HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE VI. — LE MOUVEMENT DES ESPRITS DANS LES SCIENCES, LA LITTÉRATURE ET LES ARTS.

CHAPITRE PREMIER. — LA DIFFUSION DU CARTÉSIANISME[1].

 

 

I. — LA DIFFUSION DU CARTÉSIANISME.

PENDANT les trente dernières années du règne de Louis XIV, le fait qui frappe le plus dans la philosophie, les sciences, l'érudition, la théologie, la littérature même et jusque dans les beaux-arts, c'est l'influence du Cartésianisme.

Le triomphe de la doctrine et de la méthode de Descartes n'est pourtant pas complet, ni surtout officiel. La propagation des idées cartésiennes dans l'enseignement et dans les livres continue d'être surveillée et gênée, à Paris et en province, par le pouvoir civil comme par le pouvoir religieux. Encore en 1691, les professeurs de philosophie des différents collèges de l'Université de Paris, assemblés au collège du Cardinal Lemoine, s'engagent, par un acte en forme, à observer les ordres de S. M. de ne point enseigner les propositions subversives extraites des cahiers de cours de quelques-uns d'entre eux, et signalées au Roi par l'Archevêque, — celles-ci par exemple, qu'il faut se défaire de toutes sortes de préjugés et douter de tout avant que de s'assurer d'aucune connaissance... qu'il ne faut pas, en philosophie, se mettre en peine des conséquences fâcheuses qu'un sentiment peut avoir pour la foi. — En 1704, en 1705, ces injonctions et ces soumissions recommencent.

Toutefois ce n'est plus que pour la forme et par habitude. L'autorité se relâche dans l'application des décrets de rigueur. En 1690, on laisse paraître, après dix-huit ans d'attente, un grand traité de Pierre Régis, véritable Somme de philosophie cartésienne, à la seule condition que le nom de Descartes ne figure pas au titre. On ne permet pas qu'au frontispice des thèses, Descartes soit gravé, tenant par la main la Vérité et contemplant l'Erreur terrassée, mais on n'inquiète pas les docteurs qui célèbrent cette victoire. Les censures du gouvernement n'empêchent point Boileau, historiographe de Sa Majesté, ou Perrault, premier commis de la surintendance des Bâtiments du Roi, d'afficher leur cartésianisme, — ni La Bruyère, précepteur du petit-fils de Condé, de rendre à Descartes, en 1690, dans la 5e édition des Caractères, un hommage solennel ; — ni, en 1692, M. le Chancelier lui-même, de réprimander l'auteur du Mercure galant pour avoir imprimé dans ses journaux quelque chose contre l'honneur de M. Descartes.

La diffusion du Cartésianisme continue donc en sécurité. Dans les congrégations les plus cultivées : — à l'Oratoire, chez les Bénédictins de Saint-Maur, chez les Chanoines de Sainte-Geneviève, la nouvelle philosophie chemine de conserve avec le Jansénisme. Dans le clergé séculier : — de 1680 à 1710, la plupart des abbés ou prélats de cour lui sont favorables, plus ou moins : Bossuet, Fénelon l'abbé Fleury, l'abbé Genest, l'abbé, depuis cardinal, de Polignac. Chez les Jésuites eux-mêmes, malgré les anathèmes du P. de Valois, malgré la vigilance des supérieurs, le poison cartésien se glisse.

C'est que, désormais, sans Descartes, on ne peut plus réussir dans l'enseignement. La physique de Descartes conquiert malgré eux les maîtres restés fidèles à Aristote. Les plus routiniers ne pouvaient pas continuer de servir à leurs élèves l'horreur du vide, devenue la risée de la jeunesse. Et tous les nombreux écrivains qui, dans le clergé, s'occupent de réformer la pédagogie, sont des cartésiens : — non seulement les éducateurs de Port-Royal, Lancelot et Nicole, mais le P. Thomassin, l'abbé Fleury, dom François Lamy, le P. Bernard Lamy. — Et eux, c'est aussi la logique et la métaphysique cartésiennes qu'ils prêchent, si l'on veut faire aux enfants l'esprit juste et le cœur droit. Tous ils conspirent à substituer un enseignement imbu de l'esprit d'examen à cet enseignement d'autorité et de pure forme qui ne dresse les jeunes gens ni à la vérité, ni à la vertu et qui les farcit de notions dont plus tard ils devront se défaire pour devenir d'honnêtes gens.

A plus forte raison, dans le monde poli, cette propriété qu'a la philosophie nouvelle de former l'honnête homme, assure son succès et son progrès. Les adversaires même, — ainsi le P. jésuite Daniel, en 1690, dans son Voyage au monde de Descartes, — concèdent au Cartésianisme non seulement qu'il est clair, mais qu'il est d'une beauté séduisante. Il a, pour cette société éprise d'analyse et de raison, et dont plus d'un demi-siècle de chefs-d'œuvre a raffiné le goût, l'attrait qui résulte du mélange des conceptions grandes et nobles avec un constant appel au sens commun. Aux succès déjà obtenus par Descartes lui-même et par ses premiers disciples, s'ajoute le succès, encore plus vif peut-être et plus mondain, de son disciple, le P. Malebranche, dont le système se répand beaucoup, quoique si intellectuel, remarque Fontenelle, et si délié. Dans la cellule de ce modeste oratorien, devenu malgré lui philosophe à la mode, dans le salon de sa nièce Mlle de Wailly, dans la ruelle de son élève, la marquise de l'Hôpital, se rencontrent — avec les savants que nous verrons, — des bourgeois cultivés, des gazetiers, des grands seigneurs : Miron, Saurin, les ducs de la Force et de Chevreuse, des femmes de qualité : Mlles d'Aubeterre, de Verthamont, de Lilly, les duchesses d'Épernon et de Rohan. La duchesse du Maine, reine de France manquée, ouvre au Cartésianisme et au Malebranchisme sa cour artiste de Sceaux.

Cette diffusion, qui dure jusque vers 1730, soit de la méthode logique et psychologique, soit des systèmes physiques et métaphysiques de Descartes, a des effets que les contemporains perçoivent assez nettement.

Le premier, c'est cette confiance en la puissance de la raison et aux ambitions de la science que communique non seulement l'éloquence de Descartes, mais le spectacle du Cosmos tel que son imagination a commencé de le reconstruire. Dans cet état d'esprit, il y a sans doute, comme toujours quand le monde adopte une vérité, de l'excès ridicule. Les anticartésiens raillent à juste titre ces jeunes abbés, ces cavaliers, avocats, médecins, qui parlent à tort et à travers, de matière subtile, de globules, de tourbillons, d'automates et de phénomènes. Mais les sages eux-mêmes ne peuvent s'empêcher de partager plus discrètement cette ivresse de la science conquérante. La Bruyère déclare que la jeunesse de cet univers, qui ne fait que de commencer, permet de croire tout possible.

Le second effet du cartésianisme, c'est l'assujettissement à cette probité rigoureuse d'investigation, à cette discipline du doute, qu'impose aux fidèles de la nouvelle philosophie le premier article de leur catéchisme. Là encore, tout le monde est d'accord. Un adversaire de Descartes, le P. Daniel, énumère ainsi les services rendus par l'auteur du Discours de la méthode à tous les penseurs :

[il leur a] ouvert les yeux sur les défauts de leur manière de philosopher, [sur] le peu de soin qu'ils avaient, pour la plupart, d'approfondir les matières qu'ils traitaient,... [sur] la nécessité de se former pour eux-mêmes, et de donner à leurs disciples, des idées claires et distinctes des choses,... [sur] le peu de réflexion qu'on faisait touchant l'expérience, qui est la mère de la philosophie,... [sur] l'aveugle dépendance qu'on avait pour les sentiments d'autrui.

Le même jésuite, dans les dialogues de son Voyage au monde de Descartes, laisse dire sans protester à l'un de ses personnages qu'en matière de philosophie, parmi les honnêtes gens, la liberté de conscience est un droit inviolable. Et une femme du monde, Mme de Lambert, résume en une parole fière l'idée que se font, vers 1715, les honnêtes gens de cette sorte de Renaissance à laquelle ils s'initient avec joie :

Philosopher, c'est secouer le joug de l'opinion et de l'autorité, c'est rapporter chaque chose à ses principes propres, c'est rendre à la raison toute sa dignité et la faire rentrer dans ses droits.

 

II. — LES SCIENCES[2].

CETTE influence de l'esprit cartésien, c'est dans les sciences qu'elle,, fut le moins heureuse, tout en y étant très réelle, car si, de 1680 à 1720, rien de nouveau et d'original ne s'y produisit. La faute en était précisément à l'admiration que les savants, avec le public lettré, professaient pour Descartes. Son dogmatisme impérieux, l'abondance et l'assurance, rarement à court, de ses solutions, le lien spécieux de ses hypothèses, en les ravissant, les intimidaient, les paralysaient. Ils ne se disaient pas, avec Huygens et Leibniz, que la physique de ce métaphysicien constructeur ne devait être considérée que comme un échantillon de ce qu'on pourrait bâtir maintenant sur les expériences, ou comme un essai de ce qu'on pouvait dire de vraisemblable, dans la science de la nature, en n'admettant que des principes de mécanique[3].

