HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — L'ÉPOQUE DE MADAME DE POMPADOUR, DE MACHAULT ET DU DUC DE CHOISEUL.

CHAPITRE VI. — LES DERNIÈRES ANNÉES DU MINISTÈRE CHOISEUL (1763-1770)[1].

 

 

I. — ADMINISTRATION MILITAIRE, MARITIME ET COLONIALE DE CHOISEUL.

PENDANT que la monarchie se débattait contre de si grandes difficultés, un bel effort était fait pour restaurer les forces de terre et de mer et pour vivifier le domaine colonial de la France.

Le mérite en revient à Choiseul. Le principal ministre, ayant à diriger la politique générale et la Marine en même temps que la Guerre, et n'étant pas un militaire de profession, eut recours à des collaborateurs qu'il choisit très bien. Il trouva, dit Besenval, mille secours dans l'enthousiasme qu'il inspira à plusieurs personnes éclairées, qui lui dévouèrent et leurs soins et leurs veilles, autant par attrait pour lui que par désir de servir leur pays.

Dès qu'on eut signé les préliminaires de la paix avec l'Angleterre, Choiseul, par l'ordonnance du 10 décembre 1769, commença de réformer l'armée. Il fallait bien faire des économies, mais il fallait aussi que les effectifs pussent être, à un moment donné, rapidement accrus, et l'armée mise en état d'entrer promptement en campagne. Il fut donc ordonné qu'en cas de guerre les levées seraient versées dans les corps existants, sans qu'il fût créé de nouveaux états-majors.

En même temps, on réduisit le nombre des officiers. Au début de la guerre il avait fallu les multiplier et accepter comme officiers beaucoup de roturiers. En 1763, Choiseul licencia des régiments, et ordonna aux colonels de chaque régiment de congédier des officiers ; es roturiers furent sacrifiés les premiers. Il y eut parmi eux des résistances. Un sieur Lantier, fils d'un riche négociant de Marseille, lieutenant au régiment de l'Île-de-France, ayant été congédié par le colonel marquis de Grenolle, fit intervenir auprès de Choiseul l'évêque d'Orléans et le maréchal de camp de La Roque. Choiseul se serait laissé aller à conserver Lantier, mais le colonel de Grenolle écrivit :

Le plus réel privilège qui reste à la noblesse est l'état militaire ; il est fait pour elle ; lorsque des sujets, faits pour un autre état, occupent la place des gentilshommes, c'est une contravention à la règle établie par le souverain... Le militaire doit être composé de la partie la plus pure de la nation, des gens faits pour avoir des sentiments.

Le sieur Lantier ne resta pas au régiment.

Mais des officiers nobles de la noblesse provinciale furent aussi remerciés. Des colonels perdirent les fonds qu'ils avaient empruntés pour acheter un régiment et des capitaines et des lieutenants le prix de leurs charges. Beaucoup tombèrent dans la misère. On leur donnait en compensation des pensions illusoires souvent, à cause de l'irrégularité des paiements. Un capitaine de grenadiers écrit à Choiseul en 1763 :

Pour me soutenir je fus obligé de vendre mon épée à monture d'argent, ainsi que ma montre.... Je demande à servir partout où le ministre voudra me faire la grâce de m'employer. Je ne désire rien que de travailler pour avoir du pain.

Un chevalier du Muy, qui commande en Flandre, écrit au ministre au sujet d'un ancien capitaine :

Cet officier n'a pas de quoi acheter du pain qui fait sa seule nourriture.... Je viens de lui donner 50 écus pour passer une partie de l'hiver en lui disant que c'était une gratification de la Cour, afin de lui éviter l'humiliation de le recevoir de moi. Il demande une des compagnies vacantes dans le régiment provincial de Lille....

Un lieutenant-colonel reçoit de l'évêque de Soissons, pour lui, sa femme et sa fille, trente livres de pain et douze livres de viande par semaine ; les deux femmes n'osent pas aller à la messe parce qu'elles sont sans vêtements.

Les officiers qui demeurèrent en activité eurent souvent bien de la peine, eu égard à la hausse de toutes choses, à s'équiper et à vivre ; un lieutenant avait 900 livres d'appointements, un sous-lieutenant 600, et parfois ils étaient menacés de ne plus être payés. En 1772 on racontera que l'abbé Terray a proposé au Conseil de supprimer les appointements des officiers. Tous étaient mécontents. La noblesse pauvre n'avait pas d'autre carrière à suivre que le service du Roi, et ce service la ruinait.

Le Gouvernement essaye de lui donner quelques satisfactions. L'École militaire créée par le comte d'Argenson entretenait gratuitement 500 fils de gentilshommes. Choiseul convertit le collège de La Flèche, d'où les Jésuites avaient été expulsés en 1762, en une école préparatoire dont les élèves les plus distingués devaient être appelés à l'École militaire de Paris, et il l'ouvrit aux fils des nobles. En vertu de l'ordonnance du 7 avril 1764, on pouvait entrer à La Flèche de huit à onze ans ; il y avait 250 places.

Choiseul aurait voulu empêcher les colonels et las capitaines d'exploiter les régiments et les compagnies comme des fermes, mais la vénalité des grades rendait son projet en partie irréalisable. Les colonels vendaient certains grades au plus offrant. Au début de la guerre de Sept Ans, on avait créé un grand nombre de compagnies dans les régiments d'infanterie, et le colonel du régiment de Piémont s'était acquis une célébrité à vendre les compagnies et les lieutenances. Un correspondant du Secrétaire d'État de la Guerre lui écrivait en 1758 que, dans ce régiment, les grades se vendaient comme la viande de boucherie. Les abus de la vénalité, qu'avait naguère combattus Louvois, avaient tous reparu.

Les colonels sortaient pour la plupart de la noblesse de Cour, et commençaient à commander des régiments à rage do vingt-trois ans, souvent plus jeunes. Durant la guerre de Sept Ans, l'inexpérience des colonels et le train luxueux qu'ils menaient avaient frappé tout le monde. Étant Secrétaire d'État de la Guerre, Belle-Isle, par l'ordonnance du 22 mai 1759, avait établi que l'on ne pourrait plus être colonel qu'après avoir servi sept ans, dont cinq comme capitaine. Choiseul ne fit pas respecter l'ordonnance à la rigueur, mais c'est du moins de son ministère que date la disparition des colonels à la bavette. Il ne diminua pas le nombre des colonels, l'accrut plutôt, pour se faire une clientèle de noblesse ; car, à la fin du règne de Louis XV, pour 163 régiments il n'y avait pas moins de 8 à 900 colonels pourvus, sinon d'emplois, du moins de commissions.

Par l'ordonnance du 10 décembre 1762, Choiseul décida qu'aucun régiment ne porterait plus le nom de son colonel ; que tous recevraient des noms permanents, des noms de provinces. Il donna part dans l'administration des régiments aux majors et aux capitaines-trésoriers, nommés les uns et es autres par le Roi. Dans chaque régiment l'argent de la solde et de la masse fut remis au trésorier et versé en sa présence dans une caisse à trois serrures ; le colonel, le major et le trésorier ayant chacun leur clef, la caisse ne s'ouvrait que si les trois personnages ou leurs représentants étaient présents. Pour tous fonds déposés ou pris dans la caisse, on établissait chaque mois trois états : l'un était envoyé au Secrétaire d'État ; le major en prenait un autre ; le trésorier conservait le troisième. La coopération du colonel, du major et du trésorier fut le premier essai des conseils d'administration des régiments.

A l'égard des capitaines, l'ordonnance du 10 décembre 1762 disposa :

Les capitaines de tous les régiments de l'infanterie française seront à l'avenir déchargés du soin de faire les recrues, l'intention du Roi étant de leur faire fournir toutes celles dont ils auront besoin.... Sa Majesté fera pareillement fournir à l'avenir l'armement...

Les capitaines, qui perdaient les bénéfices sur les levées ou l'entretien de leurs hommes, furent indemnisés par l'augmentation de leurs appointements, qui étaient d'abord de 1.700 livres et sont, dans l'ordonnance de 1762, fixés à 2.000 livres.

