HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — LA VIE SOCIALE.

CHAPITRE V. — LE RÉGIME ÉCONOMIQUE.

 

 

I. — LE GOUVERNEMENT DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES : MINISTRES ET INTENDANTS[1].

AU-DESSOUS des classes privilégiées, la masse contribuable gagnait sa vie et celle de l'État par l'agriculture, les métiers et le commerce. Le Gouvernement continue à mettre une grande bonne volonté à l'y aider : la pénurie des finances, l’impossibilité de créer indéfiniment de nouveaux impôts, et la nécessité, par conséquent, d'accroître le rendement des impôts existants, obligèrent les ministres à s'efforcer d'accroître les forces productives du pays. Au reste, les Philosophes et les Économistes imposaient à l'attention publique leurs théories et leurs préceptes sur une meilleure économie publique. Aussi voit-on, après le règne de Louis XV, où les ministres dirigeants, Orléans, Bourbon, Fleury, Choiseul, des princes du sang, un prince de l'Église et un grand seigneur, se préoccupèrent avant tout de diplomatie et de guerre, les Contrôleurs généraux, Turgot, Necker, Galonné, prendre le premier rang dans le ministère.

Cependant, on ne créa point de département spécial pour le commerce, l'industrie et l'agriculture, qui ressortissaient principalement au contrôle général des finances, duquel relevaient un Bureau de l'agriculture et un Bureau du commerce, mais aussi à des conseils comme le Conseil des finances et le Conseil du commerce, et à chacun des secrétaires d'État pour les pays qui étaient de son département. En 1787, une tentative sera faite pour concentrer l'administration économique dans le Conseil royal des finances et du commerce que présidera Brienne, le dernier principal ministre de l'ancien régime. Le Conseil des finances et le Conseil du commerce seront supprimés ; le nouveau conseil, rapprochant des affaires qui doivent être liées et déterminées d'après les mêmes principes, arrêtera les emprunts, les impôts, les affaires principales concernant les domaines du Roi et généralement toutes les opérations de finance et de commerce ; seront aussi de sa compétence les traités de commerce avec les puissances étrangères, les objets relatifs au commerce maritime, les établissements de canaux de navigation, les plans déjà formés pour substituer aux différents tarifs des droits qui se perçoivent dans le royaume, un tarif unique ; la rédaction des lois nouvelles ou la réforme des anciennes sur le commerce, et généralement toutes les dispositions de grande administration propres à animer le commerce.

Ainsi se marquait de plus en plus la préoccupation des choses économiques.

Dans les provinces, les intendants, qui étaient, à l'époque de Richelieu, des fonctionnaires de combat, et, sous Louis XIV, les grands ouvriers, quelquefois violents, de la centralisation monarchique, sont au XVIIIe siècle essentiellement des administrateurs. Leur compétence s'était étendue. Ils ont sous leur dépendance un Directeur des vingtièmes, qui dresse les rôles de cet impôt, ils nomment les préposés chargés de le percevoir ; ils surveillent la répartition de la taille. Ils sont juges des contestations entre les contribuables et les fermiers pour les droits d'enregistrement et du domaine Ils se sont attribué la surveillance presque exclusive des corporations industrielles et commerciales, au détriment de l'autorité judiciaire, et disputent à celle-ci, mais sans succès, les contestations relatives aux élections municipales. Après une lutte d'un siècle, ils ont enlevé, par un arrêt du 30 juillet 1776, la tutelle des communautés rurales aux juges et aux parlements ; quelques-uns d'entre eux ont substitué aux assemblées générales d'habitants, qui ne restent obligatoires que pour les circonstances exceptionnelles, des assemblées de notables, chargées de prendre la plupart des décisions relatives aux affaires communales[2]. Ils ont enlevé aux trésoriers généraux la direction des ponts et chaussées et ils poussent activement la construction des routes. Ils ont gardé leur part de l'administration militaire : service des étapes et des subsistances, construction des hôpitaux et des casernes ; ils ordonnent le tirage au sort des milices, répartissent le nombre d'hommes à lever sur les villes et les villages de leur généralité, autorisent les remplacements, proposent les exemptions. Contrôle des anciens impôts, administration des impôts nouveaux, surveillance des corps de métiers, tutelle des communautés paysannes, grande voirie, tels sont les pouvoirs nouvellement acquis ou renforcés au XVIIIe siècle, et qui, joints aux pouvoirs anciens, leur ont permis d'appliquer ou même de devancer les expériences économiques que le Gouvernement a tentées depuis le milieu du siècle.

Leur action était déjà si vaste au XVIIe siècle, qu'ils avaient obtenu de se choisir des auxiliaires, les subdélégués. Ils en multiplièrent le nombre, et le Roi dut intervenir pour le réduire, car les subdélégués, n'ayant pas de traitement fixe, mais des indemnités, étaient tentés de se payer sur les contribuables ; mais l'intendant resta le maître de régler, suivant ses convenances ou l'intérêt du service, le ressort ou département des subdélégués, tantôt confiant plusieurs élections à un seul, tantôt morcelant une élection entre plusieurs. La subdélégation, rétribuée seulement par des indemnités qui n'auraient pas suffi à faire vivre ceux qui en étaient investis, n’était pas une carrière ; les subdélégués étaient choisis au gré de l'intendant, parmi les officiers du Roi, les avocats, les notables ou telles autres personnes. L'intendant composait aussi comme il voulait ses bureaux. Son premier secrétaire, qui le suppléait pendant ses absences, le subdélégué général, comme on l'appelait, était un personnage considérable.

De cette grande puissance, les intendants se sont servis souvent pour le bien public. Ils n'attendent pas toujours que l'ordre leur en vienne de Versailles. Ils vont hardiment de l'avant et entreprennent des réformes qui ne sont pas toujours conformes aux règlements, ou même y sont contraires. Les meilleurs d'entre eux voudraient restreindre et même supprimer les privilèges en matière d'impôts, et ils l'écrivent au ministère : MM. les intendants, dit le duc d'Aiguillon en 1774, n’ont cessé de représenter que les exemptions sont contraires au bien public. — D'ailleurs, l'idée de supprimer les privilèges en matière d'impôts était devenue banale.

Le droit qu'ils ont d'intervenir dans la répartition des tailles leur permet de substituer aux évaluations arbitraires ou intéressées des collecteurs une appréciation aussi juste que possible de la valeur des biens-fonds, établie soit par un arpentement et des estimations effectives, soit par les déclarations des propriétaires, débattues par les autres contribuables et vérifiées contradictoirement. Les artisans et les ouvriers étaient taxés d'après l’estimation de leur salaire quotidien, multipliée par 200 journées de travail. C'est le système de la taille tarifée. L'expérience en fut faite vers 1730 par l'intendant de Limoges, Tourny, et, vers 1740, par l'intendant de Champagne, Le Pelletier de Beaupré, qui, en 1747, acheva le tarif de l'Élection de Troyes. Turgot, pendant son intendance de Limoges, de 1761 à 1774, poursuivit l'œuvre de Tourny. Le Gouvernement ordonna en 1768 de commencer dans toutes les généralités le travail entrepris en Champagne et en Limousin. Mais l’œuvre ne put être poussée très loin, à cause de la résistance des populations, et faute d'experts capables, sauf dans la généralité de Paris, où l'intendant Bertier fît dresser le cadastre de chaque paroisse : il répartit les terres, d'après leur revenu, en vingt-quatre classes, et, pour chaque classe, établit un taux spécial d'imposition. Ainsi était commencée la grande entreprise du cadastre général, qui sera menée à bien après la Révolution.

A l'exemple de l'intendant de Caen, Orceau de Fontette, Turgot, dans le Limousin, a remplacé, comme on a vu, les prestations en nature pour l'entretien des chemins par une contribution en argent. Devenu Contrôleur général des finances, il a consulté les intendants sur la suppression de la corvée dans tout le royaume ; la plupart en furent d'avis ; après la chute de Turgot, ils encouragèrent les communautés à user du droit de rachat que leur accordait l'édit de février 1776 ; mais ils ne réussirent pas le plus souvent à les convaincre qu'une augmentation d'impôts était préférable à la corvée. Ils s'efforcèrent d'adoucir la charge de la corvée, en accordant des délais et même des exemptions, en cas d'épidémie et de disette, aux particuliers et aux populations. Mais le système des prestations en nature était condamné ; un arrêt du 6 novembre 1786 les remplaça par une prestation en argent proportionnelle à la taille.

Les intendants se sont occupés de tous les détails de la vie économique, mais ils ont été surtout d'admirables grands voyers ; ils ont poursuivi vigoureusement, quelquefois de leur propre initiative, le plus souvent en accord avec les États provinciaux, les municipalités, et conformément aux instructions des contrôleurs généraux, l'œuvre commencée par Sully, et continuée par Colbert. Turgot construisit, pendant son intendance, des routes ou des tronçons de routes, qui reliaient Limoges à Bordeaux, La Rochelle, Lyon et Paris. Il eut, parmi les intendants du règne de Louis XVI, beaucoup d'imitateurs : Du Cluzel à Tours, Orceau de Fontette à Caen, Guéau de Reverseaux à La Rochelle, Caze de la Bove à Grenoble. Les intendants creusent des canaux : Esmangart entreprend de rendre l'Orne navigable de Caen à la mer ; Sénac de Meilhan canalise l’Escaut jusqu'à Cambrai ; D'Agay achève le canal de Picardie ; les intendants d'Alsace régularisent le cours du Rhin. Mais l'œuvre la plus considérable fut celle des canaux de Bourgogne, conçue par Sully, reprise par Louis XIV, mais exécutée seulement sous Louis XVI par les intendants de concert avec les États. Le canal de Bourgogne proprement dit devait joindre la Seine à la Saône par le seuil de Pouilly ; le canal du Centre, la Saône à la Loire, et un troisième canal, le Rhône au Rhin. Les 23 et 24 juillet 1784, le prince de Condé, au nom du Roi, posa la première pierre de la première écluse de chacun des trois canaux.