Dans les Sciences mathématiques, ils se bornent donc à suivre le programme des travaux indiqués ou suggérés par lui, — même des gens comme Parent et Philibert de la Hire, capables d'être autre chose que ces paraphrastes du Maitre dont parle dédaigneusement Leibniz. — Le marquis de l'Hospital commence à initier les Français à cette nouvelle façon d'analyse des Bernouilli, de Leibniz, de Newton, qu'il faut ajouter à la géométrie bornée de Descartes, et, dans son traité d'Analyse des infiniment petits pour l'intelligence des lignes courbes (1696), il expose ce calcul merveilleux qui vient de mener M. Leibniz dans des pays jusqu'ici inconnus ; cette mathématique surprenante qui, en étudiant les accroissements infinitésimaux des grandeurs variables dans leur corrélation avec les fonctions de ces grandeurs, arrivait à des théorèmes imprévus, gros de conséquences pour toutes les sciences de la nature. — En Astronomie, où Descartes, selon Leibniz, n'avait pas assez pénétré les lois de Kepler, Jean Dominique Cassini se borne à enrichir la Carte du Ciel. — En Chimie, les trouvailles de Lémery et de Homberg sont fortuites et confuses ; celles de Denis Papin passent en France inaperçues. Les chimistes n'ont, dit Fontenelle, que le mérite de réduire leur science à des idées plus naturelles et plus simples et d'abolir la barbarie inutile de son langage. — La Physique n'avance guère que du côté de l'Acoustique et de l'étude de la Pesanteur, par les travaux de Mariotte et de Sauveur. — Dans l'Anatomie, que gênent les difficultés opposées par la police aux dissections de cadavres humains, et en Botanique, il se publie bien de grands ouvrages à planches : — en Anatomie, celui de Vieussens, en Botanique, celui de Tournefort ; — mais ces synthèses prématurées valent moins que les menus efforts de Claude Perrault, de Dodart, de Geffroy, de Vaillant, de Duverney. Savants médiocres, sans doute, ils cherchent sans ordre, observent sans méthode et constatent sans interpréter, mais du moins, ils amassent des faits, s'attachent aux expériences, rompent avec ces raisonnements généraux qui, dit Fontenelle, ne servent qu'à couvrir la fainéantise et à parler des choses qu'on ne sait pas. L'obscur botaniste Louis Morin tient, quarante ans durant, un journal météorologique très complet. L'omniscient et inventif La Hire s'astreint modestement, près de trente ans, à mesurer la quantité de pluie tombée à Paris. Fagon, le premier médecin du Roi, envoie Vaillant et Danty chercher sur les côtes de Normandie et de Bretagne, les animaux, végétaux et minéraux. Dodart, médecin du Roi lui aussi, ne rejette peut-être pas plus que ses confrères le dogme scolastique des Quatre humeurs et des Neuf tempéraments, mais Dodart, académicien, voulant étudier le comment de l'alimentation humaine, recourt aux pesées pour trouver en combien de temps le corps répare les évacuations des choses utiles.

Tous ces efforts de bonne volonté, Fontenelle les met en lumière dans son Histoire de l'Académie des Sciences et dans ses Éloges des académiciens. Il revendique les droits de la recherche désintéressée : il ose proclamer, malgré la préférence habituelle des gens du monde pour les sciences physiques, plus amusantes, la supériorité des connaissances relatives aux nombres et aux lignes, plus fructueuses pour l'esprit, et par conséquent pour l'humanité, lors même qu'elles ne nous conduiraient à rien qu'à penser juste. Il formule, avec une fermeté qui n'était pas sans courage, il affirme comme en dehors de toute discussion ce déterminisme cartésien[4] générateur indéfini de science : la nature se conduit par des règles qui ne se démentent point. Il encourage, sur la foi de cette fixité raisonnable, l'amas des vérités de mathématique et de physique, au hasard de ce qui en arrivera. Mais il répète aussi que le moindre fait qui s'offre à nos yeux est compliqué, qu'il faut peiner pour le décomposer et en exclure le mélange des circonstances étrangères. Il travaille, enfin, sans relâche (et il coordonne, de ce point de vue, les travaux de l'Académie) à établir cette vérité que les systèmes, tous les jours détruits et bravés par la nature, reçoivent d'elle de perpétuels démentis ; que la science est faite moins de décisions que de timidités et de doutes ; que la raison est toujours trop pressée de conclure ; que le savant doit toujours réserver une moitié de son esprit libre pour y admettre le contraire de ce qu'il croit. Il prend sur lui de déclarer, au nom de l'Académie des Sciences, qu'elle s'abstient totalement de métaphysique. Et c'est ainsi que s'établit peu à peu dans le monde scientifique un esprit des sciences, issu de cette nouvelle manière de raisonner que Descartes a amenée et qui est beaucoup plus estimable que sa philosophie même.

A ces sciences, dont on sentait que désormais on pouvait beaucoup attendre, le gouvernement prêtait un intérêt parfois impatient.

Vers 1686, Louvois trouva que l'Académie des Sciences coûtait cher ; qu'elle s'amusait à des investigations de curiosité pure, et négligeait les découvertes utiles. Ce qui était vrai, c'est que la Compagnie, affaiblie par le départ de Huygens et de Roemer, travaillait peu, par suite même de l'obligation imposée à ses membres, de ne rien publier en leur nom propre. La réforme nécessaire fut faite, en 1699, par l'abbé Bignon, neveu du chancelier Pontchartrain. Un nouveau règlement délivra l'Académie de ces ouvrages en commun et ne demanda aux académiciens pensionnaires, associés et élèves, que de rendre compte, chacun, à la Compagnie de l'objet particulier qu'il aurait librement choisi. En outre, leur activité et leur assiduité étaient fortement stimulées ; leur commerce avec les savants de la province et de l'étranger réglementé, et l'Académie fut invitée à faire connaître régulièrement, par des publications périodiques et par deux séances publiques annuelles, les résultats de son travail.

Le public ne demandait pas mieux que d'en être instruit. A Paris, les conférences scientifiques attiraient jusqu'à des jeunes gens qui portaient de beaux noms. Duverney mettait à la mode l'anatomie, et des gens du monde promenaient dans les salons des pièces sèches préparées. L'austère mathématicien Carré donnait en ville, à des femmes, des leçons de mathématiques transcendantes. Les dames se risquaient dans le laboratoire de Lémery, une cave, presque un antre, éclairé de la seule lueur des fourneaux. En province, les Académies locales commençaient à remplacer les odes et les discours par des mémoires de sciences. Tout à l'heure, à Bordeaux, Montesquieu engagera l'Académie dans le projet d'une Histoire physique de la terre ancienne et moderne.

Enfin, — bien que ce ne soit pas parmi les savants que se trouvent alors les noms les plus notoires, — la littérature, la philosophie, l'histoire s'inclinent avec une significative modestie devant cette puissance nouvelle des Sciences proprement dites. C'est d'elles, dit Bernard Lamy, qu'il faut se servir pour se faire l'esprit juste. Le plus ardent métaphysicien du temps, le P. André, n'hésite pas à avouer que ceux-là seront toujours d'insuffisants philosophes, qui n'auront pas puisé dans les mathématiques le sens de la véritable démonstration, qui nunquam ex mathematicis disciplinis gustum veræ demonstrationis hauserunt. Daguesseau enjoint au futur orateur d'étudier Descartes non pas quoique géomètre, mais parce que géomètre. De purs littérateurs, tels que Houdar de la Motte, se piquent d'allier la science et le bel esprit, et c'est à cela que Fontenelle attribue le progrès des lettres :

L'ordre, la netteté, la précision, l'exactitude qui règnent dans les bons livres depuis un certain temps, pourraient bien avoir leur première source dans cet esprit géométrique qui se répand plus que jamais, et qui, en quelque façon, se communique de proche en proche.... Un ouvrage de morale, de politique, de critique, peut-être d'éloquence, sera plus beau, toutes choses égales d'ailleurs, s'il est fait de main de géomètre.

A cet égard, la carrière de Fontenelle lui-même était symbolique de cette évolution des esprits. Ce neveu des Corneille, bel esprit de naissance et d'héritage, oracle du Mercure galant, concettiste expert, faiseur à la douzaine de tragédies, de madrigaux, d'idylles et d'opéras, tout à coup, aux environs de 1680, se tourna vers la philosophie cartésienne. Cartésien élargi, il fit de l'histoire, de la critique, (Dialogues des morts, Histoire des Oracles). Mais surtout, dans la Pluralité des Mondes, il se chargea de vulgariser, à la faveur de l'hypothèse la plus piquante de l'astronomie, les découvertes plus solide de cette science ; nommé enfin, en 1699, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences réorganisée, il s'initiait aux recherches les plus techniques de ses confrères, jusqu'à être capable d'en devenir dès 1704, le rapporteur intelligent et exact.

