HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE VIII. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE 1661 À 1685.

CHAPITRE IV. — LA GUERRE DE HOLLANDE[1].

 

 

I. — AVANT LA GUERRE ; NÉGOCIATIONS ET PRÉPARATIFS.

DESORMAIS, la Hollande était l'ennemie, Louis XIV résolut de l'anéantir. Le mot anéantissement fut prononcé dans les Conseils.

Des causes diverses déterminèrent le Roi : son orgueil blessé par des manifestations de l'orgueil des Hollandais et par la liberté de leurs gazettes ; son antipathie monarchique et catholique pour cette république protestante ; à quoi s'ajouta la convoitise allumée en Colbert par le spectacle des richesses de ces marchands. Mais la raison principale de la guerre et qui aurait suffi à elle seule, fut qu'au moment où la France se trouvait en force de descendre par l'Escaut, la Meuse et le Rhin jusqu'à la mer du Nord, pour remplir ce qu'elle croyait son cadre naturel et historique, elle rencontra sur son chemin, comme disait le Roi, la barrière hollandaise.

Les quatre années qui suivirent la paix furent occupées par la préparation de la guerre. Deux épisodes pourtant s'y produisirent, la France et le Roi étant hors d'état de rester tranquilles.

Des officiers réformés après la paix et de jeunes gentilshommes occasionnaires demandèrent au Roi la permission d'aller se jeter dans Candie, où les Vénitiens étaient assiégés par les Turcs. Le Roi le leur permit, et même, à la prière de Venise et du pape, il envoya au secours de la ville assiégée un corps de 6.000 hommes et une flotte de 22 vaisseaux de guerre, 12 galères et 3 galiotes commandée par Beaufort. Le 94 juin 1669, les Français débarquèrent. Ils ne purent sauver la ville. Une attaque contre les assiégeants, mal soutenue par la flotte, manqua. 500 Français furent tués, parmi lesquels Beaufort. Les Turcs recevaient des secours ; les Vénitiens et les Français se querellaient. Les Français rembarquèrent, et Candie capitula en septembre.

L'année d'après, Louis XIV occupa la Lorraine. Le duc avait offert ses services à l'alliance de La Haye. En janvier 1669, le Roi le fit sommer de réduire son état militaire ; le duc n'ayant pas répondu, le duché fut envahi. Charles IV promit alors tout ce qu'on voulut. Mais, sitôt que les Français eurent le dos tourné, il rappela ses régiments qu'il avait envoyés en Luxembourg et en Franche-Comté. L'année d'après, au mois d'août, une armée marcha vers la Lorraine. Une loi martiale fut proclamée : point de quartier à quiconque résisterait dans des lieux jugés non défendables. Tout céda : les villes furent occupées par des garnisons françaises, et le pays frappé de contributions. Louis XIV fit savoir que, plus tard, il rendrait sa conquête. En prenant la Lorraine, il avait voulu couper aux Espagnols la communication directe entre la Franche-Comté, les Pays-Bas et le Luxembourg.

Un acte pareil aurait dû inquiéter l'Europe, l'Allemagne surtout, la Lorraine étant terre d'Empire. L'Allemagne s'émut en effet, mais l'émotion passa. A des représentations faites de la part de l'Empire, il fut répondu, de la part du Roi, que S. M. ne voulait point profiter de la Lorraine, mais qu'elle ne la rendrait jamais à la sollicitation de personne.

Après la conclusion de la paix, de Witt avait repris la conversation avec d'Estrades d'abord ; puis, lorsque celui-ci eut été rappelé en France, en punition d'avoir ignoré la Triple-Alliance, avec Pomponne, qui le remplaça. Mais cette conversation, pas plus que les précédentes, ne pouvait aboutir à rien. Une fois de plus, on cessa de causer. De Witt travaillait à consolider la Triple-Alliance. La Suède n'avait pas encore donné son adhésion définitive : elle attendait de l'argent. En mai 1668, par une convention signée à Londres, l'Angleterre et la Hollande lui avaient promis une somme, mais qui devait être payée par l'Espagne. L'Espagne s'en défendit longtemps, finit par s'engager. Le 31 janvier 1670, le Triple-Concert de La Haye, régla les contingents de troupes et de vaisseaux à fournir dans la guerre qui serait faite en commun au violateur quelconque de la paix d'Aix-la-Chapelle.

De Witt travailla le Danemark, les cantons Suisses, l'Allemagne. L'Empereur fut sollicité avec de particulières instances. Lisola, de La Haye où il était alors, excitait son mettre à l'énergie. Le débile Léopold promit à la fin de 1670 de défendre les Pays-Bas, s'ils étaient attaqués ; il parla même d'adhérer à la Triple-Alliance, puis se déroba, Grémonville le ressaisissant toujours ; puis, en 1671, il s'offrit à nouveau à la Triple-Alliance. Personne ne pouvait compter sur lui.

Cependant Colbert aggravait ses tarifs, s'irritait contre les représailles, menaçait. L'attitude de Pomponne à La Haye était inquiétante. Louis XIV ne cachait pas les ressentiments de son orgueil. De Witt comprit qu'il fallait armer en guerre les Provinces-Unies. Il eut beaucoup de peine à y décider ses amis du parti bourgeois. En octobre 1669, il demanda que l'armée, réduite à 32.000 hommes après la paix d'Aix-la-Chapelle, fût portée à 50.000. Il n'obtint qu'un renfort de 5 à 6.000 hommes. Il insista ; mais la province de Hollande, qui payait à elle seule la moitié de l'entretien, ne voulut rien entendre. Ce fut seulement au début de 1672 que les États-Généraux votèrent une levée de 20000 hommes ; quelques mois après, l'armée, grossie par de nouvelles levées, en compta 80.000. En même temps fut rétablie la milice des villes que Maurice de Nassau avait supprimée. Il fallut bien nommer capitaine-général le prince d'Orange. Cela fut fait en février. Il est vrai qu'on le nomma seulement pour la durée d'une campagne, et qu'on lui adjoignit des commissaires, députés par les États-Généraux, sans l'aveu desquels il ne pourrait rien faire.