En vertu des pouvoirs de police et d'hygiène qu'ils exerçaient, les intendants travaillèrent à transformer les villes et à les assainir. Ils abattirent les remparts, percèrent des avenues, élargirent les places, élevèrent des théâtres, amenèrent l'eau, éclairèrent les rues. Marseille, Valenciennes, Bordeaux, Auch, Rouen, doivent aux intendants leurs beaux quartiers, leurs allées et leurs esplanades.

La plupart des intendants sont ou se disent amis du bien public, philanthropes, sensibles. Turgot, Jullien, intendant des intendants. D’Alençon, les deux Bertier de Sauvigny, intendants de Paris, Sénac de Meilhan, intendant de Provence puis de Hainaut, Chazerat, intendant d'Auvergne, Du Cluzel, intendant de Tours, Raymond de Saint-Sauveur, intendant de Perpignan, et même Montyon, si dur à ses fermiers et à ses débiteurs, mais si charitable aux gens de lettres, aux savants, aux héros de vertu et à ses administrés d'Auvergne, sont des types représentatifs de ce nouvel esprit de bienfaisance éclairée. Ils fondent des bureaux de charité pour secourir les indigents et des ateliers de charité pour occuper les sans travail. Ils améliorent l'état des prisons et des hôpitaux, hospitalisent les enfants-trouvés et, multiplient les distributions de boîtes de remèdes aux gens des villes et des campagnes.

Car ils veulent être aimés, et c'est encore un trait du temps. Ils défendent les populations contre les exigences fiscales du pouvoir, demandent des réductions d impôts, protestent contre les aggravations. L'intendant de Tours, Du Cluzel, écrit au Contrôleur générai Clugny, en 1776, qu'en tant qu'administrateur de la Touraine, de l’Anjou et du Maine, il est le représentant des intérêts de ces trois provinces, et qu'il doit s'en préoccuper comme des siens propres. L'homme du Roi est en train de devenir l'homme de la province et souvent il se trouve pris entre des devoirs contradictoires. A l’occasion, il désobéit au ministre pour obéir à ses propres sentiments. Depuis longtemps, dit Sénac de Meilhan, les intendants, dirigés par l'opinion publique, cherchaient plus à se distinguer par leurs ménagements pour les peuples que par leurs asservissements aux volontés ministérielles.

Cet esprit d'indépendance avait de nombreuses causes. Les ministres passent, et les intendants demeurent. Parmi les soixante-huit intendants du règne de Louis XVI, vingt-neuf seulement restèrent au même poste moins de dix ans. Vingt-quatre y restèrent plus de vingt ans, treize plus de vingt-cinq ans, sept plus de trente ans et enfin deux plus de quarante ans. Tous sont nobles, et plusieurs même d'ancienne noblesse. Il y a des familles qui comptent plusieurs intendants : les Amelot, quatre ; les Chaumont de la Galaisière, trois ; les La Bourdonnaye de Blossac, quatre ; les Lefèvre de Caumartin, cinq ; les Feydeau, six ; dans cette dernière famille, il y a toujours eu un intendant pendant cent quatorze ans, de 1694 à 1787. Quelquefois, dans la même généralité, le fils succède au père : les deux Bertier, père et fils, sont intendants de Paris de 1744 à 1789. Amelot de Chaillou est nommé en 1783 à l'intendance de Dijon, que son père a occupée jusqu'en 1775. La Bourdonnaye de Blossac fils accompagne son père dans les deux intendances de Poitiers et de Soissons ; c'est un coadjuteur avec succession réservée ; il a le litre de sous-intendant. Entre toutes les familles d'intendants, il y a des entrecroisements de parentés ou d'alliances, qui en forment comme un seul corps. Ils sont, par là, semblables au monde parlementaire. D'ailleurs, ils se recrutent dans la haute magistrature ; beaucoup lui ont appartenu ou lui appartiennent encore comme maîtres des requêtes ; même de hauts magistrats cumulent avec leur office la commission d'intendant ; par exemple, Bertier de Sauvigny est à la fois premier président du Parlement et intendant de la généralité de Paris. De même Des Gallois de la Tour en Provence. Cela n'empêche pas que l'intendance soit, par destination, rivale et adversaire de la magistrature.

Le traitement des intendants était considérable. Chacun touchait un fixe de 15.390 l. ; en outre tous, à l'exception de sept, recevaient un supplément variant de 4.610 à 24.000 l. ; à quoi s'ajoutaient les pensions du Roi et des provinces. Les secrétaires, subdélégués et commis étaient payés à part. Il est vrai que les frais de représentation étaient énormes, car l'intendant voulait et devait faire grande figure dans sa généralité. En général, il avait d'ailleurs de la fortune ; l'intendant Joly de Fleury, le futur contrôleur général, passait pour être peu aisé, parce qu'il n'avait que 10 à 12.000 livres de rente. La plupart de ceux sur lesquels nous sommes renseignés étaient riches et quelquefois très riches. Montyon a laissé une fortune d'environ sept millions.

Les intendants n'étaient pas tous également zélés à remplir leur tâche difficile. On leur reprochait de venir souvent à Paris, et d'v être attirés et retenus pour d'autres motifs que le soin de leurs affaires. On disait aussi que les travaux, très coûteux, qu'ils entreprenaient pour embellir les villes capitales de leurs généralités n'étaient pas toujours justifiés par l'intérêt public. Il en est qui furent accusés de concussions. Le gouvernement même fut sévère pour eux. Necker, qui n'aimait pas les intendants, constatait leur absentéisme, lorsqu'il parlait de les obliger à résider au moins trois mois dans leurs généralités. Il en jugeait quelques-uns au moins incapables de remplir leurs fonctions : L'on a vu des jeunes gens sans aucune expérience et sans autres préparatifs que les bons airs et les amusements de Paris aller gouverner une province aussi considérable en population que plus d'un royaume de l'Europe. D'autre part, on lit dans l'Arrêt du Conseil du 12 juillet 1778, portant création de l'Assemblée provinciale du Berry :

L'état de langueur où elle (cette province) est depuis si longtemps, avec des moyens naturels de prospérité, annonce plus particulièrement le besoin qu'elle aurait d'un ressort plus actif, et lors même qu'un nouvel ordre d'administration éprouverait les difficultés attachées à tous les commencements, la situation de cette province et la perspective du bien qu'on peut y faire aideraient à soutenir le courage et les espérances.

C'était laisser croire que des intendants avaient failli à leur tâche.

Il est très difficile de porter un jugement d'ensemble sur le personnel des intendants ; l'hérédité qui tend à s'établir a peut-être produit son effet ordinaire, qui est de refroidir le zèle. Comme dans la haute magistrature, la règle du minimum d'âge est souvent violée. Ce minimum était, pour les intendants, de trente-six ans ; or, sur cinquante-neuf intendants dont on connaît l'âge au moment de leur nomination, trente-quatre sont au-dessous du minimum, vingt ont été nommés de trente et un à trente-cinq ans, dix de vingt-six à trente ans ; quatre de vingt-deux à vingt-cinq ans Ces derniers sont sans doute les jeunes gens dont parle Necker. Puis le favoritisme intervient dans le choix des intendants. A propos d'une nomination faite à l'intendance de Bretagne, d'Argenson a écrit dans son journal : Toutes les places se donnent aujourd'hui à la faveur et à l'intrigue.

Ainsi, bien que le rôle des intendants demeure considérable au XVIIIe siècle, l’institution se gâtait. D'autre part, elle n'était pas populaire. Les intendants s'opposèrent tant qu'ils purent à l'établissement des Assemblées provinciales, desquelles les ministres et le public attendaient un grand bien, plus de bien qu'elles n'en pouvaient faire. Cette opposition leur nuisit dans l'opinion. Ils continuaient d'être détestés par les Parlements avec lesquels ils étaient en conflit perpétuel, par les officiers et les seigneurs, dont ils avaient détruit ou restreint les pouvoirs ou privilèges. Les paysans les redoutaient. Lorsque le Comité d'administration de l'agriculture décida de répandre dans le royaume des instructions rédigées par lui, Lavoisier écrivit :

Le Comité a reconnu que ce n'était pas par la voie des intendants et de leurs subdélégués que les instructions pourraient être propagées dans les provinces. L'habitude de voir continuellement exercer par les subdélégués des actes de rigueur et d'autorité ne dispose pas les habitants de la campagne à la confiance, et ils se déterminent difficilement à exécuter ce qu'ils n'ont reçu qu'avec crainte.

Malgré leur esprit humanitaire, les intendants, agents d'un régime réprouvé, étaient frappés de réprobation. Les cahiers des Etats généraux demanderont que l'institution soit abolie.

 

II. — L'AGRICULTURE[3].

LE Gouvernement et les intendants travaillèrent à développer l'agriculture, et trouvèrent de bons auxiliaires parmi les hommes de savoir et d'expérience.