Choiseul exigea des officiers qu'ils fussent instruits. Il fit enseigner aux jeunes gentilshommes de l'école de La Flèche les langues française et latine, l'histoire, la géographie, les mathématiques, le dessin, l'escrime. Il voulut qu'avant d'être officier on eût la connaissance pratique du service du sous-officier et du service du soldat, qu'on eût servi comme cadet dans une compagnie.

Il établit dans l'armée une discipline régulière. Le colonel dut résider auprès de son régiment, et fut placé sous la surveillance d'un officier général qui, tous les six mois, rendait compte au Secrétaire d'État de la tenue, de l'instruction et de la conduite militaire du régiment. Le major dut remplir toute sa fonction, qui consistait dans la police, la discipline, la tenue et les exercices ; il devait aussi, sous peine d'être cassé, informer le Secrétaire d'État de la Guerre des changements qu'on aurait introduits dans le régiment. Il fut établi par l'officier général chargé des inspections un contrôle de tous les officiers, contenant leurs noms, surnoms, les lieux de leur naissance, le détail de leur service, l'époque de leurs différents grades, leurs blessures, leurs mœurs, leurs talents, et aussi un état des dettes du régiment et des dettes personnelles de chaque officier.

Les autres réformes eurent surtout le soldat pour objet. Choiseul confia le recrutement à des sergents recruteurs, et paya directement le prix des engagements. Par l'ordonnance du 1er février 1763 et par celle de mai 1766, il fut interdit d'admettre des volontaires au-dessous de seize ans en temps de paix, au-dessous de dix-huit en temps de guerre et d'admettre personne au delà de cinquante ans. Le soldat sera nourri, équipé, armé par le Roi ; les fonds seront versés à chaque régiment qui en rendra compte. C'était supprimer les entrepreneurs de fournitures et remplacer l'entreprise par la régie. Il fut ordonné aux capitaines de s'assurer que les soldats étaient bien nourris, sous peine de répression sévère pour toute négligence à ce sujet. L'état des uniformes des régiments fut fixé, et défense faite aux colonels d'y introduire ou laisser introduire aucun changement.

La fabrication des armes, l'approvisionnement des magasins, l'organisation de la remonte, l'organisation des ambulances furent réglés. Pour assurer l'instruction technique de l'armée, un certain nombre de régiments devaient être conduits tous les ans au camp de Compiègne, dont on voulait faire quelque chose d'analogue aux camps d'instruction de Frédéric II. Une ordonnance du 1er mai 1768 réglementa le service des places. La législation militaire entra dans les plus petits détails ; elle détermina jusqu'à la manière dont les soldats devaient arranger leurs cheveux ; il fut défendu aux cavaliers de les tresser en queues démesurées et de se mettre à 7 ou 8 à coiffer un camarade.

La réforme de l'artillerie fut un des principaux soins de Choiseul. Ici le grand collaborateur était Gribeauval.

Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, né en 1715, entré comme volontaire dans le régiment de Royal-Artillerie en 1732, capitaine du corps des mineurs en 1752, envoyé en mission en Prusse par le comte d'Argenson à l'effet d'étudier l'artillerie légère des Prussiens, lieutenant-colonel en 1757, passa au service de l'impératrice Marie-Thérèse avec l'agrément de Louis XV, coopéra en 1758 à la prise de Glatz en Silésie, et défendit si bien Schweidnitz contre Frédéric, en 1762, que celui-ci n'y serait pas entré sans une explosion de magasins à poudre qui mit la place hors d'état de soutenir un assaut. La paix faite, Choiseul rappela Gribeauval, le fit maréchal de camp, inspecteur général d'artillerie. Gribeauval proposa alors de renouveler tout le matériel des canons.

En France régnait le système Vallière, qui devait son nom à Jean-Florent de Vallière, officier d'artillerie d'assez grande notoriété au temps de Louis XIV[2], directeur général de l'artillerie en 1720. Vallière avait établi l'uniformité des calibres, et, par l'ordonnance de 1732, réglé l'organisation du corps de l'artillerie, de ses écoles et de ses exercices. Son fils, le marquis de Vallière, directeur général de l'artillerie et du génie depuis 1747, était persuadé qu'il n'y avait rien à changer à l'œuvre de son père. Le système remontait cependant à une époque où les canons étaient surtout employés dans l'attaque et la défense des places. Or, les guerres récentes avaient prouvé que l'artillerie pouvait faire gagner des batailles ; les Français lui devaient d'avoir vaincu à Fontenoy et à Raucoux. Mais, pour traîner des canons partout où donnent les troupes, il fallait les alléger.

Gribeauval fit comprendre que l'artillerie devait varier ses engins en raison des besoins de la guerre et qu'il fallait créer un matériel distinct pour chacun des services de campagne, de siège, de place, ou de côte. Pour alléger les pièces il les raccourcit, remplaça les essieux en bois par des essieux en fer ; pour les rendre plus rapidement mobiles, il augmenta la hauteur des roues de leurs avant-trains. Son système, adopté en 1765, devait être en usage jusqu'en 1825.

Sa réforme rencontra des adversaires : Vallière fils, les écrivains militaires Saint-Auban et Dupuget, les académiciens de Tressan et Buffon qui soutenaient que raccourcir les pièces, c'était en diminuer la portée, la justesse, la solidité. Mais l'expérience donna raison à Gribeauval. Lors de la conquête de la Corse, les artilleurs conduisirent sans peine leurs pièces sur des hauteurs escarpées. Quand Choiseul fut disgracié. Gribeauval fut mis à l'écart ; il reprendra sa réforme sous Louis XVI.

Au XVIIe siècle, les fonderies des ports de Toulon, Rochefort et Brest, celles de Strasbourg, de Douai et de l'Arsenal de Paris étaient les seules dont le Roi eût l'entière propriété ; partout ailleurs il se contentait d'exercer une certaine surveillance par ses agents. Au XVIIIe siècle, et surtout à partir du ministère Choiseul, l'État acquit un assez grand nombre de manufactures particulières, en créa de nouvelles, y introduisit les procédés de fabrication les plus perfectionnés, et forma un remarquable personnel d'ouvriers. Les manufactures de Saint-Étienne, Charleville, Maubeuge, Klingenthal devinrent établissements du Roi ; et de même les fonderies de canons de Ruelle, Indret, Montcenis, Saint-Germain, Lyon et Perpignan, les fabriques d'ancres et de poudres de Cosne et du Ripault.

Choiseul entra au ministère de la Marine en 1761 ; il en sortit en avril 1766, mais il fut remplacé par son cousin Choiseul-Praslin qui demeura en communauté d'idées avec lui.

Dans un Mémoire présenté au Roi en 1765, Choiseul a donné l'état de la Marine au moment où il succéda à Berryer :

(A Brest), le peu qui restait dans les magasins était à l'encan ; l'on n'avait pas de quoi ni radouber, ni équiper les bâtiments qui avaient échappé au combat de M. de Contiens. Le port de Toulon n'était pas mieux que celui de Brest depuis le combat de M. de La Glue ; les vaisseaux étaient abandonnés, les magasins vides ; la marine devait partout et n'avait pas un sou de crédit.

Le Roi ne possédait plus que 44 vaisseaux de ligne tant bons que mauvais et 10 frégates. Choiseul demanda aux États du Languedoc d'aider le Roi dans la reconstitution des forces navales. Les États décidèrent d'offrir un vaisseau et votèrent l'argent nécessaire ; les États de Bourgogne, de Flandre, d'Artois, le Parlement de Bordeaux, le corps de ville et les six corps de métiers de Paris, la chambre de commerce de Marseille, les fermiers généraux, les receveurs généraux, les régisseurs des postes, les chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit suivirent cet exemple, votèrent des fonds ou se cotisèrent ; le Clergé de France vota un million ; de simples particuliers envoyaient leurs offrandes. Le tout fit, au dire de Choiseul, 14 millions, qui donnèrent quinze vaisseaux de ligne parmi lesquels le Languedoc, la Bourgogne, le Marseillais, le Citoyen, le Saint-Esprit.

La construction de ces vaisseaux ramena la vie dans les chantiers des arsenaux. Les crédits mis à la disposition de Choiseul, d'abord réduits de 20 à 16 millions, furent relevés peu à peu jusqu'à 26 millions et demi, chiffre de 1770.

