'à présent a toujours été le pronostic de quelque événement heureux J'attends !... etc. (Collection A. L.)

[41] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[42] Procès de Louis-Napoléon Bonaparte.

[43] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[44] Du moins on n'en a pas de preuves.

[45] Histoire de Huit ans, déjà citée. Cet ouvrage a été indiqué par Mme Gordon à M. Sohier comme celui faisant directement suite à l'histoire de Louis Blanc et le plus véridique pour tout cc qui concerne Louis-Napoléon.

[46] Cela, du moins, est tout à fait vraisemblable, et la rapidité des rapports qui s'établirent, après l'affaire, entre le prince et les libéraux tendrait à le prouver.

[47] Mésonan était alors figé de cinquante-quatre ans. Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[48] Déposition de Magnan devant la Cour des pairs. — Magnan était connu pour avoir toujours la bourse plate et ne demander, en même temps, qu'à la remplir ; c'était un besogneux, dans toute la force du terme. A l'époque. presque tout le monde pensa qu'il avait trahi Louis-Napoléon ; l'attitude de la Cour des pairs le prouvera plus loin. Magnan, grand et bel homme, d'un aspect imposant, ayant débuté en Espagne sous le premier Empire comme simple soldat, fils d'un homme d'une classe fort infime, s'était élevé par ses services et avait été gravement compromis devant la Cour des pairs, dans un des procès politiques du prince Louis. Il avait accepté, dit-on, une somme assez considérable de Louis-Napoléon pour piéter son concours a une conspiration ; puis, effrayé de la responsabilité qui pouvait lui incomber, il avait renoncé au rôle qu'on voulait lui faire jouer et renvoyé l'argent. On assure qu'en sortant du Luxembourg, le prince, qui avait tu sa participation, lui avait dit eu lui serrant la main : Général, vous devez are content de moi. Histoire militaire et anecdotique du Coup d'Etat, Dentu, 1872. Voici d'autre part ce qu'écrivait le 9 décembre 1851 le général Magnan à M. Randouin : Merci, mon cher ami, de vos félicitations. Elles me vont au cœur ; merci de votre empressement à me les adresser. — Remercions le président de la généreuse et patriotique initiative qu'il a prise ; il a escompté 1852 au profit de la France. Nous étions tous perdus sans son coup d'Etat. Voyez la Jacquerie de la province. Moi, mou cher ami, je n'ai fait que le suivre comme soldat dans cette voie de salut. L'armée m'a entouré de sa confiance et a manœuvré comme sur un champ de manœuvres, avec la même précision, sans plus de crainte. Ma femme et mes filles out été romaines : elles n'ont pas en peur et avaient confiance en moi. Le prince a bien joué la partie politique, j'ai bien joué la partie militaire. Chacun son rôle. — Je voudrais bien embrasser votre femme ; faites-le ; ça ne me fora pas le même plaisir cependant... (Comm. par la famille Randouin-Berthier). Cette lettre, opposée aux déclarations de Magnan devant la Cour des pairs, donne la mesure du personnage.

[49] Procès de Louis-Napoléon Bonaparte.

[50] Les officiers, amis de Lombard, répandaient de leur côté les brochures du prince et les Lettres de Londres.

[51] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. — Histoire de Huit ans, déjà citée, etc.

[52] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. — Histoire de Huit ans, déjà citée, etc.

[53] Procès de Louis-Napoléon Bonaparte.

[54] Se rappeler le rôle de Voirol à Strasbourg. La comédie entre le gouverneur militaire et le fonctionnaire civil est presque identique.

[55] Procès de Louis-Napoléon Bonaparte.

[56] Procès de Louis-Napoléon Bonaparte. — Voir commandant Parquin, Souvenirs et Campagnes d'un vieux soldat de l'Empire, Berger-Levrault 1852.

[57] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. Déposition de Mésonan et de Magnan ; rapport de M. Persil.

[58] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité. Déposition de Mésonan et de Magnan ; rapport de M. Persil.

