HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — LES INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES (1683-1715).

CHAPITRE II. — LES FINANCES. LA FISCALITÉ[1].

 

 

I. — LES CONTRÔLEURS GÉNÉRAUX ET L'ADMINISTRATION DES FINANCES (1683-1715).

POUR payer la majesté du Roi, ses plaisirs, sa gloire, ses victoires et ses revers, le gouvernement de Louis XIV a développé l'administration financière, multiplié les procédés de fiscalité, et, à la fin, essayé de grandes nouveautés, sans pouvoir échapper à la banqueroute.

A côté du Contrôleur général siège le Conseil des finances, qui se compose de quatre ou cinq membres : le Chancelier, le Contrôleur général et deux ou trois conseillers d'État, et dont l'autorité est moindre encore qu'au temps de Colbert. Des intendants des finances assistent le Contrôleur général ; il y en a trois sous Le Peletier, puis sept en 1690, sous Pontchartrain, au moment où l'on essaye de réformer les fermes générales. En 1701, deux directeurs des finances sont institués pour aider Chamillart, chargé à la fois des finances et de la guerre. Ces directeurs et ces intendants des finances sont des intermédiaires entre le Contrôleur général et les hauts fonctionnaires : intendants, receveurs et fermiers généraux, trésoriers de l'extraordinaire des guerres, etc. En même temps que le personnel de l'administration centrale, celui de l'administration provinciale se développait, surtout par la vente de nouveaux offices.

Le successeur de Colbert au Contrôle général fut, on l'a vu, Claude Le Peletier. Il commença, comme Colbert, par établir une chambre de justice pour faire rendre gorge aux traitants, n'en tira presque rien, ne sut pas manier les gens d'affaires, seuls capables de subvenir par des avances aux besoins du Trésor, s'aperçut que, pour remplir son office au temps où l'on était, de bonnes intentions ne suffisaient pas, et se retira le 20 septembre 1689.

Il fut remplacé par Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui, après avoir été conseiller au Parlement de Paris et premier président du Parlement de Bretagne, était devenu, sous Le Peletier, intendant des finances. Ces fonctions lui avaient donné une certaine compétence financière ; ce fut, d'ailleurs, un administrateur éminent. Il se fit assister par Desmaretz, neveu de Colbert, qui, après avoir été associé par son oncle à l'administration des finances, avait été disgracié en 1683. Pendant plus de vingt ans, avant de devenir lui-même Contrôleur général, Desmaretz inspirera toute l'administration financière.

Lorsque Pontchartrain abandonna le Contrôle général pour les fonctions de Chancelier, Chamillart lui succéda le 5 septembre 1699. Issu d'une famille de robe, il avait été conseiller au Parlement de Paris, puis maître des requêtes, intendant de Rouen, et, en 1690, un des quatre nouveaux intendants des finances. Il fut nommé secrétaire d'État de la Guerre en janvier 1701, à la mort de Barbezieux. Ce fut sans doute la faveur de Mme de Maintenon, à qui, dès 1694, il présentait des mémoires et des notes sur les finances, qui lui valut, comme dit Saint-Simon, de devenir à la fois Colbert et Louvois, ce que l'on n'avait pas encore vu. Accablé de travail, il voulait abandonner l'impossible tache du Contrôle général. En 1707, il écrivait au Roi : J'ai toujours eu du courage et les forces ne m'ont point manqué tant que j'ai eu des ressources ; elles sont malheureusement épuisées. Je commence à travailler à l'impossible ; Dieu me donne assez de lumières pour en faire quelque chose ! Le Roi ne voulut rien entendre. C'était, dit Saint-Simon, le souvenir de Colbert et de Louvois et de leurs débats qui faisait vouloir obstinément au Roi de réunir ces deux ministères dans les mêmes mains. Au reste, Chamillart était, dit encore Saint-Simon, un bon et très honnête homme, à mains parfaitement nettes et avec les meilleures intentions, poli, patient, obligeant, bon ami, ennemi médiocre, aimant l'État, mais le Roi sur toutes choses, et extrêmement bien avec lui et avec Mme de Maintenon ; d'ailleurs, très borné, et comme tous les gens de peu d'esprit et de lumière, très opiniâtre, très entêté. Il avait une infatigable patience à écouter, une grande facilité de l'abord, beaucoup de mémoire, mais il était tout à fait insuffisant. C'était Desmaretz, directeur des Finances, qui préparait tout le travail.

Enfin, le 20 février 1708, le Contrôle général échut à Desmaretz. Lui seul était capable de diriger les finances, mais il ne put que continuer la politique d'expédients, d'emprunts, d'impôts nouveaux qu'exigeait la situation et qu'il avait conseillée dans ses charges antérieures. H fut ce qu'il fallait malheureusement être alors : audacieux, très dur aux contribuables et même cynique, capable de conseiller la banqueroute.

 

II. — LE BUDGET.

DANS les dernières années de Colbert le déficit était déjà un fait normal. En 1683, l'année de sa mort, les revenus étaient, d'après Desmaretz, de 116 millions, et les recettes nettes de 93 ; les dépenses montaient à 109, soit un déficit de 16 millions. En 1715, les revenus montent à 109 millions, sans compter la capitation et le dixième, impôts nouveaux, et, en les comptant, à 152 millions, et il n'entre au Trésor que 74 millions ; les dépenses s'élèvent à 119 millions, soit un déficit de 45 millions ; encore ce budget n'est-il pas sincère, comme on verra. Si une partie de plus en plus considérable des revenus n'arrive pas au Trésor c'est que les charges (arrérages des rentes créées par le Roi, gages des offices, etc.) montent, de 23 millions en 1683 à 47 millions et demi en 1699 et à 84 en 1715.

Les dépenses ont crû d'une manière effrayante pendant les années de guerre. De 38 millions en 1683, le budget extraordinaire des guerres est monté à 100 millions en 1706. Et encore ne comprend-il pas toutes les dépenses militaires qui, avec la marine, les fortifications, l'artillerie, le pain pour les armées, montent, cette année-là, à 145 millions. De 1700 à la fin de 1706, les dépenses totales ont été, d'après Chamillart, de 1.100 millions, alors que les revenus nets n'ont donné que 350 millions. Pour ces six années le déficit s'est donc élevé à 750 millions. De 1708 à 1715, pendant le Contrôle général de Desmaretz, il y eut 1.914 millions de dépenses et 461 de revenus, soit un déficit de 1.103 millions. Les quinze années de Chamillart et de Desmaretz se sont soldées par une dette de deux milliards, qui s'est ajoutée à celle qui résultait de la guerre de la ligue d'Augsbourg.

Pour donner l'idée de l'étendue du mal, il suffira de considérer d'une manière particulière les budgets de deux années de grande crise financière, 1697 et 1706. En 1697, à la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg, les dépenses s'élèvent à près de 219 millions, et les recettes ordinaires ne sont que de 60 ; la capitation, il est vrai, créée récemment, donne un supplément de 21 millions ; mais de 81 millions à 219 il y a loin. Le vide sera rempli par un emprunt de 86 millions et 42 millions d'affaires extraordinaires, sans compter quelques autres ressources anormales. En 1706, les dépenses s'élèvent à 196 millions, où l'extraordinaire des guerres compte pour 100 millions, la marine et les galères pour 22, le pain des armées pour 12 ; et le Trésor ne reçoit que 53 millions, soit un déficit de près de 143 millions, trois fois la somme disponible. On crée pour 31 millions environ de billets de monnaie, 20 millions d'affaires extraordinaires, 14 millions de billets de l'extraordinaire des guerres, on prend plus de 22 millions par anticipation sur les recettes de l'année suivante ; on use encore d'autres moyens, et après tous ces expédients qui se retournent contre le Trésor lui-même, le déficit est encore de 22 millions. Chaque année, depuis la mort de Colbert, tantôt moins, tantôt plus, ce sont des emprunts publics, des affaires extraordinaires, des changements dans la valeur des monnaies, des émissions d'effets et de toute sorte de papiers, des assignations de paiement sur des fonds plus ou moins incertains, des demandes continuelles d'argent et de crédit à des particuliers, surtout à des traitants et des banquiers. De 1684 à 1699 il a fallu demander à ces procédés plus de 1 200 millions, et davantage pendant la guerre de la succession d'Espagne.

 

III. — LES ANCIENS REVENUS ORDINAIRES.

DANS le budget d'une année moins anormale que beaucoup d'autres, celui de 1699, un des rares moments où la France fut en paix, les fermes donnent — revenu brut — 65 millions ; les tailles, dans les pays d'élections, 30 millions, et, dans les pays d'États, 4 millions ; les dons gratuits, 6.600.000 livres ; le domaine royal, 4 millions[2].

La taille était le revenu le plus certain. Colbert s'était efforcé d'en abaisser le taux et de compenser la diminution de revenu qui se produisait de ce chef par l'augmentation d'autres impôts. C'était une pensée de justice, la taille ne frappant que les non-privilégiés. Mais il avait été obligé par la détresse financière de relever le chiffre. Ses successeurs eurent la même intention et subirent les mêmes nécessités. De 38 millions environ, en 1683, la taille est abaissée, en 1696, à 33.800.000 livres ; elle se relève à 36 et près de 37 millions dans les années de grande guerre, de 1690 à 1693, redescend, en 1697, à 32 millions et, en 1699, à 30. Elle se relève ensuite progressivement, accusant avec une netteté implacable la gêne du Trésor : 34 millions en 1701, 38 en 1705, plus de 40 en 1709, 41 en 1715[3].

Les abus de la répartition et du recouvrement de la taille, si visibles au temps de Colbert, et qui ont été plus forts que lui, apparaissent plus abominables à la fin du règne. Les expédients fiscaux de Chamillart et de Desmaretz, les créations d'offices, les anoblissements moyennant finances, etc., ont augmenté le nombre des exempts dans les pays de taille personnelle. Dans les pays de taille réelle, comme le Languedoc, il n'était pas très rare que le Conseil du Roi donnât la qualité de noble à un fonds de terre roturier : jugements qui excitaient les plaintes de l'intendant Basville, parce que les fonds anoblis échappaient à la taille. D'autre part, il suffisait qu'un particulier prêtât de l'argent au Roi, pour qu'il fût exempté de la taille et même des autres impositions ; et lorsque le Roi avait un besoin pressant d'argent, il affranchissait, c'est-à-dire laissait racheter une fois pour toutes une partie des impôts. Ainsi le Languedoc, en 1693, affranchit 100.000 livres des impositions annuelles de la province sur le pied du denier douze, ce qui procura au Roi une somme de 1.200.000 livres. Tout contribuable pouvait affranchir sa cote annuelle, en payant douze fois la valeur de sa contribution. Ces expédients ne profitaient qu'aux gens riches et aisés ; il en résultait pour les pauvres une augmentation de charges, l'étendue des fonds imposables étant diminuée. Les États du Languedoc se demandent avec inquiétude comment les communautés pourront payer les charges municipales et les intérêts de leurs dettes, si tous les riches particuliers peuvent affranchir leurs biens de toute sorte d'impôts. Certains intendants, comme Bouchu dans le Dauphiné, s'opposent aux affranchissements de tailles.

Dans la procédure de la répartition, dans le recouvrement, les abus ne sont pas moindres. Il devient de plus en plus difficile de trouver des collecteurs. En 1685, sur les 2.500 communautés du Languedoc, on n'en trouve pas 100 qui en soient pourvues. L'usage s'était établi que les principaux contribuables des communautés se réunissent en corps politique, et nommassent le collecteur. On les appelait les nominateurs. Comme ils étaient responsables du recouvrement intégral, cette fonction était redoutée, comme celle de collecteur, mais le Gouvernement usait de contrainte contre les récalcitrants et, à défaut de collecteurs ordinaires, obligeait les consuls, maires, syndics, à faire la répartition et la levée dans leur communauté. Et collecteurs, consuls, syndics, continuaient à modérer les tailles des notables et des riches et à faire retomber une part des charges des coqs de paroisses sur les plus humbles et les plus pauvres.

