LES TROIS COUPS D'ÉTAT DE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

STRASBOURG ET BOULOGNE

 

CHAPITRE PREMIER. — LES PREMIERS PAS.

 

 

La naissance et l'adolescence de Napoléon III. — Le roi Louis et la reine Hortense. — Les précepteurs du prince. — Son éducation. — Ses tendances. — La cause de la liberté italienne. — Les sociétés secrètes, le carbonarisme. — L'affaire des Romagnes. — Voyage en France et en Angleterre. — Les premières œuvres littéraires de Louis-Napoléon. — Sa compréhension de l'avenir. — Le début de ses relations avec le parti républicain. — Persigny.

 

Le mercredi 20 avril 1808[1], au n° 8 de la rue Cerutti, aujourd'hui rue Laffitte[2], vers une heure du matin, le chirurgien Baudelocque, aidait à naître un enfant du sexe mâle, troisième fils[3] de Hortense-Eugénie de Beauharnais et probablement de Louis Bonaparte. Ce nouveau-né était si faible qu'on pensa le perdre presque aussitôt. Il fallut le baigner dans du vin et l'envelopper dans du coton pour le rappeler à la vie[4]. L'acte de naissance fut dressé à cinq heures du soir devant les plus hauts personnages de la cour[5]. En l'absence de l'empereur, l'enfant ne reçut aucun prénom ; le 2 juin seulement le maître du monde indiqua ceux qui devaient lui être attribués : Charles-Louis-Napoléon[6].

Le roi de Hollande n'était pas revenu à Paris pour les couches de sa femme[7] ; il n'assista pas davantage à la cérémonie de l'acte qui fut dressé le 3 juin pour enregistrer les prénoms désignés ; dans ces deux circonstances, il se lit représenter par l'amiral Verhuel[8]. Ceux qui ont nié la paternité de Louis Bonaparte n'ont pas manqué d'utiliser cette absence au profit de leur opinion. On a été jusqu'à prétendre que, vers 1831, le roi Louis, alors simple comte de Saint-Leu, aurait écrit au pape afin de désavouer son seul descendant ; mais sur ce point spécial la réponse est facile, la lettre incriminée étant fausse[9] ; jamais le frère de Napoléon n'en rédigea de semblable, et le journaliste anglais qui soutint cette thèse n'apporta aucune preuve réelle capable de l'appuyer. Reste donc la rumeur un peu vague qui attribue la naissance de Napoléon III à l'amiral Verhuel ou à Flahaut, ou bien encore au comte de Rylan, chambellan de la cour hollandaise[10].

Rylan doit être écarté de suite. Aucun historien de la reine Hortense. ne croit qu'il ait été son amant ; quelques-uns ne le citent pas, aucun mémoire n'en parle, au moins par rapport à l'époque de sa vie qui nous intéresse en cette circonstance ; la légende même a disparu devant le point d'interrogation plus sérieux qui se pose en face de Verhuel. — Flahaut, en effet, semble devoir être également éloigné. Le joli homme, dont Napoléon ne pouvait entendre l'éloge sans un peu d'agacement et qu'il comparait à un faucheux à cause de ses grandes jambes[11], ne fut l'amant de la reine que plus tard, selon toute vraisemblance vers la fin de l'année 1809[12] ; les préparatifs seuls de l'aventure se passèrent en 1807 ; en tout cas, cette passion nouvelle date d'après la naissance.

L'histoire secrète a même été si loin pour tout ce qui touche la reine, qu'elle lui a donné un autre ami dans l'intervalle, c'est-à-dire entre Verhuel et Flahaut, M. de Brack ; à moins encore — on l'a dit — que ce dernier n'ait été heureux vers la même époque que l'amiral dont le prestige ne serait tombé complètement que devant celui de Flahaut. M. de Brack, au contraire, aurait été conservé fort longtemps. La paternité de Flahaut apparaît donc impossible ; et il y a là une erreur ; c'est celle de Morny — en 1811 — qui peut, qui doit lui revenir[13]. Mais nous n'avons point à nous en occuper ici. — Reste Verhuel.

Un point est acquis à l'histoire, indiscutable et plaidant en faveur de ces paternités diverses, c'est que le ménage allait aussi mal qu'un ménage peut aller. La reine, d'une beauté que nous retrouverons mieux aujourd'hui en réunissant les divers portraits que nous avons d'elle[14] qu'en choisissant l'un ou l'autre, langoureuse et fantasque, d'une grâce un peu nonchalante, comme sa mère, avait tout ce qu'il faut aussi bien pour inspirer le désir ou même la passion que pour les éprouver elle-même ; à défaut de cette dernière, elle connut souvent cette curiosité voluptueuse qui, chez tant de femmes, remplace l'amour, ou, du moins, les en console. Le dissentiment des deux époux était vivace et total. Il ne venait pas de l'habitude, ce qui eût suffi à maintenir une certaine entente, mais de la différence absolue de leurs deux natures et de l'antipathie qu'elles conçurent de suite l'une envers l'autre, avant même — presque — d'avoir eu le temps de se connaître. Ils ne préparèrent entre eux aucun passé de bonheur, d’abandon, ni de désir rapide ou prolongé. Dès les premiers jours, Louis avait blessé sa femme, notamment en lui disant du mal de sa mère par le reproche qu'il lui faisait d'avoir trompé l'empereur auquel elle devait tout[15]. Ce blâme au sujet d'une infidélité apparut menaçant pour l'avenir à la jeune femme, et le dépit qu'elle en éprouva, sanctifié par la passion filiale, dut lui inspirer des réparties que le roi de Hollande médita d'autant plus tristement qu'il s'était marié à contre-cœur, sur l'ordre formel de son frère[16], et en conservant une grande tendresse, augmentée par le regret, pour une pensionnaire de Mme Campan. Il possédait un naturel soupçonneux et inquiet, défaut détestable, surtout vis-à-vis d'une femme. Avant qu'il ne fût consacré, ce mariage s'annonçait donc difficile. — Louis avait vingt-trois ans. Sa constitution s'était formée de bonne heure ; mais son esprit, son caractère ne l'étaient pas. Il avait cette naïveté, cette extrême bonne foi[17] qui appartient exclusivement à l'enfance, résultat d'une éducation privée, d'un caractère grave et réfléchi d'un homme forcé de s'habituer à vivre en lui-même. Cette fâcheuse situation changea son caractère ; elle altéra aussi sensiblement sa santé, sans qu'il s'en aperçût, pour ainsi dire, mais progressivement ; il n'eut plus de repos depuis lors. Il n'y a pas de malheurs plus cuisants et plus réels que les peines domestiques. Ceux de Louis imprimèrent à son esprit, à toute sa vie, une sorte de tristesse profonde, un découragement, un dessèchement, si l'on peut s'exprimer ainsi, auquel rien n'a jamais pu et ne pourra jamais remédier. Avant la cérémonie, pendant la bénédiction, et sans cesse depuis lors, ils sentirent également et constamment qu'ils ne se convenaient point ; et cependant ils se laissèrent entraîner à un mariage que leurs parents, et surtout la mère d’Hortense, croyaient essentiellement nécessaire et politique[18].

Ce caractère déjà nuageux s'était assombri encore par suite d'une, santé sourdement et profondément minée. A Sainte-Hélène, l'empereur a parlé de cette mauvaise santé dérangée dans des circonstances atroces[19] ; il a reconnu l'humeur insupportable de son frère, son esprit porté à la bizarrerie et au travers, gâté encore par la lecture de Jean-Jacques[20] ; il affirmait qu'il n'y avait même pas entre le roi et sa femme l'épaisseur d'une feuille de papier[21], tout en avouant qu'Hortense avait tort dans ses disputes conjugales. — Il aurait fallu à Louis une jeune fille très bourgeoise, un peu bête, soumise et dévouée sans réserve ; au contraire, Hortense, élevée à la manière des femmes de son temps, c'est-à-dire du XVIIIe siècle, alliait beaucoup d'adresse avertie à encore plus de frivolité ; malicieuse, légère et galante, elle ne pouvait trouver son époux que fort ennuyeux. Et le sentiment qui devait naturellement animer celui-ci à l'égard de sa femme était la méfiance. Napoléon qui se doutait bien de ce duel regrettable, lui avait écrit un jour : Ayez donc dans votre intérieur ce caractère paternel et efféminé que vous montrez dans le gouvernement, et ayez dans les affaires ce rigorisme que vous montrez dans votre ménage. Vous traitez une jeune femme comme on mènerait un régiment[22]... Il est certain que l'amiral Verhuel attaquait, en admettant qu'il ait fait la cour à la reine, un terrain préparé.

Ce qui a donné une certaine probabilité à la paternité de Verhuel, c'est que celui-ci se trouvait auprès de la reine Hortense, dans les Pyrénées, au moment de la conception. Le roi allait y venir également mais cela ne signifie rien de spécial. Ce qui signifie davantage, ce sont les circonstances qui avaient amené Hortense jusqu'à Cauterets et l'état d'esprit dans lequel elle y vécut ; ce qui est encore plus important, c'est le degré d'intimité dans lequel était tenu l'amiral, à la fois par la reine et par le roi. Or il est régulièrement peu vraisemblable que la .reine ait pris alors un amant[23], et il est certain que, si elle en prit un, ce ne fut point Verhuel[24]. A cette date, Hortense a reçu un coup fort rude par la mort de son fils aîné ; ses regrets ont peut-être présenté quelque chose de théâtral, mais il semble bien qu'ils aient été sincères ; ils ont eu une telle force qu'ils ont ébranlé sa santé, au point qu'une saison immédiate dans le midi a été ordonnée par les médecins. — La reine s'installe à Cauterets. Elle y arrive seule ; elle ne retrouvera même son mari que le 12 août, à Toulouse[25]. Elle fait des excursions. Et elle rencontre M. Decazes, secrétaire de Madame Mère, veuf assez récent. M. Decazes est un joli homme, jeune et agréable, touchant pour une âme sensible par la douleur que la mort d'une femme légitime lui permet et lui ordonne de montrer. La reine et lui se prennent d'amitié. Les excursions désormais sont faites à deux. La reine et M. Decazes se consolent l'un l'autre de leur deuil. Cette consolation nécessaire et charmante les mena-t-elle plus loin ? C'est probable — et également improbable — au choix. Il ne peut y avoir ici de donnée certaine dans un sens ni dans l'autre ; cependant on peut dire qu'il n'y aurait rien eu là d'étonnant. On peut faire également remarquer pue Napoléon III étant né le 20 avril 1808, il serait normal- que la conception datât du 25 juillet, environ, 1807. — Quant à Verhuel, à cette époque, il était si peu avant dans la faveur de Leurs Majestés hollandaises qu'il se faisait recommander à elles par un homme honoré de leur amitié, le préfet des Basses-Pyrénées ; et tout cela clairement établi par des lettres, jusqu'alors inédites, de ce préfet, le comte de Castellane[26]. Il est difficile d'admettre que l'amiral soit allé aussi vite en besogne, surtout si l'on songe que la place était prise, ou bien si l'on constate qu'elle était attaquée déjà. Si l'on juge que M. Decazes n'était qu'un camarade, il faut reconnaître qu'il était à même de savoir à quoi s'en tenir sur Verhuel, ce nouveau venu ; si l'on pense qu'il ait été davantage, il est peu croyable qu'il ait cédé la place sans au moins la défense de sa retraite, et cela nous reporte plus loin. De telle sorte qu'au point où nous en sommes de la question, le père véritable serait M. Decazes. Mais ici un nouveau facteur de doute entre en jeu. M. Thiers aurait dit à Versailles, en 1871, à plusieurs personnes, que Decazes lui tint, un jour, les propos suivants : Moi seul je peux être soupçonné d'être le père de l'empereur, et je ne le suis pas ; c'est véritablement Louis Bonaparte[27].

Ces paroles sont-elles sincères ? Il est évident qu'elles peuvent être une habileté suprême pour défendre la reine, et d'autant plus qu'elles apparaissent comme une indiscrétion ou une vantardise ; elles figurent alors la faible et naturelle rançon d'un homme bien élevé envers le souvenir d'une morte ; elles peuvent néanmoins être interprétées aussi dans le sens de la vérité ; et, malgré la date que nous avons établie précédemment, j'ai un penchant à les croire véridiques. Decazes n'a pas à se cacher en parlant à Thiers ; Thiers, comme beaucoup d'autres, sait à quoi s'en tenir sur la reine ; de plus il s'adresse à un historien et doit plutôt désirer lui faire connaître la vérité que le mensonge car il n'a aucun intérêt qui le lie à Louis-Napoléon, celui-ci ne semblant pas s'être souvenu de lui, ni qu'il fût son père réel. Decazes est royaliste — ne serait-ce que par convenance — et que Thiers annonce ou n'annonce pas au monde, un jour, que Napoléon III est le fils d'un tel ou d'un tel, cela ne changera rien aux choses. — On en arrive donc à cette conclusion que le prince Charles-Louis-Napoléon serait le fils de Louis Bonaparte, son père légitime. Mais il ne peut rien être épinglé à ce sujet de certain sur la carte des mystères historiques et — jusqu'à nouvel ordre — la tombe de la morne église de Rueil garde son secret[28]. A l'appui de l'hypothèse la plus morale, il est cependant bon d'ajouter que le roi vint peut-être quand même à Cauterets[29], et que, s'il n'y vint pas, il a reconnu avoir vécu à Toulouse avec la reine de la façon dite conjugale[30], ce qui est tout simple étant donné le deuil qui les aidait à se réconcilier et qui devait même les engager à avoir un nouvel enfant. Enfin, si l'on admet les lois ordinaires de l'hérédité, — et il y a beaucoup de points sur lesquels elles semblent justes — tout s'accorde assez bien pour que l'on se prenne à ne plus douter — ou à douter moins, — au besoin à acquérir presque une certitude, cela dépend du degré de scrupules auquel s'est habitué le raisonnement. Si la ressemblance physique laisse à désirer, la ressemblance morale, sur certains points, est, évidente. Louis Bonaparte est mélancolique, triste et religieux ; il a des prétentions littéraires qu'il essaie de réaliser ; — son fils, sans être triste ni mélancolique précisément, se montre renfermé, méditatif, presque timide, quelquefois irrésolu, comme son père[31] ; sans être religieux, nous verrons qu'il a ses heures de croyance ; la littérature est avant tout pour lui une arme de combat ; mais il la cultive, au moins dans sa jeunesse. Si, d'autre part, nous admettons surtout du côté paternel la relation physique, la santé, d'abord faible, du prince s'explique tout naturellement, son tempérament lymphatique, ses indispositions à partir de 1861 jusqu'à l'opération qui mit lin à ses jours ; et, en ce cas, au point de vue physique comme au point de vue caractère, on retrouve, en lui, un mélange assez reconnaissable de son père et de sa mère. A côté de la nature incertaine du roi, apparaissent, en même temps que l'indolence, la volonté tenace et confiante de la reine. Il rêve comme son père, mais pratiquement aussi comme sa mère ; il se résigne comme le premier, mais calcule encore ses chances de réussite comme la seconde ; il se permet — de loin en loin — des remontrances quelquefois sévères comme Louis, mais pardonne toujours comme Hortense ; et sa nature est une sorte de champ clos où les deux influences luttent ensemble pour se confondre dans une création nouvelle[32]. Au contraire, la ressemblance est nulle avec Flahaut, insoutenable avec Verhuel, homme extrêmement décidé, violent et de santé magnifique ; elle n'apparaît qu'à peine — bien qu'il soit moins difficile, à la rigueur, de l'établir — avec Decazes. Le frère de l'empereur se montre, en somme, malgré ses perpétuelles remontrances, attentionné pour son fils ; dans son testament il fait preuve de sentiments fort paternels[33]. L'objection que n'importe qui de correct aurait agi de même ne présente peut-être pas ici la valeur qu'on lui suppose et qu'elle posséderait ailleurs. Bien que cet enfant fût alors son unique descendant direct, le roi était trop peu maître de ses instincts soupçonneux pour ne pas les avoir trahis par une phrase, par un mot ; k long de sa vie, il ne fût pas parvenu à garder toujours un pareil secret — secret qui l'aurait touché à un des points les plus sensibles de sa nature et qui déchaînait celle-ci tout entière ; sa jalousie se serait, fait entendre à un moment quelconque, même au prix de sa dignité[34]. Quant à l'observation qui note que le roi s'occupa surtout de son fils aîné, et veut classer ce fait comme un signe de préférence, elle n'a pas la force qu'on serait tenté de lui attribuer au premier abord. Le jugement qui établit légalement la mésintelligence des époux les ayant autorisés à prendre chacun un des enfants[35], il était naturel que le roi prît l'aîné et laissât le plus jeune à sa mère ; et si l'un et l'autre se mirent à préférer le fils qui partageait leur existence journalière, quoi de plus selon l'ordre normal ? Cette préférence, elle-même, n'est pas nettement définie ; Hortense semble avoir apprécié également les deux princes ; et, si elle penche du côté de Charles-Louis-Napoléon, c'est surtout parce que, seul, il lui reste. Afin de posséder toute. la lumière là-dessus, il aurait fallu que Napoléon-Louis eût continué de vivre.

Quoi qu'il en soit, porté sur les fonts baptismaux par l'empereur, le prince reçut le baptême en 1810, à Fontainebleau, des mains du cardinal Fesch. Sa grand-mère ne lui tint pas lieu de marraine comme il avait été décidé, ce fut Marie-Louise. — Avec le roi de Rome, Charles-Louis-Napoléon est le seul prince qui soit né sous le régime impérial. Cette naissance fut saluée par les honneurs militaires, les solennités officielles et les hommages du peuple[36]. Un registre de famille destiné aux enfants de la dynastie avait été déposé au Sénat et le nom du second empereur s'y trouva inscrit le premier. La fortune napoléonienne était à son apogée et planait autour de ce berceau. — A sept ans de là, aux Cent Jours[37], les yeux du petit prince, émerveillés, s'agrandirent devant la dernière distribution des aigles, sur le Champ de Mars où, dans l'encadrement d'une foule immense, plus de cinquante mille hommes de la garde défilèrent l'arme au bras. A la Malmaison, il vit son oncle abandonné, détrôné pour la seconde fois. Il déjeuna même à sa table[38]. On prétend que Napoléon pleura et déclara mettre tout son espoir en lui : Qui sait s'il n'est pas l'avenir de ma race ! aurait-il dit[39]. Et l'on raconte à ce sujet plusieurs anecdotes[40] sans grande valeur historique. Ce qui est sûr, c'est la présence de l'enfant près de l'aigle abattu. A son retour de Waterloo, avant son départ pour Rochefort, Napoléon l'embrassa[41].

Le petit bonhomme vit ensuite le tsar Alexandre, celui de tous les alliés qui se montra le plus courtois pour la reine. L'autocrate fut reçu en mai au château de Saint-Leu qu'il avait manifesté le désir de visiter. Le roi Guillaume de Prusse et ses deux fils y vinrent également. Le vainqueur et le vaincu de Sedan se trouvèrent ainsi face à face pour la première fois et, selon toute vraisemblance, jouèrent ensemble[42]. En ce même mois de mai — le 28 — mourut l'impératrice Joséphine, grand'mère qui l'avait particulièrement gâté. Hortense conduisit le deuil avec ses deux fils. Le 14 juillet, sommée de .quitter le territoire, sous le nom de duchesse de Saint-Leu, elle se dirigea vers Genève. — La municipalité de la ville ne consentant pas à son séjour, elle cherche un refuge à Aix où elle attend qu'on statue sur son sort. Le 2 septembre, 1M. Decazes, l'ancien ami des Pyrénées, devenu duc et ministre de la police, écrit au préfet du Mont-Blanc, le baron Finot, pour lui apprendre que le séjour en Suisse est à la fois permis et ordonné à la duchesse de Saint-Leu sous la surveillance des missions des quatre cours et celle de Sa Majesté Très Chrétienne près la fédération helvétique[43]. Le canton de Saint-Gall lui est plus particulièrement spécifié comme l'endroit qui convient le mieux, avec défense d'en sortir et à condition qu'elle ferait serment de ne le même point essayer. Cependant de nouvelles complications surviennent[44]. Hortense et ses enfants gagnent Carlsruhe, puis Augsbourg. Dans l'intervalle, le conseil de Thurgovie se décide à lui offrir l'hospitalité ; et elle revient dans la fédération où elle achète la villa d'Arenenberg, le 10 février 1817, pour la somme de 30.000 florins. Le favori royal lui assurant que l'endroit en question lui sera toujours permis, et le jugeant excellent, quant à lui, pour y exercer sa haute surveillance, elle y fait exécuter certains travaux et s'y installe définitivement trois ans après. Mite Cochelet, sa lectrice, achète de son côté le chalet voisin[45]. Le paysage était agréable, encore qu'un peu triste peut-être et froid, du haut de la colline boisée où montaient les toits du château ; la vue s'étendait assez loin sur le lac de Constance, le Rhin et l’ile de Reichenau. Le château lui-même était modeste. Il figurait un simple pavillon blanc, sans autre ornement d'architecture qu'un balcon supporté par des colonnes[46].

Le premier précepteur du prince est l'abbé Bertrand ; M. Philippe Le Bas[47] lui succède ; ses professeurs sont : M. Gastard, l'helléniste Hase, le colonel Armandi, le général Dufour, surtout M. Vieillard. Sa mère lui donne des leçons de danse et de dessin ; elle lui garde un jour par semaine, le samedi[48]. Dès son enfance, Charles-Louis se montre à son avantage, d'après Mlle Cochelet[49] ; d'une intelligence précoce, l'esprit en éveil, il a réponse à tout ; il s'informe avec insistance du pourquoi des choses. Son caractère est doux, timide et renfermé. Il semble bon. Il révèle une sorte d'obstination et jamais ne cède. Sa mère l'appelle le doux entêté. Quand son frère va rejoindre le comte de Saint-Leu, il est affecté par son départ au point d'en avoir la jaunisse[50]. Sa sensibilité est presque allemande, d'après Mme Cornu ; il possède une nature tendre et bienveillante ; il voudrait toujours répandre la joie autour de lui ; il a pour les hommes la même sollicitude qu'un jardinier a pour les fleurs. Un jour, en plein hiver, il rentre sans veste, ni chaussures parce qu'il les a données à des enfants pauvres qui marchaient dans la neige les pieds nus et à peine couverts[51]. Toutefois, peu à peu, une autre nature apparaît à côté de celle-là, et qui semble déjà confiante en face de l'avenir. Il est dans son âme une corde qu'il ne faut pas toucher, dit encore Mme Cornu. Un jour où elle jouait, petite fille, avec lui et où elle railla les rêves impériaux que formait déjà, selon elle, son camarade, celui-ci lui jeta un regard féroce et ne parvint à se contenir que pour mieux l'entraîner ensuite, plus loin dans le parc, à l'abri de tous et là, lui saisissant les deux bras avec violence : Rétracte, s'écria-t-il, rétracte ce que tu as dit, rétracte-le immédiatement[52]. Il est âgé de douze ans quand il tient ce langage décidé[53]. Il y a moins lieu qu'on ne croit d'en rester surpris. Sa mère l'a entretenu de bonne heure dans l'idée qu'il régnerait, ou que, du moins, il réussirait sa vie et devait la réussir d'une manière ou d'une autre[54]. Comme cela se rencontre si fréquemment chez les femmes, la reine alliait une tête assez réfléchie, pour ce qui touchait sa fortune, à une tendresse de cœur difficilement prête à ne pas s'avouer. Elle savait se rendre compte, avec cette divination féminine qui remplace la réflexion, ou, lorsque celle-ci est acquise, l'éclaire. Elle possédait, de plus, une appréciable expérience personnelle, étant donnés les événements par où elle avait passé, le monde peu commun où elle avait vécu. A sa manière, elle avait été à même de profiter de l'enseignement napoléonien. Elle savait reconnaître, et nettement, ce qu'elle voulait ; elle savait, son but une fois choisi et décidé, y parvenir par suite d'une patience intelligente et active à laquelle personne ne voulait croire, tant elle réussissait naturellement à la cacher sous sa nonchalance. Entendant à merveille ses intérêts, elle pressentit ceux de ses enfants. Et, entre autres choses, elle se préparait à leur dire bientôt : Napoléon, l'auteur de notre célébrité, a sans doute écrasé les peuples sous le poids de son ambition, mais il a suscité de magnifiques espérances chez tous les pauvres et d'étonnantes admirations partout. Je l'ai connu dans sa force et dans ses faiblesses et je ne vous le donne pas comme un modèle accompli. Souvent, on aurait pu le comparer à un roseau peint en fer. II avait deux défauts : la faiblesse et l'indiscrétion ; comme il aimait trop à discuter, on lui faisait dire tous ses secrets ; un prince doit se taire ou parler pour ne rien dire[55]. Elle ajoutait ceci, qui révèle une femme de premier ordre : Quant à cette faculté que les idéologues, comme les appelait votre oncle, ont nominé l'entendement, elle est en France d'une faiblesse enfantine, même chez les gens qui ont la manie de raisonner. La Révolution a épuisé pour longtemps la force raisonnante des Français, mais ils sont restés sensibles aux accents de la voix humaine[56]. Elle résumait le meilleur de ses conseils dans ces paroles singulièrement lumineuses : Vous êtes princes, ne l'oubliez pas, mais sachez aussi sous quelle loi. Vos titres sont de date récente : pour les faire respecter, il faut vous révéler avant tout capables d'être utiles. Lorsque ceux qui possèdent des biens craindront pour leurs avantages, promettez-leur d'en être gérants. Si c'est le peuple qui souffre, montrez-vous comme étant, ainsi que lui, des opprimés ; faites entendre qu'il n'a de salut que par vous. En un mot, le rôle des Bonaparte est de se poser en amis de tout le monde ; ils sont des médiateurs, des conciliateurs. Et je le dis, non pas au sens humain du mot, mais dans tous les sens. Croyez qu'il ne vous est pas impossible de devenir littéralement une idole, quelque chose comme le rédempteur, l'intermédiaire entre le destin rigoureux du ciel et les intérêts humains. Les hommes aiment à se réfugier auprès d’une providence visible. Il est si facile, d'ailleurs, de gagner l'affection du peuple. Il a la simplicité de l'enfance. S'il voit qu'on s'occupe de lui, il laisse faire ; il ne se révolte qu'en croyant à l'injustice ou à la trahison. Mais il n'y croit jamais si on lui parle avec sympathie et douceur pour lui-même, en traitant avec une amère dérision les ennemis qu'on représente acharnés à lui nuire. C'est toujours Jacques Bonhomme. A tout événement soyez prêts, jusqu'à ce que vous puissiez, vous-mêmes, préparer les événements. Ne rebutez personne sans vous donner absolument à personne. Accueillez tout le monde, même les curieux, les hommes à projets, les conseillers. Tout cela sert. Je vous l'ai dit, surveillez toujours l'horizon. Il n'est comédie ou drame qui, se déroulant sous vos yeux, ne puisse vous fournir quelque motif d'y intervenir comme un dieu de théâtre. Soyez un peu partout, toujours prudents, toujours libres et ne vous montrez ouvertement qu'à l'heure opportune[57]. Elle terminait : Avec votre nom, vous serez toujours quelque chose, soit dans la vieille Europe, soit dans le nouveau monde[58].