L'armée hollandaise était en mauvais état Elle souffrait de tous les défauts du régime des levées, que Louvois avait en partie extirpés : soldats recrutés et soldés par des officiers tricheurs, et mal disciplinés, prompts à déserter. Le service des vivres était si mal organisé qu'à la fin d'avril 1672, un colonel se plaignait à de Witt que les troupes n'eussent pas de vivres, et ne pussent même s'en procurer à prix d'argent. Pour les munitions, ce fut une plus étrange histoire : une grande partie en fut achetée par un agent de Louvois. Quantité de places fortes étaient disséminées dans les provinces, mais mal gardées, mal entretenues. Les remparts étaient encombrés de maisons ; sur les bastions fleurissaient les tulipes des jardins bourgeois.

Du côté France, tout s'annonçait d'autre façon, La campagne diplomatique menée par Lionne est admirée aujourd'hui encore, bien que le succès en ait été fragile.

Le roi d'Angleterre négociait avec la cour de France secrètement. Il avait résolu de mettre à exécution le projet de se convertir. A la fin de janvier de l'année 1669, il consulta les chefs du parti catholique sur les moyens de restaurer le catholicisme, disant qu'il fallait sans plus tarder se mettre à l'œuvre, qui serait longue et difficile. Il avait expliqué tout son plan à Colbert de Croissy, ambassadeur de France. Il l'avait assuré que ni lui ni ceux à qui l'entreprise était confiée par lui n'étaient des fous. Sans doute, il aurait affaire à l'Église anglicane ; mais les presbytériens et autres non-conformistes détestaient cette Église, et ils ne lui en voudraient pas de se faire catholique, s'il leur donnait la liberté, comme il comptait le faire. Ma conscience, disait-il, et le désordre que je vois chaque jour grandir dans mon royaume et qui tend à diminuer mon autorité, me contraignent à me déclarer catholique ; outre les avantages spirituels... je suis convaincu que c'est le seul moyen de rétablir la monarchie. Pour exécuter son dessein, un coup de force était nécessaire : J'ai de bonnes troupes, disait-il à Croissy  ; mais il fallait payer ces troupes, les augmenter beaucoup. Il ne pouvait demander de l'argent à son Parlement, et il aurait bien voulu ne point s'adresser à la générosité de Louis XIV. De Lionne raconte que pour se dispenser de recourir, dans des moments de gêne, à l'argent du roi de France, lui et son ministre Buckingham cherchaient la pierre philosophale. Ils ne la trouvèrent pas. Et Charles sollicita quelques avances de Louis. C'était pour parler de la chose que Croissy avait été envoyé en Angleterre. Après avoir longtemps hésité à franchir un pas qu'il savait périlleux, Charles, au mois de décembre, remit à l'ambassadeur un projet de traité, qu'on discuta les premiers mois de l'année suivante. Pour parfaire la négociation, la belle-sœur du Roi, Madame, alla en Angleterre. Henriette d'Angleterre était tendrement aimée de son frère, le roi Charles. D'ailleurs elle enchantait tous ceux sur qui elle laissait tomber les yeux. Le 1er juin 1670, le traité de Douvres fut signé.

On lit à l'article II que le roi Charles est convaincu de la vérité de la religion catholique, et résolu d'en faire sa déclaration et de se réconcilier avec l'Église romaine aussitôt que le bien des affaires de son royaume lui pourra permettre, mais qu'il prévoit la résistance de quelques esprits brouillons et inquiets. Par l'article V, les deux rois s'engagent à faire la guerre aux États-Généraux, lesdits seigneurs rois ayant, chacun en son particulier, beaucoup plus de sujets qu'ils n'en auraient besoin pour justifier dans le monde la résolution qu'ils ont prise, de mortifier l'orgueil des États-Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, et d'abattre la puissance d'une nation, qui a l'audace aujourd'hui de se vouloir ériger en souverain arbitre et juge de tous les autres potentats. — Les dépenses de la guerre par terre seraient faites par le roi de France, à la disposition duquel le roi d'Angleterre mettrait un corps de 6.000 hommes. Pour la guerre de mer, le roi d'Angleterre armerait 50 gros vaisseaux et le roi de France 30, plus 10 brûlots ; la flotte alliée serait commandée par le duc d'York. Charles II recevrait, jusqu'à la conclusion de la paix, un subside annuel de trois millions de livres, deux millions pour ses armements, etc. Il n'oubliait pas, au reste, les intérêts de son pays : l'Angleterre obtiendrait, à la paix, des villes et des places, parmi lesquelles Middelbourg, Flessingue, c'est-à-dire qu'elle s'établirait aux bouches de l'Escaut. Il est singulier que la France ait accepté une pareille condition. Lorsque le traité fut communiqué à Pomponne après la signature, il en fit voir les suites dangereuses. L'Angleterre, outre qu'elle serait devenue, après la défaite de la Hollande, la maîtresse de la mer, aurait pris pied en terre ferme, et dans le meilleur pays du monde. Lionne, qui n'était pas impeccable, lui avoua en riant : De bonne foi, lorsque nous avons fait le traité, nous n'avons pas fait réflexion que Middelbourg et Flessingue étaient dans l'ile de Walcheren.

Ce traité ne fut connu et signé que par les conseillers catholiques de Charles II. Comme il était impossible de ne pas en faire quelque part aux conseillers protestants, le roi simula une négociation nouvelle, d'où sortit, en décembre 1670, un autre traité. La clause de la catholicité y avait été omise ; la part de l'Angleterre dans la dépouille de la Hollande, augmentée. Par une lettre secrète, Charles déclara s'en tenir au traité de Douvres.

Outre les subsides, le Roi fournissait une maîtresse à Charles II. Madame avait présenté à son frère une très belle jeune fille, qui devint bientôt une duchesse en Angleterre.

La Hollande et la France se disputèrent l'alliance de la Suède :

Les choses, écrivait à de Witt en juillet 1668 l'ambassadeur de Hollande à Stockholm, sont dans une telle situation qu'il leur faut de l'argent et qu'il leur vienne du dehors, en sorte que celui qui le leur fournira l'emportera sur celui qui ne le pourra faire.

