HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE II. — LA POLITIQUE ET LA GUERRE, DE LA PAIX DE RYSWYK AUX TRAITÉS D'UTRECHT ET DE RASTADT.

CHAPITRE II. — LA FRANCE ET LA COALITION[1].

 

 

I. — LES FAUTES DE LOUIS XIV. LA GRANDE ALLIANCE DE LA HAYE.

AINSI, le XVIIIe siècle s'ouvrait par un comble de gloire et de prospérité inouïes pour la maison de Bourbon. La question d'Espagne paraissait réglée définitivement à son avantage, au début de l'année 1701. Quelques mois après, le revirement était complet ; une guerre commençait, qui devait être la plus longue et la plus terrible du règne de Louis XIV. Il est bien probable que l'Europe n'aurait pas à toujours supporté l'énorme accroissement de la puissance des Bourbons ; mais il est certain que des actes de Louis XIV eurent pour effet de provoquer et de légitimer la coalition des puissances contre la France.

Par lettres-patentes enregistrées au Parlement le ter février 1701, Louis XIV conserva au duc d'Anjou et à ses descendants leurs droits à la couronne de France dans l'ordre naturel de succession, c'est-à-dire avant le duc de Berri. Ce n'était pas, à vrai dire, une violation de la clause testamentaire qui prohibait la réunion sur une même tête des deux couronnes de France et d'Espagne, puisque les lettres-patentes ne stipulaient pas que Philippe, en devenant roi de France, demeurerait roi d'Espagne. D'ailleurs le duc d'Anjou était séparé de la couronne par deux personnes, le Dauphin et le duc de Bourgogne. Mais cet acte prêtait aux soupçons, et la publication en était au moins inopportune.

Bien plus grave fut l'affaire des places de barrière. Il n'y avait ni danger ni inconvénient grave, ni pour la France ni pour l'Espagne, à laisser les soldats hollandais dans ces places ; mais Louis XIV veut que son petit-fils soit absolument maître chez lui. Le 17 novembre 1700 il offre au gouvernement de Madrid le secours des troupes françaises pour chasser des villes belges les Hollandais, dans le cas où ils ne voudraient pas en sortir de bon gré. Pourtant, il hésite, sur l'avis, donné par son ambassadeur, que les États Généraux déclareront la guerre si des régiments français pénètrent en Belgique ; puis il veut attendre que la Hollande ait reconnu officiellement Philippe V comme roi d'Espagne. Mais la Hollande tarde ; il se décide à exécuter son dessein. Il l'exécute brutalement. Au lieu de demander aux Hollandais de rapatrier leurs soldats, il fait entrer les siens dans les places de barrière, en vertu d'ordres du gouverneur des Pays-Bas, la nuit du 3 au 6 février 1701. Les garnisons hollandaises ne sont pas chassées, mais au contraire retenues pour gage des résolutions que les États Généraux prendront.

A cette nouvelle, les Hollandais sont exaspérés, mais ils cachent leur colère. Ils ne peuvent rompre la paix tout de suite : il leur faut du temps pour faire rentrer leurs navires engagés sur toutes les mers, et pour négocier leurs marchandises déposées en Espagne. Ils n'ont d'ailleurs pas assez de troupes, leurs meilleurs et leurs plus vieux soldats, qui occupaient les places belges, étant à la discrétion du roi de France. Le gouvernement hollandais se résout donc à dissimuler. Il fait savoir qu'il aurait rappelé ses garnisons s'il avait pensé qu'elles pussent causer quelque ombrage, et il se plaint qu'elles soient retenues. Le 22 février 1701, il reconnaît Philippe V. Mais, après que Louis XIV a rendu la liberté aux garnisons hollandaises, les Provinces-Unies réclament l'évacuation de la Belgique par les troupes françaises, augmentent leur armée, arment leurs vaisseaux, demandent l'assistance de l'Angleterre.

En Angleterre, à la nouvelle de l'entrée en Belgique des Français, la guerre avait paru imminente ; les orfèvres et la banque furent assiégés par le public qui réclamait ses dépôts d'argent. Mais la Chambre des Communes persistait à vouloir s'accommoder de l'avènement de Philippe d'Anjou au trône d'Espagne et elle invitait Guillaume à le reconnaître. Pour jouer le jeu dont il avait parlé à Heinsius, Guillaume, au mois de février 1701, communiqua au Parlement une lettre saisie qui révélait un complot jacobite contre sa personne ainsi qu'un projet de descente en Angleterre. Rien n'était moins certain que cette conspiration. Pourtant le Parlement, pour décourager les Jacobites, régla la succession au trône dans la ligne protestante et appela à la couronne, à défaut d'enfants de Guillaume et de la princesse Anne, une petite-fille du roi Jacques Ier, la princesse Sophie, électrice douairière de Hanovre, et sa postérité.

D'autre part, le roi d'Angleterre empêcha les Hollandais de s'entendre avec la France. Louis XIV s'était enfin décidé à faire des avances aux États Généraux : le 5 mars il promit de retirer ses soldats de la Belgique à mesure que les troupes espagnoles pourraient les remplacer et proposa des négociations pour aplanir les autres difficultés , mais le gouvernement hollandais n'accepta de discuter qu'à condition que l'ambassadeur britannique, Alexandre Stanhope, fût admis à la négociation et, le 22 mars, les représentants des Puissances maritimes remirent à l'ambassadeur de France à La Haye, d'Avaux, la liste de leurs prétentions : une satisfaction raisonnable pour l'Empereur touchant ses droits à la succession d'Espagne ; l'évacuation définitive de la Belgique par les troupes françaises et la promesse qu'aucune possession espagnole ne serait jamais cédée à la France ; dix places de barrière pour les Hollandais, deux places de barrière, Ostende et Nieuport, pour les Anglais.

Louis XIV mit les Pays-Bas sur un bon pied de défense, en faisant fortifier Anvers et les places principales et creuser, d'Ostende à l'Escaut et de l'Escaut à la Meuse, des lignes, composées de fossés et de retranchements. Il répliqua au mémoire des Puissances maritimes par l'offre de confirmer simplement la paix de Ryswyk. Guillaume III prit prétexte de cette réponse pour agir sur son Parlement. Il lui fit remettre, le 11 avril, un appel pressant des États Généraux et lui demanda de déclarer que le traité de Ryswyk n'était pas une sécurité et que l'Angleterre ne voulait pas séparer ses intérêts de ceux de la République. Il lui demanda aussi de voter un subside pour le mettre à même d'assister les États selon la teneur des traités. Le Parlement l'autorisa à prendre les mesures nécessaires pour protéger la Hollande. Toutefois la majorité tory refusa de confondre absolument les intérêts des deux puissances, et Guillaume, cédant à la pression de ses ministres, se décida à reconnaître Philippe V le 17 avril 1701.

En Hollande, d'Avaux agissait sous main et poussait les marchands d'Amsterdam à manifester en faveur de la paix. Pour couper court à ces menées, Guillaume et Heinsius proposèrent, le 2 mai, de reprendre les négociations officielles. D'Avaux refusa d'abord d'admettre aux conférences l'ambassadeur de la Grande-Bretagne ; puis Louis XIV voulut bien qu'il y fût admis à la condition qu'il fût considéré comme ministre d'une puissance alliée et non comme partie contractante. Les Hollandais se récrièrent et, sous prétexte qu'on voulait leur tendre un piège en séparant leurs intérêts de ceux de la Grande-Bretagne, ils s'adressèrent de nouveau à Guillaume, le 13 mai, pour lui demander des secours. Ils énumérèrent tous leurs griefs : l'affaire des places de barrière ; les lignes creusées par les Français depuis la Meuse jusqu'à Ostende, les forts bâtis par eux jusque sous les canons des places hollandaises. Ils disaient que, menacés par des forces considérables, ils avaient dû couper leurs digues et inonder leur territoire ; que, respectant l'alliance qui les unissait à l'Angleterre, ils avaient refusé de négocier séparément avec la France ; dangereusement menacés, ils invoquaient cette alliance et réclamaient des secours.

Ce nouveau message produisit une émotion extraordinaire dans toute l'Angleterre. L'opinion publique se prononça en faveur de la Hollande, et des manifestations gallophobes se produisirent. Deux adresses, envoyées à la Chambre des Communes, l'une par les électeurs du comté de Kent, l'autre, signée Légion, sommèrent la Chambre de voter les contingents nécessaires. Le Parlement accorda 2.700.000 livres sterling pour subvenir aux dépenses de l'année suivante, vota l'entretien de 30.000 marins et arrêta que 10.000 hommes seraient transportés d'Irlande dans les Pays-Bas, à titre d'auxiliaires. Enfin, il autorisa Guillaume à conclure toutes les alliances nécessaires pour la sûreté de l'Angleterre et l'indépendance de l'Europe.

Ainsi, Guillaume III était arrivé à ses fins. Les membres de la Chambre des Communes, — écrivait-il, le 20 mai, à Heinsius — commencent à devenir si remplis d'ardeur qu'aujourd'hui il n'y était plus question que de la nécessité d'entrer en guerre.... Il me semble évident que, d'après ce qui vient de se passer, la négociation avec la France doit être considérée comme rompue.

Louis XIV, pour ne pas paraître l'agresseur et pour rejeter sur les alliés la responsabilité de la guerre, permit, le 9 juin, à d'Avaux d'admettre Stanhope aux conférences comme partie intéressée. Mais alors Stanhope prétendit qu'on ne pouvait négocier sans un représentant de l'Empereur ; Heinsius fit savoir qu'il s'agirait, non seulement de la sûreté de la Hollande, mais aussi de la satisfaction à accorder à Léopold. Or, ces prétentions étaient inadmissibles, car l'Empereur était depuis un mois en lutte ouverte avec la France. Ses troupes, qui venaient de passer les Alpes, se disposaient à attaquer le Milanais. D'ailleurs, Louis XIV ne pouvait pas permettre aux Hollandais de s'ériger en arbitres entre la maison de France et celle d'Autriche. Enfin, il savait que les Anglais méditaient des coups de main sur les îles Canaries, sur Gibraltar et sur Minorque, et que les Hollandais avaient dressé des cartes où les parties de la Belgique qu'ils désiraient s'annexer étaient teintées en vert. Il était évident que les Puissances maritimes, en se prêtant à des négociations, voulaient seulement gagner du temps. Louis XIV rappela d'Avaux.

Il a établi une union intime avec l'Espagne. Il conseille le gouvernement espagnol et se réserve la décision en toutes matières. Ce sont surtout des régiments français qui défendent le Milanais contre l'armée autrichienne. Dans les Pays-Bas, le marquis de Bedmar, qui commande les troupes espagnoles, n'obéit qu'aux instructions de Versailles. Des escadres françaises surveillent les côtes américaines ; tout le commerce des colonies passe dans les mains des négociants français, et l'Asiento, c'est-à-dire le monopole de l'introduction et de la vente des nègres, est accordé à la compagnie française de Guinée. Il semble que les deux couronnes soient réunies sur la tête de Louis XIV.

Par cette conduite Louis XIV se brouillait irrémédiablement avec l'Angleterre et avec la Hollande. Aussi l'Empereur espéra-t-il gagner sa cause auprès d'elles. Quelques succès qu'il remportait en Italie lui haussaient le ton. Mais les deux Puissances n'entendaient pas substituer à Philippe V l'Empereur ou l'archiduc Charles. Elles savaient qu'il serait difficile de chasser Philippe de l'Espagne, où il avait été si bien accueilli. Léopold dût se contenter du traité d'alliance conclu le 7 septembre 1701 à La Haye. Les contractants convenaient de procurer à Sa Majesté impériale une satisfaction juste et raisonnable touchant ses prétentions à la succession et de donner aux Puissances maritimes une sûreté particulière pour leurs pays et leur commerce. Ils se fixaient un délai de deux mois pour obtenir de Louis XIV une transaction amiable. Si le Roi la refusait, les alliés réuniraient leurs efforts pour conquérir les Pays-Bas espagnols, qui serviraient de digue, de rempart et de barrière pour éloigner la France des Provinces-Unies, le Milanais, qui devait revenir à l'Empereur, parce qu'il était fief impérial et nécessaire à la sûreté des provinces autrichiennes, Naples, la Sicile et les présides de Toscane, qui peuvent servir à la même fin, et être utiles au commerce anglais et hollandais. Tous les pays et toutes les places que les Anglais et les Hollandais prendraient dans l'Amérique espagnole pour l'utilité et commodité de leur navigation et de leur commerce, resteraient en leurs mains. Les alliés ne traiteraient de la paix qu'ensemble. Parmi les conditions essentielles étaient celles-ci : les deux royaumes de France et d'Espagne seront à jamais séparés ; les Anglais et les Hollandais auront en Espagne et aux Indes les privilèges dont ils jouissaient au temps de Charles II ; le commerce des colonies espagnoles sera interdit aux Français. En somme, l'acte de La Haye était un traité de partage qui ressemblait, pour la distribution des parts, avec, il est vrai, un chassé-croisé des partageants, à celui qui avait été conclu en 1700 Mais les Puissances maritimes s'y assuraient des avantages considérables. Puis, ce traité, ce n'était plus avec la France qu'elles le concluaient ; c'était avec l'Empereur. Comminatoire à l'égard de Louis XIV, il a été une réplique à sa conduite, après l'acceptation du testament. Ce sont les fautes du roi de France, qui ont fourni à Guillaume le prétexte désiré pour engager les Anglais et les Hollandais contre la France en liant partie avec l'Empereur.

Cependant, la guerre se déroulait en Italie entre l'Empire et la France. Dès le début de l'année 1701, Louis XIV, qui prévoyait que le Milanais serait le principal objectif de l'Empereur, avait pris ses dispositions pour défendre l'Italie du Nord. Il avait laissé le commandement du Milanais à l'ancien gouverneur du temps de Charles II, le prince de Vaudemont, qui, malgré ses relations avec Guillaume III et avec Léopold, s'était montré loyal sujet du nouveau roi. Les garnisons espagnoles avaient été renforcées par des troupes françaises, placées sous les ordres de Catinat. Des Français occupaient aussi les places de Mirandole, de Mantoue et de Modène, de l'assentiment plus ou moins libre des princes. Le duc de Savoie ; dont l'alliance était essentielle pour assurer les communications entre la France et le Milanais, avait été forcé de signer avec Louis XIV le traité de Turin, le 6 avril 1701. A son grand chagrin, Victor-Amédée n'obtint pas la promesse d'un agrandissement territorial ou de l'échange de la Savoie et de Nice contre le Milanais ; mais il devint généralissime de l'armée des deux couronnes en Italie, et il reçut 150.000 livres par mois pour l'entretien de 8.000 fantassins et de 2 500 cavaliers. Au reste, ces avantages et le mariage de sa seconde fille avec Philippe V n'étaient pas des raisons suffisantes pour lier indissolublement le duc de Savoie à la France. Il n'avait pas rompu toute relation avec l'Empereur ; il voulait, comme disait Tessé, avoir un pied dans deux souliers.