Au contraire, d'après Le Bas, qui doit être cru, car sa sincérité ne dépend de personne, tout ce qu'il écrit se trouvant confié à des intimes, nullement destiné à la publicité[59], le prince commence par être distrait et sans activité. Il constate l'excellence de son bon cœur. Il ne parle pas de son entêtement. Il raconte que la reine Hortense et l'abbé Bertrand appellent aussi leur élève : notre petit oui-oui[60]. L'enfant est docile ; il accepte l'influence de son professeur avec une certaine indifférence. De son côté M. Vieillard ne se montre pas autrement enchanté : Le tableau que j'ai fait à la reine des connaissances du prince n'est pas flatteur ; et, pourtant, je nie suis convaincu qu'il était encore plus brillant que la vérité. Le prince est très retardé pour son âge ; il sait fort peu, et ce peu qu'il sait, il le sait fort mal. Il n'aime guère le travail ; l'attention le fatigue ; la réflexion l'obsède[61]. Il est vrai que cela résulte peut-être de la manière qu'a M. Vieillard de présenter l'éducation, car il avoue plus loin : Cependant il a tout ce qu'il faut pour apprendre ; il est né avec de l'esprit, il possède de l'amour-propre et serait bien aise de savoir. Mais toutes ces qualités sont dénaturées par leur mauvais emploi, et le dégoût que lui présente l'étude écarte le désir qu'il a de s'y livrer[62]. On le conçoit quand on apprend que le malheureux écolier a deux heures de récréation en tout et pour tout, que, levé à six heures, il se couche à neuf, et qu'il doit étudier chaque jour le latin, le grec, l'histoire, la géographie, la langue française, l'allemand, le calcul et la géométrie. M. Vieillard avoue que le prince a un charmant caractère et déjà l'instinct de se conduire par lui-même. Il le dit très irréligieux : Non seulement le prince n'a pas de religion, mais encore il hait la religion et ses ministres presque autant que l'esclave ses fers et ses tyrans. On l'a tellement ennuyé, obsédé, vexé, qu'on a excité dans son esprit une réaction violente qui s'est reportée sur les objets qu'on lui a présentés avec une obstination si déplacée. Il se soumet cependant aux volontés de son père, ruais en soupirant avec force après l'heureux moment où il n'écoutera plus que les siennes. Il se soumet, mais cette habitude d'obéissance forcée, de résignation factice, de convention hypocrite ne tend à rien moins qu'à fausser un caractère naturellement franc et loyal. Ajoutez à cela que les lumières ne dirigeant pas, chez lui, les inspirations d'un cœur excellent, il n'a aucun principe de morale fixe et assuré[63]. En somme, on reconnaît chez le prince, comme chez la plupart des jeunes gens élevés dans sa condition, une nature qui se cherche et se forme peu à peu[64] ; il y a d'autant plus de mérite que son entourage ne doit pas manquer d'établir des entraves dès qu'il le voit s'écarter des lignes de conduite, quelquefois un peu étroites, qu'il a instaurées. Il hésite encore. Si, à douze ans, il semble croire à un avenir impérial, à neuf, il ne paraît pas qu'il s'en soit soucié ; il se montre même tout ce qu'il y a de plus humble. Tandis que son frère s'écrie spontanément qu'il se ferait soldat s'il venait à se trouver dans la misère, Charles-Louis déclare qu'il se contenterait de vendre des violettes comme le petit garçon qui était à la porte des Tuileries[65]. C'est d'un bonapartisme bien platonique.

D'abord pessimiste, Le Bas trouve, ensuite, que son élève fait de grands progrès et devient chaque jour plus intéressant. Il passe des nuits agitées et révèle un tempérament très nerveux. Il fréquente les cours du gymnasium d'Augsbourg. Sur ses quatre-vingt-quatorze condisciples, il se classe cinquante-quatrième pour son coup d'essai. A son départ, il est parvenu à être vingt-quatrième.

A la mort de Napoléon, il n'est pas possible de savoir l'impression exacte qu'il ressentit. Il écrit à sa mère une lettre trop officielle pour qu'elle soit révélatrice, dictée sans doute, remaniée certainement ; on n'y trouve rien de spontané[66]. D'après Le Bas, il pleure beaucoup. Il est, vraisemblable qu'il se rendit mal compte de l'événement ; s'y serait-il efforcé qu'on se Mt préoccupé surtout de l'amener à des sentiments d'un ordre dit supérieur. Le Bas avoue aux siens qu'il a profité de l'occasion, quant à lui, pour faire comprendre au prince combien on devait peu compter sur la fortune. Charles-Louis est dans sa quatorzième année. Il est trop jeune. Plus tard il se rappellera ; bientôt il sentira s'éveiller mille idées personnelles trop fortes pour réfléchir à un passé si proche et le comprendre ; et ce passé même viendra vers lui surtout à travers l'âme populaire, grandi, purifié, exalté par la gloire et l'espérance.

Au fur et à mesure que le prince avance en âge, Le Bas s'en montre de plus en plus satisfait : Mon jeune élève est maintenant un modèle d'amour pour le travail. Il devient tout à fait raisonnable et j'ai toujours à me louer de son aimable et bon caractère[67]. Revenu à Augsbourg, il est le quatrième de sa classe. Il explique les Métamorphoses et l'Odyssée, il s'attaque avec succès à Virgile, à Plutarque, à Tite-Live. Seules, les mathématiques demeurent la partie faible. — Il pratique aussi les exercices physiques. Entre temps, il est blessé en prenant sa leçon d'armes. Le fleuret du maître s'est dirigé vers l'œil et le lui a déchiré d'environ un pouce. Il pouvait être aveugle et estropié pour toute sa vie[68]. Il se prépare à être l'excellent cavalier que tout le monde, admira par la suite. Il nage à merveille, au point de traverser, une fois jeune homme, le lac de Constance. La princesse Wasa, sa parente, se plaignant du prosaïsme des hommes de son temps, il se jettera dans l'eau, au confluent du Rhin et du Necker, pour aller simplement chercher une fleur tombée des cheveux do la jeune fille et la lui rapporter malgré la violence du courant[69]. Il gagnera de nombreux prix au tir fédéral et se montrera remarquable dans le combat à la lance[70].

En novembre 1823, il accompagne sa mère et son frère en Italie. Il commence à dessiner agréablement et fait une sépia de ce qui est aujourd'hui Cadenabbia, sur le lac de Côme, et qu'on appelait alors la Cadenabbia[71]. A Rome, il prendra également plusieurs vues, notamment celle du Tibre, assez curieuse, et une autre de Tivoli. Pendant ce voyage, il suit un trajet illustré par les victoires impériales. Il passe à Trente, à Roveredo, à Rivoli, à Mantoue. Il s'arrête à Bologne dans un palais vaste, immense même, bien distribué, mais d'une tristesse mortelle et d'un froid glacial. C'était la résidence royale dans le temps où Bologne faisait partie du royaume d'Italie. Et Le Bas ajoute : Le colonel Armandi, gouverneur du prince Napoléon, se rappelle d'y avoir vu danser Napoléon et Joséphine après la glorieuse campagne de 1797[72]. Le prince y est reçu par son oncle Bacciorchi, l'ancien prince de Lucques et le mari d'Élisa. A Rome, il se rencontre avec son père qui paraît content de retrouver ses cieux fils[73]. Il était décidé que rainé ne reviendrait pas à Arenenberg ; mais Le Bas craignait qu'il ne voulût garder le second et se félicite qu'il ne l'ait point fait[74]. Il voit également Madame Mère, cette parfaite figure antique — Mater Regum. L'admirable femme se faisait conduire chaque après-midi dans la campagne qui entoure la Ville éternelle, et là, se promenait à pied, à travers l'immense solitude[75]. — Charles-Louis-Napoléon entre alors dans sa seizième année. Malgré la surveillance qui a pesé sur lui — et à cause d'elle — il doit commencer à augmenter la somme de ses remarques personnelles. La vie qu'il mène à Rome ajoute à ses connaissances ; dissipée au dire de son précepteur[76], elle lui vaut de savoir par lui-même plusieurs réalités de l'existence, au sujet desquelles l'expérience d'autrui, même la meilleure et la plus adroitement dosée, ne sert jamais à rien. Le prince Eugène meurt sur ces entrefaites, âgé seulement de quarante-deux ans. Louis-Napoléon revient à Bologne, par Pesaro et Rimini. Il y voit la pierre que l'on conserve encore de nos jours sur la place publique comme étant celle d'où César harangua ses troupes après avoir passé le Rubicon et violé, pour la plus grande gloire de sa patrie, les lois qu'elle lui imposait par l'entremise de sa constitution. Au Rubicon, le futur Napoléon III descendit de voiture et remplit une petite bouteille au courant de ce fleuve célèbre qui n'est plus qu'un torrent à sec dans la belle saison[77]. En regardant son jeune élève se livrer à cette opération intéressante, Le Bas, revenu des faiblesses de ce monde, médite avec une noble facilité : Nous autres philosophes, dit-il, nous faisions sur le sort de ce fleuve et de l'empire auquel il servait de limite les plus belles réflexions.....[78] Cet honnête homme, un peu fruste, ne croyait certainement pas que son élève, occupé pour le quart d'heure à emprisonner de l'eau dans une fiole, écrirait un jour l'histoire de César avec la plume après l'avoir renouvelée à sa manière, et surtout selon celle que lui permettait son époque, avec l'épée. Le Bas et le prince rentrent à Arenenberg après avoir passé par Augsbourg.

Ils y retournent l'année suivante ainsi qu'à Rome, mais en traversant, cette fois, Florence[79]. A Rome, ils descendent à la villa Paolina, donnée à la reine Hortense par la princesse Pauline. Louis s'amuse beaucoup du carnaval et son précepteur se plaint de nouveau de la vie qu'il est contraint de mener. A peine deux heures de Tacite[80], soupire-t-il. Le retour à Arenenberg s'effectue en juillet. Puis la même existence nomade reprend. Les voyageurs changeant une troisième fois leur itinéraire, passent par le Voralnerg, Feldkirch, Coire, Splügen, Bellinzona, Lugano Varèse. Et à Bonne, le prince est à nouveau de toutes les fêtes. Dans le salon de sa mère, il vit pour !a première fois lady Blessington, sa future amie londonienne[81]. Le Bas n'a plus à s'en attrister, car il se sépare de son élève. L'un et l'autre se regrettent[82]. Le Bas, fils de conventionnel, était républicain ; notons, qu'il dut donner à son élève, autant qu'il était à même de le faire par rapport à sa position, des idées républicaines. Au Coup d'État, il ne put s'empêcher de protester, et avec indignation. Jamais il ne parut aux Tuileries, malgré l'excellent accueil qu'il tait sûr d'y trouver ; et jamais, depuis son départ, il ne revit son élève, sauf en 1859, un an avant sa mort[83], quand il dut, en sa qualité de président de l'Institut de France, présenter les délégations des cinq académies à celui qui était devenu l'empereur[84].

Le prince reçut également une éducation militaire. Il suivit les exercices d’un régiment badois en garnison à Constance ; il fit ses premières armes au camp de Thoune et y revint souvent pendant de longues périodes. Les Suisses l'accueillirent avec plaisir ; là, comme partout, il avait su se concilier de nombreuses sympathies[85]. En résumé, rien ne lui manquait de ce qui est nécessaire à un jeune homme pour lui permettre de se former. L'exil est une merveilleuse école pour les princes qui ne réussissent pas à s'y plaire et ne savent qu'en souffrir ; il est meilleur. que le séjour dans une patrie où les courtisans leur font trop sentir qu'ils sont déjà les maîtres, avant même d'avoir tenté la preuve de leur mérite. L'incertitude de l'avenir, le côté quelquefois aléatoire du présent, la tristesse qui pesait plus d'un soir sur Arenenberg„ constituaient un excellent ensemble éducateur ; il faut y ajouter le regret d'un passé splendide, la mélancolie active, mais un peu désabusée, d'une mère distraite, malgré son dévouement, et prétendant peut-être encore aux dernières joies de son automne, enfin la solitude morale où se débat forcément un prince de son âge et de sa position, bercé parmi d'extraordinaires souvenirs qu'il évoque en face de cette France où il n'a pas le droit d'entrer justement parce qu'il est un Bonaparte.

* * *

A Rome, auprès de sa mère quand éclate l'insurrection de juillet, il en apprend la nouvelle avec joie[86]. Les gouvernements de Louis XVIII et de Charles X ne lui ont inspiré que du mépris, peut-être même de la haine. L'exécution des quatre sergents de la Rochelle l'a généreusement indigné, d'autant qu'elle lui a rappelé celles de Ney et de Labédoyère[87]. Ce qu'il a eu, par certains côtés, de remarquable dans le gouvernement royal — au moins dans la preniii3re Restauration — a été d'un ordre trop sérieux pour être saisi par sa jeunesse pressée — en dehors des raisons qu'il avait de récuser semblable maitre. — Le prince est un libéral[88] ; il a l'âge de l'être[89] ; l'éducation de Le Bas a porté ses premiers fruits. Et 1830, c'est la restauration du drapeau tricolore, un frisson nouveau qui rappelle le souffle de 89 ; c'est peut-être la possibilité de rentrer dans la patrie.

Louis-Napoléon a vingt-deux ans. On devine si cette révolution fait battre son cœur. Ce qu'il a entendu dire au sujet de l'avenir, dans le salon de sa mère, se trouve ainsi justifié ; les hommes qu'il y a vus, la mine sombre et quelquefois farouche, apôtres d'une liberté vague mais à laquelle ils croyaient ardemment, lui sont désormais des annonciateurs, lui figurent des héros[90]. La réalité des convictions glorifiées par eux lui apparaît nette ; ainsi, les beaux rêves, formulés avec autoritarisme les soirs d'enthousiasme, aboutissent ; les conspirations donnent des résultats ; ce mot de liberté avec lequel la France a réveillé, puis soulevé le monde, a continué d'animer en secret les nations ; il se réalise au grand jour ; il s'y déploie comme une immense oriflamme. — Autour de lui, à travers la terre latine, il peut constater le contrecoup de l'allégresse parisienne consacrant un d'Orléans, dont le père, pour avoir conspiré déjà contre le pouvoir sous Louis XVI, guidé par Laclos[91], lui valait momentanément la confiance des humbles et lui permettait de personnifier une partie de leurs espérances. Louis-Philippe, alors duc de Chartres, tout jeune et à peine émancipé de la tutelle de Mme de Genlis, n'a-t-il pas combattu à Valmy sous les ordres de Dumouriez ? Louis-Napoléon ne peut être l'ennemi d'un tel homme ; il est comme le peuple, il espère en sa justice ; il se confiera même à elle, l'occasion aidant. — Il devait constater bientôt que la liberté, déjà toujours nécessairement restreinte, est, de plus, subordonnée à d'innombrables considérations politiques — au nom de l'une desquelles, entre autres, il ne lui serait pas permis de rester en France.

Comment, cependant, savoir qu'il y a quelque part en ce Inonde — et sur la terre natale — de l'enthousiasme et de la lutte, et n'y pas voler, ou, tout au moins, n'en pas prendre sa part ? Terne vie que la sienne, ainsi réduite à l'inaction, et qui ne vaut pas la peine d'être vécue. Le repos devient une torture pour une furie si vive, torture atroce, profonde, qui frappe sur le cœur, pèse sur lui et l'étouffe de toutes ses minutes une à une entassées, chacune plus lourde, plus cruelle, plus implacablement monotone. — Déjà, l'année précédente, écrivant à son père pour obtenir la permission d'aller servir la Russie dans la guerre russo-turque, insoucieux, au fond, de la Russie, mais trouvant là un prétexte de se battre, il lui disait : Je désire au delà de toute expression faire au printemps prochain la campagne contre les Turcs... Maman a qui j'en ai parlé a beaucoup balancé, mais, sentant combien cela pouvait m'être utile, elle a consenti entièrement[92]. Le comte de Saint-Leu en refusant, quant à lui, la permission demandée, n'a fait que condenser le désir de son fils et le rendre plus impérieux[93]. Il lui faut maintenant un champ de bataille, quel qu'il soit ; au besoin il le ferait naître.

Il s'intéresse à ce qui se passe autour de lui, dans la péninsule même, action à laquelle il est, déjà, plus ou moins mêlé. La cause de la liberté ne connaît pas de frontières ; la tradition française est de se dévouer pour les autres peuples. Possédé, comme il l'est, par son désir, il s'est renseigné sur l'âme italienne. Il la sait acquise aux idées d'indépendance et d'unité nationale. Son nom lui a valu, ainsi qu'à son frère, bien des confidences et même des offres. Un peuple libéré du joug étranger par le général Bonaparte, ne peut ignorer qu'il abrite deux de ses descendants. Il ne peut davantage, le moment venu, ne pas compter sur leur jeunesse enthousiaste. Chez les êtres de leur âge, l'action est une des l'ormes de la tendresse et du dévouement sans lesquels il semble alors qu'on ne puisse vivre ; la sympathie de tout ce qui vous entoure est indispensable et un irrésistible élan vous pousse à la créer. Aussi, un soir, conduits par le colonel Armandi, lassé à la longue de refuser à ses élèves ce qui lui causait tant de plaisir à lui-même, qui sait si les deux frères n'ont pas été dans quelque vente se faire initier carbonari[94] ? Ce n'est qu'une hypothèse, mais singulièrement plausible et offrant les meilleures garanties de vérité ; elle présente même à nos yeux celles de la certitude ; toutefois cette façon de voir est trop personnelle pour que nous l'établissions absolument ; nous pouvons du moins la justifier.

Le comte Arèse, qui était un camarade assidu de Louis-Napoléon, a déclaré que s'il n'avait pas été carbonaro, en réalité, il l'avait été de cœur[95]. Cette réticence en dit long. Arèse ne voulait pas trahir un ami — un ami qui était devenu empereur et avait affranchi la péninsule — en révélant son secret, mais il savait le sous-entendre. Il y a toujours eu deux hommes en Napoléon III, un officiel et un autre caché, la plupart du temps même, inconnu ; Arèse désirait les maintenir tels quels l'un et l'autre. ... J'avais l'honneur, dit-il, de me trouver souvent avec lui de prince) quand, après les affaires de 1831, je fus obligé de quitter nia patrie et de me réfugier en Suisse. Avant cette époque, je sais que le prince, quand il séjournait avec son frère dans l'Italie centrale, travaillait à la même tâche que je poursuivais de mon côté en Lombardie... Je ne peux affirmer qu'à cette époque il fut carbonaro, car il m'apparaissait plutôt comme un ennemi de toutes les sectes, même quand le but était généreux ; mais je puis affirmer qu'il le devint plus tard, car étaient carbonari tous ceux dont le but tendait à chasser les Autrichiens de l'Italie[96]. Sent-on comment Arèse, le bon Arèse, s'y prend pour tourner la difficulté et ne pas répondre à la question ? Il commence par réserver ce qui précède 1830 en se récusant sur son ignorance de cette période, cependant il la connaît assez pour nous dire que les deux frères, quand ils étaient dans l'Italie centrale, avaient les mêmes occupations que lui, carbonaro notoire, dans le pays lombard, et en même temps ; enfin il rappelle Magenta et Solférino pour bien montrer que Napoléon III n'a pas fait seulement la guerre à l'Autriche pour faire la guerre. Si l'on envisage, après cela, les différentes attitudes d'Orsini[97], depuis son arrestation jusqu'à l'échafaud, la pression italienne perpétuellement exercée sur l'empereur jusqu'à Mentana, cette action prise en elle-même, en dehors de celle de Cavour et en détachant, bien entendu, toutes les branches romanesques dont on a paré, depuis, le tronc initial, il y a bien des chances pour que le carbonarisme de Louis-Napoléon ne soit pas une légende. Plus d'un carbonaro était venu à Arenenberg et connaissait, avant même d'y être invité, la reine Hortense. L'un d'eux l'a raconté, sans dire, cependant, qu'il se soit entendu avec les princes. Dans l'été de l'année 1820, j'eus le bonheur de passer quelque temps avec plusieurs membres de la famille de Bonaparte, avec l'ex-reine de Hollande et la grande-duchesse douairière de Baden[98]. En dehors d'Armandi, tout près du prince, le fidèle Conneau est franc-maçon[99]. Et c'est un des chefs du carbonarisme, Menotti, qui vint demander aux deux frères leur concours dès que l'action fut entamée[100]. Enfin, en se faisant affilier, en dehors même des raisons qu'ils avaient pour cela, les deux jeunes gens éprouvaient l'inappréciable sentiment d'agir, car, à cette époque — comme à beaucoup d’autres — conspirer, c'est agir. Ils faisaient acte politique ; ils prenaient place ; ils se créaient des amitiés précieuses, se fournissaient des antécédents dont ils se réclameraient par la suite, afin de s'assurer la faveur populaire. Ils pensèrent même peut-être à s'attirer ainsi l'attention du parti libéral français. II est cependant plus probable qu'il y eut là, surtout, chez eux, une spontanéité joyeuse, empressée à servir les formules émancipatrices qui chantaient dans les meilleures poitrines[101]. On peut difficilement aujourd'hui se faire l'idée d'un pareil élan. C'étaient les beaux jours de la liberté ; elle n'existait pas encore et se montrait parée de toutes les qualités dont on gratifie si bien les gouvernements dont on n'a pas fait l'expérience — ou dont l'expérience la plus récente se trouve être éloignée, même relativement. — En dernier lieu, en adhérant à la maçonnerie, les deux frères ne dérogeaient pas à la tradition de leur famille ; au contraire, ils la continuaient[102].

De nos jours, on sourit, — d'un sourire entendu dont la facile apparence de supériorité est une niaiserie —quand on parle de sociétés secrètes. La Sainte-Alliance, plus avertie que nos contemporains, n'en riait pas ; les mesures souvent très étendues et toujours exercées qu'elle prit à leur égard, en chaque pays, prouvent même qu'elle en avait peur. C'est que la vitalité de ces associations était considérable[103]. Elles correspondaient entre elles pour la plupart et se soutenaient presque toujours, malgré, les rivalités possibles, au moment du danger. Francs-maçons de France, carbonari d'Italie, decamisados espagnols, enfants du Tugenbund en Allemagne, tous répondaient au mot d'ordre et nul ne levait les mains au-dessus de la tête, selon le geste appris, pour le signe de détresse, sans être entendu. Un immense réseau mouvant s'était ainsi formé en Europe, ouvrant et étirant ses mailles selon des données qui n'apparaissent peut-être confuses que parce qu'elles sont ignorées[104]. L'Angleterre même était atteinte et quatre-vingt mille hommes armés de bâtons réclamaient à Smithfield le suffrage universel et des élections annuelles. Vingt-deux années de guerre européenne avaient secoué, heurté et mêlé tous les peuples. Italiens. Espagnols, Hollandais, Saxons confondus sous les plis du drapeau français, y avaient contracté des germes révolutionnaires ; rentrés dans leurs foyers, replacés au sein de mœurs régulières, qu'ils avaient oubliées dans les camps, sous des gouvernements qu'ils n'avaient pas connus, ils y rapportaient une phraséologie déclamatoire, le scepticisme et l'indiscipline sociale. Aux liens publics de la vie militaire s'ajoutèrent les liens secrets des mystérieuses affiliations : à la guerre des champs de bataille, succédèrent les conspirations[105]. Pour conspirer, rien de mieux que ces sociétés secrètes.

Elles avaient d'autant plus de force en Italie que leur mouvement venait d'assez loin : il datait à la fois de la chute de Napoléon et de celle du roi Murat[106]. La plupart des hommes qui les composaient avaient joué un rôle sous l'Empire et regrettaient leur considération perdue[107]. Beaucoup de nobles lombards, dédaignés par l'Autriche, s'étaient fait initier. On a dit qu'en comptant les diverses loges et les diverses associations, ils étaient en tout cent mille[108]. C'est probablement exagéré ; mais, à coup sûr, ils étaient bien cinquante mille, admirablement disciplinés. Partagés en deux classes, ils possédaient une tête et un bras. La première classe, la plus nombreuse, se composait d'individus de basse condition qui devaient toujours se tenir prêts à prendre les armes. On ne leur avait point parlé de gouvernement constitutionnel, on leur avait seulement dit qu'on voulait chasser les Autrichiens et le mot d'ordre était l'indépendance de l'Italie. Des hommes distingués formaient l'autre classe : ils se proposaient d'opérer l'union de l'Italie et de proclamer la constitution d'Espagne[109]. C'est vers 1820 que les différentes sociétés italiennes s'étaient fondues dans le carbonarisme, ou charbonnerie, qui avait été vraisemblablement fondée à Naples, en 1806, par un conseiller d'État, M. Briot[110]. Son organisation et sa discipline étaient parfaites. Un policier, Lucien de la Hodde, l'avoue[111]. Son action était continuelle et ne s'en tenait pas aux paroles ni aux actes. Dès 1820, elle répandit de nombreux libelles contre l'Autriche et la monarchie des Deux-Siciles. A sa sollicitation, un historien, Sismondi, publia même une brochure destinée à réveiller davantage encore le sentiment national[112].

Louis-Napoléon et son frère — et ceci sans qu'il puisse y avoir à ce sujet le moindre doute — entrèrent dans la conjuration très sérieuse qui fut formée alors et qui engloba presque toute l'Italie[113]. Elle avorta surtout par suite de trahison ; on ignore ce qu'elle eût donné sans cela et les gens de l'époque l'ont toujours considérée comme ayant été redoutable[114]. Il faut croire que Louis-Napoléon se soit singulière-nient compromis, ayant même que l'action n'ait été entreprise, pour être mis en demeure, comme il le fut, de quitter Rome[115]. Il ne s'attendait pas à être ainsi forcé par la police pontificale, mais savait à quoi s'en tenir, car, le matin même de son arrestation, un ancien officier, carbonaro, avec lequel il faisait quelquefois des armes, était venu lui demander de le cacher et l'avait engagé à veiller à son salut. L'avis était nécessaire. L'après-midi, tandis que le prince causait avec sa mère, un domestique monta lui dire que le palais était cerné par cinquante hommes ayant ordre de se saisir de lui et de l'emmener aussitôt à la frontière ; aucune résistance n'avait chance de réussir ; il se soumit donc, puis gagna Florence[116]. A peine y était-il arrivé que l'insurrection de la Romagne se déclara ; dans le plan des révolutionnaires, elle devait aider celle de Rome qui venait d'être arrêtée juste à temps. Des ouvertures encore plus pressantes furent faites aux deux jeunes gens ; c'est alors que Menotti vint à la rescousse leur dire qu'il comptait absolument sur eux ; et ils y répondirent en promettant leur appui. — On possède malheureusement peu de détails sur le rôle des princes dans ces circonstances plus importantes qu'on ne le pense.