Ce n'était pas seulement l'État qu'il fallait gratifier ; c'étaient aussi les hommes d'État. Le même ambassadeur écrivait en février 1669 :

On ne doit pas négliger l'avantage qu'on peut tirer d'une judicieuse distribution de quelques sommes d'argent, surtout dans un royaume où tout est fort cher où l'on a coutume de dépenser plus que l'on a, où l'on ne fait rien pour rien, et où chacun préfère le particulier au public.

Louis XIV envoya en Suède Pomponne, qui arriva au commencement d'avril 1671 à Stockholm. L'ambassadeur eut affaire au parti qui pensait, peut-être bien avec raison, qu'il fallait prendre avec la maison d'Autriche contre la France les mêmes engagements qu'on avait pris autrefois avec la France contre la maison d'Autriche. Il n'avait pas achevé sa négociation, lorsqu'il fut rappelé en France, pour succéder à Lionne, mort le 1er septembre. Il demanda la permission de rester pour terminer l'affaire. Le 2 décembre, un traité était dressé ; mais Pomponne ne put le signer avant de partir : on ne s'était pas accordé sur l'article des subsides, qui demeura en blanc. Louis XIV ne voulait pas donner plus de 200.000 écus par an pendant les années de paix ; la Hollande en offrit 380000. Le Roi monta à 400.000 ; la Hollande proposa 720.000 écus une fois donnés, mais payables en un seul versement et d'avance. Le successeur de Pomponne reçut l'ordre de signer aux conditions dites ou de partir. Le 14 avril 1672, le traité fut enfin conclu. Le roi de Suède s'engageait, au cas où l'Empereur ou un prince allemand voudrait intervenir dans la guerre contre la Hollande, à s'y opposer, d'abord par voie amiable, puis par les armes. Il enverrait en Poméranie ou dans le duché de Brème 10000 hommes de pied et 6.000 chevaux.

En Allemagne, les princes laïques ou d'Église se scandalisaient de mourir de faim, eux les fils de tant d'ancêtres, pendant que le bourgeois de Hollande, Monsieur Dimanche, s'engraissait. A Vienne, comme à Londres et à Paris, on détestait la prétention des Hollandais, de se faire arbitres et juges entre les potentats. Enfin, les princes allemands n'avaient te choix qu'entre deux politiques : s'unir contre la France tous ensemble, ou s'accommoder, chacun pour soi, avec elle. Comme ils se jalousaient les uns tes autres, ils acceptèrent et même sollicitèrent des arrangements avec la France, où ils trouvaient la douceur des subsides.

L'électeur de Brandebourg, héritier éventuel de la maison d'Orange, et d'ailleurs, in petto, patriote allemand et ferme calviniste, et, pour ces deux raisons, l'ennemi de cœur de la France, osa, il est vrai, parler d'une médiation entre Louis XIV et les États-Généraux et même, par le traité de Cologne-sur-la-Sprée (Berlin), le 6 mai 1672, il promit aux États un secours de 20.000 hommes, moyennant un subside de 79.543 écus par mois. Mais Frédéric-Guillaume de Brandebourg fut seul à braver le roi de France.

L'électeur palatin, Christian-Louis, dont la fille venait d'épouser Monsieur, ne voulut pas s'allier avec Louis XIV, car il était naturellement fier et éloigné de se commettre dans une affaire difficile. Mais il promit sa neutralité. L'électeur de Trèves, Charles-Philippe von Layen, se conduisit dans les pourparlers avec tout le respect et la considération qu'il professait à l'égard du Roi, car il voulait garder l'honneur des bonnes grâces de S. M. L'électeur de Saxe, Jean-Georges, fut sollicité par l'Empereur et le Brandebourg de se prononcer contre la France. Mais le Roi lui fit porter 30.000 écus, avec une épée enrichie de diamants pour le prince électoral et des cadeaux pour les ministres. Jean-Georges promit de ne pas bouger. L'électeur de Mayence, Philippe de Schœnborn, était fort embarrassé. Il avait essayé en 1670 et en 167i de former une ligue de princes allemands pour garantir l'indépendance de l'Allemagne. Au cours des discussions auxquelles prirent part son ministre Boineburg et Leibniz, alors conseiller à la Cour suprême de Mayence, était née l'idée d'une politique nouvelle de la chrétienté. A présent que l'Espagne n'était plus redoutable à l'Europe, il s'agissait de contenir l'ambition des Français. L'Allemagne y pourvoirait en se mettant en état de se défendre ; mais il serait bon de tourner d'un autre côté les ambitions de la France. On lui rappellerait sa destinée providentielle, qui est de représenter la chrétienté au Levant ; on lui conseillerait de conquérir te nord de l'Afrique et l'Égypte, un des lieux les mieux situés du monde. Cette idée, Leibniz l'avait présentée dans un traité, le De securitate imperii. A la fin de l'année 1671, l'Électeur proposa donc à Louis XIV la conquête de l'Orient, et Leibniz écrivit un projet dont une analyse fut envoyée en France. Pomponne répondit par une dépêche polie. D'autres mémoires succédèrent. En mars 1672, Leibniz vint à Paris plaider son rêve. Aujourd'hui, on voit bien qu'il aurait été heureux pour la France qu'elle trouvât devant elle une Allemagne assez forte pour se faire respecter, et qu'elle prit position dans le Levant, et qu'elle creusât le canal de Suez, comme Leibniz l'y invitait. Et l'idée semble belle, parmi tout ce fatras de laides et basses négociations. Mais personne en France n'y prit garde au XVIIe siècle. L'électeur de Mayence se rabattit à offrir sa médiation entre la France et la Hollande au mois de mars 1672. L'offre fut déclinée. L'Électeur ne conclut pas un traité avec la France, mais il ne se lia pas non plus avec la Hollande.