 

III. — LA PHILOSOPHIE.

DANS la philosophie[5], le Cartésianisme se continue, mais en se développant, et, de cette prolongation libre, il se dégage des nouveautés.

Le grand continuateur de Descartes, c'est un prêtre, un religieux, le pieux oratorien Malebranche. Mais précisément parce qu'il pousse à bout les principes de Descartes avec la logique rigoureuse qu'inspire un enthousiasme sans restriction, il s'écarte de lui et le dépasse. Prenant pour point de départ la double définition de l'Arne par la seule pensée, du corps par la seule étendue, — fondement de tout l'édifice cartésien, — il s'élance, sur la foi du Maître, à la conquête des vérités qu'il a laissé à ses successeurs le soin de trouver ou d'éclaircir. — Le problème de la perception des choses extérieures par l'esprit humain a été laissé par Descartes dans l'ombre : Malebranche le résout par la vision en Dieu : Dieu est l'intermédiaire entre l'intelligence et la matière, séparées, sans lui, par un fossé infranchissable. — Descartes a posé en logique le principe de l'évidence, mais il faut mieux montrer qu'il ne l'a fait qu'à cette évidence, tout le monde, avec de la surveillance sur soi, peut prétendre et atteindre : c'est l'objet de la Recherche de la Vérité, manuel d'une psychologie et d'une logique nouvelles. — Descartes, tout à la métaphysique et à la science, s'est. peu préoccupé de la volonté active : Malebranche l'explique par sa théorie des lois générales et des causes occasionnelles qui pense concilier, en Dieu aussi, la liberté humaine, avec la fixité imperturbable des lois de la nature. — Ainsi le Cartésianisme, complété, rendait compte de toute la vie et de tout l'être. Et cette œuvre, Malebranche l'accomplit avec sérénité. Il croit que la raison ne saurait contrarier la foi.

Et pourtant de tous les résultats auxquels Malebranche, triomphant, arrivait, sur les-traces de Descartes, pas un seul peut-être qui ne pût être présenté, avec grande apparence, comme indirectement destructeur soit de la théologie catholique, soit du spiritualisme lui-même[6]. Il n'était pas aisé de faire cadrer une religion qui fait appel, de sa base historique à son sommet métaphysique, au surnaturel et au mystère, avec cette théorie de Malebranche que moins il y a de miracles et plus Dieu est glorifié, que c'est chose pieuse de chercher à diminuer le miracle en l'expliquant d'une façon rationnelle, par des causes naturelles. — Il était difficile de ne pas voir le germe d'un scepticisme absolu dans cette opinion de Malebranche que ce ne sont pas les choses que nous percevons, mais leurs images ; et qu'une démonstration de l'existence du monde réel est impossible. — C'était, aux yeux du spiritualisme d'alors, une assertion bien favorable au matérialisme, que de chercher dans les traces imprimées sur notre cerveau par les esprits animaux l'explication non seulement de beaucoup d'illusions et d'erreurs, mais de toute la vie intellectuelle, de la mémoire, de l'association des idées, de l'habitude. — De même l'auteur de la Recherche paraissait bien aboutir au Panthéisme quand il déclarait que les corps participent de l'étendue intelligible, que la substance de Dieu est, en mille façons, participable, qu'en dehors de l'action divine, nulle action réelle n'existe. — Et enfin, ce n'était pas seulement la conception d'un Dieu personnel, c'était l'existence même de Dieu qui périclitait dans la théorie malebranchiste des lois générales. En avouant que l'Être suprême prévoit le mal sans avoir, comme l'observait Arnauld, ni le moyen ni même la volonté de le prévenir, exécute les choses sans les ordonner, ou bien même n'exécute que certaines grandes choses dignes de lui, pendant que les faits particuliers s'arrangent comme ils peuvent, Malebranche grandissait peut-être spéculativement la Divinité, mais il l'amoindrissait aux yeux des simples, et il induisait lès incrédules à trouver superflu ce Dieu tant dépouillé.

Mais de toutes les propositions malsonnantes que les censeurs pouvaient glaner dans les ouvrages de Malebranche, les plus graves peut-être étaient celles où il proclamait, comme une chose désormais indubitable, qu'il faut ne jamais donner de consentement qu'aux idées assez évidemment vraies pour qu'on ne puisse la leur refuser sans sentir une peine intérieure et des reproches secrets de la raison ; que la liberté de philosopher ou de raisonner sur les notions communes ne doit point être ôtée aux hommes, à qui elle est un droit aussi naturel que celui de respirer. Sans doute, de temps en temps, il se souvenait d'excepter, de cette autonomie souveraine de la raison, la religion et la théologie ; mais il se hâtait de se démentir en déclarant que, même en religion, il est ridicule et impossible de prétendre limiter l'usage de la raison, de se dépouiller d'elle à son gré comme on se décharge d'un habit de cérémonie. Plus nettement encore que Descartes, ce prêtre cartésien formulait la déclaration des droits illimités de la liberté de penser naissante.

Bayle se chargeait, dans le même moment, et très consciemment, de montrer les redoutables effets de ces droits. A cet égard, ce protestant obscur, chassé de France par la persécution, professeur, puis gazetier à Rotterdam, écrivain médiocre, fait à lui seul l'œuvre de toute une secte, et, en vingt-cinq ans, l'œuvre d'un siècle.

Lui aussi, il procède ou, au moins, il profite de Descartes. Mais, cartésien partiel, il ose, dès ses débuts, ne voir en lui qu'un de ces faiseurs de conjectures que l'on doit pouvoir suivre et quitter suivant l'amusement d'esprit que l'on cherche. Le doute est sa pente originelle. La propagande du doute sera sa première tâche.

Il l'aborde, en 1682, par ses Lettres à un docteur de Sorbonne sur les Comètes[7] : réquisitoire, d'apparence innocente, contre la superstition populaire qui attribuait aux phénomènes astronomiques la propriété de produire ou de présager de grands maux. Mais jamais on n'avait attaqué la superstition en oubliant plus délibérément qu'elle est, comme dit Joseph de Maistre, un ouvrage avancé de la forteresse religieuse. Ce champion de la religion sensée alléguait pour la défendre des arguments bien suspects : soutenir que les comètes sont un signe de la colère céleste, c'est affirmer que Dieu encourage l'idolâtrie pour empêcher l'athéisme ; or est-on sûr, disait-il, que l'un vaille mieux que l'autre ? Et que l'on n'en est pas sûr du tout, il le prouvait en s'appuyant sur l'histoire.

Car c'était là son originalité d'allier à sa dialectique beaucoup d'histoire. Le scepticisme se faisait chez lui érudit. Et cette érudition se faisait journaliste. Bayle fonde en 1684 les Nouvelles de la République des Lettres, pour être soi-disant le Journal des savants du Refuge protestant. Mais il s'en faut que Bayle se contente du modeste rôle de rapporteur de tous les ouvrages de l'esprit. Inquisiteur malin des contradictions contemporaines comme des incertitudes de l'histoire, il s'occupe bien plutôt à souligner, — à augmenter au besoin, — les conflits des théologiens, des philosophes, des historiens : heureux de mettre aux mains Arnauld et Malebranche, comme Mézeray et de Thou, heureux surtout de tirer astucieusement d'un ouvrage orthodoxe la preuve involontaire d'une thèse incrédule.

De plus, ce doute philosophique, documenté et vulgarisateur, descend, pour y montrer ses bienfaits pratiques, dans la polémique d'actualité. Si les idées sont tellement diverses, contraires même, dans des hommes d'égale autorité, si les faits sont tous contestables, tous obscurs, pourquoi les hommes agissent-ils comme s'ils étaient sûrs de leur certitude ? Pourquoi, en matière de religion spécialement, cette intolérance impérieuse ? Elle est déraisonnable autant que barbare. Bayle la combat de plus en plus fortement : dans la Critique de l'Histoire du Calvinisme du Père jésuite Maimbourg, où il discute la conduite des protestants français aux XVIe et XVIIe siècles et réfute les griefs du loyalisme catholique ; — dans la Lettre sur la Conscience errante, où il nie ouvertement la possibilité d'une vérité absolue et universelle, obligatoire pour tous ; — dans la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand (1686), où il met en lumière, au lendemain de la Révocation, l'odieux effet que la coaction des consciences doit produire, non moins sur des chrétiens raisonnables que sur des personnes n'ayant d'autre religion que celle de l'équité naturelle ; — enfin dans le Commentaire philosophique sur ces paroles de l'Évangile : Force-les d'entrer dans la maison du Maitre : Compelle eos intrare. Et, dans ce dernier ouvrage, ouvrage capital, ce n'était pas seulement l'intolérance catholique qu'il attaquait ; c'était l'intolérance chrétienne, et tout exclusivisme religieux. Il glorifiait la tolérance universelle, suite logique de l'universelle incertitude. La hardiesse de ces conclusions, comme la méthode d'argumentation, épouvanta, tous les premiers, ces protestants dont Bayle plaidait la cause. Le Supplément au Commentaire philosophique (1688) ne parvint pas à démontrer aux docteurs de la Réforme, scandalisés, que le droit des hérétiques à persécuter est égal, absolument parlant, à celui des orthodoxes ; l'Avis aux Réfugiés, auquel, Bayle collabore avec son disciple, Daniel de Larroque (1690), réussit, encore moins, sous une forme cruellement ironique, à convaincre les calvinistes français qu'on avait raison de les traiter d'inconséquents s'ils ne prenaient pas leur parti, en politique, de l'esprit républicain qu'on leur imputait, comme, en religion, de l'esprit de libre pensée qui aurait dû, selon lui, être celui de la Réforme.