Choiseul aurait voulu que la France fût toujours en état d'ouvrir les hostilités sur mer avec 80 vaisseaux de ligne, et 45 frégates. Quand il fut disgracié, 64 vaisseaux et 50 frégates étaient prêts à prendre la mer. Il tirait ses bois non seulement du royaume, mais encore d'Italie et de Turquie.

Aux trois arsenaux de Brest, Rochefort, Toulon, Choiseul ajouta un arsenal à Marseille en 1762, et Choiseul-Praslin un arsenal à Lorient en 1770, quand la Compagnie des Indes eut été supprimée.

Choiseul reprit l'idée de Colbert sur l'armée coloniale et remplaça les Compagnies franches qui, depuis Seignelay, faisaient sur la flotte le service de la mousqueterie, par des bataillons d'infanterie de l'armée de terre qui furent affectés en même temps aux colonies. Il espérait établir ainsi, disait-il, l'union des deux armées de terre et de mer ; mais les fantassins ne se prêtèrent pas au service des vaisseaux et souvent désertèrent. C'étaient d'ailleurs presque tous de mauvais soldats, dont les régiments s'étaient volontiers débarrassés. Il était tellement nécessaire d'avoir une force permanente pour défendre les colonies et réduire au minimum l'emploi des troupes royales que Choiseul organisa des milices coloniales[3]. Mais les colons abhorraient les milices ; les plantations souffraient du service qu'elles imposaient ; les chambres d'agriculture des colonies protestèrent contre l'institution, et une espèce de révolte éclata à Saint-Domingue.

Le personnel des officiers et agents de la Marine comprenait quatre catégories : les officiers nobles attachés au service des vaisseaux du Roi, recrutés parmi les gardes de la marine dont il y avait des compagnies-écoles dans les ports de Brest, de Rochefort et de Toulon, et formant ce qu'on appelait le grand corps ; les officiers d'artillerie entrés au service en qualité d'aides d'artillerie, presque tous roturiers ; les intendants de marine et les commissaires et écrivains placés sous leurs ordres ; les officiers des ports soumis à l'autorité des commandants des ports et des intendants, occupés à la construction, au radoub, et sortant le plus souvent de la marine marchande. Des trois dernières catégories nul ne pouvait arriver à la première. Choiseul, qui voyait dans le grand corps beaucoup d'incapables, aurait voulu supprimer les gardes de la marine et recruter le grand corps parmi les officiers d'artillerie de marine, les officiers des ports, même parmi les corsaires et les capitaines-marchands qui s'étaient distingués dans la dernière guerre. Ce fut un soulèvement dans la noblesse, et Choiseul, désapprouvé par le Roi, dut renoncer au projet.

Les officiers de marine demandaient que leur expérience fût mise à profit pour la préparation des forces navales. Choiseul leur donna satisfaction au détriment des bureaux. Tandis que Colbert les avait exclus du détail des arsenaux, il leur ouvrit les arsenaux. L'artillerie de marine, jusque-là sous l'autorité de l'intendant de marine, passa sous celle de l'officier général commandant le port. Les capitaines de vaisseau qui, lorsqu'ils étaient dans les ports, dépendaient auparavant de l'intendant, devinrent les subordonnés directs du commandant. L'intendant n'eut plus de pouvoir qu'en ce qui concernait la plume. Le capitaine du port demeura bien sous ses ordres, mais il fut tenu de rendre compte au commandant, jour par jour, de Eilat des vaisseaux. Les intendants et tout le corps de la plume se plaignirent ; pour les consoler on leur fit porter l'uniforme et on leur donna le titre d'officiers d'administration de la Marine.

Les questions maritimes et navales furent sérieusement étudiées au temps de Choiseul. Le vicomte Bigot de Morogues, commissaire général de l'artillerie, publia en 1763, en le dédiant au Secrétaire d'État, un ouvrage sur la Tactique navale ; deux ans après, Bourdé de Villehuet publia Le Manœuvrier, livre pratique dont l'autorité fut grande sur les officiers qui prirent part à la guerre de l'indépendance américaine. L'Académie de marine, association d'officiers de marine et d'artillerie formée à Brest par Bigot de Morogues, officiellement pourvue d'un règlement par Rouillé, en 1752, réorganisée en 1769 par Choiseul-Praslin, et placée comme toutes les grandes académies sous la protection du Roi, aida à la diffusion des études nautiques. L'hydrographie fut enseignée, non seulement à Paris par Digard de Kerguette, un maitre en la matière, mais dans divers collèges, à Rouen, à La Rochelle, à Toulouse. A côté des écolos d'hydrographie qui, à Brest, à Rochefort, à Toulon, servaient aux gardes de la marine, Choiseul, en 1763, organisa des écoles publiques d'hydrographie.

Choiseul essaya d'organiser l'empire colonial de la France, en le reprenant aux Compagnies. Avant la suppression de la Compagnie des Indes, il se fit donner par elle en 1763 Gorée et les comptoirs de la Gambie et Ouidah dans le golfe de Guinée ; il acheta Dakar. En 1767 il lui reprit les îles de France et de Bourbon avec leurs dépendances, les Seychelles et Sainte-Marie de Madagascar. Après la suppression, les établissements français des Indes passèrent sous le gouvernement direct du Roi ; il y eut au département de la Marine un Bureau des Indes.

L'État substitué aux compagnies[4] va se charger du commerce des nègres, du ravitaillement des colonies et de la peuplade. Choiseul remit en vigueur les ordonnances qui permettaient aux artisans coloniaux de passer maîtres après dix ans de travail, aux juifs et aux protestants de pratiquer leur culte. Suivant l'usage. il lit embarquer pour les colonies des jeunes gens de famille, dont on voulait se débarrasser, des gens sans aveu et des vagabonds[5]. D'excellentes mesures économiques furent prises. Les colonies eurent des chambres de commerce et d'agriculture ; les ports furent agrandis et fortifiés ; Sainte-Lucie et Saint-Nicolas devinrent des ports francs.

Dans l'administration des colonies, comme dans celle de la marine et de la guerre, la pensée dominante de Choiseul fut de préparer la guerre contre les Anglais ; il espérait trouver une occasion dans le conflit prévu entre l'Angleterre et ses colonies d'Amérique. Il expédiait des agents secrets sur les côtes d'Afrique et d'Amérique, aux Indes, dans la Baltique, pour s'enquérir du commerce des Anglais et s'informer des points et du moment où il serait opportun de les attaquer. Il voulait faire de la Martinique et de la Guadeloupe les bases des opérations militaires. Il écrivit au Roi en 1769 :

Si Votre Majesté avait la guerre avec les Anglais, il serait instant au moment qu'on l'envisagerait de faire passer en Amérique vingt-quatre bataillons qui trouveraient dans les Ses ce qui leur serait nécessaire, resteraient pendant toute la guerre en Amérique. et seraient alimentés tant en vivres qu'en munitions par les escadres de Votre Majesté. C'est d'après ce plan que nous préparons les possessions de Votre Majesté dans cette partie du monde.

Choiseul aurait voulu aussi qu'unie à la France par le Pacte de famille, l'Espagne prit ses précautions en vue d'une guerre contre l'Angleterre, et il écrivait à l'ambassadeur de France à Madrid :

Vous devez insister chaque fois que vous en trouverez l'occasion sur la nécessité indispensable qu'il y a pour l'Espagne de travailler à augmenter u puissance maritime et coloniale.

 

II. — LES AFFAIRES DE BRETAGNE[6].

 CE ministre occupé de si grands soins l'était pour le moins autant de petites choses et d'intrigues diverses. C'est là qu'il devait trouver sa perte. Il commença de compromettre son crédit dans les affaires de Bretagne, si singulières, et où l'on retrouve tant de preuves du désordre général et de la faiblesse du gouvernement royal.