Cette première manifestation de la question italienne se développait à une heure assez difficile pour l'Europe et où la plupart des gouvernements, celui de Louis-Philippe en tête, voulaient la paix à tout prix[117] ; et, souvent, on ne souhaite autant la paix que si la guerre est à craindre ; le moindre choc risquait de prendre des proportions sérieuses. La théorie des nationalités existait déjà de toutes pièces et à un point qui permet de comprendre qu'il eût été fort difficile à l'empereur d'empêcher, à plus de vingt ans de là, la campagne d'Italie. Cette façon d'envisager l'échiquier européen, selon la logique des peuples divers qui l'occupent, remontait aux guerres de la Révolution. Tout ee qu'il y avait d'instruit la jugeait excellente, nécessaire, suivant la compréhension la plus normale de l'avenir[118]. Un courant pareil ne se restreignait pas à la France, il animait tout le continent, mais la France étant le pays le plus libre, le plus ouvert aux idées nouvelles et, en quelque sorte, leur berceau, elle marchait là, comme sur tant, d'autres points, à l'avant-garde ; ne pas suivre ce mouvement eût été pour elle cesser de tenir la tête en Europe[119], Les peuples ne se rendaient, sans doute, pas très bien compte de sa signification véritable ; cependant l'instinct leur y faisait découvrir facilement leur intérêt ; c'était une théorie patriotique et libertaire, et à défaut du premier point, le second eût suffi à rallier les suffrages. De loin, il est assez facile de distribuer le blâme à ceux qui n'ont pas su distinguer toutes les sources d'un fleuve aussi fort et la nier dangereuse où il risquait-de mener ; la fin connue justifie alors le jugement facile ; de près, il est moins commode de savoir à quoi s'en tenir et ceux qui se trouvaient emportés par ces eaux puissantes pouvaient difficilement prévoir vers quelle suite de complications fatales elles les entraîneraient malgré eux. Faire alors la guerre pour la guerre, dans un simple but de conquête, eût semblé monstrueux ; et d'ailleurs la guerre a toujours des raisons profondes, même en dehors de celles que nous lui reconnaissons sur le moment[120] ; il fallait que la lutte fût légitimée par une idée, par une raison valable — au moins en apparence. Est-ce que les campagnes révolutionnaires n'avaient pas été entreprises afin de renverser les trônes et de faire triompher la déclaration des droits de l'homme[121] ? Est-ce que Napoléon n'avait pas été le soldat de la Révolution[122] ? Metternich, le dieu therme des chancelleries classiques[123] qui représenta si fortement l'ancien ordre de choses, le considérait surtout comme tel et visait bien plus, en le combattant, l'esprit nouveau représenté par la France et dont elle menaçait, à ses yeux, de corrompre l'Europe, que la France elle-même. Est-ce que, inversement, la campagne des alliés n'avait pas été conduite, elle aussi au nom d'un principe — du principe contraire, celui de l'absolutisme monarchique ? Ce ne sont pas seulement les intérêts qui mènent le monde ; les idées aussi ont leur part ; il est toutefois juste de songer qu'elles ne sont peut-être et souvent que l'expression de ces intérêts, étant inspirées par les sentiments plus que par la raison, par les sentiments qui viennent eux-mêmes de nos besoins... En tout cas, dans la période dont nous nous occupons, certaines âmes naïvement enthousiastes croyaient avec sincérité que l'avènement des doctrines libérales supprimerait les luttes entre nations et établirait la paix européenne. L'Italie, à part le petit royaume du Piémont, morcelée entre le pape, les Bourbons et l'Autriche, était le pays qui semblait le plus intéressant, le mieux mériter un appui dans la lutte entreprise par lui, afin de conquérir son indépendance ; déjà fort en vedette, elle allait ainsi, peu ii peu, se mettre au premier plan sur le terrain des revendications nationales. La servir, pour les deux princes, c'était lutter contre la cour de Vienne, les ennemis de l'Empire et de la liberté[124]. L'occasion s'offrait trop belle[125]. Dans une lettre à leur mère où ils donnent les raisons de leur conduite, on relève ceci : Votre affection comprendra notre détermination. Nous avons contracté des engagements que nous ne pouvons manquer de remplir[126]. Pouvions-nous rester sourds à la voix des malheureux qui nous appellent ? Nous portons un nom qui oblige[127]. C'était vrai. Cette insurrection .préparée depuis si longtemps[128], bouleversa les duchés de Parme et de Modène, simultanément aux Romagnes. L'archiduchesse Marie-Louise et François IV semblent l'avoir redoutée et avoir perdu particulièrement la tête, car ils s'enfuirent sans essayer de se défendre. A Bologne où l'émeute acquit de suite une extrême violence, un gouvernement provisoire proclama la suppression du pouvoir temporel du pape. Louis-Napoléon s'y trouvait. Je pense qu'il se soumit à cette ordonnance plutôt qu'il n'y aida, mais, étant données les idées asti-cléricales remarquées chez lui précédemment, il est normal qu'elle lui ait plu ; il est fort possible même, dans l'effervescence du moment, qu'il y ait applaudi. Les deux frères firent preuve d'intelligence et de décision en armant une troupe peu nombreuse et en mettant, tant bien que mal, un canon qui se trouvait là en état de servir[129]. A la tête de cette bande improvisée, ils coururent sur Civita-Castellana et s'en emparèrent après un léger combat[130]. A côté d'eux, un homme fut tué ; c'était le comte Félix Orsini ; il laissait un fils, qui devait essayer d'abattre l'ancien compagnon d’armes de son père[131]. Les princes, une fois maîtres de la ville, eurent le plaisir de délivrer des prisonniers d'Etat qui gémissaient dans les cachots depuis huit ans[132]. — L'aventure était un peu folle et n'en convenait que mieux à ces jeunes gens ; pour leur coup d'essai, ils étaient victorieux. Ivresse que leur liberté — et de l'avoir conquise afin de commander à des soldats[133] !

Cependant, avortée à Rome, manquant de discipline, l'insurrection ne pouvait plus réussir ; bien préparée sur le papier, elle apparaissait décousue sur le terrain même ; l'entente se montrait chaque jour moins complète qu'on ne l'avait crue ; enfin, les forces à opposer à celles de l'Autriche, considérables et puissamment appuyées par un matériel parfait et le fameux quadrilatère, demeuraient trop restreintes. Dès les premiers jours, l'effort tenté s'éparpilla au hasard ; il lui fallait, au contraire, la direction unique qui permet de tenir tête au nombre, de persévérer dans la résistance après la première défaite. La petite troupe, d'abord heureuse, eut tôt fait de se heurter à une colonne autrichienne. Elle se replia immédiatement sur Forli, puis sur Ancône. Cette retraite fut naturellement trouvée admirable par ceux qui l'effectuèrent' et ne diminua pas leur enthousiasme ; elle eut lieu aux cris de : Vive la liberté ! Vivent les Bonaparte ! Les deux princes s'exposèrent honorablement à plusieurs reprises[134]. Le colonel Armandi qui dirigea une partie des opérations et dut s'effacer, selon toute vraisemblance, devant ses élèves[135], écrit à la reine : Soyez fière, Madame, d'être la mère de tels fils. Toute leur conduite dans ces tristes circonstances est une série d'actions de courage et l'histoire s'en souviendra[136]. Malheureusement l'aventure finit mal pour l'aîné et faillit ne pas tourner mieux pour le cadet. Napoléon-Louis eut un refroidissement, puis la rougeole, et mourut à Forli le 17 mars, après quelques jours de maladie[137] ; Louis-Napoléon en prit le germe au chevet de son frère, car le mal ne se déclara qu'un peu plus tard. Dans un état de santé assez précaire, il traversa les Marches, l'Ombrie, et parvint à Spolète où le futur Pie IX, Mgr Mastaï, était archevêque. Son éminence fut très aimable pour l'adversaire momentané du Saint-Siège ; elle lui fournit de l'argent et des guides ; sa sollicitude s'étendit même aux divers chefs des insurgés qui durent ainsi à une protection cléricale d'échapper aux Autrichiens qui venaient d'envahir le pays. Ce prélat patriote voulait surtout se souvenir que les uns et les autres représentaient la cause de l'indépendance[138]. Que serait-il arrivé si l'archevêque de Spolète, au lieu de porter secours à Louis-Napoléon, laissé tomber entre les mains de l'Autriche ? Un tel fait pouvait bien changer le cours des événements ultérieurs. Le prince serait resté longtemps prisonnier de la cour de Vienne et il n'aurait pas pu, vraisemblablement, par les attentats de Strasbourg- et de Boulogne, se faire connaitre à la France[139]. C'est aller un peu loin. Il est improbable que l'Autriche ait gardé longtemps le prince ; elle aurait, à la longue, pardonné, à cause de son âge ; il est toutefois certain qu'elle eût commencé par sévir. Et Louis-Napoléon, voulant s'échapper et n'y parvenant peut-être pas, risquait une prison fort longue cette fois ou la balle insuffisamment maladroite d'une sentinelle trop zélée. Au surplus, sur l'instant même d'une arrestation, le pire demeurait possible[140].

La reine, conseillée par le roi Jérôme et le cardinal Fesch, était partie en hâte de Florence ; tous deux lui affirmaient que ses fils seraient perdus s'ils tombaient aux mains des Autrichiens. A Pérouse, elle trouva une population dans la joie, croyant sérieusement à l'intervention française[141]. A Foligno, la première poste après, une calèche s'arrêta près de sa voiture ; un homme en descendit qui dit être le messager de ses enfants et lui annonça que l'un d'eux était malade. Le messager envoyé de Forli, raconte-t-elle, la figure de tous ceux qui m'entourent, m'annoncent un affreux malheur. Je n'ose interroger. L'incertitude est encore un bienfait. Cependant j'entends à chaque poste ces mots affreux, sans cesse répétés par le peuple qui entoure ma voiture : Napoléon mort ! Napoléon mort ![142] A Pesaro, dans le palais de son neveu, elle apprit enfin, définitive, l'horrible nouvelle de la bouche du seul fils qui lui restât désormais. — Napoléon-Louis fut inhumé à Forli dans une chapelle provisoire et toute la ville suivit son cercueil Hortense et Louis-Napoléon n'avaient pas une minute à perdre[143]. Le lendemain, l'année autrichienne occupait la place. Ils s'enfuirent et gagnèrent Ancône. La reine s'était munie d'un passeport où les autorités la désignaient comme une dame anglaise voyageant avec ses deux fils ; il fallait maintenant remplacer l'un d'eux ; un ami du prince se proposa, le marquis Zappi[144]. — Ancône n'avait pas été choisie au hasard ; c'était la ville la plus proche, offrant par là une chance de fuite ; la plupart des insurgés y venaient ou y étaient venus déjà chercher un refuge[145]. Hortense aida autant qu'elle put au départ d'un grand nombre, ne conservant que l'argent nécessaire à son voyage. Et deux petits bâtiments, heureusement mouillés dans le port, emportèrent bientôt les patriotes italiens. Louis-Napoléon avait pensé se joindre à eux, mais son état maladif, augmentant chaque jour, l'en empêcha. Il n'en avait rien avoué à sa mère. Inquiète sans savoir encore ce qu'il en était, Hortense fit venir un médecin. Cet homme assez ignorant, à ce qu'il semble, déclara que le prince n'avait qu'une forte fièvre et lui ordonna de se coucher. La reine, un peu tranquillisée, espéra qu'une bonne nuit guérirait son fils et qu'au bout de deux jours il irait mieux. Le lendemain, la rougeole se déclara nettement, sans qu'il fût possible de douter. Il n'y avait pas moyen de partir désormais et demeurer à Ancône devenait assez dangereux, car les ordres de Metternich étaient formels : Louis-Napoléon se trouvait noté comme un de ceux dont la capture importait le plus et pour lesquels il n'v aurait pas d'amnistie[146].

Hortense fit preuve de sang-froid. Elle se procura un nouveau passeport pour Corfou et, grâce à un va-et-vient continuel de ses domestiques allant de son palais à l'un des bâtiments mouillés en rade, elle réussit à simuler l'embarquement de son fils au point que tout le inonde y crut[147]. Le soir du jour employé à ces manigances, l'une des goélettes mit à la voile. Le lendemain même, à l'aube, les uniformes blancs entrèrent dans Ancône, et l'état-major, commandé par le général Geppert, choisit le palais de la reine pour s'y loger. Elle s'y attendait, le palais étant le plus beau et le plus grand de la ville, et avait pris soin de n'y réserver que peu de pièces, afin de ne pas donner l'éveil. — Une double porte fermée à clef la sépara du général en chef. La moindre indiscrétion, la plus petite maladresse pouvaient révéler son secret. Les soldats de garde occupaient sans cesse l'antichambre, mêlés aux domestiques. Mais personne ne parla[148]. Le médecin put aller et venir à son aise et le prince, bien soigné, guérit vite. Au bout de huit jours, il était assez fort pour se mettre en route. Le difficile était désormais de partir[149].

Hortense s'occupait à en chercher les moyens lorsque Geppert se fit annoncer. C'était un de ces militaires très civilisés et courtois comme il y en avait dans les vieilles cours et comme il s'en maintenait beaucoup encore à celle d'Autriche, où Metternich mettait tant de soin à prolonger l'ancien régime jusque dans ses petits détails. Le général se montra si humble, si soumis, qu'il semblait presque être venu prendre les ordres d'une souveraine rencontrée et reconnue. Dans le courant de la conversation, Hortense déclara qu'elle comptait quitter Ancône, dès qu'on l'en autoriserait, afin de s'embarquer à Livourne à destination de Malte ; elle y retrouverait son fils qui, dans ce moment même, cinglait vers Corfou ; de lit, elle demanderait asile à l'Angleterre. — L'officier, qu'il ait cru ou non ce beau discours[150], délivra un laissez-passer en blanc afin que son interlocutrice y inscrivit elle-même tous les gens de son personnel. Le prince et Zappi décidèrent d'endosser la livrée des laquais. Le départ fut fixé pour le jour de l'hues ; et Hortense, afin d'être moins observée en s'en allant de bonne heure, manifesta le désir d’entendre la messe à San Loreto, à vingt kilomètres environ d'Ancône.

Le matin de Pâques, tout une fois prêt, la reine ouvrit la dernière porte de ses appartements et sortit par l'antichambre. Louis-Napoléon et Zappi, habillés comme les domestiques dès quatre heures[151], se mêlèrent au mouvement général et passèrent devant les sentinelles autrichiennes sans être remarqués[152]. Le prince monta sur le siège de la voiture à côté du cocher, et Zappi sur le derrière avec la femme de chambre. On arriva dans cet équipage, aux portes de la ville où le passeport fut vérifié, puis on se trouva dans la campagne. A San Loreto, la reine entendit la messe. Au second relai, à Macerata, quelqu'un reconnut le prince, et garda le silence. A Tolentino, il fut éventé de nouveau, et, cette fois, signalé aux autorités sur-le-champ. Le passeport de Geppert devint un talisman dans cette circonstance, à moins que ce ne fut la bienveillance du commandant autrichien de Tolentino qui n'ait tout fait ; il répondit, en effet, au dénonciateur : Je ne suis de service ici pour arrêter personne et, d'ailleurs, le passeport est en règle[153]. A Foligno, par prudence, on fit celai hors de la ville. A Pérouse[154], tout se passa sans encombre. Les dangers augmentaient au fur et à mesure que les fugitifs se rapprochaient de la Toscane, Louis-Napoléon y ayant séjourné à plusieurs reprises. En arrivant à la frontière, la reine fut prévenue que le commissaire envoyé spécialement de Florence pour la surveiller se refusait à signer le passeport. Ce personnage récalcitrant avait de plus été souper dans une campagne voisine, au lieu de venir examiner les choses par lui-même. La reine lui dépêcha son courrier en toute hâte en le chargeant de donner au fonctionnaire l'assurance la plus formelle que le prince était en mer et qu'elle allait à Livourne dans l'intention de s'embarquer pour le rejoindre. Le courrier réussit à convaincre l'envoyé florentin, désireux surtout de s'éviter un dérangement, et rapporta le passeport en règle[155]. Louis-Napoléon et Zappi quittèrent leurs livrées, et, le premier passeport remplaçant celui qui avait permis d'atteindre jusqu'ici, ils passèrent pour les fils d'une darne anglaise en voyage. A la faveur de ce nouveau déguisement, ils traversèrent Sienne[156], Pise, Lucques, au milieu de nouvelles péripéties, et parvinrent à Massa, dans le duché de Modène où la répression avait été plus particulièrement cruelle. Enfin ils atteignirent Gênes. Entrant en France par Antibes, ils couchèrent à Cannes — à Cannes où l'empereur avait débarqué de l'île d'Elbe. Puis ils gagnèrent Paris[157].

* * *

Le prince y arrivait à une heure intéressante pour lui et la cause qu'il allait, sous peu, représenter. — On avait crié : Vive Napoléon II ! sur les barricades de Juillet[158] et, bien qu'à peu pris isolé, ce cri dénotait un état d'esprit qui commençait d'apparaître[159]. Le nouveau gouvernement qui le connaissait mieux que personne, craignant d'être emporté par lui, l'exploita de suite à son bénéfice ; s'affirmant enthousiaste des souvenirs napoléoniens, il s'occupait à faire remettre sur la colonne Vendôme la statue du grand homme. Providentielle et généreuse sollicitude à l'égard de son neveu, qui prit domicile à côté d'elle, rue de la Paix[160]. Auparavant, passant par Fontainebleau, le jeune homme n'avait pas manqué de visiter le palais connu par lui à un âge où rien ne marque dans le souvenir, et sa mère, après avoir été saluée par la reconnaissance des gardiens et revu l'appartement qu'elle y avait habité à la paix de Tilsitt, lui montra l'endroit où Napoléon l'avait tenu de ses mains, petites et belles, sur les fonts baptismaux. Silencieuse leçon, plus impérieuse que toutes les paroles, au moment du retour dans la patrie ; exigeant appel d'un passé splendide vers un avenir que le prince rêvait pareil, plus beau peut-être encore. — Cette outrecuidance n'est-elle pas de son âge ?

En réfléchissant à ce voyage à Paris, on est presque amené à croire qu'il avait été préparé ; et, en ce cas, le rôle des deux frères dans l'insurrection des Romagnes aurait été concerté à l'avance afin de donner plus d'autorité à leur parole lors de leur arrivée dans la capitale, l'affaire finie d'une façon ou d'une autre. Rien cependant ne peut être avancé à ce sujet ; une réflexion naît d'elle-même en face des circonstances, nous l'enregistrons, voilà tout ; afin que nous ne soyons pas accusés de lui donner de l'importance, soulignons-là comme hypothèse. Il est, du moins, certain qu'une fois à Paris, Louis-Napoléon se mit en rapport avec les principaux chefs (lu parti républicain et, sans conspirer peut-être contre le gouvernement, se rendit compte des forces capables de lui être opposées et des meilleurs moyens qu'il y avait de s'en servir[161].

L'action entreprise fut même telle qu'en novembre 1831, le préfet de police, Gisquet, apprit que le parti bonapartiste avait organisé dans les départements de l'Est un complot avec ramifications à Paris ; il comprenait des réfugiés polonais, des hommes de lettres, des négociants, des propriétaires de Paris et d'Alsace, enfin des officiers supérieurs en activité de service. On travaillait à gagner des régiments et c'était par le soulèvement de la troupe que le complot devait éclater. On espérait par ce moyen se rendre maitre de quelques-unes des places fortes de l'Est[162]. Louis-Napoléon avait comme émissaires plus particuliers un nommé Zaba, sujet polonais, et un certain Mirandoli, sujet italien ; il leur avait ouvert un crédit de 12.000 francs[163]. Belmontet servait d'intermédiaire. Tout ceci ne fait pas de doute. Des papiers trouvés sur Zaba portaient certaines notes de la main du prince[164]. Parmi les conjurés, il faut citer encore un autre polonais, Léonard Chodzko. Tous furent arrêtés[165]. Louis-Napoléon se rencontra, ou correspondit avec, entre autres, Odilon Barrot et Lafayette[166].

Aussitôt arrivée, la reine Hortense écrivit au colonel d'Houdetot, aide de camp du roi, qu'elle avait connu, pour lui annoncer sa présence. Il était d'autant plus nécessaire d'avertir que le gouvernement croyait les fugitifs à Corfou[167]. — Le colonel se rendit auprès d'Hortense et celle-ci le pria de faire savoir à Louis-Philippe qu'elle demandait une audience. Le lendemain, le colonel revint lui apporter la réponse du roi : il refusait de la recevoir et s'était beaucoup récrié sur l'imprudence qu'il y avait pour la reine et son fils à paraître dans un pays d'où ils étaient exilés. M. Casimir-Périer se fit annoncer ensuite à l'hôtel de Hollande. Il était chargé de rendre moins dure la décision prise, en fournissant l'assurance que Louis-Philippe regrettait de ne pouvoir agir autrement. La fille de Joséphine répondit au président du Conseil : Je sais que j'ai transgressé une loi et vous avez même le droit de me faire arrêter, ce serait juste. — Juste, non, légal, oui, répondit le ministre[168]. Sur ces entrefaites, Louis-Philippe se ravisant, d'Houdetot vint chercher Hortense et la conduisit secrètement au Palais-Royal. L'entrevue eut lieu dans la chambre même du colonel, en présence de la reine Amélie et de Madame Adélaïde. Les deux reines étaient assises sur le lit du colonel, le roi et Madame Adélaïde sur les deux chaises ; d'Houdetot s'adossait à la porte pour empêcher toute entrée indiscrète[169]. Le roi se montra gracieux. Je connais, dit-il, toute la douleur de l'exil et il ne tient qu'à moi que le vôtre n'ait déjà cessé[170]. Il ajouta qu'il ne voulait plus d'exilés sous son règne. Hortense lui avouant la présence de son fils à Paris, il la pria de la tenir secrète, désireux qu'il était de la voir ignorée de tous ; il dit l'avoir devinée et n'avoir rien laissé supposer à son ministère. Elle promit le silence ; Louis-Napoléon était souffrant, en proie à une forte fièvre et gardait la chambre pour le moment. Le roi offrit à son interlocutrice de s'intéresser à ses affaires pécuniaires ; mais celle-ci refusa[171] ; il parla ensuite de la famille Bonaparte dans les termes les plus aimables. Hortense, également bien reçue par la reine et par Madame Adélaïde, se retira enchantée d’un pareil accueil[172] ; elle espérait que le séjour de France allait lui être accordé. — Mais le lendemain, au Conseil des ministres, Casimir-Périer dit au roi : La duchesse de Saint-Leu ne vous a-t-elle pas présenté les excuses de son fils, retenu à la chambre par une indisposition ? — En effet. — Eh bien, rassurez-vous, il n'est pas malade. A l'heure même où Votre Majesté recevait la mère, le fils était en conférence avec les principaux chefs du parti républicain et cherchait avec eux le moyen de renverser plus sûrement votre trône[173]. Louis-Philippe le crut-t-il ? Il lui parut sans doute inadmissible que cet enfant vînt s'attaquer à sa couronne récente et jugea qu'il n'avait aucune chance de réussite ; très naturellement bon, il pardonna. Il continua aussi de se montrer bienveillant — peut-être dans la pensée que le prince, étant donné le caractère qu'il révélait, repousserait des avances qu'il aurait soin de rendre inacceptables, et lui laisserait ainsi le beau rôle.

Louis-Napoléon, conseillé par sa mère, surprise d'avoir trouvé le roi si bien disposé et paraissant vouloir faire plus même qu'elle ne demandait[174], écrivit au souverain afin d'en obtenir la permission de servir dans l'armée française. La réponse traira un peu. Des conditions furent également posées au sujet du séjour d'Hortense. Casimir-Périer lui disait : On s'habituera petit à petit à vous voir en France ainsi que votre fils[175]. Ce dernier, à ses yeux, réclamait pourtant l'impossible : Son nom serait un obstacle, disait le ministre ; et si, plus tard, il acceptait du service, il faudrait qu'il quittât ce nom. Nous sommes obligés de ménager les étrangers ; nous avons tant de partis différents en France que la guerre nous perdrait[176]. Le prince refusa naturellement, avec indignation[177]. L'exil valait mieux. Il pria sa mère de vouloir bien y retourner avec lui. — Le gouvernement de Juillet était tranquille de ce côté-là ; mais il lui importait encore que le départ de Louis-Napoléon s'effectuât le plus vite possible, ayant été averti que des manifestations devraient avoir lieu autour de la colonne Vendôme à l'occasion du 5 mai, anniversaire de la mort de l'Empereur[178]. Le prince y était probablement mêlé ; l'annonce de sa présence à Paris avait eu le temps de s'ébruiter, et son courage dans les Romagnes lui valait une inquiétante auréole. Logé à deux pas de la manifestation, il n'avait qu'à se montrer à la fenêtre au moment opportun pour lui fournir un élément immédiat des plus dangereux. Aussi d'Houdetot fut-il chargé d'aller porter à la duchesse de Saint-Leu et à son fils, enveloppés dans les regrets de la famille royale, le conseil et l'ordre de quitter Paris sans retard. — Le prince continuant d'être souffrant, il fallut attendre[179].

Hortense en profita pour faire quelques promenades dans la capitale avec M. Zappi qui avait continué de les accompagner une fois en France. Un dimanche, allant à la messe à Saint-Roch, elle se trouva placée à côté de Lamartine. Sa vue, écrit-elle, me rappela un douloureux souvenir, car je me rappelai qu'à Florence, un jour de gelé, mon fils aîné se promenant avec moi aux Castines, me nommait du nom de Lamartine tous les hommes ridicules qui passaient, voulant me faire trouver dans leur physionomie l'expression du talent et de la sensibilité que je cherchais vainement. Il appréciait tout autant que moi cet illustre poète, mais plaisantait ainsi de nia prédilection pour lui[180]. A un diorama qui représentait le tombeau de Sainte-Hélène, elle fut reconnue et s'en alla au plus vite[181]. — Les deux exilés étaient encore à Paris le b' mai, jour de la manifestation. Le prince continuait d'avoir la gorge très enflammée, au point qu'on dut lui mettre des sangsues. Il ne put aller à la fenêtre, mais la reine s'y tint et vit la foule se diriger, recueillie, vers le bronze impérial, puis couronner de fleurs les aigles de ses quatre coins. Aucun cri ne fut capable d'inquiéter le gouvernement par rapport au prince ; cependant, le colonel d'Houdetot revint déclarer que, cette fois, il fallait partir absolument, coûte que coûte. Bien que Louis-Napoléon fût loin d'être rétabli et que le médecin réclamât quelques jours de repos, il fut décidé qu'on se soumettrait[182]. Le soir même — son dernier soir — Hortense descendit de nouveau dans la rue. Elle vit la colonne s'élançant hors des fleurs amoncelées contre elle. Beaucoup de inonde en apportait toujours et stationnait. Les soldats, placés en dedans de la grille, recevaient les couronnes et les plaçaient tranquillement. Je m'approchai. Je n'avais rien à donner et je craignais par là d'être remarquée. Elle s'éloigna juste à temps pour ne pas être mêlée à une petite bagarre causée par un homme d'un certain âge qui en apostropha deux plus jeunes en leur déclarant que c'était troubler l'ordre que de manifester ainsi. La foule prit le parti de la jeunesse et de l'Empire. Un ancien aide de camp de Napoléon, rallié à la dernière monarchie comme aux précédentes, ne sachant comment faire cesser le conflit, donna l'ordre d'arroser les manifestants[183].

Le 6, la reine et son fils couchèrent à Chantilly et, quatre jours après, s'embarquèrent. — La mer était affreuse[184]. Après une traversée pénible et un voyage fatigant, ils arrivèrent à Londres en mauvais état. Hortense était exténuée et le prince, incomplètement guéri, eut la jaunisse ; il en souffrit même assez fort et mit longtemps à se rétablir tout à fait[185]. Une fois en bonne santé, les exilés fréquentèrent la société anglaise qui les accueillit à merveille. Lord et lady Holland, lady Grey, la comtesse Glengall, la duchesse Bedford, la duchesse de Dino, le général Wilson, le prince Léopold et M. Bruce, l'ancien ami de La Valette, se mirent à leur disposition[186]. Ils virent le fils de Murat qui revenait d'Amérique avec sa femme ; ils retrouvèrent probablement Joseph et Jérôme[187]. Dès son arrivée, Hortense avait reçu la visite d'un ami de Talleyrand, alors notre ambassadeur en Angleterre, et qui lui avait offert ses services. Il est vraisemblable que le prince ait aussi rencontré déjà Disraëli, qui devait par la suite le mettre, en ne le déguisant que pour le faire mieux reconnaître, dans son roman d'Endymion[188].