Cette invitation au Protestantisme d'entrer dans des voies nouvelles était prématurée. Bayle revient, dans ses derniers ouvrages (le Dictionnaire critique et les Réponses aux questions d'un provincial), à une philosophie moins actuelle, mais non moins hardie. Le Dictionnaire continue, sans doute, visiblement cette propagande de scepticisme, d'où naîtront plus tard, il l'espère, des fruits de tolérance. D'un bout à l'autre de l'alphabet, à propos des moindres personnages et des plus petites choses, sous une forme tantôt grave et tantôt licencieuse, toujours avec une dialectique subtile et une érudition prodigue, il insinue, incessamment, cette idée que la vérité n'est guère moins le désespoir de l'histoire qu'elle n'est ou devrait être celui de la philosophie. Tout-conspire à dénaturer la relation et la transmission des faits : intérêts, passions, préjugés d'individus ou de sociétés, patriotisme et religion. On accommode l'histoire comme les viandes dans une cuisine la même chose est mise en autant de ragoûts différents qu'il y a de pays au monde. Les textes les plus autorisés fourmillent d'erreurs, d'ignorances, de mensonges. Mais ce scepticisme, chez Bayle vieillissant, devient plus agressif, et très précis. Bayle ne se borne pas à dénoncer comme indignes de la foi qu'on leur accorde Hérodote, Plutarque, Pline l'Ancien. II s'en prend aux livres sacrés du Christianisme. Déjà, dans les Nouvelles de la République des Lettres, il avait osé remarquer, à propos du Pentateuque, que de la manière dont Moïse raconte la tentation du premier homme, il apparaît bien que son intention n'a pas été que nous sussions comment l'affaire s'était passée. Dans le Dictionnaire critique, beaucoup d'histoires de l'Ancien Testament sont démolies par lui avec cette irrévérencieuse ironie. En outre, il conteste leur valeur morale autant que leur valeur rationnelle. De plus en plus nettement, il prend le contre-pied des apologistes philosophes qui, depuis Pierre Charron jusqu'à Malebranche, prétendaient montrer l'accord de la raison et de la foi. Bayle s'attache à prouver au contraire que le Credo quia absurdum est le seul recours des croyants, et qu'il y a même autant d'incompatibilité entre la foi et la conscience qu'entre la foi et la science.

Enfin il allait plus loin encore. Il appliquait aux dogmes spiritualistes le même respect méprisant qu'aux traditions de la religion révélée. On peut révoquer en doute les preuves d'un principe sans entamer le principe lui-même. Abrité sous cette précaution, il discutait les preuves de l'idée de Dieu sans discuter l'existence de Dieu. Ce problème des rapports de Dieu avec l'humanité qui avait tant préoccupé, pendant tout le XVIIe siècle, la pensée catholique et protestante, Bayle le scrutait à son tour, et par le même biais. Il rassemblait contre l'idée de la Providence toutes les objections anciennes et modernes. Il démontrait, par l'histoire, qu'elle est une selle à tous chevaux, un postulat commode, dont toutes les sectes se servent pour attribuer chacune à Dieu des desseins contraires. Il démontrait, par la philosophie, qu'à l'objection du mal physique et moral, l'hypothèse des Dualistes du moyen âge — la coexistence manichéenne du Diable et de Dieu, — apparaissait encore comme la plus plausible réponse, de même qu'aux impossibilités logiques de la Création, l'hypothèse atomiste des Épicuriens pouvait toujours se substituer avec avantage. — Du scepticisme la philosophie de Bayle en arrivait doucement, sûrement, à l'athéisme.

Or, sans doute, contre ces assertions, ouvertement subversives chez Bayle, inconsciemment dissolvantes chez Malebranche, de l'édifice chrétien et spiritualiste achevé par le siècle qui finissait, les protestations ne manquaient pas. Contre Malebranche, Arnaud, Bossuet, Fénelon, Leibniz lui-même bataillent plus ou moins vivement, gênés qu'ils sont par la candeur de l'homme et leur sympathie pour lui. Rome condamne le Traité de la Nature et de la Grâce, en 1690 ; la Morale, les Entretiens métaphysiques et la Recherche de la Vérité, en 1709. — Bayle, dans le Protestantisme, n'est pas moins réprouvé. Leibniz, tout en feignant de le dédaigner, le comprend trop bien pour ne pas l'honorer, dès 1696, d'une réfutation. Les plus célèbres docteurs orthodoxes du Refuge de Hollande, Jacquelot, La Placette, Jurieu lui-même et Basnage, le dénoncent comme le patron des libertins.

Mais rien n'y fait. Entre le cartésien modéré qu'est Arnauld, et le cartésien radical qu'est Malebranche, c'est ce dernier que la jeune philosophie préfère. Il fait école, non seulement chez les laïques amateurs de philosophie, — le duc de Chevreuse, le marquis d'Aile-mens, le duc de la Force, — mais chez les membres de l'Académie des Sciences, — le marquis de l'Hôpital, Carré, Renau d'Eliçagaray, Pierre de Montmor, Varignon, Catelan, Sauvion, l'abbé de Molières, Dortous de Mairan, etc. ; — non seulement chez ses confrères de l'Oratoire, — les PP. Thomassin, Quesnel, Bernard Lamy, — mais chez les Bénédictins (François Lamy), à la Sorbonne et dans le clergé séculier (Boursier, l'abbé de Lanion, René Fédé). Fénelon lui-même finit par subir son charme. Enfin, jusque chez les Jésuites, le P. André (1675-1764) finit à force de patience par faire accepter son admiration pour Descartes et pour Malebranche.

Quant à Bayle, tout exilé qu'il est, il a autant de succès en France qu'à l'étranger. A Paris, une petite église bayliste se forme, dont l'avocat Mathieu Marais est l'âme. Si lourds de raisonnement qu'ils soient ou chargés de gauloiseries obscènes, les ouvrages du réfugié de Rotterdam se réimpriment, et les libraires de Paris demandaient au chancelier le droit de les rééditer. Quand parut le Dictionnaire, les jeunes gens se pressaient aux portes des bibliothèques pour lire un livre où, comme disait plus tard Voltaire, — qui doit à Bayle plus encore qu'il ne l'avoue, — il n'y avait pas une seule ligne qui fût un blasphème évident et qui, cependant, ne conduisit à l'incrédulité.

 

IV. — L'ÉRUDITION.

SUR l'Érudition[8], l'influence du Cartésianisme fut plus curieuse encore, parce que plus inattendue. Le Cartésianisme devait logiquement entrer en lutte avec toutes les sciences que l'autorité borne, ou qui, ne s'occupant guère que du passé, sont propres à entretenir le respect stérilisant de la tradition et des Anciens. Descartes avait été sévère pour les érudits : Malebranche fut injurieux. Il accabla de sarcasmes, dans la Recherche de la vérité, toutes les formes de cet esprit de polymathie, qui, sans éclairer le sens, a pour effet de faire de la tète des hommes une espèce de garde-meuble. Si ces savants, écrivait-il, étaient informés jusqu'à quel point je les méprise, ils auraient peine à me le pardonner. Les beaux-esprits purement littéraires et les moralistes firent chorus avec les nouveaux philosophes. La Bruyère daubait sur les Hermagoras et les Diognètes. Le P. Rapin louait sa génération de devenir sensible à la raison plus qu'à tout le reste. Bayle se plaignait encore, en 1692, dans son Dictionnaire, qu'un certain esprit plus fin accompagné d'un discernement plus exquis eût détrôné l'érudition : On la traite de crasse pédanterie.... L'étude de la Critique est tombée. Et assurément pour la relever dans l'opinion, ce n'était pas assez de Tillemont, ni d'Etienne Baluze[9]

Le Père Mabillon fut plus habile. Ce bénédictin de Saint-Germain-des-Prés avait démontré, en 1681, dans son traité de Re diplomatica, que l'étude tant raillée de ces vieilles chartes en mauvais latin était une vraie science, ayant ses principes, ses règles, sa méthode, tout comme la psychologie cartésienne. Comme ce code nouveau d'une science méconnue fut attaqué, Mabillon et ses confrères, — dom Ruinart en particulier, — quinze ans durant, confirmèrent, précisèrent leur méthode, prouvèrent qu'elle répondait aux exigences nouvelles du scepticisme rationnel. Ces paléographes cartésiens rattachaient, en dépit de Malebranche, l'érudition à la philosophie qui avait failli la tuer.