Les successeurs de Colbert luttent comme lui contre tous ces abus. Ils ordonnent aux intendants, à des commissaires spéciaux envoyés en inspection, de contrôler les répartitions. Ils usent de mauvais moyens pour réparer les fautes qu'ils ont commises. Par exemple, le Contrôleur général supprime des exemptions qu'il a accordées ; en 1705, il révoque les privilèges des offices créés depuis le 1er janvier 1698 ; en 1709, il suspend les privilèges des offices créés depuis 1689, dont la finance était inférieure à 10.000 livres ; en août 1715, il révoque de nouveau ces privilèges et abolit tous ceux qui datent de 1709. Il viole ainsi des engagements pris par lui, mais, comme toujours, il fait des exceptions et des faveurs qui détruisent en partie l'effet de ces mesures de banqueroute.

Les intendants dressent parfois, par eux-mêmes ou par leurs subdélégués, les rôles des tailles. Les maires et lieutenants de maires peuvent aussi, depuis 1706, présider à la répartition, et, depuis 1712, faire établir les rôles devant eux. Enfin des intendants recourent à des taxations d'office. En 1704, l'intendant de Montauban taxe d'office les coqs de paroisses ; de même, l'intendant du Berri. Cette pratique tend à devenir assez commune à la fin du règne. Et même on l'applique dans des cas exceptionnels, par exemple pour forcer les riches à acheter tels ou tels offices extraordinairement créés. Quelqu'un résiste-t-il à la demande d'un secours extraordinaire ? Aussitôt on le menace de le mettre d'office à la taille, s'il est exempt, ou de le taxer arbitrairement. Desmaretz écrit, en 1705, à l'intendant de Limoges :

Il s'en trouvera quelques-uns qui sont exempts de taille, indépendamment de leurs lettres de noblesse, au moyen des charges qu'ils possèdent ; mais vous pouvez menacer ceux-là de la suppression de leurs lettres de noblesse, et je ne doute pas que Sa Majesté ne se porte à le faire, s'ils persévèrent dans l'opiniâtreté qu'ils ont fait paraître jusqu'à présent, en refusant depuis un an de donner un médiocre secours.

Mais les intendants ne sont que trop portés à suivre de tels avis, ce qui oblige Chamillart à modérer leur zèle. A l'intendant de Moulins, qui propose des taxes d'office, en 1704, Chamillart répond que tous ces expédients lui paraissent trop forcés. C'est que le Contrôleur n'aime pas le bruit et le scandale. Les privilégiés ne crient déjà que trop ; les gens de qualité s'indignent, avec Saint-Simon, de ce nouveau genre de persécution, la taxe d'office, et d'avoir à faire leur cour à Monsieur l'intendant.

Malgré tout, la taille continue de peser presque tout entière sur les pauvres, sur les paysans propriétaires ou fermiers. Si l'on refuse de payer, les contraintes pleuvent dru, et, si les contribuables ne s'exécutent pas, après la saisie de leur bétail et toutes sortes de voies de fait, on frappe les collecteurs et les receveurs des tailles. On recourt à la force armée. L'intendant de Poitiers, d'Ableiges, en 1702, propose d'envoyer des archers du côté de Montmorillon où l'on est bien lent à s'acquitter. Le Contrôleur général ordonne de surseoir à des exécutions de ce genre. Il faut faire en sorte de tenter toute autre voie, avant que de recourir à celle-là, qui lui parait bien violente pour une province au milieu du royaume ; toutes les autres provinces font leur devoir. Elles ne le faisaient pas autant qu'il voulait bien le dire, mais on a vu déjà Colbert user de supercheries de cette sorte, comme s'il voulait faire croire à chaque intendant que tout allait bien dans le reste du royaume.

Cependant la misère était plus forte que le Gouvernement. Beaucoup, ne pouvant payer, préféraient abandonner leurs terres. Plusieurs pays, d'ailleurs, étaient ravagés par les intempéries et par des épidémies. Il fallait accorder des remises ou des modérations de droits. Dans les pays de taille personnelle, quand une élection avait eu particulièrement à souffrir, on l'allégeait en chargeant davantage les autres. Dans les pays de taille réelle, les remises étaient accordées par grâce du Roi. Quelquefois c'était un secours extraordinaire en argent que l'on réclamait. En 1699, l'intendant de Languedoc en demanda un en faveur des diocèses d'Albi et de Narbonne qui avaient beaucoup souffert.

Les modérations de droits, les non-valeurs, les remises aux receveurs et aux collecteurs, plus fortes qu'au temps de Colbert, les retards dans les paiements, si fréquents après les disettes et les crises de 1693 et de 1709, diminuèrent considérablement le produit des tailles. De 1700 à 1712 la moyenne annuelle des pays d'élections devait monter à 35.700.000 livres ; la moyenne des perceptions ne fut que de 30 millions. En 1717, il restait, outre quelques petites sommes des années 1708 à 1712, 13 millions dus sur les années 1713, 1714 et 1715. Ainsi, à la fin du règne, la taille ne rapportait plus du tout la somme fixée par le brevet. La préférence donnée à de nouvelles impositions, et, d'une manière générale, l'épuisement du royaume, expliquent cette baisse.

Outre la taille, les pays d'États, moins chargés que les pays d'élections, payaient un don gratuit. Colbert avait obtenu une augmentation sensible de ces dons, mais Pontchartrain, Chamillart et Desmaretz voulurent davantage. D'ailleurs, les sommes exigées varièrent beaucoup : 6 millions en 1699, année de paix, 11 et même 16 millions en 1692 et en 1695. Le Languedoc à lui seul fournit la moitié du total des dons gratuits. Dans les années difficiles, c'est le trésorier de la bourse des États de la province qui avance les fonds ; ou bien la province emprunte à des banquiers génois. Le don gratuit, notamment en Languedoc, est fourni par un impôt à la fois direct et indirect : direct pour les neuf dixièmes environ, perçus sur les fonds de terre roturiers, indirect pour le dixième restant, demandé à un impôt de consommation, l'équivalent, qu'afferment les États.

Quant aux dons gratuits du clergé de France, ils sont loin d'être proportionnés à la valeur des revenus qu'il possède. Sans doute il est obligé, surtout après 1695, d'accorder au Roi des sommes plus considérables ; mais c'est pour se faire exempter de la capitation et du dixième, et il y gagne à la fois de payer moins qu'il ne devrait et de n'avoir pas à faire la déclaration de ses revenus.

Le Trésor tirait sa principale ressource des fermes et domaines. Les Gabelles, les Aides et Entrées, les Cinq grosses Fermes, le Domaine formaient un ensemble qu'on appelait les fermes unies, parce qu'elles étaient dans les mêmes mains. Des fermes particulières s'y ajoutaient : celles des postes, du tabac, du contrôle des actes.

Le produit des fermes unies, qui s'est successivement élevé sous le ministère de Colbert, continue d'abord ce mouvement. En 1683, le total était de près de 66 millions de livres ; en 1690 il monte à 69.916.000 livres ; mais il tombe en 1692 à 63 millions, à la suite de la grande disette de cette année, et dès lors la baisse ne s'arrête plus : en 1700, 58 millions, en 1715, 47. Mieux encore que la taille, les fermes unies représentent les variations de la fortune publique, la baisse continue de la consommation et des échanges.

Une foule d'abus, que nous connaissons déjà, s'étaient glissés dans les fermes. Après la mort de Colbert, Le Peletier en entreprend la réforme, au moment où il va en renouveler le bail. Le Roi envoie cinq conseillers d'État et cinq maîtres des requêtes dans plusieurs généralités du royaume, pour y prendre connaissance des Aides et Gabelles et réformer les abus ; dans les autres généralités les intendants sont chargés de cette tache. Le Roi veut protéger ses sujets contre l'avidité des fermiers et des sous-fermiers ; mais il désire les soulager sans qu'ils s'en aperçoivent, et les commissaires et les intendants devront agir avec prudence et habileté, car il ne faut pas laisser se répandre parmi les peuples une opinion de remise toujours très nuisible aux affaires du Roi. Ainsi parlent les diverses circulaires du Contrôleur général aux commissaires particuliers et aux intendants.

Ces enquêtes de 1687 et 1688 sont très intéressantes : le conseiller d'État Henri Daguesseau fut chargé avec Lefèvre d'Ormesson de l'enquête dans l'Orléanais et le Maine en 1687. En 1688, accompagné de Basville, intendant du Languedoc, Daguesseau parcourut le Bourbonnais, le Lyonnais, le Dauphiné et la Provence. Le conseiller de Ribeyre visita l'Anjou et la Bretagne. Ils virent la misère profonde du peuple, la décadence du commerce. D'abord, ils s'étonnèrent que les fermes ne fussent point en diminution ; mais cela s'expliquait par des surtaxes, des interprétations abusives des ordonnances, des généralisations de droits, le raffinement et la subtilité des sous-fermiers qui enchérissent presque toujours sur ceux qui les ont précédés. Mais, pour les fermes, c'était avoir effectivement diminué en elles-mêmes que de s'être soutenues de cette manière, écrivaient Daguesseau et d'Ormesson, à leur retour de l'Orléanais et du Maine. C'était un édifice qui menaçait ruine et qu'il avait fallu soutenir par des étais. Ils demandaient le soulagement des peuples, une inspection vigilante sur les fermiers et leurs commis, une intervention constante des intendants et du Contrôle général, pour empêcher les interprétations abusives de cette armée d'agents prêts à toutes les chicanes et à toutes les vexations.

Ces enquêtes ne firent que suspendre un moment, en quelques endroits, des abus qui reprirent de plus belle. Puis le besoin croissant d'argent obligea de plus en plus à demander aux contributions indirectes plus qu'elles ne pouvaient donner. Sans doute on diminua les droits de sortie sur les vins et les eaux-de-vie, sur les étoffes de soie qui passaient en Italie et en Espagne ; on modéra les droits d'entrée des Cinq grosses Fermes, on réduisit le nombre des péages, notamment sur la Saône et le Rhône. Mais, quelques années plus tard, suivant la tradition constante d'un Gouvernement toujours obéré, on élevait tous les droits d'entrée, on augmentait les péages dans tout le royaume en 1708, puis les octrois des villes en 1710, et on aboutissait enfin à l'augmentation d'un dixième de toutes les fermes par les deux sous pour livre qui devaient s'ajouter, d'une manière générale, à toutes les impositions. Cela, d'ailleurs, inutilement, puisque, à mesure que les droits s'élèvent, les revenus baissent, à cause de la diminution de la consommation et de l'augmentation de la contrebande et de la fraude, conséquences naturelles du régime. Si bien que les fermiers ne se présentent plus, et que l'État est obligé de mettre en régie, d'abord les Cinq grosses Fermes (1703), puis toutes les fermes unies (1709), mais cela ne dura que cinq ans. Les fonctionnaires eux-mêmes, directeurs de gabelles, commis aux fermes, favorisent la fraude : depuis le Contrôleur général, qui, tous les six ans, gagne 300000 livres au renouvellement du bail des fermes, jusqu'au moindre commis aux gabelles ou aux aides, chacun cherche à se tailler sa part au préjudice des sujets du Roi.

Toutes ces fermes d'impôts font la fortune des traitants. Les fermiers généraux deviennent de véritables personnages. En 1697, il y en a 14 pour les gabelles, 14 pour les traites, 12 pour les aides et domaines, qui constituent une société. Depuis 1707 chacun d'eux a un brevet du Roi ; ils forment le conseil extraordinaire du Contrôleur général qui les convoque fine fois par semaine à Versailles. Pointeau, Le Normand, Hénault, François Mauricet de la Cour, d'autres encore, simples commis au début, s'élèvent peu à peu, s'enrichissent, se font bair de somptueux hôtels à Paris et mènent un train de grands seigneurs.

De toutes les fermes unies, la principale est celle des Gabelles. En 1705, sur un total de 46.700.000 livres, les Gabelles comptent pour 23 millions, soit environ la moitié. Le produit ne cesse de croître dans la dernière partie du règne ; en 1714, il dépasse 43 millions, par suite des augmentations successives du prix du sel depuis 1689. A Paris le minot, pesant 100 livres, qui coûtait, en 1680, 40 livres, coûte en 1713, 45 livres. Dans les pays de petite gabelle, au contraire, il se paie toujours environ 6 livres.