En l'année 1780, une sécheresse avait amené une crise dans l'élevage des bestiaux. Le Gouvernement fit rédiger par une commission de membres de l'Académie des Sciences une Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des fourrages, qui fut publiée en mai 1785, et répandue à un grand nombre d'exemplaires dans les campagnes. Le chef du Bureau de l'agriculture, Gravier de Vergennes, eut l'idée de rendre cette commission permanente, sous le nom de Comité d'administration de l'agriculture. Ce comité aurait charge d'examiner tous les projets intéressant l'agriculture, d'en donner son avis, de préparer, sous l'autorité du chef du Bureau de l'agriculture, la correspondance avec les intendants et les sociétés d'agriculture, et de rédiger des instructions qui seraient publiées. Il ne se composa d'abord que de cinq membres, dont trois. Du Tillet, qui avait étudié la carie du blé, D'Arcet, chimiste et géologue, Lavoisier, le fondateur de la chimie, étaient de l'Académie des Sciences. Quelques mois après furent adjoints sept autres membres, parmi lesquels le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, l'économiste Dupont de Nemours, le grand-maître des eaux et forêts, de Cheyssac, l'inspecteur général des manufactures Lazowski. Le Comité, qui tint sa première séance le 16 juin 1785, se donna beaucoup de peine. Au témoignage de Lavoisier, dont le rôle y fut très considérable, il rédigea des mémoires sur presque toutes les parties de l'agriculture, correspondit avec un grand nombre de curés, de seigneurs et de cultivateurs[4], fit mieux connaître l'agriculture en France, ses besoins, les encouragements qui lui sont nécessaires, la quantité de ses productions annuelles et leur distribution dans les différentes classes de la société. Il publia nombre d'instructions, distribua des graines, et introduisit de nouvelles cultures dans les provinces. Il fit entendre au Gouvernement des vérités utiles. Dans un mémoire de juillet 1787, Lavoisier énumérait hardiment les entraves d'ordre politique et social qui arrêtait l'essor de l'agriculture : arbitraire de la taille, corvées, dîmes inféodées et dîmes ecclésiastiques, inquisition des agents des aides et des gabelles, banalité des moulins, législation douanière. Et il concluait : Le Comité d'administration de l'agriculture a démontré que la production territoriale du royaume était susceptible d’être presque doublée... que son activité (de la nation française) et son industrie sont combattues par les institutions et les lois. Mais le Comité ne fonctionna que deux ans, du mois de juin 1785 au mois de septembre 1787. Il s'encombra de toutes sortes d'écritures et de mémoires, dont l’administration ne tira aucun parti. Il ne reçut point de subsides pour ses expériences. Ses membres se découragèrent.

Un arrêt du Conseil avait autorisé en 1761 rétablissement de sociétés d'agriculture, les membres en étaient nommés par le Roi, et les intendants y siégeaient de droit ; mais elles étaient libres de s'adjoindre des associés et des correspondants. L'intendant de Paris, Bertier de Sauvigny, organisa en 1785 dans chaque élection de sa généralité un comité des douze meilleurs laboureurs, qui se réunissait une fois la semaine chez le subdélégué. Lorsque l'intendant faisait sa tournée d'inspection, des membres de la Société l'accompagnaient et assistaient avec lui aux séances des comités locaux. Ces réunions d’apparat s'appelèrent les comices. En 1785, il y eut comice, à Nangis, chez le comte de Guerchy, un grand seigneur agronome, en 1787, à Meaux, dans le Palais épiscopal. L'intendant présida, ayant à ses côtés deux membres de la Société d'agriculture et autour de lui douze fermiers. Il remit une médaille à celui des agriculteurs du pays qui avait montré le plus de goût pour le progrès.

Quand le Comité d'administration de l'agriculture eut disparu, il fut en quelque sorte remplacé par la Société de Paris, qui, devenue en 1788 Société royale, étendit sa compétence à tout le royaume.

Ministres, intendants, Comité d'administration et sociétés d'agriculture arrêtèrent ou inspirèrent les mesures qu'ils jugeaient les plus propres à augmenter le rendement du sol.

Depuis longtemps, le Gouvernement encourageait par des promesses d'exemptions d'impôts le dessèchement des marais et le défrichement des terres incultes ; les intendants du XVIIIe siècle s'intéressèrent à ce travail. Par exemple, Guéau de Reverseaux, dans la généralité de la Rochelle, gagna sur les eaux et rendit à la culture 64.000 arpents le long du cours inférieur de la Charente et des côtes avoisinantes. En Normandie, en Auvergne, on fit aussi d'importantes conquêtes sur les eaux stagnantes.

Les terres incultes occupaient des espaces immenses, surtout dans l’Ouest ; Young disait 22 millions d'arpents de Paris, environ 7.300.000 hectares, un peu moins du septième du royaume. Les propriétaires encouragés poussèrent la charrue à travers taillis et pâtis. Dans le Maine, les neuf dixièmes des friches disparurent. Dans l'élection de Melun, dont la superficie était de 142 283 arpents, 458 déclarations de défrichements furent faites de 1766 à 1790, au greffe du bailliage ; rien qu'en deux ans, de 1783 à 1783, les terres incultes y furent réduites de 14.500 à 10.142 arpents. Déjà en 1780, on constatait que l'étendue totale des défrichements opérés dans le royaume dépassait 950.000 arpents, environ 305.000 hectares.

Il arriva môme qu'on défricha trop ; propriétaires et paysans gagnèrent à la culture des terres à fortes pentes qu'il eût mieux valu, pour les garantir contre l'action des eaux, conserver boisées et gazonnées. Dans le Velay et le 'Vivarais, dans les Cévennes et en Auvergne, on déboisa les flancs abrupts des montagnes, en ne laissant des bouquets d'arbres qu'aux plus hauts sommets. En 1788, l'un des membres du Comité d'agriculture, Cheyssac, constate : Sous prétexte de favoriser la culture des grains on a porté la bêche ou la charrue dans les terrains qui étaient destinés à produire du bois. La terre des coteaux a été entraînée dans les vallées, elle a encombré les ruisseaux et les rivières.

Il y avait, dans tout le royaume, une immense étendue de communes, communaux ou usages : bois, marais, pâtures, terres vagues et vaines, qui appartenaient indivisément, de toute antiquité, aux gens d'un village ou même de plusieurs, ou bien dont l'usage avait été abandonné par le seigneur du lieu, ancien propriétaire du sol, aux paysans et aux habitants. Ces droits de jouissance collective étaient avantageux aux journaliers et aux pauvres gens, qui menaient paître dans les pâtures communes une ou deux têtes de bétail, se chauffaient avec le bois mort de la forêt, et s'y fournissaient de branchages et d'herbes ; mais ils avaient beaucoup d'inconvénients. Les bois étaient dévastés, les pâtures piétinées et gâtées. Les communautés négligentes ou pauvres, les seigneurs, à peine intéressés à réparer le dégât, laissaient faire. La coutume autorisait bien d'autres abus. Pour les propriétaires de troupeaux, le droit de parcours ou de pacage était en certaines régions très étendu. La transhumance est de règle dans les régions montagneuses, où les troupeaux montent l'été des basses vallées dans les hautes prairies, et dans les pays chauds, comme la Provence, qui tous les ans expédie de la Crau des milliers de moutons dans les hautes vallées de l'Isère, de la Durance et de leurs affluents alpins. Ce sont de longs voyages par les routes et les sentiers, où vaches, bœufs et moutons broutent à droite et à gauche du chemin. L'opinion de Lavoisier est que les avantages du droit de parcours, relativement à la nourriture des bestiaux des journaliers, paraissent plus que compensés par les inconvénients très graves qui pèsent sur la classe des propriétaires. Lavoisier était d'avis de sacrifier le prolétariat agricole et d'abolir le collectivisme rural pour relever l'agriculture.

C'est par des décisions particulières, et non par mesure générale, que le Gouvernement régla la question du droit de parcours et des communaux. Louis XV avait libéré du droit de parcours la Champagne, qu'envahissaient les troupeaux du Barrois et des Trois-Evêchés, puis le Béarn, le Hainaut et la Flandre. Louis XVI en libéra le Boulonnais par un édit de 1777. Quoique toute la richesse (du Boulonnais), disait l’édit, consiste dans le commerce du beurre et des bestiaux, les pâturages y sont livrés à la merci du public pendant les deux tiers de Tannée. Cet abus prend son origine dans les dispositions mêmes de la coutume, qui défend de clore plus du quint de son fief et ne permet de renfermer qu'une mesure ou cinq quarterons de terre en roture.

Quant au partage des communaux, il fut autorisé par un très grand nombre d'arrêts du Conseil, dans la plus grande partie des provinces, de 1770 à 1789 ; ce qui ne veut pas dire, au reste, que toutes ces autorisations aient été suivies du partage effectif. Là où il se fit, en général le seigneur prenait un tiers et laissait les deux autres aux habitants ; c'est le procédé dit du triage. Mais fallait-il partager ce reste entre tous les chefs de famille, ou seulement entre tous les propriétaires, et proportionnellement à l'importance de leurs biens-fonds ? Les décisions furent très différentes suivant les lieux et les coutumes. Le Gouvernement aurait été d'avis que les terres à diviser fussent réparties en portions égales entre les habitants, propriétaires ou non, A propos du partage de deux landes près de Crotton en Normandie, le Contrôleur général écrivait à l'intendant de Caen, en 1771 : Tout habitant a un droit égal sur ces terrains indivis. En donnant une espèce de propriété à des gens qui n'en ont aucune, on les attache à leur possession, on forme des chefs de famille et des citoyens. Mais il est probable qu'en beaucoup d'endroits les grands propriétaires se pourvurent largement. Les seigneurs, dira le cahier du Tiers-État de Bar-sur-Seine, se sont emparés des biens communaux de leurs paroisses et, par leur crédit et la crainte qu'ils ont inspirée, ils ont étouffé les plaintes des propriétaires et empêché leurs réclamations. Dans plus d'une province du Centre, de l'Est et du Midi, en Champagne, Bourbonnais, Franche-Comté, Lorraine, Barrois et Béarn, des terres vagues ne sortirent de l'indivision que pour passer à un seul propriétaire[5].