Ainsi réhabilitée aux yeux d'un monde penseur, l'Érudition continue dans les dernières années du règne de Louis XIV son labeur utile, moins encore avec des savants laïques — ceux-ci surtout en province : à Dijon, La Monnoye, Papillon, le président Bouhier ; à Grenoble, Guy Allard ; à Lyon, Jacques Spon, etc. — qu'avec des ecclésiastiques. Plus nombreux encore qu'au milieu du XVIIe siècle, prêtres séculiers[10] et réguliers[11] se jettent avec sécurité, Bénédictins, Dominicains et Jésuites en tête, dans l'étude approfondie du passé.

C'est encore le P. Mabillon qui les y excitait, et qui les rassurait. A ceux même d'entre eux qui sont sous la règle monastique la plus sévère, il prescrivait, dans son Traité des études monastiques (1691), avec une tranquille audace, un large plan de vie studieuse ; à tous les prêtres, il représentait comme un double devoir indispensable, le respect de la raison, des idées claires, et l'acquisition d'un savoir aussi vaste, aussi minutieux que possible. Mais les théologiens de l'ancienne école, que ces libérales hardiesses scandalisaient, protestent, à plusieurs reprises, dans la fin du règne. L'abbé de Rancé, l'austère réformateur de la Trappe, lança de son désert un réquisitoire éloquent contre Mabillon :

Il faudra donc que les moines étudient les lettres profanes, la philosophie, les langues ; qu'ils entrent dans le fond de la théologie et de la science ecclésiastique ; qu'ils sachent l'histoire de l'Église, sa discipline, ses canons ; qu'ils lisent avec application tout ce que les Pères et les auteurs ont écrit sur ces matières, enfin qu'ils s'appliquent même à la connaissance des manuscrits et des médailles !...

Est-ce que tant de science, surtout dans la vie cachée des moines, importe à la piété ? Même dans le siècle est-elle favorable à la foi ? Car cette érudition n'est plus, comme jadis, affaire de mémoire ; c'est l'enquête discuteuse et jugeuse, c'est-à-dire de toutes les études la plus propre à dérégler le cœur et l'esprit des chrétiens en les mettant dans le droit d'examiner tout, de décider de tout.... Un jésuite, le P. de Laubrussel, publia en 1710, un Traité des abus de la critique.

Ces inquiets voyaient juste. L'évolution de la théologie à cette époque le prouve.

 

V. — LA THÉOLOGIE.

CAR dans la théologie[12], elle aussi, le Cartésianisme opère, et pour y développer non pas tant la spéculation métaphysique que cet esprit critique, qui confronte avec l'évidence raisonnable ou passe au crible de la vraisemblance logique les idées courantes ou les faits reçus. Mabillon, tout le premier, en donnait, dans l'histoire ecclésiastique, l'exemple dangereux dans sa Lettre d'Eusèbe à Théophile sur le culte des saints inconnus (1698), après laquelle les traditionnalistes effarés pouvaient bien dire que, désormais, aucun saint n'était en sûreté, — aucune relique.

Mais ce furent surtout les livres d'exégèse biblique de Richard Simon, malgré leur modestie et leurs précautions, qui mirent en lumière crue les effets immédiats de cette critique... effrénée, accueillie par le clergé.

Après l'avoir appliquée d'abord à l'Ancien Testament (1678), il l'appliquait maintenant (1689) au Nouveau. Il étudiait les Évangiles, non en bloc, mais chaque livre en particulier, les auteurs, le temps, le lieu, l'idiome, le style de chacun, et les styles différents dans lesquels ils avaient écrit. Il recueillait et pesait à nouveau les doutes formés autrefois sur leur canonicité, en suggérait de nouveaux, discernait les additions, dénonçait les variantes, conjecturait les omissions. Il remettait en lumière ces évangiles apocryphes dont on n'aimait guère à parler. Il rouvrait la question de l'inspiration. Il comparait et jugeait, sans embarras, toutes les versions du Nouveau Testament, appréciait, dans une entière liberté, tous les commentateurs, ne se contraignait ni pour déprécier les Pères les plus illustres, fût-ce saint Augustin, ni pour rendre justice aux exégètes hétérodoxes, fussent-ils sociniens. Il combattait avec une mauvaise humeur sévère l'interprétation allégorique, considérant l'exégèse littérale comme la seule explication régulière et normale de l'Écriture. C'était, tout le temps, l'esprit cartésien, soit par l'exercice du droit absolu de juger, soit par l'emploi des critères d'évidence, — ici les circonstances de grammaire et d'histoire, — et par l'application hardie de tous les moyens d'enquête scientifique au livre divin, traité de même façon et sans plus d'égards que n'importe quel livre profane. Et cependant, ces écrits de Richard Simon, si pleins qu'ils fussent de choses redoutables, faisaient tranquillement leur chemin. Les catholiques ne voulaient voir en eux que la thèse qui déplaisait aux protestants : à savoir que l'Écriture n'est pas assez constante dans son texte, pas assez claire dans ses énoncés, pour servir de règle de foi. Les pouvoirs ecclésiastiques français attendirent pour sévir l'apparition, en 1702, d'une traduction française du Nouveau Testament faite par Richard Simon en conformité de ses principes.

Dans le Refuge protestant, — dont l'histoire intellectuelle est inséparable, malgré l'exil, de l'histoire des idées en France, — la même critique sans gêne détrônait le vieil esprit biblique, la liberté respectueuse et réglée des Luther et des Calvin ; — et tel était l'esprit de l'Ars critica de Jean Le Clerc[13] ; — tandis que, dans la théologie spéculative, l'idée d'une Église étroite, dépositaire unique des moyens de salut, s'évanouissait devant les doctrines de tolérance universelle et indéfinie dont les avocats se multiplient alors : Aubert de Versé, Isaac Papin, Lecène, Gédéon Huet[14].

Tout ce mouvement de désarroi fécond d'une théologie s'ouvrant, bon gré mal gré, à des pensées philosophiques s'exprime alors dans deux hommes éminents : Fénelon et Jurieu.

Jurieu était, depuis 1675, le champion le plus illustre, le plus éloquent, le mieux armé du Protestantisme, contre Arnaud et Bossuet, contre tous les avocats du catholicisme vainqueur. Mais c'est un observateur vigilant autant qu'un théologien passionné. Il suit avec sympathie les tendances de la pensée en marche et voudrait y plier l'apologétique assouplie de la Réforme. La conférence de Bossuet avec Claude, aidée des écrits de Nicole sur l'Église, a mis en relief la nécessité d'une règle spirituelle, que les Protestants au XVIe siècle avaient rejetée et qu'au XVIIe siècle ils avaient regrettée. L'Histoire des Variations a mis en évidence l'instabilité perpétuelle et les divisions dogmatiques du Protestantisme. Que fait Jurieu ? Il nie que l'unité et la stabilité de foi soient essentielles au Protestantisme. Bien plus, il prouve qu'en variant, l'Église protestante n'a fait qu'imiter l'ancienne Église ; que presque tous les fondements de la foi actuelle furent ignorés ou combattus par les Pères des premiers siècles. Ainsi, pour ruiner ce faux principe de M. de Meaux, que la vérité venue de Dieu a d'abord toute sa perfection, Jurieu versait à flots dans l'histoire ecclésiastique protestante les idées des nouveaux critiques, installait dans la théologie calviniste l'idée cartésienne de progrès et d'évolution.

Mais voici que de cette lente et tâtonnante formation du dogme chrétien, les douteurs cartésiens se prévalent pour en contester la surnaturelle autorité, pour réhabiliter indifférence, le Socinianisme qui nie la Trinité et Jésus-Christ, le Déisme même. A ce coup, Jurieu proteste. Seulement, pris alors entre Bayle et Bossuet, il ne parvient pas à fixer sa conception de l'Église. Tantôt, par haine de Bossuet, il l'ouvre à tous venants, comme une sorte de confédération volontaire où ni l'autorité des Synodes ni celle des Confessions de foi ne lient la conscience. Tantôt, par peur de Bayle, il fait les magistrats civils maîtres de régler eux-mêmes l'orthodoxie des groupes ecclésiastiques nationaux et de châtier les hétérodoxes, et il anathématise jusqu'à la tolérance civile, destructrice de la foi chrétienne. Tour à tour il maintient la nécessité du libre examen individuel et rejette ce vieux principe protestant comme absurde.