Contre Catinat marcha le prince Eugène, glorieux par ses victoires sur les Turcs, et qu'avaient instruit les fautes commises par les Impériaux dans la dernière guerre contre la France. Pendant que

Catinat l'attendait aux défilés situés à l'ouest de l'Adige, Eugène traversa les Alpes au Brenner, déboucha en Vénétie et manœuvra de telle façon que les troupes françaises, lui ayant laissé franchir l'Adige durent, dès le 16 juin, se replier derrière le Mincio, puis derrière l'Oglio. Catinat avait mal conduit cette campagne. Louis XIV envoya à l'armée le maréchal de Villeroy dont le mérite principal était d'être un courtisan modèle. Le 29 août, Villeroy repassa l'Oglio, et, le 1er septembre, il tomba dans un piège, tendu par Eugène, en attaquant Chiari, où le prince avait feint de ne laisser qu'un faible détachement. A l'approche, il fut arrêté par une grande fusillade. Tous les Impériaux étaient là ; il fallut battre en retraite.

L'insuffisance de Catinat, l'incapacité de Villeroy, les dissensions entre les chefs des trois contingents, français, espagnol, savoisien, enfin l'habile stratégie du prince Eugène, suffisent à expliquer les revers de cette campagne, et il n'est pas nécessaire d'ajouter à ces causes une trahison de Victor-Amédée. Toutefois, si rien ne prouve que le duc correspondait avec l'ennemi, il est certain qu'en prenant, comme il le fit, ses quartiers d'hiver avant la saison, il condamna l'armée française à se retirer entre l'Oglio et le Pô. Les Impériaux eurent alors toute faculté pour s'installer dans le Mantouan, dont il ne nous resta plus que les places de Mantoue et de Goito, et pour s'emparer de Guastalla, de la Mirandole et de Modène.

Les premières hostilités avaient donc été défavorables à la France, bien qu'elle n'eût affaire qu'à un seul ennemi. Cependant Louis XIV allait commettre la plus grave des imprudences.

Le 16 septembre 1701, Jacques II mourut à Saint-Germain. Avant cette mort, Louis XIV avait délibéré avec ses ministres pour savoir s'il donnerait le titre de roi d'Angleterre au fils de Jacques II. Le Conseil n'avait pas pensé qu'il dût le faire. Mais le Roi avait magnifiquement accueilli la famille exilée ; entre le palais de Saint-Germain, où il l'avait établie, et le palais de Versailles, les relations étaient amicales et fréquentes ; la reine d'Angleterre était l'amie de Mme de Maintenon. Louis XIV ne sut pas résister aux instances de l'une et de l'autre : il reconnut Jacques III comme roi d'Angleterre. Il eut beau faire une distinction entre Guillaume roi de fait, et Jacques roi de droit. Il violait l'article IV du traité de Ryswyk ; il bravait et le roi Guillaume, et le Parlement, qui venait de fixer la succession au trône dans la ligne protestante.

Dès lors, tout se précipite. Le sentiment national se révolte. Des adresses de fidélité au Roi encombrent la Gazette de Londres, qui, pour les recevoir, triple le nombre de ses colonnes. Guillaume, qui ne s'est jamais vu à pareille fête, rappelle de Paris son ambassadeur, et donne congé à l'ambassadeur de France. Il profite de cette rupture pour ne pas informer Louis XIV que les alliés avaient convenu d'un délai de deux mois afin de rechercher une combinaison pacifique, et supprime ainsi toute possibilité d'entente. Il dissout le Parlement, dont la majorité lui est hostile. Les élections donnent la majorité aux whigs les plus avancés et aux ennemis les plus résolus de la France. Le nouveau Parlement vote des subsides pour la guerre et deux bills : le bill d'attainder, qui décrète Jacques III passible d'an procès de haute trahison s'il remet les pieds en Angleterre, et le bill d'abjuration, qui oblige tous les officiers de la couronne, civils et militaires, à renier la cause du prétendant. Désormais Louis XIV aura affaire à la nation et au roi d'Angleterre, unis contre lui.

Mais, au moment où Guillaume III allait déclarer la guerre, il mourut, le 19 mars 1702. Depuis trente ans, il était le grand adversaire, et comme l'ennemi personnel de Louis XIV, contre lequel, à force d'habileté et de patience, il avait fini par coaliser l'Europe. On crut que sa mort changerait la face des choses. Boufflers écrivait, le 25 mars, à Philippe V : La mort du roi Guillaume... va, selon toutes les apparences, changer considérablement les affaires de l'Europe et en particulier les résolutions et projets des États Généraux ; et ce grand événement parait visiblement un coup du ciel pour affermir plus promptement Votre Majesté dans tous les royaumes et États ; et, le 3 avril, Mme des Ursins disait dans une lettre à Torcy : Voilà un grand coup de la main de Dieu, qui apparemment donnera la paix à l'Europe. Il parut, en effet, qu'un grand revirement allait se produire. La reine Anne, qui succédait à son beau-frère Guillaume, se considérait, par scrupule de conscience, comme usurpatrice de la couronne, qui eût dû revenir à son frère, Jacques III. Elle songeait à préparer les voies au retour du Prétendant. Mais elle ne put faire autre chose que continuer la politique de son prédécesseur. Elle déclara qu'elle exécuterait les engagements qu'il avait pris. Et le Parlement, qui n'avait jamais de bon gré donné des troupes à Guillaume III, parce qu'il craignait, de sa part, un attentat aux libertés publiques, ne marchandera à une femme ni les subsides ni les levées.

Dans les Provinces-Unies, la consternation fut grande à la nouvelle de la mort de Guillaume. Il est vrai qu'en Zélande, quelques-uns parmi la populace commirent des insolences, comme si ce bon roi-là eût opprimé leurs libertés et que les États Généraux s'empressèrent d'abolir le stathoudérat. Les républicains n'avait donc pas oublié leurs rancunes contre le roi-stathouder, mais ils continuèrent sa politique. Les États, en effet, résolurent de faire tout pour la conservation de l'État dans sa liberté et dans sa religion et pour le maintien et exécution des alliances. Une tentative de Louis XIV pour reprendre les négociations n'eut aucun résultat.

Le 15 mai 1702 furent publiées simultanément les déclarations de guerre de l'Angleterre, de la Hollande et de l'Empereur.

 

II. — LES PREMIÈRES ANNÉES DE LA GUERRE GÉNÉRALE.

AUX trois puissances signataires du traité de La Haye s'étaient ajoutés : le roi de Danemark Frédéric IV, qui s'était engagé par le traité d'Odensée, le 20 janvier 1701, à fournir 12.000 hommes à la Hollande moyennant un subside annuel de 300.000 écus, et presque tous les princes allemands, le roi de Prusse, l'électeur de Hanovre, l'électeur Palatin, le duc de Lunebourg, le duc de Mecklembourg-Schwerin, l'évêque de Wurtzbourg, l'évêque de Munster, etc. Les alliés avaient acheté ces concours. Les armées, composées surtout d'Allemands et qui comptaient environ 230000 hommes, en 1702, étaient soldées par les Puissances maritimes. Il arrive dans toutes les alliances que l'on fournit à la longue beaucoup moins qu'on n'avait promis. L'Angleterre, au contraire, donna cinquante mille hommes dans la seconde année, au lieu de quarante ; et, vers la fin de la guerre, elle entretint, tant de ses troupes que de celles des alliés... près de deux cent mille soldats et matelots combattants. Cette dépense presque incroyable, son commerce et son crédit lui permettaient de la faire.

La coalition fut dirigée par Heinsius, par le prince Eugène et par Marlborough. Ces trois hommes formèrent le triumvirat de la Ligue.

Heinsius avait alors soixante ans. Entré dans la vie politique en 1669, comme député de la ville de Delft aux États de Hollande, il s'était montré d'abord partisan de l'alliance française ; mais, l'ambition de Louis XIV lui ayant fait craindre pour l'indépendance de son pays, il s'était rapproché du prince d'Orange. Nommé en 1689 grand pensionnaire de la province de Hollande, il avait dirigé les affaires extérieures de la République conformément aux vues de Guillaume III. Guillaume mort, il continua sa politique. Ce personnage considérable vivait très simplement, dans une maison de modeste apparence ; il avait un secrétaire et trois domestiques. C'était un infatigable travailleur : il voulait tout connaître par lui-même ; il lisait les dépêches des ambassadeurs, y répondait de sa main, recevait les diplomates étrangers. Dans la discussion, il ne parlait guère, faisait parler, mais coupait court aux bavardages. Personne n'avait été plus profondément blessé que lui par les insolences et par l'orgueil de la puissance française. Il se souvint toute sa vie que Louvois, en 1681, l'avait menacé de le mettre à la Bastille.

Eugène, petit-fils d'un prince de Savoie-Carignan, avait pour père le comte de Soissons et pour mère Olympe Mancini, la célèbre nièce de Mazarin. Destiné à l'état ecclésiastique, l'abbé de Savoie, comme on l'appelait, avait préféré la carrière des armes. En 1683, à l'âge de vingt ans, désespérant de jamais obtenir de Louis XIV un régiment, Eugène était allé, de dépit, prendre du service dans les armées autrichiennes. Il avait fait la guerre contre les Turcs et contre les Français. Il n'était pas grand tacticien, mais il méditait ses desseins avec profondeur et les exécutait rapidement. Il avait de la prudence et du sang-froid, mais aussi de l'audace et même de la témérité au moment décisif.

John Churchill, comte, puis duc de Marlborough, nouveau venu dans les grandes affaires, avait commencé sa fortune par de bonnes fortunes, étant un séduisant personnage. Au temps où il faisait ses premières armes dans le camp de Turenne, on l'appelait le bel Anglais. Il était dans la politique un manœuvrier habile. Il menait le Parlement par son crédit et par celui de Godolphin, grand trésorier, dont le fils a épousé sa fille, et la Reine, par l'extraordinaire autorité que sa femme avait prise sur elle. Il était grand capitaine avec la double vertu de la hardiesse et du calme, et très fin diplomate. Il négocia autant et aussi bien qu'il combattit. Marlborough était, au reste, ambitieux de profita autant que d'honneurs ; il s'enrichit par l'administration de ses armées.

Les triumvirs — les deux premiers au moins — étaient animés contre Louis XIV de sentiments qui ressemblaient à des haines personnelles. Ensemble, ils poursuivaient la revanche de l'Europe contre les abus de force commis par Louis XIV. Ils disposaient d'une puissance considérable. L'Angleterre et la Hollande étaient riches. Guillaume III avait développé considérablement la marine anglaise, qui comptait, en 1702, près de 300 bâtiments de guerre, dont 170 vaisseaux de ligne. L'Autriche avait des armées aguerries dans leurs campagnes sur le Danube et renforcées par la masse considérable d'hommes achetés aux princes allemands.

La France est fatiguée. Ses finances ne sont plus alimentées que par des expédients de fisc. De l'ancien personnel du gouvernement, Louis XIV reste seul. Les gens de mérite ne manquent pas, il est vrai, dans les conseils, ni à l'armée. Les affaires étrangères sont dirigées par Torcy. Barbezieux est mort en 1701, mais Chamlay continue à être le maréchal de logis des armées. Ce vieux collaborateur de Louvois, de Turenne et de Condé dresse les plans de campagne. Vendôme, Berwick, Villars se sont montrés déjà ou vont se montrer hommes de guerre. Mais, à côté d'eux, apparaissent au premier plan des médiocrités dangereuses. Le successeur de Barbezieux au département de la guerre, c'est le contrôleur général des finances, Chamillart, qui, cumulant ces deux charges, est une sorte de premier ministre. Or, s'il est bon courtisan, et s'il a su plaire au Roi et à Mme de Maintenon, il n'est ni politique, ni guerrier, ni même homme de finance, a dit Voltaire. En 1709, Chamillart aura pour successeur à la guerre un ancien intendant du Hainaut, le conseiller d'État Voysin, porté à tout par Mme de Maintenon. De même la faveur de Cour procure des commandements à Villeroy, à Tallard, à Marcin, à des généraux de goût, de fantaisie, de faveur, de cabinet, à qui le Roi, écrit Saint-Simon, croyait donner, comme à ses ministres, la capacité avec la patente. Plus que jamais, Louis XIV compte sur lui-même, et il est jaloux de son autorité. De Versailles, il prétend diriger toutes les opérations militaires. Un jour, Catinat osera lui dire : Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire qu'Elle ne connaissait l'Allemagne que par ses cartes.... Elle me permettra de lui dire que les gens qui sont sur les lieux voient mieux que ceux qui n'y sont pas.

Louis XIV avait pris, aux approches de la guerre, une excellente disposition : pour porter à deux bataillons ceux des régiments d'infanterie qui n'en avaient qu'un, il eut recours aux milices, comme en 1688, et ordonna la levée de 57 bataillons de miliciens volontaires. Les recrues mêlées aux vieux soldats auraient ainsi le temps d'acquérir de l'aplomb et une instruction militaire suffisante. Mais il changea d'avis ; il ordonna, au mois de janvier 1702, la formation de cent nouveaux régiments à un bataillon et il en distribua les commissions à des officiers qui devaient les recruter à leurs dépens. Cette levée fut la ruine de l'infanterie. La formation de nouveaux états-majors désorganisa les anciens ; pour remplir les cadres, il fallut accepter les services d'aventuriers qui n'avaient aucune expérience de la guerre. Si les mauvais officiers furent nombreux, les troupes, levées à la hâte, jetées aux frontières sans préparation et par marches forcées, n'avaient pas de cohésion. La cavalerie, y compris les dragons, était mal armée et mal montée. Elle pouvait s'élever à 40.000 hommes environ, l'infanterie à 160.000 hommes ; 200.000 hommes furent donc mis en ligne. La marine, administrée, depuis 1699, par Jérôme de Pontchartrain, n'avait pas plus de 80 vaisseaux de ligne. Le secrétaire d'État fit la faute de les partager entre plusieurs petites escadres. Une partie de l'escadre du Ponant avait mis à la voile pour l'Amérique, celle du Levant était sortie de Toulon et avait passé le détroit de Gibraltar. Trente galères seulement étaient destinées à servir dans la Méditerranée. Il faut ajouter, il est vrai, aux vaisseaux du Roi ce qu'on pourrait appeler la flotte volontaire, formée par les nombreux navires que les particuliers armaient en course.