[59] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[60] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[61] Dans un interrogatoire à huis-clos, Mésonan avait faiblement contesté la communication de cette lettre. A cette heure, il la niait de toutes ses forces. Lequel disait vrai, du dénonciateur ou de l'accusé ?... Mais il se contait alors qu'entre ces deux officiers, le point de divergence était dans une équivoque facile à lever... Le mauvais état des affaires du général, notoirement élevé à l’excès, donnait prétexte aux conjectures les plus défavorables, même à celle qui le représentait comme recevant à la fois de l'argent de Louis-Philippe, ce qui est improbable !le roi étant si peu donnant) et du prince, ce qui n'est pas plus assuré. A. Morel, ouv. déjà cité, p. 241.

[62] Ce n'est pas aux documents officiels qu'il faut s'en rapporter pour apprécier des faits de cette nature. Procès déjà cité, etc.

[63] Déposition de Magnan.

[64] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, etc.

[65] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, etc.

[66] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, etc.

[67] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[68] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[69] Déposition de Mésonan ; Rapport de M. Persil.

[70] Réponses du prince au procès.

[71] On se souvient qu'il proposa également une forte somme à Vaudrey, et d'une façon maladroite.

[72] Déposition de Magnan.

[73] Histoire de Huit ans, déjà citée.

[74] Cela ressort, du moins, de ce qui précède.

[75] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[76] Histoire de Huit ans.

[77] Le prince devait marcher directement sur Paris avec la division du Nord ou passer d'abord par Eu afin d'y enlever la famille royale. En même temps, aussitôt prévenus de ce qu'il en était, les conjurés de Paris marchaient sur les Tuileries.

[78] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[79] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[80] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[81] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[82] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[83] Histoire de Huit ans, déjà citée, — Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[84] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[85] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[86] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[87] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte, déjà cité.

[88] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte — On trouva également dans les papiers du prince des ordres en blanc ainsi conçus : Quartier général de... le... — Au Nom du peuple français. — Monsieur le... Appelé en France par le vœu général, représentant d'une famille que la France entière a élue, j'agis au nom du peuple français. Désobéissance à mes ordres est un crime de lèse-nation. Je vous ordonne, dès que vous aurez reçu cette lettre, de faire arborer les aigles dans vos régiments, de les élever aux cris de : Vive la France ! Vive l'Empereur ! et de nie rejoindre sur la route de... le plus tôt possible. — Je vous rends responsable de tout ce qui pourrait arriver si vous résistez au mouvement national qui doit assurer les destinées de la France. Mais je serai heureux, si vous contribuez au triomphe de la cause nationale, de pouvoir vous marquer ma reconnaissance comme ayant bien mérité de la patrie. — A Monsieur le... visa.

[89] Histoire de Huit ans. Cependant tous ces calculs se trouvèrent déjoues. L'échec fut si complet. si rapide, que toute l'Europe l'apprit en méfie temps que la tentative ; les fonds restèrent fermes sur toutes les places ; les pertes des spéculateurs furent proportionnées aux bénéfices qu'ils avaient rêvés, et, quelque temps après, les tribunaux anglais retentirent d'un immense scandale. On jugeait M. Smith, l'employé infidèle de la trésorerie.

[90] Déposition de Gedbart : Comment voulez-vous, quand on est là en pleine mer... on ne peut pas se sauver, et quand on est domestique, on est obligé d'obéir. — Dép. de Dulles : Je suis monté sur le bâtiment sans avoir la moindre connaissance de ce qui se préparait. — Dép. d'Ancel : On me prévint le 5 août que le prince devait faire une partie de campagne et qu'il emmènerait toute sa maison, etc., etc. — Dép. de Vervoort : J'affirme que je ne connaissais pas le but de l'expédition et que tous les domestiques étaient dans la même ignorance que moi. — Dép. de Montholon : J'ignorais complètement le projet de Boulogne ; je pourrais même ajouter que le prince a mis beaucoup de soin à me le cacher... ce n'était pas pour Boulogne que j'avais cru m'embarquer, mais pour Ostende. — Dép. de Voisin : Ce n'est que pendant la traversée qu'il nous a fait part de son projet. — Dép. de Pargain : Je n'ai rien su du tout. Laborde prétend que le prince lui proposa, sous prétexte de santé, de faire un voyage en Belgique : il ne sut ce qu'il en était qu'à bord du paquebot, au moment des proclamations, et ne prit part au conflit que dans l'espoir d'empêcher une effusion de sang. — Dép. de Mésonan : le prince avait son secret à lui et il ne l'a communiqué à personne... Nous reçûmes l'ordre d'aller à Graveseud, sans savoir pourquoi ; nous pouvions le présumer, mais nous ne le savions pas. — Dép. de Lombard : Ce n'est qu'à bord du paquebot que j'ai su qu'on débarquait à Wimereux. Le prince disait : Quand je suis sûr d'un ami, je n'ai pas besoin de lui faire de confidence ; je lui dis marche : et il marche ! Dép. de d'Almbert : Je n'ai commencé à soupçonner quelque chose qu'au bout d'un certain temps, après quatre, on cinq heures de parcours au moins, et lorsque j'ai vu des uniformes. Après cela, quand j'ai reconnu ce dont il s'agissait, il était trop tard pour reculer, et je n'eu avais d'ailleurs nulle envie. Je croyais que mon devoir m'obligeait de suivre le prince partout où il allait, je n'ai aucun regret de l'avoir suivi, etc., etc.