Le partage des communaux donna un peu de terre aux paysans, mais fut, en fin de compte, nuisible aux petits propriétaires et aux journaliers, qu'il priva du supplément des ressources de la foret et de la lande. L'indivision avait des partisans, même dans les Assemblées provinciales, qui étaient pourtant composées surtout de grands propriétaires. Une des Assemblées de Normandie — il y en avait trois pour la province — ayant été saisie de la proposition de faire des communaux trois parts égales, dont une serait attribuée au seigneur, une autre exploitée en régie au profit des pauvres, et la troisième divisée entre tous les paysans, ajourna sa décision. Le rapporteur de l'Assemblée provinciale des Trois-Évêchés constatait que l'opinion publique attribuait la diminution du bétail des paysans à celle des communaux. D'autres Assemblées provinciales exprimèrent les mêmes craintes.

Le Gouvernement ne se contente pas d'intervenir par voie législative ; il encourage et stimule les efforts des propriétaires et des paysans. Les intendants : Dodard à Bourges, Du Cluzel à Tours, plantent des mûriers ou font distribuer des plants aux cultivateurs. L'intendant d'Alençon, Jullien, a huit pépinières. Bertier-de-Sauvigny, l(intendant de Paris, en a douze, qui fournissent toutes sortes d'arbres : hêtres, ormes, frênes, peupliers, platanes, mûriers, noyers, poiriers, pommiers, pruniers et même figuiers. En Corse, les intendants donnaient des primes à qui plantait des mûriers, des citronniers et des oliviers.

Le Gouvernement introduit de nouvelles cultures ou travaille à les répandre. Chazerat, qui fut intendant de Riom pendant tout le règne de Louis XVI, fit distribuer aux cultivateurs des semences de turnep, sorte de chou-rave employé par les Anglais pour la nourriture du bétail, et qui vint très bien en Auvergne. L'intendant de Bordeaux, Dupré de Saint-Maur, aurait voulu, malgré l'opposition de la Ferme générale, étendre la culture du tabac. Le secrétaire d'État Bertin fit publier en 1778 un mémoire de Parmentier sur les vertus de la pomme de terre.

Comme moyen d'entretenir le bétail, le Gouvernement recommandait la création des prairies artificielles, et signalait comme excellentes plantes fourragères les trèfles, sainfoins, luzernes et vesces. Après la publication, en 1785, de l’Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des fourrages, de Nanteuil, intendant du Poitou, engagea ses administrés à semer en juillet et en août des raves et des navets, et, en hiver, des turneps et du mais. Il offrit de faire venir des graines, de les distribuer gratis et promit de récompenser ceux qui les sèmeraient. En janvier 1786, il s'enquit de l'effet de ses recommandations :

Quelles sont, écrivait-il à ses subdélégués, les précautions générales et particulières que les cultivateurs ont prises pour suppléer à la disette des fourrages ?... La police a-t-elle interdit pendant l'été dernier aux bestiaux l'entrée des prairies immédiatement après la coupe des herbes, afin que ce repos momentané pût produire des regains ?

Il veut savoir si les cultivateurs ont pris le parti de semer sur la jachère de la vesce, du trèfle, de la luzerne, du maïs, des navets et turneps, du sarrasin et autres menus grains et légumes pour faire ce qu'ils appellent du coupage ou prairies artificielles en vert. Mais la masse des propriétaires et des fermiers s'entêtait, dans presque tout le royaume, à laisser reposer la terre un an sur trois, un an sur deux, au lieu de faire se succéder les cultures pour tirer du sol le plus grand produit. D'ailleurs l'avantage de la rotation n'a pas encore triomphé partout, même en notre temps, de la routine de la jachère.

Le Gouvernement travaillait à améliorer par des croisements le bétail indigène ; il introduisait en France des races étrangères. Turgot fit acheter en Espagne 200 moutons mérinos qui furent envoyés dans les terres de Trudaine de Montigny, en Brie, et de M. de Barbançois en Berry. Ce dernier avait en 1786 un troupeau de mérinos ou métis mérinos de 3 500 têtes. Un arrêt du Conseil du 15 septembre 1776 avait décidé l'achat à l'étranger de bêtes à cornes et surtout de vaches laitières. Plus tard, on se procura en Allemagne et en Suisse des taureaux, et, en Espagne, des béliers pour remplacer le bétail que le manque de fourrage avait fait périr en 1785. On fit venir d'Espagne 334 brebis et 42 béliers pour la ferme expérimentale créée à Rambouillet en 1786. Des mesures furent prises contre les épizooties. Des arrêts du Conseil en 1774 et en 1775 prescrivirent aux vétérinaires de visiter les fermes et les villages où sévissait une maladie contagieuse, de faire abattre et ensevelir toutes les bêtes malades, de brûler les litières, les pailles, les fumiers des étables contaminées. Les intendants firent exécuter les règlements du Conseil et les leurs. L'ensemble de ces ordonnances est un véritable code de police sanitaire.

Le Gouvernement disposait d'un personnel capable de l'appliquer. Il avait, en 1761, autorisé Bourgelat, directeur de l'école d'équitation de Lyon, à fonder dans cette ville la première école vétérinaire de France ; elle fut érigée trois ans après en école royale. A l'Ecole d'Alfort, créée en 1765, on enseignait la botanique, l'anatomie, la chirurgie, la médecine, la pharmacie et la chimie. Il y avait des élèves civils et des élèves militaires, et même des étrangers de diverses nationalités, attirés par le renom des cours. Arthur Young, qui visita l'école vétérinaire d’Alfort en octobre 1787, y vit une vaste salle bien aménagée pour la dissection des chevaux ; un grand cabinet où sont conservées dans l'esprit-de-vin les parties les plus intéressantes de leur corps, et aussi celles qui montrent l'effet des maladies. Une ferme ou ménagerie avait été adjointe à l'école. On y élevait des animaux domestiques et des animaux sauvages capables d'être domestiqués ou croisés : chèvres et boucs d'Angora, lamas, moutons d'Espagne, étalons et juments choisis dans les haras royaux.

A la fin de l'Ancien Régime, l'agriculture est à la mode. Quelques grands seigneurs, à l'exemple des landlords anglais, cultivent leurs domaines, y élèvent des troupeaux, y créent des manufactures. L'un des premiers, le marquis de Turbilly, au temps de Louis XV, avait cherché à exploiter sa terre de Volandry, non loin de La Flèche, défrichant la lande, drainant les marais, plantant des arbres, élevant des moutons. Sa Pratique des Défrichements, qu'il publia en 1760, faisait autorité. Le duc de Béthune-Charost, dans ses domaines du Berry, au château de Meillant, près de Saint-Amand-Montrond, le duc de Choiseul à Chanteloup, le duc de La Rochefoucauld, à Liancourt en Beauvaisis, Montyon, dans ses terres de Brie, introduisirent des cultures nouvelles, améliorèrent les races indigènes de moutons, de vaches, de chevaux et firent venir d'Angleterre, de Suisse et d'Espagne des animaux plus riches en viande, en lait, en laine ou en force. De grandes dames même, encore assez jeunes pour goûter tous les plaisirs de Paris, s'occupaient d'agriculture. La vicomtesse du Pont, sœur de la duchesse de Liancourt, à Brasseuse, près d'Ermenonville, fait probablement, dit Young, plus de luzerne que qui que ce soit en Europe, 250 arpents.

Lavoisier, propriétaire du domaine de Fréchines, sur la route de Blois à Vendôme, se fit le grand champion de l'agriculture. Elle est, disait-il, la première de toutes les fabriques, et la valeur de ses productions, estimée d'après des évaluations modérées, s'élève à plus de 2 milliards 500 millions. Il regrettait que l'Administration se préoccupât surtout du commerce, qui présentait des opérations plus brillantes, plus propres à illustrer un règne ou un ministère ; c'est pourquoi, pendant que l’agriculture faisait en Angleterre tics progrès rapides, elle est demeurée en France à peu près dans le même état où elle était au commencement de ce siècle ; cette différence est telle, qu’à bonté de terre égale, un arpent en Angleterre rend deux cinquièmes de plus qu'un arpent de même nature en France. Lavoisier recommandait aux capitalistes la culture de la terre :

Un semblable placement d'argent, disait-il à la Société d'Agriculture en 1787, ne présente pas les brillantes spéculations de l'agiotage et du jeu des effets publics, mais il n'est pas accompagné des mêmes risques et des mêmes revers ; les succès qu'on obtient n'arrachent de larmes à personne et sont au contraire accompagnés des bénédictions des pauvres. Un riche propriétaire ne peut faire valoir sa ferme et l'améliorer sans répandre autour de lui l'aisance et le bonheur.

Ces conseils ne furent guère suivis. Sauf quelques grands seigneurs épris d'anglomanie ou de bien public, la noblesse, dit Arthur Young, n'avait pas plus l'idée de se livrer à l’agriculture ou d'en faire un objet de conversation... que de toute autre chose contraire à ses habitudes et à ses occupations journalières. Le vicomte de Noailles disait à l'Assemblée provinciale de l'Ile-de-France, en 1787 :

Les seigneurs possédant de grands biens sont communément détournés des soins de la campagne par le service militaire, par des charges distinguées et des emplois honorifiques.