La France avait non seulement à se défendre elle-même, sur toutes ses frontières et sur toutes ses côtes, mais à protéger la monarchie d'Espagne. Un des Français qui avaient suivi Philippe V à Madrid, le marquis de Louville, mentor attitré du jeune roi, disait de lui : C'est un roi qui ne règne pas et ne règnera jamais. Philippe était, en effet, médiocre, indolent, timide ; sa femme, seconde fille de Victor-Amédée de Savoie, avait la mobilité d'esprit d'un enfant. La princesse des Ursins, que le roi de France lui avait désignée pour camerera mayor, était une femme de grand sens et de beaucoup d'énergie, mais qui se plaisait trop au jeu des intrigues. Le gouvernement était aux mains d'hommes médiocres, qui se méfiaient des nouveaux venus, et qui considéraient la moindre réforme proposée par les Français comme un excès du pouvoir de Louis XIV. La grande illusion du début, l'illusion d'un surcroît de gloire et de puissance pour la France, s'évanouissait : l'Espagne, disait Fénelon, c'est un corps mort qui ne se défend point.

Du moins il restait à la France quelques utiles alliés. D'abord, les deux électeurs de la maison de Wittelsbach, celui de Bavière, Max-Emmanuel, et son frère, Joseph-Clément, archevêque de Cologne, évêque de Liège ; le duc de Savoie Victor-Amédée et le roi de Portugal Don Pedro. L'alliance de Victor-Amédée donnait aux troupes françaises le libre passage des Alpes et facilitait la défense du Milanais. Pour empêcher la jonction des troupes hollandaises et des troupes impériales, l'électorat de Cologne et la principauté de Liège étaient une excellente base d'opérations. Pour agir au cœur de l'Allemagne Louis XIV comptait sur Max-Emmanuel qui avait conclu, le 9 mars 1701, à Versailles, un traité d'étroite alliance. Moyennant 10.000 hommes qu'il s'engageait à mettre sur pied pour soutenir les droits de Philippe V, l'électeur gardait le gouvernement des Pays-Bas espagnols, se faisait garantir par Louis XIV l'intégrité de ses États ou un équivalent, en attendant la restitution de la Bavière au cas où elle lui serait enlevée. Il obtenait encore une promesse d'appui en vue de l'élection à l'Empire. Enfin, au prix de subsides, par l'espérance d'un agrandissement territorial au Brésil et moyennant des indemnités à la compagnie portugaise pour la traite des nègres, le roi Don Pedro s'était décidé, par le traité de Lisbonne, du 18 juin 1701, en faveur des deux couronnes. Il fermera ses ports aux vaisseaux ennemis, et ainsi une invasion du territoire espagnol par la voie du Portugal était conjurée.

Grâce à ces alliances, la guerre sera éloignée pendant les deux premières années, en 1702 et en 1703, du territoire français et de l'Espagne péninsulaire.

Depuis l'occupation des places de barrière par les troupes de Louis XIV, Français et Hollandais avaient travaillé à se fortifier. Les Hollandais possédaient une série de places fortes, rangées en demi-cercle et dans un pays facile à inonder. Les principales étaient l'Écluse, Hulst, Bergen op Zoom, Bréda, Bois-le-duc, Grave, Nimègue, et, plus au sud, Maëstricht. Bien armées et garnies de bonnes troupes, elles fermaient l'entrée du territoire de la République. Les Pays-Bas espagnols étaient moins bien défendus contre une attaque hollandaise par les forteresses d'Anvers, Malines, Louvain, Ruremonde, Venloo, qui étaient en mauvais état. Des lignes, des retranchements et des fossés avaient été établis, du pays de Waes jusqu'à la Meuse, vers Huy. Les régiments espagnols et bavarois furent renforcés par des corps français ; mais leur nombre n'était pas suffisant pour défendre les Pays-Bas et l'électorat de Cologne. La partie septentrionale de l'électorat et surtout la Gueldre espagnole, qui formait une langue de terre entre la Hollande et l'Empire, étaient menacées.

C'est dans l'électorat de Cologne que furent portés les premiers coups. Au mois d'avril 1702, un corps hollandais mit le siège devant Kaiserswerth, sur le Rhin, entre Düsseldorf et Duisbourg. Une armée française, forte de 48.000 hommes, commandée par le duc de Bourgogne, qui faisait ses premières armes sous la direction du maréchal de Boufflers, était réunie entre Gueldre et le Rhin. Les chefs ne surent ni débloquer la place, ni opérer une diversion efficace sur les frontières de la République. Kaiserswerth capitula le 15 juin.

Les alliés, sans livrer bataille, — ce qu'eût souhaité Marlborough, — surveillèrent l'armée française et prirent des villes. A la fin de l'année il ne leur manquait plus en Gueldre que la capitale, et, dans l'électorat de Cologne, que les deux places de Bonn et de Rheinberg, qu'ils prirent d'ailleurs au début de la campagne suivante.

En 1703, ils échouèrent dans une tentative sur le littoral flamand où les Anglais voulaient occuper Anvers, Ostende et Nieuport, pour assurer les communications de leur armée avec la Grande-Bretagne. Marlborough, qui commandait en chef 100.000 Anglais, Hollandais et Allemands, réclamait encore une grande bataille pour ensuite marcher en France. Les généraux hollandais s'y opposèrent. D'ailleurs, l'armée française, presque aussi forte, se tenait sur ses gardes derrière les lignes du Brabant. Marlborough se contenta de prendre Huy, le 23 août. Les Hollandais, toujours fort occupés d'eux-mêmes, étaient en querelle avec les Impériaux. Ils exigeaient des villes prises dans les Pays-Bas un serment à la République. L'Empereur protesta. Il fallut plusieurs mois de négociations pour convenir que, dans les territoires conquis aux Pays-Bas, l'administration civile dépendrait de l'archiduc, et que le pouvoir militaire serait exercé par les États Généraux. C'est le point de départ du régime de la Barrière tel qu'il sera établi à la fin de la guerre. Malgré ces embarras qui avaient paralysé leurs mouvements, les alliés avaient terminé, durant cette campagne de 1703, la conquête de l'électorat de Cologne et de la Gueldre, et entamé le Limbourg espagnol.

Du côté de l'Empire, les deux premières années de guerre furent beaucoup plus favorables à la France[2]. Les Impériaux, il est vrai, bloquèrent Landau, en avril 1702. Catinat, envoyé dans la province avec trop peu de troupes, ne put dégager la ville qui capitula en septembre, après une défense superbe. Mais, au même moment, Max-Emmanuel de Bavière s'emparait d'Ulm et se rapprochait de la frontière française. Catinat reçut l'ordre de lui envoyer un corps de troupes. Villars le commanda.

Villars avait alors cinquante ans. Fils d'un lieutenant général, à la fois soldat et diplomate, il avait eu en son père l'exemple, décourageant pour tout autre, de beaucoup de mérite peu récompensé. Lui-même, on l'avait laissé longtemps languir. Colonel de cavalerie à 21 ans, pendant la guerre de Hollande, il n'avait été nommé lieutenant-général qu'à la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg. Maintenant qu'il commandait une armée, il allait montrer qu'il avait le génie de la guerre. Il était hardi jusqu'à l'audace, chercheur de grandes entreprises, habile dans l'exécution, aimé du soldat, entraîneur d'hommes par la parole et par le geste, glorieux et même fanfaron. Qu'on me donne 2.000 chevaux, 1.000 dragons et 500 grenadiers, écrivait-il le 25 juin 1702, et l'on verra ce que je ferai de ce corps-là dans les montagnes noires, c'est-à-dire dans la Forêt-Noire, qui séparait les troupes françaises du Bavarois. On lui donna 30 bataillons et 40 escadrons, environ 15.000 hommes et 5.000 chevaux. Il jeta un pont sur le Rhin, à Huningue, mais le margrave de Bade l'attendait sur l'autre rive, près de Friedlingen. Le 14 octobre, Villars franchit le pont et attaqua. Ses troupes avaient battu l'ennemi, quand, l'infanterie allemande revenant à la charge, elles furent prises de panique. Il courut dans les rangs : Mes amis, la victoire est à nous ! Vive le Roi ! Il les ramena. Le margrave se retira du champ de bataille. Les soldats français avaient salué Villars du titre de Maréchal de France que le Roi lui donna en effet.

Cette brillante journée ne fut pas suivie d'effets, la saison n'étant pas favorable aux opérations militaires. C'est seulement au début du mois de mai 1703 que Villars rejoignit Max-Emmanuel à Riedlingen, sur le Danube. Pour obéir aux ordres du Roi, il pressa l'électeur de marcher par la vallée du Danube, vers Vienne, qui n'avait point d'armée à portée pour se défendre, car il avait fallu que l'Empereur envoyât des troupes en Hongrie, où une révolte avait éclaté, encouragée par la France. Maximilien préféra une expédition en Tyrol. Maître de ce pays, on couperait les communications entre l'Autriche et l'Italie, où les Impériaux seraient isolés. On pourrait donner là main à l'armée française que commandait Vendôme, et concerter avec ce général une marche ultérieure vers Vienne. Pendant que Villars, posté sur le Danube, protégeait la Bavière, Max-Emmanuel marcha donc en Tyrol ; mais il fut chassé de ce pays par le soulèvement des Tyroliens. Au mois d'août 1703, il retournait vers la Bavière qui se trouvait menacée de toutes parts. L'armée des Cercles, 20.000 hommes levés dans les Cercles de l'Empire en vertu d'une décision de la Diète, et l'armée du margrave de Bade avaient fait leur jonction au nord d'Ulm. Le margrave résolut de prendre les Franco-Bavarois entre deux feux. Il laissa l'armée des Cercles, commandée par Styrum au nord du Danube et alla s'établir à Augsbourg. Les Franco-Bavarois se trouvaient ainsi resserrés, et dans un pays où il était difficile de subsister. Mais, le 20 septembre 1703, Villars attaqua Styrum près de Höchstædt, le battit et ruina son armée.

Depuis le commencement de la guerre, le maréchal et l'électeur étaient en mésintelligence. Il était difficile d'obtenir qu'un général français témoignât de la considération à un prince allemand. Cela était plus difficile à Villars qu'à aucun autre. Max-Emmanuel lui semblait médiocre, timide, lent. Villars ne comprenait pas que l'électeur jouait plus gros jeu que lui, ni qu'il voulût prendre d'autres conseils que les siens. C'est moi qui suis votre ministre et votre général, lui disait-il avant la bataille de Höchstædt. Vous faut-il d'autre conseil que moi, quand il s'agit de livrer bataille ? D'autre part, le maréchal s'entendait mal avec le secrétaire d'État Chamillart, qui, dit Voltaire, était plein de prévention contre lui comme d'ignorance. Il demanda son rappel. Le Roi l'envoya combattre les paysans révoltés des Cévennes et le remplaça par Marcin.

Sur le Rhin, Tallard avait pu, après le départ du margrave de Bade pour la Bavière, détruire les retranchements de la Lauter, enlever Vieux-Brisach le 6 septembre, battre complètement le prince de Hesse en vue de Spire le 15 novembre et reprendre Landau le 17 novembre.

En Italie, l'année 1702 avait mal commencé et mieux fini. Villeroy était, en janvier, à Crémone, où il avait établi son quartier général. Il y vivait tranquille, plus occupé, comme à l'ordinaire, de l'honneur et du plaisir de commander que des desseins d'un grand capitaine. Dans la nuit du 31 janvier, un détachement du prince Eugène pénétra dans la ville par un égout. La garnison réveillée repoussa les Impériaux après un long combat de rues ; mais Villeroy, dès la première heure, comme il descendait dans la rue, pour voir ce que signifiait le tumulte qu'il entendait, avait été pris sans pouvoir imaginer la cause d'un événement si étrange. A Paris, on le chansonna :

Français, rendez grées à Bellone,

Votre bonheur est sans égal :

Vous avez conservé Crémone

Et perdu votre général.

Louis XIV plaignit le maréchal, sans lui faire de reproches, et il envoya pour le remplacer Vendôme. L'arrière petit-fils de Henri IV avait alors cinquante ans. Il était joyeux viveur, un peu crapuleux, effrontément malpropre, paresseux au point de se lever à quatre heures après-midi, mauvais administrateur d'armée, mauvais disciplinaire, avec le génie de la guerre pourtant, la conception rapide et la présence d'esprit sur les champs de bataille. Il chassa les ennemis hors du Parmesan et du Mantouan et força le prince Eugène à la défensive derrière le Pô. Le prince l'attaqua, le 15 août, comme il assiégeait Luzzara. Ce fut une journée, ou plutôt une soirée, — car la bataille commença à quatre heures de l'après-midi — très sanglante. Le jeune roi Philippe V était venu joindre l'armée qui combattait pour sa cause. Il se montra très brave. Eugène s'acharna à le vouloir prendre. Ce fut une effroyable tuerie, sans presque aucun résultat. Chacun se dit vainqueur, mais Vendôme prit Luzzara et quelques autres places.

Au début de la campagne de l'année 1703, Vendôme pouvait, en agissant rapidement, chasser d'Italie les Autrichiens. Il disposait de 45.000 hommes contre 30.000. Il avait affaire, non plus au prince Eugène, rappelé à Vienne pour y présider le Conseil de guerre, mais au comte Starhemberg. Mais trois mois furent perdus par Vendôme à combiner des plans. Au mois de juillet, il eut ordre de marcher en Tyrol pour y donner la main à Max-Emmanuel. Il arriva très péniblement à Trente à la fin d'août et rétrograda en apprenant que l'électeur avait évacué le Tyrol. Puis, il eut à procéder au désarmement du duc de Savoie.

Le duc, si étroitement allié à Louis XIV, et qui était le beau-père et du duc de Bourgogne et du roi d'Espagne, n'était pas satisfait du prix qu'on avait mis à son amitié. Il attendait mieux de l'Empereur et négociait avec lui. Louis XIV donna à Vendôme l'ordre de désarmer le contingent de Savoie qui se trouvait à l'armée. La chose était faite fin septembre. Le duc, avant de se déclarer tout à fait, fit demander à l'Empereur son dernier mot, menaçant, s'il n'avait satisfaction, de s'en remettre à la générosité de Louis XIV. L'Empereur, par le traité du 8 novembre 1703, lui promit le Montferrat et le Vigevanesque, ainsi que de lui garantir les conquêtes que le duc se proposait de faire en Dauphiné et en Provence. Dès lors Starhemberg manœuvra pour aller rejoindre Victor-Amédée en Piémont. La jonction, que Vendôme aurait dû et pu empêcher, était accomplie en janvier 1704.