L'électeur de Bavière, Ferdinand-Marie, avait épousé Adélaïde de Savoie, fille de Victor-Amédée et de Madame Christine, la sœur de Louis XIII de France. Adélaïde s'imaginait qu'elle aurait épousé Louis XIV, si sa mère, qui aimait à plaire et qui craignait, pour un reste de ses agréments d'autrefois, la comparaison avec la beauté de sa fille, ne s'était hâtée de la marier en Bavière. Elle était très puissante auprès de son mari. Lorsque Louis XIV demanda pour le Dauphin la main de la princesse électorale Marie-Anne-Victoire-Christine, elle fut ravie, car elle ne souhaitait rien si fortement à ... sa fille qu'un bonheur semblable à celui qu'elle avait désiré avec tant d'ardeur pour elle. En février 1670 furent signés le traité du mariage et un traité d'alliance. L'Électeur recevrait un subside annuel de 500.000 florins d'Allemagne. Il promettait, si la succession d'Espagne donnait lieu à une guerre, de travailler à empêcher le Reichstag d'y soutenir l'Empereur. Il promettait aussi de faire élire Louis XIV empereur, si la dignité devenait vacante. — Pareil engagement se retrouve en d'autres traités conclus par le Roi. Ce qui ne veut pas dire, au reste, qu'il ait jamais sérieusement pensé à l'Empire.

L'électeur de Cologne, Maximilien de Bavière, livra son électorat. Toujours occupé à la recherche des secrets de la chimie, il était gouverné par deux clients de la France, Guillaume-Egon et François-Egon de Furstenberg, dont le premier était évêque de Strasbourg. D'ailleurs, il avait plus que tout autre à se plaindre des Hollandais, qui soutenaient contre lui les prétentions de la ville de Cologne à être indépendante en sa qualité de ville impériale. Le 11 juillet 1671, par le traité de Hildesheim, il se déclarait neutre, mais il permettait aux troupes françaises d'entrer dans ses États qui comprenaient, avec l'électorat, l'évêché de Liège, et d'établir un pont sur le Rhin et des magasins à Neuss, Kaiserswerth et autres lieux. Le 2 janvier 1672, il faisait mieux ; il concluait avec le Roi une alliance offensive par le traité de Brühl Le Roi attaquerait la Hollande avec deux armées de 50 à 60.000 hommes chacune ; le contingent de l'Électeur serait de 17 à 18.000 hommes ; il toucherait son subside mensuel qui serait porté à 28.000 écus. Le 19 janvier, l'Électeur céda au Roi moyennant finances la ville de Neuss pour trois ans.

D'autres traités signés avec le duc de Hanovre, qu'il fallut payer cher, parce qu'on lui offrait ailleurs des partis avantageux, avec le prince-évêque d'Osnabrück, les évêques de Munster et de Paderborn, achevèrent l'œuvre de la diplomatie. C'était une œuvre stratégique. Comme la France n'était pas en guerre avec l'Espagne, ses armées ne pouvaient traverser les provinces espagnoles ; elle n'avait pas de base d'opérations contre la Hollande, et il fallait qu'elle s'en procurât une à l'Est des Provinces-Unies. Les traités conclus la lui donnèrent. Cologne, Liège, Munster, Osnabrück, Paderborn enveloppaient la Hollande au Sud et à l'Est. Cologne-Liège ouvrait à Louis XIV les routes de la Meuse et du Rhin. Munster et Osnabrück protégeaient les derrières de l'armée. Aussi le Roi admirait-il la puissance de son or : J'ai fait sortir de France des millions pour mes alliés. J'ai répandu des trésors, et je me trouve en état de faire craindre mes ennemis, de donner de l'étonnement à mes voisins et du désespoir à mes envieux.

L'Empereur avait laissé Louis XIV acheter tous ces princes d'Empire. Après avoir été tenté de se déclarer contre la France, il avait consenti, le 1er novembre 1671, un traité de neutralité, à condition que la guerre se fît hors de l'Allemagne Il savait les alliances des princes allemands avec la France, il était préoccupé du côté de la Hongrie, il n'avait pas d'argent, lui aussi, lui-même, le chef de la Chrétienté, il en avait demandé à la France. Un de ses ministres avait avoué à Grémonville que, pas plus que les princes allemands, Léopold n'était en état de faire bouillir sa marmite.

Cependant Louvois mettait la dernière main aux préparatifs qu'il avait commencés le lendemain de la paix d'Aix-la-Chapelle. Il avait trouvé le moyen, comme il dit, d'entretenir au Roi boutes les troupes qu'une paix comme celle-ci pouvait faire désirer de conserver sur pied. Il garda en effet 60.000 fantassins et 10.000 chevaux. En 1672, il forma huit régiments de cavalerie, puis deux régiments d'infanterie irlandaise, un régiment d'infanterie écossaise, un régiment d'infanterie anglaise, un régiment d'infanterie allemande, un régiment d'infanterie espagnole ; 3.000 hommes furent levés dans l'Italie du Sud, qui formèrent le Royal-Italien, et 2.000 en Suisse. Gênes fournit 1.200 hommes, et le duc de Savoie trois régiments dont le Roi nomma les officiers. L'armée française comptait au début de la guerre 176.000 hommes. L'artillerie de campagne et l'artillerie de siège étaient très puissantes. Des grains qu'on avait achetés en Hollande et en Allemagne étaient emmagasinés dans l'électorat de Cologne, à Bonn, Neuss el Kaiserswerth. La France était si bien chez elle dans le pays de Cologne que du canon y fut transporté à l'avance, et que Luxembourg, Louvois lui-même y allèrent étudier les lieux et inspecter les troupes électorales.

Les États-Généraux essayèrent de détourner l'orage par des prières. Le 4 janvier 1672, leur ambassadeur remit au Roi une lettre où ils déclaraient que, cherchant en quoi ils pouvaient avoir déplu, ils ne le trouvaient pas. Nous sommes prêts, disaient-ils, à faire tout ce qui pourra persuader Votre Majesté de la parfaite inclination que nous avons à lui rendre l'honneur et la déférence qui est due à sa personne aussi bien qu'à sa haute dignité, à lui faire avoir toute la satisfaction qu'elle pourra raisonnablement prétendre de ses meilleurs et plus dévoués alliés. Le Roi ne daigna pas entrer en explication. Il ne daigna même pas déclarer la guerre. Il se contenta, le 6 avril 1672, de l'annoncer par un placard où il en attribuait le sujet à la mauvaise satisfaction qu'il avait des États-Généraux. L'Angleterre avait fait sa déclaration le 29 mars.

 

II. — L'ATTAQUE ET L'ÉVACUATION DE LA HOLLANDE, 1672-1674.

POUR l'invasion de la Hollande, 120.000 hommes étaient prêts, répartis entre deux armées. Ce fut la première fois, dans les temps modernes, qu'aine pareille masse était rassemblée.