En 1753, d'Aiguillon avait été nommé Commandant de Bretagne. Le duc de Penthièvre, gouverneur et lieutenant général de la province, était toujours absent de son gouvernement ; le commandement — qui n'était pas une charge et ne s'exerçait que par commission — était donc la fonction importante de la province. Emmanuel-Armand Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d'Aiguillon, était fils d'Armand-Louis, comte d'Agenais, duc d'Aiguillon, et d'Anne-Charlotte de Crussol d'Uzès. Arrière-petit-neveu d'une dame de Combalet, nièce du cardinal de Richelieu, neveu du maréchal de Richelieu, apparenté à Maurepas, il était aussi neveu du Secrétaire d'État de Saint-Florentin, par sa femme, fille du comte de Mélo, tué à Dantzig en 1734. Il était élégant, de manières nobles, avec de la grâce ; d'esprit ordinaire, mais réfléchi et laborieux ; de caractère ferme ; de grand orgueil, ambitieux de se pousser au premier rang. Estimé du Dauphin, il passait pour le successeur probable de Choiseul, ce qui déplaisait au ministre et l'inquiétait.

La Bretagne réunie à la couronne la dernière des provinces françaises, et qui avait été aussi la dernière à recevoir des intendants, s'était plusieurs fois révoltée[7]. Elle se prévalait de son Acte d'union de 1532, en vertu duquel aucune taxe ne pouvait être levée sur son territoire sans avoir été au préalable consentie par ses États. Les nobles mettaient leur point d'honneur à défendre les libertés de leur province contre les pratiques des fonctionnaires royaux ; leur patriotisme breton était en partie sincère, mais il s'agissait aussi pour eux de se soustraire aux charges communes. Le Parlement de Rennes faisait cause commune avec les États dans la résistance.

Si difficile que fût sa tâche, d'Aiguillon réussit d'abord on ne peut mieux. Il se créa un parti dans la noblesse bretonne. Aidé de l'intendant Le Bret, il lit l'assiette et la répartition du vingtième avec une modération et des ménagements dont on lui sut gré ; il multiplia les grandes voies de communication, les grands chemins, comme on disait, améliora et adoucit notablement le système des corvées, s'intéressa à l'assainissement de quelques grandes villes. Pendant la guerre de Sept Ans, en 1758, à Saint-Cast, il sauva la province d'une invasion anglaise. Il défendait, à l'occasion, les privilèges de la Bretagne auprès des ministres. Mais, durant le procès des Jésuites, il demeura neutre, et cette neutralité le fit soupçonner de sympathies pour les religieux proscrits ; si bien qu'à Versailles et à Paris le parti Choiseul se mit à le dénoncer comme suppôt des Jésuites.

D Aiguillon eut la mauvaise fortune de se brouiller avec le Procureur général au Parlement de Rennes, La Chalotais, pour avoir voulu empêcher — inutilement d'ailleurs — ce magistrat d'assurer sa survivance à son fils, un incapable. Or, le procès des Jésuites avait illustré La Chalotais ; les Philosophes le louaient ; Madame de Pompadour et Choiseul lui firent espérer le Contrôle général. Il lia pour ainsi dire partie avec ses protecteurs contre d'Aiguillon, en qui, outre ses griefs personnels, il détestait un rival. La Chalotais avait l'orgueil de la robe ; il était ambitieux et violent.

Survinrent alors, en avril 1763, les mesures fiscales de Bertin, puis la Déclaration du 21 novembre suivant. Le 5 juin 1764, à propos de l'enregistrement de cette Déclaration, le Parlement de Rennes fit des remontrances où il reprochait à d'Aiguillon ses grands chemins et la réforme de la corvée où il voyait un acte de despotisme.

Louis XV fit mander à Versailles les principaux meneurs, de Montreuil, de La Gascherie, de Kersalaün et La Chalotais lui-même. Il leur dit :

Je n'ai pu voir sans peine que, dans une occasion où j'ai donné à mon Parlement les plus grandes marques de confiance, et où le ne devais attendre que des témoignages de son zèle et de sa reconnaissance, il ait ajouté par un arrêté compris, contre la règle ordinaire, dans son arrêt d'enregistrement de ma Déclaration du 21 novembre dernier, des objets qui y étaient totalement étrangers et qui ne tendent qu'à jeter des nuages sur une administration dont je suis aussi content que la province, ou même à élever des difficultés qui pourraient exciter des divisions entre mes sujets s'ils m'étaient moins attachés. Retournez dire à mon Parlement que je veux que cette affaire n'ait aucune suite.

Après que la députation se fut retirée, Louis XV retint La Chalotais et l'avertit de prendre garde à sa conduite à l'avenir ; il lui rappela que sa qualité de Procureur général, d'homme du Roi, l'obligeait particulièrement à respecter le Commandant. Conduisez-vous, ajouta-t-il, avec plus de modération, c'est moi qui vous le dis.

Les députés retournèrent à Rennes plus irrités qu'intimidés. Le Parlement fit de nouvelles remontrances ; et de nouveau une députation fut appelée à Versailles. Mais cette fois, le Roi fut moins ferme à l'égard des magistrats ; il ne leur dit rien pour défendre l'administration du duc d'Aiguillon.

Aux approches de la tenue d'États de 1764-1765, le nouveau Contrôleur général, L'Averdy, ordonna la levée en Bretagne de deux sous pour livre des droits des fermes, sans vouloir, comme le lui conseillait d'Aiguillon, attendre le consentement de l'assemblée. Il alléguait que la levée des droits des fermes générales ne regardait pas les États, et qu'il pouvait faire percevoir des sous pour livre additionnels à ces droits, si la Déclaration l'ordonnant était enregistrée par le Parlement de Rennes ; or, cette cour venait de l'enregistrer, mais avec la pensée que les États feraient opposition à l'enregistrement. En effet, dès qu'ils furent assemblés à Nantes, en octobre 1761, les États firent opposition devant la Chambre des vacations, le Parlement étant alors en vacances, et, le 16 octobre, cette chambre rendit arrêt pour interdire la levée que le Parlement avait permise. Le Conseil du Fini cassa l'arrêt des Vacations, et interdit tout recours des États au Parlement. Mais les Parlementaires, revenus de vacances en novembre. interdirent l'affichage de l'arrêt du Conseil et suspendirent l'exercice de la justice ; puis ils se démirent en mai 1763, sauf douze, qui furent persécutés par les démissionnaires il menacés d'entre exclus de la magistrature, eux et leurs enfants jusqu'à la troisième génération. Rennes était en révolution. Avocats, procureurs, bas officiers du Palais, clients des juges démis s'agitaient. Libelles et caricatures allaient grand train.

Des lettres anonymes injurieuses et menaçantes pour le Roi lui-même furent adressées au Secrétaire d'État Saint-Florentin[8]. Quelqu'un crut y reconnaître l'écriture de La Chalotais ; le lieutenant de police de Sartine les soumit à trois experts pour les comparer avec des lettres du magistrat, et les experts conclurent à l'identité des écritures. Le Procureur général fut mis en état de surveillance.

Il avait des relations avec un gentilhomme du nom de Kerguézec, chef de l'opposition bretonne et implacable ennemi du Commandant. On accusait aussi La Chalotais d'avoir pris part à des conciliabules où furent dressés les plans de résistance des nobles, durant les États de 1764 ; mais cela ne suffisait pas pour le mettre en cause. Il advint alors qu'un subdélégué de l'intendant de Rennes, Audouard, ayant fait incarcérer un certain nombre de perturbateurs, fut pour cela condamné par le tribunal de police, composé de procureurs au Parlement, c'est-à-dire hostile à l'intendant et au Commandant. Le Conseil du Roi cassa la sentence, et, comme l'entente de La Chalotais avec les ennemis d'Audouard fut prouvée, le ministère fit arrêter le Procureur général.

En même temps furent conduits dans diverses prisons d'autres magistrats suspects qui, peu après, furent réunis au château de Saint-Malo avec La Chalotais. Celui-ci fut ensuite transféré à Rennes. Dans ses deux prisons, il travailla à loisir à des Mémoires, qui firent d'autant plus de bruit qu'il y dénonçait les Jésuites comme les instigateurs de son arrestation. On a conté qu'il les écrivit avec un cure-dent et de l'encre faite de suie, de vinaigre et de sucre ; en réalité, il disposait de papier, de plumes et d'encre ; il était en communication avec le dehors. Voltaire accrédita la légende d'un cure-dent qui gravait pour l'immortalité.