Contre l'Espagne et ses colonies, les Puissances maritimes firent, pendant ces deux années, des efforts vigoureux. Elles voulaient intercepter le commerce hispano-américain et en ruiner les deux centres principaux, Cadix en Europe, Carthagène en Amérique. Une attaque anglaise contre le port de Carthagène fut repoussée au commencement de septembre 1702 par l'escadre française, que commandait Ducasse. Le mois d'avant, une flotte anglo-hollandaise, composée de 50 vaisseaux et de 160 transports, avait débarqué 10.000 hommes près de Cadix. Les alliés comptaient sur une défection de la ville ; elle s'était défendue. Ne voulant pas la bombarder, de peur de rendre leur intervention impopulaire en Espagne, ils s'étaient rembarqués. Mais, en quittant la côte d'Andalousie, ils apprirent que Château-Renault avait fait entrer, le 22 septembre, dans le port de Vigo, les galions, qu'il convoyait depuis la Havane[3]. Ils résolurent de s'emparer de ce riche chargement qui était estimé à plus de 40 millions. L'entrée du port fut forcée le 23 octobre 1702. Château-Renault, qui avait fait mettre à l'abri tout ce qu'il avait pu, incendia ses vaisseaux. Les Anglais en capturèrent cependant quelques-uns ainsi que 9 galions espagnols, et enlevèrent un butin évalué à 4 millions environ. L'affaire de Vigo servit de prétexte à la trahison du Portugal. Don Pedro était mécontent de la France qui n'avait pas envoyé de vaisseaux sur ses côtes, et de l'Espagne à laquelle il supposait de mauvais desseins contre l'indépendance du Portugal. Sollicité depuis longtemps par l'Angleterre, il céda. Par un premier traité, le 16 mai 1703, les Puissances maritimes lui promirent la protection de leurs vaisseaux et d'obtenir pour lui quatre villes espagnoles en Estramadure, quatre autres en Galice et un territoire en Amérique. Il s'engagea à reconnaître pour roi d'Espagne l'archiduc Charles, à le recevoir en Portugal et à lui fournir une armée de 27.000 hommes.

Sept mois après, le 27 décembre, par un traité de commerce, le marché anglais était ouvert aux vins portugais ; celui du Portugal et de ses colonies, aux draps et aux autres manufactures de la Grande-. Bretagne. Ces traités, auxquels on a donné le nom de Methuen, le principal négociateur, firent du Portugal une annexe commerciale de l'Angleterre, et donnèrent aux alliés une base d'opérations militaires contre l'Espagne.

La défection du Portugal, après celle de la Savoie, et les revers de la France décidèrent l'Angleterre et la Hollande à répudier totalement la politique des partages. L'Empereur ayant renoncé, par acte du 12 septembre 1703, pour lui et pour son fils aillé, à ses droits sur la succession d'Espagne en faveur de l'archiduc Charles, et, la séparation de l'Espagne et de l'Autriche se trouvant ainsi assurée, l'archiduc Charles fut reconnu roi d'Espagne par les Puissances maritimes. Les alliés vont s'efforcer de totalement déposséder Philippe V.

 

III. — PERTE DE LA BAVIÈRE ; REVERS EN ESPAGNE. LES PREMIÈRES NÉGOCIATIONS EN HOLLANDE.

AU commencement de l'année 1704, Louis XIV et Philippe V n'ont qu'un allié, l'électeur (le Bavière, soutenu par une armée française. Ils doivent combattre au Nord, dans les Pays-Bas entamés par les Anglo-Hollandais, en Italie, pour défendre le Milanais contre les Impériaux et le duc de Savoie, en Castille contre les Anglo-Portugais, sur le Danube pour protéger l'électeur Max-Emmanuel.

L'armée française de Bavière était sans communication avec la France. Elle manquait de vivres, de vêtements, d'armes et d'argent. Elle fondait chaque jour par la désertion et la maladie. C'est contre cette armée, campée dans l'Empire, que les coalisés dirigèrent leur principal effort.

Marlborough, qui avait réuni ses troupes à Maëstricht en mai 1704, échappa à Villeroy qui devait le surveiller, rallia en chemin les Hessois et les Prussiens (comme il faut appeler désormais les soldats de l'électeur de Brandebourg, devenu roi de Prusse) et rejoignit près d'Ulm, le 22 juin, les troupes de l'Empereur et des Cercles, commandées par Louis de Bade. Le 2 juillet les alliés forcèrent, près de Donauwerth, le passage du Danube. La Bavière fut effroyablement dévastée jusqu'aux portes de Munich. L'électeur songeait à traiter avec l'Empereur ; mais il apprit que l'armée de Tallard venait à son secours. Après l'arrivée de Tallard, l'armée franco-bavaroise prit la route du Nord, afin d'attirer Marlborough hors de Bavière ; elle s'établit sur le Danube, un peu en aval d'Höchstædt, dans la plaine où Villars avait vaincu l'année précédente. Son front était protégé par le petit ruisseau du Nebel ; sa droite s'appuyait au village de Blenheim et au Danube ; sa gauche, aux hauteurs boisées de Lutzingen.

Cependant Eugène, après le départ de Tallard, avait quitté la vallée du Rhin et marché vers le Danube. Marlborough et lui se rencontrèrent près de Donauwerth, et prirent position, dans la nuit du 12 au 13 août, en face de l'armée franco-bavaroise. Ils avaient environ 33.000 fantassins et 29.000 chevaux, et les Franco-Bavarois, 35.000 fantassins et 18.000 cavaliers, commandés par Max-Emmanuel, Tallard et Marcin. Tallard, excellent munitionnaire, adoré des officiers et des troupes, avait toute l'ardeur et la vivacité françaises, mais sa vue était si faible qu'il n'y voyait goutte. Marcin avait l'expérience du bon officier plus que du général. Il s'était avancé par la cabale des dévots de la Cour. Les Franco-Bavarois étaient comme divisés en deux armées : Tallard à droite, Max-Emmanuel et Marcin à gauche ; entre les deux, des ailes de cavalerie, ce qui était la plus dangereuse des dispositions. A midi, la bataille était engagée sur toute la ligne. Les Anglo-Hollandais attaquèrent Blenheim, où était réunie la meilleure infanterie française ; ils furent repoussés. Alors, ils s'en prirent au centre qu'ils enfoncèrent.

Passant le Nebel, ils mirent l'aile droite en déroute. Tallard fut fait prisonnier. A l'autre aile, Marcin et l'Électeur, qui avaient repoussé les attaques du prince Eugène, craignirent d'être pris en flanc par Marlborough et passèrent le Danube. Il ne demeura sur le champ de bataille que les 10.000 hommes d'infanterie oubliés à Blenheim. Cernés de toutes parts, ils capitulèrent. C'étaient de vieilles troupes parmi lesquelles se trouvait le régiment de Navarre, qui, avant de se rendre, déchira et enterra ses drapeaux. De l'armée franco-bavaroise, qui comptait une cinquantaine de mille hommes, 20.000 seulement demeuraient : le reste était pris, dispersé ou tué. Drapeaux, étendards, canons, équipages étaient aux mains de l'ennemi. Quand la terrible nouvelle arriva à Versailles, personne n'osa l'apprendre au Roi ; il fallut que Madame de Maintenon se chargeât de lui dire qu'il n'était plus invincible.

Les débris de l'armée française arrivèrent en Alsace le 1er septembre. Les alliés avaient désormais carrière ouverte, du Danube au Rhin. Ils réduisirent la Bavière à merci. Le 7 septembre, ils franchirent le Rhin à Philippsbourg. Si l'on en avait cru Marlborough, ils seraient entrés en Lorraine, dont le duc, disait-il, était de cœur et d'âme avec eux. Les Impériaux aimèrent mieux investir Landau, qui capitula le 24 novembre.

L'année 1705, les alliés ne firent que piétiner aux frontières da Nord et de l'Est. Villars, rappelé des Cévennes, commanda sur la Moselle une armée de 70 bataillons et de 100 escadrons. Villeroy, aux Pays-Bas, gardait les lignes du Brabant avec 70000 hommes. Marlborough voulait, comme toujours, l'offensive à fond et l'invasion de la France. Mais les généraux impériaux étaient jaloux de lui, et les Hollandais avaient peur de découvrir leurs frontières. Marlborough ne fit rien de décisif ni contre Villars, ni contre Villeroy. La frontière française ne fut pas entamée.

En Espagne, la guerre fut désastreuse. Par suite de rivalités entre Louville, le mentor du roi, Madame des Ursins, la camerera-mayor de la Reine, et les ambassadeurs du roi de France, aucune réforme n'avait pu aboutir, et Philippe V se trouvait sans généraux et presque sans armée. Louis XIV lui envoya 12.000 hommes de troupes avec Berwick, et, pour défendre les côtes, la flotte de Toulon. Berwick, fils illégitime de Jacques II et d'une sœur de Marlborough, était catholique. Il s'était retiré en France au moment de la Révolution de 1688 et avait fait, depuis 1693, toutes les campagnes, comme lieutenant-général. Ce grand diable d'Anglais sut inspirer confiance aux Espagnols. A la tête de 26.000 hommes, il pénétra en Portugal, au printemps de 1704, et marcha sur Lisbonne sans rencontrer de résistance ; mais les chaleurs de la saison et le manque de vivres l'obligèrent à rétrograder.

Pendant ce temps la flotte anglaise longeait les côtes d'Espagne à la recherche d'un coup de main à tenter. Le 1er août, elle parut devant Gibraltar. La place, imprenable si elle avait pu être défendue, n'était gardée que par 50 hommes avec un seul canon en état de tirer. Elle se rendit le 4 août aux Anglais, qui y mirent une garnison de 2.000 hommes. Quelques jours plus tard, la flotte française, sortie enfin de Toulon, força, après une vive canonnade, le 24 août, les navires ennemis à se retirer[4]. Gibraltar fut assiégé par terre et par mer, mais l'escadre française laissée devant la place était trop faible. Une partie des vaisseaux fut brisée par la tempête ; une autre prise par les Anglais à l'abordage, après une résistance admirable ; une autre brûlée sur les côtes d'Espagne (novembre 1704 et mars 1703). Après ces désastres, les vaisseaux anglais se promenèrent dans la Méditerranée comme les cygnes sur la rivière de Chantilly.

En 1705, une flotte anglaise conduisit l'archiduc en Catalogne, dont la population se souleva en sa faveur. Barcelone capitula le 9 octobre, et bientôt les royaumes de Valence et de Murcie proclamèrent Charles III. A la fin de l'année, Philippe V avait perdu tout le littoral méditerranéen.

Dans le Piémont, Vendôme enleva à Victor-Amédée presque toutes ses places et arrêta à Cassano sur l'Adda, le 16 août 1705, le prince Eugène qui accourait à son secours. A la fin de l'année 1705, il restait à prendre Turin.

En cette année 1705, Louis XIV, voyant la situation partout s'aggraver, l'Espagne sans ressources d'aucune sorte, la France hors d'état de supporter longtemps tout le poids de la guerre, avait commencé une négociation pour la paix. Il espéra l'obtenir en utilisant les dissensions entre les coalisés. Les Puissances maritimes se plaignaient que l'Empereur fût plus occupé à combattre les Hongrois, qui luttaient pour leur indépendance, qu'à faire la guerre sur le Rhin. L'Empereur s'inquiétait de voir les Hollandais prendre pied de plus en plus dans les Pays-Bas espagnols. Les Anglais voulurent interdire aux Hollandais le commerce qu'ils continuaient de faire avec la France. Même leurs corsaires enlevèrent des navires d'Amsterdam, chargés de vins de Bordeaux. Les Hollandais réclamèrent, disant qu'ils ne pourraient continuer les hostilités si on les privait de leur trafic, et ils se firent autoriser par les Anglais à transporter toutes les marchandises françaises, à l'exception de la contrebande de guerre. Enfin, Anglais et Hollandais ne s'entendaient absolument pas sur la direction de la guerre. Pendant la campagne de 1705, Marlborough demanda à être relevé de son commandement ; une guerre entre les deux alliés ne paraissait pas impossible.

Ce fut en Hollande qu'encore une fois Louis XIV s'adressa pour traiter. Il y retrouvait toujours ce parti de la paix, parti de marchands et de républicains, de fédéralistes, qui voulaient faire des affaires de négoce et de banque, et redoutaient l'autorité que la guerre donnait au pouvoir central. Le Roi fit porter ses propositions, en octobre 1705, par le lieutenant-général d'Alègre, qui, prisonnier de guerre en Hollande, avait obtenu la permission de venir passer quelques mois en France. Il offrait deux combinaisons : ou bien l'archiduc Charles aurait l'électorat de Bavière avec le titre de roi, Max-Emmanuel recevrait en compensation le royaume des Deux-Siciles, la France s'agrandirait. de la Lorraine et d'une petite partie des Pays-Bas, — Luxembourg, Namur, Charleroy et Mons, — et le duc de Lorraine prendrait le reste ; ou bien on assignerait Naples à l'archiduc, la Sicile au duc de Lorraine, on restituerait la Bavière à Max-Emmanuel, et on réserverait la question des Pays-Bas. Dans les deux cas, Philippe V restait en possession de l'Espagne et des Indes.

Heinsius trouva que la satisfaction proposée pour l'archiduc était insuffisante et qu'il fallait lui donner au moins le royaume des Deux-Siciles, le Milanais et les Pays-Bas ; d'ailleurs, il ne permettrait jamais que la France s'annexât un morceau de la Belgique.

La négociation traîna jusqu'en avril 1706. A ce moment, la coalition s'était resserrée. Marlborough avait fait son tour d'Europe, partout bien reçu. En Angleterre, la Reine et le Parlement étaient d'accord pour continuer la guerre jusqu'à pleine victoire. A Vienne, Marlborough avait obtenu que l'Empereur suivit à l'égard des Hongrois une politique conciliante, afin de pouvoir disposer de plus grandes forces contre les Français. Il avait rassuré l'Empereur sur les intentions des Hollandais aux Pays-Bas. A Berlin, il avait flatté le roi de Prusse. Entre Anglais et Hollandais, l'entente était rétablie. Les finances de la coalition avaient été affermies par le crédit des Puissances maritimes, qui garantirent un emprunt fait par l'Empereur et lui firent avancer 100.000 couronnes par les banquiers de Vienne.

 

IV. - PERTE DE LA BELGIQUE ET DU MILANAIS. NÉGOCIATIONS SECRÈTES.

LOUIS XIV voulait prendre partout l'offensive, en 1706. Les provinces du royaume fournirent 27.000 hommes de milice. L'infanterie fut augmentée de 5 hommes par compagnie ; 30 nouveaux régiments furent levés, que les princes du sang se chargèrent de payer et d'entretenir. Il y eut huit armées qui furent commandées : aux Pays-Bas par Villeroy et Max-Emmanuel ; sur la Moselle par Marcin ; en Alsace par Villars ; en Milanais par Vendôme et en Piémont par La Feuillade ; en Roussillon par Noailles ; en Catalogne par Tessé et en Portugal par Berwick.