Chez Fénelon, moins flottante en ses conclusions, la théologie n'était pas moins aventureuse, parfois, en ses tendances. Non que ce soit l'érudition qui l'égare ; il en avait peur, et il signale en elle à son ami le futur cardinal Quirini un grand danger pour l'Église. Mais c'est pour la philosophie qu'il avait d'étranges complaisances et c'est elle qui l'entraîne. Dans le Traité de l'Existence de Dieu (1712), il proclamait que l'évidence des idées doit être la règle immuable de tous nos jugements et qu'il s'y faut soumettre à moins de renoncer pour jamais à toute raison. Lui qui avait, jadis, à l'instigation de Bossuet, combattu Malebranche, il semblait adopter, dans ses derniers ouvrages, non seulement la vision en Dieu de l'oratorien, mais l'existence en Dieu de Spinoza, comme la condition normale de toute existence humaine parfaite ; il semblait accepter de gaieté de cœur les conséquences panthéistiques d'un système où son hellénisme était ravi de retrouver les idées du divin Platon. S'il n'avait pas pour saint Augustin les mépris dont Richard Simon ne se cache pas, il encourageait la guerre sourde des Jésuites contre l'augustinianisme français. Son mysticisme se défendait, sans doute avec raison, d'être formellement quiétiste, mais il tendait tout de même à reléguer au second plan la foi précise en un Christ précis. Par opposition à toutes les pratiques qui sentent le protestantisme, il blâmait les Jansénistes d'autoriser la lecture des Livres Saints, mais il les blâmait en montrant, plus vivement que jamais Richard Simon n'eût osé, les difficultés scandalisantes que le livre saint peut offrir aux esprits faibles. Conseiller politique du duc de Bourgogne, il lui recommandait la tolérance civile d'un ton si décidé qu'il avait bien l'air de prendre son parti non moins que Bayle, des divergences de la foi et des répugnances de la conscience : l'on doit laisser les sujets, disait-il, dans une parfaite liberté d'examiner, chacun pour soi, l'autorité et les motifs de crédibilité et de révélation. — Tous ces traits réunis faisaient de ce prélat, en qui l'Église de France pressentait, vers 1713-15, son représentant officiel du lendemain, un chrétien singulièrement différent des grands chrétiens du XVIIe siècle. On comprend que Fénelon apparût aux premiers philosophes comme un allié, ou du moins, comme le fauteur discret de toutes les émancipations de la pensée religieuse.

Bossuet[15], au contraire, en reste l'adversaire irréductible. Il aperçoit le lien de toutes ces erreurs qui, conscientes ou non, étaient les manifestations diverses et confuses d'un même malaise et d'une même évolution. Et toutes, il les repousse ou les attaque. En 1678, il avait fait supprimer à son apparition l'Histoire critique de l'Ancien Testament de Richard Simon ; en 1680, il interrompait le bel ordre du Discours sur l'Histoire Universelle pour y régler impérieusement avec le téméraire critique la question du Pentateuque et d'Esdras. — Avant 1682, il pouvait encore être considéré comme un des amis de la philosophie cartésienne ; il s'était plu, dans le Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même à fondre Descartes avec saint Augustin et saint Thomas. Mais les folles constructions de Malebranche lui ouvrent les yeux. En 1687, il prédit que sous le nom de Cartésianisme, un grand combat se prépare contre la religion. — En 1688, il publie cette Histoire des Variations des Églises protestantes, presque aussi vraie que belle, où voyant bien que l'idée capitale qui, de tous côtés, s'ébrèche, c'est celle d'autorité, il montre que l'essence et la raison d'être du catholicisme réside en son unité immuable, résultat d'une règle constamment acceptée. — En 1690, il entreprend de réfuter expressément l'exégèse purement philologique et historique, au moins en ce qui concerne l'histoire chrétienne primitive, et il commence à cet effet un ouvrage dont, quatorze ans plus tard, il s'occupait encore : la Défense de la Tradition et des saints Pères, défense, surtout, de saint Augustin, le seul docteur nécessaire, selon lui, et le docteur suffisant, celui qui tient lieu de tous les autres. — De 1689 à 1692, à propos des réponses faites à son Histoire des Variations, les yeux sur les ouvrages de Jurieu, de Bayle et de leurs confrères, il établissait, dans les Six Avertissements aux Protestants, le bilan de la pensée protestante, et prophétisait, avec une admirable précision, son aboutissement fatal à la libre pensée. — En 1692, il prend à partie les curiosités indiscrètes d'Ellies du Pin sur les premiers Conciles. — En 1694, l'imprudent plaidoyer d'un P. Caffaro en faveur du théâtre lui offre une occasion, souhaitée, d'éclater contre le pernicieux abandon, par les théologiens, des principes de la morale sévère. — C'est alors qu'ayant découvert la complicité de Fénelon avec le mysticisme de Mme Guyon, il assène, coup sur coup, de 1695 à 1699, sur les deux alliés d'abord, puis sur Fénelon seul, une trentaine d'écrits. — En 1699, amené à reprendre avec Leibniz, mandataire de l'Électeur de Hanovre, des négociations en vue d'une réunion des Luthériens à l'Église romaine, il maintient, avec plus d'âpreté que jamais, l'impossibilité pour le catholicisme de se prêter à aucune transaction sur aucun point de doctrine. — En 1700, à l'occasion de l'Assemblée du clergé, il se pose nettement en champion de la doctrine augustinienne de la Grâce et du Péché, et il ose poursuivre jusque dans les écrits d'un cardinal romain, Sfondrata, la mollesse dogmatique et la mansuétude coupable. — En 1701, il se déclare, dans l'affaire des Rites chinois, contre la tolérance des Jésuites ; il combat en passant ces cartésiens qui prétendent expliquer rationnellement tous les mystères, même l'Eucharistie, ou les érudits, assez insensés pour soutenir une identité prétendue de la sagesse philosophique des Païens avec la sagesse chrétienne. — En 1700-1701, il proclame de nouveau, dans ses Instructions pastorales sur les promesses de Jésus-Christ à son Église, ce principe de la perpétuité invariable qu'il voit de tous côtés, et même dans le catholicisme, déserté. — De 1700 à 1704, vieilli, malade, il dénonce le Nouveau Testament de Simon ; il travaille, jusqu'à l'instant presque de sa mort, à la Politique tirée de l'Écriture Sainte et à un Traité de l'autorité des Jugements ecclésiastiques ; il consacre les derniers restes de sa dialectique à fortifier ces deux autorités, civile et spirituelle, dont l'absolutisme, chacune dans son domaine, doit être sauvé d'urgence contre tous les relâchements, toutes les indépendances, toutes les criminelles fantaisies du sens propre. Car derrière les philosophes et les érudits chrétiens, comme derrière l'hérétique et le schismatique, c'est l'incrédule, qu'il aperçoit, montant.

Mais dans cette résistance Bossuet est presque seul. Il ne réussit plus à faire interdire, ni seulement corriger, les ouvrages qu'il dénonce. Ses angoisses, ses indignations restent sans écho. Un ministre, ami pourtant, Pontchartrain, prétend l'empêcher d'élever librement contre les erreurs sa voix de vieil évêque, sentinelle d'Israël. Chez ses amis eux-mêmes, il ne rencontre qu'apathie inerte ou railleuse. Ses adversaires de la nouvelle génération ne se gênent plus, soit pour lui reprocher en face ses tyrannies surannées ou les insuffisances notoires de sa science et de sa philosophie, soit pour escompter sa disparition prochaine. Il meurt, et les effondrements prédits par lui, dans l'ordre religieux, ne se font pas attendre. Un de ces imprévoyants que Bossuet eût volontiers malmenés, le P. André, écrit (16 décembre 1717) :

Je ne sais où j'en suis ! J'entends dire qu'on peut être sauvé sans la foi en Jésus-Christ et qu'il n'y a qu'un Dieu rémunérateur de la vertu qui soit absolument nécessaire au salut. Il me parait que la religion est sur sa fin lorsque je vois former de pareils doutes.

 

 

 



[1] SOURCES. Textes cités dans Victor Cousin, Fragments philosophiques (Philosophie moderne), t. IV et V, Paris, 1866 ; dans Fr. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, 3e éd., 2 vol., et dans Charma et Manuel, Le P. André, Documents inédits, P., 1857, 2 vol. — De La Ville [le P. de Valois], Les Sentiments de Descartes opposés à la doctrine de l'Église et conformes aux erreurs de Calvin, 1680. Ant. Arnauld, Œuvres, éd. de Lausanne (ouvrages philosophiques). Le P. Daniel, Voyage de monde de Descartes, P., 1690. Pierre Regis, Système de philosophie, P., 1690, Cours entier de philosophie selon les principes de Descartes, 3 vol. in-4°, Amsterdam, 1691. Huet, Censura philosophiæ cartesianæ, P., 1694. Bayle, Recueil de pièces relatives à la philosophie de Descartes. Ch. Perrault, Parallèles des anciens et des modernes, P., 1688-1697, 4 vol. Les hommes illustres qui ont paru en France pendant le XVIIe siècle, P. (3e éd.), 1701. Fontenelle, Œuvres, éd. de 1742, t. V.