Le duc d'Aiguillon n'avait été pour rien dans l'arrestation de La Chablais. Il voyageait alors dans le midi de la France. Sans qu'il fût consulté, des lettres patentes du 16 novembre constituèrent une commission de conseillers d'État et de maîtres des requêtes, afin de suppléer le Parlement de Bretagne et d'instruire à Saint-Malo le procès des magistrats. D'Aiguillon mit comme condition à son retour en Bretagne qu'un Parlement serait reconstitué, par lequel les magistrats incarcérés seraient jugés. Mais il eut l'imprudence d'engager des négociations pour recruter les nouveaux juges ; les Parlementaires ne le lui pardonnèrent pas. Après sa rentrée à Rennes, en janvier 1766, il fut attaqué avec fureur. On alla jusqu'à dire qu'il avait pensé à faire décapiter La Chalotais dans la citadelle de Saint-Malo.

Cependant le nouveau Parlement se constitua ; on l'appela par dérision le bailliage d'Aiguillon. Saisi du procès de La Chalotais et consorts, il n'était pas sûr de l'appui du ministère, qui se déjugeait si souvent. Des magistrats se récusèrent sous prétexte de parenté ou d'inimitiés, el le Parlement ne se trouva plus en nombre pour juger. En même temps, les autres Parlements protestaient contre ces innovations. Le 3 février, celui de Paris avait adressé au Roi des représentations sur la commission de Saint-Malo, tribunal dont les membres, disait-il, n'étaient que les mandataires d'un pouvoir arbitraire ; il les avait renouvelées dix jours après, lors de la constitution du bailliage d'Aiguillon. Le Parlement de Rouen, par des remontrances répandues à profusion eu Bretagne, traitait le bailliage d'Aiguillon de fantôme de Parlement. Le mouvement de protestation pouvant s'étendre et le bailliage d'Aiguillon en être intimidé, Louis XV alla inopinément, le 3 mars, au Parlement de Paris, et parla aux magistrats de telle façon que la séance reçut le nom de Flagellation :

Ce qui s'est passé dans mon Parlement de Rennes, dit-il, ne regarde pas mes autres Parlements. J'en ai usé à l'égard de celte cour comme il importait à mon autorité, et je ne dois de compte à personne. En ma personne seule réside la puissance souveraine ; de moi seul mes cours tiennent leur existence et 'Pur autorité ; à moi seul appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage... ; l'ordre public tout entier émane de moi, et les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis dans mes mains, et ne reposent qu'en mes mains.

Le lendemain, 4 mars, il écrivait au Parlement de Rouen :

J'ai lu vos remontrances ; ne m'en adressez jamais de semblables ; l'agitation que vous supposez... parmi mes peuples... n'est que chez vous. Le serment que j'ai fait, non à la nation, comme vous osez le dire, mais à Dieu seul, m'oblige de faire rentrer dans le devoir ceux qui sen écartent.

Mais peu après il consentait à rappeler de Bretagne, sur sa demande, le duc d'Aiguillon, et, le 15 juillet, il rétablissait l'ancien Parlement de Bretagne. En novembre 1766, il évoqua le procès à son Conseil. Aussitôt le Parlement de Paris protesta contre l'usage de cette juridiction d'exception. Le Roi eut peur d'un conflit ; il éteignit par lettres patentes du 21 décembre toute la procédure. En même temps, il assignait aux accusés, de son autorité propre, des lieux d'exil. Mais les partis politiques et religieux continuèrent do célébrer La Chalotais victime de la haine des ultramontains et de son patriotisme breton. Les Philosophes, à peine sortis de la guerre contre les Jésuites, applaudissaient Choiseul que l'on savait favorable à La Chalotais. Le public voyait dans le succès de d'Aiguillon la revanche des Jésuites.

A Rennes, les Parlementaires réinstallés se mirent à persécuter les juges, les avocats et les procureurs qui n'avaient pas, comme eux, suspendu le service, les officiers des juridictions inférieures qui avaient continué de rendre la justice, l'ingénieur Dorotte qui avait porté témoignage en faveur du Commandant, lors de la discussion sur les grands chemins. Divers libelles réclamèrent la mise en accusation de d'Aiguillon, et le Parlement de Rennes ouvrit une enquête sur la manière dont l'édit contre les Jésuites avait été exécuté par lui ; des commissaires entendirent des témoins qui, gens de palais pour la plupart, chargèrent le Commandant, ou tout au moins son subordonné, le subdélégué Audouard. D'Aiguillon fut, accusé non seulement d'abus d'autorité, mais encore d'avoir suborné des témoins contre La Chalotais et projeté de l'empoisonner.

Le Commandant lui-même réclamant des juges, il fut décidé au Conseil, le 24 mars 1770, qu'il serait jugé par le Parlement de Paris. Comme il était duc et pair, il relevait, en effet, de cette Cour où siégeaient les pairs de France quand un des leurs était en cause. Mais le Parlement de Paris avait déjà, à mainte reprise, dans ses remontrances, manifesté sur l'Affaire de Bretagne son opinion violemment hostile au Commandant de la province.

Le procès s'ouvrit à Versailles le 4 avril. On prononça la nullité des procédures de Rennes et on recommença l'information. Des témoins se contentèrent de citer des ouï-dire ; d'autres contredirent à Paris leurs dépositions de Rennes. Certains témoignages, en termes identiques, semblèrent des leçons apprises. Il y eut une déposition sensationnelle du conseiller Cornulier de Lucinière ; il prétendit savoir que d'Aiguillon était allé à Saint-Malo une nuit de janvier 1766, pour s'aboucher avec Lenoir et Calonne, membres de la commission chargée de juger La Chalotais ; la conversation de ces trois hommes aurait été surprise ; il en serait résulté que le Roi lui-même avait exigé la tête du Procureur général.

D'Aiguillon ne cessa jamais de demander que son procès suivit son cours ; il voulait porter plainte en subornation de témoins ; il n'est donc pas vrai qu'il ait voulu se dérober. Mais le Roi signa, le 27 juin 1770, des lettres patentes où les procédures étaient déclarées nulles et le silence imposé à tous sur l'affaire. C'était, après la permission donnée à d'Aiguillon de se démettre de son gouvernement, une nouvelle reculade du Roi. L'apaisement ne s'ensuivit pas. Le Parlement rendit, le 2 juillet, l'arrêt suivant :

La Cour, considérant que les lettres patentes du 27 juin sont des lettres d'abolition, sous un nom déguisé ; qu'elles ne sont point conformes aux charges, puisqu'elles déclarent que les accusés n'ont tenu qu'une conduite irréprochable, tandis qu'au contraire les informations contiennent des commencements de preuves graves et multipliées de plusieurs délits... déclare que le duc d'Aiguillon est, et le tiendra la dite Cour, pour inculpé de tous les faits contenus en la plainte du procureur général du Roi.... En conséquence a ordonné et ordonne que le dit duc d'Aiguillon soit averti de ne point venir prendre sa séance en icelle Cour et de s'abstenir de faire aucune fonction de pairie jusqu'à ce que, par un jugement rendu en la Cour des pairs, dans les formes et avec les solennités prescrites par les lois et ordonnances du royaume, que rien ne peut suppléer, il soit pleinement purgé des soupçons qui entachent son honneur.

A la lecture de cet arrêt, Condorcet écrivit : J'avoue que la haine parlementaire est aussi cruelle que le despotisme ministériel.

 

III. — CHUTE DE CHOISEUL[9].

AU moment où le conflit devenait le plus aigu entre la royauté et les Parlements, Choiseul dominait encore l'État ; il agissait sur l'opinion par les salons et es gens de lettres. Mais il était près de sa chute. Sa conduite avait été trouble dans l'affaire de Bretagne. 11 avait par dessous main soutenu La Chalotais contre d'Aiguillon, et il avait été quelque peu de connivence avec la noblesse. Or, cette affaire de Bretagne et l'agitation générale des parlementaires avaient excédé le Roi. Les Parlements, en effet, un moment intimidés par la séance de flagellation, avaient recommencé à correspondre entre eux. Les adversaires de Choiseul persuadèrent au Roi qu'il excitait la magistrature. On raconte que la duchesse de Gramont, sa sœur, voyageant en Provence et en Languedoc, avait travaillé les Parlements d'Aix et de Toulouse. Il y eut à ce sujet une violente dispute en plein Compiègne entre Choiseul et le duc de Richelieu. La chute prochaine du ministre était annoncée à Paris et à Vienne ; on lui donnait pour successeur le duc d'Aiguillon.