Tous les abus signalés au temps de Colbert ont duré. Les directeurs, les receveurs généraux des Gabelles, nommés par les fermiers, les commis, les 18.000 gardes-archers, organisés en brigades, commettent toute sorte d'exactions. Les commis invitent les paysans à prendre du sel à crédit et leur font souscrire des billets ; puis ils font saisir leurs meubles. Malgré les fermiers généraux, le Contrôleur général supprime ces prêts de sel en mars 1711. Bons et utiles dans leur origine, dit la déclaration royale, ils deviennent dans la suite fort à charge à ceux qui empruntent, à cause des frais extraordinaires qu'on est obligé de faire contre eux, lorsqu'ils se trouvent en demeure de satisfaire au paiement des sels prêtés.

Les vendeurs au détail ou regrattiers inventent toute sorte de supercheries ; ils ne donnent pas la mesure, et ils augmentent le poids du sel en le mouillant ou en y mêlant de la terre ou du pain brûlé. On supprime alors les regrattiers (1709), et on vend le sel à petite mesure dans les greniers.

La différence du prix du sel suivant les pays, l'augmentation du prix de cette denrée nécessaire, l'avidité des commis, la misère croissante du peuple, entraînent des fraudes perpétuelles. Partout, surtout en Picardie, en Bourbonnais, en Touraine, des bandes de faux-sauniers armés sont formées de paysans, de gentilshommes pauvres, et surtout de soldats, qui occupent ainsi les loisirs de leurs quartiers d'hiver. Elles pillent les greniers du Roi ou introduisent du faux sel. En 1709, en Touraine, les cavaliers de trois régiments arrivent une nuit avec 55 chevaux chargés de sel de contrebande ; les officiers subalternes sont complices des soldats. Des batailles furieuses s'engagent entre ces bandes de faux-sauniers et les archers des gabelles ; souvent même les troupes royales interviennent. On envoie les contrebandiers en prison, aux galères, ou même on les condamne à mort.

Pour les Aides et les Traites, mêmes phénomènes que pour les Gabelles. La fraude s'exerce d'autant plus que les droits s'élèvent davantage ; les commis des fermes reçoivent souvent des Hollandais et des Anglais des pots-de-vin pour laisser passer librement des marchandises. Mais c'est surtout l'abaissement de la consommation et l'affaiblissement du commerce extérieur qui produisent la baisse que l'on constate depuis la mort de Colbert : 14.900.000 livres en 1705, au lieu de 23 millions en 1683 et en 1687. Les Cinq grosses Fermes, droits de douanes intérieures, affermés par le Roi, et frappant les marchandises qui entrent dans les pays de l'Étendue et en sortent, tombent de 11 ou 12 millions, où elles étaient de 1683 à 1691, à 5 millions en 1705.

Le Domaine comprend d'abord le Domaine corporel, biens-fonds et seigneuries, droits et redevances qui y sont inhérents ; puis le Domaine incorporel, c'est-à-dire des droits appartenant au Roi en qualité de seigneur suzerain ; enfin des droits de création récente qui, à la différence des autres, ne font pas partie de la ferme générale.

A la fin du règne, dans quelques provinces, le Roi ne possédait plus aucun fonds de terre. On cherchait à établir un registre terrier général. Le terrier de Champagne, commencé en 1678, avait été terminé en 1681 ; après la mort de Colbert, le travail continua dans les autres provinces, point partout, il est vrai ; dans les Flandres maritime et wallonne, on se contenta des anciens terriers du temps de la domination espagnole. On essaya de former un dépôt général des terriers de la Couronne, en décembre 1691, afin que l'État eût enfin le registre de ses domaines ; on le constitua peu à peu au cours du XVIIe siècle.

Le domaine corporel de la Couronne diminuant sans cesse, Louis XIV et ses ministres cherchèrent à l'étendre par une législation qui n'était pas tout à fait nouvelle — elle avait pour origine le Code Michau de 1629 — mais dont les effets furent vraiment nouveaux. Tous les biens qui ne relevaient pas des seigneurs étaient censés relever du Roi, seigneur suzerain : c'était la directe royale universelle. Elle fut confirmée par l'édit d'août 1692. En outre, suivant un édit de décembre 1693 qui rappelait ses déclarations de 1668 et de 1683, le Roi fit rechercher plus qu'auparavant les îles et créments des fleuves, sur lesquels il s'attribuait un droit de propriété. Ne furent maintenus en possession que les détenteurs qui payaient des droits de cens égaux à une année du revenu, s'ils justifiaient d'un titre, ou deux années, s'ils ne représentaient aucun titre, ce qui était le cas le plus fréquent. Malgré ces tentatives d'extension, les droits du domaine corporel, de 4 500.000 livres en 1699, tombèrent, en 1705, à 3.800.000 livres. Il faut ajouter à ces sommes le produit des coupes de bois qui se maintint à 2 millions, mais qui était en dehors de la ferme générale du domaine.

Des fermes particulières, très variées, furent établies pour l'exploitation de droits nouveaux ; le nombre en augmentait lorsque le Contrôleur général était aux abois. Les principales demeurèrent les postes, le tabac, le contrôle des actes. A la différence des fermes unies, les produits s'en accrurent régulièrement ; de 7 millions et demi en 1699, ils montèrent à 8 millions en 1705, et à 13 en 1715. En 1705, les postes donnèrent 3.200.000 livres, le tabac 1.500.000 et le contrôle des actes autant.

Le contrôle, ou droit d'enregistrement donnant aux actes date certaine, exigé depuis longtemps pour les exploits, le fut, en 1693, pour les actes notariés, puis, en octobre 1705, pour les actes sous seing privé. Enfin, en octobre 1706, on l'étendit aux actes de baptême, de mariage et de sépulture, ce qui rapporta 300000 livres cette année-là, mais provoqua des séditions violentes dans certains pays, comme le Quercy, le Périgord et le Béarn.

A ces impositions principales il faut joindre les réquisitions de toute sorte pour le service des armées. Ce sont de lourds suppléments, surtout dans les pays frontières, l'Artois, les Flandres, la Bourgogne et l'Alsace. Dans un mémoire de 1686 Desmaretz représente combien ces charges sont onéreuses.

Pour les fourrages à fournir, l'intendant fixe chaque année la quantité que doit un pays déterminé. Ainsi, par exemple, dans la Flandre maritime, la répartition est faite entre les municipalités de cette région ; mais, comme elles ne sont pas toujours capables de livrer le nombre de rations auquel elles sont taxées, l'intendant ou bien la Commission résidant à Cassel — sorte d'États provinciaux —traite avec un entrepreneur. Le Roi doit bien prendre sa part de la dépense ; mais il ne la paye que très irrégulièrement ou même pas du tout. A cela s'ajoutent les réquisitions de chevaux et de chariots pour la construction des forts et des retranchements, le transport des munitions et le service des ambulances. Les paysans, obligés de quitter leurs champs, ne reçoivent le plus souvent que des indemnités dérisoires. Le logement des gens de guerre est très lourd. Ceux qui logent ne sont guère remboursés que de la moitié de leurs frais, les officiers et les soldats les obligeant à leur donner de la viande et du pain de meilleure qualité et en plus grande quantité qu'ils ne doivent, et commettant toute sorte de pilleries et de friponneries difficiles à réprimer. Ces réquisitions finissent, surtout dans les pays frontières, par doubler presque la taille.

A la fin du règne, les anciens revenus ordinaires, taille, fermes et domaines, réquisitions militaires, pouvaient moins que jamais satisfaire aux besoins de l'État. A tout moment, il fallait faire face à des dépenses imprévues ; l'extraordinaire des guerres grossissait sans cesse — il montait jusqu'à 100 millions au temps de Desmaretz. Il fallait chercher des ressources nouvelles ; le Contrôleur général se jetait sur la première idée venue, celle que lui suggérait quelque donneur d'avis ou quelque fonctionnaire en quête d'avancement. Pour combler le déficit, on eut recours à toute sorte d'expédients misérables, mais on fut aussi obligé de recourir à de grands moyens.

 

IV. — LES REVENUS EXTRAORDINAIRES : EXPÉDIENTS FINANCIERS.

COLBERT avait demandé aux emprunts le moins qu'il avait pu. En 1683, les arrérages des rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris ne montaient qu'a 8 ou 9 millions de livres. De 1684 à 1694 on compte plusieurs fortes émissions de rentes, dont une de 48 millions en 1684 ; et, à la Sn de la guerre, de plus fortes encore : en 1695, 58 millions, en 1697, 86, et, en 1699, 310 ; en tout, de 1684 à 1699, 600 millions. En 1701, au moment où la guerre recommence, Chamillart réduit les rentes de l'Hôtel de Ville du denier 18 au denier 20, c'est-à-dire de 5,55 à 5 pour 100. Après cette conversion forcée, il crée de nouvelles rentes. Mais les rentiers sont mécontents, le crédit de l'État est affaibli ; aussi les nouvelles émissions se font-elles au denier 14 ou au denier 12, soit 7,14 ou 8,33 pour 100, et même au denier 10, comme en 1702, lors de la création d'un million de livres de rentes viagères[4]. De nouvelles rentes sont créées, surtout pendant la crise de 1709 et de 1710.

A chaque émission on faisait appel, non seulement au marché intérieur, mais aux places étrangères, comme Gènes. Quand on jugeait que l'emprunt ne serait couvert qu'en partie, on faisait un emprunt forcé. En décembre 1705, le procureur du Roi en la Chambre des comptes de Lille, Godefroy, proposait au Contrôleur général l'exemple de Charles-Quint et de Philippe II qui exigeaient des particuliers et des communautés riches des sommes proportionnées à leurs facultés, et leur donnaient en échange des titres de rentes héréditaires ou viagères, ajoutant que ce moyen, mis en pratique dans tout le royaume et conduit par des personnes prudentes et modérées, pourrait produire au Roi des sommes considérables, sans que le peuple en fût aucunement chargé. Et Chamillart répondait en marge : Je lui suis fort obligé de sa bonne volonté ; mais j'ai peine à croire que nous en puissions faire usage. Pourtant le même Chamillart, en 1704, emprunte 20 millions à répartir entre les acquéreurs de titres de noblesse. Desmaretz, en 1709, recourt à un emprunt de 400.000 livres qui porte sur les étrangers naturalisés, et, en 1710, à un autre de 12 millions qui frappe les négociants et les industriels. Les étrangers naturalisés se récrièrent ; craignant de nouvelles saignées plusieurs quittèrent la France.

L'arbitraire n'était pas moins grand dans les procédés d'émission des titres et dans le paiement des arrérages. L'émission devait être autorisée par un édit enregistré au Parlement ; mais parfois on dissimulait le nombre des titres mis en circulation ; en 1693, on dépassa de 2 814.000 livres la somme fixée par l'édit. Pour le paiement des intérêts, ce fut pis. En 1709, le Trésor cessa de payer les arrérages des rentes[5]. Seules les rentes sur l'Hôtel de Ville de Paris, les plus anciennes, furent servies, mais, dit Saint-Simon, avec des délais, puis des retranchements qui désolèrent toutes les familles. Grand nombre de gens qui, les années précédentes, soulageaient les pauvres, se trouvèrent réduits à subsister à grand'peine, et beaucoup à recevoir l'aumône en secret. En 1710, on reprit les paiements, mais seulement sur le pied du denier 20, inférieur au taux promis. A la fin de 1713, deux années d'arrérages étaient dues aux rentiers.

Enfin, les conversions étaient fréquentes. A la moindre occasion favorable le Contrôleur général se tenait de transformer les rentes au denier 14 ou 16 en rentes au denier 20 ; souvent il faisait naître l'occasion : il profitait d'une réforme des monnaies. Le rehaussement des espèces d'or et d'argent donnait une valeur plus grande au capital ; on pouvait donc diminuer plus facilement l'intérêt. D'autre part, la diminution de la valeur des espèces permettait une conversion de rentes ; l'État faisait le calcul que le rentier consentirait à convertir pour ne pas perdre sur la monnaie qu'il lui donnerait en échange de son titre.