Les premiers jours de mai, Villars et Marcin eurent quelques succès. Villars aurait voulu assiéger Landau, mais Louis XIV lui ordonna de protéger l'Alsace et donna l'ordre à Marcin de rejoindre Villeroy.

Villeroy était campé à Ramillies, au Nord d'un affluent de gauche de la Meuse, la Méhaigne, quand Marlborough se présenta pour le combattre avec 70.000 hommes, le 23 mai 1706. Le général anglais trouva les Français rangés en bataille comme il les eût voulu poster lui-même pour les vaincre. La gauche française, en effet, était immobilisée derrière des marais. Marlborough rompit en une charge la droite française, se jeta sur le centre qu'il attaqua de flanc, emporta Ramillies. Villeroy, qui n'avait voulu écouter aucun conseil avant la bataille, ordonna la retraite des troupes qui n'avaient pas donné. Cette retraite fut une terrible déroute. Elle coûta 6.000 hommes aux vaincus, qui n'en avaient perdu que 2000 à Ramillies. Des fuyards se dispersèrent à Louvain, à Bruxelles, dans les villes voisines. Avec les quelques milliers d'hommes qu'il avait gardés, le maréchal recula derrière la Dyle, derrière la Dender, derrière l'Escaut, derrière la Lys, jusqu'à la frontière. A cette nouvelle, j'ai été, dit madame de Maintenon, frappée, abattue, stupide.... J'avoue que la souffrance de voir le Roi souffrir est grande. Le Roi ne fit pas de reproches au maréchal, mais il semble bien qu'on ait fabriqué plus tard la parole qu'il aurait dite à Villeroy en le revoyant : Monsieur le Maréchal, on n'est plus heureux à notre âge. Saint-Simon dit que l'entretien fut court et sec, et il triomphe de l'humiliation du présomptueux incapable, que d'ailleurs il n'aimait pas : Ce n'était plus le temps où le langage, les grands airs et les secouements de perruque passaient pour des raisons ; la faveur qui soutenait ce vide était passée. Ce fut la très grande faute de Louis XIV d'avoir, au péril de l'État, soutenu des vides de cette espèce. Les désastres qui se répétaient émouvaient profondément l'opinion en France. Le prestige du vieux roi diminuait. Encore une fois, Villeroy fut chansonné :

C'est bien dommage sur ma foi !

Que monseigneur de Villeroi

Soit déjà maréchal de France :

Car, dans cette grande action,

On peut dire sans complaisance

Qu'il a mérité le béton.

Toute la Belgique fut perdue, sauf la région de la Sambre. En quelques jours, Marlborough s'empara de Louvain, de Gand, de Bruxelles, de Bruges, d'Audenarde, d'Anvers. Les habitants faisaient bon accueil aux alliés. Les États de Brabant avaient, le 26 mai, envoyé une députation à Marlborough. La domination franco-espagnole, — anjouine, comme l'appellent les historiens belges, — était vite devenue impopulaire. Las Français étaient en train de franciser les Pays-Bas ; ils centralisaient ; ils avaient remplacé trois Conseils par un seul, le Conseil du Roi, donné à un même personnage la surintendance des finances et le ministère de la guerre, établi des intendants, la fiscalité à la mode de France, toutes choses très redoutées. La victoire des alliés apparaissait dans les Pays-Bas comme une délivrance. A l'unanimité, les États de Flandre reconnurent pour roi Charles III, le 6 juin 1706.

H ne s'agissait plus de ce côté que de défendre la frontière française. Vauban construisit deux camps retranchés sous Dunkerque. On craignait pour ce port, dont l'importance inquiétait l'Angleterre et dont les corsaires causaient des pertes énormes aux Puissances maritimes. Avec le concours de quelques vaisseaux du Roi, ils avaient, en juin 1703, détruit une flotte de 480 barques de pécheurs de harengs, et 4 navires de guerre hollandais ; en juin 1'706, ils venaient de capturer près d'Ostende plusieurs navires anglais. Le ministre Godolphin avait demandé à Marlborough de détruire ce port. Mais Marlborough craignit d'éveiller, s'il s'attaquait à Dunkerque, la jalousie des Hollandais et de compromettre la Grande Alliance. Après avoir pris Ostende, il se laissa entraîner par eux du côté de la Lys, s'empara de Courtrai et investit Menin. Il lui fallait cette petite place pour pouvoir assiéger Lille. Menin ne se rendit que le 22 août, après une défense vigoureuse. Or, à ce moment-là, Vendôme, rappelé d'Italie, avait pris le commandement de l'armée du Nord. Il fallait là, dit Louis XIV, un chef qui s'attirât la confiance des chefs et des soldats, et redonnât aux troupes cet esprit de force et d'audace si naturel à la nation française. Cet esprit semblait en effet s'être perdu. L'habitude se prenait des défaites et des déroutes affolées. Vendôme reconstitua une armée et Marlborough renonça pour le moment au siège de Lille.

Vendôme, avant de quitter l'Italie[5], avait commis de grandes fautes. Chargé d'arrêter le prince Eugène sur la ligne de l'Adige, pendant que La Feuillade investissait Turin, il n'avait pas empêché le prince de passer le fleuve. Le jeune duc d'Orléans, qui lui succéda dans le commandement, laissa Eugène marcher au secours du duc de Savoie, qui venait de s'échapper de sa capitale. Lui-même alla se joindre, le 28 août, à l'armée qui assiégeait Turin. Quatre jours après, Eugène rejoignit Victor-Amédée près de la ville. Le siège n'avait fait aucun progrès. La Feuillade était aussi incapable que Villeroy et plus infatué. Il avait refusé avec impertinence l'offre que lui faisait Vauban de servir sous lui comme volontaire, avait très mal attaqué la ville et laissé échapper le duc de Savoie. Il n'avait pris aucune précaution contre la marche du prince Eugène, à laquelle il refusait de croire, disant que c'était vision.

Eugène arrivé, il fallait le vaincre avant de continuer le siège. Le duc d'Orléans aurait voulu sortir des lignes pour le combattre. Mais, Marcin, qui lui était adjoint, avait en poche les ordres du Roi, qui étaient, dit-il, de prendre Turin et non de combattre le prince Eugène. Il fallut céder. Le duc d'Orléans prédit que l'armée, enfermée dans des lignes trop étendues, où se trouvaient des endroits mal garnis, serait certainement battue. En effet, attaquée de face et de flanc par le prince Eugène et par Victor-Amédée, elle fut rompue. Le duc d'Orléans fut blessé, Marcin aussi et celui-ci mortellement. La Feuillade battit en retraite, en abandonnant les blessés, 50 pièces de canon, 108 mortiers, 7 800 bombes, les pontons, les bagages , les chevaux de treize régiments de dragons[6]. Il recula jusqu'aux Alpes. Louis XIV aurait voulu que le duc d'Orléans reformât son armée et rentrât en campagne. Cela fut impossible. Le Roi n'eut plus d'autre préoccupation que de sauver les troupes françaises et quelques garnisons demeurées en Milanais. Il proposa à l'Empereur de lui rendre les places qu'il tenait encore, à condition que ses troupes eussent la retraite libre. L'Empereur accepta au mois de mars 1707. Ainsi, l'Italie du Nord fut évacuée après la bataille de Turin, comme les pays d'au delà du Rhin après Höschstædt et les Pays-Bas après Ramillies.

En Espagne, la campagne de 1708 s'annonça très mal. Philippe V voulut reprendre Barcelone. Il l'assiégea avec 40.000 hommes, pendant que l'amiral comte de Toulouse, bâtard du Roi, bloquait le port. L'amiral Byng jeta des secours dans la ville, le comte de Toulouse, dont les forces étaient moindres que celles des Anglais, ayant pris le large à leur approche. Le siège fut levé le 12 mai. Les routes de la Catalogne étant coupées, l'armée se retira en Navarre, à travers les Pyrénées. De Pampelune, Philippe courut à Madrid, résolu, comme il écrivait à Louis XIV, à se sacrifier pour la défense de sa couronne. Or, du côté du Portugal, les ennemis, commandés par un protestant français, Ruvigny, — qui, refugié en Angleterre lors de la Révocation, était devenu lord Galway, — avaient repoussé Berwick et marchaient sur la capitale que Philippe dut abandonner. Entrés à Madrid le 25 juin, ils y proclamèrent Charles III.

Mais, le jour de cette proclamation on cria dans les rues de Madrid : Vive Philippe ! Tandis que beaucoup de grands se soumettaient à Charles III, le peuple demeurait fidèle à l'héritier choisi par Charles II. Il aimait le jeune Roi, la jeune Reine aussi, cette fille du duc de Savoie, qui, à dix-huit ans, dans le renversement du royaume, ne perdit pas courage. Puis, le peuple détestait les Catalans, haïssait les Portugais, encore plus les Anglais hérétiques. L'Estramadure lève et entretient 12.000 miliciens, l'Andalousie 4.000 chevaux et 14.000 volontaires. En Castille, les paysans, conduits par leurs curés, attaquent les convois, cernent les détachements, interceptent les courriers. A Madrid, les soldats étrangers meurent en nombre, empoisonnés ou assassinés.

Le 3 août 1706, les troupes de Philippe rentrèrent dans Madrid. Les alliés rentrèrent dans le royaume de Valence, dont l'amiral Leake complétait la conquête par la prise de Carthagène, le 2 juin, d'Alicante, le 5 septembre, et des îles d'Iviça et Majorque. Berwick, qui se mit à leur poursuite, ne put les forcer à livrer bataille, mais leur enleva Carthagène et les rencogna dans les montagnes de Valence.

Pendant toute l'année 1706, Louis XIV essaya de disjoindre la coalition. Au printemps, alors que la situation de Victor-Amédée semblait désespérée, il lui fit offrir par la duchesse de Bourgogne quelques avantages dans le Milanais. Le duc prêta l'oreille, mais la retira après les échecs de Ramillies et de Barcelone. Louis XIV n'avait pas abandonné les négociations avec les Hollandais[7]. De ce côté, il avait des motifs d'espérances. La querelle durait entre les Hollandais et les Impériaux au sujet des Pays-Bas, que ceux-ci réclamaient au nom de Charles III, et que ceux-là voulaient retenir jusqu'à ce que fût réglée la question de la Barrière. L'Empereur, pour brouiller Anglais et Hollandais, imagina de nommer Marlborough gouverneur général des Pays-Bas. Marlborough refusa, afin de prévenir la discorde certaine entre les Puissances maritimes. Mais il empêcha les Hollandais de mettre des garnisons dans les places conquises et fit donner le gouvernement à un Conseil d'État, sous la surveillance de l'Angleterre et des Provinces Unies. De leur côté, les États Généraux refusèrent de garantir la succession d'Angleterre dans la maison de Hanovre, tant que la question de la Barrière ne serait pas réglée.

Louis XIV conduisit avec les Hollandais jusqu'à quatre négociations simultanées, où les propositions françaises variaient suivant la fortune de la guerre. Il était résigné à la nécessité d'accepter, comme il disait, un grand démembrement de la monarchie espagnole. Les concessions qu'il était disposé à faire, Heinsius était d'avis de les discuter, mais Marlborough les jugeait insuffisantes.

Aussi, lorsqu'au mois d'octobre le Roi offrit à la Hollande et à l'Angleterre de traiter dans des conférences publiques, Marlborough répondit, et fit répondre par les États Généraux, que cette proposition, sans des éclaircissements plus particuliers de la part du Roi Très Chrétien, ne semblait pas propre à obtenir une paix solide et durable.

Alors Louis XIV revint aux négociations secrètes. Les Hollandais demandèrent la totale dépossession de Philippe V et la cession des places françaises d'Ypres, de Menin, de Tournai, de Condé et de Maubeuge, pour leur barrière. Louis XIV fit une nouvelle tentative auprès de Victor-Amédée, même des avances à l'Empereur par l'entremise des Suisses. Il essaya enfin d'engager le Pape d'abord, le roi de Suède Charles XII ensuite[8] à offrir leur médiation. Charles XII, victorieux du tzar et des rois de Danemark et de Pologne, qui s'étaient unis pour le dépouiller de ses États, pouvait dicter la paix à l'Europe ; il préféra continuer la guerre contre la Russie.

Ces démarches de tous les côtés à la fois trahissaient le trouble et l'anxiété de Louis XIV. Chamillart s'avouait incapable d'organiser la campagne qui allait s'ouvrir.

 

V. — LA FRANCE ENVAHIE. LES CONFÉRENCES EN HOLLANDE : STREYDENSAAS ET LES PRÉLIMINAIRES DE LA HAYE[9].

AU commencement de l'année 1707, les alliés se croyaient près d'en finir avec la résistance de la France. Ils avaient résolu de l'attaquer sur toutes ses frontières, d'établir définitivement Charles III en Espagne, de conquérir Naples et la Sicile. Ils ne réussirent que dans ce dernier projet.

Louis XIV abandonna le royaume de Naples, qui, étant habitué depuis longtemps à changer de maître, en changea une fois de plus, sans difficulté, quand parurent les troupes allemandes. En Espagne, au contraire, la cause de Philippe V fut victorieuse. L'ambassadeur de France à Madrid, Amelot, avait trouvé plusieurs millions, provenant soit d'un emprunt, gagé sur l'argenterie des églises, soit de l'argent apporté par les galions du Mexique. La Reine avait envoyé toutes ses pierreries en France, pour y être vendues. L'armée fut réorganisée et, au printemps de 1707, Berwick eut des troupes supérieures en nombre et en qualité à celles des ennemis, 93.000 hommes contre 15.000.

Ce furent pourtant les ennemis qui prirent l'offensive en allant assiéger Villena, au sud de Valence. Berwick, qui s'était approché pour faire lever le siège, fut attaqué, le 25 avril, par Galway, près de la petite place d'Almanza. Les Anglo-Portugais réussirent d'abord à enfoncer le centre espagnol, mais il se reforma. La cavalerie portugaise placée aux deux ailes ayant cédé, tout l'effort des Franco-Espagnols se porta contre l'infanterie anglaise, qui ne put résister à une charge à la baïonnette. Un moment cependant la victoire fut mise en suspens par la bravoure d'un régiment de réfugiés français conduits par l'ancien chef des Camisards Jean Cavalier. Berwick termina le combat, qui ne dura pas plus d'une heure et demie, en cernant treize bataillons qui s'étaient retirés sur une hauteur voisine. La victoire fut complète : les Franco-Espagnols avaient fait 9.000 prisonniers, pris 102 drapeaux ou étendards, tout le canon et presque tout le bagage. L'infanterie ennemie était à peu près détruite, la journée lui ayant coûté 8.000 hommes.