Talleyrand se montra bien intentionné. Il commença par délivrer un passeport pour la Suisse en autorisant la reine et son fils à traverser, lors de leur retour à Arenenberg, le nord de la France afin de ne pas allonger le trajet. Puis, sans doute sur un ordre, brusquement, il empêcha ses protégés de partir. Ce ne fut d'ailleurs que pour lever bientôt cette défense, peut-être motivée d'après quelques rapports de police. Louis-Napoléon, commençait à sembler dangereux, au moins pour le quart d'heure, à une partie du gouvernement. C'est que des offres nouvelles lui étaient faites, que les agents de la rue de Jérusalem avaient plus ou moins éventées. On venait de France engager le prince à se montrer, soit à Paris même, soit en province. Sa vue, son nom devaient, disait-on, électriser tout le monde en faveur de son cousin le duc de Reichstadt[189]. Peut-être assista-t-il aux conférences qui eurent lieu entre Joseph Bonaparte et les envoyés républicains de Paris. Il n'y joua aucun rôle. Il était trop jeune pour être pris en considération par des parents plus âgés et qui, oublieux de l'exemple fourni par leur propre frère et quelquefois par eux-mêmes, faisaient dépendre le mérite d'une longue expérience ; ils ne croyaient d'aucune manière à son avenir, ni à sa valeur. — Ces conférences n'aboutirent pas. La haine des Bourbons qui avait lié bonapartistes et républicains semblait fléchir ou hésiter en face de l'avenir possible créé par la monarchie de Juillet ; les cieux partis espéraient trop chacun en soi-même pour profiter de la lutte et s'entendre ; l'heure de l'union n'était pas encore favorisée par les événements ; on ne s'était pas assez rendu compte, d'un côté comme de l'autre, des difficultés qu'entraîne l'opposition et de l'avantage qu'il y avait à en grossir le plus possible le bloc, même avec des partisans divers et sur certains points opposés. Le roi Joseph parlait un langage tout différent de celui de ses jeunes et ardents interlocuteurs ; on ne put se comprendre. Le comte de Survilliers reconnut ce que lui avait dit son frère Jérôme, que l'idée bonapartiste telle qu'elle pouvait s'adapter aux besoins de la société moderne, n'était pas encore dégagée du travail de fermentation qui agitait les esprits, et qu'il fallait de la patience et attendre[190]. On attendait donc. Mais cette patience était pénible à Louis-Napoléon. Il avait déclaré bien hautement qu'en cas d'émeute à Paris, il se mettrait du côté du peuple[191]. Sa mère, qui le savait, en concevait une légitime inquiétude et avait hâte de retrouver le calme du lac de Constance. Il semble aussi que, dès lors, elle ait commencé de voir avec moins de plaisir les plans aventureux dont auparavant elle se montrait enthousiaste et qu'elle avait en quelque sorte conseillés. Ne possédant plus qu'un fils, elle tenait, avant tout, à le garder. Cependant, après avoir atteint Calais, elle conduisit Louis-Napoléon à Boulogne, à moins que ce ne soit lui qui ait voulu y aller avec elle[192]. Ils montèrent à la colonne de la Grande Armée sur laquelle la Restauration avait cru pouvoir inscrire sans ridicule le nom de Louis XVIII[193]. Hortense rappela l'inoubliable spectacle qu'elle avait vu là, les différents camps, la baraque de l'empereur, la tour d’ordre ; le lieu où fut placé son trône et où, pour la première fois, il distribua à cette armée la croix de la légion d'honneur, objet de tant de vœux. Là, maintenant, les deux pèlerins rencontrèrent des gens de Paris qui parlaient des émeutes avec indifférence et plaisantaient sur l'avenir français en proposant l'ingénieuse combinaison de quelques salons de la capitale : elle consistait à établir en France une république de trois consuls qui seraient le duc de Reichstadt, le due d'Orléans, le duc de Bordeaux[194].

Hortense évita Paris, redoutant l'enthousiasme de son fils et sa déclaration formelle de jouer un rôle si l'occasion s'en présentait, mais elle passa par Chantilly. dont les bois lui avaient appartenu[195], à Ermenonville[196] où le prince voulut aller voir le tombeau de Jean-Jacques et y inscrivit son nom, à Mortefontaine, l'ancienne propriété de Joseph, à Saint-Denis et à Rueil, pour prier sur la tombe de sa mère. Qui sait si Louis-Napoléon, malgré la surveillance dont il était l'objet, ne profita pas de cette promenade autour de la ville pour correspondre rapidement, d'une façon ou d'une autre, avec ceux qui étaient venus le voir à Londres ou avec les émissaires qu'il entretenait à Paris ? La reine voulait aussi revoir la Malmaison, mais le nouveau propriétaire, un banquier, lui en refusa l'entrée[197]. — A la fin d'août, les exilés se réinstallent dans la paisible retraite d'Arenenberg — trop paisible pour le goût du prince[198]. Il sait en tout cas s'y maintenir quand il est nécessaire — peut-être ayant déjà l'instinct raisonné qu'il doit se garder pour plus tard —, même quand l'occasion d'agir frappe à sa porte de nouveau. En août 1831, il reçoit effectivement une députation polonaise chargée de lui demander s'il veut se mettre à la tête de la Pologne insurgée. Et, ici, il y a lieu de noter que c'est encore au nom de la théorie des nationalités qu'on vint lui demander son appui. L'offre était touchante, élogieuse à souhait : A qui la direction de notre entreprise pourrait-elle être mieux confiée qu'au neveu du plus grand capitaine de tous les siècles ? est-il écrit dans la supplique qui lui fut remise au nom du comte Plater et du colonel Kniarewiez. Un jeune Bonaparte apparaissant sur nos plages, le drapeau tricolore à la main, produirait un effet moral dont les suites sont incalculables. Allez donc, jeune héros, espoir de notre patrie ; confiez à des flots qui connaîtront votre nom la fortune de César et, ce qui vaut mieux, les destinées de la liberté. Vous aurez la reconnaissance de vos frères d'armes et l'admiration de l'univers[199]. Le prince refusa sans doute parce qu'il avait conscience que l'insurrection polonaise ne présentait aucune chance de réussite[200] ; l'expérience récente où il avait honorablement montré une partie de sa mesure ,lui suffisait ; il avait pu remarquer que servir une cause serait facile si l'on n'était sans cesse entravé par les jalousies fatales que l'on y suscite au fur et à mesure qu'on prouve la valeur de son dévouement ; il n'y avait pas lieu de risquer un nouvel échec ; enfin, il tenait, avant tout, à son titre de prince français. Il ne l'abandonnait pas en combattant pour un peuple étranger, mais il donnait prise aux contestations qu'on ne manquerait pas d'élever par la suite à ce sujet. Devenu ainsi une sorte de chevalier de la liberté populaire, il plairait à la gauche, et semblerait suspect à la droite, douteux au centre. Actuellement, il pouvait être interprété favorablement par les trois partis. C'était une position excellente ; il n'avait rien de mieux à faire que de s'y maintenir. — Justement le duc de Reichstadt meurt l'année suivante et Louis-Napoléon se trouve, de ce fait, héritier indiscutable du trône napoléonien : Eugène est mort en 1824, Lucien a été exclu, Louis et Joseph ont renoncé ; le sénatus-consulte du 28 floréal, an XII, mentionne à l'article V : A défaut d'héritier naturel ou légitime ou d'héritier adoptif de Napoléon Bonaparte, la dignité impériale est dévolue et déférée à Joseph Bonaparte... ; et à l'article VI : A défaut de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, la dignité impériale est dévolue et déférée à Louis Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes[201]...

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La politique, à cette date, l'a définitivement saisi. L'idée d'être empereur n'a peut-être pas encore possédé sa jeune espérance ; mais elle l'occupe aux heures heureuses. Ce rêve-là devient la principale raison de sa vie et va en être, sous peu, toute la flamme. Il sait désormais ce qu'il veut. La route à suivre, seule, est encore voilée. Il va la découvrir petit à petit ; il va même la créer.

Ne pouvant encore occuper de lui, grâce à une action efficace, il se rappellera par des livres[202]. En attendant l'instant propice où se révéler entièrement, inquiet surtout de se constituer un parti — le parti d'une cause qui n'existe encore qu'en lui-même, il prouvera, du moins, sa valeur et la légitimité de ses prétentions. Il prépare donc et publie bientôt : 1° Rêveries politiques ; 2° Deux mots à M. de Chateaubriand sur la duchesse de Berry ; 3° Considérations politiques et militaires sur la Suisse ; 4° Manuel d'artillerie. — Ces quatre ouvrages prouvent qu'aussitôt de retour à Arenenberg, il se mit en face des choses, les examina sans parti pris et se rendit souvent compte de sa situation avec une justesse rare à son âge. Les vicissitudes de sa courte campagne d'Italie lui avaient valu en quelques mois l'expérience de plusieurs années. Il semblait que toute sa fougue d'ambition, ses impatiences de renommée et cet irrésistible besoin de, mouvement qui l'avaient jeté dans la première insurrection venue, se fussent dissipés sur les champs de bataille de la Romagne... Ceux qui l'approchèrent remarquèrent dans son caractère un changement qui les frappa. Chez lui, l'être extérieur ne répondit plus à l'être intérieur : tout ce qu'il laissa voir ne fut que le déguisement de ce qu'on ne voyait pas, et la passion politique se déroba aux yeux les plus clairvoyants[203]. Ainsi, tandis que Louis-Napoléon commence à être sûr de sa voie, presque en même temps, il sent la nécessité d'assujettir un masque sur son visage ; et sa nature un peu indolente ajoute à sa dissimulation. Au cours de l'affaire des Romagnes, il a reconnu que la sincérité ne sert à rien vis-à-vis du peuple ni de qui que ce soit et que son nom lui est à la fois une aide et une gène, une carte d'entrée, puis un motif de méfiance. Les jours passés là lui ont permis de connaître la foule, l'avers et le revers de ses sentiments ; la leçon cependant n'a pu être complète ; surveillé par Armandi, enclin à maintenir ses illusions par-dessus les remarques de l'expérience, il n'a pas entièrement profité de l'aventure il lui en faudra de nouvelles ; alors il possédera l'intelligence la plus aiguisée, en face d'une certaine connaissance des hommes. Pour le moment, il entre au plus sérieux de l'apprentissage ; il n'est pas loin déjà d'être un homme véritable. Il a vu le feu, chose qui va devenir assez rare à son âge ; il a touché la réalité de la mort dans la personne de son frère. Ses idées politiques, hâtivement il est vrai, mais dans Paris, au cœur même du pays qu'il rêve de conquérir, il les a comparées et mesurées à celles de ses contemporains ; il s'est découvert bien en avance, mais il a vu que l'Empire n'était pas oublié, loin de là[204]. D'autre part, il a reconnu les divisions, les faiblesses, les doutes, le laisser-aller de l'au jour le jour qui lassent puis endorment, à la longue, les meilleurs. Dès cette année 1831, il a peut-être constaté l'oscillation qui menace le trône orléaniste ainsi que la déconsidération profonde oà est tombé le principe d'autorité. Cependant, en sa qualité de souverain, mais surtout parce qu'il raisonne, il sent que, malgré la prétention moderne, l'autorité seule, dans son antique plénitude, peut régler les destinées populaires, trop indécises, trop confuses, trop diverses pour se conduire elles-mêmes et présider aux développements de la civilisation[205]. Et, désireux comme il l'est de retremper cette autorité dans les sources mêmes de la Révolution, il veut transformer en une hase permanente du pouvoir ce qui n'est qu'une machine d'opposition depuis la première chute du roi légitime[206]. Selon l'exemple de son oncle, il rêve de reconstruire tout en créant, adroit à profiter de l'expérience du passé qu'il mêlera, ciment indestructible, à la matière des temps nouveaux. L'œuvre impériale, interrompue par la première Restauration et reprise tant bien que mal par elle dans l'administration intérieure, puis immobilisée pour le reste loin du siècle en quelque sorte, trop loin de lui par Charles X, coupée de nouveau par les journées de juillet et replâtrée en façade, déjà reconnue passagère, par Louis-Philippe, il songe à l'établir définitivement en France. Il souhaite ce qui sera plus tard, jusqu'en 1865, la base de son gouvernement, le plus de liberté possible combinée avec le plus de force possible, liberté obtenue grâce à cette force même qui constitue sa garantie. Il n'y a, en effet, de réellement, despotiques que les gouvernements faibles ; le despotisme qu'ils instaurent — et qu'ils sont les premiers à subir quelquefois — est sans excuse, d'abord parce qu'il est le pire, ensuite parce qu'il est la contradiction de leur principe et qu'après avoir pris des aspects divers, successifs ou simultanés, il se résume nécessairement dans l'anarchie ; celle-ci, réalisant la négation totale de tous les gouvernements, ne peut être considérée comme puissance directrice que par un peuple atteint d'aliénation mentale ou définitivement mûr pour l'emprise d'une autre race, supérieure. Et les deux expressions parfaites du gouvernement faible sont la république parlementaire et la monarchie constitutionnelle, toutes deux avant même visage sous des masques différents ; l'une, coiffée d'un bonnet dont le rouge rappelle bien plus — mais dépourvue d’éducation et d'élégance — la pourpre dogale que le sang jacobin[207], ne sait que mentir à tous les partis dont elle se sert l'un après l'autre, au bénéfice d'une idole à la fois irréelle et dévastatrice ; l'autre, timbrée de heurs de lis usurpées, use le meilleur de ses efforts à conserver un pouvoir qui ne sert à rien de grand ; toutes deux scindent l'autorité en deux branches, proposent comme combinaison un pis aller, et dépendent nécessairement pour leur maintien d'une secte, exclusivement financière dans le premier cas, financière et bourgeoise dans le second. Le vrai régime qui fonde les classes en une seule et mette le peuple au niveau des autres en lui fournissant toutes les possibilités d'y atteindre et de les dépasser, si son mérite le lui permet, c'est le régime impérial. Il reste le seul logique depuis que la monarchie absolue est devenue impossible ; il la remplace ; il est sa suite, conformée aux nécessités contemporaines. Il fait corps avec la nation, il n'est rien sans elle et participe à toute sa vie ; de même qu'il profite de la sève vivifiante qu'elle lui vaut, de même il la répartit de toutes parts et la fait fonctionner pour le plus grand bien de la santé générale. La nation se coupe la tête le jour où elle le rejette. Il est son expression suprême. — Ainsi songe à Arenenberg Louis-Napoléon, soucieux de justifier devant sa conscience un bonapartisme qu'il sent si vivace en lui-même. Il lui paraît bien que seul il peut faire cesser le jeu destructeur dans lequel s'épuise la France et par la faute duquel elle sommeille ensuite, la poitrine oppressée, un œil ouvert et la tête lourde de cauchemars. Malgré sa prospérité indiscutable et sa paix relative, elle devine obscurément que son avenir est gros de dangers et que sa prospérité même, ne reposant pas sur une force suffisamment défensive, est à la merci de la moindre alerte. Elle peut l'éviter, mais à condition d'une blessure difficile pour son amour-propre et d'une sorte de recul qui lui fera perdre sa place dans le monde ; or, à cette époque, la France ne se résigne pas à une éventualité pareille ; les gloires de l'Empire prolongent et maintiennent à travers son crépuscule un rayon trop coloré[208].

Dans ses Rêveries politiques[209], le prince formule pour la première fois ce qui lui paraît être la donnée générale de la théorie napoléonienne. Il se montre — pour ceux qui en douteraient encore — démocrate : Que voit-on partout ? Le bien-être de tous sacrifié au caprice d'un petit nombre. Malheur aux souverains dont les intérêts ne sont pas liés à ceux de la nation !... Les gouvernements faibles qui, sous un masque de liberté, marchent à l'arbitraire, qui ne peuvent que corrompre ceux qu'ils voudraient abattre, qui sont injustes envers les faibles et humbles envers les forts, ces gouvernements-là conduisent à la dissolution de la société. Quoi de plus vrai ? Si un jour les peuples sont libres, c'est à Napoléon qu'ils le devront. Il habituait le peuple à la vertu, seule base d'une république. Ne lui reprochez pas sa dictature : elle nous menait à la liberté comme le soc de fer qui creuse les sillons préparait à la fertilité de la campagne. Et voici ce qu'aperçoit pour l'avenir ce prince naturellement doux dont on a voulu faire un tyran : Le meilleur gouvernement sera celui où tout abus du pouvoir pourra être corrigé, où, sans bouleversement social, sans effusion de sang, on pourra changer les lois et le chef de l'État, car une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures[210]. Pour que l'indépendance soit assurée, il faut que le gouvernement soit fort ; pour qu'il soit fort, il faut qu'il ait la confiance du peuple, qu'il puisse avoir une armée nombreuse. Pour être libre, il faut que tout le peuple indistinctement puisse concourir aux élections des représentants de la nation. Ce petit livre révèle aussi l'âge de son auteur ; en même temps que la confiance en l'avenir de l'humanité, il croit à l'évolution humaine dans le sens du progrès, ce grand mot qu'un dictionnaire prochain décrétera synonyme de mensonge[211] ; il envisage la possibilité d’un État logique : Il n'y aura plus ni aristocratie de naissance, ni aristocratie de l'argent, il n'y aura plus que celle du mérite. Il va plus loin dans l'hypothèse, si loin que l'on se demande si les lignes suivantes sont sincères, et, à coup sûr, elles le sont : On parle de combats éternels... et cependant il serait facile aux souverains de consolider la paix pour toujours ; qu'ils consultent les rapports et les mœurs des diverses nations entre elles, qu'ils leur donnent leur nationalité et les institutions qu'elles réclament et ils auront trouvé la vraie balance politique. Alors tous les peuples seront frères et ils s'embrasseront à la face de la tyrannie détrônée, de la terre consolée et de l'humanité satisfaite. On ne s'étonne plus que le jeune homme ait entraîné sa mère à Ermenonville sur le tombeau de Jean-Jacques ; on songe que Napoléon aurait douté de son neveu devant une phrase semblable tout en lui pinçant l'oreille en publie pour le féliciter d'aussi nobles sentiments. Il était fatal qu'il les eût et il n'y a pas là matière à griefs ou à critique ; penser ainsi était penser comme l'époque, ce dont on s'affranchit moins qu'on ne le croit ; une vue qui va trop loin et néglige le présent ne peut convenir à un homme d'État ; là encore existe une juste mesure, extrêmement difficile ; cet optimisme aventureux ne desservait pas sa politique, bien au contraire ; le tort du prince sera simplement de le garder une fois au pouvoir, où loin d'être nécessaire comme précédemment, il conspirera contre lui. Sans ce point de vue, en 1830, jusqu'à sa première réussite, il se serait aliéné la plupart des sympathies contemporaines. C'est qu'il correspondait, non seulement avec les principaux membres des sociétés secrètes, mais avec les hommes qui occupaient une place prépondérante au grand jour. Il avait ainsi connu La Fayette, si perpétuellement dupe qu'on en arrive à se demander si cette myopie apparente ne cachait pas un intérêt personnel bien entendu et averti que dans le monde — surtout depuis la proclamation des immortels principes — l'apparence tient lieu de tout ; sans des phrases généreuses, il n'eût pas gagné à sa cause ce timide héros de baraque foraine pour lequel la parade de chaque jour, autrement (lit l'actualité, constituait l'essentiel. — La Fayette l'engage à saisir l'occasion de revenir en France, car le gouvernement ne pourra se soutenir[212]. Il lui dit que son nom est le seul populaire[213] et il lui promet son concours[214]. Louis-Napoléon connut mieux. Chateaubriand vint à Arenenberg avec Mme Récamier[215]. La jolie femme trouva le prince poli, distingué, taciturne[216]. C'est un jeune homme studieux, écrit l'éternel désenchanté, instruit, plein d'honneur et naturellement grave. Il attend, avec les jeunes années, dans le silence de l'exil l'affranchissement de sa patrie[217]. Les deux hommes devaient entretenir d'excellentes relations. Ils correspondirent. Si notre manière de voir diffère, écrit le petit-fils de Joséphine, nos souhaits pour le bonheur de la France se confondent[218]. Et le noble vicomte remarque avec amertume au sujet des sentiments qu'on lui adresse de Suisse, pleins de tact et d'esprit[219], que les princes auxquels il avait voué sa vie n'ont jamais su lui en exprimer de semblables. Le remerciant de ses Rêveries politiques, il termine sa lettre par une sorte de promesse : Vous savez que mon jeune roi est en Écosse et que, tant qu'il vivra, il ne peut y avoir pour moi d’autre roi de France que lui. Mais si Dieu, dans ses impénétrables desseins, avait rejeté la race de saint Louis, si notre patrie devait revenir sur une élection qu'elle n'a pas sanctionnée et si ses mœurs ne lui rendaient pas l'état républicain possible, prince, il n'y a pas de nom qui aille mieux à la gloire de la France que le vôtre[220]. Le prince était déjà trop décidé pour avoir besoin d'encouragement, mais celui-ci restait précieux.

Il ne perd aucune occasion de faire connaître ses  sentiments et sa personnalité. Au sujet d'un ouvrage sur Napoléon, il écrit à l'auteur, pour l'en remercier, une lettre destinée à être rendue publique où plus d'un passage dépasse celui auquel il est envoyé et cherche à frapper au delà. ... Je ne partage sous aucun rapport vos opinions sui' l'empereur. Je suis convaincu que Napoléon a été utile à la cause de la liberté et a sauvé la liberté en abolissant les formes légales, arbitraires et surannées, et. en mettant les institutions de son pays en harmonie avec les progrès du siècle. Issu du peuple, il fallait qu'il favorise la civilisation, tandis que l'autorité qui n'est point basée sur l'élection populaire est naturellement portée à en arrêter le progrès. C'est ce que le peuple a compris, et comme Napoléon faisait tout pour le peuple, le peuple à son tour faisait tout pour Napoléon. Qui l'a élevé à la dignité de consul ? Le peuple. Qui l'a proclamé empereur ? Le peuple. Qui l'a ramené en triomphe de l’île d'Elbe à Paris ? Le peuple. Qui étaient les ennemis de Napoléon ? Les oppresseurs du peuple. Voilà pourquoi son nom était si cher à la masse du peuple et pourquoi son portrait qui se trouve dans chaque cabane est un objet de vénération. Excusez-moi si je parle aussi longuement de mon oncle, mais j'adore Napoléon et la liberté[221]. Par cette lettre, le prince se campe une fois de plus en soldat des idées libérales et prouve qu'en se mettant sur ce terrain il est bien dans la véritable tradition napoléonienne. Quant à ma position, dit-il encore, croyez que je suis beaucoup par mon nom, rien encore par moi-même, aristocrate par naissance, démocrate par nature et par opinion, devant tout à l'hérédité et réclamant tout de l'élection. C'est parce que je connais toutes les difficultés qui s'opposeraient à mes premiers pas dans une carrière quelconque que j'ai pris pour principe de ne suivre que les inspirations de mon cœur, de ma raison, de ma conscience, m'efforçant ainsi de m'élever assez haut pour qu'un des rayons mourants du soleil de Sainte-Hélène vienne encore m'éclairer[222]. Dans ses Considérations sur la Suisse, il avait pris soin de noter au début : Si, en parlant de la Suisse, je n'ai pu m'empêcher de songer souvent à la France, j'espère qu'on me pardonnera mes digressions, car l'intérêt que m'inspire un peuple libre ne peut qu'augmenter mon amour pour mon pays.

Ayant suivi comme officier les cours de l'école de Thoune[223] et étudié de près tout ce qui se rapporte à l'artillerie, il fut amené naturellement à résumer le résultat de son travail et ses opinions particulières dans un manuel. C'était encore avertir et prouver qu'il ne prétendait pas au commandement suprême sans y avoir droit sur plus d'un point. Et cet ouvrage fut jugé fort bien fait par la plupart des gens compétents de l'époque[224]. L'artillerie devait être un des soucis constants de son existence ; il commença dans la prison de Ham à écrire son histoire et plus tard inventa une pièce qui porta son nom[225], C'était, pour le prince, un moyen de se mettre en rapport direct avec des officiers français par les envois personnels qu'il ne manqua pas de leur en faire. L'état-major suisse le nomma capitaine. Il se rappela aussitôt au public et glissa dans le courant de sa lettre au président de la Confédération : ... Ma patrie ou, plutôt, le gouvernement de la France, trie repousse parce que je suis le neveu d'un grand homme, vous êtes plus juste à mon égard.... — Il fut définitivement consacré par un article d'Armand Carrel[226] dont la plume avait une grande influence : Les ouvrages politiques et militaires de Louis-Napoléon, disait-il, annoncent une forte tête et un noble caractère. Le nom qu'il porte est le plus grand des temps modernes. C'est le seul qui puisse exciter fortement. les sympathies du peuple français. Si ce jeune homme sait comprendre les intérêts moraux de la France, s'il sait oublier les droits de légitimité impériale pour ne se souvenir que de la souveraineté du peuple, il peut être appelé un jour à jouer un grand rôle. Il avait écrit dans le National de 1832 : Loin de répudier les traditions politiques de l'Empire, nous nous faisons gloire d'être de l'école de Napoléon. L'école de Napoléon, c'est celle de la Convention, de Louis XIV, de Richelieu, de Henri IV. Nous voulons la France aussi grande, aussi redoutée que possible parce que c'est le seul moyen qu'elle soit prospère et respectée. Ainsi, de Paris, on se tournait déjà vers Arenenberg. Les regards étaient peu nombreux ; cependant Louis-Napoléon s'entendait à les augmenter[227]. Il y a évidemment dans cette nécessité de réclame qui s'impose à un prétendant de quoi froisser les âmes délicates, mais le dilemme à ce sujet se pose, irréfutable : ou tenter ses chances, ou s'ensevelir vivant ; le savant, le poète peuvent et doivent se soumettre à la réclusion, fatalité d’une époque à la fois merveilleuse et exécrable, le prétendant réel a le devoir contraire ; tout lui est bon — parce que moyen — pour saisir une autorité nécessaire ; il n'y a pas lieu d'épiloguer.ici sur le gaspillage de temps, de force et d'intelligence que nécessite cette façon de faire puisque, hélas ! il n'en est point d'autre ; il reste à calculer son action de façon à y restreindre, tandis qu'on y prend part, sa dépense personnelle, d'autant que, maintenant encore plus que par le passé, la résistance et la durée sont des atouts décisifs, litant donné, d'ailleurs, les circonstances où évoluait alors Louis-Napoléon, il n'y avait pas de fatigue inutile ou exagérée dans ses travaux ni dans ses lettres, mais, au contraire, le résultat d'une veillée attentive. C'était son métier de prince de fixer l'horizon et de ne pas laisser mourir un bruit nuisible ou favorable sans le relever ou en tirer profit. Ainsi, encore, en 1835, les journaux annonçant son mariage avec dona Maria, reine de Portugal, il leur écrit sans perdre une minute : Mon père m'a prouvé par son grand exemple combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je sens, en effet, qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays par-dessus tout, je ne salirais rien préférer aux intérêts français. Persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre d'exclusion aux veux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle quinze années de gloire, j'attends avec calme... que le peuple rappelle dans son sein ceux qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir de revoir un jour la France, comme citoyen et comme soldat, fortifie mon âme et vaut à mes yeux tous les trônes du monde[228]. Le public français était averti ; il pouvait sourire du prince : il ne pouvait plus guère ignorer celui qui revendiquait ainsi sa place. Il n'avait plus qu'à l'oublier ou bien à voir comment il saurait la conquérir.