Pour atteindre les plus petits prêteurs, pour faire sortir de l'armoire du paysan et de l'artisan les beaux écus économisés, on créait des billets de loterie. C'était un emprunt dissimulé. On avait soin de défendre les loteries particulières qui auraient fait concurrence. Par édit du 11 mai 1700, on ouvrit à l'Hôtel de Ville de Paris une loterie de 400.000 billets de deux louis d'or, soit 10 millions de livres, qui donnait droit chaque année à 475 lots, valant 500.000 livres en rentes viagères.

Nouvelles loteries pendant la guerre de la Succession ; mais les billets sont d'un placement difficile dans certains pays, comme l'Auvergne, où l'intendant, ne pouvant faire prendre des billets de 10 livres, propose de les imposer aux paroisses à raison de 5 livres par 500 livres de contribution. La loterie fut une source de revenus en somme assez faible, toujours incertaine.

Tous ces emprunts ne suffisant pas, le Gouvernement a recours à l'emploi de papiers et de billets qui finissent par constituer une dette flottante considérable. Ce sont des emprunts temporaires, qu'il faut rembourser, à la différence des rentes dont le créancier ne peut jamais réclamer le capital.

Les contrôleurs généraux des finances prennent de plus en plus l'habitude de donner aux banquiers qui ont prêté au Roi des assignations sur les fonds de l'État. Ce sont des bons du Trésor, comme nous dirions aujourd'hui. Ces assignations sont données sur les revenus ordinaires du Roi, sur la taille ou sur les fermes, par exemple ; mais il arrive qu'elles ne peuvent être payées, les fonds sur lesquels on avait compté faisant défaut. Le Contrôleur général est alors obligé de donner des réassignations ; parfois aussi les mêmes fonds se trouvent assignés deux fois. Ces mauvaises pratiques financières, qui, d'ailleurs, n'étaient pas nouvelles, — nous les avons rencontrées déjà dans l'administration de Fouquet, — déprécient les billets que les usuriers finissent par acheter au tiers de leur valeur.

Par une autre sorte de billets, le Roi utilise le crédit des banquiers ou des différents trésoriers des revenus royaux : billets émis par les trésoriers de l'extraordinaire des guerres, par les receveurs des finances, par les fermiers généraux, par les traitants, et gagés sur les fonds de leurs caisses. Ces effets augmentent constamment et ne sont pas payés régulièrement. On ne peut en 1710 rembourser les billets des fermiers généraux, le fonds des fermes générales étant tari à cause des mauvaises recettes de l'année :

A cela s'ajoutent les promesses de la caisse des emprunts. Cette caisse a été créée en 1702 ; c'est une sorte de banque d'État. Elle essaie d'attirer l'argent en donnant à ses créanciers un intérêt de 6 à 10 p. 100 et en exemptant du droit d'aubaine les étrangers qui y portent des fonds ; elle émet des billets pour des sommes considérables. Ces nouveaux effets royaux s'accumulent et les porteurs en attendent en vain le remboursement. Le 15 décembre 1714, le Roi leur en promet la liquidation en vingt années : déclaration qui ne peut que les déprécier davantage encore. Les billets tombent à 20 p. 100 de leur valeur. Le Roi profite de cet avilissement des promesses de la caisse pour supprimer la caisse elle-même, et pour ne rembourser que la moitié du principal de ces promesses. Et ce paiement, dit-il, sera même encore trop favorable, par rapport aux profits illicites qui y ont été faits, puisque la plupart de ceux qui en sont à présent porteurs n'en ont pas payé le quart de la valeur. C'est la mauvaise foi dont on a vu des exemples dans la gestion même de Colbert.

Enfin le Trésor lance dans la circulation des billets de monnaie, qui apparaissent en 1701. A ce moment, les anciennes espèces affluant à la Monnaie et celle-ci n'ayant pas de quoi les rembourser, le directeur, Eudes, reçut les espèces contre des billets signés de lui, qui furent considérés comme argent comptant. L'opération fut d'abord honnêtement conduite ; en décembre 1703, on comptait seulement pour 6 700.000 livres de ces billets, dont les coupures les plus faibles étaient de 25 livres. Le remboursement se fit peu à peu, et en 1704 il était sans doute achevé. Mais alors la guerre de la succession d'Espagne bat son plein. Il faut de l'argent, par tous les moyens. Chamillart multiplie les billets de monnaie. En 1704, émission, en échange des versements d'espèces à réformer ; ensuite, émissions pour payer les intérêts servis par la caisse des emprunts, qui, en 1707, montaient à 3.600.000 livres. Ces billets rapportaient un intérêt élevé ; une déclaration du 6 décembre 1704 le portait à 7 ½ p. 100. Les coupures sont de 500 livres, ce qui écarte les petits préteurs ; mais les financiers, les Crozat, les Anisson, les Samuel Bernard conseillent de moindres coupures jusqu'à 125 livres, pour drainer tout l'argent disponible du royaume. Le Trésor aurait pu tirer un avantage considérable de ce papier-monnaie, s'il avait su le maintenir à sa valeur, au moyen d'un fonds de remboursement partiel ; le quart en argent eût suffi et la confiance se serait établie. Mais, faute de ce fonds, les porteurs de billets qui demandaient un remboursement ne pouvaient rien obtenir ; alors ils firent escompter leurs effets par des usuriers qui leur prenaient 3 à 4 livres p. 1000, puis 10, 15, 100, 150. La dépréciation, à la fin de 1706, allait jusqu'à 54 p. 100. Le 16 octobre 1706, dans son mémoire au Roi, Chamillart avoue qu'il y a en circulation pour 180 285.000 livres de billets de monnaie.

La situation est grave. Le Contrôleur général essaie de lutter en dissipant, suivant ses expressions, la supériorité usuraire que l'espèce avait prise sur le papier, c'est-à-dire en donnant cours forcé aux billets ; il ne pourra, on le verra, y réussir complètement. Le 12 avril 1707, il étend le cours forcé des billets à tout le royaume ; dans tous les paiements, même les paiements d'impôts, il pourra être versé un tiers en billets de monnaie, et avec ces billets on pourra acheter des rentes sur l'Hôtel de Ville ou sur le Clergé, des billets des fermiers ou des receveurs généraux. Mais devant les protestations des négociants et fabricants des grandes villes, Chamillart est obligé de retirer, le 10 mai, la déclaration du 12 avril. Il essaie de la renouveler, il est vrai, sous une forme modérée, le 18 octobre, en ne permettant dans les paiements que le quart en billets.

Ce qu'il fallait, pour sauver le Trésor, c'était diminuer la quantité énorme des billets de monnaie. A la fin de 1707, il y en a encore pour 173 millions. Chamillart en convertit pour 53 millions en billets des fermiers et receveurs généraux, payables en cinq ans et rapportant intérêts, et pour 48 millions en rentes sur l'Hôtel de Ville. Les 72 millions restants furent convertis en nouveaux billets qui eurent cours comme espèces à Paris, mais seulement dans les paiements supérieurs à 400 livres et pour les deux tiers des sommes.

Cette combinaison de 1707 dura jusqu'en mai 1709. Alors Desmaretz profita de la refonte générale des monnaies et du bénéfice qu'elle donna au Trésor pour supprimer 43 millions de billets. Quant à ceux qui restaient en circulation et qui perdaient, par suite de l'agiotage, de 60 à 65 p. 100 de leur valeur, on les employa en rentes sur la gabelle et divers fonds du Trésor, et on arriva à éteindre cette dette flottante si dangereuse. Mais l'usage du papier fiduciaire se trouva discrédité.

L'année 1708 est une année de grande crise financière. En dehors des rentes sur l'Hôtel de Ville et sur le Clergé, on compte huit espèces d'effets royaux qui montent à une valeur de 371.696.000 livres ; ajoutez les loteries, les créations d'offices, qui ne sont, elles aussi, que des emprunts. Le Trésor ne peut éteindre cette dette énorme, et toutes les opérations de Chamillart et de Desmaretz se bornent à amortir certaines sortes de billets pour reporter la dette ainsi supprimée sur d'autres espèces de titres.

Parmi les affaires extraordinaires, c'était particulièrement aux ventes d'offices que les contrôleurs généraux demandaient à tout moment des sommes importantes. On sait que ces affaires se faisaient par traité ; dès qu'un office était créé, le Roi l'abandonnait à un traitant qui lui en avançait le produit présumé et se chargeait de trouver un acquéreur. Il avait droit à un sixième de la somme versée au Trésor : c'était sa remise en dedans, et il touchait de l'acquéreur une remise en dehors de 2 sous par livre, soit, en tout, plus de 26 pour 100. Toutes ces créations enrichissaient les traitants.

Les plus gros bénéfices venaient de la vente des offices de judicature. Lorsque, en 1689, le Parlement de Bretagne est rappelé de Vannes, où il était depuis la révolte de 1675, à Rennes, son ancien siège, Le Peletier lui fait payer cet avantage 500.000 livres au moyen de la création de six offices de conseillers et d'un président à mortier. Par la même occasion, il tire de la ville de Rennes 300.000 livres, et 200.000 des bourgeois, qui vont profiter du retour du Parlement et augmenter les loyers de leurs maisons. C'est une aubaine d'un million. Enchanté, Le Peletier écrit à l'intendant de Bordeaux, lui raconte la bonne affaire de Rennes et ajoute : S'il vous parait que tout cela, en partie, puisse avoir quelque application à ce qui regarde Bordeaux, il vous sera aisé d'en insinuer quelque chose à ceux qui vous viendront trouver. Puis c'est, en 1690 et en 1691, le tour du Parlement de Toulouse, où l'on crée pour 500.000 livres de charges vendues par le traitant Crozat, et de la Cour des comptes de Montpellier qui rachète 429.000 livres les offices qui viennent d'y être établis. En 1704, un édit ajoute une chambre au Parlement de Besançon. Il n'est enregistré que sous réserve de très humbles remontrances ; mais Chamillart rappelle au premier président que Sa Majesté veut que les enregistrements se fassent purement et simplement et qu'elle n'admet aucune remontrance ordinaire par arrêt. Ce premier président retarde la réception des acquéreurs des charges nouvelles, pour installer auparavant un de ses neveux qui vient d'acheter une charge ancienne ; nouveau blâme du Contrôleur général : il ne faut pas qu'on reçoive personne aux anciens offices avant que les nouveaux soient tous remplis et leurs acheteurs reçus.

Les intendants cherchent en quelque sorte des clients aux traitants. L'intendant de Bordeaux, au moment où sont mis en vente de gros offices de judicature, va trouver le président de la Tresme, dont le fils a déjà pris quelque engagement dans l'épée, mais qui, d'ailleurs, a l'étude nécessaire pour être conseiller, et le détermine à l'acquisition d'un office. Il s'adresse au président Lalanne, dont le fils sort du collège et étudie en droit à Paris ; ce magistrat lui répond que son fils est bien jeune, qu'il n'est encore qu'un écolier, que, d'ailleurs, il n'a pas d'argent. L'intendant réplique par l'intérêt de sa famille et le service de Sa Majesté, et arrive sans doute à le persuader, puisqu'il écrit aussitôt au Contrôleur général : Si la qualité d'écolier n'est pas un obstacle et que le Roi veuille donner une de ces charges pour 35.000 livres, vous pouvez y compter. Ce ne sont là que quelques exemples dans la foule des créations nouvelles d'offices de judicature.

La vente des charges de finances rapporte aussi de fortes sommes. Quatre offices d'intendants des finances sont vendus 1.200.000 livres ; deux charges de directeurs des finances, créées en 1701, chacune 800.000 livres. Puis ce sont des offices de trésoriers de l'extraordinaire des guerres, de trésoriers des corps composant la Maison du Roi, de gardes du Trésor, vendus chacun 800.000 livres ou même un million. Ajoutez l'innombrable série des charges inférieures : conseillers, commissaires, vérificateurs des rôles d'imposition, trésoriers des bourses communes, etc.

On crée des charges tout à fait nouvelles, comme celles d'officiers contrôleurs des actes de l'état civil, instituées sous prétexte de surveiller la tenue des registres par le Clergé. En 1691, création des greffiers conservateurs des registres ; en 1705, des contrôleurs des registres ; en 1706, des contrôleurs des extraits des registres ; en 1709, des greffiers-gardes-conservateurs alternatifs.