[91] Les amis du prétendant assurent que le colonel Vaudrey, M.. Salvage do Faverolles, amie de la reine Hortense, et M. Jourdain, propriétaire du journal le Capitole, étaient allés à Londres peu de temps avant l'expédition pour le dissuader de s'engager dans une entreprise dont on lui attribuait le projet, et qui n'avait pas, quant à présent, de chances de réussite. Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[92] L'entreprise de Boulogne fut réglée dans ses plus petits détails. Le rapporteur ne disait que la vérité en l'affirmant devant la Cour des pairs ; et encore ignorait-il bien des choses. — On lit dans la déposition de Dunes, tailleur d'habits de Boulogne, embauché par le prince auquel il aurait écrit — raconte-t-il — pour lui demander sa clientèle : Le lendemain 5, dans j'entendis dire que nous allions en France ; mais on paraissait en douter, ou, plutôt, les officiers eux-mêmes le disaient hautement bien avant que le prince vint le déclarer lui-même...

[93] Rapport de M. Persil.

[94] Procès de Napoléon-Louis Bonaparte.

[95] A qui Louis Bonaparte s'est-il plus particulièrement confié ? Interrogé à ce sujet par M. le chancelier, il a persisté à déclarer qu'il n'avait fait de confidence positive à personne. Dans une occasion cependant où il lui était impossible de nier qu'il ne se fût plus ou moins ouvert à quelques-uns de ses adhérents, voici comment il s'est exprimé : Je dois ajouter, parce qu'il ne faut pas compromettre des personnes innocentes, et de cela je vous donne nia parole d'honneur, que le colonel Vaudrey et Bacciochi, dont les noms figurent dans la procédure, avaient refusé de marcher avec moi. Rapport de M. Persil. Voir aussi : Le prince Louis-Napoléon Bonaparte à Boulogne, révélations historiques et diplomatiques, Gallois, 1840. Simple exposé de l'expédition de Boulogne et quelques mots sur le prince Napoléon-Louis, chez les marchands de nouveautés, 1840.

[96] Histoire de Huit ans, déjà cité.

[97] Il dira dans une lettre, datée de Ham, à M. Vieillard, que la loi est tout. (Voir plus loin.)

[98] Lettres de Londres, déjà cité.

[99] Cela était tellement dans les idées de Napoléon III qu'il fit remplacer le Napoléon de la colonne Vendôme par le César dynastique que nous y voyons aujourd'hui.

[100] Sur la France d'alors, Balzac écrivait les lignes suivantes, prophétiques : Le produit du libre arbitre, de la liberté religieuse et de la liberté politique (ne confondons pas avec la liberté civile) est la France d'aujourd'hui. Qu'est-ce que la France de 1840 ? Un pays exclusivement occupé d'intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l'élection, fruit du libre arbitre et de la liberté politique, n'élève que des médiocrités, où la force brutale 'est devenue nécessaire contre les violences populaires, où la discussion, étendue aux moindres choses, étouffe toute action du corps politique, où l'argent domine toutes ces questions et où l'individualisme, produit horrible de la division à l'infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation que l'égoïsme livrera quelque jour à l'invasion. On se dira : Pourquoi pas le tsar ? Comme on s'est dit : Pourquoi pas le duc d'Orléans ? On ne tient pas à grand'chose, mais dans choquante ans de progrès, on ne tiendra plus à rien. Ces lignes suffisent à justifier la tentative de Louis-Napoléon.