Le duc d'Orléans, arrivé le lendemain de la victoire, envoya Berwick achever la soumission du royaume de Valence ; envahit l'Aragon ; força les Anglais à évacuer Saragosse, le 24 mai. Les alliés ne tenaient plus qu'en Catalogne ; le 11 juin, le duc parut devant Lérida. Il la prit seulement en novembre, parce qu'une partie de ses troupes durent être envoyées en Provence au secours de Toulon assiégé. Lérida prise, il ne restait plus, pour expulser d'Espagne les Anglo-Portugais, qu'à prendre Barcelone et quelques autres places moins importantes.

Une grande attaque fut dirigée contre la Provence, par terre et par mer. Les Austro-Piémontais espéraient conquérir cette province et, les Anglo-Hollandais, bombarder Marseille et détruire Toulon, dont l'arsenal contenait 5.000 pièces de canon, et le port, 40 grands vaisseaux. Après l'évacuation de l'Italie, Tessé avait été chargé de garder la frontière. Il posta des troupes et des miliciens du pays pour défendre le passage du Var, fit réparer par des paysans, qui travaillaient au son du fifre et du tambourin, les fortifications de Toulon à demi ruinées. Deux camps furent établis pour empêcher l'investissement. Dans le port, les vaisseaux du Roi furent immergés.

Les alliés, — 45.000 Autrichiens et Piémontais, — passèrent col de Tende le 4 juillet, s'avancèrent le long de la côte, en vue de la flotte anglo-hollandaise, que commandait l'amiral Shovell, traversèrent le Var et les défilés de l'Esterel. Toulon fut bombardé par terre et par mer, mais sans grand effet. L'ennemi, en ce pays sec et stérile, souffrit de la disette de vivres et de fourrages ; il fut décimé par la maladie et la désertion. Il se retira le 22 août ; les paysans lui tuèrent du monde au retour par l'Esterel. Il avait perdu plus de 10.000 hommes.

C'était en Espagne et en Provence que les alliés avaient porté leur principal effort. Sur la frontière du Nord, Marlborough fut contenu par Vendôme et par l'Électeur de Bavière.

Villars, à la tête de 66 bataillons et 108 escadrons contre 44 bataillons et 72 escadrons, fait, presque sans combattre, une sorte de campagne triomphale. Il passe le Rhin, attaque les lignes qui formaient comme un camp retranché entre le Rhin et la Forêt Noire, de Philippsbourg à Stollhofen, les perce en plusieurs endroits, le 23 mai, s'engage dans l'Empire, pousse jusqu'à Stuttgart, projette d'entrer en Bavière, de combiner une action contre Vienne avec les Hongrois, ou avec le roi de Suède, qui avait des démêlés avec l'Empereur. Mais c'était le moment où la Provence était envahie. Villars eut ordre de rétrograder et de détacher des troupes vers la Provence. Il obéit en se plaignant. Il avait levé sur l'Empire de grosses contributions, qu'il divisa en trois parts : La première servit à payer l'armée ; avec la deuxième, je payai les officiers ; je destinai la troisième à engraisser mon veau[10].

L'année 1707 avait donc été clémente. Mais Chamillart ne savait comment préparer la campagne de l'année suivante. Il écrivait au Roi :

Les finances sont dans un tel épuisement que l'on ne saurait rien se promettre pour l'avenir, pas même de pouvoir fournir les fonds aux troupes pour le reste de la campagne (de 1707) ; il leur est dû des sommes immenses de l'année 1706 et beaucoup de celle-ci. Les revenus de l'année 1708 sont mangés d'avance, le crédit est épuisé.... Dans cet état d'extrémité, je cherche des remèdes, je travaille à ranimer la confiance des gens bien intentionnés. Je leur demande des secours pour m'aider à faire un projet qui puisse du moins donner lieu aux ennemis de se persuader que l'on songe à continuer la guerre.... Recevoir la paix à des conditions telles que les ennemis la voudront donner serait préférable, si les conditions en étaient supportables....

Un député de Rouen au Conseil de commerce, Nicolas Mesnager, alla négocier secrètement en Hollande.

Il offrit au député aux États, Van der Dussen, conseiller pensionnaire de la ville de Gouda, le rétablissement du tarif de 1664, l'exemption de 50 sous par tonneau et des privilèges commerciaux en Espagne et dans l'Amérique espagnole. Il refusa de discuter les autres questions, se bornant à dire qu'au sujet de la barrière on pourrait reprendre les offres faites par le Roi en 1701. Il eut beaucoup de peine à voir Heinsius. C'est un opéra d'approcher de ce ministre, écrivit-il à Torcy. Quand il vit le grand-pensionnaire, ce fut pour l'entendre reparler du projet de partage, présenté en 1706 par Louis XIV. Mais le roi de France, qui croyait son petit-fils bien établi en Espagne, rompit les pourparlers en mars 1708.

Cette année 1708, il essaya de porter la guerre par mer en Grande-Bretagne. Depuis plusieurs années, les partisans de Jacques Stuart, les Jacobites, proposaient à Louis XIV une descente en Écosse[11]. En 1708, la situation paraissait propice. L'Angleterre avait supprimé le Parlement d'Édimbourg et réuni les deux royaumes en un seul, le royaume de la Grande-Bretagne. Le parti national écossais, irrité par cette annexion, était prêt, disait-on, à se soulever à l'arrivée de Jacques Stuart. Le roi de France, après avoir obtenu des plus grands seigneurs écossais la promesse de leur concours, donna l'ordre de réunir une petite escadre à Dunkerque. Des retards causés par une maladie survenue au prétendant et par des différends entre les secrétaires d'État de la guerre et de la marine, Chamillart et Pontchartrain, permirent au gouvernement anglais de se mettre sur ses gardes. Dix bataillons passèrent des Pays-Bas dans la Grande-Bretagne, et l'amiral Byng croisa avec sa flotte dans la mer du Nord. Forbin sortit de Dunkerque avec 8 vaisseaux de guerre et 70 bâtiments de transport. Il réussit à tromper la surveillance de l'ennemi et arriva, le 23 mars, à l'entrée du golfe du Forth. Le lendemain, l'escadre de Byng apparaissait à son tour. Il ne fallait pas songer à débarquer, — on ne se trouvait pas au lieu fixé pour le rendez-vous, et les Écossais ne bougeaient pas, — encore moins à livrer une bataille navale. Forbin reprit en toute hâte le chemin de Dunkerque, où il rentra sans encombre les 7 et 8 avril.

Sur terre, la campagne de 1708 avait été ainsi projetée : défensive du côté du Rhin et des Alpes, continuation des opérations en Espagne, offensive aux Pays-Bas. En Espagne, Philippe d'Orléans fit quelques progrès ; mais les ennemis gardèrent Barcelone. Les Anglais s'approprièrent la Méditerranée occidentale par la conquête de la Sardaigne, de Minorque, de Port-Mahon. Aux Pays-Bas, ce furent des désastres.

Louis XIV avait partagé le commandement entre son petit-Ms le duc de Bourgogne et Vendôme. Le duc de Bourgogne avait alors vingt-six ans. C'était un personnage singulier. On le retrouvera souvent au cours de cette histoire. Il était instruit dans l'art de la guerre, dit Voltaire, mais il regardait cet art plutôt comme le fléau du genre humain... que comme une source de véritable gloire. Saint-Simon le dépeint timide, mesuré à l'excès, renfermé, raisonnant, pesant et compassant toutes choses... retenu, considéré... connaissant peu ceux à qui il avait affaire, quelquefois incertain, ordinairement distrait et trop porté aux minuties ; en tout l'opposé du duc de Vendôme hardi, audacieux, avantageux, imprudent, méprisant tout, abondant en son sens avec une confiance dont nulle expérience ne l'avait pu déprendre, incapable de contrainte, de retenue, de respect, surtout de joug... âcre et intraitable à la dispute. Le duc de Bourgogne arriva, au milieu du mois de mai, à l'armée établie près de Mons. Il avait 80.000 hommes. Marlborough se trouvait près de Bruxelles à la tête de 68.000 hommes ; Eugène rassemblait 35.000 hommes sur la Moselle. Il aurait fallu attaquer l'ennemi avant que les deux généraux se fussent rejoints. Mais un long temps passa en discussion de projets, que le jeune prince envoyait à son grand-père.

Au commencement de juillet, on se décida d'agir sur Gand et Bruges. Des détachements français pénétrèrent par surprise dans les deux villes. Vendôme proposa d'attaquer Audenarde, pour se rendre maitre du cours de l'Escaut et couvrir ainsi toute la Flandre.

Le 11 juillet, les premières colonnes, en s'approchant de la place, aperçurent l'ennemi, disposé sur une hauteur couronnée par une artillerie nombreuse. Marlborough et le prince Eugène s'étaient réunis ; ils avaient marché sur l'Escaut et devancé l'adversaire. Les premières colonnes françaises attaquèrent et furent appuyées par celles qui vinrent ensuite, mais il n'y eut pas de bataille rangée. L'artillerie était restée en arrière, et Vendôme n'employa que 10 canons qui lui furent envoyés au bruit du combat. Le duc de Bourgogne ne prit pas de part à l'action, son état-major ayant conseillé la prudence. Une bonne partie de l'armée regarda le combat comme on regarde l'opéra aux troisièmes loges. Le soir, la situation était indécise. Vendôme voulait demeurer sur le champ de bataille, pour se battre le lendemain. Son avis fut contredit par le duc de Bourgogne et les officiers de l'entourage du prince. On rapporte qu'exaspéré, il dit aux officiers : Messieurs, je vois bien que vous le voulez tous ; il faut donc se retirer, et au prince, en le regardant : Aussi bien, il y a longtemps, Monseigneur, que vous en avez envie[12]. Encore une fois, la retraite fut une déroute. Personne ne commandait. Dans ces journées, l'armée française eut 3.000 morts, 4000 blessés, 8.000 prisonniers, 3.000 déserteurs. Des détachements s'en allèrent au petit bonheur vers Lille, Tournai, Ypres. Le gros se retrancha près de Gand, derrière le canal de Bruges, laissant libre la route de France.

Marlborough passa la frontière le 15 juillet, ravagea la Flandre maritime et l'Artois. Pendant ce temps, le prince Eugène préparait à Bruxelles le matériel nécessaire au siège de Lille. Attaquer une grande ville, bien fortifiée, en laissant derrière soi une armée ennemie, c'était une opération hasardeuse. Vendôme aurait voulu empêcher Eugène et Marlborough de se joindre à nouveau. Le duc de Bourgogne ne le permit pas sous prétexte qu'il fallait garder Gand et Bruges. Le 6 août, Eugène se mit en marche. Son immense convoi de 3.000 chariots, escortés par 20.000 hommes, ne fut pas même inquiété. Le 12 août, il arriva devant Lille qu'il investit avec 45.000 hommes. Marlborough, avec 40.000 hommes, couvrit le siège.

A cette nouvelle, l'émoi fut vif à Versailles et Louis XIV ordonna à Vendôme et au duc de Bourgogne de rallier Berwick, qui couvrait la frontière, entre Saint-Amand et Mortagne, avec 30.000 hommes, et de marcher au secours de Lille. Mais le désaccord entre Vendôme et le duc de Bourgogne s'aggravait. L'armée se partageait en Vendômistes et Bourguignons. Après avoir perdu beaucoup de temps en discussions, le duc de Bourgogne se décida enfin à quitter Gand et à faire sa jonction avec Berwick le 30 août. A la tête de 120.000 hommes, il s'approcha de Lille. La place résistait vaillamment, défendue par Boufflers, qui n'avait que 9.000 hommes, et par la population[13]. Vendôme voulait attaquer sans délai afin de ne pas laisser à Marlborough le temps de se retrancher. Berwick fut d'un avis contraire. Le duc de Bourgogne, à qui Louis XIV avait donné la puissance décisive, n'osa pas prendre sur lui la responsabilité de la décision, et demanda des instructions à Versailles. Envoyé par le Roi pour trancher le différend, Chamillart ordonna que l'on tentât une attaque. Mais il était trop tard : Marlborough avait construit de solides retranchements, qu'une canonnade ne put détruire.

Alors, on résolut de forcer l'ennemi à lever le siège en l'empêchant de se ravitailler ; mais ses vivres passèrent.

Le 22 octobre, la ville se rendit après avoir fait la défense la plus vigoureuse et la mieux conduite dont on puisse parler. Boufflers se retira dans la citadelle. Il espéra un secours qui ne vint pas. Le duc de Bourgogne, qui jouait au volant, quand il apprit la capitulation de Lille, n'interrompit point sa partie. Le 9 décembre, Boufflers capitula. Quelques jours après, Bruges et Gand ouvrirent leurs portes à Eugène et Marlborough. Toute cette campagne fut donc un désastre. On eut, dans tout le royaume, le sentiment d'une honte nationale. Boufflers devint populaire pour la beauté de sa défense ; le Roi le remercia et l'honora d'un duché-pairie. Il ne cachait point sa douleur, qui s'accrut encore par des conversations avec le maréchal, où il vit clairement qu'on pouvait empêcher tous ces malheurs. Le duc de Bourgogne en était responsable pour partie. Fénelon, son précepteur, l'accuse à ce moment d'être amusé, inappliqué, irrésolu... de trop écouter les mauvais conseils des gens faibles et timides, et même de son confesseur qui se mêlait de lui parler de la guerre. Mais l'opinion s'en prit au Roi lui-même. Beaucoup, comme Saint-Simon, lui reprochaient l'aveuglement des choix, l'orgueil de tout faire, la jalousie [qu'il avait] des anciens ministres et capitaines, la vanité d'en choisir de tels qu'on ne pût leur rien attribuer, pour ne partager la réputation de grand avec personne. Saint-Simon prend un accent de haine pour flétrir toute cette déplorable façon de gouverner, qui précipita dans le plus évident péril d'une perte entière et qui jeta dans le dernier désespoir ce maure de la paix et de la guerre, ce distributeur des couronnes, ce châtieur des nations, ce conquérant, ce grand par excellence, cet homme immortel pour qui on épuisait le marbre et le bronze....

Cependant les pourparlers en vue de la paix continuaient par intermédiaires officieux, qui tâtaient le terrain. Les Hollandais, au courant de la campagne, avaient fait écrire par Van der Dussen que leur condition préalable serait que le négociateur français présentât les offres faites ci-devant des Espagnes et des Indes, du Milanais et des Pays-Bas, et ce qui a été ajouté, comme aussi un traité favorable de commerce. Par ce qui a été ajouté ils entendaient des places de barrière à prendre en territoire français.