Puis vient la série des offices de maires. Le Gouvernement multiplia les offices municipaux. Il institua, en 1694, des receveurs des deniers patrimoniaux des communautés, puis, en 1699, des lieutenants de police dans toutes les villes du royaume ; en mai 1702, des lieutenants de maires ; en décembre 1706, des maires et lieutenants alternatifs mi-triennaux, exerçant leurs fonctions à tour de rôle tous les dix-huit mois.

Ces offices municipaux, les intendants se chargèrent de les vendre au meilleur compte, soit aux villes elles-mêmes, soit à des particuliers, soit aux États provinciaux. Grâce à l'habileté et à l'activité de Basville, on les acheta assez vite en Languedoc. Le 18 décembre 1692, quatre mois après l'édit, il y avait déjà dans cette province 600.000 livres de soumissions, et, dix jours plus tard, 800.000 livres. Le besoin du trésor était si grand que Basville n'hésita pas à vendre des charges municipales aux protestants dans l'évêché de Castres et la région des Cévennes, où eux seuls étaient en état de les payer. Je ne crois pas, écrivait-il, qu'il y ait aucun danger à recevoir leur argent. En Provence, les ventes furent beaucoup moins faciles ; en février 1693, on n'avait pas encore vendu la moitié des offices de maires. Des municipalités les rachetèrent ; ainsi firent Aix, Dijon et beaucoup d'autres.

La vente des offices créés les derniers, à la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg et surtout pendant la guerre de la succession d'Espagne, fut beaucoup plus difficile. Le Gouvernement multiplie ses efforts. Lorsque le contrôleur général Pontchartrain crée des charges de receveurs des deniers patrimoniaux, il écrit aux intendants qu'il faut que les particuliers qui ont rempli les fonctions de receveurs municipaux achètent ces offices, d'autant plus que, suivant l'édit, ils pourraient être obligés de les acquérir et d'en payer entièrement la finance. Au besoin, on accordera aux villes le droit de créer de nouvelles taxes qui leur permettront de faire et de garantir les emprunts nécessaires à l'achat de ces charges. Il faudra tenter cet expédient, termine Pontchartrain, avant que d'en venir à une imposition, qu'il faudra néanmoins mettre en usage dans les lieux où les premiers moyens ne suffiront pas. Après la prière, la menace et les moyens de coercition ; de toute façon il faudra s'exécuter.

Enfin on multiplie les offices d'inspection et de contrôle des métiers et des marchés : inspecteurs, auneurs, visiteurs de draps, jaugeurs de vaisseaux et futailles, gourmeurs de bière, jurés-priseurs vendeurs de meubles, mesureurs de charbon, à Paris, et, en octobre 1704, inspecteurs généraux des manufactures : créations dont les frais retombent sur le public et qui entraînent, pour les commerçants et les manufacturiers, perte de temps, tracasseries et vexations. En 1690, charges de jurés-crieurs d'enterrements. Les vendeurs d'huîtres à l'écaille à Paris sont érigés aussi en titre d'offices ; le Roi veut, dit-il, lutter contre le monopole de trois ou quatre particuliers qui se sont rendus maîtres de ce commerce, et il ne trouve pas de meilleur moyen que de créer à son tour un monopole moyennant une finance de 123.000 livres. On crée des charges de barbiers-perruquiers pour éviter qu'un tel métier puisse être exercé par qui voudra : le public sera mieux servi et avec fidélité, dit l'édit. En 1706, un droit de contrôle sur les perruques est institué, pour disparaître bientôt, il est vrai.

Les augmentations de gages étaient des suppléments de traitements que l'on accordait moyennant le paiement d'une finance nouvelle, et, par conséquent, un emprunt déguisé. Dès 1680, elles prennent une grande importance. Les magistrats des Cours souveraines de Paris se laissent persuader d'acheter une augmentation de gages, et le Contrôleur général écrit aux intendants que ce doit être un grand exemple à toutes les autres Compagnies des provinces. On fit accepter ainsi 600.000 livres d'augmentations de gages aux cours de justice. Puis c'est le tour des officiers des présidiaux, bailliages et sénéchaussées, des officiers des élections et des greniers à sel, puis, de nouveau, pendant la guerre de Succession, des officiers de justice. On n'hésite pas à s'adresser aux plus humbles, aux huissiers, aux vendeurs de marée. On crée, en 1689, des gages héréditaires, pour augmenter le nombre des acquéreurs.

Enfin on vend la noblesse et le rachat des impôts. En 1691 et 1692, le Trésor retire 1.788.000 livres de la vente de lettres de noblesse. En mars 1696, il vend la noblesse à cinq cents personnes choisies parmi les plus distinguées par leurs mérite, vertus et bonnes qualités. En mai 1702, nouvelle fournée de deux cents ; en 1711, de cent. — Les rachats d'impôts rapportent, en 1693, 10.240.000 livres.

A la fin, l'offre d'offices dépasse la demande, et la vente devient difficile, au point que l'on use parfois des taxes d'offices, comme l'intendant du Berri qui, en 1703, en fit six ou sept cents pour débiter des charges de syndics. Ces offices sont considérés, — à la différence des commissions, toujours révocables et non vénales, — comme des propriétés héréditaires et comme des immeubles susceptibles d'hypothèques ; mais ils ne sont, en réalité, que des possessions précaires, dont un édit du Roi peut toujours diminuer la valeur par la création d'offices nouveaux ou par la suppression ou la réduction des privilèges concédés par le contrat de vente, comme il fut fait au mois d'août 1705.

Enfin ces créations troublent tout l'ordre établi. L'officier se paie sur le public déjà accablé d'impôts ; restreint les revenus des anciens officiers, puisqu'il en prend sa part. Les nouveaux offices grèvent le Trésor qui doit payer leurs gages. Et ainsi toutes ces créations gênent le public, diminuent les situations acquises, se retournent contre le Roi lui-même. Les ministres voyaient tous ces funestes effets et déploraient d'y avoir recours. Vous ne pouvez, écrivait Pontchartrain au premier président de Harlay, le 24 mai 1693, dire assez de mal de l'édit que vous m'avez renvoyé, je conviens de tout avec vous ; puisque vous convenez aussi avec moi de la triste et malheureuse nécessité qui nous oblige à ce qu'il y a de plus mauvais ; je n'ai que trop de raisons de craindre que nous ne soyons forcés de faire pis. En attendant, faisons donc ce mal-ci. Ce n'est pas ma faute, disait Chamillart, quand il pratiquait à son tour cette politique de fiscalité à outrance ; ni mon cœur ni mon inclination n'y ont part.

Un gouvernement ainsi obéré était condamné à chercher de l'argent par le plus détestable des moyens, les opérations sur les monnaies. Colbert en avait pratiqué une. Mais l'habitude s'en prit à partir de 1689.

Le royaume reçoit, à la fin du règne de Louis XIV, des métaux précieux de diverses provenances. Des piastres et lingots d'or et d'argent des Indes occidentales arrivent en France, notamment à Lyon, à Bayonne, Port-Louis, Brest, par le moyen du commerce considérable que la France fait avec l'Espagne. Une partie passe aux hôtels des monnaies : aux époques de crise, en effet, comme en 1706, le Contrôleur général procède par réquisitions, et fait voiturer à Paris toutes les espèces et matières d'or et d'argent que l'on peut enlever aux provinces. D'autre part, la vaisselle d'argent, les meubles d'argent du Roi et des particuliers sont portés à la Monnaie par ordre du Roi en décembre 1689 ; les tables d'argent massif, les candélabres des demeures royales ne donnent, d'ailleurs, que 3 millions, la vaisselle et les meubles d'argent des particuliers pas davantage. Enfin, et surtout, à partir de 1700, il arrive de la mer du Sud, du Pérou et du Chili, des quantités considérables de métaux précieux que le Gouvernement espagnol permet d'exporter plus facilement qu'autrefois. On estime à 250 millions de livres l'argent introduit en France, de 1700 à 1720, par le commerce de la mer du Sud. Navires français de Saint-Malo et de Nantes, navires espagnols même, portent à La Rochelle, à Nantes, à Port-Louis, à Brest, des lingots que le Gouvernement achète à des conditions singulièrement avantageuses. Pour une bonne partie, généralement la moitié, le Trésor donne des promesses de la Caisse des emprunts ou des billets de monnaie, c'est-à-dire des effets royaux plus ou moins discrédités. Quand, en 1707, les armateurs se plaignent, il leur offre le paiement intégral en pièces de 9 sous 6 deniers. Des changeurs sont établis à Port-Louis et à Brest : le faible titre de ces monnaies laisse au Trésor un beau bénéfice.

Les hôtels de monnaie deviennent très actifs, surtout depuis 1707 ; Nantes, Rennes frappent des quantités considérables de louis d'or et d'argent. Cette source de revenus est si importante que le Contrôleur général compte d'avance sur elle ; ainsi, en 1707, Chamillart évalue à 20 millions de livres les piastres et matières d'or et d'argent que rapporteront les vaisseaux des Indes et de la mer du Sud et qu'il réquisitionnera, et il en fait état pour l'établissement de son budget. L'abondance des métaux précieux apportés par les navires malouins en 1709 permettra cette année-là une grande refonte des monnaies.

Pourtant, pendant les trente dernières années du règne de Louis XIV, on n'a guère cessé de se plaindre du manque de numéraire. La raison n'en est pas seulement qu'une quantité considérable d'argent sort du royaume, pour les besoins du commerce et des armées. C'est aussi la crainte qu'ont les particuliers de montrer leur argent ; les espèces monnayées n'ont pas quitté le pays ; comme l'explique Boisguillebert dans sa correspondance avec Chamillart, elles se cachent.

Pour empêcher l'exportation des monnaies, et aussi pour faire un profit, le Contrôleur général augmente d'un dixième la valeur légale des espèces en 1689. A partir de ce moment il y aura une série de hausses, séparées par un nombre beaucoup plus considérable de diminutions successives dans la valeur des espèces. Après l'augmentation de 1689, on en compte quatre : en 1693, en 1701, en 1704 et en 1709 ; et, dans les intervalles, près de quarante diminutions toujours décrétées sans refonte des monnaies. En 1693, les louis passent de 11 livres 10 sous à 14 livres, et les écus de 3 livres 2 sous à 3 livres 12 sous ; on fabrique de nouvelles monnaies et on réforme les anciennes, mais l'opération est longue ; on est obligé de prolonger plusieurs fois les délais pour permettre aux détenteurs d'espèces de les rapporter aux hôtels de monnaie, et pendant ce temps une partie du numéraire est enlevée au commerce. La diminution de 1700 abaisse la valeur du louis de 10 sous pour faciliter la conversion des rentes du denier 18 au denier 20 ; Chamillart pensait que les rentiers hésiteraient à se faire rembourser leurs titres, ne voulant pas perdre 10 sous par louis. En septembre 1701, l'augmentation porte le louis d'or de 12 à 14 livres, et l'écu de 3 livres 7 sous 6 deniers à 3 livres 16 sous ; alors les anciennes espèces affluent, et, pour les rembourser, le Trésor délivre des billets signés du directeur de la Monnaie. En mai 1704, hausse du cours des espèces : le louis d'or vaut 15 livres et l'écu 4 ; on délivre encore aux porteurs des billets de monnaie. En 1709, au moment où affluent les matières métalliques des Indes et de la mer du Sud, on procède à une refonte. Le louis d'or vaut 20 livres et l'écu 8. Ce sont des pièces d'un nouveau type, d'un titre plus élevé et d'un poids un peu plus fort que les anciennes. Cette opération permit de lutter contre la dépréciation des effets royaux et de supprimer 43 millions de billets de monnaie. Ce fut, dans cette année de crise, une opération fructueuse pour le Trésor.

A ces variations des monnaies le Trésor a gagné, en 1689,25 millions, en 1693, 52 millions ; les trois autres élévations du cours des espèces lui ont donné 89 millions, soit en tout 146 millions[6], auxquels il faut ajouter le gain fait, par la même occasion, sur les gages des officiers.