Cependant Louis-Napoléon s'ennuie ou, plutôt, s'impatiente. Ses livres n'ont trompé que momentanément son désir d'activité. Le voyage est conseillé par sa mère et il part avec Arèse pour la Grande-Bretagne où le roi Joseph avait exprimé l'envie de le revoir[229]. Il traverse lentement la Belgique, par petites étapes, et visite l'immortelle plaine où l'aigle était tombée pour la dernière fois. Mais il garde son émotion, à moins qu'Arèse n'en ait reçu la confidence. Dans sa lettre datée de Waterloo, il dit simplement à sa mère : Vous concevez tout ce que j'ai dû éprouver en voyant l'endroit où le sort de la France s'est décidé et où l'étoile de l'empereur s'est éteinte pour jamais[230]. Il sait se faire entendre, à l'occasion, et même établir ses droits. A son père, qui lui avait renouvelé ses observations sans motif, au sujet de tout et de rien, et notamment à propos d'Arèse qu'il ne pouvait souffrir : Il m'est vraiment bien pénible, répond-il, de vous voir à tout propos irrité contre moi, soit que je hasarde d'exprimer ce que je pense, soit que par désir de distraction, je passe d'un pays dans un autre. Je suis venu ici pour voir mon oncle Joseph. N'ayant pas d'autre personne près de moi, j'ai emmené le comte Arèse, et, si vous voulez consulter la lettre que je vous ai écrite lors de mon départ de Suisse, vous verrez que je vous le nommais en toutes lettres. Ce jeune homme est d'une des premières familles de Milan. Il est très calme, d’un caractère très sûr et, de plus, il m'est très attaché -et je l'aime beaucoup. Vous devez concevoir que je dois être un peu peiné lorsqu'après vous avoir nommé, il y a six mois, mon compagnon de voyage, vous m'ordonnez tout à coup de renvoyer une personne que j'affectionne et cela sur de faux rapports qui vous auraient été faits. Songez, mon père, que j'ai vingt-cinq ans, que je ne suis pas un enfant. Mais pourtant je suis jeune et, toujours sur une terre étrangère, il nie faudrait réprimer tout sentiment noble, faire abstraction de mes opinions sans même pouvoir avoir un ami. Vous conviendrez que c'est un arrêt un peu dur à subir[231]. Le roi Louis avait un perpétuel besoin de récriminer. Ne sachant plus quoi reprocher à son fils, il lui reprocha — à vingt-huit ans ! — son écriture. Je sais que vous autres savants, mettez une sorte d'amour-propre à mépriser les soins [minutieux qu'exige une belle écriture, mais je ne puis m'empêcher de te dire que cette opinion est aussi erronée qu'inconvenante[232]. L'écriture du roi était d'ailleurs indéchiffrable[233].

A Londres, le prince a le spleen[234]. Les heures lui sont de plus en plus lourdes, si longues qu'il désespère de jamais parvenir à réaliser ses rêves. Vous me parlez de mon nom, écrit-il à Arenenberg ; hélas ! c'est un fardeau de plus quand on ne peut le faire valoir. Il se rend compte que dans un certain monde, et pour quelques-uns, il ne représente pas grand'chose. Talleyrand affecte de ne pas le reconnaître. L'autre soir, j'étais chez M. Welster, le fils de lady Holland, et j'y ai rencontré M. de Talleyrand. Il n'a pas eu l'air de nie voir ; et moi aussi j'ai fait comme si je ne savais pas qui il était. Il était auprès de lady Tankerville et j'ai été exprès causer avec elle pour qu'on ne crût pas que j'étais embarrassé de sa présence[235]. Le prince sait déjà se reprendre et demeurer maitre de lui, comme de la situation. Sa mère, s'avouant très découragée, il lui écrit : Ce n'est pas la fortune qui rend indépendant, c'est le caractère. Il ajoute : Vous vous plaignez de l'injustice des hommes et moi j'ose dire que vous avez tort de vous en plaindre. Comment les Français se souviendraient-ils de nous, quand nous-mêmes nous avons tâché pendant quinze ans de nous faire oublier ; quand, pendant quinze ans, le seul mobile des actions de tous les membres de nia famille a été la peur de se compromettre et qu'ils ont évité toute occasion de se montrer, tout moyen de se rappeler publiquement au souvenir du peuple ?[236] Pour le moment, il n'y a vraiment qu'il attendre.

Il attend donc, examinant les événements qui sont curieux, propices quelquefois, lourds de promesses et de leçons. Revenu auprès de sa mère qui, seule, parmi tous ses parents, croit en lui et le soutient, il achève de se préparer. Que lui importe que sa famille le considère comme un gamin brouillon, sans importance, et quelquefois même dangereux ! Le rôle le plus sûr des familles n'a-t-il pas toujours été de méconnaître leur meilleur enfant comme si, dans ce cas spécial, son devoir nouveau et inattendu était de susciter des obstacles au plus brave afin de lui fournir dès son éveil un motif de premiers combats ? Il sait avoir confiance en lui-même ; plus, cette confiance il a su la justifier à ses yeux ; mieux encore, il l'a revêtue, malgré son âge, d'une impassibilité souveraine et douce ; il s'est conquis. Comme si ce n'était cependant pas encore assez, le Destin — car ce mot-là ne saurait être mieux employé qu'au sujet de Napoléon III — lui envoie un ami providentiel, presque fanatique, pétri d'audace et de dévouement. C'est un grand diable brun, noueux et maigre, c'est Fialin, c'est Persigny[237]. Il ne peut venir plus à point un homme qui convienne mieux. C'est ainsi que Morny paraîtra, plus tard, également à son heure. Cet ancien maréchal des logis, aventurier et journaliste, a collaboré au Courrier Français et au Temps. Il décrète : Je serai le Loyola de l'Empire[238]. Il va fonder la Revue de l'Occident qui n'aura qu'un numéro, mais sur lequel, au moins, brillera en épigraphe la célèbre déclaration du maitre : J'ai dessouillé la Révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. Fialin s'y montre plein d’espoir en l'avenir ; il y court avec une belle audace, amoureuse de ses chemins hasardés. A nous, dit-il, à nous l'idée napoléonienne ! En cette impériale idée résidait la tradition tant cherchée du XVIIIe siècle, la vraie loi du monde moderne et tout le symbole des nationalités occidentales... Le temps est venu d'annoncer par toute la terre européenne cet évangile impérial qui n'a point encore d'apostolat. Le temps est venu de relever le vieux drapeau de l'empereur, non seulement l'étendard de Marengo et d'Austerlitz, mais celui de Burgos et de la Moskova. L'empereur, tout l'empereur !

Louis-Napoléon et Fialin sont de la même année : lorsqu'ils se connaissent, en 1835, ils ont l'un et l'autre vingt-sept ans. C'est l'âge où Bonaparte commande l'armée d'Italie. — Les jeunes gens, dit Balzac, ont presque tous un compas avec lequel ils se plaisent à mesurer l'avenir ; quand leur volonté s'accorde avec la hardiesse de l'angle qu'ils ouvrent, le monde est à eux. Mais ce phénomène de la vie morale n'a lieu qu'à un certain âge. Cet âge, qui, pour tous les hommes, se trouve entre vingt-deux et vingt-huit ans, est celui des grandes pensées, l'âge des conceptions premières, parce qu'il est l'âge des immenses désirs, l'âge où l'on ne doute de rien : qui dit doute, dit impuissance[239]. Après cet âge rapide comme une semaison, vient celui de l'exécution. Il est, en quelque sorte, deux jeunesses : la jeunesse durant laquelle on croit, la jeunesse pendant laquelle on agit ; souvent elles se confondent chez les hommes que la nature a favorisés et qui sont comme César, Newton et Bonaparte, les plus grands parmi les grands hommes. — Il faut ajouter qu'il y a des époques où l'action semble devenue impossible, où. le monde est si recueilli dans sa fatigue, dans sa peur, dans son indifférence, qu'il paraît malade. Ceux qui naissent à ces moments-là et y vivent avec un cœur d'autrefois, ceux dont la jeunesse souffre en ne trouvant pas la matière de son énergie et qui peu à peu parviennent cependant à se faire jour, à se créer, malgré tout, la possibilité d'une lutte, ceux-là ne peuvent confondre de suite la pensée et l'action, car c'est avec toute la force amassée par la première qu'un jour, peut-être, l'occasion aidant, ils déchaîneront la seconde.

 

 

 



[1] Gazette nationale ; Moniteur universel du 21 avril 1808. Les biographes officiels de 1833 (Barins, Gallix et Guy, etc.), le font naître aux Tuileries pour les besoins de la cause. C'est une erreur voulue.

[2] Cet hôtel a été abattu en 1905. Il servait alors à l'ambassade de Turquie. Un Rothschild en était propriétaire. Le numéro de l'hôtel était 17. — Imbert de Saint-Amand, Louis-Napoléon et Mme de Montijo. — Dentu.

[3] L’aîné, Napoléon-Charles, né en octobre 1802, mort du croup à la Haye en 1807 ; le second, Charles-Napoléon-Louis, né en octobre 1804.

[4] Mémoires sur la reine Hortense, etc. par Mlle Cochelet, Ladvocat, 1836, 4 vol.

[5] A 5 heures du soir, l'acte de naissance a été reçu par S. A. S. le prince archichancelier assisté de S. E. monseigneur Regnault de Saint-Jean d'Angély, secrétaire d'État de la famille impériale. Attendu l'absence de S. M. l'empereur et roi, le prince nouveau-né n'a reçu aucun prénom, ce à quoi il sera pourvu par acte ultérieur et d'après les ordres de S. M. I et R. Les témoins de l'acte, etc. Moniteur.

[6] Moniteur. — Blanchard-Jerrold, The life of Napoleon the third., 4 vol. 1874. — H. Thirria, Napoléon III, avant l'Empire, Plon, 1895, 2 vol., etc., etc.

[7] Joséphine lui annonçait ainsi la nouvelle : C'est un prince : Il est beau, il est charmant ; il sera grand homme comme sou oncle : espérons qu'il ne sera pas boudeur comme son père. — J'espère, ajoutait Napoléon à Hortense, qu'il sera digne de son nom et de ses destinées. E. Ollivier, L'Empire libéral, Louis-Napoléon et le coup d'Etat, Garnier, 1897.

[8] Moniteur du 21 avril. — Il existe un portrait de l'amiral Verhuel au musée de Versailles.

[9] The Fortnightly Periew, août 1814, article signé W. Graham. — Voir Thirria, Napoléon III avant l'Empire, note 4, p. 2.

[10] Il faut remarquer à ce sujet qu'une des habitudes de la calomnie politique vers le milieu du XIXe siècle consistait à traiter le prince prétendant de bâtard. Louis-Philippe avait subi le même sort. On le disait le fils d'un certain Lorenzo Chiappini, geôlier. Voir : Vérités historiques sur le fils de Lorenzo Chiappini, etc., plus connu sous le nom de Louis-Philippe, Paris 1842 : broch. de 32 p. — Maria Stella ou échange criminel d'une demoiselle du plus haut rang contre un garçon de la condition la plus vile, Paris, 1838. — A. de la Salle, Histoire et politique de la famille d'Orléans : Dentu, 1853. — Ch. Marchai, La famille d'Orléans ; s. d. . Une bizarrerie de la destinée des grands hommes ou des hommes célèbres, c'est que l'on s'obstine souvent à les croire étrangers à ceux qui passent pour être leurs pères et, sans remonter plus haut, Napoléon ne passait-il pas pour être le fils de M. de Marbeuf, son fils, celui du général Duroc ? Son neveu sera toujours pour l'histoire celui de l'amiral Verhuel ou de M. de Flahaut. Souvenirs de la baronne du Montet, p. 46, Plon 1904. — Je tiens de M. Caussade, fils d'un sénateur de l'empire ancien secrétaire du roi Jérôme, ainsi que de plusieurs personnes qui ont connu la cour impériale ou y ont eu des parents, que presque tout le monde, à l'époque, pensait que l'empereur était le fils de Flahaut. A mon sens, c'est sue erreur ; je le prouve plus loin. — Consulter aussi sur ces questions La Vie Contemporaine du 1er février 1894 : la reine Hortense, par L. Perrey.

[11] Duchesse d'Abrantès, Mémoires, t. IV. — Flahaut était, parait-il, tout à fait charmant : Il était de la plus agréable figure ; il avait un ton parfait, beaucoup de bonne grâce dans l'esprit et une grande douceur de caractère. Il chantait remarquablement pour celle époque, et sa complaisance extrême ajoutait encore à son talent... G. Ducrest, Mémoires sur l'impératrice Joséphine, t. II.

[12] J. Turquan, La reine Hortense, p. 181.

[13] Morny fut déclaré le 22 octobre 1811 à la mairie du 3e arrondissement. Son acte de naissance a été publié dans C. Nauroy, Les Secrets des Bonaparte, et Piot, État civil de quelques artistes français.

[14] Portrait par Prudhon, 1805 (Collection de S. A. I. le prince Victor) ; de Gérard (Coll. de M. F. Raimbeaux) ; par la reine elle-même pub. dans Stéfane-Pol, La jeunesse de Napoléon III ; miniature d'Isabey pub. dans : C. d'Arjuzont, Mme Louis Bonaparte, etc. — Un de ses contemporains déclare qu'elle n'était point jolie, mais gracieuse. Comte G. d'Estourmel, Souvenirs de France et d'Italie, Dentu, 1801.

[15] Mme de Rémusat, Mémoires, t. I. Il se permit d'éclairer sa femme sur toutes les faiblesses qu'on prêtait à sa mère. Il lui aurait dit encore, toujours d'après Mme de Rémusat : Vous êtes la fille d'une mère sans morale ; je ne veux plus que vous ayez un seul rapport avec elle : vous ne la verrez qu'en ma présence, et quand les convenances de famille ne pourront vous dispenser de la voir.

[16] Ayant même qu'ils ne fussent officiellement fiancés, Hortense fit tout pour faire comprendre à Louis Bonaparte qu'elle ne l'aimait pas, et elle ne lui pardonna jamais d'avoir passé outre. Louis, cependant, agissait à contre-cœur et obéissait à son frère. Cette répugnance de la future reine parait assez singulière car Louis était bel homme à cette époque ; il se montrait même gai ; c'était le joli garçon de la famille. — L'empereur avait d'abord destiné Hortense à Duroc, mais celui-ci, pour la première fois, désobéit à son maître. Bourrienne interrogé par l'empereur sur ce mariage et l'ayant déclaré impossible : Eh bien, aurait dit Napoléon, elle épousera Louis. — Le voudra-t-elle ? — Il le faudra bien. Mémoires de Bourrienne, t. IV. On a dit aussi que le refus de Duroc venait de ce que l'empereur et Hortense avaient été fort liés ; c'est Lucien Bonaparte, dans ses mémoires, où il se montre si sournoisement malveillant pour son frère, qui a accrédité cette légende. — Quant au peu d'empressement de Louis à épouser la fille de Joséphine, il ra avoué lui-même dans une lettre à sa sœur Caroline, datée du 16 octobre 1816 : Vous reconnaissez que j'ai toujours en beaucoup de répugnance pour mon mariage avec Hortense, que vous avez été témoin de mes plaintes... Songez que vous saviez mon attachement pour Mme de la Valette, rappelez-vous le mariage forcé qu'on lui fit faire et, qu'après le retour d'Egypte, je refusai constamment la main d'Hortense ; que, pour être tranquille, j'affectais une répugnance invincible pour le mariage tandis qu'il faisait et fit toujours l'objet de tous mes vœux. Claretie, L'Empire, les Bonaparte et la cour.

[17] Cette bonne foi a été mise en doute par Mme de Rémusat : Une certaine hypocrisie de vertu, dit-elle, des mœurs plus régulières que celles de sa famille, des opinions bizarres appuyées plutôt sur des théories hasardées que sur des principes solides, ont abusé beaucoup de monde. — L'opinion de Mme de Rémusat nous semble douteuse. La vérité c'est que Louis n'était plus, par suite de sa santé, maitre de son caractère. On raconte qu'à Florence il avait dans sa voiture deux cordons qui le mettaient en communication avec le cocher, afin de lui signifier s'il voulait aller à droite ou à gauche ; et l'ancien roi les tirait l'un et l'autre à la suite, ne se décidant définitivement pour un côté qu'après des hésitations qui mettaient hors de lui son conducteur. — Quand sa mésintelligence avec sa femme avait été bien établie, et ne pouvant être ni roi ni mari à sa guise, il se débarrassa à la fois de son royaume et de sa femme. Il abdiqua au profit de ses enfants et s'enfuit à Tœplitz. Il s'y consola en dissertant avec Gœthe sur la l'hile française et sur les trois unités. On voit bien, disait Gœthe, que les causes de son abdication sont nées avec lui. E. Ollivier, Louis-Napoléon et le coup d'Etat, déjà cité p. 11. — Les  œuvres littéraires du roi sont sans valeur ; une seule demeure intéressante, sa réponse à Walter Scott. Louis Bonaparte connut aussi Lamartine. Il allait le voir la nuit suivi d'un valet de chambre qui aidait ses pas infirmes à monter les escaliers. lis passaient de longues soirées en tête-à-tête, dans des entretiens purement littéraires ou philosophiques. Idem., p. 19.

[18] Mémoires sur la cour de Louis-Napoléon et sur la Hollande, Paris, Ladvocat, 1828. — La mésintelligence des deux époux était fatale. Rien ne pouvait les réunir. Louis aima peut-être réellement sa femme comme Napoléon l'affirma à Sainte-Hélène et Hortense essaya, peut-être, de son côté, de s'attacher à lui, mais sans succès ; chacun d'eux avait une conception de la vie trop différente. Ils en arrivèrent, en 1810, à une séparation de corps vraiment curieuse : Pendant le peu de jours que Louis avait précédé la reine au palais, il avait donné des ordres pour que ses appartements qui, précédemment, communiquaient avec ceux de la reine, n'offrissent plus aucun moyen de passer les uns dans les autres, et, pour éviter toute espèce de surprise, cette incommunicabilité fut poussée au point de faire murer les embrasures des portes. La cour de Hollande sous Louis Bonaparte.

[19] Mémorial de Sainte-Hélène. — Louis avait été cruellement initié, en Italie, à ce que les Français appellent le mal de Naples, et s'était fort peu soigné. lie là vint une partie de son caractère soupçonneux et maussade.

[20] Mémorial de Sainte-Hélène.

[21] Mémorial de Sainte-Hélène. — On y lit encore ces lignes significatives : On avait fait courir les bruits les plus ridicules sur les rapports de Napoléon avec Hortense : on avait voulu que son ainé fût de lui ; mais de pareilles liaisons n'existaient ni dans les idées ni dans les mœurs ; et pour peu qu'on connût celles des Tuileries. on sent qu'il a pu s'adresser à beaucoup d'autres avant d'en être réduit à un choix si peu naturel et si révoltant. Louis savait bien apprécier la nature de ces bruits, mais son amour-propre, sa bizarrerie n'en étaient pas moins choqués ; il les mettait souvent en avant comme prétextes.

[22] Finkenstein, 4 avril 1897. Correspondance de Napoléon Ier, t. XV, p. 25.

[23] La reine était profondément affectée par la mort de son enfant, au point d'en paraître folle. Il ne faut pas oublier qu'on l'avait précisément envoyée aux eaux des Pyrénées pour rétablir sa santé sérieusement ébranlée par son malheur, et qu'elle ne devait être, ni physiquement ni moralement, dans une disposition à prendre un amant. Il ne suffit pas d'établir qu'une femme a reçu un homme au montent de la conception d'un enfant pour prouver qu'il y a entre eux des relations adultérines. Thirria, éd. déjà citée, p. 4.

[24] Il est aussi faux d'attribuer à l'amiral hollandais Verhuel la paternité du troisième enfant, Louis-Napoléon. Emile Ollivier, L'Empire libéral, Louis-Napoléon et le Coup d'État, Garnier, 1897, p. 9.

[25] Mme de Rémusat, Mémoires. — J. Turquan, La reine Hortense. — Claretie, L'Empire, les Bonaparte et la Cour. — La deuxième fois, dit Louis dans une lettre à Hortense, datée de Rome, 14 septembre 1816, où nous vécûmes conjugalement, fut après deux ans, à Compiègne, où nous restâmes environ deux mois, et enfin à Toulouse, en 1807, depuis le 12 du mois d'août que vous vîntes me trouver de Cauterets jusqu'à notre arrivée à Saint-Cloud, vers la fin dudit mois.

[26] F. Giraudeau, Napoléon III intime, Ollendorff, 1895. — Voir : Mémoires du maréchal de Castellane, Plon, 1896, t. I.

[27] M. de Baillebache, Prétendants, p. 141. Ed. du Carnet, 1902.

[28] C'est là, en effet, que la reine Hortense est enterrée, à côté de l'impératrice Joséphine.

[29] F. Giraudeau, éd. déjà citée.

[30] Lettre de Louis Bonaparte à Hortense, datée de Rome, 14 septembre 1816.

[31] ... Si l'on consulte les lois de la ressemblance morale et de la ressemblance physique, elles sont d'accord pour établir la filiation entre Louis Bonaparte et Louis. Napoléon. Ne trouve-t-on pas dans le caractère de Napoléon Ill les principaux traits de celui de son père, si différent du caractère des Bonaparte ? Cette différence qui a frappé les courtisans contemporains, ils en ont recherché la cause et nous avons entendu dire qu'ils l'attribuaient à la présence dans les veines de Louis Bonaparte d'un sang qui ne serait pas le sang de Charles Bonaparte, mais celui d'un gouverneur qu'avait eu la Corse avant M. de Marbeuf. Taxile Delord, Histoire du Second Empire, t. I. T. Delord est un pamphlétaire bien plus qu'un historien ; cette appréciation est donc importante.

[32] Né d'un père mélancolique de naissance, rendu plus mélancolique encore par un mariage contre son cœur et des obligations contre ses goûts, le nouveau-né devait hériter de cette mélancolie et les émotions de son existence future ne furent point de nature à l'en débarrasser. Si, plus tard, quand il sera un adolescent, puis un homme, à cette mélancolie vient s'ajouter une véritable force de volonté, unie — ce qui tout d'abord peut paraître contradictoire — à une sensibilité indiscutable, c'est la mère qui chez lui reprendra de temps en temps le dessus. Georges Duval, Napoléon III, p. 17.

[33] Voici la fin du testament : Je laisse tous mes autres biens, mon palais de Florence, mon grand domaine de Civita-Nova, etc., tous mes biens meubles et immeubles, actions et créances, enfin tout ce qui, à l'époque de mon décès, constituera mon héritage, à mon héritier universel Louis-Napoléon, seul fils qui me reste et auquel fils et héritier je laisse, comme témoignage de ma tendresse, etc. et, comme témoignage plus particulier d'affection, je lui laisse tous les objets qui ont appartenu à mon frère l'Empereur Napoléon, lesquels sont renfermés dans le petit meuble consacré à cet effet... (fait à Florence 1845). Journal des Débuts, 12 août

[34] Les gens qui prennent la peine de réfléchir sentaient bien que le roi Louis, avec sa nature soupçonneuse et, jalouse, n'eût jamais donné ni laissé donner son propre prénom à l'enfant dont il ne se serait pas cru le père. F. Giraudeau, éd. déjà citée, t. XVIII.

[35] Le roi de Hollande gagna ce procès, plaidé en mars 1815.

[36] Depuis Hambourg jusqu'à Rome, des Pyrénées jusqu'au Danube, le canon salua la naissance du jeune prince. Gallix et Guy, Histoire complète et authentique de Louis-Napoléon Bonaparte, 2. vol. Paris, Morel, 1853. — Louis-Napoléon fut le seul prince, autre que le roi de Rome, qui naquit sous le régime impérial ; seul, il fut salué à sa naissance par les honneurs militaires et par les hommages du peuple. N'était-ce pas là le présage de sa destinée ? Stéfane-Pol, éd. déjà citée, p. 50.

[37] A la nouvelle de l'arrivée de l'empereur, les royalistes accusèrent Hortense d'avoir conspiré, accusation fausse, car elle n'était nullement dans le secret du retour. L'alarme fut même vive rue Cerutti. Dans les notes que Napoléon III a laissées sous ce titre : Souvenirs de ma rie, il a écrit à ce sujet : ... on répandit le bruit que nous devions être assassinés. Un soir, notre gouvernante vint nous prendre et, suivis d'un valet de chambre, nous fit traverser le jardin de la maison de ma mère qui était rue Cerutti, n° 8, et nous conduisit dans une petite chambre sur le boulevard où nous devions rester cachés. I. de Saint-Amand, Louis-Napoléon et Mlle de Montijo, déjà cité, p. 48. — L'empereur en voulut beaucoup à sa belle-fille d'être à Paris et d'avoir renoncé au titre qu'elle tenait de lui pour en accepter un autre donné par les Bourbons : Au sujet des fils d'Hortense il s'écria : Vos enfants n'étaient-ils pas mes neveux avant d'être vos fils ! L'avez-vous oublié ? Vous croyez-vous le droit de les faire déchoir du rang qui leur appartenait ?... Mme Récamier, Souvenirs.

[38] De Barins, Histoire populaire de Napoléon III. Paris, Pick, 1853, etc., etc.

[39] De Barins, Histoire populaire de Napoléon III. Paris, Pick, 1853, etc., etc.

[40] Il en résulte que l'empereur étant entré dans son cabinet d'un air soucieux, c'était la veille de son départ pour la campagne de Waterloo — le fils de la reine Hortense se glissa derrière lui, s'approcha et se mit à pleurer. — Qu'as-tu donc, Louis ? demanda Napoléon. Alors, l'enfant ayant répondu : Sire, ma gouvernante me dit que Vous partez pour la guerre ; eh bien ! ne partez pas. — Et pourquoi ne veux-tu pas que je parte ? le questionna-t-il. Ce n'est pas la première fois, mon enfant, que je vais à la guerre. Pourquoi t'affliger ? Ne crains rien, je reviendrai bientôt. — Oh ! mon oncle, s'écria le petit, dont les pleurs redoublaient, ces méchants alliés veulent vous tuer... Laissez-moi au moins aller avec vous ! Lempereur ne parla plus, prit l'enfant sur ses genoux l'embrassa longuement et appela sa belle-fille pour qu'elle emmenât son fils ; mais, auparavant, poussant l’enfant dans les bras du maréchal Soult : Tenez, dit-il vivement, embrassez-le ; il aura un bon cœur et une belle âme... C'est peut-être l'avenir de ma race. Ce récit sentimental et tendancieux nie plait médiocrement ; je doute fort de son authenticité. — Napoléon III avait voulu écrire ses mémoires ; nous en connaissons par M. Planchard-Jerrold des fragments. (Life of Napoleon the third.) On y lit, entre autres choses, ceci : Souvent, j'allais avec mon frère qui avait trois ans de plus que moi déjeuner chez l'Empereur. On nous faisait entrer dans une chambre dont la fenêtre donnait sur le jardin des Tuileries. Dès que l'Empereur entrait, il venait à nous, nous prenait avec les deux mains par la tête et nous mettait ainsi debout sur la table. Cette manière tout exceptionnelle de nous porter effrayait beaucoup ma mère à laquelle Corvisart avait assuré que cette façon de soulever un enfant était très dangereuse.

[41] H. Houssaye, 1815, t. III.

[42] M. de Baillehache, Prétendants, éd. déjà cité.

[43] Giraudeau, Napoléon III intime, etc.