Les bourgeois aimaient à posséder de la terre ; mais amateurs surtout de rentes et d'offices, ils ne risquaient des expériences qui pouvaient être ruineuses. Les livres sur l'agriculture abondaient ; mais ils étaient écrits souvent par des agriculteurs en chambre, qui ne calculaient jamais le prix d'un changement. Les sociétés d'agriculture étaient des académies qui couronnaient des mémoires, et n'étaient guère en état d'encourager financièrement l'introduction du turnep. La masse paysanne, si difficile à entraîner, se complaisait dans la routine. Malgré la louable bonne volonté de l'administration et de quelques particuliers, les progrès de l'agriculture paraissent avoir été médiocres dans l'ensemble du royaume.

 

III. — L'INDUSTRIE ET LE COMMERCE[6].

L'ADMINISTRATION, au temps de Louis XVI, a continué d'encourager l'industrie par les moyens depuis longtemps employés : les subventions aux entreprises industrielles comme les manufactures de quincaillerie et de taillanderie en Auvergne, les fabriques de gants et de toiles en Dauphiné ; les papeteries à Limoges ; prêts sans intérêts aux fabricants ; distribution gratuite de machines et d'outils. Elle s’est préoccupée de l'éducation industrielle en répandant à profusion des instructions, qui signalaient aux intéressés des procédés nouveaux de fabrication. Elle a créé des enseignements scientifiques industriels au Collège de France et au Jardin du Roi, et fondé des écoles techniques : école royale de dessin en 1776 ; école des mines en 1783 ; école de dessin de Lyon ; école de dessin de Tours, où fut inauguré en 1781 un enseignement de dessin pour tissus de soie. Elle a stimulé l'esprit d'invention en distribuant ou en faisant distribuer au concours, par l'Académie des Sciences, des prix aux inventeurs. Elle a honoré le travail par des récompenses honorifiques. Un règlement du 28 décembre 1777 institue une commission formée du Contrôleur général, de trois conseillers d'État, d'intendants du commerce, de députés et d'inspecteurs du commerce :

Sa Majesté, y est-il dit, désirant entretenir l'émulation par des motifs de gloire et d'honneur, a jugé à propos de fonder un prix annuel en faveur de toutes les personnes qui, en frayant de nouvelles routes à l'industrie nationale, ou en la perfectionnant essentiellement, auront servi l'État et mérité une marque publique de l'approbation de Sa Majesté.

Cette marque serait une médaille d'or ayant à l'avers la tête du roi, et au revers une légende analogue au sujet. Louis XVI conféra à des fabricants l'ordre de Saint-Michel et même la noblesse.

Depuis longtemps, de grands seigneurs s'intéressaient à l'industrie. Au temps de Louis XVI, le comte de Provence protège la faïencerie ; le comte d'Artois fait installer par son trésorier une fabrique de produits chimiques à Javel ; il achète la forge de Ruelle ; le duc d'Orléans crée des verreries à Villers-Cotterêts[7] ; le duc de Larochefoucauld-Liancourt possède une manufacture de toiles et de tissus mêlés, fil et coton ; les Ségur, les Montmorency, les La Vieuville sont actionnaires de la Compagnie des glaces de Saint-Gobain ; le comte de Broglie possède une forge d’acier à Ruffec ; Choiseul, après sa disgrâce, s'occupe d'une aciérie établie à Amboise ; la duchesse de Choiseul-Gouffier établit une manufacture de colon à Heilly ; en Picardie, le marquis de Caulaincourt encourage la fabrication de la mousseline et de la gaze de soie, façon de Hollande. D'autres seigneurs, duc d'Humières, duc d'Aumont, duc de Charost, comte de Flavigny, chevalier de Solages sont pourvus de concessions de mines.

Depuis le milieu du siècle, sous la pression des économistes, un régime de liberté avait commencé de s'introduire dans l'industrie. Trop hâtivement, Turgot avait entrepris de détruire les maîtrises et jurandes, mais, après sa disgrâce, Clugny, son successeur, n'essaya pas de restaurer en son entier le régime ancien de l'industrie. Un édit d'avril 1777 interdit l'organisation corporative du travail en dehors des villes et des faubourgs, et, même dans cette zone limitée, il restreignit le nombre des corporations. Il groupa celles qui se rapprochaient le plus par leurs travaux et qui étaient souvent en conflit de concurrence : orfèvres, batteurs et tireurs d'or ; — fripiers et tailleurs ; — couteliers, armuriers et autres travailleurs de l'acier. Il supprima, en principe du moins, les frais de maîtrise, les présents aux jurés, les banquets de corps.

Quand les métiers eurent été ainsi groupés, le nombre en fut assez restreint : 52 à Paris, 41 à Lyon, ailleurs 25 au maximum, et l'édit portait que le chiffre ne serait pas dépassé à l'avenir. Tous les métiers qui n'étaient pas compris dans ce règlement demeuraient libres.

En 1778, Necker, dans une circulaire aux intendants, réserva aux fabricants qui se soumettraient aux règlements, les plombs et marques attestant officiellement la qualité de la marchandise ; mais il ajoutait :

Quant aux fabricants qui se croiront assez d'intelligence et d'industrie pour imaginer des combinaisons nouvelles ou qui s'en écarteront par système ou par ignorance et conserveront pourtant l'espérance de trouver des acheteurs, ils jouiront d'une entière liberté... Ils devront seulement, pour que l'acheteur soit averti, mettre à leurs étoffes une lisière distincte.

Enfin, dans les lettres patentes du 3 mai 1779, il était dit au préambule :

Considérant cette question dans toute son étendue, nous avons remarqué que, si les règlements sont utiles pour servir de frein à la cupidité mal entendue, et pour assurer la confiance publique, ces mêmes institutions ne devaient pas s'étendre jusqu'au point de circonscrire l'imagination et le génie d'un homme industrieux, et encore moins jusqu'à résister à la succession des modes et à la diversité des goûts.

Le Roi déclarait avoir consulté les chambres de commerce et les diverses personnes versées dans cette matière, et avoir voulu simplifier les nouveaux règlements et les adapter aux temps actuels, aux usages et aux connaissances acquises par l'expérience.

On était donc tout près, à la veille de la Révolution, du régime de la liberté du travail.

En réponse au marquis de Mirabeau, qui dénonçait la misère générale, un statisticien, Messance avait écrit en 1766 : Toutes les personnes instruites conviennent que le commerce a fait des progrès surprenants depuis quarante ans ; que les manufactures du royaume sont présentement beaucoup plus occupées qu'elles ne l'avaient jamais été ; que, malgré le progrès des anciennes fabriques et manufactures, il s'en est introduit dans ce royaume un grand nombre de nouvelles, inconnues à nos pères. Un moment arrêtée par la guerre de Sept Ans, l'industrie reprit sa marche en avant et, sous Louis XVI, malgré quelques heurts, elle l'accéléra. Le rendement des manufactures en 1788, évalué sans preuves par l'inspecteur du commerce Tolozan à 525 millions, aurait été en réalité de 1 milliard ; mais il n'est pas possible d'arriver, dans l'état actuel de nos connaissances, à des évaluations exactes[8].

Les faits particuliers au règne de Louis XVI, sont : l'accroissement du nombre des forges et fonderies. Jusque-là, la France tirait d'Angleterre et d'Allemagne tout l'acier qu'elle consommait ; désormais elle en fabrique dans les aciéries d'Alsace, de Lorraine, de Nantes, et surtout dans la manufacture du sieur Sanche à Amboise, devenue manufacture royale en 1784 ; — le grand développement des industries textiles, et, en particulier, des cotonnades[9]. Mais l'événement le plus considérable fut le triomphe du machinisme.

Au XVIIIe siècle s'est produit en Angleterre un changement dans l'outillage, qui devait bouleverser les conditions du travail et de la production dans le monde entier. Un Anglais, John Kay, avait inventé la navette volante, Fly shuttle, qui permettait de tisser des étoffes plus larges, en allant plus vite ; mais, pour ne pas laisser chômer les tisserands, il fallut trouver un moyen plus rapide de filer. Hargreaves substitua au rouet la Spinning-Jenny qui, quoique mue à la main, faisait le travail de trois rouets. Arkwright découvrit ou retrouva en 1768, après Wyatt, la machine à filer, qu'il imagina de faire mouvoir par l’eau : le Waterframe. Enfin Watt construisit en 1769 la machine à vapeur, que les maîtres de forge substituèrent peu à peu aux moteurs hydrauliques et au travail manuel. Cartwright adapta la vapeur à la machine à tisser en 1785. Au commencement du XIXe siècle, deux métiers à vapeur surveillés par un garçon de quinze ans tisseront trois pièces et demie d'étoffe pendant qu'un ouvrier habile travaillant avec la navette volante en tissait une seule.

De ces inventions, la France eut connaissance par les Anglais eux-mêmes, attirés chez nous par l'amour du gain ou par les promesses du Gouvernement. Celui-ci, sous Louis XV et Louis XVI, chercha à dérober à l'Angleterre ses ouvriers et son outillage. Un de ses agents les plus actifs était le mécanicien Irlandais Holker, mort en 1786, qui installa à Rouen des métiers perfectionnés, et fonda une école de filature de laine à Aumale. Il fournissait les fabricants français de navettes, de calandres et autres instruments nouveaux ; au besoin, il les construisait lui-même. Un autre mécanicien, l'Anglais Alcock, lui aussi habile recruteur d'ouvriers étrangers, installa à La Charité-sur-Loire et à Roanne des fabriques de quincaillerie, une spécialité anglaise. Avec l'aide financière de l'Etat, les sieurs Milne installèrent au château de la Muette des machines cylindriques, pour carder et filer le coton, qui faisaient vingt-quatre fois le travail d'une bonne cardeuse et d'une bonne fileuse.