Choiseul avait d'ailleurs, dans le ministère même, des ennemis dangereux : Maupeou et Terray.

René-Nicolas de Maupeou était devenu Chancelier après la retraite de son père, en 1768. Il avait alors cinquante-quatre ans. C'était un petit homme poli, complimenteur, à langue dorée, mais autoritaire et dur, grand travailleur, hardi et constant dans ses desseins, intrigant, très ambitieux, et à qui peut-être son ambition inspira l'idée de s'opposer à Choiseul, en se faisant l'adversaire de la magistrature, dont il réprouvait, d'ailleurs, l'opposition à la Couronne. Le conseiller-clerc au Parlement, Terray, qu'il avait fait nommer Contrôleur général le 22 décembre 1769, se joignit à lui ; tous deux reprochaient à Choiseul ses grandes dépenses et aux Parlements leur opposition aux édits fiscaux même les plus justifiés.

En 1770, Terray composa un mémoire sur la réorganisation militaire de 1763, où il prétendit établir que l'armée, sans être meilleure qu'autrefois, coûtait plus ; il le remit à Choiseul. Il soutint devant le Roi que ses calculs étaient exacts, et que si S. M. voulait de l'argent, on ne pouvait désormais en trouver qu'en retranchant les dépenses inutiles dans les départements de la Guerre, de la Marine et des Affaires étrangères. Choiseul lut au Conseil et remit au Roi des mémoires apologétiques sur son administration ; mais Louis XV demeura persuadé qu'il y avait du vrai dans les allégations du Contrôleur général.

Enfin la nouvelle favorite, Mme du Barry, parait avoir aidé les ennemis de Choiseul à se débarrasser de lui. C'était la fille naturelle d'une certaine Anne Bécu, dite Quantigny, qui avait épousé à Paris un garde-magasin de la ferme générale. Élevée au couvent des dames de Sainte-Aure, puis demoiselle de magasin chez Labille, un marchand de modes rue Neuve-des-Petits-Champs, où elle était connue sous le nom de Mlle l'Ange ou de Jeanne Vaubernier, amie de Mlle Labille qui fut un peintre distingué, mise en relations par elle avec des peintres, des sculpteurs, des collectionneurs, elle avait connu dans ce monde tin gentilhomme gascon enrichi dans les fournitures de l'armée et de la flotte, Jean du Barry. Devenue sa maîtresse, elle avait tenu salon chez lui, rue de la Jussienne, où elle recevait des gens de lettres et de cour. On dit qu'elle eut pour amants le duc de Richelieu, le comte de Fitz-James, le financier Sainte-Foy, le vicomte de Boisgelin.

Parmi ces artistes, ces lettrés et ces viveurs, elle s'était affinée. Jean du Barry, qui avait déjà tenté de donner pour maîtresse à Louis XV la fille d'un porteur d'eau de Strasbourg, et plusieurs autres, l'avait aussi préparée à cet avenir. A Versailles, au printemps de 1768, elle se trouva sur le passage du Roi, qui s'éprit d'elle. Après la mort de la Reine, survenue le 24 juin 1768, elle vit le Roi, tantôt à Compiègne, tantôt à Versailles. Jean du Barry la maria alors à son frère Guillaume. Il ne restait plus qu'à présenter à la Cour la nouvelle comtesse du Barry. Pour cela, il fallut trouver une marraine ; on s'adressa à la veuve du comte de Béarn, qui se prêta au désir du Roi, sur la promesse qu'on paierait ses dettes et qu'on protégerait ses fils qui étaient officiers de marine et de cavalerie. La présentation fut faite le 22 avril 1769.

Mme du Barry avait des yeux bleus, demi-clos, encadrés de sourcils bruns, une bouche délicieuse, des traits d'une finesse extrême, des cheveux blond cendré, bouclés et soyeux comme ceux d'un enfant. Elle avait pris les manières du monde et n'était pas sotte. Très gaie, ses éclats de voix et de rire, et ses espiègleries, amusaient le Roi toujours ennuyé. Bonne fille, elle ne s'intéressait pas à la politique et n'avait ni haines ni rancunes.

Sans doute Choiseul, qui n'était pas scrupuleux, et, ancien protégé de Mme de Pompadour, n'avait pas le droit de l'être, se serait accommodé du caprice du Roi ; mais les femmes de son parti lui imposèrent l'intransigeance. Les Choiseul firent à la maîtresse une guerre de chansons et de vaudevilles, applaudissaient à la Bourbonnaise, à l'Apprentissage d'une fille de modes, à l'Apothéose du roi Pétaud, aux Anecdotes secrètes sur la comtesse du Barry publiées à Londres par le gazetier Théveneau de Morande. Leur chansonnier attitré, le spirituel chevalier de L'Isle, ridiculisa la maîtresse dans les théâtres et les carrefours.

Choiseul espéra trouver une aide puissante contre Mme du Barry. Dès le temps de son ambassade à Vienne, en 1757, il avait commencé de négocier le mariage du Dauphin avec l'archiduchesse d'Autriche, Marie-Antoinette, qui n'était alors qu'une enfant ; il avait repris le projet en 1765 ; le mariage fut conclu en 1770. Persuadé que l'alliance autrichienne était utile à la France, et craignant que Joseph II, fils de Marie-Thérèse, associé par elle à l'Empire, admirateur de Frédéric II, n'entraînât l'Autriche vers la Prusse, il vit dans ce mariage une occasion d'affermir à la fois son système politique et sa faveur. L'archiduchesse quitta Vienne le 21 avril 1770. Quand elle passa à Strasbourg, ses futurs sujets lui donnèrent des fêtes. Trois compagnies de jeunes gens costumés en Cent-Suisses firent la haie sur son passage ; trente-six petits bergers et bergères costumés en personnages de Lancret lui offrirent des fleurs. Puis ce furent des danses en plein air, des représentations théâtrales, des chœurs, des sonneries de cloches, des salves d'artillerie, des illuminations, un feu d'artifice sur l'Ill. Le 13 mai, Louis XV et la famille royale allèrent à Compiègne recevoir la Dauphine, qui fit son entrée le 16 à Versailles.

Elle fut tout de suite admirée. Elle n'était pas régulièrement belle ; elle avait le front un peu trop bombé, les yeux un peu trop saillants, la lèvre épaisse des Habsbourg ; mais sa jeunesse — elle avait quinze ans, — la fraîcheur et la transparence de son teint, sa chevelure blonde, sa démarche élégante et souple, sa bonne humeur et sa vivacité faisaient d'elle un être charmant. Elle prit d'abord en amitié Choiseul, en aversion Mme du Barry. Elle était reconnaissante au ministre qui avait fait sa fortune, et le croyait un homme supérieur. Elle le vit souvent chez Mesdames tantes, qui l'avaient détesté, mais le recevaient à présent en raison de la haine commune contre Mme du Barry.

Choiseul espérait en outre tirer parti pour sa popularité de deux heureux événements qui se produisirent pendant son ministère : la réunion de la Lorraine à la France, où il ne fut pour rien, puisqu'elle était la conséquence du traité de 1738, et l'acquisition de la Corse.

Le roi Stanislas mourut en février 1766. Il avait laissé introduire dans son duché l'administration française, dont le principal personnage fut l'intendant La Galaizière, qui eut les mains rudes. Stanislas avait vécu en bon seigneur, accordant comme il pouvait son confesseur et sa maîtresse, ami des Philosophes sans être ennemi des Jésuites, libéral, bienfaisant, fondateur d'une académie, grand bâtisseur ; il a embelli Lunéville, et donné à la ville de Nancy un des plus beaux quartiers qu'il y ait au monde, spécimen exquis et original de l'art du XVIIIe siècle. Par lui fut préparée la réunion d'une province longtemps disputée entre l'Allemagne et la France, convoitée par les rois de France depuis le xv siècle, annexée par morceaux, par moments occupée tout entière, et qui, après avoir beaucoup souffert, allait devenir, elle la dernière venue, une des provinces les plus françaises du royaume de France.