[44] Les quatre cours lui permettaient bien la Suisse, mais la Haute-Diète était décidée à ne souffrir en Suisse aucun membre de la famille Bonaparte. Le préfet de l'Ain faisait savoir d'autre part que le séjour de Mme Hortense aurait de grands inconvénients dans un pays aussi voisin. La duchesse ne pouvait donc aller ni en Suisse ni en France, pas plus qu'à Aix. la Savoie allant être livrée à la monarchie de Sardaigne. Le baron Pinot se demandait ce qu'il devait faire de cette dame. Elle indique elle-même Constance. A peine y est-elle arrivée que le grand-duc la prie poliment de partir. A force d'instances, elle obtint d'y séjourner temporairement. — La police française, remarquable à cette époque comme à la nitre par l'imbécillité maladroite de sa persécution, la traque sans répit et a de véritables accès de colère à ne rien trouver de répréhensible ni dans ses démarches, ni dans ses lettres, ni dans ses paroles. Une seule missive semble suspecte an comte de Bouthellier, préfet du Bas-Rhin : M. de Saint-Leu se réjouit de l'évasion de La Valette ! Tous les préfets entrent alors en jeu. La correspondance des domestiques de l'exilée est soumise à un examen minutieux. Le préfet du Doubs, las à la fin de ne rien trouver, demandant au ministre s'il doit continuer un travail aussi superflu et encourager ceux qui se montrent zélés, l'Excellence répond affirmativement : Stimulez ! Stimulez ! Communiquez-moi tout ce que vous recevrez ainsi. Mlle Cochelet se rendant à Paris pour des affaires personnelles, est filée. On se sert des fournisseurs pour prendre en défaut la reine : et le comte Auguste de Talleyrand, notre ministre à Berne, écrit au duc de Richelieu qui transmet la communication à son collègue Decazes : Un tailleur nommé Joseph Gruber, qui a travaillé pour le fils de Mme Hortense, doit partir incessamment pour Paris. Ce tailleur est un homme peu délicat, passionné pour l'argent et grand bavard. Peut-être Votre Excellence pourrait-elle s'en servir utilement. Ces poursuites saugrenues durèrent jusqu'en 1820. Ainsi, pour citer seulement quelques faits, parmi mille autres, l'ambassadeur de France à Rome avisera, au mois de mai 1820, le ministre des Affaires étrangères, — et celui-ci, le ministre de la Police, — et celui-ci, le préfet de la Seine-Inférieure — qu'un sieur Castelain lui a demandé un passeport pour aller recueillir à Yvetot la succession de son père et que comme il a été maitre de mathématiques du fils de Louis-Bonaparte on doit avoir l'œil sur lui. L'œil de l'administration constate que le sieur Castelain, — s’il ne se cache pas d'avoir donné des leçons à un jeune Bonaparte, — a cependant une attitude irréprochable et s'occupe exclusivement de son héritage. Et la correspondance consacrée à cette grave affaire formera un important dossier. — Quoique en revenant toujours bredouille, la police française ne se lassera pas de cette chasse. De 1820 à 1827 M. Le Bas et sa femme sont sans cesse filés, toujours inutilement ; dans les rapports qui le concernent, Le Bas est appelé cet individu — Giraudeau, éd. déjà citée. — C'est après une longue discussion que le conseil de Thurgovie finit par se décider à offrir l'hospitalité à la reine. Ce fut une dure situation que celle de la famille Bonaparte après la seconde Restauration. Une loi draconienne (12 janv. 1816) prononçait contre eus, à tous les degrés et même coutre leurs alliés, l'exil sanctionné par la peine de mort, aggravé par la privation des droits civils, titres, pensions, par l'obligation de vendre tous les six mois tous les biens possédés à titre onéreux. Au duc de Richelieu qui appuyait certaines réclamations de la reine Catherine, Louis XVIII répondait : Il n'y a pas de justice en France pour les Bonaparte. — E. Ollivier, Louis-Napoléon et le Coup d'État, déjà cité, p. 15.

[45] C'était le petit castel de Sandegg. Quand Mlle Cochelet eut épousé M. Parquin, elle se fixa non loin de là, au château de Wolfsberg.

[46] Il y a de nombreuses lithographies d'Arenenberg. On en trouvera, — et notamment la reproduction d'un dessin au lavis du prince Louis, — dans le livre de M. Stéfane-Pot déjà cité. — A. Muffin, Hist. de la chute des Bourbons, 5 vol. Du château, ... situé sur une espèce de promontoire à l'extrémité d'une d'aine de collines escarpées, on jouissait d'une vue étendue, mais triste. Cette vue domine le lac inférieur de Constance qui n'est qu'une expansion du Rhin sur des prairies noyées. De l'autre côté du lac, on aperçoit des bois sombres, restes de la Forêt-Noire, quelques oiseaux blancs voltigeant sous un ciel gris et poussés par un vent glacé. Chateaubriand.

[47] Il était le fils du député de la Montagne, Pierre Le Bas, qui fut, comme on sait, avec Saint-Just, un des meilleurs séides de Robespierre. Fidèle à ses engagements, il se brûla la cervelle dans la nuit du 9 thermidor.

[48] Stéfane-Pol, La Jeunesse de Napoléon III, éd. déjà cité.

[49] Mémoires sur la reine Hortense et la Famille impériale, Paris, Ladvocat, 1836.

[50] La jeunesse de Napoléon III, id., Mémoires, etc. de Mlle Cochelet.

[51] Toutes les biographies et toutes les histoires du prince citent le trait.

[52] A. de Sybel, 1873.

[53] Mme Cornu est sujette à caution, malgré le rôle étonnant qu'elle joua dans plusieurs cours d'Europe ; cependant, dans le cas actuel, son impression, même outrée, dut être ressentie ; elle se trouve confirmée par le passage suivant d'une lettre inédite d'Etienne Arago que nous devons à l'obligeante communication de M. Caussade :  ... Bonaparte (les proscrits républicains appelaient ainsi alors Louis-Napoléon, et c'est tout à son honneur) est bien l'homme qu'a peint admirablement Mme Cornu, son amie d'enfance, quand elle a dit à ma sœur : Bonaparte ! vous ne le connaissez pas bien : pour avoir son nom écrit dans l'histoire, il ferait brûler Paris sans s'émouvoir. Il est pis que Néron. Ceci montre bien la faculté d'exagération de Mme Cornu. Il peut se faire aussi que, dans la colère du moment, Etienne Arago ait encore ajouté aux paroles de Mme Cornu ; c'était le plus honnête homme du monde, mais un peu simple et très exalté.

[54] L'ambition, teintée de superstition, joua certainement nn rôle dans la vie d'Hortense. Elle inspira à son fils une foi fanatique dans sa destinée. Henri Martin.

[55] Georges Duval, Napoléon III, Flammarion. A Rome comme à Arenenberg, Hortense, malgré ses occupations artistiques ou ses distractions mondaines, veillait sur l'éducation de son fils avec autant d'intelligence que de tendre sollicitude. Intrépide, elle le rendit tel ; fière, elle lui fit un cœur au-dessus des petitesses ; admiratrice de Napoléon, elle lui en inspira le culte ; convaincue de l'avenir de sa race, elle lui en communiqua la foi. Elle fut, malgré tout, la faveur providentielle de sa destinée, comme Joséphine l'avait été de celle de son oncle. Par un petit fait, on jugera de la manière dont elle agissait sur lui. Comme tous les enfants imaginatifs, il était accessible aux terreurs de l'obscurité. Hortense l'aguerrit en faisant enlever de sa chambre tous les portraits de son oncle. Ils ne peuvent rester, dit-elle, dans la chambre d'un poltron. De ce jour, l'enfant n'eut plus peur. E. Ollivier, ouv. déjà cité, p. 19.

[56] Georges Duval, Napoléon III, p. 70.

[57] G. Duval, ouv. déjà cité.

[58] G. Duval, ouv. déjà cité.

[59] Ces lettres étaient écrites par Le Bas à des membres de sa famille on à des amis.

[60] Stéfane-Pol, La Jeunesse de Napoléon III.

[61] Stéfane-Pol, La Jeunesse de Napoléon III.

[62] Stéfane-Pol, La Jeunesse de Napoléon III.

[63] Stéfane-Pol, La Jeunesse de Napoléon III.

[64] Dans les grandes familles, l'éducation commence fatalement par ahurir l'enfant ; elle est trop diverse, trop compliquée pour sa nature simple. Au lieu de lui laisser le loisir nécessaire, de lui permettre de se connaitre peu à peu, elle ne le quitte pas une minute et, faisant peser sur lui une contrainte perpétuelle, l’annihile, Quand on ajoute à cela la situation complexe du prince, on ne s'étonne plus des nombreux tâtonnements de son adolescence, puis de son fige d'homme. L'éducation qu'il avait revue, toute superficielle et de convention, ne lui servit presque à rien, et il dut s'en refaire une. Elle l’embarrassa même plutôt de scrupules et d'erreurs quant à son rang social.

[65] Stéfane-Pol, éd. déjà citée. On peut opposer à cette anecdote la suivante, pour montrer le chemin que parcourut en quelques années l'élève de Le Bas. — Le prince étant penché sur le grand pont de Constance et contemplant le cours du Rhin, un ecclésiastique, l'abbé Leuder, préfet du lycée de Constance, lui demanda à quoi il songeait. Je pense, répondit le prince, qu'un jour je serai empereur et qu'alors je donnerai à la France le cours du Rhin pour frontière. T. Cuers, Récits et Souvenirs de 1870.

[66] Cette lettre a été reproduite dans l'ouvrage de M. Blanchard-Jerrold (t. I, p. 100). Ma chère maman, le jour approche où je vous reverrai, où je pourrai vous témoigner mon attachement, où je tâcherai de vous consoler, autant qu'il me sera possible, de ce malheureux événement. Cette mort m'a fait, comme vous pouvez le croire, une bien grande peine, et elle est agrandie encore en pensant h la douleur que causera cette triste nouvelle à toute ma famille ; heureusement, il est dans un monde meilleur que le nôtre, et il jouit paisiblement de ses bonnes actions. Ce qui me tait beaucoup de peine, c'est de ne pas l'avoir vu même une seule fois, avant sa mort, car à Paris j'étais si jeune qu'il n'y a presque que mon cœur seul qui m'en  fasse souvenir. Quand je fais mal, si je pense à ce grand homme, il me semble sentir en moi son ombre qui me dit de me rendre digne du nom de Napoléon. C'est la lettre d'un enfant bien sage. Il y dit encore : Heureusement je suis jeune, et je parais souvent avoir oublié ce malheur ; mais si, cependant, ma gaité habituelle revient quelquefois, elle n'empêche pas que mon cœur soit triste et que je n'aie une haine éternelle contre les Anglais.

[67] Stéfane-Pol, la Jeunesse de Napoléon III.

[68] Stéfane-Pol, la Jeunesse de Napoléon III.

[69] Toutes les histoires et toutes les biographies de Louis Napoléon.

[70] Procès du prince Napoléon-Louis Bonaparte, etc., Paris, Bonaire, 1840.

[71] Reproduit dans La Jeunesse de Napoléon III. Stendhal parle de ce charmant endroit dans la Chartreuse de Parme.

[72] Stéfane-Pol, éd, déjà citée.

[73] Stéfane-Pol, éd, déjà citée.

[74] Stéfane -Pol, éd. déjà citée.

[75] Mme Laqitia passait ses journées avec le cardinal Fesch. Elle ne franchissait jamais le seuil de son palais qu'en voiture fermée ; tous les jours de 1 heure à 3, elle se faisait conduire dans la campagne de Rome et là, dans ces solitudes où tout semble mort. excepté les souvenirs du passé, elle se promenait seule et à pied. Elle rencontrait de temps en temps la voiture de Pie VII. Le Pape s'arrêtait, saluait la mère de celui avec qui il avait agité les destinées du monde chrétien et. avec cette bonhomie italienne qui s'allie souvent à des sentiments d'une vraie grandeur, il lui demandait des nouvelles del porero imperatore. Mémoires et Correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine, Dentu. 1861, 7 vol. — Il connut ce délicieux carnaval romain dout un ancien préfet de Charles X. homme exquis, disait : La Providence me gardait en dédommagement pour mes vieux jours le carnaval de Rome. Comte d'Estourmel, Souvenirs de France et d'Italie dans les années 1830, 1831 et 1832. Paris, Dentu, 1861. — Pendant ce carnaval, d'Estourmel vit la reine Hortense, au sujet de laquelle il écrit : ... Le temps marcha, ma danseuse fit son chemin ; je la revis toute ruisselante de diamants : avec dix années de plus, c'était le même charme dans le regard, la même grâce dans le maintien ; mais ce charme, mais cette grâce, on les appelait alors Votre Majesté : un diadème pesait sur elle. En 1799, elle était pour moi la reine du bal, en 1809, j'étais chez elle au bal de la reine. Aujourd'hui, cette femme, qui n'a jamais été belle, qui n'est plus jeune, qui n'est plus reine, et dont le diadème d'émeraudes dont Gérard l'a parée dans son portrait est allé rejoindre la couronne de roses comme les feuilles qui tombent après les fleurs ; cette femme, que j'ai suffisamment nommée, brille et règne encore par la grâce, car la grâce ne vieillit pas et on ne la détrône point. Je demande si je pouvais mieux adresser mon bouquet ? Elle le reçut avec son obligeant sourire ; mais, en ce moment, les voilures, qui s'étaient arrêtées, recommencèrent à défiler : l'air était obscurci par les projectiles et tout chargé d'amidon : il pleuvait, ou plutôt, il neigeait des dragées, p. 19 ; et p. 99 : J'ai revu la reine Hortense, qui m'a remercié de mon bouquet. — Le prince allait aussi avec sa mère chez le célèbre banquier Torlonia dont parle Beyle dans ses Promenades dans Rome. Voir à ce sujet les Souvenirs de Mme. Récamier qui raconte un bal masqué où la reine et elles portaient le même domino.

[76] La Jeunesse de Napoléon III, éd. déjà citée.

[77] La Jeunesse de Napoléon III.

[78] La Jeunesse de Napoléon III.

[79] Il me tarde, dit Le Bas, d'arracher mon élève à la vie dissipée que nous menons ici. II perd son temps, il prend l'habitude de l'oisiveté et cela me chagrine... Ce n'est pas sur les grandes Fontes que l'on peut faire l'éducation d'un enfant. De la villa Paolina, il dit : C'est un séjour enchanté, un véritable palais d'Armide.

[80] La Jeunesse de Napoléon III.

[81] Lady Blessington, The idler in Italy, Paris, Galignani,

[82] La Jeunesse de Napoléon III, déjà cité.

[83] Il mourut en mai 1860. Il eut un réel mérite, au point de vue de ses convictions, de pouvoir ainsi refuser la sympathie impériale ; la puissance de Napoléon III, â cette époque, était formidable.

[84] La Jeunesse de Napoléon III.

[85] Ce charme n'a été nié par aucun de ceux qui l'ont connu, sauf par Aurélien Scholl qui déversa l'injure, après 70, sur celui qu'il priait auparavant de l'obliger. On trouva en effet aux Tuileries les lettres suivantes : Sire, je me noie faute de quatre malheureux billets de mille !... A. Scholl, et : Mon cher monsieur Macquart, Sa Majesté a entendu mon cri de désespoir. Qu'elle entende mon cri de délivrance ! et qu'elle soit bénie ! A. Scholl.

[86] Les malheurs sans nombre de sa famille avaient été la meilleure des leçons. Aussi, sans préjugés, sans regrets des avantages qu'il devait à sa naissance, mettant seulement à honneur d'être utile à l'humanité, il était républicain par caractère... Mon fils Louis avait absolument les mêmes sentiments et le même caractère que son frère. La reine Hortense en Italie, en France et en Angleterre pendant l'année 1831, Paris 1861. — Ce livre est un fragment des Mémoires de la reine Hortense qui sont actuellement entre les mains de l'impératrice Eugénie.

[87] Louis XVIII était très impopulaire. On ne lui pardonna jamais 1815, et on fit bien. On se rappelle son mot d'esprit, à propos des quatre sergents de la Rochelle, le matin de leur exécution. A quelle heure est-elle ? demanda le roi. — Sire, à sept heure. — A huit, je ferai grâce. L'entente entre les républicains et les bonapartistes était facile ; ils étaient tous, chacun à leur manière, libéraux. L'avènement de la Restauration amena dans les relations entre impérialistes et républicains une transformation. Fils et représentants de la Révolution, ils s'unirent contre les Courbons qu'ils considéraient comme l'ennemi commun. A quoi donc avaient servi vingt-deux années d'interrègne ? La souveraineté du peuple, cette prétendue conquête, était mise de coté et le principe de l'hérédité suffisait à désigner et à rétablir un roi. Avec la restauration du prince, l'ancien système du gouvernement semblait prêt à renaitre comme un insolent démenti. Aussitôt ou alarme les esprits, les intérêts, les consciences. Les opinions font volte-face : les partisans de l'Empire glorifient les conquêtes libérales de la Révolution ; les républicains se parent des victoires et du nom de l'empereur. Ils confondent leurs couleurs, ils scellent leur alliance dans une haine commune du nouveau régime. Guerre de presse, guerre à main armée, c'est sous cette double forme que la Restauration eut à subir l'assaut de ses adversaires. Victor Pierre, Histoire de la République de 1848, 1 vol., Plon, 1871.

[88] Cela est certain ; lui et son frère étaient d'une parfaite sincérité. Élevés l'un par Le Bas, l'autre par le colonel Armandi, ils tenaient d'eux la doctrine libérale. Dans la traduction qu'il donna de la vie d'Agricola, le fils aîné de Louis Bonaparte écrit : Tacite est le modèle des écrivains ; presque à chacune de ses phrases il fait éprouver à l'âme une sensation profonde ; ses ouvrages respirent la vertu la plus pure, ses idées sont justes et fortes : bien différent de certains auteurs de nos jours, il dédaigne les grands mots et les déclamations. Sa conscience seule est son guide, il ne dit que ce qu'il sent ; et qui, mieux que lui, a senti l'amour de la patrie et la haine de la tyrannie ! Vie d'Agricola par Tacite, traduite par N. L. B., Florence. Guillaume Piatti, 1559. — Une affection d'autant plus tendre unissait les deux frères que leurs idées se ressemblaient tous les deux républicains et en même temps fanatiques de leur grand-oncle ; tous les deux patriotes fervents et dévoués aux peuples opprimés. E. Ollivier, ouv. déjà nt. p. 25. — Vieillard qui les avait élevés, ancien capitaine d'artillerie qui avait fait la retraite de Russie et y avait eu même les pieds gelés, alliait son culte de l'Empereur, qui tenait du fanatisme, à un républicanisme fervent et à des idées de libre penseur.

[89] Nous entendions dire dans notre enfance par un homme qui avait connu l'existence et qui n'était pas sans esprit : Celui qui n'est pas républicain à vingt ans révèle une bien vilaine âme, mais celui qui l'est encore à trente est un imbécile. Aujourd'hui nous pourrions ajouter : ou un coquin.

[90] L'esprit du jeune homme s'était ouvert au monde dans un véritable foyer de conspirations ; presque tous les complots formés en France de 1816 à 1822 ont été préparés dans les salons d'Hortense, cette douce obstinée, comme l'appelait son frère Eugène. Machel-Souplet, Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham, Dentu, 1893.

[91] Émile Dard, Le général Choderlos de Laclos, Perrin, 1905. — Biographie universelle de Michaud, t. 23. — Montgaillard, Histoire de France. t. II. — Lire la lettre de Laclos au duc d'Orléans publiée dans : Histoire et politique de la famille d'Orléans, par A. de la Salle, Dentu, 1853 (p. 70). Cette lettre est merveilleuse.

[92] Giraudeau, Napoléon III intime, p. 23.

[93] Il répondit à son père à la suite de la défense qu'il lui avait faite : .... Adieu mon cher papa, croyez à mon sincère attachement ; je vous eu ai donné une véritable preuve en renonçant b mon projet ; car si je ne vous avais pas tant aimé je n'aurais pu résister au désir de l'accomplir, même contre votre volonté.

[94] Il y a dans toute association politique secrète un irrésistible aimant pour les esprits jeunes qui ne savent pas se contenter de l'égoïsme. — Le carbonarisme avait un côté de mise en scène assez pompeux, à la fois monacal et tragique, en tout cas tort impressionnant et qui ne manquait pas de grandeur, malgré certains aspects un peu ridicules. Ce terrain théâtral ne servait qu'à cacher un but très net, très positif, très déterminé : l'affranchissement de l'Italie et l'union italienne. Dans le rêve des conjurés tout devait mener à la république. Cavour réalisa leur espoir en en faisant profiter la monarchie de Savoie, prenant ainsi du carbonarisme. ses idées logiques et saines, arrêtant l'essor de celles qu'il jugeait erronées sous un pouvoir fort et durable. — Voir : Constitution et organisation des carbonari ou documents exacts sur tout ce qui concerne l'existence, l'origine et le but de celle société secrète, par M. Saint-Edme. Paris, 180t. — Ce Saint-Edme est l'auteur du Procès de Louis-Napoléon (Paris. 1840) et se trouve mêlé aux poursuites entreprises pendant l'affaire suisse (voir plus loin) contre les agents du prince. Il était de ses amis, et lui-même carbonaro. Ce fait me semble apporter une nouvelle preuve, pas évidente, mais fort plausible, au carbonarisme de Louis-Napoléon. — Le général Collette déclare qu'en mars 1820, les carbonari étaient au nombre de 642.000.

[95] Il n'y a pas de preuves absolues, — du moins à notre connaissance, — de papiers, établissant le carbonarisme de Napoléon III, mais j’ai personnellement la conviction qu'il fut carbonaro. Son rôle dans l’affaire des Romagnes s'explique mal sans cela. L'Autriche le considéra toujours comme tel. Il est même probable qu'il fut franc-maçon. En tout cas, il est indéniable qu'une fois au pouvoir il dirigea la F maçonnerie. En 1832, le prince Murat était grand maitre du Grand-Orient de France, et ce fut Napoléon III qui nomma pour le remplacer le maréchal Magnan. Trois mois avant le coup d'État, le Grand-Orient écrivait au prince président : La France vous doit son salut : ne vous arrêtez pas au milieu d'une si belle carrière : assurez le bonheur de tous en plaçant la couronne impériale sur votre noble front ; acceptez nos hommages et permettez-nous de vous faire entendre cc cri de nos cœurs : Vive l'Empereur ! Le F*** Rebold, Histoire des trois Grandes Loges de France, p. 449. — L'aigle est alors placée dans le triangle maçonnique ; elle succédait au bonnet phrygien qui avait succédé lui-même aux fleurs de lis.

[96] Blanchard Jerrold, ouv. déjà cité.

[97] L'attitude d'Orsini est en effet moins explicable si l'empereur n'était las carbonaro. Se faire affilier nous semble extraordinaire aujourd'hui, mais paraissait très naturel à cette époque. Le duc de Modène lui-même s'était fait nommer compagnon et il n'était pas le seul prince qui eut agi de la sorte. L'Italie qui. du vivant de Napoléon III, avait déjà fait d'Orsini un héros. — ce qui est significatif, — a continué ; les Italiens le mêlent au Panthéon de leurs dieux nationaux entre Menotti et Garibaldi.

[98] Jean Witt, Les sociétés secrètes de France et d'Italie, Paris, Urbain Carrel et Levavasseur, 1830. — Ces mémoires, extrêmement intéressants et particuliers, auraient été rédigés par Bulloz. Ils fournissent des révélations importantes sur l'époque et les sociétés secrètes ; ils contiennent des anecdotes parfaites au sujet d'un certain comte Bubna, chef de la police autrichienne en Italie, personnage délicieux qui fut peut-être bien celui auquel pensa Stendhal quand il créa le comte Mosea de sa Chartreuse. L'auteur dit que ce fut chez la reine Hortense seulement qu'il apprit à connaître le caractère de Napoléon Ier. On l'adorait sans l'encenser. L'aimable duchesse de Saint-Leu me dit un jour : Les Français demandaient deux choses, la liberté et l'égalité. Napoléon leur fit oublier l'une en leur laissant l'agrément de l'autre. Je me permis de lui témoigner mon étonnement sur la fortune médiocre dont jouissait actuellement la famille de Bonaparte ; elle nie répondit que l'empereur lui assignait par an deux millions pour ses menus plaisirs, mais sous la condition expresse de n'en pas conserver une obole. Car, disait-il, les impôts ne sont que de l'argent prêté ; ils viennent du peuple, il faut qu'ils retournent au peuple semblables à ces vapeurs que le soleil attire de la terre et qu'il y fait retomber en pluie ou en bienfaisante rosée. Jean Witt, après des aventures extraordinaires, devint du parti opposé. Persuadé que la maçonnerie était en réalité un fléau tendant à la destruction de l'ordre social, il la combattit. Sa déclaration à ce sujet est bien nette ; elle établit que les mots de liberté et d'humanité servent à attirer des adeptes, mais que les grands maîtres, sublimi maestri, qui, seuls, savent à quoi s'eu tenir sur le dessein réel de la société, poursuivent résolument le retour de l'homme à l'état primitif et le bouleversement de tout ce qui existe.

[99] Le fait nous a été affirmé par M. Germain Bapst.

[100] La reine Hortense pendant l'année 1830, etc., ouv. déjà cité. En effet, l'un des chefs du mouvement italien. 3lenotti, s'était rendu à Florence pour y chercher les deux princes ; il leur avait exposé la situation intolérable où se trouvait l'Italie. l'inanité des promesses faites par le gouvernement, enfin les justes espérances des patriotes. Il exagéra l'opportunité du moment, les moyens dont pontaient disposer les patriotes, l'enthousiasme de toute une population. Il les conjura par le nom glorieux qu'ils portaient de se mettre à la tête du mouvement, leur rappela les obligations que ce même nom leur imposait et fit briller à leurs yeux l'image de l'Italie régénérée. A. Mansfeld, Napoléon III, t. I, 1860. — La reine Hortense leur prodiguait an contraire de sages conseils : Les jeunes gens qu'on voudrait mettre à la tête d'une telle entreprise n'ont qu'une chose à faire, c'est de calmer l'effervescence par tous les moyens possibles. Les gens à courte vue ne savent ni juger ni prévoir, il Tant se garder de leurs propos entraînants : ils n'ont rien à perdre, ils n'ont rien à ménager et voient avec leur imagination. L'homme qui se laisse influencer par le langage du premier venu sera toute sa vie un médiocre. Il est des noms magiques qui peuvent avoir une grande influence sur tons les événements qui se préparent : ils ne devront paraitre dans les révolutions que pour rétablir l'ordre, eu donnant de la sécurité aux peuples et eu balançant le pouvoir exclusif des rois. Leur rôle est donc d'attendre avec patience.

[101] Tous les savants, tous les historiens, enfin tout l'élément intellectuel d'alors, défendait les théories libérales. La thèse soutenue à ce sujet était celle des nationalités : il fallait, disait-on, que chaque peuple eût un gouvernement national. L’internationalisme d'aujourd'hui n'en admet plus du tout. On voit le chemin parcouru en un peu plus de soixante ans.