A l'issue désastreuse de la dernière campagne, ces exigences — si dures qu'elles fussent — ne parurent pas exagérées. Louis XIV fit écrire par Torcy qu'il consentait, pour le bien de la paix, à traiter aux conditions demandées pour servir de base à la négociation. Rouillé, président au Grand Conseil, fut envoyé secrètement en Hollande. Il rencontra dans le village de Streydensaas, où était le rendez-vous, Van der Dussen, pensionnaire de Gouda, et Buys, pensionnaire d'Amsterdam.

Le 17 mars 1709, ils lui déclarèrent que le mémoire de Van der Dussen contenait véritablement les points les plus essentiels et les premiers à examiner, mais qu'il y avait encore d'autres points qui n'étaient pas moins importants, à savoir que Philippe serait totalement exclu de la succession ; qu'avec l'Empire on revint au traité de Munster, interprété dans le sens germanique ; que, pour satisfaire l'Angleterre, Louis XIV reconnût Anne et la succession protestante, fit sortir du royaume le prétendant, et cédât Dunkerque. Pour eux, les Hollandais réclamaient une barrière, composée de villes des Pays Conquis[14] que les coalisés avaient prises ou qu'ils comptaient prendre sur la France : Furnes, Ypres, Menin, Lille, Tournai, Condé et Maubeuge ; en outre, les places de Huy, Liège et Bonn, et le rétablissement du tarif de 1664.

Le Roi avait un si grand besoin de la paix que la relation du président Rouillé ne fut pas capable de le rebuter. Les pourparlers s'engagèrent. Il fut question de donner le royaume des Deux-Siciles à Philippe V. Mais les Hollandais revinrent à toutes leurs exigences quand le prince Eugène et Marlborough s'en mêlèrent. Ils savaient la France aux abois et voulaient la ramener à la situation de la paix des Pyrénées.

Les Hollandais déclarent, le 21 avril, que jamais les alliés ne consentiront à laisser au roi Philippe la moindre partie de la monarchie d'Espagne, soit comme dédommagement, soit à quelque titre qu'elle fût demandée. Sur la barrière, ils refusent de rien rabattre.

Rouillé pensait que le Roi le rappellerait sitôt qu'il connaîtrait ces conditions. Il n'en fut rien. Des calamités s'ajoutaient aux maux de la guerre[15]. Un froid excessif, succédant subitement à un dégel, au commencement du mois de janvier, avait ruiné toute espérance de récoltes. La famine, qui ravageait certaines régions, menaçait le pays entier. On ne mangea dans Paris que du pain bis pendant quelques mois. Plusieurs familles, à Versailles même, se nourrirent de pain d'avoine. Mme de Maintenon en donna l'exemple. Le découragement était général ; parmi les personnes qui entouraient le Roi il y avait des partisans de la paix à tout prix. Le 28 avril, Louis XIV réunit à Versailles le Dauphin, le duc de Bourgogne, le chancelier Pontchartrain, le duc de Beauvillier, chef du Conseil des finances, Chamillart, Desmaretz et Torcy. Beauvillier représenta la pressante nécessité de la paix, par suite de la détresse de la France. Pontchartrain enchérit encore sur cette cruelle peinture. Desmaretz avoua qu'il avait épuisé toutes ses ressources. Une scène si triste, écrit Torcy dans ses Mémoires, serait difficile à décrire, quand même il serait permis de révéler le secret de ce qu'elle eut de plus touchant. Ce secret, dit Voltaire, n'était que celui des pleurs qui coulèrent. Le Roi, touché vivement de l'état de son royaume, se décida aux derniers sacrifices. Torcy lut la dépêche qu'il avait rédigée pour Rouillé et où il lui recommandait d'obtenir des députés hollandais une explication claire et précise, mais surtout de ne pas rompre. Torcy offrit de se rendre lui-même en Hollande.

Il arriva le 6 mai à La Haye. Heinsius, qui n'était pas prévenu de son arrivée, ne cacha pas son étonnement de voir un ministre de Louis XIV venir à La Haye pour demander la paix. C'était, en effet, la preuve d'un renversement de la fortune.

Torcy négocia d'abord avec les Hollandais, auxquels il offrit les villes françaises demandées pour la barrière, Lille comprise. Mais ils ne voulurent rien conclure sans leurs alliés. Marlborough vint rejoindre le prince Eugène à La Haye, le 18 mai. Il exigea que Philippe V fût dépossédé sans compensation, et conseilla que le roi de France donnât à son petit-fils un dédommagement, en faisant pour lui, de la Franche-Comté, un royaume vassal. Louis XIV accepta la dépossession de son petit-fils, puisque c'était l'unique moyen de faire la paix. Il accepta de reconnaître la succession protestante. Il accepta de détruire le port et les fortifications de Dunkerque. On s'entendit même au sujet de l'expulsion du prétendant. Et les Anglais furent satisfaits comme les Hollandais. Mais le prince Eugène réclama la restitution de Strasbourg et de l'Alsace. Après avoir offert sans succès de remettre Strasbourg à l'Empire pour devenir comme autrefois ville impériale, Torcy et Rouillé s'apprêtèrent à quitter La Haye.

Heinsius les retint. Il demanda à Rouillé de rédiger les articles sur lesquels l'accord était fait ; on y ajouterait les demandes des alliés sur les points en litige, et on enverrait le tout à Louis XIV. Suivant la réponse du Roi, un armistice serait signé ou les hostilités reprendraient. Le Roi déclara, au sujet de la cession de l'Espagne, qu'il abandonnerait son petit-fils et rappellerait ses troupes. Mais les alliés savaient que Philippe V, qui venait de faire reconnaître son fils pour son successeur par les Cortès, se défendrait. Ils ne voulaient point se charger de l'expulser et de faire ainsi la guerre pendant que la France demeurerait en paix. Finalement Torcy, persuadé que nous ne devions plus compter de conclure, crut qu'il serait utile de savoir au moins distinctement et à quelles conditions précises les ennemis consentiraient à la paix. Il demanda au pensionnaire de rédiger un projet de traité. Heinsius, après avoir consulté Marlborough, Eugène et Zinzendorf, que l'Empereur venait d'envoyer, remit à Torcy, le 27 mai, un plan en 42 articles, qu'on appelle les Préliminaires de La Haye.

Les alliés avaient reproduit dans cet acte toutes leurs prétentions, en y ajoutant celle-ci : Louis XIV reconnaîtra Charles III pour roi et seigneur de tous les États et de la monarchie d'Espagne et fera en sorte que, dans l'espace de deux mois, le royaume soit laissé par son petit-fils au prince autrichien. Si Philippe s'y refusait, le Roi Très Chrétien et les princes et États stipulants prendraient de concert les mesures convenables pour assurer l'entier effet de la présente convention. Et lorsque Louis XIV aurait adhéré à ce projet, qui contenait tant de clauses pénibles, lorsqu'il aurait satisfait à toutes ces clauses, parmi lesquelles la cession de Strasbourg à l'Empire, la cession de Terre-Neuve aux Anglais, la démolition des fortifications et du port de Dunkerque, la restitution de la Savoie à son duc, ce serait non pas la paix qu'on lui donnerait, mais une suspension d'armes de deux mois, pendant laquelle des exigences nouvelles pourraient se produire. Pourtant, le roi de France accepta toutes ces conditions, excepté celle de l'article IV qui l'aurait obligé à faire la guerre à son petit-fils. Mais c'était précisément cette humiliation et cette honte que les vainqueurs voulaient lui imposer. Alors les négociations furent rompues.

Louis XIV voulut faire ses peuples juges de sa conduite et de celle des ennemis. Vendôme aurait voulu, en 1706 déjà, qu'il en appelât à la nation par une convocation des États Généraux. Dans une lettre à Chamillart, du 21 octobre, il disait : Si les ennemis refusent les conférences publiques, qu'on leur a proposées, je ne vois pas que le Roi ait d'autre parti à prendre que d'assembler promptement les États de son royaume et de leur exposer lui-même l'insolence de ses ennemis ; je ne doute point qu'une pareille démarche ne réveille la fierté de la nation et ne nous donne le moyen de continuer encore la guerre... Louis XIV ne pouvait, sans démentir tout son règne et tout lui-même, convoquer des députés de la nation. Mais il écrivit aux archevêques, aux gouverneurs et aux intendants, pour leur expliquer l'état des négociations, une lettre très belle qui se terminait par ces mots :

Mon intention est donc que tous ceux qui, depuis tant d'années, me donnent. des marques de leur zèle en contribuant de leurs peines, de leurs biens et de leur sang à soutenir une guerre aussi pesante, connaissent que le seul prix que mes ennemis prétendaient mettre aux offres que j'ai bien voulu leur faire était celui d'une suspension d'armes, dont le terme borné à l'espace de deux mois leur procurait des avantages plus considérables qu'ils ne peuvent en espérer de la confiance qu'ils ont en leurs troupes... Je veux que mes peuples sachent de vous qu'ils jouiraient de la paix s'Il eût dépendu seulement de ma volonté de leur procurer an bien gelas désirent avec raison, mais qu'il faut acquérir par de nouveaux efforts, puisque les conditions immenses que j'aurais accordées sont inutiles pour le rétablissement de la tranquillité publique.

Après que cette lettre eut été publiée, ce ne fut, dans tout le royaume, qu'un cri d'indignation et de vengeance.

 

VI. — MALPLAQUET ET GEERTRUIDENBERG.

À la fin de mai 1709, l'état de nos forces militaires n'était plus désespéré. Au début de l'année, on n'était pas certain de mettre sur pied trois armées. Le peu de troupes qui gardaient les frontières n'avaient ni blé ni fourrage et semblaient à la veille de mourir de faim. Les magasins étaient vides et les terres, à la suite des rigueurs de l'hiver, sans espoir de moissons. Les munitionnaires dénonçaient leurs marchés. A l'armée du Nord, l'état des choses était pire que partout ailleurs. Les marches et les contre-marches de la campagne précédente avaient épuisé les hommes et les chevaux. Les garnisons se répandaient dans les villages pour piller ; des bataillons entiers désertaient.

Mais la misère même facilita les enrôlements. Le Roi vendit pour quatre cent mille francs de vaisselle d'or. Les plus grands seigneurs envoyèrent leur vaisselle d'argent à la Monnaie. La flotte du Mexique était arrivée à Saint-Malo, chargée, pour des négociants français, d'une somme de 20 millions, que le Roi prit contre billets. Cet emprunt forcé et la refonte des monnaies, ordonnée par Desmaretz, permirent de faire face aux besoins les plus pressants. On acheta du blé à l'étranger, on répara le matériel de guerre, on envoya aux troupes des vêtements et des souliers.

Dans le Nord, les intendants de Bernières, Claude Le Blanc[16], Doujat, et le munitionnaire Farguès, qui était un homme unique et incomparable dans son genre, firent des prodiges d'activité. En Dauphiné, l'intendant d'Angervilliers vendit sa vaisselle d'argent pour acheter des subsistances. Au blé on ajouta du seigle et de l'avoine pour fabriquer économiquement le pain de munition. S'il fut impossible de faire des réserves et de former des magasins, on arriva du moins à faire vivre les troupes. D'ailleurs, Louis XIV rappela d'Espagne celles qu'il y avait envoyées.

Les ennemis s'entendirent pour agir de concert du côté des Alpes et du Rhin. Ils franchirent les frontières, mais ils n'allèrent pas loin. La défaite de Mercy, le 26 août, à Rumersheim, dans la Haute-Alsace, obligea ce général à repasser le Rhin et amena la retraite de Victor-Amédée, qui s'était avancé en Savoie.

Sur la frontière du Nord, les coalisés essayèrent d'abord de forcer les retranchements établis de Saint-Venant sur la Lys à Denain sur l'Escaut ; mais Villars, qui avait remplacé Vendôme tombé en disgrâce, leur barra le passage. Renonçant à l'offensive, ils investirent Tournai, le 27 juin. Le marquis de Surville, qui commandait la ville, ne la livra qu'après avoir épuisé ses vivres, et tint encore jusqu'au 2 septembre dans la citadelle. Cependant Marlborough et Eugène, après avoir essayé de forcer les lignes vers Orchies, marchèrent sur Mons. Villars avait ragaillardi l'armée. Il savait manier le soldat et le consoler des jeûnes auxquels il devait le condamner. Pour donner du pain aux brigades que je fais marcher, a-t-il écrit, je fais jeûner celles qui restent. Dans ces occasions, je passe dans les rangs, je caresse le soldat, je lui parle de manière à lui faire prendre patience, et j'ai eu la consolation d'en entendre plusieurs dire : Monsieur le maréchal a raison, il faut souffrir quelquefois. Le maréchal de Boufflers était venu servir sous ses ordres comme volontaire et cet acte de dévouement militaire avait produit une grande impression. Villars résolut de devancer les ennemis et de les attaquer de flanc, pendant leur marche ; mais il partit trop tard. Quand, le 9 septembre, il arriva près de Mons, les alliés se préparaient à investir la place[17]. S'il avait continué son mouvement offensif, il aurait surpris leurs troupes dispersées, et peut-être battu Marlborough, sans que le prince Eugène eût le temps de le secourir. Mais la situation de la France lui commandait d'être prudent. Il s'arrêta, et prit position dans la trouée de Malplaquet[18], entre les forêts de la Lanière et du Sart, où s'appuyaient sa droite et sa gauche. Le lendemain, pendant que l'armée ennemie s'établissait en face, il fit élever des ouvrages de défense sur tout son front. Il n'avait que 100.000 hommes et 80 canons contre 120.000 hommes et 120 canons.

Le 11 septembre, l'action s'engagea. Eugène et Marlborough avaient décidé d'attaquer simultanément les deux ailes. A huit heures du matin, les Hollandais se précipitèrent contre les lignes, qui couvraient la droite où était Boufflers. Le vieux maréchal — il avait soixante-six ans — était comme un lion pour le courage et donnait ses ordres avec un sang-froid comme s'il eût été dans sa chambre. Il arrêta l'ennemi qui avait pénétré jusqu'au troisième fossé, le refoula, mais, gêné par les retranchements, ne put prendre l'offensive. La gauche, après une vigoureuse résistance, finit par plier, mais sans désordre. Villars accourait la soutenir avec des renforts pris au centre, lorsqu'il reçut une blessure, qui le força de quitter le champ de bataille. Peut-être cette blessure fut cause que la journée fut perdue. Marlborough et Eugène jetèrent leurs réserves sur le centre de l'adversaire et coupèrent en deux l'armée française. Après un furieux combat de cavalerie, Boufflers ordonna la retraite. Sans laisser aux mains de l'ennemi un canon ni un drapeau, les Français quittèrent le champ de bataille. Ils avaient perdu 10.000 hommes et les alliés 23.000. Ceux-ci, épuisés par cette victoire, renoncèrent à envahir la France. Ils se contentèrent de prendre Mons. La journée de Malplaquet a relevé le courage de la nation plutôt qu'elle ne l'a affaibli.