La Corse avait été convoitée depuis des siècles par les peuples maritimes, Phéniciens, Phocéens, Carthaginois ; puis Rome l'avait conquise ; les Byzantins l'avaient gardée ; Charlemagne l'avait annexée à son empire ; les Arabes l'avaient attaquée. Elle s'était mise sous la protection du Saint-Siège ; mais elle vivait en pleine anarchie, conséquence de son état géographique et des mœurs de ses habitants. Les jeux principales cités maritimes de l'Italie septentrionale, Gènes et Pise se la disputèrent ; Gênes prévalut sur sa rivale, mais ne posséda jamais véritablement ce pays ; les révoltes, où intervinrent des étrangers, furent perpétuelles. A partir du XVIe siècle, les interventions de la France se succédèrent. Au XVIIIe siècle, la France eut à craindre les menées de la Hollande et de l'Angleterre ; les Hollandais soutinrent un curieux aventurier allemand, Théodore de Neuhoff[10], qui prit en 1736 le titre de roi de Corse. Une petite armée française le chassa de l'île en 1739. La France obtint des Génois, par des accords dont le dernier est de 1764, le droit de tenir garnison dans plusieurs villes de Corse ; enfin, en mai 1768, Gênes vendit à Louis XV ses droits de suzeraineté sur Une rude campagne contre les partisans de l'indépendance, dont le chef était Paoli, se termina, l'année d'après, par la soumission de la Corse, où Choiseul vit une compensation de la perte du Canada.

Ce fut la politique étrangère de Choiseul qui causa sa perte.

Il continua la politique de l'alliance de famille. Les rois d'Espagne et de Naples et le duc de Parme ayant expulsé les Jésuites de leurs états, il projeta une démarche des quatre Cours à Rome, pour obtenir la suppression de l'Ordre. Le pape ayant prononcé la déchéance du plus faible des alliés, le duc de Parme, Choiseul riposta en occupant Avignon, pendant que les Espagnols occupaient Bénévent. En Orient, il intervint pour sauver la Pologne, mais inefficacement'. Toute sa pensée était tournée contre l'Angleterre.

Les conflits entre l'Angleterre et la France se multipliaient aux colonies : conflit à propos d'un archipel situé entre Saint-Domingue et les îles Bahamas ; conflit à propos de la pèche à Terre-Neuve et aux Ales de Saint-Pierre et Miquelon ; conflit au Bengale, où le gouverneur anglais avait fait combler un fossé creusé par les Français à la limite de la factorerie de Chandernagor et laissé insulter le pavillon français, ce pourquoi Choiseul demanda réparation.

Choiseul suivait avec attention les querelles coloniales, très fréquentes aussi entre Anglais et Espagnols. Celle qui éclata à propos des fies Malouines, appelées Falkland par les Anglais, s'annonça très grave. Cet archipel avait été reconnu en 1763 par Bougainville, qui y avait installé quelques familles acadiennes. Le roi d'Espagne Charles III l'ayant revendiqué comme dépendance de l'Amérique espagnole, la France le lui avait cédé en 1767 ; mais des Anglais, débarqués dans une des îles, y avaient fondé Port d'Egmont, et, le gouverneur espagnol de Buenos Ayres ayant fait occuper cette place en 1770, ils en réclamèrent la restitution. Choiseul crut alors tenir l'occasion d'une guerre qu'il cherchait, peut-être bien parce qu'elle l'aurait rendu indispensable au Roi. Il écrivit, le 7 juillet, à l'ambassadeur de France à Madrid, d'Ossun, qu'il faisait présenter à Londres un mémoire sur l'affaire de Chandernagor, et que, si les Anglais refusaient la satisfaction demandée, la France saurait bien se la procurer. Il demanda à l'ambassadeur ce que, de son côté, comptait faire l'Espagne. L'ambassadeur répondit que Charles III et son ministre Grimaldi désiraient infiniment la continuation de la paix, parce qu'il leur fallait au moins deux ans pour être en état de faire la guerre. Le 20 août, Choiseul répliqua :

Ce que je vois de plus certain dans la réponse de M. de Grimaldi à mes communications, c'est que l'Espagne meurt de peur de tous les incidents qui peuvent amener la guerre.

Or, le même jour, une lettre de Grimaldi à Fuentes, ambassadeur d'Espagne en France, prouvait que l'Espagne n'était pas si peureuse et, le 27 août, d'Ossun annonçait à Choiseul que les Espagnols se préparaient à la guerre, et il donnait le détail de leurs armements. Mais à ce moment, en France, la querelle du Gouvernement et des Parlements était à l'état aigu. Obtenir du Parlement de Paris qu'il consentit à enregistrer les édits fiscaux que la guerre rendrait nécessaires parut à Choiseul chose impossible, et ce fut alors à lui de temporiser. Il recommanda à Madrid de traîner les choses en longueur, même de céder. C'était trop tard. L'amour-propre espagnol s'exaltait ; d'Ossun écrivit, le 3 octobre, que Grimaldi ne donnerait jamais au roi le conseil de céder, par la crainte de se faire lapider par les Espagnols. Charles III était si décidé à la résistance que, le 4 décembre, Choiseul, dans une dépêche à d'Ossun, convenait qu'il ne restait que fort peu d'espérance de maintenir la paix.

Le 29 novembre, il avait parlé au Conseil des préparatifs de guerre faits en Espagne et en Angleterre. Louis XV l'avait interrompu et renvoyé la délibération à une autre séance. Le 6 décembre. Terray déclara au Conseil que le trésor était vide et la France sans crédit ; de son côté, le 9, Choiseul-Pralin, comme secrétaire d'État de la Marine, attaqua si vivement l'administration du Contrôleur général que le Roi leva la séance. Louis XV avait à choisir entre Choiseul et ses adversaires, Maupeou et Terray, entre une revanche contre l'ennemi extérieur, l'Angleterre, et une guerre aux ennemis de l'intérieur, les Parlements. Il prit parti pour le Chancelier et le Contrôleur général. Le 21 décembre, il manda l'abbé de la Ville, premier commis des Affaires étrangères, pour lui faire rédiger une lettre où il priait le roi d'Espagne de faire tous les sacrifices à la paix ; le 23, il eut avec Choiseul une explication, lui ordonna d'enjoindre à d'Ossun de tout faire pour amener l'Espagne à subir les conditions de l'Angleterre. Le 24, il fit remettre au ministre ce billet :

J'ordonne à mon cousin, le duc de Choiseul, de remettre la démission de sa charge de Secrétaire d'État et de Surintendant des Postes entre les mains du duc de La Vrillière, et de se retirer à Chanteloup jusqu'à nouvel ordre de ma part.

Quand Choiseul quitta Versailles, on vit la foule courir à son hôtel, rue Grange-Batelière. Quand il partit pour Chanteloup, le beau monde l'acclama des fenêtres ; le peuple suivit son carrosse jusqu'à la barrière d'Enfer. On vendait son portrait dans les rues. Les courtisans allèrent le visiter dans sa retraite. Dédaigneusement le Roi répondit à ceux qui lui demandaient la permission d'aller à Chanteloup : Faites comme vous voudrez.

Ni Bernis à Soissons, ni d'Argenson aux Ormes, ni Machault à Arnouville, ni Maurepas à Bourges, n'avaient provoqué de telles démonstrations. C'est qu'aucun d'eux n'avait poussé dans tout le royaume, comme Choiseul, les ramifications d'un parti, ni prodigué tant de grâces. Aucun non plus n'était en état de déployer comme lui un luxe royal : chasse à courre et à pied, concerts et représentations théâtrales, tournois poétiques, réceptions grandioses, personnel domestique de quatre cents individus. Le Roi-Choiseul reçut à sa Cour les Boufflers, les Beauffremont, les Gontaut, les Lauzun, les Besenval, les Beauvau, les Du Châtelet, les Castellane, Mmes de Luxembourg, d'Enville et de Coigny, Mmes de Fleury, de Brionne et de Simiane. Pour perpétuer la fidélité  de ses amis, il construisit une pagode à sept étages, et il fit graver leurs noms sur le marbre.