[102] Tout le monde sait que l'empereur fut franc-maçon et que le roi Joseph fut maitre du Grand Orient de France. Jérôme fut également maçon. Le portrait inédit que nous publions à ce sujet est significatif. On commit l'épisode de la loge du faubourg Saint-Marcel. L'empereur se serait également fait recevoir à Rome, chez les Illuminés, dans une pièce où s'élevait un cénotaphe en l'honneur de Brutus ; mais ceci est fort peu certain. Voir Dufey, Confession de Napoléon, 2 vol. Paris, 1816. — L'année où Napoléon fut reçu au faubourg Saint-Marcel aurait été fondé le Suprême Conseil qui se mit à la tête de la maçonnerie italienne. Le prince Eugène en devint bientôt après le souverain grand commandeur. Le Suprême Conseil d'Italie présida, en 1809, à la création d'un Suprême Conseil à Naples où existait déjà un Grand Orient qui avait pour grand maitre Joseph Napoléon. En 1812, Joachim Murat ayant pris possession du trône de Naples, accepta la dignité de grand maitre du Grand Orient du royaume... A. Clavel, Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie, Pagnerre, 1813. — Chose qui vaut la peine d'être notée, en août, le Grand Orient d'Espagne avait comme grand maitre un comte de Montijo. Etait-ce le père ou un parent de la future impératrice ? Si l'affiliation de Napoléon III est, jusqu'à un certain point, discutable, celle du prince Napoléon ne l'est plus. Nous publions un brevet maçonnique signé par lui. Nous devons la communication de ce parchemin à M. Prouté ; il appartenait à son père. Une autre preuve en est donnée par une lettre publiée dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux du 30 janvier 1905. Elle fut trouvée par M. A. Davot dans un lot d'autographes. Mon bon frère, dit-elle, je reçois une Pl*** de la loge des Amis de la Patrie, qui informe pour demain 4 février la réception de Napoléon Bonaparte..., etc. Enfin, on lit dans le Bulletin du Grand Orient de France, Ve année, n° 22, juillet 1849, p. 101 : L'initiation à nos mystères d'un porteur d'un grand nom historique a eu lieu il y a quelques mois au sein de la L*** les Amis de la Patrie. Cet Atel*** avait voulu donner à cette réception une solennité inaccoutumée, et des membres du G*** O*** avaient été conviés à occuper les premières dignités. Le V*** F*** Desaulis, Présid*** du G*** O*** de France, tenait le premier maillet ; les FF*** Morand et Raffaneau avaient la direction des colonnes. Après les Trav*** préparatoires d'usage le candidat a été introduit et a déclaré se nommer Napoléon Bonaparte, représentant du peuple. A ce nom qui rappelait tant de souvenirs, entre autres celui toujours cher aux maç*** du dernier G*** M*** de l'ordre, une émotion sympathique a parcouru l'assemblée, et chacun a pris le plus vif intérêt aux Trav*** qui allaient avoir lieu. Les sentiments exprimés par le candidat dans le cours des épreuves ont mis à jour le dévouement que renferme son cœur pour son pays et pour ses semblables ; et, après avoir accompli les prescriptions voulues par les rituels, il a été consacré par le F*** Moutonnet, Véner*** Tit*** de FAtel***, proclamé et reconnu Maç*** aux applaud*** de la nombreuse assemblée. Quand on regarde avec soin la lithographie connue qui représente le prince distribuant le 10 mai 1852 des drapeaux aux troupes, on remarque à droite du grand escalier, sur un faisceau d'armes, le triangle maçonnique. — Le duc de Reichstadt avait été également franc-maçon. Il existe des médailles frappées à l'occasion de la réception du roi de Rome à la loge les Cœurs unis. Charles Bonaparte, le prince de Canino, fut le chef occulte des révolutionnaires romains. Voir d'Arlincourt, l'Italie rouge, Paris 1851. — Au sujet de la maçonnerie et de ses origines, ne croyant guère à la légende qui les font remonter à l'antique religion égyptienne ou aux Templiers, nous nous permettons de signaler aux amateurs de la question un conte de Cervantès, la Bohémienne. Qu'ils le lisent dans la traduction des nouvelles de Cervantès de Lefebvre de Villebrune. Paris, 1788, 2 vol. — M. Émile Ollivier (ouv. déjà cité), ne croit pas que les deux frères aient été carbonari. Cette opinion a son importance, mais on peut répondre que M. Ollivier ne connut l'empereur que très tard, que sou opinion, toute personnelle, n'est basée sur aucune preuve, ni même sur aucun raisonnement.

[103] Dans le roman de Disraëli, Endymion, voici comment s'exprime un des personnages quant aux sociétés secrètes : Vous n'avez pas idée des moyens et des ressources des sociétés secrètes de l'Europe. — Gisquet, le préfet de police, constate dans ses mémoires leur vitalité. Dans l'ouvrage déjà cité de Jean Witt, on lit : Les sociétés secrètes, qui en France et dans la basse Italie avaient pour but un changement politique, s'étaient répandues depuis quelques années dans l'Italie supérieure. Le nombre des initiés y était moindre, parce que la surveillance de la police autrichienne les contraignait à se faire recevoir avec la plus grande circonspection. Les sectes qui exerçaient le plus d'influence étaient, indépendamment de la franc-maçonnerie, celle des adelphes ou philadelphes et celle des carbonari. La plupart des membres qui les composaient étaient des hommes qui avaient joué un rôle sous Napoléon... Ils se déterminèrent soit par leur propre lumière, soit par les insinuations des émissaires français, non à faire une révolution, quelle qu'elle fût, mais à préparer un ordre de choses déterminé pour une époque donnée. Une nouvelle société s'organisa dans le Piémont et la haute Italie. Cette association secrète s'appelait fédérés, du nom de son modèle, les fédérés qui s'étaient formés en France pendant les Cent jours... La force de ces sociétés était telle que ce Witt, quoique âgé seulement de vingt ans, avait à son actif de nombreuses actions importantes pour la maçonnerie et était très redouté à Paris (p. 100). Il s'en étonne lui-même : N'est-il pas pardonnable à un jeune homme de vingt ans d'avoir de la vanité eu voyant peser un tel poids sur sa personne ? D'un autre côté, combien n'est-il pas misérable l'État où un jeune étranger sans fortune, sans nom, sans rang peut acquérir une espèce d'influence ?... On est pris à Paris pour ce que l'on se donne, et qui veut avoir de l'influence en obtient. Ce qui suit est un document précieux et d'un liant comique : En février 1820, immédiatement après l'assassinat du duc de Berri, je me rendis en poste de Paris à Nice. Un courrier de M. Decazes (Witt écrit de Cases) y arriva presque aussitôt que moi, avec des dépêches pour le comte de Serre. Decazes craignait que je ne fusse envoyé par le côté gauche et n'engageasse de Serre à sortir du ministère. Il suppliait le comte de ne pas prêter l'oreille à nies propositions et de conserver le portefeuille. Cependant, le vrai motif de mon départ précipité était la certitude que j'avais de mon arrestation ; la crainte seule me faisait fuir devant le ministre de la police qui avait lui-même peur de moi et me faisait suivre par un courrier. La terreur inspirée par les libéraux était telle qu'elle faisait perdre absolument la tête aux députés royalistes. Il faut lire à se sujet l'extraordinaire Projet de la proposition d'accusation contre M. le duc Decazes, Pair de France, par Clausel de Conssergues, Dentu, 1820. L'auteur disait carrément Je propose d'accuser M. Decazes d'avoir voulu rendre le gouvernement du roi odieux... Voir également sur cette époque singulière : Précis historique sur les révolutions des royaumes de Naples et de Piémont par le comte D.. (Duval). Paris. Roret, 1821. — Mémoires de A. Galotti, traduits par S. Veceldarelli, réfugié italien, Paris, 1831. — Histoire de la révolution du Piémont et de ses rapports avec les autres parties de l'Italie et de la France, par A. de Beauchamp. Paris, 1821. — Histoire du royaume de Naples, par le général Coltetta, Paris 1835, — Palmieri, Pensées et Souvenirs, Paris, 1830.

[104] La lutte entre la congrégation de Jésus et les sociétés secrètes sous la Restauration fut constante. L'une et l'autre se disputaient la suprématie dont, dans leurs plans, le pouvoir royal était l'enjeu, les premières, afin de le maintenir et d'exagérer sa politique ; les secondes, afin de s'en servir pour obtenir une charte libérale ; celles-ci comptaient ensuite supprimer la monarchie pour obtenir aussitôt que possible la république. Ce duel de la congrégation et du carbonarisme est à lire dans Vanlabelle. Voir aussi, bien que partiaux et exagérés sur certains points : Histoire des sociétés secrètes de l’armée, etc. 1815. — Histoire des jacobins depuis 1789 jusqu'a ce jour, 1820. — Les sociétés secrètes, Gide, 1819.

[105] Victor Pierre, Histoire de la République de 1848, éd. déjà citée.

[106] De là datent-elles, du moins, pour ce qui nous intéresse, car on a fait remonter la charbonnerie à François Ier — maître Carbonaro — parait-il ! Voir Saint-Edme, Constitution, etc.. ouv. déjà cité.

[107] Jean de Witt, Les sociétés secrètes de France et d'Italie, éd. déjà citée.

[108] Jean de Witt, Les sociétés secrètes de France et d'Italie.

[109] Jean de Witt, Les sociétés secrètes de France et d'Italie.

[110] Clavel, Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie, éd., déjà citée.

[111] Cette organisation et cette discipline qui caractérisaient le carbonarisme... Lucien de la Hodde, Histoire des Sociétés secrètes et du parti républicain, Paris, Lainer, etc., 1830.

[112] Des Desseins de l'Autriche et de l'Italie, par M. de S... D'autres brochures parurent également. On répandit des propos affreux contre le gouvernement de l'Autriche et celui de Naples. Les réunions de conjurés se multiplièrent de plus en plus. On comptait même sur l'appui de la France, et, pour l'en remercier, on projetait déjà de lui céder la Savoie. On avait en quelque sorte fait de la session de la Savoie la condition que l'appui de cette puissance devait donner à l'entreprise. Witt, ouv. déjà cité.

[113] L'entente fut presque parfaite. Pour la première fois, les forces révolution-aires italiennes, soutenues et augmentées par le patriotisme, agirent de concert.

[114] Tous les historiens du temps sont d'accord là-dessus. L'Europe entière s'inquiétait de cette terrible question italienne qui menaçait sa tranquillité et devait être d'ailleurs la pierre d'achoppement du règne de Napoléon III. Après le congrès de Paris, le vieux prince de Metternich déclarait que l'empereur était la raison cristallisée ; mais deux ans plus tard, en le voyant à Plombières s'engager avec Cavour, il disait : L'empereur a encore de belles cartes en main, mais l'Empire révolutionnaire périra sur l'écueil italien. G. Rothan, L'Affaire du Luxembourg, Calmann Lévy, 1884.

[115] La reine Hortense pendant l'année 1830, ouv. déjà cité.

[116] La reine Hortense pendant l'année 1830, ouv. déjà cité.

[117] Le baron de Humboldt disait : La diplomatie actuelle de l'Europe c'est l'enseignement mutuel de la peur. Journal du maréchal de Castellane, t. II, p. 498, Plon, 1895.

[118] Les principaux chefs de l'opposition en France ne faisaient pas mystère de leurs sympathies pour la cause italienne, et le principe de non-intervention, proclamé par M. Laffitte à la face du monde, devait paraître inviolable. Mais, derrière la politique ostensible de la France, n'y avait-il pas une politique secrète dont les vues étaient opposées aux déclarations les plus solennelles des ministres français ? Louis Blanc, Histoire de dix ans, t. II, Pagnerre, 1843, 5 vol. — Le duc d'Orléans, fils aîné du roi, était tout à fait pour les Italiens ; il était initié à leurs secrets et dès le mois de novembre 1830, il avait désigné à M. Viardot le jour où l'insurrection de Modène devait éclater. — Ibid., Louis Blanc dira : L’insurrection de la Romagne coutre le pape avait un caractère essentiellement démocratique et universel, un caractère français par conséquent. a Indigné contre le gouvernement de juillet, il écrit encore : a ce fut durant cette période que s'établit par l'abandon successif de toutes les nations opprimées le système diplomatique qui tendait à faire descendre la France au rang des puissances secondaires. Pour lui le génie de la France a toujours été dans son cosmopolitisme. Garnier-Pagès parle de même dans son Histoire de la Révolution de 1848 (Pagnerre 1861, 8 vol.) : Les nations, comme les individus, rivées l'une à l'autre par la main de Dieu, seront de plus en plus contraintes de concentrer leurs efforts pour jouir plus amplement de la terre, de l'espace, etc. Ainsi l'humanité... marche vers l'unité. Et, renseignant sur son ouvrage : Il était achevé avant la dernière guerre d'Italie qui a changé la situation. J'ai cru devoir lui conserver son originalité première et le laisser intact ; y toucher m'eût paru nue profanation des conseils qui m'ont été donnés. Maurin, si regretté, a pendant de nombreuses et douces journées compulsé mon récit page par page... Le lecteur comprendra mieux comment l'Italie de 1860 est venue de l'Italie de 1848. Cet ouvrage reflète à merveille la folie d'idéalisme qui dévorait les politiciens du temps. Garnier-Pagès écrit avec tranquillité : L'Italie et l'Espagne sont les deux sœurs de la France. Leurs langues belles et sonores, ont la même origine, les mêmes racines que la nôtre. Nous avons le même sang, les mêmes passions... Toute cette histoire de Garnier-Pagès est enflammée par un amour ardent de l'Italie ; la France n'apparait qu'au tome II. — Edgar Quinet pense naturellement de même. Le vaisseau qui porte les nations latines est en voie de périr, dit-il ; il le faut alléger d'un peu de vieux lest. Les Révolutions d'Italie, 1848. — Ce qu'il y a de curieux à constater c'est qu'aucun souverain du XIXe siècle autant que Napoléon III n'a suivi une politique plus destinée à créer les Etats-Unis d’Europe, et qu'une fois au pouvoir il a été pris immédiatement à parti par les libéraux dont il allait réaliser cependant certaines espérances. A personne mieux que lui ne peut s'appliquer le vers de Victor Hugo : La pensée en rêvant sculpte des nations. — La théorie des nationalités était à l'ordre du jour ; on ne saurait trop le répéter et en fournir les preuves. La Presse du 17 novembre 1848 annonçait comme livre important à lire, et en ces termes, Esquisses politiques et littéraires, par le comte Ouvaroff... Ce livre remarquable par l'élégance du style et par la profondeur de la pensée a aussi le mérite de l'actualité ; il contient un chapitre sur les vues de Napoléon sur l'Italie, etc. — On lit dans l'Endymion, de Disraëli : Vous venez d'en entendre long sur la race latine, ses merveilleuses qualités, sa destinée particulière et les dangers qui peuvent la menacer. C'est une idée ou, plutôt, c'est une formule nouvelle que je vois s'introduire dans le monde politique et qui est probablement destinée à entrainer des conséquences. On ne peut pas traiter légèrement le principe des races. C'est la clef de l'histoire et, si l'histoire est toujours si confuse, c'est qu'elle a été écrite par des hommes qui ignoraient ce principe et n'avaient pas les connaissances qu'il implique. Puisque vous êtes destiné à devenir homme d'État et à mettre la main au gouvernement de l'humanité, il faut absolument que vous vous eu préoccupiez ; que ce soit dans une nation ou dans un individu que vous en constatiez l'influence, il vous faut toujours tenir compte des qualités de la race. Mais il n'y a pas de sujet qui exige plus de connaissance et de discernement et où la démonstration, si elle ne repose pas sur un principe solide, ne soit plus en danger d'aboutir à des conclusions sans valeur. Voici, par exemple, la question de la race latine avec laquelle M. de Vallombrosa bouleversa peut-être le monde ; il ne serait pas mauvais de se demander d'abord où se retrouve la race latine... Lord Beaconstield. qui savait à quoi s'en tenir mieux que personne sur la question de race, se montrait circonspect et y voyait plus clair. Des événements contemporains récents nous montrent que cette question des nationalités est encore très vivante. Elle a d'ailleurs sa raison d'être ; la défendre serait très facile. On peut même avancer qu'elle aiderait beaucoup à la solution d'une entente européenne.

[119] Il est un fait, c'est que les regards de tous les peuples étaient en 1830 tournés vers la France... L'Europe, à cette époque, était maniable comme de la cire et l'on aurait pu lui imprimer les plus belles formes. A. Mansfeld, Napoléon III, déjà cité.

[120] La guerre est sainte, a dit Proudhon. — On sait que Renan la considérait comme inévitable et nécessaire.

[121] Voir plus loin les extraits que nous donnons des Idées napoléoniennes. Napoléon fut toujours considéré comme tel par ses adversaires. C'était l'homme qui portait à sou chapeau noir la petite cocarde tricolore. Il le sentait d'ailleurs fort bien lui-même. Voir : Henri Houssaye, 1815. t. III.

[122] Voir plus loin les extraits que nous donnons des Idées napoléoniennes. Voir : Henri Houssaye, 1815. t. III.

[123] Albert Sorel, Essais d'histoire et de critique.

[124] Partout, la cocarde tricolore était le signe de la liberté. Les carbonari l'avaient adoptée. Mémoires de Galotti, p. 3, éd. déjà citée. Pendant les affaires d'Espagne, sous la Restauration, les insurgés avaient déployé le drapeau tricolore.

[125] Pour mieux comprendre une aussi téméraire entreprise, un pareil élan d'enthousiasme irréfléchi, il faut se reporter à cette époque, si différente de la nôtre... Vers 1830, c'étaient les beaux jours. Moins raisonnables, moins pratiques qu'a cette heure, les jeunes gens se passionnaient pour les nations plus ou moins opprimées. Giraudeau, Napoléon III intime, éd. déjà citée. — En Grèce, où lord Byron était tombé, mourut le second fils de Lucien, le prince Paul.

[126] Cette phrase est significative et apporte une preuve à l'appui du carbonarisme des deux frères. M. E. Ollivier, qui n'y croit pas, dit cependant : l'engagement pris envers Ciro Menotti.

[127] Giraudeau, Thirria, etc., ouv. déjà cités. — Il écrit à sa mère l'action une fois commencée : ... Nous sommes dans la joie de nous trouver au milieu de gens qui nous traitent avec la plus grande affabilité et qui sont enivrés de patriotisme. Et ceci : Voilà la première fois que je m'aperçois que je vis !... Napoléon III intime, éd. déjà citée. — D'après une lettre du peintre Léopold Robert, c'est en allant au-devant de la reine Hortense que les deux jeunes gens se seraient joints aux révolutionnaires, entrainés par les avances qui leur furent faites. ... Les princes furent reçus à Spoleto, à Terni, avec de si vives démonstrations de joie, ou leur lit tant d'instances pour se joindre aux insurgés, qu'ils se laissèrent entrainer. Napoléon les suivit par faiblesse. Quand je le lis à Terni, je m'aperçus combien il était préoccupé de la position où il mettait sa famille, il m'en parla beaucoup, mais enfin le sort en était jeté. Cité dans : E. Ollivier, Louis-Napoléon et le Coup d'Etat, déjà cité p. 29. — Ceci me parait une erreur. Les deux frères savaient ce qu'ils faisaient et agir en pleine connaissance de cause ; au contraire, ils durent lutter contre ceux qui voulaient les empêcher de prendre part à l'insurrection. ... Plus cette noble cause qui avait ses sympathies lui (au prince Napoléon) parut difficile et hasardeuse, plus il pensa qu'il était nécessaire de lui dévouer sa personne et son nom. Eu vain, lui fit-on observer que l'Autriche se mettait en marche pour écraser la révolution italienne à sa naissance, que déjà même, afin d'arrêter l'effervescence et de réprimer le bouillonnement de l'Italie, des troupes s'avançaient vers les Etats du pape. Je connais, répondit-il, tous les obstacles qu'il faut surmonter, je les vois nombreux, immenses ; mais si l'on commence par douter de la réussite, avant d'avoir essayé ses forces, la cause alors est entièrement perdue ; les doutes, les craintes jettent toujours le découragement dans les entreprises, et c'est ne pas vouloir que de douter d'abord. Le Biographe universel. Revue générale, etc. 1 vol. 2e partie, 1854, p. 176.

[128] Les théories révolutionnaires n'avaient pas cessé d'être entretenues par les sociétés secrètes. Voir : Lombard de Langres, Histoire des Jacobins depuis 1789 jusqu'à ce jour, Paris, 1820.

[129] Histoire populaire de Napoléon III, Histoire de Louis-Napoléon Bonaparte, etc., éd. déjà citées.

[130] Histoire populaire de Napoléon III. Il y eut une affaire assez brillante où les deux princes pavèrent bravement de leur personne et chargèrent avec vigueur à la tête de quelques cavaliers. Insurrection de Strasbourg  (Observateur des tribunaux). 1837. — Le prince Louis, avec l'aplomb et l'expérience d'un vieux capitaine, enleva Civita-Castellana. Dès lors, Rome était à discrétion. Les insurgés en prévinrent le nouveau pape, Grégoire XVI, l'engageant à accorder les réformes qui seules pouvaient arrêter leur marche victorieuse. On veut, disaient-ils, la séparation du temporel d'avec le spirituel. Que Grégoire XVI, renonce au temporel, tous les jeunes gens, même les moins modérés, l'adoreraient et deviendraient les plus fermes soutiens à une religion épurée par un grand pape et qui a pour base le livre le plus libéral qui existe, le divin Évangile. Le pape ne répondit pas. Au moment où ils allaient mettre la main sur Rome, les princes furent rappelés par le gouvernement révolutionnaire de Bologne et remplacés par le général Sercoguani... Les princes furent offensés de ce rappel. É. Ollivier, etc., déjà cité p. 30 et 31. — Ce fut sur les réclamations réitérées de la famille Bonaparte qu'on rappela les princes.

[131] Prétendants, éd. déjà citée.

[132] La reine Hortense pendant l’année 1830, éd. déjà citée.

[133] Voici quelle fut, parait-il, la marche de toute cette aventure. — Le 20 février les deux frères quittèrent Florence, passèrent à Foligno, à Spolète et à Terni où la foule populaire leur fit des ovations nombreuses et spontanées partout sur leur passage on arborait la cocarde et le drapeau tricolore. Cependant comme les troupes du pape approchaient, ils organisèrent une petite armée et se portèrent avec quelques centaines d'hommes à Otricoli. Le prince Louis s'y fit remarquer. Son frère gagnait ensuite les montagnes de la Sabine pour prendre l'ennemi. Enveloppé de toutes parts par l'armée papale, il se battit corps-à-corps avec un courage et une présence d'esprit admirables. Les deux frères rentrèrent à Terni avec quelques prisonniers au milieu des acclamations. — C'est alors que la famille intervint, exerça des pressions sur Armandi, et que celui-ci dépêcha aux princes le général Sercognani pour leur dire qu'ils compromettaient la cause italienne en ce sens que leur nom pourrait nuire au principe de non-intervention con sentie par l'Autriche ainsi qu'a l'appui du gouvernement français. Les princes obéirent et allèrent trouver Armandi à Ancône. Armandi les reçut avec une certaine gêne et leur dit de se rendre à Bologne chez leur oncle Bacchiochi. Malgré la contrariété qu'ils éprouvaient, ils gagnèrent Bologne et y descendirent à l'hôtel de Saint-Marc. Nommés chef d'escadrons et capitaine de cavalerie de la garde nationale de cette ville, sachant qu'Armandi voyait ces nominations d'un mauvais cil, ils les refusèrent, déclarant qu'ils se croyaient assez grands du simple titre de volontaires. La famille renouvelait chaque jour ses instances, en vain. Ils quittèrent Bologne le 6 mars pour Forli ; partis à cheval pendant la nuit, ils arrivèrent à Nuola le 7 à 4 heures du matin, gagnèrent Faenza et le 8, à 6 heures du matin, accompagnés du colonel Cataneo, de M. H. de Rocasera et du comte Beccé, ils continuèrent leur marche sur Forli où ils descendirent à l'hôtel del Capello. Le 11 ils comptaient se joindre au mouvement décidé et gagner aux avant-postes la légion des étudiants, dite légion de Pallas, lorsqu'ils apprirent du général Grabinschi que le ministre de la Guerre avait reçu l'ordre de les empêcher de partir. E. Pascallet. Article sur le prince Napoléon dans le Biographe universel, etc., déjà cité. Voir sur le rôle d'Armandi : Forges, Stendhal diplomate, Plon, 1892.

[134] N. 2, p. 49.

[135] Le colonel Armandi joua un rôle très actif et singulier dans toute cette affaire. Il se trouvait dans une situation difficile par rapport aux princes : il avait été chargé par leur famille de les empêcher de prendre part à l'action sous couleur de veiller sur eux. Il veilla peut-être sur eux, mais n'empêcha rien, en réalité ; il est même probable qu'il les vit combattre avec plaisir.

[136] Giraudeau, ouv. déjà cité. — A vrai dire, l'histoire ne s'en est guère souvenue, et pas assez pour notre curiosité.