Le grand industriel gallois, Wilkinson, qui, lui aussi, introduisit en France des inventions d'Angleterre, ne se mit à la solde de personne. Il construisit des soufflets en fer, des tuyaux de fonte de toutes proportions, un pont métallique sur le Severn, un bateau fait de plaques de tôle boulonnées. Le Maître du fer, comme on l'appelait en Angleterre, vint installer dans une île de la Loire, en aval de Nantes, un établissement où il appliqua la méthode inconnue jusque-là en France de fondre des canons massifs pour les roder ensuite. Arthur Young vit, en septembre 1788, l'appareil de Wilkinson, pour quatre canons, mû par des roues hydrauliques, mais on lui montra mieux encore : une machine à vapeur avec un nouvel appareil pour forer sept canons de plus. Wilkinson avait établi aussi en Bourgogne, à Montcenis, une fonderie de canons, qui occupait cinq à six cents ouvriers français sans y comprendre les charbonniers. Cinq machines à vapeur servaient à faire aller les soufflets et à forer, et on en construisait une sixième.

La France avait aussi ses mécaniciens inventeurs parmi lesquels les inventions Vaucanson, mort en 1782, qui fut célèbre par sa fabrication d'automates, mais qui créa aussi des machines pour l'industrie, un métier à tisser, un moulin à organsiner. Mais la France avait beaucoup à apprendre de ses maîtres étrangers. L'éducation se fit lentement. La machine à filer d'Arkwright, qui était connue en France en 1773, ne semble pas avoir attiré l'attention. Ce fut seulement onze ans après qu’un sieur Martin, d'Amiens, obtint le privilège de fabriquer des machines à filer. On devait bientôt voir les conséquences de l’infériorité française.

La machine et la vapeur ont donc fait leur entrée dans le monde du travail. Par elles, se précipitent le progrès de la grande industrie, la substitution de l'usine au petit atelier de famille, celle du grand patron, l'entrepreneur, comme on disait, au petit patron, qui mettait la main à l'œuvre.

Dans le commerce, comme dans l'industrie, le Gouvernement oscilla entre la réglementation et la liberté.

Le commerce intérieur était, comme on sait, entravé par une ligne de douanes intérieures, qui séparait du reste du royaume l'étendue des cinq grosses fermes ; par les douanes particulières d'anciennes provinces françaises restées en dehors de cette étendue, et qui étaient réputées étrangères ; par l'exterritorialité douanière des provinces récemment conquises : Lorraine, Alsace, Trois-Évêchés, que l’on appelait pays d'étranger effectif, et qui étaient fermées du côté de la France et ouvertes du côté de l'étranger. La circulation des marchandises à l'intérieur était en outre grevée de péages et d'octrois. Depuis longtemps les inconvénients de cette organisation étaient signalés et condamnés. Une vérité qu'on ne saurait mettre en doute, écrit Necker, c'est que la séparation de quelques provinces du lien politique et des lois de commerce qui doivent unir toutes les parties du royaume est absolument contraire aux intérêts de l'Etat. — Il faut convenir, dit-il encore, que toute cette constitution est barbare. Mais lorsqu'on voulait supprimer ces douanes intérieures, on se heurtait à des difficultés pratiques ; la réforme des douanes entraînait celle des gabelles ; les revenus de l’État se trouvaient diminués ; on avait à combattre les réclamations de plusieurs provinces. Ni Turgot ni Necker n'avaient osé faire la réforme. Leurs successeurs ressaieront sans plus de succès.

Le commerce intérieur demeura donc très gêné, comme à l’époque antérieure[10]. Cependant le développement du réseau de routes facilita les transports et en diminua les prix. Toutes les grandes villes du royaume étaient désormais reliées entre elles et avec Paris ; le service des Postes, très développé par Turgot et ses successeurs, rendait des services considérables ; on voit se multiplier les entreprises de roulage pour le transport des marchandises. Mais les grands faits nouveaux en matière commerciale, à l’époque de Louis XVI, furent le rétablissement de la Compagnie des Indes et le développement du commerce colonial.

En 1769, comme on l'a vu, la Compagnie des Indes avait été supprimée ; il était permis à tous les Français de trafiquer librement avec l’Inde, à charge seulement de débarquer au retour au port de Lorient. Turgot avait même voulu enlever cette dernière entrave et obtenu du Roi la promesse, qui ne fut pas tenue, de libérer dans trois ans le commerce. Au contraire, en avril 1785, fut créée, au capital de 20 millions, une nouvelle Compagnie des Indes pourvue d'un monopole exclusif du commerce dans tous les pays situés au delà du Cap de Bonne-Espérance, moins l'Ile de France et Bourbon. Cette compagnie, dont le capital fut l'année suivante élevé à 40 millions et le privilège porté de sept ans à quinze ans, arma onze navires de 240 à 822 tonneaux, fonda sept comptoirs aux Iles de France et Bourbon, à Moka, sur les Côtes de Malabar, de Coromandel, du Bengale et en Chine, et y expédia en 1786-87 pour 20 millions environ de marchandises. Elle était en pleine prospérité au début de la Révolution.

Un grand effort pour étendre le domaine colonial, si réduit, de la France, fut fait en même temps : en novembre 1787, Louis XVI traita avec l'Empereur d'Annam, qui lui céda l'archipel de Poulo-Condor, la baie de Tourane, et le droit de commercer dans ses États.

Les îles de France et de Bourbon, où La Bourdonnais avait, pour ainsi dire, créé l’agriculture et le commerce, et l’intendant Poivre, introduit la culture des épices, faisaient avec la France un commerce de 7 millions 300.000 livres. Elles avaient failli trouver un débouché à Madagascar, où l'aventurier Beniowski tenta sans succès de fonder une principauté française.

En Afrique, les comptoirs de Guinée et du Sénégal faisaient le commerce de l’ivoire, de la poudre d'or et de la gomme. Mais, sur toute cette côte, la principale marchandise était les Noirs — le bois d'ébène — qu’on achetait aux roitelets du pays pour les transporter dans les colonies. La Compagnie de la Guyane, fondée en 1777, s'était chargée de coloniser Cayenne, moyennant le privilège exclusif de la traite des Noirs et du commerce de la gomme sur les côtes d'Afrique, depuis le cap Vert jusqu'à la Casamance. Elle ne fit rien en Guyane, perdit le monopole de la traite des nègres et garda seulement le commerce de la gomme dans la rivière du Sénégal. Une autre compagnie, la Compagnie du Sénégal, fondée en 1784, lui succéda dans les mêmes monopoles, du cap Blanc au cap Vert (1786), à charge de transporter tous les ans 400 nègres à Cayenne et de payer les frais d'administration de la colonie.

Sous Louis XVI, le commerce avec les pays barbaresques prit, sauf au Maroc, où il resta stationnaire, un développement qu'il n'avait jamais atteint. D'un million de livres en 1740, il passa en 1788 à 6.216.000 livres, sans compter le blé, le principal article des exportations indigènes.

Presque tout ce trafic avait été accaparé par les Marseillais. La Chambre de commerce de Marseille avait toute autorité sur la Compagnie royale d'Afrique, qui avait le monopole du commerce avec les comptoirs français du Nord de l'Afrique, et celui de la pêche du corail, depuis l'îlot de Tabarque jusqu'à la frontière de la Tripolitaine. Cette Compagnie, créée par édit royal du 22 février 1741, était, depuis la réorganisation de 1767, administrée par l'Inspecteur du commerce du Levant et un Directeur, auxquels avaient été adjoints cinq membres de la Chambre de commerce. Des 1 200 actions entre lesquelles se répartissait son capital de 1 million 200.000 livres, le tiers était aux mains des Marseillais. En 1789, elle avait distribué à ses actionnaires 1 900.000 livres de dividendes et elle disposait d'une réserve liquide de 2 883.000 livres. C'était de toutes les compagnies à monopole la seule qui eût fait de brillantes affaires ; elle le devait à la direction intelligente de la Chambre de commerce.

La situation n'était pas aussi bonne dans le Levant. Marseille y importait les draps du Languedoc, la verroterie de Rouen, les quincailleries du Forez, la cassonade des Antilles ; elle en exportait les cuirs verts pour les tanneries de Provence et du Languedoc, la gomme arabique, l'encens, les drogues médicinales, les tapis de Perse, les raisins de Damas. Mais les draps du Languedoc, qui faisaient la plus grosse part des importations, tombèrent en un tel décri dans les Échelles qu'en 1784, 6.000 ballots restèrent pour compte à Marseille et que le nombre de pièces vendues, qui était monté en 1776 à 103.812, chiffre sans précédent, descendit à 46.255 en 1778 et tomba en 1789 à 25.215. Le fléchissement des draps a dû beaucoup réduire le commerce du Levant.

Marseille, qui était port franc et l’un des grands fournisseurs par voie de terre de la Suisse et de l’Allemagne, aurait eu intérêt à accueillir les négociants étrangers et à devenir un lieu d'échanges international, et, en effet, un édit du 3 mars 1781 avait admis les étrangers à commercer librement en Barbarie et dans le Levant ; mais ce droit leur fut ôté par l’ordonnance du 29 avril 1785.