A CONSULTER : Cournot, Considérations sur la marche des idées dans les temps modernes, t. I, P., 1872. Renouvier, Philosophie analytique de l'histoire, P., 1896. Liard, Descartes, P., 1882. F. Brunetière, Études critiques sur l'histoire de la Littérature française, 4e série, P., 1907, et Manuel de l'histoire de la Littérature française, 1898 et 2e éd., 1907. A. Fouillée, Descartes, P., 1893. Bordas-Demoulin, Le Cartésianisme, P., 1843. Lévy-Bruhl, History of modern philosophy in France, Chicago, 1899. Revue de Métaphysique et de Morale, le volume sur Descartes, 1896. Compayré, Hist. des doctrines de l'Éducation en France, P., 1881, 2 vol. Lallemand, L'Éducation dans l'ancien Oratoire de France, Paris, 1898. Dupont, Houdar de la Motte, P., 1898.

[2] SOURCES. Outre les recueils de Depping et de Boislisle : Divers ouvrages de mathématique et de physique par MM. de l'Académie royale des Sciences, Paris, 1693, in-f° ; Recueil d'observations faites en plusieurs voyages, par ordre de S. M., pour perfectionner l'astronomie et la géographie, P., 1693 ; Histoire et mémoires de l'Académie des Sciences, P., 1783, Fontenelle, Histoire du renouvellement de l'Académie des Sciences, et des Académiciens morts depuis ce renouvellement, Paris, 1708 ; Éloges des Académiciens morts depuis 1699 jusqu'en 1739, Paris, 1783, ou dans les Œuvres, éd. 1742, t. V et VI ; Entretiens sur la pluralité des mondes, P., 1686-1687. Abbé Trublet, Mém. pour servir à l'histoire de la Vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, P., 1761.

A CONSULTER : Outre Poggendorff, Montucla, Marie, Delambre, Würtz, Hœfer, voir : Moritz Cantor, Vorlesungen über Geschichte der mathematik, III (1668-1758), Leipzig, 1898. Carus, Hist. de la Zoologie, trad. fr. P., 1880. E. von Meyer, Gesch. der Chemie, Lpz., 1895. J. Bertrand, Hist. de l'Acad. des Sciences, de 1666 à 1798, P., 1869. E. Maindron, L'Ancienne Académie des Sciences, 1666-1793. E. Faguet, Le XVIIIe siècle, P., 1890. Lévy Brühl, ouvrage cité. Laborde-Milsé, Fontenelle, 1905. Maigron, Fontenelle, P., 1906. Entre autres bibliographies de savants provinciaux, H. Brocard, Louis de Puget, François Puget, Louis Noblot (1671-1711), Bar-le-Duc, 1705. C. Wolf, Hist. de l'Observatoire de Paris, P., 1902. Cap, Le Muséum d'histoire naturelle, P., 1856. L. Denise, Bibliographie historique et iconographique du Jardin des Plantes, P., 1903. E. T. Hamy, Les anciennes ménageries royales (Nouv. Archiv. du Muséum, 3e sér., t. 5), 1893.

[3] Huygens, Remarques sur la Vie de Descartes par Baillet, dans V. Cousin, Fragm. phil., 5e éd., Phil. mod., 1re partie, p. 112 et suiv. ; Leibniz, Lettres à Malebranche, 18 janv. 1679, et à Nicaise, 5 Juin 1692, ibid., 2e partie, p. 20, 79, 80.

[4] Liard, Descartes, p. 126, 127, 273, 275, 292, etc.

[5] SOURCES. Malebranche, La Recherche de la Vérité, 1674-1675 ; dernière édition, 1712. Méditations chrétiennes, 1688 ; Entretiens sur la métaphysique, 1684, dans l'édition des œuvrer choisies, par J. Simon, P., 1871, 4 vol. in-12° ; Correspondance, dans V. Cousin, Fragments de philosophie moderne, t. II, et Blampignon, Étude sur Malebranche, Paris, 1861. Le P. André, Vie de Malebranche, p. p. Ingold, 1886. Bossuet, Lettre à un disciple du P. Malebranche, 21 mai 1687. Bayle, Œuvres diverses, La Haye, 1737, 4 vol. in-f° ; Dictionnaire critique, éd. Beuchot, P., 1820, 16 vol. in-8° ; Choix de la Correspondance inédite de P. Bayle, p. p. E. Gigas, Copenhague et Paris, 1890. Desmaizeaux, Vie de P. Bayle, 1780 (dans le t. XVI de l'éd. Beuchot (du Dictionnaire). Mathieu Marais, les lettres dans Mém. et Corresp. p. p. Lescure, P., 1863.

A CONSULTER : Sur Malebranche : Fontenelle, Éloge de Malebranche. Fr. Bouillier, ouvrage cité, t. II. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. VI. Blampignon, ouvrage cité. Charma et Mancel, ouvrage cité. Ollé-Laprune, La Philosophie de Malebranche, 1870, 2 vol. in-8°. G. Lyon, L'idéalisme en Angleterre au XVIIIe siècle. — Sur Bayle : Voltaire, table de l'édit. Moland. Abbé Marey, Analyse de Bayle, 1755. L. Feuerbach, Pierre Bayle, ein Beitrag zur Geschichte der Philosophie und Menschheit, Lepz., 1848, 2 vol. Lenient, Étude sur Bayle, P., 1855. A. Deschamps, La genèse du Scepticisme érudit chez Bayle, Bruxelles, Bonn et Liège, 1878. Delvolvé, Essai sur Bayle, P., 1906. Th. Schœll, art. dans le Bull. hist. du Protest. fr., juillet-août 1908.

Fr. Peaux, Les Précurseurs français de la tolérance, P., 1881. Sayous, Hist. de la Litt. franç. à l'étranger depuis le comm. du XVIIe siècle, P., 1853, 2 vol. F. Brunetière, Études critiques, 5e série, 1907, et Manuel de l'Histoire de la Littérature française. E. Faguet, Le XVIIIe siècle, 1890 ; 25e édition, 1935. Ducros, Les Encyclopédistes, P., 1900.

[6] A plerisque christianæ religionis decretis aliena est hæc philosophia, etsi magnum præ se fert studium pietatis. Huet, Censura philosophiæ cartesianæ, 1694, p. 214.

[7] Troisième édition en 1699 ; Addition aux Pensées sur les Comètes, 1694 et 1699 ; Continuation du même ouvrage, 1704.

[8] SOURCES. Outre les Préfaces et Avertissements, généralement très courts, des ouvrages de Mabillon, cités ci-après : Adrien Baillet, Jugements des savants sur les principaux ouvrages des auteurs, Paris, 1685, 9 vol. La Bruyère, Les Caractères, chap. des Jugements et passim. Ellies du Pin, Bibliothèque ecclésiastique du XVIIe siècle, Paris, 1719, 7 vol. in-8°. Bayle, Nouvelles de la République des Lettres (1684-1687) et Lettres ; Dictionnaire hist. et critique, 1692. L'abbé Nicaise, Correspondance, p. p. Caillemer, Lyon et Paris, 1885. Valéry, Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon avec l'Italie, P., 180, 8 vol. Le P. Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres dans la République des Lettres, P., 1727-1745, 48 vol. in-12°. Les Bibliothèques, citées plus haut, du P. Le Long (1719) et de Papillon (1742-1745).

Ouvrages principaux de Mabillon : Vetera Analecta, P., 1675-85, 4 vol. ; Sancti Bernardi opera, 1087, 2 vol. in-f° ; Museum italicum, P., 1687-89, 2 vol. ; Annales ordinis Sancti Benedicti., P., 1708-1707. — De re diplomatica libri, VI, P., 1681 ; nouv. éd., 1709 ; Supplementum, P., 1704 ; Traité des Études monastiques, 1691, in-4°, 2e éd., 1692 ; Eusebil Romani ad Theophilum Gallum epistola de cultu sanctorum ignotorum, P., 1698.

Ellies du Pin, Nouvelle Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques contenant l'histoire de leur vie, le catalogue, la critique et la chronologie de leurs ouvrages, et Histoire ecclésiastique, P., 1686-1704, 58 vol. — Le P. Germon, De veteribus regum Francorum diplomatibus... adversus Mabillonium [et Rainartium] disceptationes, P., 1703, 1706, 1707. — Rancé, Traité de la sainteté et des devoirs de la vie monastique, P., 1683. — Histoire des Contestations sur la Diplomatique, 1708.