Une armée de 80.000 hommes, commandée par le Roi et par Turenne, se porta de Charleroi vers la Meuse, qu'elle atteignit près de Maëstricht. Le Roi s'appliqua fort à diriger cette marche. Il en écrivit tous les ordres de sa main. Il connaissait à merveille le terrain par l'étude qu'il avait faite des cartes. Il aimait qu'on admirât sa science ; Pellisson, qui l'accompagnait, raconte : Nous l'avons vu ces jours passés à son petit coucher, en se jouant, le dos tourné à une grande carte géographique faite exprès, mettre le doigt sur tous les endroits de conséquence qu'on lui pouvait nommer. Il restait à cheval des journées qui commençaient au plus tard à cinq heures, souvent à trois, ne se reposant qu'un moment l'après-dîner. Il observait attentivement les mouvements des troupes : Il n'y a pas de général qui puisse remarquer mieux... d'un coup d'œil les mouvements irréguliers, y donner un plus prompt remède. Dans les plaines ouvertes, à l'est de Charleroi ce fut, pour des yeux épris de rectitude, une cime très belle à voir... que ces grands corps d'infanterie et de cavalerie marchant en si bon ordre, en bataillons et escadrons égaux, à distances égales, sans rien entre deux, à peu près comme les compartiments d'un parterre[2].

Condé, parti de Sedan avec 40.000 hommes, joignit la principale armée près de Maëstricht, le 22 mai. La ville, qui appartenait à l'électeur de Cologne, était en gages aux mains des Hollandais, qui l'avaient bien fortifiée. Ils espéraient que les Français s'arrêteraient à en faire le siège ; mais la marche immédiate vers le Rhin fut décidée. Condé passa le fleuve à Kaiserswerth, descendit la rive droite, assiégea Wesel. Sur la rive gauche, l'armée du Roi attaqua Buderich, Orsoy et Rheinberg. De ces quatre places, les trois premières appartenaient à l'électeur de Brandebourg comme duc de Clèves, et la quatrième à l'électeur de Cologne Les Hollandais les occupaient au même titre que Maëstricht. Le Roi se plut à commander quatre sièges en même temps.

J'ai estimé plus avantageux à mes desseins, écrit-il à Colbert, et moins commun pour la gloire d'attaquer tout à la fois quatre places sur le Rhin et de commander actuellement en personne à quatre sièges. J'espère qu'on ne m'accusera pas d'avoir trompé l'attente publique.

En quatre jours, du 3 au 7 juin, les quatre places se rendirent. Condé et Turenne continuèrent leur marche sur les deux rives ; l'un s'empara d'Emmerick, le 8 juin, et l'autre de Rees, le 9. Il n'avait fallu que neuf jours pour enlever les six forteresses qui défendaient du côté de l'Est l'accès de la Hollande. Le Roi ayant passé sur la rive droite à Wesel, le 9 juin, l'énorme armée se trouva réunie. Elle attaqua par un point où elle n'était pas attendue.

Au-dessous d'Emmerick, le Rhin verse à l'Ouest la plus grande partie de ses eaux, qui, sous le nom de Waal, descend vers la mer du Nord. Le reste du fleuve continue d'abord dans la direction du Nord-Ouest, puis, au point où s'élève Arnheim, tourne à l'Ouest vers la mer, où il arrive à l'état de filet mince. Au coude d'Arnheim, un canal — l'ancien fossé de Drusus — met en communication le Rhin avec l'Yssel, qui descend vers le Zuyderzée. La province de Hollande s'étendant entre l'Yssel et la mer du Nord, passer cette rivière était le plus commode chemin pour atteindre Amsterdam. Aussi les Hollandais en avaient-ils fortifié la rive, et le prince d'Orange se tenait derrière avec le gros des forces hollandaises. Ces forces, d'ailleurs, n'étaient que d'une vingtaine de mille hommes, le reste des troupes ayant été distribué entre les garnisons des provinces. Le cours du Rhin, entre la fourche du Waal et Arnheim n'avait pas été mis en état de défense. Un seul fort, celui de Schenk, s'élevait à la fourche même. Le Conseil de guerre du Roi décida de tromper l'ennemi par des démonstrations sur l'Yssel et de franchir le Rhin. Il fallut faire vite, car le prince d'Orange, soupçonnant le projet, détachait des troupes dans cette direction. Le II juin, un officier de l'avant-garde française eut connaissance d'un passage à peu près guéable, au-dessous de Schenk, en face d'une maison de douane, le Tolhuis. Le 12, de grand matin, pendant qu'on commençait à construire un pont de bateaux, des escadrons de la maison du Roi s'engagèrent dans le fleuve. Sur la rive gauche attendaient quelques escadrons de cavalerie et un régiment d'infanterie hollandaise. Cette infanterie s'avança dans l'eau et tira. La fusillade troubla la petite troupe des cavaliers français, mais des renforts la soutinrent. L'artillerie donna sur les Hollandais ; leur cavalerie se retira et leur infanterie parlementa. Condé venait de passer en bateau avec son fils et son neveu Longueville. Longueville et quelques jeunes gens se jetèrent sur les Hollandais, en criant : Point de quartier pour cette canaille ! Les Hollandais tirèrent, et Longueville fut tué. Un capitaine ennemi courut à Condé, qui montait à cheval. Il faillit lui brûler la cervelle, mais le prince détourna le coup, qui lui fracassa le poignet gauche. La petite troupe hollandaise fut à peu près massacrée. Le Roi passa le fleuve sur le pont qu'on avait achevé, et l'armée suivit.

Aussitôt, le prince d'Orange dut abandonner la ligne de l'Yssel. Aux nouvelles reçues, toutes les provinces s'affolèrent. Chacune voulait ravoir ses régiments pour se défendre. La province de Hollande prétendait que l'armée se concentrât sur sa frontière, couvrant Amsterdam. Il fallut que le prince d'Orange laissât se séparer les régiments d'Overyssel, de Groningue et de Frise. Avec le reste, il recula jusqu'à Utrecht, plus loin encore. Il occupa une ligne de postes du Leck au Zuyderzée. Il n'avait plus avec lui qu'une douzaine de mille hommes. Turenne s'empara d'Arnheim, et fit tomber les places de l'Yssel. Les troupes alliées de Cologne et de Munster ravagèrent la province d'Overyssel. Le gros de l'armée, sous les ordres du Roi, assiégea et prit plusieurs places. L'apparition de quelques chevaux français suffisait à faire capituler les villes. Utrecht se rendit le 20 juin.