Le commerce le plus florissant était celui que faisait la métropole avec les colonies. Saint-Domingue, la Guadeloupe, la Martinique, enrichies par la culture du sucre, et les autres Antilles envoyaient en France pour 185 millions de produits, sucre, café, coton, indigo, drogues tinctoriales, et lui achetaient des objets manufacturés, des eaux-de-vie et des comestibles pour 77 millions.

Jamais le commerce colonial n'a été, sous l'ancien régime, aussi actif et aussi prospère qu'au temps de Louis XVI. L'ensemble des échanges entre la France et ses possessions d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, y compris les Antilles, dépassait 300 millions. Nantes, Lorient, Le Havre, Marseille et surtout Bordeaux s'enrichissaient du bénéfice de cet immense trafic.

La rupture des États-Unis avec l'Angleterre fut très avantageuse aux Antilles françaises, en transformant en commerce régulier les relations de contrebande qu'elles avaient avec les colons anglo-américains. En janvier 1778, Vergennes avait conclu avec les États-Unis un traité d'amitié et de commerce, et il engageait les Américains à venir dans les ports français composer des assortiments de marchandises. Un règlement du Conseil les autorisa à aller échanger, dans les entrepôts des îles françaises, leurs produits contre ceux de France.

Des considérations diplomatiques et quelque préférence pour les doctrines physiocratiques disposaient Vergennes à la pratique de la liberté commerciale. Ce ministre pensait consolider la paix entre les puissances par la multiplication des échanges et la solidarité des intérêts. En juillet 178-4, il céda à la Suède l'île de Saint-Barthélemy, dans les petites Antilles, contre la confirmation au commerce français de l'entrepôt de Gothembourg. En 1787, il se rapprocha de la Russie par la signature d'un traité de commerce. Il conclut enfin un traité de commerce avec l'Angleterre en 1786, pour consolider la paix de Versailles.

A la guerre de tarifs ou même d'interdiction que les deux pays s'étaient faite au cours du siècle, il voulut substituer un accord basé sur des concessions réciproques et sur l'abaissement des droits. La France étant un pays agricole, et l'Angleterre devenant un pays manufacturier, il trouvait juste de les rapprocher, en accordant aux objets manufacturés anglais à leur entrée en France des avantages équivalents à ceux dont jouiraient les produits du sol français à leur entrée en Angleterre. D'ailleurs, nulle prohibition contre quelque marchandise que ce fût ne devait être maintenue. C'était la condamnation du régime douanier en vigueur et la manifestation d'une politique libre-échangiste. Mais les Anglais s'assurèrent le bénéfice de l'accord. Le commissaire anglais, sir William Eden, ancien Vice-trésorier d'Irlande et membre du Bureau du Commerce (Board of Trade), connaissait bien l'industrie anglaise, et il prit la peine de se renseigner sur la nôtre. Il maintint les droits très élevés sur les marchandises françaises capables de faire concurrence aux anglaises sur leur propre marché, et ne consentit à des réductions sur les produits agricoles français entrant en Angleterre qu'à condition d'un abaissement équivalent sur les marchandises anglaises entrant en France. Quant au commissaire français, Gérard de Rayneval, il était, comme Vergennes, déterminé par des raisons diplomatiques et des principes économiques. L'intérêt que l'on doit prendre à l'industrie, disait-il, doit être subordonné à l'intérêt de l'agriculture. Le Gouvernement, pour éviter les remontrances des Chambres de commerce, ne les avait pas consultées.

Aussi le traité qui fut signé le 26 septembre 1786 était-il avantageux surtout à l'Angleterre. Les vins de France, il est vrai, étaient taxés comme les vins du Portugal, 46 l. st., au lieu de 98 l. st. auparavant ; les droits sur les vinaigres étaient abaissés de 67 l. st. à 32 par tonneau, et ceux sur les eaux-de-vie de 9 à 7 l. st. par gallon, mais c'étaient toutes les concessions faites par les Anglais. Ils taxèrent à 12 p. 100 de leur valeur les articles de mode et de luxe, les porcelaines et les glaces de France, dont Eden disait, pour décider Rayneval à accepter ce tarif élevé, que, quel que fût leur prix, ils s'imposeraient à la clientèle anglaise. Ils refusèrent de comprendre les soieries dans les articles du traité, se réservant de les imposer comme et quand il leur plairait. Les cotons, les lainages, la bonneterie étaient réciproquement assujettis à un droit d'entrée de 12 p. 100 ; mais l’Angleterre, mieux outillée et capable de produire ces marchandises à plus bas prix, était à l’abri de la concurrence de la France, tandis que la France avait tout à craindre de la sienne. Comme compensation au dégrèvement des vins, les spécialités de l'industrie métallurgique anglaise, quincaillerie, ouvrages gros et menus de fer, d'acier, de cuivre, d'airain, ne payeraient plus que 10 p. 100 à leur entrée en France.

Les Anglais, poussant à bout leur avantage, appliquèrent les clauses du traité en toute rigueur ; en France, les agents des fermes, par négligence ou par ignorance, admirent les produits anglais au prix de leur valeur déclarée, qui était souvent inférieure à leur valeur réelle, réduisant ainsi les droits d'entrée de 12 à 3 et même à 2 p. 100.

Cependant le traité fut aussi mal accueilli en Angleterre qu'en France, chaque peuple trouvant que l'autre avait été favorisé. Mais les industriels français seuls pouvaient légitimement reprocher à Vergennes et à ses négociateurs d'avoir sacrifié leurs intérêts au désir d'assurer la paix avec l'Angleterre. Les Chambres de commerce protestèrent ou contre le traité ou contre l'interprétation rigoureuse qu'en faisait la douane anglaise ; les Lyonnais crièrent à la trahison. Mais le traité fut, comme l'espéraient Vergennes et Rayneval, avantageux à l'agriculture. L'inspecteur du commerce Dupont de Nemours, dans une brochure anonyme, montra que, dans les huit mois qui suivirent la signature du traité, l'exportation des vins de France avait augmenté de 20.000 barriques, c'est-à-dire quadruplé, que celle des eaux-de-vie et des vinaigres avait triplé. Mais Roland de la Platière, inspecteur des manufactures, comparait le traité de 1786 à la révocation de l'Édit de Nantes.

L'industrie française fut rudement éprouvée, mais c'était peut-être pour son bien. Elle fit effort, à ce qu'il semble, pour lutter contre la concurrence anglaise, pour perfectionner ses méthodes, changer son outillage et se rendre capable de produire à aussi bon marché que les Anglais. Les importations françaises en Angleterre, qui étaient en 1787 de 37 millions, montèrent en 1792 à 59 millions. Il est vrai que les importations anglaises en France passèrent dans le même temps de 48 à 86 millions. La balance du commerce restait donc en faveur de l'Angleterre de 27 millions ; mais, sur cette différence, pour combien fallait-il compter la houille[11] et les matières premières que rendaient nécessaire la transformation de l’outillage et le travail des manufactures ? Ces chiffres qu'où cite pour prouver le déclin de l'industrie française ne prouveraient-ils pas, tout bien considéré, un réveil de son activité ? Ainsi pensait le député Goudard, dans le rapport présenté à l'Assemblée constituante le 24 août 1791, au nom des Comités d'agriculture et du commerce :

On avait prétendu, disait-il, que le traité de commerce avec l'Angleterre anéantirait notre commerce et nos manufactures. U est positif aujourd'hui qu'il les a régénérées, que notre commerce n'a jamais été plus prospère ni nos manufactures plus florissantes, qu'elles imitent les manufactures anglaises que les prix de revient sont plus bas et que de nouveaux débouchés s'ouvrent chaque jour pour elles.

Seulement les premiers effets du traité de Londres avaient été désastreux pour plusieurs industries ; ils amenèrent une crise ouvrière qui sera, comme on verra, un des prodromes de la Révolution.

En somme, vers l'année 1789, le commerce français était en progrès dans toute l'Europe, sauf en Espagne, où l'industrie nationale cherchait à s'organiser, et en Hollande, que l'embarras de ses finances obligeait à se restreindre. En 1787, il était en avance d'environ 100 millions sur la fin du règne de Louis XV. Le chiffre total des importations et des exportations, y compris les colonies, atteignait, en 1789, 1 milliard 153 millions. Les importations consistaient en matières premières, rainerais ou laines, marchandises, huiles d'olive, blés et poissons, épices venant des colonies ou des autres pays tropicaux. Les exportations étaient pour les 30 % des produits agricoles, du bétail et, pour le reste, des objets manufacturés, soieries, lingerie fine, draperies, articles de mode. De tous les pays du monde il n'en était pas, sauf l'Angleterre, de plus prospère que la France. Il faudra attendre 1835 pour que l'ensemble des échanges remonte au chiffre de l'année 1789.

 

 

 



[1] SOURCES. Procès-verbaux de l'administration générale de l’agriculture au contrôle général des finances, p. p. Pigeonneau et de Foville, Paris, 1882. Lavoisier, Œuvres économiques, p. p. Grimaux, au t. VI de ses Œuvres, Paris, 1893. Les Procès-verbaux des différentes assemblées provinciales (Bibl. Nat., LK18). Sénac de Meilhan, Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution, Hambourg, 1795. De Marivetz et Groussier, Système général des navigations de l'intérieur de la France, Paris, 1788. Les documents publiés au t. III de l'édition russe d'Ardascheff, et dans Vignon, cités ci-dessous.