A CONSULTER : L'abbé Lambert, Histoire littéraire du règne de Louis XIV, P., 1751, 8 vol., in-4°. Salomon Reinach, Manuel de Philologie, P., 1893, 2e éd., 1892, 2 vol. A. Rébeillau, Bossuet historien du Protestantisme (t. I, ch. II), 1892. A. Giry, Manuel de Diplomatique, P., 1898. Jourdain, Histoire de l'Université de Paris au XVIe et au XVIIIe siècle, P., 1862. H. Jadart, Dom Jean Mabillon, Reims, 1879. Emmanuel de Broglie, Mabillon et la société de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, P., 1888, 2 vol. ; Bernard de Montfaucon et les Bénédictins, P., 1891, 2 vol. L'abbé Vanel, Nécrologie des religieux décédés à Saint-Germain-des-Prés, P., 1898. Revue Mabillon, p. p. dom Besse, Chevetogne (Belgique).

[9] Quant à l'Académie des Inscriptions, ce ne fut qu'en 1701 qu'elle fut réorganisée sur le modèle de l'Académie des Sciences par le même abbé Bignon. — Et en 1710, encore, lorsqu'elle n'avait pas de médailles à composer, l'Académie ne s'occupait qu'à traduire oralement des morceaux d'auteurs anciens et à en faire valoir les beautés.

[10] Les abbés Renaudot, Claude Fleury, Le Gendre, de Longuerue, L.-J. Le Clerc, Le Beur, Le Fèvre, Jacques Boileau, Adrien Baillet, Lenglet du Fresnoy, etc.

[11] Chez les Bénédictins de Saint-Germain-des-Prés : les PP. Blampin, Constant, Martène, Michel Germain, Toustain, Tessin, Liron, Rodin, Devic, Denys de Sainte Marthe, Beaugendre, Martianay, Massuet, Jacques Martin, Vaissette, Lobineau, Bouquet, Rivet, Monfaucon, Félibien ; — chez les Bénédictins de Saint-Vannes, les PP. Petitdidier, Cathelinot, Caimet : — chez les Jésuites : les PP. Germon, Daniel, Jean Hardouln ; — chez les Dominicains, les PP. Noël Alexandre et Michel Lequien ; — chez les Oratoriens, le P. Le Long, etc. — Les grandes entreprises bénédictines (la Gallia christiana, les Anciens rites de l'Église, les Scriptores rerum gallicarum et francicarum, l'Art de vérifier les dates, la Grammaire hébraïque et chaldaïque, l'Histoire littéraire de la France), datent de cette époque.

[12] SOURCES [Généralités]. Outre les ouvrages du P. d'Avrigny et d'Ellies du Pin cités plus haut et les Correspondances, voir les Mémoires pour servir à l'histoire des Sciences et des Arts, recueillis par ordre de S. A. S. Mgr le prince souverain de Dombes [ou Journal de Trévoux], 1701 et suiv., et les gazettes ou recueils périodiques littéraires cités dans Matin ; Bibliographie de la Presse périodique.

De Richard Simon, voir entre autres ouvrages : Fides Ecclesiæ orientalis, P., 1671 ; Hist. critique de la créance et de la coutume des nations du Levant [par le Sr de Moni], Francfort, 1684 ; Histoire critique du Vieux Testament, P., 1678 (édition supprimée) ; Amst., 1680 ; Rotterdam, 1685 ; Histoires critiques du texte (1689), des Versions (1890), des Commentaires (1692), du Nouveau Testament, Rotterdam, 3 vol. ; Le Nouveau Testament traduit en français, Trévoux, 1702 ; Lettres choisies, Amsterdam, 1708 et 1730, 4 vol. ; Bibliothèque choisie [par M. de Saint-Jore], Amsterdam, 1708-1710, 4 vol. in-12°.

De Pierre Jurieu : Examen du livre de d'Huisseau sur la Réunion du Christianisme [Orléans], 1871 ; L'Histoire du Calvinisme et du Papisme mis en parallèle, Rotterdam, ; Le Jansénisme convaincu de vaine sophistiquerie, Amsterdam, ; L'Esprit de M. Arnauld, Deventer, 1684 ; Le vrai système de l'Église et la véritable analyse de la Foi, Dordrecht, 1686 ; Lettres pastorales, Rotterdam, 1686-1688 ; Des droits des deux Souverains en matière de religion, Rotterdam, 1687 ; Factum... contre Aubert de Versé, s. I., 1687 ; Traité de l'unité de l'Église, Rotterdam, 1688 ; Le Tableau du Socinianisme, La Haye, 1691 ; Défense de la doctrine... de Calvin et des Réformés sur le principe et le fondement de la foi, Rott., 1695 ; La religion du latitudinaire, Rott., 1696 ; Hist. critique des dogmes et des cultes bons et mauvais depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ, Amst., 1704 ; Le philosophe de Rotterdam [Bayle] accusé, atteint et convaincu, Amst., 1706.

De Fénelon, voir dans les œuvres, Lettre à l'évêque d'Arras sur la lecture de l'Écriture Sainte en langue vulgaire ; Examen de Conscience sur les devoirs de la royauté, Essai sur le Gouvernement civil, Traité de l'existence de Dieu, et, pour ce dernier ouvrage, le P. Tournemine, préf. de l'éd. du Traité de 1712 et Réflexions sur l'Athéisme, à la suite de l'éd. de 1718. Cf. le texte inédit p. p. le P. Grisolle : Fénelon métaphysicien (dans la Revue de Philosophie, 1904).

A CONSULTER : Outre Picot, Crétineau-Joly, De Becker et Sommervogel, Féret, Haag et Bordier, Lichtenberger, ouvrages cités aux chapitres précédents : A. Sayons, La littérature française à l'étranger, Le XVIIe s., Paris, 1858 ; 2 vol. ; Le XVIIIe siècle à l'étranger, t. I, P., 1861. Vacant et Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique, P., 1899 et suiv. (en cours). Fr. Puaux, Les Précurseurs français de la Tolérance, Paris et Dole, 1880.

Sur R. Simon, Bernus, Richard Simon, Lausanne, 1862 ; Notice bibliographique sur Richard Simon, Bâle, 1882. Ingold, Essai de bibliographie oratorienne, 1880-1882. Margival, Essai sur Richard Simon et la critique biblique au XVIIe siècle, 1900. — Sur Malebranche et Fénelon, voir plus haut. — Sur Jurieu, Denis, Bayle et Jurieu, Caen, 1888. — Sur Le Clerc, voir note suivante. — Pour les ouvrages relatifs à Bossuet, voir plus loin.

[13] Jean Le Clerc, élève du cartésien Clouet ; rédacteur de la Bibliothèque universelle et historique (1888-1898), de la Bibliothèque choisie (1703-1718), de la Bibliothèque ancienne et moderne (1714-1727), auteur des Sentiments de quelques théologiens sur l'Hist. crit. du Vieux Testament, 1685 ; Ars critica, 1697 ; Epistolæ criticæ et ecclesiasticæ, 1700, etc.

[14] Voir le Traité de la paix de l'Église, dans lequel on fait voir par les principes des réformés que la Foi de l'Église catholique ne choque point les fondements du salut et qu'ils (les réformés) doivent tolérer dans leur communion les chrétiens du monde, les sociniens, les quakers même.

[15] Pour les derniers écrits de Bossuet (cf. pour les premiers et pour l'ensemble de l'œuvre t. VII, p. 52-55 et 109-110), voir, dans l'édition de l'abbé Guillaume, la plus récente :

En ce qui concerne les Protestants : les Écrits relatifs à des projets de réunion des Protestants d'Allemagne à l'Église catholique [1691-1693 et 1702] (cf. Écrits inédits de Leibniz publiés par Foucher de Carell, 1867) ; — en ce qui concerne Fénelon, voir plus haut, Quiétisme, en ce qui concerne R. Simon, et pour les autres polémiques, outre les ouvrages cités ci-dessus : Instructions pastorales (1702 et 1703) contre le N. Testament de Trévoux, Traité de l'Usure, 1682 ; Maximes et Réflexions sur la Comédie, 1694 (édit. Gazier, Paris, 1881) ; Traité de la Concupiscence, 1694, publié seulement en 1731.

Sur Bossuet, voir, outre les Mémoires et Journal de l'abbé Le Dieu, Sainte-Beuve, Port-Royal ; Lundis, t. XII et XIII, Nouv. Lundis, t. II ; F. Brunetière, Études critiques sur l'histoire de la Littérature française, 2e, 5e, 6e et 7e séries ; G. Lanson, Bossuet, 1891 ; A. Rébelliau, Bossuet historien du Protestantisme, 1892 ; Bossuet, 1906 ; l'abbé Turmel, dans la Revue du Clergé français, 1904 ; Stapfer, Bossuet, Adolphe Monod, 1898 ; l'abbé Urbain, Bibliographie de Bossuet, 1900 ; l'abbé Levesque, Revue Bossuet, 1900 sqq.