Mais en regard de ces profits il faut placer les pertes. La valeur légale des espèces augmentant, les pièces de 12 livres valant d'un jour à l'autre 14 livres, chaque livre tournois représente un poids d'or ou d'argent plus faible, une valeur intrinsèque moindre. De 1 fr. 86 avant 1686, la valeur de la livre tournois tombe, en 1689, à 1 fr. 69 ; en 1693, à 1 fr. 55 ; en 1701, à 1 fr. 47 ; en 1704, à 1 fr. 39 ; en 1709, à 1 fr. 24. Aussi les marchands ont été obligés d'augmenter le prix de leurs marchandises. Les prix des denrées montèrent ; les négociants français et étrangers, dit Forbonnais, ne vendirent leurs marchandises et n'en reçurent le prix qu'à poids et à titre. Le taux du change s'éleva. Les variations continuelles entravèrent le commerce et contribuèrent à diminuer la consommation générale. Par suite, les recettes de l'État furent moins fortes ; les fermes, notamment, baissèrent. Au même moment, les dépenses croissaient ; il fallut payer, pour faire vivre les armées de Flandre, d'Allemagne et d'Italie, des changes qui atteignirent jusqu'à $0 p. 100. Tout compté, il n'est pas bien sûr que l'État ait gagné quelque chose à l'altération de la valeur des monnaies.

Le Trésor n'avait pas une banque où il pût s'alimenter en temps de crise. La caisse des emprunts n'était pas assez bien fournie pour jouer ce rôle. Aussi le Contrôleur général recourait-il à des particuliers, à des souverains, comme Madame Royale de Savoie, aux électeurs de Bavière et de Cologne, à des villes étrangères, comme Gènes, surtout aux trésoriers, aux receveurs et aux grands banquiers, Samuel Bernard, Crozat, Hogguers, Anisson, Legendre, qui, en rapports incessants avec lui, opérant pour l'État les paiements en France et à l'étranger, étaient en quelque sorte des directeurs du mouvement des fonds.

Les receveurs et trésoriers étaient obligés de verser au Trésor les sommes prévues par le brevet de la taille, et les revenus des impôts extraordinaires, dont très souvent une bonne partie n'avait pas encore été payée par les contribuables ou même devait rester en souffrance. Ils étaient donc toujours à découvert, et souvent leurs avances étaient considérables. Ils devenaient comme des banquiers de l'État, quand ils émettaient, sous sa garantie, des billets gagés sur les fonds du Trésor. Aux receveurs et trésoriers il faut adjoindre, comme prêteurs au Roi, le trésorier de la bourse des États du Languedoc, dont le crédit et la fortune étaient considérables.

Agents des finances, fermiers généraux, traitants faisaient des bénéfices énormes ; ils percevaient des sommes supérieures au prix de leurs baux et de leurs traités, retiraient de leurs capitaux des intérêts élevés et profitaient des variations continuelles du change sur les grandes places de l'Europe. Pour fournir de l'argent aux armées d'Allemagne et d'Italie, ils exigeaient et obtenaient, comme Samuel Bernard en 1706, des changes de 35, 40 et même 50 p. 100. Ils gagnaient aussi à se faire pourvoyeurs de l'État, achetant pour son compte, à Livourne et à Gênes, de grandes quantités de blé. Il était donc naturel que le Contrôleur général, qui leur procurait de si belles affaires, leur demandât sans cesse leur concours : qu'ils le voulussent ou non, il leur fallait s'exécuter. Quand ils se défendaient trop, le Contrôleur avait recours à des expédients irrésistibles.

Samuel Bernard était le plus riche banquier de Paris. En 1708, Desmaretz lui demanda une forte avance. Le financier refusait. Desmaretz manda Bernard à Marly et l'invita à diner chez lui. Ce jour-là le Roi visitait Marly, allant de pavillon en pavillon. A celui de Desmaretz il s'arrêta ; le Contrôleur général se présenta avec Samuel Bernard. Le Roi dit alors à Desmaretz qu'il était bien aise de le voir avec M. Bernard ; puis, tout de suite, s'adressant au financier : Vous êtes bien homme à n'avoir jamais vu Marly ; venez le voir à ma promenade ; je vous rendrai après à M. Desmaretz. Bernard suivit ; et le Roi lui fit les honneurs de Marly, avec la grâce qu'il savait si bien employer quand il avait le dessein de combler. Bernard revint de la promenade du Roi chez Desmaretz tellement enchanté, que d'abordée il lui dit qu'il aimait mieux risquer sa ruine que de laisser dans l'embarras un prince qui venait de le combler et dont il se mit à faire des éloges avec enthousiasme.

Cette ruine, il la risqua, en effet, en prêtant 19 millions au Trésor, qui lui devait déjà 11 millions ; il aida à pourvoir aux besoins urgents des troupes des Flandres, d'Allemagne et d'Italie. Mais la situation de Samuel Bernard devint tout à fait critique en 1709 ; il sera obligé de suspendre ses paiements si on ne lui vient en aide.

Mon crédit, écrivait-il à Desmaretz, souffrirait infiniment, si vous n'aviez la bonté d'entrer dans quelques expédients pour me mettre en état de me soutenir ; l'accablement où vous jugez bien que je dois être diminuerait considérablement, si je n'avais pour objet que ma perte particulière et celle de toute ma famille. La ruine que je prévois entraînera sans doute le désordre dans toutes sortes d'affaires dont je crains que celles du Roi n'aient peine à se garantir.

Desmaretz lui fit accorder ce qu'il demandait : une surséance de trois années, pour qu'il pût convertir les billets de monnaie et assignations en deniers et les donner aux créanciers. Après cette crise, le crédit de Bernard se relève ; le financier correspond avec plus d'activité que jamais avec les banquiers d'Anvers, d'Amsterdam, de Hambourg ; il fait, dès 1710, pour la Flandre des avances qui montent à un million par mois. Au mois d'août 1713 il lui est dû plus de 7 millions. Mais, depuis la crise qu'il a subie en 1709, ce n'est plus lui qui dirige le mouvement des fonds du Trésor. Cette fonction passe à un syndicat de douze receveurs généraux à la tête duquel est Legendre.

La caisse de Legendre est devenue une véritable caisse de l'État. Elle émet des billets pour des sommes considérables ; c'est à elle, en 1715, que les trésoriers et receveurs généraux doivent porter leurs fonds. Elle rétablit à certains moments la circulation de l'argent ; Desmaretz lui envoie l'ordre de faire chercher à Paris des billets des receveurs généraux et de les payer moyennant un escompte de 5 p. 100. En 1715, cette caisse est une des principales préoccupations de Desmaretz. Pour lui permettre de payer régulièrement ses billets et de fournir aux dépenses de 1715, 1716 et des premiers mois de 1717, il propose d'y mettre au moins 200 millions ; mais, comment trouver cette somme ? Desmaretz ne le dit pas.

L'État et les financiers sentaient de plus en plus la nécessité d'une banque d'État. Samuel Bernard fit, en novembre 1709, un projet que Desmaretz accepta, mais les grands négociants et fabricants craignirent l'établissement d'une banque qui n'aurait que du papier. Les billets de la banque tomberaient, disaient-ils, et les espèces se cacheraient plus que jamais. Cette opposition fit abandonner le projet.

Ainsi le Trésor royal vit d'expédients, de moyens extraordinaires, nuisibles au développement économique du pays et ruineux pour lui-même. Rien de solide ni de sûr ; la vie au jour le jour, l'imagination des donneurs d'avis, des financiers, du Contrôleur général se donnant libre carrière ; des gains immédiats qui finissent par se tourner en pertes ; des expédients habilement et incessamment renouvelés pour vider les caisses des sujets ; des contraintes pour saisir ce qui ne doit se donner que de plein gré ; une oppression fiscale inouïe.

 

V. — LES NOUVEAUX IMPÔTS : CAPITATION ET DIXIÈME.

PAR la dure nécessité, le Gouvernement de Louis XIV fut conduit à concevoir enfin une réforme fiscale importante. Il tenta d'introduire dans la législation financière le principe de l'égalité de tous, la proportionnalité des charges aux facultés de chacun. C'était une grande nouveauté ; le privilège, fondement de la société française, allait être ébranlé.

En 1694, on songea à établir une capitation. Ce n'était pas une forme d'impôt tout à fait inconnue ; elle était employée pour faire face aux dépenses extraordinaires des villes et des communautés. L'idée de la mettre en usage pour l'État doit être attribuée, en partie à Vauban, en partie à Pontchartrain et à l'intendant du Languedoc, Basville.

Vauban présente un projet en 1694. Il n'y laisse subsister que les taxes indirectes, supprime les autres impôts, la taille elle-même, et les remplace par un impôt de capitation. Il procède à un dénombrement de la population aussi complet qu'il peut, d'après la connaissance qu'il a des gages et appointements du grand nombre d'hommes et d'officiers de toute espèce qui servent le Roi, et d'après des proportions tirées de quantité d'expériences qu'il a faites de différentes façons. Il avait réuni, en effet, une foule d'observations statistiques sur divers pays, par exemple sur l'élection de Vézelay. Il passe en revue le clergé, les fonctionnaires, les fermiers généraux et les traitants, les rentiers, les valets et servants ; puis les terres, les bois, les maisons, le bétail seront taxés suivant le revenu qu'ils donnent.

La capitation doit être imposée sur toutes les natures de biens qui peuvent produire du revenu, et non sur les différents étages des qualités ni sur le nombre des personnes, parce que la qualité n'est pas ce qui fait l'abondance, non plus que l'égalité des richesses, et que le menu peuple est accablé de tailles, de gabelles, d'aides et de mille autres impôts, et encore plus de la famine qu'ils ont soufferte l'année dernière, qui a achevé de les épuiser.

Sur les rentes et les appointements connus il établit un impôt égal à près de sept pour cent[7], parce que dix pour cent serait trop rude, et cinq malheureusement trop peu pour soulager l'État. Pour les revenus inconnus, ceux du clergé, des fermiers généraux, etc., il les suppute, ne voulant pas fouiller dans le secret des familles, et il les frappe proportionnellement à la valeur qu'il leur donne. C'est donc un impôt sur les revenus des divers fonds et des diverses classes de la société qu'il propose, sans se soucier de hiérarchie, en ne considérant que les facultés de chacun. Il calcule que, sur ces bases, la capitation donnerait 60 millions de livres, le clergé apportant 5 millions, les fermiers généraux et traitants 3, et les rentiers de l'Hôtel de Ville 1.200.000 livres. Ce ne sera pas une imposition de guerre ; — Vauban ne dit pas ce qu'on fera en temps de guerre ; — elle ne durera que pendant la paix ; elle suppose des conditions normales, un travail régulier dans le royaume, des revenus bien assis. Vauban désire que l'on commette les détails de l'exécution à des gens de bien très éclairés.

La capitation ne saurait jamais être trop légale, ni assez proportionnée aux facultés de ceux sur qui elle doit être imposée, évitant sur toutes choses de tomber entre les mains des traitants qui sont les véritables destructeurs du royaume, mais la faisant imposer par les intendants, assistés des plus notables des provinces..

L'année même où Vauban présente au Roi ce projet, Pontchartrain consulte secrètement les intendants et les principaux personnages des pays d'États sur un projet de capitation semblable à celui de Vauban, mais qui ne fait plus de cette contribution qu'un impôt provisoire devant cesser à la paix. Il s'entend avec Basville, intendant du Languedoc, qui doit amener les États de cette province à offrir d'eux-mêmes au Roi la capitation comme une réforme nécessaire. Le 10 décembre 1694, l'assemblée des États acquiesce avec enthousiasme.

Elle sent croître sa passion pour le service du Roi et pour le bien du royaume, en ce temps où les ennemis de l'État se sont faussement persuadés que le zèle des sujets du Roi peut diminuer ou ses forces s'épuiser. Elle se fait gloire d'exciter par son exemple tout le reste du royaume  tant que les puissances ennemies s'obstineront à refuser la paix. Elle n'a pas de moyens plus sûrs que cette espèce de subside...

Un mois après cette manifestation, que le Roi qualifie de spontanée et qui n'était due qu'à l'habile influence de l'intendant, la déclaration royale était publiée (18 janvier 1695).