OUVRAGES A CONSULTER. Ardascheff, Les intendants de province sous Louis XVI, trad. du russe par Jousserandot, Paris, 1909. Grimaux, Lavoisier d'après ses manuscrits, Paris, 1899. Legrand, Sénac de Meilhan et l'intendance de Hainaut sous Louis XVI, Paris, 1868. D'Arbois de Jubainville, L'administration des intendants d'après les Archives de l'Aube, Paris, 1880. F. Dumas, La généralité de Tours au XVIIIe siècle ; administration de l'intendant Du Cluzel (1766-1783), Paris, 1894. Pagel, L'intendant d'Etigny et l'agriculture (Bull. de la Soc. archéol. du Gers, 1901). Schelle, Dupont de Nemours, Paris, 1888. Guimbaud, Auget de Montyon, Paris, 1910. Ferdinand-Dreyfus, La Rochefoucauld-Liancourt, Paris, 1903.

Vignon, Études historiques sur l'administration des voies publiques, 4 vol., Paris, 1862-1881. Debauve, Les travaux publics et les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées depuis le XVIIe siècle, Paris, 1893. Des Cilleuls, Origine et développement des travaux publics en France, Paris, 1896. Letaconnoux, Les transports en France au XVIIIe siècle, dans la Rev. d'Hist. mod., 1908, (abondante bibliographie). E.-P. Clément, La corvée des chemins en France et spécialement en Poitou (1751-1790), Poitiers, 1899.

[2] Il ne faut pas confondre ces assemblées consultatives avec les municipalités établies partout en 1787 et qui donnèrent aux communautés de village une constitution organique.

[3] SOURCES. Procès-verbaux de l'administration de l'agriculture : procès-verbaux des Assemblées provinciales. Œuvres de Lavoisier ; A. Young, indiqués ci-dessus. Recueil contenant les délibérations de la société royale d'agriculture de Paris, Paris, 1783. Rigby, Lettres de France en 1789, trad. de l'anglais par Caillet, Paris, 1909. Montlosier, Mémoires, t. I, 1830.

OUVRAGES A CONSULTER.  Kovalewski. La France économique et sociale à la veille de la Révolution, t. I, 1909. Levasseur, Des progrès de l'agriculture française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (Rev. d'écon. polit., 1898). Brégail, La Société d'agriculture d'Auch (Rev. de Gascogne, 1898). Leroux, La société d'agriculture de la généralité de Limoges (Bull, de la Soc. agricole du Limousin), 1902. Marion, Etat des classes rurales au XVIIIe siècle dans la généralité de Bordeaux, 1902. Sée, Les classes rurales en Bretagne du XVIe siècle à la Révolution, 1906. Sion, Les paysans de la Normandie orientale, Paris, 1909. Béthouard, Histoire du blé dans la Beauce, 1888. Lefeuvre, Les communs en Bretagne à la fin de l'Ancien Régime, Rennes, 1907.

[4] Parmi les curés agronomes était le curé d'Embermesnil, l'abbé Grégoire. Tout l'Ordre des Génovéfains fut pour ainsi dire affilié au Comité par le Procureur général de l'Ordre, le chanoine Lefèvre.

[5] Il est intéressant de remarquer qu'en Angleterre, au XVIIIe siècle aussi, eut lieu une immense opération agraire. Les grands propriétaires fonciers firent voter par le Parlement, où ils étaient tout-puissants, un nouveau lotissement et une redistribution d'immenses étendues de terres dites open fields, divisées en rectangles que séparait le plus souvent un simple ruban de gazon et qui étaient si étroits qu'il fallait nécessairement les cultiver en commun et permettre après la récolte, seule opération de propriété individuelle, le pacage en commun des troupeaux de tous les propriétaires de l'open field. Ce régime de collectivisme partiel était favorable aux petits propriétaires, qui profitaient de l’outillage commun, et aux journaliers, qui liraient des communaux et des bois de l'open field un supplément de ressources, mais il gênait les grands propriétaires, possesseurs d'un très grand nombre de lots, souvent très éloignés, et qui n'avaient pas intérêt à bien cultiver. Des commissaires du Parlement redivisèrent et redistribuèrent les terres ; ils réunirent les lots dispersés, fixèrent à chacun sa part, permirent les clôtures, abolirent la culture et la pâture communes. Les communaux furent aussi divisés entre les propriétaires au prorata de l'étendue de chaque propriété et du nombre de tètes de bétail. Les grands propriétaires purent à leur gré faire de la culture intensive et de l'élevage. Les petits, réduits à leur maigre outillage, vendirent leurs champs ou se ruinèrent. La classe des petits propriétaires acheva de disparaître, la grande propriété s'étendit encore. Les journaliers, réduits à des salaires de famine, allèrent grossir le prolétariat des villes industrielles.

[6] SOURCES. Inventaire analytique des procès-verbaux du Conseil de commerce, p. p. Bonnassieux et Lelong. Paris, 1900. Encyclopédie méthodique, parties Arts et Manufactures (par Roland de la Platière) et Commerce, Paris, 1789. Gournay, Tableau général du Commerce, 1789. Tolozan, Mémoire sur le commerce de la France, 1789. Magnien et Deu, Dictionnaire des productions... qui font l'objet du commerce de la France, Paris, 1809, 3 vol. Bibliothèque physico-économique, 1782-83, 19 vol. Arnould, Système maritime et politique des Européens pendant le XVIIIe siècle, Paris, 1797. Id., De la balance du commerce, Paris, 1790, 2 vol. Correspondance de Buffon.

OUVRAGES A CONSULTER. Des Cilleuls, Histoire et régime de la grande industrie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1898. Mantoux, La révolution industrielle au XVIIIe siècle. Essai sur les commencements de la grande industrie moderne en Angleterre, Paris, 1906. G. Martin, Les Associations ouvrières au XVIIIe siècle, Paris, 1900. Schmidt, La crise industrielle en 1788 (Revue historique, 1908). Boissonnade, Essai sur l'organisation du travail en Poitou, Paris, 1S99, 2 vol. Bonnassieux, Les Grandes Compagnies de commerce, Paris, 1892. Weber, La Compagnie française des Indes (1604-1875), Paris, 1904. E. Dumas, Étude sur le traité de commerce de 1786 entre la France et l'Angleterre, Toulouse, 1904. C. Bloch, Le traité de commerce de 1786, dans le Bull. économique et social, 1908. Frémy, Histoire de la manufacture royale des glaces de France, Paris, 1909. Labouchère, Oberkampf, Paris, 1878. Garnault, Le commerce rochelais au XVIIIe siècle, 1887-88, 2 vol. Une bibliographie détaillée est donnée dans G. Martin, Hist. de l'industrie en France avant 1789, Paris, s. d.

Voir Hist. de France, VIII, 1, le livre IV, l'Economie sociale. M. Levasseur, dans l’Histoire des classes ouvrières, 1re éd., II, p. 671, constate que la répartition géographique (de l'industrie) n’a pas changé d'une manière très sensible dans le cours du XVIIIe siècle. Voir aussi Hist. de France, VIII, 2, le chapitre V du livre III.

[7] Ces faits sont empruntés à un ouvrage manuscrit de M. P. Boissonnade, Le régime des manufactures royales de France avant 1789.

[8] Des procès-verbaux d'Assemblées provinciales donnent des renseignements précis. Par exemple un rapport fait en novembre 1787 à l'Assemblée provinciale de Haute-Normandie calcule que l'on fabrique annuellement dans la généralité de Rouen environ 500.000 pièces de toiles et toileries de coton, d'une valeur de 45 à 50 millions, et, à Rouen et aux environs. 86000 douzaines de bonnets ou de paires de bas de coton, d’une valeur de 1.800.000 livres ; 34.000 pièces d'étoffes de laine (draps, ratines, etc.), d'une valeur de 20.000.000 de livres. On fabriquait aussi dans la généralité des toiles de lin, à Rouen, Fécamp, Lisieux. La faïencerie occupait à Rouen beaucoup d'ouvriers. La valeur totale de la production manufacturée est évaluée pour la généralité à 90 millions par an.

[9] La prospérité des industries d'art et de luxe s'est maintenue : les produits des manufactures de porcelaines de Sèvres, des manufactures de tapisseries et tentures des Gobelins, de la Savonnerie, de Beauvais ; delà manufacture de glaces de Saint-Gobain avec ses succursales de Tourlaville près Cherbourg et de Paris ; des fabriques de cristaux, ou Baccarat commence à se distinguer ; des faïenceries de Rouen, Nevers, Lunéville. Marseille, Moustier, sont recherchés dans toute l’Europe. — On parlera plus loin de l’art du mobilier. — La valeur annuelle de la production de la soie, dont Lyon est le marché principal, est estimée à 125 millions par Tolozan. En 1789. Il a été vendu pour 10 millions de dentelles.

[10] Le commerce des grains est resté soumis à la réglementation administrative, visant à éviter les disettes. L'exportation est tantôt permise, tantôt défendue, suivant l'abondance ou l'insuffisance des récoltes ; des primes sont parfois données à l'importation. En 1788, la récolte ayant été mauvaise. Necker renouvelle les anciennes prescriptions contre l'exportation el les accaparements: on verra que le résultat de ces mesures fut de propager l'inquiétude dans tout le royaume, et de faire serrer les grains par les cultivateurs. Les prix, dit Young, s'élevèrent, et quand ils s'élèvent en France, il s'ensuit immédiatement des malheurs : la violence de la populace rend le commerce intérieur dangereux.

[11] L'importation de la houille, de 1787 à 1789, dépassa 400.000 tonnes, dont 188 pour la seule année 1788. (Des Cilleuls, Histoire et régime de la grande industrie en France, p. 38.)