Amsterdam se croyait perdue[3]. Elle avait l'ennemi à ses portes ; Naarden, sur le Zuyderzée, fut prise, et quelques cavaliers poussèrent jusqu'à Muyden, qui n'est qu'à 10 kilomètres de la grande ville. Là se trouvaient des écluses, dont l'ouverture pouvait inonder le pays. Mais cette avant-garde française était trop peu nombreuse. L'avis de Condé, qui était d'envoyer, sitôt le Rhin passé, six mille chevaux et des dragons vers Amsterdam, n'avait pas été suivi. Le prince n'était point là pour soutenir le parti de l'audace, sa blessure, puis les gouttes et la fièvre le tinrent plusieurs mois éloigné de l'armée. Turenne était prudent ; plus que lui encore l'étaient le Roi et Louvois.

Le Roi, plus conquérant que guerrier, comme a dit le duc d'Aumale, aimait à prendre des villes et à les faire garder par des garnisons. Il s'enorgueillissait du catalogue des villes prises. Une semaine fut ainsi perdue, après le passage du Rhin, à faire de faciles conquêtes. Or, le 20 juin, les écluses de Muyden furent ouvertes. Trois jouie durant, les eaux se répandirent sur la plaine basse, et Amsterdam devint une île du Zuyderzee. La province de Hollande prit courage, et fit de nouvelles levées d'hommes ; les équipages de la flotte, débarqués, renforcèrent les garnisons. De Witt et le prince d'Orange travaillaient ensemble à la défense nationale. De Witt disait : Nous devons nous servir d'Amsterdam comme du cœur de l'État pour porter secours à tous ses membres, afin que, sous la garde de Dieu, nous disputions le pays à l'ennemi jusqu'au dernier homme avec une constance batave.

Il négociait dans l'Europe entière. Retourner l'Europe du jour au lendemain n'était pas possible, mais déjà des secours s'annonçaient. L'Espagne aidait indirectement la Hollande en lui envoyant les troupes bataves qui servaient dans ses provinces. L'Électeur de Brandebourg, inquiet du sort de ses places du pays de Clèves — celles qui avaient été engagées aux États-Généraux — et craignant que les Français, qui les avaient prises, ne les rendissent jamais, préparait le secours de 20000 hommes promis au traité de Cologne-sur-la-Sprée. Mais il n'osait ni ne pouvait guère entrer seul en guerre, et il sollicitait l'appui de l'Empereur. Par le traité conclu le 23 juin, à Berlin, Léopold et lui s'engagèrent à maintenir le traité de Westphalie et la paix de l'Empire. Chacun d'eux devait fournir à cet effet un contingent de 12.000 hommes.

Mais la Hollande était sous le couteau. Elle demanda la paix. Le 29 juin, ses plénipotentiaires, Groot et Ghent, se présentèrent devant le Roi. Ils offrirent Maastricht, les villes du Rhin que les Français avaient prises, et les pays de la Généralité. On appelait ainsi des territoires que les Hollandais avaient conquis sur le Brabant espagnol et la Flandre, et qui vivaient sous un régime à part, n'ayant pas été incorporés aux Provinces-Unies. Il s'y trouvait entre autres villes Bois-le-Duc, Bréda et Berg-op-Zoom. Si Louis XIV avait accepté ces offres, il aurait, par ses nouvelles possessions, pris à revers les Pays-Bas espagnols, dont la conquête eût été ainsi assurée. Peut-être il en soupçonna la sincérité, qui, en effet, n'est pas certaine, car les Hollandais avaient grand intérêt à gagner du temps, pour laisser venir les secours. Louis XIV exigea tout le sud des Provinces-Unies, dont la frontière serait ramenée au Leck ; la conservation de ses conquêtes, accrues de Crèvecœur, Bois-le-Duc et Maëstricht  ; des satisfactions pour ses alliés de Cologne, de Munster et d'Angleterre ; la liberté à tous les Français de voyager dans les Provinces sans être soumis aux visites et droits de passage ; la suppression de tous les édits de commerce rendus en représailles aux édits de Colbert ; l'exercice public du culte catholique[4]  ; un traitement assuré aux curés et desservants ; une indemnité de 24.000.000 de livres (au lieu de 10 qui avaient été offerts) ; et enfin la promesse d'une ambassade annuelle qui lui apporterait une médaille d'or en témoignage de la grâce qu'il avait faite à la République de lui laisser la liberté qu'elle avait acquise par le secours de ses ancêtres. Les envoyés hollandais discutèrent ces conditions, obtinrent quelques adoucissements et un délai de cinq jours pour aller en référer aux États. Louvois s'attendait à les voir revenir au jour dit : Ou je me suis trompé, écrivait-il à son père, ou ils viendront signer tout ce qu'on leur a demandé. Ils ne revinrent pas.

Une révolution se préparait dans la République. Le 21 juin, un assassin avait manqué de Witt. Il fut exécuté, mais un pasteur le compara à l'ange de la Bible, qui avait lutté contre Jacob. Ce libelle se vendit à des milliers d'exemplaires. La popularité du prince d'Orange montait comme un ras de marée. Les vieilles passions énergiques, qui avaient créé la singulière merveille de cet État, se renflammaient. Et la volonté de rester libres réconciliait par endroits les partis adverses, paysans et bourgeois, républicains et orangistes. Cinq provinces élurent stathouder Guillaume d'Orange ; le 8 juillet, les États-Généraux le proclamèrent stathouder de la République. Guillaume avait alors vingt-deux ans. Né quelques semaines après la mort de son père, son enfance et sa jeunesse avaient été tristes. C'était une sorte de prince déchu, un fils de Tarquin, surveillé, gardé par les consuls de la République. Choyé et suspecté, le jeune homme s'enferma en lui-même ; comme son grand ancêtre, Guillaume Ier, il fut un taiseux. Maladif, sans grâce, sans passion de jeunesse, il entretenait, masqué de flegme hollandais, ses rancunes contre le patriciat, son espoir de revanche, une ambition prête à toutes les audaces, et peut-être une ardeur de foi calviniste. Il était, a dit Voltaire, valeureux sans ostentation, ambitieux, mais ennemi du faste ; né avec une opiniâtreté flegmatique, fait pour combattre l'adversité, aimant les affaires de la guerre, ne connaissant ni les plaisirs attachés à la grandeur ni ceux de l'humanité, enfin presque en tout l'opposé de Louis XIV. Les deux grands adversaires politiques de la seconde moitié du XVIIe siècle, se trouvaient en présence.