La déclaration divise les sujets du Roi en vingt-deux classes, depuis le Dauphin, les princes du sang et les secrétaires d'État jusqu'aux simples manœuvres et journaliers, soldats et matelots, apprentis, servants des petites villes et des bourgs. La première classe paie 2.000 livres, la deuxième 1.500 livres par tête, et ainsi de suite, jusqu'à la vingt-deuxième qui doit donner une livre. Le revenu des sujets de chaque classe est supposé le même ; c'est donc un impôt fondé, non sur le revenu réel, mais sur le revenu arbitrairement présumé. De plus, ce n'est pas un impôt absolument général, quoi qu'en dise le préambule. Le clergé de France est, en principe, exempt, car il ne serait pas juste, dit le Roi, que donnant un don gratuit, il se trouvât en même temps chargé de la capitation ; il est vrai qu'il sera obligé de faire un nouveau don, à cause de cette exemption. Sont exempts aussi les ordres mendiants, les pauvres mendiants dont les curés des paroisses donneront des rôles signés et certifiés, et. les sujets taillables qui paient une cote inférieure à 40 sous. Enfin, suivant un arrêt du Conseil du 22 septembre 1695, la capitation doit être payée de préférence aux impositions, telles que la taille, qui frappent les fonds de terre ; c'est une créance de l'État privilégiée au premier chef.

Le nouvel impôt fut assez bien accueilli en Languedoc et en Lyonnais ; en Bretagne, on trouva, non pas en grand nombre, à la vérité, d'assez honnêtes gens pour être prêts à subir une capitation, la regardant comme une chose utile et nécessaire à l'État. Mais la plupart des provinces du royaume désapprouvèrent. En certains endroits, lorsque les curés veulent lire au prône l'instruction de l'intendant, la plus grande partie des paroissiens a quitté l'église. Arrivent les plaintes de l'intendant de Bourgogne, du procureur général du Parlement de Besançon : la répartition est mal faite et ne donnera pas ce qu'on en attend, affirme le premier ; on augmente de beaucoup l'impôt, dit le second, et il sera malaisé de continuer une autre année de même force, si l'on n'a une très grande application à faire valoir le commerce et à décharger le peuple d'une infinité de personnes qui le rongent sans qu'il en revienne rien au Roi. Il faut recourir aux contraintes en Bourbonnais, en Nivernais, dans le Morvan. Et ce sont des émeutes, comme à Toulon, des assemblées, comme en Bigorre, où les mécontents ont à leur tête un noble et un curé, des résistances des privilégiés en Bourgogne, en Franche-Comté. Le clergé de France, qui n'est exempt que moyennant un don, s'abonne pour 4 millions par an, et le clergé étranger, — celui des provinces conquises depuis le XVIe siècle (Alsace, Franche-Comté, Flandre, etc.), — paie un abonnement. Les nobles tardent à s'acquitter, et les receveurs n'osent pas s'attaquer à eux. En juillet 1697, la Provence doit encore plus du tiers de la capitation de 1696 et de 1695. En 1695, au lieu de 30 millions, le Trésor n'en reçoit que 26 ½, ce qui donne, tous frais de perception payés, un produit net de 22.700.000 livres, et les années suivantes la somme diminue, l'apport de la noblesse baissant continuellement. Le Contrôleur général des finances ne peut se passer des affaires extraordinaires dont il avait annoncé la fin, et la promesse qu'avait faite Louis XIV, en foi et parole de Roi, de supprimer la capitation trois mois après la paix, ne se réalise que le lei avril 1698, et non à la fin de 1697.

La guerre de la ligue d'Augsbourg avait donné naissance à la capitation. La guerre de la succession d'Espagne la fit renaître. La Déclaration du 12 mars 1701 la rétablit comme le seul moyen d'échapper aux affaires extraordinaires. Mais les abus de la première expérience se renouvellent et s'aggravent. Les privilégiés se dérobent autant qu'ils peuvent. Le clergé de France s'abonne, comme en 1695, moyennant 4 millions par an. — Il est vrai qu'en avril 1710, dans la crise du Trésor, il donne 24 millions, six fois sa cote annuelle. La Flandre maritime s'abonne moyennant 600.000 livres par an, en 1701, et 700.000 livres, à partir de 1704. Le Languedoc obtient un abonnement de 2 millions, réduit, dès 1705, à 1 800.000 livres. Tout ce qui est riche, puissant, cherche le moyen de diminuer sa part contributive. L'État, pour avoir tout de suite de l'argent liquide, accepte tout. Il n'a presque plus conservé de branche de revenu entière que la capitation, les riches sont sa seule ressource, et il leur présente un moyen nouveau de s'exempter des contributions.

Le caractère de l'impôt change pour une autre catégorie de contribuables. Dès 1705, la capitation des taillables est répartie au prorata de la taille. C'est donc un impôt de répartition, qui prend tous les caractères de la taille. Le tarif par classes, établi en 1695, ne s'applique plus qu'à ceux qui sont exempts de tailles. Il y a ainsi, pour la capitation, trois catégories de contribuables : 1° ceux qui se rachètent ou s'abonnent ; 2° ceux qui paient l'impôt, suivant la hiérarchie des vingt-deux classes ; 3° ceux qui paient lus impôt die répartition, proportionnel à la taille. À cette transformation ce sont les privilégiés qui gagnent : les nobles ou possesseurs de terres nobles, pour qui l'on fait un rôle particulier et dont la capitation va se réduisant peu à peu à presque rien ; le clergé, qui paye uns somme librement fixée par lui ; certaines provinces capables de se racheter. Le fardeau retombe presque tout entier sur le peuple, et plus lourdement qu'a la fin de la guerre de La ligue d'Augsbourg. Tandis, en effet, que la première capitation a donné au Trésor en moyenne 22.560.000 livres par an, la deuxième lui a procuré 30 millions.

Aussi se reproduisent les plaintes, les contraintes et les retards dans les paiements. En Languedoc le Trésor ne reçoit que le tiers du premier terme de la capitation de 1703, et suivant les États, il n'y a pas lieu d'espérer que le dernier terme, qui est de 1.050.000 livres, pour cette généralité, puisse être levé. Les arriérés s'accumulant sans qu'on paisse prévoir comment les débiteurs pourront jamais se libérer. En Languedoc, le trésorier de la bourse des États, dès 1705, est à découvert de 1.800.000 livres. Pour venir à bout des récalcitrants, on met garnison chez eux : ce sont nouvelles dragonnades. Les collecteurs se dérobent, mais les receveurs ne peuvent en faire autant ; le Contrôleur général les oblige à des avances, et ces officiers, à force de faire crédit à un État qui emprunte toujours sans jamais rien rembourser, courent à la ruine.

La tentative commencée en 1605 ; reprise en 1701, ayant manqué, on essaya d'un deuxième impôt général ou prétendu tel, le dixième.

En 1699, Vauban avait proposé au Roi la conversion des anciens impôts, tailles, aides, douanes provinciales, en une dîme royale équivalente. C'est été une contribution sur tous les revenus sans exception, semblable à la dîme ecclésiastique ; un impôt unique, qui aurait remplacé la plus grande partie des. autres. Vauban la fixait au vingtième du revenu. En novembre 1699, Chamillart consulta les intendants sur le projet de Vauban ; il fut même question d'un essai ; mais bientôt on n'y pensa plus. En 1707, Vauban exposa de nouveau son projet dans la Dîme royale. Mais comme il y critiquait tout le régime fiscal, le livre fut saisi et le maréchal, âprement poursuivi par le chancelier Pontchartrain, fut disgracié par le Roi. Cependant, en 1710, après l'échec des conférences de Geertruidenberg, au moment où le royaume était obligé de poursuivre une lutte désespérée, Louis XIV fut forcé de recourir à ce grand moyen : un impôt sur les revenus de ses sujets. Seulement, ce n'était plus une contribution substituée à la plupart des autres, c'était une contribution nouvelle, s'ajoutant aux anciennes et à la capitation. On ne s'appuyait sur l'autorité des économistes, de Vauban et de Boisguillebert, qui, lui aussi, avait conseillé la création d'un impôt sur les revenus avec suppression des impôts les plus odieux, que peur augmenter les charges financières. Mais, pour faire accepter l'impôt, on déclarait qu'il ne serait que provisoire.

Le dixième fut établi par une déclaration royale du 14 octobre 1710. Une autre déclaration, du 4 décembre, ouvrit un emprunt de 3 millions dont le remboursement fut assigné sur les sommes qui proviendraient du dixième. On avait procédé très vite, sans formes solennelles ; au lieu d'un édit on n'avait rendu qu'une déclaration, et c'est ce qui étonnait le procureur général du Parlement de Paris, Daguesseau, qui écrivait, huit jours après, au Contrôleur général :

Il paraît extraordinaire qu'un établissement si nouveau et d'une si grande conséquence se fasse par une simple déclaration, et il semble que la forme d'an édit aurait été convenable, si ce n'est peut-être que vous ayez préféré celle d'une déclaration pour montrer encore par là qu'il ne s'agit que d'une levée passagère et qui doit cesser avec la guerre.

La déclaration de 1710 impose les revenus de toute espèce, les profits d'une profession, les salaires même des ouvriers, excepté, il est vrai, les salaires trop faibles. Les contribuables doivent faire la déclaration exacte et véridique de la valeur de leurs biens, puis du montant de leurs revenus, dont ils payeront le dixième. A la différence de la capitation, le nouvel impôt frappe non les revenus présumés, mais les revenus réels de tous les sujets. Le clergé lui-même doit y être soumis : grave réforme qui, si elle se réalisait, obligerait le clergé de France à déclarer, ce qu'il n'a jamais fait, la totalité de ses revenus, et par là-même la valeur de ses biens-fonds et de ses dîmes.

Les déclarations de revenus doivent être faites aux maires et syndics, et, dans certains cas, aux receveurs des tailles. Le recouvrement de l'impôt est mis à la charge des maires et syndics qui remettent l'argent aux receveurs des tailles, qu'ils l'aient reçu ou non ; contre les non-payants ils auront leur recours. La fortune des collecteurs répond de la perception.

Toutes les classes de la nation, non seulement les privilégiés, mais encore et surtout le peuple, firent une opposition très vive. Le clergé arriva bien vite à se faire exempter, moyennant un don gratuit extraordinaire de 8 millions. Pour la noblesse c'était, dit Saint-Simon, une sanglante affaire, qui allait ruiner surtout les pauvres gentilshommes des provinces. Les parlementaires, les fonctionnaires, dont les gages étaient connus, furent privés du dixième de leurs appointements, que le Trésor retint à l'avance ; les rentiers reçurent leurs rentes diminuées du dixième. Les fonctionnaires se plaignaient, d'autant plus justement qu'il s'en fallait de beaucoup que le Trésor les payât régulièrement. Les magistrats de Dijon écrivaient au Contrôleur général :

Lorsque nous avons fait nos déclarations pour le dixième, nous espérions que vous nous feriez payer incessamment de ce qui reste dû de nos gages des années 1709 et 1710 et que vous laisseriez les fonds de 1711. Mais rien ne vient et on nous retient tout, pendant qu'on nous demande de toutes parts le paiement de ce dixième. En vérité, nous en sommes dans un étonnement inconcevable, et nous ne saurions nous persuader que le Roi veuille nous obliger à lui payer les sommes qu'il nous demande, pendant qu'on nous retient celles qui seules pourraient lui en procurer le paiement dans ces années fâcheuses où il semble que la nature agisse de concert avec les hommes pour achever notre ruine.

Les paysans résistaient en Béarn, en Limousin, en Normandie. Pour ne pas payer le dixième du croît des animaux, les gens du Limousin vendaient dans les foires tout leur bétail, au grand dommage de la culture. C'étaient, à Sauveterre de Béarn, à Avranches, des soulèvements, des violences, et parfois, comme dans cette dernière ville, on trouvait des curés à la tête du mouvement.

Mais, chose vraiment grave et nouvelle, certains intendants ou fonctionnaires des finances adressaient au Contrôleur général de violentes critiques. Basville, le roi du Languedoc, montra toutes les difficultés, l'iniquité même d'une telle mesure. D'abord l'impôt est trop lourd, dit Basville.