[137] Certains disent qu'il mourut d'une fluxion de poitrine, d'autres qu'il fut assassiné, d'autres enfin qu'il fut tué pendant le combat ou mourut de ses blessures. Il y a peu de vraisemblance pour qu'il ait été assassiné, Louis-Napoléon, en ce cas, n'aurait pas manqué d'eu tirer vengeance ou de raconter le fait par la suite, au moins à son père. Il serait moins étonnant qu'il eut été blessé d'une façon mortelle et, dans ce cas, sa maladie fut un pieux et prudent mensonge destiné à couvrir son frère au cas qu'il devint prisonnier des Autrichiens. C'est l'avis de M. Larrey dans Madame Mère, t. II. Il avait été tué, dit-il, à la tête des partisans qu'il commandait. On dut cacher la vérité à sa grand’mère. On lui fit croire qu'il axait succombé à la rougeole. Cependant, sommé par le roi Louis de lui dire la vérité sur les derniers moments de son frère, le prince répondit : ... Quant aux soupçons que vous me témoignez qu'on ait accéléré les jours de mon malheureux frère, croyez bien que si un crime aussi atroce avait été commis, j'aurais bien su trouver l'auteur et en tirer une vengeance éclatante. Le médecin qui a soigné mon frère est M. Versari. Il devait faire imprimer un récit détaillé de la maladie de Napoléon. Vous pourriez lui écrire pour qu'il vous l'envoyât. — Le frère de Louis-Napoléon perdit la vie à Forli par suite de ses blessures. E. Lecomte, Louis-Napoléon Bonaparte, la Suisse et le roi Louis-Philippe, Paris, 1856. — Dans la lettre où il annonçait a son père la mort de son frère, il disait : Je n'ai pas la force de vous donner des détails ; je suis auprès de maman qui, hélas est bien accablée. Pourquoi ne suis-je pas mort à sa place ? Catalogue Charavay, n° 55687. — Le récit de la mort du prince par M. Versari, a-t-il été édité ? Nous n'avons pu mettre la main sur cette brochure, mais une autre existe, de M. H. Rocasera, connue par les extraits qui en sont donnés dans un article sur le prince Napoléon de la Revue générale, citée à la page précédente. Voici les circonstances de sa fin : Cependant le prince Napoléon, ne comprenant rien aux exigences d'une politique dont le but lui paraissait être de paralyser et de ruiner les moyens et les ressources des amis de l'indépendance italienne... s'en irrita, se chagrina, s'affligea tellement que la fièvre le prit. Une inflammation de poitrine se déclara bientôt, et le 12, il se vit contraint de garder le lit. La nuit se passa mal dans un sommeil lourd et agité, et vers le matin, l'auguste malade sentit de vives douleurs aux veux, à la tète, à la poitrine. Le lendemain, 13 mars, à sept heures du matin, on Gt appeler le docteur Versari qui passait pour le plus habile médecin de Forli. Après avoir questionné le malade, M. Versari lui fit faire une forte saignée ; le prince éprouva, dans cette journée, un peu de mieux ; mais, le soir, il se plaignit beaucoup de douleurs à la tête, et il se trouva [Dème mal. Revenu à lui, un calme de quelques heures suivit. Vers minuit, les douleurs recommencèrent, plus vives et plus aiguës, et tout le reste de la nuit se passa fort péniblement. Une toux forte et continue qui s'était déclarée ne quitta l'auguste malade que vers le matin. Lorsque le médecin arriva le t4 vers neuf heures, il trouva au prince une respiration difficile, un assoupissement profond ; une apposition de sangsues fut prescrite ; toute la journée fut mauvaise. Bientôt une rougeur se manifesta avec des indices qui annonçaient la rougeole. Le médecin ne voulut pas d'abord voir là les symptômes de la rougeole ; mais plus tard, il reconnut, non sans une certaine surprise, qu'il s'était trompé ; mais alors, aussi, la maladie avait fait des progrès ; le prince était très faible, très fatigué, et il ne pouvait prendre aucun repos. Le prince Louis, son frère, admirable de dévouement, s'était constitué son garde-malade ; il ne le quittait pas un seul instant il lui faisait continuellement la lecture des journaux pour tâcher de lui procurer un peu de sommeil. Tant de dévouement fut impuissant à arrêter la marche de la maladie... Le prince se voyait mourir et interrogeait le médecin à ce sujet. Après le départ du docteur Versari, le prince, qui venait de prendre une légère potion, éprouva un peu de calme et se trouvant alors seul avec M. H. de Rocasera qui lui était très attaché ; il se mit à causer avec lui de sa femme et du roi son père, le chargeant pour eux, s'il venait à mourir, disait-il, de mille affectueux compliments... Puis, continuant, et comme s'il eut eu le sentiment de sa fin prochaine : Mon cher Rocasera, j'espère et je veux que vous me promettiez que vous ne quitterez jamais mon frère... Louis est un homme lion et capable, un homme de tète et de cœur à la fois ; je suis peut-litre plus artiste que lui, mais il m'est supérieur comme intelligence. C'est un profond penseur et il deviendra un grand homme d'État si la politique le lui permet... Cependant le mal faisait de rapides progrès. Le prince mort l'autopsie eut lieu le lendemain, en présence d'un grand nombre de personnes, et les résultats montrèrent qu'il n'y avait rien de réel dans les bruits sinistres qui circulaient à l'endroit de cette mort. C'était un grand prince que ce jeune homme de vingt-cinq ans. Tout en lui promettait. Outre sa traduction d'Agricola, il avait donné également une version française, excellente, la meilleure, et qui survit encore, du Sac de Rome de I. Bonaparte et une Histoire de Florence dont la première partie fut imprimée à Paris en 1831, quelques mois après sa mort. Elle est intéressante à consulter pour instruire sur la façon dont les deux princes comprenaient la liberté. Ils la voulaient sans anarchie. Le prince Napoléon défendait aussi la théorie des nationalités ; selon lui un peuple qui n'a pas une nationalité forte et bien établie ne pouvait pas arriver à un développement intégral de ses forces et de ses ressources tant morales qu'intellectuelles. Armé pour tout, notamment pour les sciences mécaniques, il avait établi à Serras erra une papeterie dont il fut l'architecte. le directeur elle bailleur de fonds. .Il avait inventé, perfectionné et fait confectionner sons ses yeux de nouvelles machines. Par un procédé de son invention, il était parvenu à donner à l'acier qu'il employait dans ses ouvrages une trempe plus forte et dont il se proposait pins tard de tirer parti pour la fabrication des armes. Il s'était aussi occupé, par anticipation. du grand problème qui est à l'ordre du jour de notre époque (écrit en 1854) : la direction des aérostats. Devançant les aéronautes modernes, il avait étudié à fond cette importante question un moyen ingénieux de diriger les ballons qu'il proposa ouvrage (publié en 1825) qui fut mentionné honorablement dans le monde savant de Paris et de Florence.. E. Pascallet, Notice historique sur Son Altesse Impériale et Royale monseigneur le prince Napoléon-Louis Bonaparte, grand-duc de Berg, dans Revue Générale, etc. Le Biographe universel. 1 vol., 4e partie, 8e année, 4e série, 1834, Paris. — Il ressemblait beaucoup, disait-on, au prince Eugène. C'est ce qu'avait noté lady Blessington dans Idler in Italy, Galignani. Paris, 1844. — Il y a un livre tout à fait intéressant à écrire sur le second fils du roi Louis. Lamartine a dit de lui qu'il mourut sans gloire, quoique né pour elle. Tout jeune il avait plus d'une fois prouvé son intelligence. L'une de ces anecdotes est trop jolie pour n'être pas citée. — C'était en 1844, à la propriété de la reine Hortense à Saint-Leu. Mme de Staël, accompagnée de Mme Récamier, était venue, et avait, selon son habitude, beaucoup parlé. Elle avait adressé de nombreuses questions au petit prince sur son oncle l'empereur et lui avait assez déplu. Aussi dit-il à Mme Cochelet : Cette dame est bien questionneuse... Est-ce que c'est cela qu'on appelle avoir de l'esprit ? Mémoires de Mme Cochelet, éd. déjà citée, t. I.

[138] Toute une partie du clergé italien de l'époque, ne ouvant croire que ce mouvement nationaliste finirait par se tourner coutre le Saint-Siège, y applaudissait. Le Saint-Siège ne fut mis en cause que plus tard ; au début, dans le rêve des patriotes italiens, la péninsule formait une sorte d'Etat confédéré sous la direction générale du pape. C'était l'idée de Massime d'Azeglio. La politique est tellement singulière qu'il formula cette conception à la tribune à une heure où elle semblait déjà n'appartenir plus qu'au passé.

[139] J. Grabinski, Le comte Arise et la politique italienne sous le second Empire.

[140] La reine Hortense pendant l'année 1830, ouv. déjà cité. On fit savoir au roi Louis que ses fils n'auraient plus le droit de séjourner en Toscane ; l'Autriche intriguait pour que la Suisse leur fut interdite également. Fesch écrivit de Rome à la reine : Si vos fils tombent jamais aux mains des Autrichiens, ils sont perdus. Étant donnée sa situation, il savait à quoi s'en tenir.

[141] La reine Hortense pendant l'année 1830, ouv. déjà cité.

[142] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[143] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[144] Il avait épousé une fille du prince Poniatowski et se trouvait très compromis déjà dans cette affaire. Il avait été choisi par le gouvernement insurrectionnel de Bologne pour porter des dépêches à Paris, dépêches où les patriotes réclamaient l'appui de la France.

[145] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[146] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[147] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[148] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[149] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[150] Qui sait si le général ne ferma pas les yeux, soit de lui-même, soit par ordre de son gouvernement, déjà fort ennuyé de cette insurrection et ne tenant pas à se mettre une autre affaire sur les bras ? Arrêter le prince, c'était de suite lui donner beaucoup d'importance. Enfin il est possible que le général ait appartenu à quelque société secrète. Plusieurs officiers autrichiens étaient affiliés ; nous avons le droit de certifier le fait. — ... Il y a des adeptes dans les troupes autrichiennes comme ailleurs. Histoire des jacobins depuis 1789, etc. — Paris, Gide, 1820.

[151] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[152] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[153] Ceci tendrait à prouver ce que nous disons en note à la page précédemment.

[154] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[155] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[156] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[157] La reine Hortense, etc., ouv. déjà cité.

[158] Ce cri venait, parait-il, d'un ancien aide de camp de l'empereur. Il aurait failli coûter la vie à celui qui le proféra, mais l'historien qui émet cette observation est partial. — A. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations.

[159] Les beaux jours de l'Empire, de cette brillante époque, où nos aigles entourées d'une auréole de puissance et de gloire, imposaient au monde le respect et l'admiration, avaient produit des émotions trop vives, laissé de trop grands souvenirs et trop flatté l'orgueil national pour que dans les rangs d'un peuple aussi impressionnable que le nôtre, il n'y eût pas des hommes qui portassent une espèce de culte à la mémoire de Napoléon... Si le duc de Reichstadt avait eu des vues ambitieuses et l'énergique résolution de son père ; si, au lieu d'étre tenu sous le séquestre ou, au moins, sous la tutelle de l'Autriche, il eût pu agir par lui-nième et proclamer des prétentions sérieuses, il aurait sans doute rallié les généreux débris échappés aux désastres de l'Empire. Alors son parti serait devenu d'autant plus redoutable qu'on aurait vu s'y rattacher une fraction importante des républicains et peut-are des noms illustrés sur le champ de bataille... L'absence d'un chef considérable laissa son parti dans la main d'hommes incapables de lui donner de la consistance. Mémoires de M. Gisquet, Marchant, 1840. — Voir aussi : Laity, Relation historique des événements de Strasbourg, Thomassin, 1838. — Il y avait alors dans le parti impérialiste, deux catégories bien distinctes : l'une s'appuyant complètement sur la tradition impériale et ne voulant que l'Empire, rien que l'Empire ; l'autre tenant compte des faits accomplis et voulant, tout en rappelant la famille impériale, instituer un système d'organisation républicaine. Ou voit qu'il se passait alors dans le parti bonapartiste ce qui s'était passé dans le parti royaliste avant la Restauration.... Rittiez, Histoire du règne de Louis-Philippe, t. II, p. 213, déjà cité.

[160] La reine Hortense, etc. Sa mère et lui descendirent à l'hôtel de Hollande.

[161] Ce parti républicain qui donna en août 1830 un libre essor à ses passions possédait une réelle force. Les sociétés secrètes qui l'aidaient étaient nombreuses. La plus considérable, celle des Amis du peuple, se servait des autres efficacement. C'étaient les sociétés de la Liberté, de l'Ordre et des Progrès des Condamnés politiques, des Réclamans (sic) de juillet, dont un sieur O’Heilly était directeur des Francs régénérés, des Droits de l'homme, des Amis de la Patrie, etc., etc. La société des Amis du peuple dans laquelle se réunirent les hommes de talent et de courage que je considère comme les chefs de ce parti fut créé dans ces circonstances où l'on discutait la fortune du gouvernement. Il serait surabondant d'ajouter que, dès l'origine, elle avait pour but, soit d'opposer des obstacles invincibles à l'institution d'une monarchie, soit de travailler à la renverser. Cette nombreuse agglomération d'hommes jeunes, énergiques, audacieux qui, pendant la lutte des Trois Jours, avait acquis beaucoup d'influence sur une portion notable des combattants, ne tarda pas à ranger sous sa bannière tons les individus que ne satisfaisait pas le nouvel ordre de choses, tous ceux qui, ayant compté sur les chances d'une révolution sociale, étaient mécontents de voir qu'on resserrait les conquêtes populaires dans le cercle d'une révolution politique. Mémoires de Gisquet. Ces rapports du prince avec les républicains ne sont pas contestables, et ils ont plus ou moins existé jusqu'au mois de décembre 1848. H. Thirria, Napoléon III avant l'Empire, déjà cité.

[162] Mémoires de Gisquet. t. I. L'auteur dit encore à leur sujet : Ils avaient pour organe le journal La Révolution, entreprise qui dévora la fortune d'un sieur Lennox...

[163] Mémoires de Gisquet.

[164] Mémoires de Gisquet.

[165] Mémoires de Gisquet.

[166] Laity, Relation historique des événements de Strasbourg, Thomassin, 1828.

[167] M. Sébastiani, alors ministre des Affaires étrangères, était si bien informé à cet égard que le jour même de cette arrivée il avait dit à Louis-Philippe : Sire, j'ai des nouvelles très précises de la duchesse de Saint-Leu ; on m'écrit qu'elle a débarqué à Corfou. Gallix et Guy, Histoire de Louis-Napoléon Bonaparte, déjà cité.

[168] La reine Hortense, etc.

[169] Mémoires de Guizot, Michel Lévy,1863, 8 vol.

[170] Mémoires de Guizot. La reine Hortense, etc.

[171] La reine Hortense, etc.

[172] La reine Hortense, etc.

[173] Duc d'Aumale, Lettre sur l'histoire de France. — Napoléon III avant l’Empire, déjà cité, p. 8. — L'instruction de cette affaire dura plus de quatre mois. Après avoir passé successivement à la Chambre du conseil et à celle des mises en accusation, elle arriva devant le jury le 26 avril 1832 où MM. Zaba et 3lirandoli furent acquittés. MM. Chodzko et Lennox avaient été mis hors de cause pendant l'instruction. — Rendu à la liberté, Mirandoli écrit à un journal pour faire l'apologie du prince Louis-Napoléon et déclare se glorifier de la détention et des souffrances qu'il vient de subir, puisque c'était une conséquence de sou attachement à la glorieuse famille Bonaparte. Quant aux conjurés faisant partie de l'armée, la cour royale de Paris ne les a pas mis en cause ; et l'on comprend, sans que j'aie besoin de les indiquer, les considérations de haute prudence qui purent engager le gouvernement à jeter un voile sur ce qui s'était passé. Mémoires de Gisquet. — De la bouche même du préfet de police, l'aveu est significatif quant à l'importance de l'événement.

[174] La reine Hortense, etc.

[175] La reine Hortense, etc.

[176] La reine Hortense, etc.

[177] La reine Hortense, etc. E. Lecomte, Louis-Napoléon Bonaparte, la Suisse et le roi Louis-Philippe, p. 13, Paris 1856.

[178] Mémoires de Gisquet.

[179] La reine Hortense, etc.

[180] La reine Hortense, etc.

[181] La reine Hortense, etc.

[182] La reine Hortense, etc.

[183] La reine Hortense, etc.

[184] La reine Hortense, etc.

[185] La reine Hortense, etc.

[186] La reine Hortense, etc.

[187] La reine Hortense, Joseph ne crut pas à l'avenir de Louis-Napoléon. Quand on lui annonçait son neveu, il priait un de ses amis de rester avec lui, a afin de lui épargner l'embarras d'un tête-à-tête que les chimères dont l'esprit du nouveau visiteur était plein, disait-il, rendaient très fatigant et très ennuyeux s. Taxile Delord, Histoire du Second Empire, t. I. — Joseph mourut en 1844, trop tôt pour voir qu'il s'était trompé.

[188] Le futur Napoléon III s’y appelle le prince Florestan, la reine Hortense, la reine Agrippine ; le duc de San’Angelo me semble être Arèse.

[189] Mémoires de Gisquet.

[190] Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

[191] La reine Hortense, etc.

[192] La reine Hortense, etc.

[193] Notice sur la colonne de la Grande Armée, Boulogne, etc.

[194] La reine Hortense, etc.

[195] La reine Hortense, etc.

[196] La reine Hortense, etc.

[197] La reine Hortense. Ce banquier, M. Haguerman, un suédois, avait acheté la Malmaison en 1826. — Fourmestraux, La reine Hortense, Dupont, 1867.

[198] Les hôtes d'Arenenberg, en plus de Mas Récamier acte Chateaubriand, étaient Casimir Delavigne, considéré alors comme un poète incomparable (Sainte-Beuve lui-même, et plus tard, ne l'attaquait qu'avec une extrême circonspection), Cotte, Alexandre Dumas, Labarre, le colonel Brack, le comte Demidoff, le baron Félix Desportes, les duchesses de Préval et de Raguse, la princesse do la Moscowa, P.... Lebon, de Girardin, Solange de Faverolles, etc., etc.

[199] Gallix et Guy et toutes les biographies du prince. De sorte que le nom de Bonaparte, chose merveilleuse, à côté des idées de gloire qu'il réveillait naturellement, s'associait en Italie et en Pologne aux idées de liberté et que ce nom éminemment contre-révolutionnaire devenait l'auxiliaire de toute révolution. En France aussi, il eût suffi de quelque événement remarquable pour produire la renie impulsion au sein des masses. Mais ce fait n'avait rien d'étrange que l'apparence. Quoiqu'il cul violemment comprimé une des phases de la démocratie, le bonapartisme n'était lui-même qu'une expression démocratique mal développée au milieu des longues guerres de l'Empire ; puis il y avait eu deux hommes dans l'empereur... et par l'effet de cette sympathie universelle qu'inspirent les grandes catastrophes et l'infortune de ceux qui longtemps commandèrent aux destinées, les peuples avaient oublié le Napoléon des Tuileries pour ne plus se rappeler que le Napoléon de l'ile d'Elbe et de Sainte-Hélène. A. Maurin, Histoire de la chute des Bourbons, t. VII, p. 33.

[200] Cependant, revenant sur sa décision première, il serait parti secrètement d'Arenenberg. Arrivé sur la frontière et apprenant la chute de Varsovie, il s'en revint. — Mansfeld, Napoléon III, déjà cité. — Le fait est douteux.

[201] Consulter aussi le sénatus-consulte du 15 brumaire an XII.

[202] C'était aussi un excellent dérivatif. La patrie fermée, tonte vie active interdite, l'exilé retomba douloureusement sur lui-même. Il était parvenu à cet âge où l’amour d'une mère ne suffit plus à remplir le cœur : J'ai tellement besoin d'affection que si je trouvais une femme qui me plût, et qui convint à ma famille, je ne balancerais pas à. nie marier. Ainsi, mon cher papa, donnez-moi là dessus vos conseils. Le père lui répond que l'essentiel pour éviter les malheurs trop connus dans cet état, était de ne pas être amoureux. Sur cette peu encourageante consultation, Il s'étourdit par le travail : il passait ses jours et une partie de ses nuits sur ses cartes et sur ses livres. E. Ollivier, Louis-Napoléon, etc. déjà cité, p. 37.

[203] A. Maurin, ouv. déjà cité, t. VI.

[204] ... Le libéralisme napoléonien d'une partie de la jeunesse sous la Restauration... d'Alton-Shée, Mes Mémoires, 2 vol. 1869, Librairie internationale, t. I.

[205] A. Maurin, ouv. déjà cité.

[206] A. Maurin, ouv. déjà cité.

[207] Qu'on lise, pour se rendre compte de cette façon de voir, la belle Histoire du Gouvernement de Venise d'Amelot de la Houssaye et les discours politiques de Machiavel.

[208] Le chapitre suivant le prouve.

[209] Le volume portait en épigraphe ces lignes de Montesquieu : Le peuple qui a la souveraine puissance doit faire par lui-même tout ce qu'il peut faire, et ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le fasse par ses ministres.

[210] Il est difficile de se montrer plus libéral.

[211] Au moins dans le sens où le prennent los politiciens actuels.

[212] Laity, Relation historique des événements de Strasbourg, déjà cité. — En 1830, disait La Fayette, nous avons tous commis une grande faute, pour ne pas dire un crime. Au lieu de mettre la France en demeure de se prononcer sur le système et sur les hommes qui lui convenaient, nous lui avons imposé une forme de gouvernement et une dynastie. De là toutes les déceptions qui out suivi les trois grandes journées. Si une muselle révolution vient à éclater, et je la crois inévitable, le premier devoir des hommes qui la dirigeront devra être de convoquer des assemblées primaires, afin que cette fois le pays dise hautement et nettement ce qu'il veut. Eh bien, vous portez un nom populaire et si la France, sincèrement interrogée, croyait devoir s'y rallier, je ferais ce que j'ai fait toute ma vie : je m'inclinerais devant le verdict souverain de mon pays.

[213] Laity, Relation historique des événements de Strasbourg, déjà cité.

[214] Laity, Relation historique des événements de Strasbourg, déjà cité.

[215] Gazette de France, décembre 1848, etc. — Ils avaient correspondu déjà. Chateaubriand avait écrit au prince : ... Vous voulez dans votre jeunesse ce que je veux dans ma vieillesse : l'honneur de la France. Vous vivrez pour voir votre patrie heureuse et libre. Vous marcherez sur des ruines dont moi-même je fais partie.

[216] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[217] Giraudeau, ouv. déjà cité. — Léo Lespès, Histoire de la première présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte, 1852. — Le prince Louis habite un pavillon particulier, dit encore Chateaubriand, où j'ai vu des armes, des cartes géographiques et topographiques, tous objets qui rappellent sa proche parenté avec le conquérant. — Alexandre Dumas et Delphine Gay vinrent aussi à Arenenberg. Mme de Dino s'y rendait pour renseigner Talleyrand et elle s'acquittait de sa mission en lui écrivant ceci : Il n'est pas plus dangereux pour la monarchie de juillet qu'un bave de l'École polytechnique, bon mathématicien, bon écuyer, mais timide et silencieux comme une demoiselle bien élevée. E. Ollivier, éd. déjà citée, p. 41.

[218] Giraudeau, Gallix et Guy, etc.

[219] Giraudeau, Gallix et Guy, etc.

[220] Giraudeau, Gallix et Guy, etc.

[221] Léo Lespès, Histoire de la première présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte, déjà cité Lettre au docteur Corémans.

[222] Léo Lespès, Histoire de la première présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte.

[223] Louis-Napoléon vint habiter Thoune où le colonel Dufour, ancien officier très distingué, ayant servi sous Napoléon Ier, devint son maitre et son ami. Le prince avait obtenu la permission de prendre part comme volontaire aux manœuvres du camp établies chaque année à Thoune, pour l'instruction des officiers et des soldats. Le colonel du génie Fournier, également ancien officier de Napoléon, était au nombre de ses professeurs... Il avait loué à Thoune une chambre que le propriétaire a laissée jusqu'à aujourd'hui dans l'état où Louis-Napoléon l'a quittée et cela à cause de l'admiration que lui inspiraient le vaste savoir et la haute intelligence de son locataire. Un bel avenir attend le prince, disait-il souvent. A. Mansfeld, Napoléon III, Paris 1860, 2 vol.

[224] Le livre était dédié aux officiers du camp de Thoune. On lit dans le Journal de l'Institut historique, L. IV, 1836 : Nous pensons que le Manuel d'artillerie publié par notre collègue le prince Louis-Napoléon Bonaparte mérite d'occuper une place distinguée dans la bibliothèque des officiers français et qu'il doit être un ouvrage précieux pour MM. les officiers de la République helvétique... En se rendant utile aux jeunes officiers de sou arme, le prince Napoléon a dignement payé la dette de l'hospitalité, et il a montré, pour me servir de ses expressions, que les neveux du capitaine d'artillerie de Toulon n'ont point dégénéré. Le National écrivait dans son numéro du 12 niai 1836 : Nous avons droit do nous étonner qu'il ait fallu sept ans aux plus fortes têtes de l'artillerie pour mettre à fin un volume in-8° de 500 pages. Sept ans, tandis qu'un simple capitaine d'artillerie au service de la Suisse a conçu, rédigé et publié en moins de deux ans un manuel qui ne le cède en rien à l'aide-mémoire officiel de France. Et ce capitaine était loin d'avoir à sa disposition butes les ressources que possède notre comité suprême... La partie consacrée à l'artillerie de campagne constitue un véritable traité, le plus complet et le plus succinct en même temps qui ait été fait sur la matière. L'auteur y fait preuve d'une grande intelligence du but et des moyens de l'artillerie... L'article était d'Armand Carrel qui savait à quoi s'en tenir, ayant été officier. Louis Blanc parle de même. (Histoire de dix ans, L. V.) Voir aussi : le National genevois du 10 septembre 1836, etc.

[225] C'est le canon rayé qui contribua pour une bonne part à nos victoires de Magenta et de Solférino.

[226] Lire sur Carrel l'intéressante étude de P. Lanfrey, Études et portraits politiques, Charpentier, 1864. — Fort peu d'hommes ont par leur caractère, leurs écrits, leur parole, souvent à simple vue, inspiré autant de sympathie. Il commandait l’estime : forcés de respecter sa probité, son honneur, ses ennemis se sont rabattus sur l'accusation banale d'ambition. D'Alton-Shée, Mes Mémoires, t. I, p. 156. — Ses sentiments à l'égard du prince étaient inspirés naturellement par son passé : Sorti officier, il se mêle ans conspirations bonapartistes : aussi on le voit d'abord libéral-napoléonien... Idem. Carrel était trop perspicace pour croire à la valeur d'une république parlementaire eu France, il se déclarait pour la dictature et même pour la dictature militaire. Victor Hugo dit dans une lettre à d'Alton-Shée : J'ai connu Carrel tel que vous le dépeignez il a fait aussi ce qu'il a pu pour m'éloigner de la république. P. 162.

[227] A cette époque, à la date du 2 mai 1832, Henri Heine écrivait de Paris à un journal allemand la lettre suivante qui montre bien qu'il y avait une place à prendre en France : Que va devenir la France ? Ah ! la France est cette expectante Pénélope qui tisse toujours sa toile et la défait tous les jours dans l'unique but de gagner du temps jusqu'au moment où aura sonné l'heure de l'homme qu'elle attend. Quel est cet homme ? Je n'en sais rien ; mais je sais qu'il pourra cruellement tendre l'arc puissant d'Ulysse et interrompre le festin de ses insolents rivaux qui outragent son foyer, et leur lancer des flèches mortelles. Il saura fustiger les servantes doctrinaires qui se sont oubliées avec eux ; il débarrassera la maison du honteux désordre qui y règne pour y ramener, avec l'aide de Minerve, l'ordre et la paix. De même que notre situation actuelle où la faiblesse domine ressemble entièrement à l'époque du Directoire, ainsi nous devons nous attendre à un 18 brumaire.... — Voir : Heine, Lutèce, M. Lévy, 1866.

[228] H. Thirria, Napoléon III avant l'Empire. — Dans un article du Figaro (13 avril 1894), on raconte que pendant l'époque où il était capitaine d'artillerie en Suisse, Louis-Napoléon aurait aimé, au point de la demander en mariage, la veuve d'un planteur mauricien, Mme S***. Cette jeune femme dut regretter par la suite d'avoir refusé pareil parti.

[229] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[230] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[231] Giraudeau, ouv. déjà cité.

[232] Giraudeau. — Louis-Napoléon écrivait à M. Vieillard : Voyez l'empereur Napoléon, le plus grand homme des temps modernes, si le peuple en masse lui conserve un tendre souvenir et des sentiments de reconnaissance. Il n'a néanmoins pas su réussir à conserver un parti à sa famille. Chose désolante ! Bertrand, que la bouche mourante de Napoléon qualifiait du nom d'ami... accuse les mimes de son empereur d'une ambition démesurée. Soult, soldat de l'Empire, se lève pour flétrir les restes de celte époque glorieuse... Ah ! vous avez bien raison, ce n'est pas dans les salons dorés, ni dans les réunions de gens timorés, mais dan, la rue que sont nos amis.

[233] Giraudeau.

[234] Giraudeau.

[235] Giraudeau.

[236] Giraudeau.

[237] Jean-Gilbert-Victor Fialin, né à Saint-Germain-l'Espinasse (Loire) le 11 janvier 1808. On prétend que Fialin fut amené à Arenenberg par M. Belmontet. La première fois qu'il vii l'empereur cc fut par hasard ; il ignorait même son existence. Voyageant dans le grand-duché do Rade, il rencontra nue calèche attelée de quatre chevaux dans laquelle il y avait un jeune homme. En voyant son propre cocher se lever sur son siège, ôter son chapeau et s'écrier : Vive Napoléon ! Que veux-tu dire, demanda Fialin, et le cocher lui apprit que c'était le prince. — Hippolyte Castille, Le comte de Persigny, Paris, 1857. — J. Delaroa, Le duc de Persigny et les doctrines de l'Empire, Plon, 1865. — Esprit fin, adroit, caractère énergique et audacieux, volonté pleine de ressources. Il était en oléine temps la conception et l'exécution, l'intelligence et la main de l'aventure. Diplomate d'instinct et non d'éducation, il nouait les fils du complot avec une habileté consommée. Conspirateur par tempérament et par calcul, les aventures l'attiraient irrésistiblement. Impassible et froid devant le péril, aucun obstacle ne pouvait ni l'effrayer ni l'arrêter. La prévoyance qui combine tout et l'audace qui ne redoute rien. Tel était M. de Persigny. A. de la Guéronnière, Portraits politiques contemporains, 1851. — Étant donné le personnage (orléaniste eu 1830, républicain en 48, impérialiste en 53, détracteur farouche de Napoléon III et républicain de nouveau en 71), il faut faire, dans ce portrait, la part de la flatterie ; l'ensemble, toutefois, demeure vrai. — Fialin aurait été initié au culte de l'empereur par la belle Mme Regnault de Saint-Jean d’Angély. George Sand qui le rencontra dans un de ses voyages de propagande le jugea un jeune homme charmant et d'un esprit très remarquable. E. Ollivier, ouv. déjà cité, p. 47. Il avait commencé par être légitimiste. Voir H. Thirria, La marquise de Crenay, etc., Paris. Plange, 1898.

[238] Delaroa, Le duc de Persigny.

[239] Voir précédemment, au moment de l'affaire des Romagnes, les déclarations du prince Napoléon à ce sujet.