Pendant la campagne, les pourparlers avaient continué en Hollande par des voies indirectes. En France, persistait l'espoir de s'entendre avec les Hollandais ; mais l'Angleterre les lia étroitement à elle par un traité secret, le 29 octobre 1709. Elle leur promit l'annexion des Pays-Bas, sous la suzeraineté nominale de l'Empereur. Ils s'engagèrent à ne pas négocier avec Louis XIV s'il ne reconnaissait pas la succession protestante en Angleterre et n'expulsait pas de France le prétendant.

Les négociations reprirent le 9 mars 1710. La France fut représentée par le maréchal d'Huxelles et par l'abbé de Polignac, l'un, dit Voltaire, homme froid, taciturne, d'un esprit plus sage qu'élevé et hardi ; l'autre, depuis cardinal, l'un des plus beaux esprits et des plus éloquents de son siècle ; la coalition le fut par Buys et Van der Dussen. Ces diplomates s'entretinrent d'abord dans une embarcation sur le Mœrdyck, puis dans la petite forteresse de Geertruidenberg. On voulait tenir les Français à distance des grandes villes, par crainte qu'ils n'agissent sur les partisans de la paix.

La principale discussion porta sur cette question : Le roi de France s'engagera-t-il à faire sortir d'Espagne Philippe V ? Polignac et d'Huxelles représentèrent la bonne foi de Louis XIV : le Roi avait rappelé ses troupes d'Espagne ; il était prêt à signer un traité séparé, à l'exclusion de son petit-fils ; il offrait même de remettre aux alliés quatre places du royaume en dépôt, comme gage de sa promesse de n'assister Philippe V d'aucune façon. Ils proposèrent ensuite de donner au roi d'Espagne une compensation, Naples et la Sicile, ou la Sicile seulement, afin de le déterminer à renoncer de lui-même à la couronne. A tout cela, les représentants des alliés répondirent que l'acceptation par Philippe V de la Sicile comme dédommagement n'était rien moins que certaine. Ils voulurent que Louis XIV s'engageât à chasser d'Espagne son petit-fils.

Les Français demandaient que l'acte à conclure fût définitif, et qu'après qu'il aurait été signé, aucune réclamation nouvelle — on en prévoyait beaucoup — ne pût être produite. Les Hollandais refusèrent de rien garantir. Ainsi, comme l'écrivait Polignac, quand même Sa Majesté consentirait à tout, elle n'obtiendrait au plus qu'un armistice misérable et incertain. Sur ces bases, il était impossible de s'entendre.

Louis XIV se montra bien résolu de rejeter toute proposition de déclarer la guerre à Philippe V pour quelque cause que ce fût. On s'attendait à voir rompre les négociations. Le public en était si persuadé, dit Torcy, qu'on offrait communément à La Haye le pari de trois contre un sur l'inutilité des conférences.

Mais comment la France continuerait-elle la guerre ? Les alliés avaient pénétré dans les lignes de Flandre et investissaient Douai le 22 avril. Villars n'avait pas caché à Torcy que l'État se trouvait exposé aux hasards d'une journée. Lui, qui d'ordinaire montrait plus de confiance, avait cru, cette fois, devoir, comme un bon sujet, presser S. M. de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d'Espagne. D'autre part, la nation espagnole était exaspérée par le rappel des troupes françaises, et Philippe V n'était pas éloigné de traiter avec les alliés contre la France. De Madrid, Blécourt écrivait à Torcy que si on ne secourait l'Espagne, on allait l'avoir sur les bras comme ennemie.

Torcy pensa qu'il fallait faire encore une concession. Il proposa d'offrir aux ennemis des subsides comme contribution dans la guerre qu'ils feraient pour chasser Philippe V de Madrid et pour le forcer à accepter un dédommagement. Dans le Conseil, Desmaretz, Pontchartrain, Beauvillier furent de cet avis ; le Dauphin et le duc de Bourgogne, après avoir protesté, s'y rallièrent. Louis XIV ordonna à ses plénipotentiaires de faire cette proposition à discrétion et seulement, s'il était possible, lorsqu'ils se croiraient sûrs du succès.

Les Hollandais refusèrent cet accommodement. Louis XIV fit une concession de plus : il renonça à tout dédommagement pour son petit-fils. Mais, dans une séance, tenue le 13 juillet, Buys et Van der Dussen déclarèrent que le Roi ne pouvait s'exempter de livrer l'Espagne et les Indes, et lui donnèrent deux mois pour le faire.

Cette séance fut la dernière. Le Roi, puisqu'il fallait continuer la guerre, aima mieux la faire à ses ennemis qu'à ses enfants. Le Conseil fut d'avis qu'il n'y aurait que de la bassesse sans profit à laisser plus longtemps les plénipotentiaires en Hollande. Torcy leur envoya un mémoire où il établissait que toutes les avances, toutes les concessions compatibles avec l'honneur, le Roi les avait faites. Et les plénipotentiaires français écrivirent à Heinsius, le 910 juillet : Si toute espérance de parvenir à la paix lui est ôtée par l'injustice et l'obstination de ses ennemis, alors se confiant à la protection de Dieu qui sait, quand il lui plaît, humilier ceux qu'une prospérité élève... S. M. laissera au jugement de toute l'Europe, sans excepter ni les sujets de la République de Hollande, ni ceux du Royaume d'Angleterre, à reconnaître les véritables auteurs de la continuation d'une guerre aussi sanglante.

Le gouvernement anglais déclara, le 27 juillet, la continuation de la guerre, en rejetant la responsabilité sur la France, qui s'efforçait d'échapper à l'article capital, la dépossession de Philippe V. Marlborough ne voulait pas de la paix. Sa femme venait d'être disgraciée par la reine Anne, son propre crédit était menacé ; il ne pouvait plus se soutenir que par la guerre et les victoires. L'Empereur s'était montré intraitable pendant les négociations. La Hollande avait laissé faire les alliés et perdu l'occasion de dicter la paix. L'occasion ne se retrouvera plus.

 

 

 



[1] SOURCES. Outre les sources indiquées pour toute la période : Général Pelet, Mémoires militaires relatifs à la succession d'Espagne sous Louis XIV, extraits de la correspondance de la cour et des généraux... rédigés au dépôt de la guerre sous la direction de M. le lieutenant général de Vaal, Paris, 1835-1862, 11 vol. et un atlas, dans la Collection des documents inédite. Marquis de Vogüé, Le duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier. Lettres inédites (1700-1708), 1900. Esneult, Michel Chamillart, contrôleur général des finances et secrétaire d'État de la guerre. Correspondance et papiers inédits, 1885, 2 vol. Mémoires et correspondance du maréchal de Catinat, publiés par Le Bouyer de Saint-Gervais, 1819, 8 vol. Mémoires du maréchal de Berwick. Collection Petiot, 2e série, t. LXV et LXVI. Lettres du maréchal de Tessé, édition du comte de Rambuteau, 1888. Mémoires du chevalier de Quincy, édit. Lecestre, 1898-1901, 3 vol. (Soc. Histoire de France). Mémoires de M. le Marquis de Feuquière, 1740, 4 vol. Mémoires de M. de S(aint)-H(ilaire), 1766, 4 vol., les trois derniers. M. Lecestre en a commencé la publication pour la Société de l'Histoire de France. Mémoires de la Colonie, maréchal de camp des armées de l'électeur de Bavière (1691-1717), 1788, 3 vol. Mémoires du feld-maréchal comte de Mérode-Westerloo, 1840, 2 vol. Feldzüge des Prisen Eugen von Savoyen, publié par le ministère de la guerre d'Autriche, 17 vol., 1876-1892, surtout pour la correspondance militaire du prince Eugène pendant la guerre de la Succession d'Espagne. Röder v. Diersburg, Kriegs- und Staatsschriften des Markgrafen Ludwig-Wilhelm v. Baden. Uber der spanischen Erbfolgekrieg, 1850. Mémoires de Forbin et de Duguay-Trouin dans la collection Petitot, 2e série, t. LXXIV et LXXV.

OUVRAGES. Outre ceux indiqués pour toute la période : Les Feldzäge des Prinzen Eugen, cités plus haut. Marquis de Quincy, Histoire militaire du règne de Louis le Grand, 1726, à partir du t. III. Histoire de Polybe, avec un commentaire par M. de Folard, 6 vol., 1727-1730. De Bellerive, Les dernières campagnes de L. J. de Vendôme, 1714, Emm. de Broglie, Catinat, l'homme et la vie (1637-1711), 1902. Marquis de Vogüé, Villars d'après sa correspondance, 1888. Le même, Un dernier mot sur Villars, dans le Correspondant, 1904. Lieutenant M. Sautai, Les Frézeau de la Frézelière, 1901. Cap. Valot, Les opérations militaires sur la frontière de la Savoie et du Haut-Dauphiné au XVIIIe siècle et la guerre de la Succession d'Espagne, 1896. Gachard, Histoire de Belgique au commencement du XVIIIe siècle, 1880. Ettore Parri, Victorio-Amedeo II ed Eugenio di Savoia, nella guerra del la Successione spagnuola, 1888. J. Dumont, Histoire militaire du prince Eugène de Savoie, du prince de Marlborough et du prince de Nassau, 1729-1747, 8 vol. Von Arneth, Das Leben des Feldmarschalls Grafen Guida Starhemberg (1657-1737), 1853. Landau, Geschichte Kaisers Karl VI ais Konig von Spanien, 1889. Schwencke, Geschichte der hannoverschen Truppen im Spanischen Erbfolgekriege, 1862. Parnell, The war of the Succession in Spain, during the reign of queen Anne (1703-1711), 1888. Fortescue, History of the British army, 3 vol., le t. I, 1899. Chabaud-Arnault, Histoire des flottes militaires, 1889. Chevalier, Histoire de la marine française depuis le débat de la monarchie jusqu'au traité de Paris de 1763, 1902. De Charlevoix, Histoire de l'isle Espagnole ou de Saint-Domingue, 1730, 2 vol., et Histoire et description générale de la Nouvelle France, 1744, 3 vol. Baron du Casse, L'amiral du Casse, chevalier de la Toison d'Or (1646-1715), 1876. Poulain, Duguay-Trouin, corsaire, écrivain, d'après des documents inédits, 1888. Calmon-Maison, Le maréchal de Château-Renault (1637-1716), 1903. Mahan, Influence de la puissance maritime dans l'histoire (1660-1713), trad. E. Boisse, 1899. J. S. Corbett, England in the Mediterranean ; a study of the rise and influence of British power within the stras (1603-1713), t. II, 1904. G. Scelle, La traite négrière aux Indes de Castille. Contrats et traités d'Assiento, Thèse de droit, Paris, 2 vol., 1906.

[2] Von Landmann, Die Kriegfahrung der Kurfürsten Max-Emanuel von Bayern in den Jahren 1703 und 1704, Munich, 1898.

[3] Calmon-Maison, Les galions de Vigo (1702), dans la Revue des Deux Mondes (1903).

[4] Communay, Le comte de Toulouse et la bataille de Velez-Melaga, Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, 1884. Poggi, La battaglia navale di Malaga (24 agosto 1704) narrata da an testimonio oculare, Mem. di Storia italiane, 1901.

[5] Pietro Fea, Tre anni di guerra e l'assedio di Torino del 1706, narrazione storico-militare, Rome, 1905. La campagna di guerre in Piemonte (1703-1708) e l'assedio di Torino (1706), t. I et VII, Turin, 1906 et 1907.

[6] La duchesse de Bourgogne s été accusée d'avoir, avec la complicité de Marcin, fait échouer le siège de Turin afin de sauver son père. C'est une légende. Voir à ce sujet : Boselli, La duchessa di Borgogna e la battaglia di Torino, Atti delle R. Academia delle scienze di Torino, vol. XXVII ; d'Haussonville, La duchesse de Bourgogne, t. III, p. 127, etc.

[7] Vreede, Correspondance diplomatique et militaire du duc de Marlborough, du grand pensionnaire Heinsius et du trésorier général des Provinces-Unies Jacques Hop (1706-1707), Amsterdam, 1860.

[8] G. Syveton, Louis XIV et Charles XII. Au camp d'Attranstadt, Paris, 1900.

[9] Journal inédit de J.-B. Colbert, marquis de Torcy... pendant les années 1709, 1710 et 1711, édit. F. Masson, Paris, 1884.

[10] Villars possédait le château de Vaux, l'ancienne propriété de Fouquet.

[11] Voir les documents publiés par Ch. Sanford Terry dans le recueil intitulé The Chevalier de Saint-Georges and the jacobite movements in his favour, 1701-1720, London et New-York, 1901, in-8°. P. Coquelle, Les projets de descente en Angleterre d'après les archives des affaires étrangères, Revue d'Histoire diplomatique, 1901.

[12] Le duc de Bourgogne fut accusé de couardise. Une fille naturelle de Louis XIV, la duchesse de Bourbon, le raillait en ces termes :

Par ta crainte et ton ignorance

La France

Est réduite aux abois :

Tu démens le sang de nos rois

Si renommés pour leur vaillance.

[13] Lieutenant Sautai, Le siège de la ville et de la citadelle de Lille en 1708, Lille, 1899, in-8°.

[14] On appelait ainsi le groupe des provinces septentrionales du royaume enlevées par la France aux Pays-Bas espagnols : Artois, Flandre maritime et Flandre wallonne, Cambrésis et Hainaut français.

[15] De Boislisle, Le grand hiver à la disette de 1709, Revue des Questions historiques, 1908.

[16] V. de Swarte, Claude Le Blanc, sa vie, sa correspondance, Dunkerque, 1900.

[17] Marquis M. de Vogüé, Malplaquet et Denain, Paris, 1892. Lieutenant Maurice Sautai, La bataille de Malplaquet d'après les correspondants du duc de Maine à l'armée de Flandre, Revue d'Histoire rédigée à l'État-Major de l'armée, 1902-1904. Voir, dans Saint-Simon, édition de Boislisle, t. XVIII, p. 511-524, une note sur la bibliographie de Malplaquet.

[18] Malplaquet est un hameau de la commune de Taisnières (arrondissement d'Avesnes), sur la frontière actuelle de la France.