Il faut bien prendre garde de ne pas raisonner dans cette affaire sur l'idée de Paris où sont établies les personnes les plus riches du royaume : celles-là pourraient payer le dixième de leurs revenus sans beaucoup s'incommoder ; mais, dans les provinces, où la plupart des habitants vivent de leur domaine, il n'en est pas de même, et la charge est si forte qu'elle ne peut plus recevoir d'augmentation.

Ensuite, il est fort difficile de connaître les revenus de chacun ; chaque sujet éprouvera une extrême répugnance à déclarer son bien et à révéler le secret de sa famille. Il faudra que l'État se livre à de longues recherches, à une inquisition contraire au génie de la nation. Et puis ne faudra-t-il pas exempter les malheureux paysans, naguère si éprouvés par la perte de leurs oliviers ?

Les intendants ne firent que très lentement les rôles du dixième. En février 1711, le Contrôleur général leur écrit qu'ils ne doivent pas attendre la perfection de leur ouvrage pour lui envoyer des bordereaux de leurs rôles. Mais ils réclament des réductions en faveur de leur généralité. L'intendant de Montauban écrit : Une infinité de gentilshommes ont à peine de quoi vivre ou ont leurs enfants au service. Il n'y en aura pas le quart qui paye volontairement. Il demande que les biens ruraux soient ménagés : les noyers et les châtaigniers ont péri pendant l'hiver de 1709. Mêmes doléances de Basville : Il est bien certain que beaucoup de gens ne labourent plus leurs terres pour le profit qu'ils en retirent, mais pour ne les laisser pas en friche, dans l'espérance d'un meilleur temps. Basville se préoccupe des difficultés de certaines évaluations. Le Contrôleur général répond : Il ne faut pas entrer dans ces détails ; il faut faire l'estimation sur le pied du revenu des terres voisines. Ce qu'il appelle détails, c'est l'essentiel de la réforme, les voies et moyens d'une répartition exacte et équitable des charges. C'est qu'il s'agissait, pour le Gouvernement, non d'une vraie réforme fiscale, mais d'un expédient financier.

Dans l'application du dixième le Gouvernement manqua à tous les engagements de la déclaration de 1710. Annoncé comme provisoire, cet impôt devient permanent ; il subsistera jusqu'à la fin de l'ancien régime, augmenté, aggravé même, à diverses reprises. Universel, il tombe bientôt presque exclusivement sur les moins riches. Le clergé se fait exempter le 27 octobre 1711, en portant son don gratuit à 8 millions ; Lyon, l'Alsace et Strasbourg se rachètent. L'ordre de Malte s'abonne. La Flandre maritime s'abonne aussi à 200.000 livres par an, dont 50.000 fournies par les villes et le reste par les campagnes ; le Languedoc, la Bourgogne, la Bretagne, la Provence, de même. Un quart du royaume se rachète.

Bien plus, le principe même de l'impôt est changé : un arrêt du Conseil du 28 mars 1711 transforme le dixième des biens-fonds roturiers et maisons roturières du Languedoc en un droit de 2 sols pour livre de toutes les impositions ; le calcul est ainsi plus rapide : plus de déclaration, plus d'estimation fondée sur le revenu réel. Et, ce qui est plus grave, les biens nobles sont taxés à part ; la province est autorisée à répartir entre eux ce qu'elle jugera à propos. C'est l'arbitraire. La conséquence est qu'en Languedoc les biens roturiers paient 780.000 livres, et les biens nobles, qui forment le tiers de la superficie du pays, 115.482.

Enfin les financiers qui ont prêté au Roi 2.400.000 livres se font exempter du dixième per le traité qu'ils concluent à cette occasion ; il est vrai que plusieurs spéculateurs furent taxés arbitrairement ; les frères Crozat payèrent, l'un 800.000, l'autre 1.200.000 livres.

Ces exemptions, rachats, abonnements, les résistances, fraudes, diminutions forcées qu'entraîne la misère générale, font que le produit du dixième ne dépasse pas, en moyenne, 22 à 23 millions.

 

VI. — L'ÉTAT DES FINANCES EN 1715 : LA BANQUEROUTE.

MALGRÉ la capitation et le dixième, les revenus nets, en 1715, sont tombés plus bas que jamais ; les charges, le paiement.des rentes ne laissent au Trésor que 74 millions, alors que les dépenses montent à 419. L'avenir est engagé et compromis.

Desmarets propose au Roi de ramener le budget à l'état où il se trouvait à la mort de Colbert. Il conseille des diminutions sur l'extraordinaire des guerres (12 millions), sur la marine et les galères (7 millions) et sur les pensions et gratifications, de manière à gagner en tout 25 millions. Il propose en outre de demander cette année au clergé un don gratuit de 10 millions, de créer des surtaxes nouvelles, 2 nouveaux sous pour livre des fermes et 2 nouveaux sous aussi de la taille ; de supprimer tous les récents privilèges de noblesse, d'exemption de taille et de collecte ; quant au dixième et à la capitation, ils seront maintenus, et même il faudra leur faire produire davantage. La capitation, dans son principe, dit Desmaretz, n'a pas été portée assez haut ; depuis, elle a toujours diminué, parce que les magistrats passagers des villes ont profité du temps de leur magistrature pour modérer et presque anéantir les taxes de leurs parents et de leurs amis.

Desmaretz tient un autre moyen en réserve, la banqueroute. Il n'hésite pas à le recommander dans ses mémoires au Roi en 1715. Les dettes immédiatement exigibles montent à 430 millions. Sur le papier — assignations, billets à cinq ans, etc., — on fera un retranchement d'une moitié ou d'un tiers. On suspendra le paiement des ordonnances dues aux trésoriers de l'extraordinaire des guerres, de la marine, des galères, pour les examiner et les réduire. Le détail dans lequel on entrera, ajoute le Contrôleur général, amènera la diminution de bien des choses. Enfin, on se tournera vers les traitants, on suspendra l'exécution de leurs traités qui sont à charge aux peuples, on les obligera à présenter immédiatement leurs comptes, et on les remboursera à raison du préjudice causé par cette suspension de leurs affaires ou bien on ne les remboursera qu'en partie ou pas du tout ; ce sera même le plus sûr moyen de les taxer utilement pour l'État.

Toutes les mesures recommandées par Desmaretz ne devaient être que trop fidèlement exécutées sous la Régence, après sa disgrâce. Mais déjà, en 170, on est en pleine banqueroute. Des rentiers ont attendu deux ans leurs arrérages. Les billets des trésoriers de l'extraordinaire et les promesses de la caisse des emprunts qui n'ont pu être liquidés viennent d'être supprimés avec un retranchement de la moitié du capital ; pour le remboursement du surplus, on a créé des rentes à 4 p. 100 sur le produit du dixième et de la capitation. Ainsi on enlève à des créanciers de l'État la moitié de leur capital ; et on leur donne, pour l'autre moitié, des rentes de faible intérêt (4 p. 100) garanties par des fonds que l'État n'est jamais sûr de recouvrer entièrement. De plus, on a consommé presque entièrement les revenus.des années 1716 à 1718. Enfin l'État doit plus de deux milliards.

Cette banqueroute est, comme l'avait déjà pressenti Colbert, une conséquence fatale des grandes dépenses du Roi. Elle est aussi le résultat certain du système d'administration traditionnel. Malgré les avertissements de Colbert, et, à la fin du règne, de Boulainvilliers, de Vauban et de Boisguillebert, précurseurs des économistes du XVIIIe siècle, le Gouvernement ne se résigna pas à régler ses dépenses sur ses recettes, ni à se créer des ressources par une nouvelle répartition des charges, qui eût été le commencement d'une réforme sociale. Il ne voit que des expédients dans les idées qu'on lui propose, et ne fait qu'ajouter à la vieille fiscalité d'autres contributions, injustement réparties comme les autres. A tous moments, avec tout le monde, il manque aux plus simples règles de la bonne foi. Sa malhonnêteté, son imprévoyance, sa prodigalité sont de grands dangers pour la monarchie.

 

 

 



[1] BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE. SOURCES. La principale est la série G' aux Archives Nationales (Contrôle général des finances). La correspondance des contrôleurs généraux avec les intendants, publiée par de Boislisle, donne des extraits de cette énorme série. Cf. les appendices des trois volumes : États financiers année par année, mémoires des contrôleurs généraux au Roi. — Esnault, Michel Chamillart. Correspondance et papiers inédits, 2 vol., 1884 (quelques documents sur les finances). Les chiffres donnés par Malet et Forbonnais ne coïncident pas avec ceux donnés par les contrôleurs généraux et dans les états de finances. Nous avons préféré ceux-ci, les seuls officiels et authentiques. Tous les chiffres que noua donnons sont empruntés au recueil de Boislisle ; quand nous n'indiquons aucun chiffre pour des choses importantes ou intéressantes, c'est que ce recueil n'en fournit pas. — Mémoires des intendants. (Voir la bibliogr. de l'économie sociale, au livre suivant). Chancelier Daguesseau, Œuvres, t. XIII, 1879. Vauban, Boisguillebert, Œuvres (Coll. des économistes de Daire.)

OUVRAGES À CONSULTER. Clamageran, Histoire de l'impôt, t. III, 1878. De Boislisle, éd. de Saint-Simon : études en appendice aux tomes II, VIII, XIV, XX. Vuitry, Le désordre des finances et les excès de la spéculation à la fin du règne de Louis XIV, 1885 (n'indique pas les sources auxquelles il puise ses chiffres). Beaulieu, Les gabelles sous Louis XIV, 1908, in-8°. V. de Swarte, Samuel Bernard, sa vie, sa correspondance, 1893. Ph. Sagnac, Le crédit public et les financiers à la fin du règne... (Revue d'hist. mod., 1908). Houques-Fourcade, Les impôts sur le revenu en France au XVIIIe siècle, 1889. M. Marion, L'impôt sur le revenu au siècle, principalement en Guyenne, 1901.

[2] Tous ces chiffres sont tirés des états financiers des contrôleurs généraux ou de leurs mémoires au Roi (Corresp. du Contrôle général, appendices des trois volumes de A. de Boislisle).

[3] Ces comparaisons de chiffres n'ont pas une valeur absolue, à cause de la valeur intrinsèque, extraordinairement changeante, des monnaies (voir plus loin l'étude sur les monnaies). Pendant que la taille des pays d'élections semble en voie de diminution, de 168 ; à not, la taille des pays d'États augmente. A l'époque de Colbert elle n'avait guère dépassé a millions ou a millions et demi, taux de 1683 ; elle fut portée en moyenne à 4 millions pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, pour dépasser 5 millions en 1710. Cette augmentation, il est vrai, n'était pas absolue ; elle provenait en partie de la transformation des dons gratuits en tailles.

[4] Les rentes sur l'Hôtel de Ville ou sur les revenus de l'État sont héréditaires on viagères. En novembre 1689 et en février 1698, le Roi avait créé des rentes viagères sous forme de tontines. C'était tout profit pour les actionnaires de ces sociétés. On plaçait bien son capital à fonds perdu, mais les intérêts étaient payés en entier aux actionnaires survivants, de sorte qu'avec un petit capital on pouvait toucher des sommes considérables dans sa vieillesse. En mai 1709. le Roi créait 500.000 livres de rentes au denier 12, dont 300.000 de rentes perpétuelles et 200.000 de rentes viagères, mais, pour ces dernières, il établissait une tontine telle que les actionnaires ne perdraient point leurs fonds qui seraient conservés à leurs héritiers avec un intérêt de 5 %. C'était un expédient très onéreux pour l'État.

[5] Les rentes étaient garanties par divers fonds d'État : aides, gabelles, etc., ou par des corps possédant une grosse fortune et un grand crédit, comme l'Hôtel de Ville, le Clergé de France. Mais, au fond, rien ne les distinguait les unes des autres : c'étaient toujours des rentes d'État.

[6] Les deux premiers chiffres sont donnés par Vuitry (qui s'appuie sur l'autorité de A. de Boislisle), et le troisième par Forbonnais.

[7] Exactement, 6,66 (le denier quinze, comme dit Vauban).