Au reste Choiseul fut, de beaucoup, le plus brillant ministre du règne. Il n'a pas droit au titre de grand homme d'État, n'ayant pas eu de vues profondes, ni de système suivi. Sa guerre contre l'Angleterre, s'il avait réussi à l'engager, aurait été une terrible aventure. Mais il fut très intelligent, très actif, il eut une haute idée de la dignité nationale. Il comprit la nécessité de reconstituer les forces militaires et maritimes de la France, pour la relever de la décadence où elle était tombée après la guerre de Sept Ans.

 

 

 



[1] SOURCES. Besenval (t. I), Moufle d'Angerville (t. III et IV), Talleyrand (t. V), déjà citée ; Mémoires de Choiseul, p. p. F. Calmettes, Paris, 1904. Encyclopédie méthodique, partie : Art militaire, Paris, 1784, 4 vol. Briquet, Code militaire ou compilation des ordonnances des rois de France concernant les gens de guerre, Paris, 1761. 8 vol. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, 1794. 17 vol. Infanterie, Régiments provinciaux, années 1762 à 1780 (Recueil d'ordonnances), s. l. n. d. Gribeauval, Table des constructions des principaux attraits de l'artillerie, de 1764 à 1789, Paris, 1792.

OUVRAGES A CONSULTER. Boutaric, Chabaud-Arnault (Histoire des Flottes militaires), Favé (t. IV), Jobez (t. V), Lacour-Gayet, Mention, Tuetey (Les officiers), Pajol (t. V et VII), Suzanne, d'Haussonville (Hist. de la réunion de la Lorraine), déjà cités. Favé, Histoire de l'artillerie, Paris, 1845, 2 vol. Heunebert, Gribeauval, Paris, 1869. Duruy (Albert), L'armée royale en 1789, Paris, 1888. Coste, Les anciennes troupes de la marine (1622-1792), Paris, 1893. Lambert de Sainte-Croix, Essai sur l'administration de la marine (1699-1792), Paris, 1892. Chevalier, Histoire de la marine française pendant la guerre de l'Indépendance américaine, Paris, 1886. Loir (Maurice), La Marine royale en 1788, Paris, 1892. Daubigny, Choiseul et la France d'outre-mer après le traité de Paris, Paris, 1892. Flammermont, Le Chancelier Maupeou et les Parlements, Paris, 1883. Boyé (Pierre), Stanislas Leczinski et le troisième traité de Vienne, 2e édit Nancy, 1860. Id., Le budget de la province de Lorraine et Barrois sous le règne de Stanislas, Nancy 1896. Krug-Basse, Histoire du Parlement de Lorraine et Barrois, Nancy, 1899. Pfister, Histoire de Nancy, tome III, Paris, 1908.

[2] Né en 1667, mort en 1739.

[3] Celles qui avaient été équipées pendant la guerre de Sept Ans, turent licenciées en 1763, mais rétablies par une ordonnance du 20 mars 1764.

[4] Il ne resta qu'une compagnie privilégiée, celle de Barbarie, qui avait le monopole du commerce sur la côte septentrionale d'Afrique.

[5] Un essai de colonisation en Guyane, en 1764, finit par un désastre. Environ 9.000 blancs, tirés en majorité de l'Acadie, furent débarqués à la Guyane, où les nègres manquaient, sans que rien eût été préparé pour les recevoir. Ils furent jetés pêle-mêle sur une plage où il n'y avait ni maisons, ni magasins, ni hôpitaux, et où des gens non acclimatés risquaient de périr. En quelques semaines, plus de la moitié de ces malheureux avaient succombé, et, en cinq mois, presque tous. Le désastre n'eut pas en France le retentissement qu'on pourrait croire, il n'en servit pas moins d'argument à tous les adversaires de la colonisation officielle, à ceux qui prétendaient que les noirs pouvaient seuls résister au climat des tropiques ; et pourtant, il semble bien que ces émigrants ne furent pas plus victimes du climat que de l'effroyable incurie de leurs chefs.

[6] SOURCES. Correspondance Fontette et Talleyrand (t. V), déjà citée. Rapports... sur les correspondances des agents diplomatiques étrangers en France avant la Révolution, p. p. Flammermont, Paris, 1896, dans les Nouvelles archives des missions scientifiques, t. VIII. La Chalotais (de), Mémoires : les deux premiers, s. l. n. d.. 80 p. ; le troisième, s. l. n d.. 71 p ; le quatrième est intitulé Sixième développement de la requête qu'a fait imprimer M. de Calonne pris à partie par l'ombre de M. de La Chalotais, Londres, 1787. Linguet, Mémoire à consulter et consultation pour Monsieur le duc d'Aiguillon, Paris, 1770. Montbarrey (Prince de), Mémoires, Paris, 1826-1827, 3 vol. Procès instruit extraordinairement contre MM. de Caradeuc de La Chalotais et de Caradeuc, etc.. éd. de 1768, 3 vol. in-12°.

OUVRAGES A CONSULTER. Croussaz-Cretet, Cruppi, Flammermont, Jobez (t. VI), Rocquain, déjà cités. Bonneville de Marsangy, Le Comte de Vergennes, son ambassade en Suède (1771-1774), Paris, 1898. Carné (de), Les Etats de Bretagne, Paris, 1868, 2 vol. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, Rouen, 1840-43, 7 vol., t. VI. Goncourt (Ed. et J. de), La du Barry, Paris, 1878. Vatel, Histoire de Mme du Barry, Paris, 1882-1883, 3 vol. Saint-André (Claude), Mme du Barry, d'après les documents authentiques, Paris, 1908. Marion, La Bretagne et le duc d'Aiguillon (1753-1770), Paris, 1898. Pocquel, Le pouvoir absolu et l'esprit provincial : Le duc d'Aiguillon et La Chalotais, Paris, 1900, 3 vol.

[7] Notamment en 1675, contre l'impôt du timbre, et en 1719, contre une taxe sur les boissons.

[8] Voici le texte des billets anonymes : Dis à ton maître, disait l'un, que malgré lui nous chasserons les douze J. F., et toi aussi. L'autre était ainsi conçu et orthographié : Tu es J. F. autant que les douze J. F. magistras qui ont échapé à la déroute générale. Reporte cecy à Louis pour qu'il connaisse donc nos affaire, et puis écris en son nom, mais sans son su, belle épîtres aux douze J. F. magistra.

[9] SOURCES. Rapports des agents diplomatiques étrangers, Besenval (t. I), des Cars (t. I), du Deffand, Dufort de Cheverny (t. I), Georgel (t. I), du Hausset (Mémoires secrets), Moufle d'Angerville (t. IV), Remontrances du Parlement de Paris (t. III), Senac de Meilhan, déjà cités. Augeard, Mémoires secrets (1760-1800), Paris, 1866. Journal de Hardy (B. N., mss. fr.), Lettres de Marie-Antoinette, p. p. de La Rochetterie et de Beaucourt, Paris, 1895-1896, 2 vol. Correspondance secrète entre Marie-Thérèse et le comte de Mercy-Argenteau, avec les lettres de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette, p. p. d'Arneth et Geffroy. Paris, 1876, 3 vol. L'observateur anglais (1777-1778), 4 vol. Moreau, Mes souvenirs, Paris 1898-1901, 2 vol.

OUVRAGES A CONSULTER. De Broglie (Le secret du Roi), de Carné (Les Etats de Bretagne), Flammermont (Maupeou), de Goncourt (La du Barry), Jobez (t. V), Marion (La Bretagne et le duc d'Aiguillon), Michelet (t. XVII), Perey (Le président Hénault), Rocquain, Vatel, Saint-André, déjà cités.

Du Bled, La Société française avant et après 1789, Paris, 1892. De La Rochetterie, Histoire de Marie-Antoinette, Paris, 1890, 2 vol. Soury, Etudes de psychologie ; Portraits du XVIIIe siècle, Paris, 1879. De Nolhac, Études sur la cour de France : Marie-Antoinette, Dauphine, Paris, 1898, 2e éd. Maugras, La disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul, Paris, 1903.

[10] Voir A. Le Giny, Théodore de Neuhoff, roi de Corse, Monaco, 1907.