La défense devint plus énergique encore. Des digues que l'on avait respectées furent crevées. Le Roi, qui avait pris Nimègue, fut arrêté par les eaux devant Bois-le-Duc. Et l'Empereur traitait avec les États-Généraux, le 22 juillet ; ses troupes allaient bientôt rejoindre sur le Rhin celles de l'électeur de Brandebourg.

En Hollande, la haine contre Jean de Witt s'enfiévrait. Elle s'en prit d'abord à son frère Cornélis, qu'un misérable accusa d'avoir attenté à la vie du prince d'Orange. Cornélis fut emprisonné. Broyé par la torture, il refusa l'aveu de crimes qu'il n'avait pas commis. Le e août, quelqu'un alla dire à Jean que son frère désirait le voir. C'était un piège ; Jean se rendit à la prison ; une bande força les portes et massacra les deux frères.

Jean de Witt, le philosophe, qui aima la tolérance et même la liberté, l'esprit cultivé, le bon orateur, le clair écrivain, était un homme de plus de valeur humaine sans comparaison que Guillaume d'Orange et Louis XIV. Il les avait tenus en échec l'un et l'autre, jusqu'au jour où ils s'étaient unis contre lui. Ensemble, ils l'accablèrent. Au reste, il ne pouvait longtemps se soutenir, étant l'homme d'un parti. Il détestait les soldats, les prédicants et la plèbe, qui, ensemble, avaient fondé la République. De Witt fut un de ces bourgeois qui, en tous les temps, acceptent les révolutions sous bénéfice d'inventaire, et prennent, dans l'inventaire, la part qui leur convient. Et puis, pour faire vivre son régime dans les Provinces-Unies, il eut besoin de la paix. Il fit des merveilles d'habileté pour la maintenir ; mais l'invasion de la Hollande condamna toute sa politique. Il fut l'homme qui s'est trompé. Il fut l'homme qui est la cause de tout le mal.

Les prédicants, les Orangistes, se réjouirent ; la foule tripota dans un cabaret les cœurs arrachés des deux frères, et mutila les cadavres ; un homme acheta un doigt de Jean de Witt pour deux sous et un pot de bière, et ce qui restait des corps fut attaché au gibet ; un pasteur présida cette cérémonie. Après quoi, les États-Généraux, que de Witt avait conduits pendant dix-neuf années, défendirent aux juges de connaître de sa mort. Le prince d'Orange, qui avait à tout le moins laissé faire les Orangistes, pensait que le temps ne convenait pas à l'emploi de caustiques. Il était devenu maitre de l'État, que de Witt avait gouverné. Louis XIV, artisan de la fortune de Guillaume, perdit au change.

Il n'était plus possible aux Français que de faire les quelques sièges que les eaux et les marées permettraient. Aucun n'étant assez important pour mériter la présence du Roi, Louis XIV rentra en France. Luxembourg fut laissé en Hollande.

Une partie des forces françaises avait dû être distraite pour faire face aux Impériaux et aux Brandebourgeois. Lorsque ceux-ci s'étaient trouvés réunis sur le Rhin, les alliés de la France. Cologne et Munster, avaient appelé au secours. Turenne marcha au fleuve qu'il remonta jusqu'à Andernach où il fit construire un pont, qui assurât ses mouvements sur les deux rives. Bien qu'il eût peu de troupes avec lui, il réussit, par la perfection de sa tactique, à contenir les coalisés. Ceux-ci, d'ailleurs, ne s'accordaient pas. La vieille inimitié durait entre Habsbourg et Hohenzollern, et les gens de Vienne aimaient mieux se passer de lauriers que de les partager avec les gens de Berlin. Or, si Vienne, Berlin, et le prince d'Orange s'étaient accordés, la campagne de 1672 aurait pu mal finir pour la France. Louis XIV eut de très mauvaises journées en décembre. Luxembourg, dont le quartier-général était à Utrecht, essaya, quand la glace permit de marcher sur la terre inondée, de se porter sur La Haye et sur Amsterdam ; mais le dégel arrêta sa marche aventureuse et pénible. Pendant ce temps, Guillaume tenta, lui aussi, un grand coup, Son armée était renforcée de 20.000 soldats, que l'armée française avait faits prisonniers, et que Louis XIV avait imprudemment renvoyés pour faire une manifestation de dédain. Monterey, gouverneur des pays espagnols, lui donna en dessous-main des troupes et du canon. Le prince marcha sur la Meuse pour couper les communications avec la France de l'armée demeurée en Hollande. Le 15 décembre, il était devant Charleroi. Louis XIV fut très inquiet ; lui, qui avait cru soumettre la Hollande en une campagne — il avait nommé les états-majors des principales places des Sept Provinces, — voyait déjà le royaume envahi, l'ennemi à Avesnes ou même à Saint-Quentin. Il s'était porté à Compiègne. Il se relevait, la nuit, pour écrire à Louvois : Je suis dans une inquiétude furieuse. Enfin, dans la nuit du 23 au 24, il apprit que le prince d'Orange abandonnait le siège de Charleroi. Il remercia le comte de Montai, qui avait défendu la ville : Ce me sera un motif perpétuel de vous donner dans les rencontres des marques de ma bienveillance.

Au début de l'an 1673, Turenne eut un grand succès. Il était demeuré dans ses cantonnements du Rhin ; il ne s'y reposa pas. Tout l'hiver, il combattit pour montrer que nos Français font encore mieux la guerre en hiver que les Allemands. En plein janvier, il pénétra par Wesel en Westphalie, où les Impériaux et les Brandebourgeois vivaient sur les territoires d'alliés du Roi. Il les délogea, les harassa ; ils reculèrent. L'électeur Frédéric-Guillaume demanda la paix, qui lui fut accordée en juin par le traité de Vossem, avec un subside de 700.000 livres. Ceux d'Allemagne croient que c'est un songe, a dit Turenne. Le maréchal avait en effet désarmé un des plus sérieux adversaires de la France.

Pour cette année 1673, Louis XIV et Louvois avaient composé un plan de campagne à la plus grande gloire du Roi. Vous savez, avait dit Louis XIV à son ministre, que je ne puis plus être que seul à commander une armée. Il voulait n'avoir avec lui ni l'un ni l'autre des deux grands chefs, afin de montrer ce qu'il était capable de faire seul. Le sieur Vauban, qu'il emmenait, n'était pas en état de lui porter ombrage. Turenne continuerait à surveiller le Rhin et la Moselle. Condé prendrait le commandement des troupes demeurées en Hollande. Lui, le Roi, irait se mettre en Flandre.

Condé arriva fin d'avril à Utrecht, son quartier général. Une pluie continuelle grossissait les eaux d'inondation. Les reconnaissances qu'on envoyait se mouillaient jusqu'aux sangles. Le terrain fut sondé pour trouver vers Amsterdam un chemin continu qu'on ne trouva pas. Condé décrivait l'étrange champ de bataille. où des mâts de vaisseaux se dressaient parmi des ailes de moulins à vent : Les ennemis n'ont aucun poste qui ne soit soutenu par de grandes frégates armées de canon là où il passe de grands canaux et des rivières, et, aux lieux où il n'y en a que de petits, beaucoup de petits bateaux sur lesquels ils ont mis de petites pièces de canon Condé voyait bien, il disait et répétait qu'il ne pourrait rien faire de considérable. Il s'ennuyait. Il voulut voir Spinoza, qui, exilé d'Amsterdam par l'intolérance des rabbins, gagnait sa vie à La Haye en polissant des verres de lunettes. Le prince s'émerveilla des entretiens du philosophe qui le vint trouver, et même voulut le garder pour l'emmener en France. Mais Spinoza n'était pas fait pour vivre dans une maison de prince. Condé s'inquiétait des violences qu'il voyait commettre à la fiscalité des agents de Louvois. Il s'affligeait de l'état de ses troupes, réduites au pain et à l'eau, et demandait qu'au moins on augmentât leur pain ; autrement, disait-il : J'appréhende qu'il ne s'y mette une grande désertion, qui a déjà commencé. Il espéra qu'un renfort lui viendrait de la mer. L'année d'avant, la guerre sur mer avait été indécise. Comme les flottes d'Angleterre et de France étaient réunies sur la côte de Suffolk, l'amiral hollandais Ruyter était allé les attaquer à Southwold-Bay (Solebay), au mois de juin. Le héros de mer n'avait jamais vu de combat si furieux. Il s'était retiré vers les côtes de Hollande, mais les Anglo-Français n'avaient pas inquiété sa retraite et l'année avait passé sans qu'ils prissent l'offensive. En juin 1673, ils essayèrent une descente. Le 7, ils rencontrèrent Ruyter, en vue de Schoonveldt-Bank en Zélande Le combat rut indécis, mais ils ne passèrent pas. Le 14, Ruyter attaqua de nouveau et fut vainqueur[5]. L'invasion par mer fut donc repoussée. Condé se résignait à donner l'alarme de tous côtés aux ennemis pour les empêcher d'envoyer des troupes du côté où va Sa Majesté.

Sa Majesté avait quitté Saint-Germain le 1er mai avec la Reine, Mme de Montespan et la Cour. Mme de Montespan se trouvait en état de grossesse ; à Tournai, où le Roi prit congé de la Cour, elle accoucha de Mlle de Nantes. De Tournai, le Roi marcha sur Courtrai. Toute la terre se demandait où il allait. Son dessein, comme à l'ordinaire, avait été tenu secret. Pendant qu'obscurément, avec de petites troupes, Condé à l'Ouest, Turenne à l'Est, arrêtaient ses ennemis, lui, au centre, dans la pleine lumière, comme Alexandre dans un tableau de Lebrun, allait entreprendra un grand siège. Les grands sièges, disait-il, me plaisent plus que les autres. Maëstricht avait été choisi. La ville était bien fortifiée, bien défendue. Louis XIV a raconté le siège où il s'est assurément donné une grande peine, et n'a pas ménagé sa personne. Il ne voulut rien brusquer, aimant mieux aller sûrement, prenant toute sorte de précautions, même qu'il savait inutiles. Il s'attribua tout le mérite de l'opération : Vauban, dit-il, me proposa ce que j'avais cru le meilleur. Certainement, au reste, il était très capable de conduire un siège. La ville prise, il écrit à Colbert, le 1er juillet : Vous n'avez pas été fâché d'apprendre la prise de Maëstricht. J'ai pris beaucoup de peine à ce siège, mais ma peine est bien récompensée. Colbert répond : Nous n'avons plus qu'à prier Dieu pour la conservation de Sa Majesté. Pour le surplus, sa volonté sera la seule règle de son pouvoir.

Mais Louis XIV savait bien que sa volonté avait à compter avec d'autres. Glorifié, se glorifiant, il demeurait prudent ; le coup de l'invasion manqué, il serait sorti de l'affaire, s'il l'avait pu. Les Suédois avaient offert, au mois de septembre mn, leur médiation à la France et à l'Angleterre d'une part, et, d'autre part, aux Provinces-Unies. L'offre avait été acceptée, et il fut convenu qu'un congrès s'ouvrirait à Cologne. Les rois de France et d'Angleterre préparèrent les instructions pour leurs plénipotentiaires. Les principales conditions de Louis XIV étaient la cession à la France de la généralité d'entre Meuse et Escaut et du marquisat de Berg-op-Zoom, une indemnité de six à huit millions de francs, la liberté pour la religion catholique, l'abolition des édits commerciaux qui avaient été la réplique de la Hollande aux tarifs de Colbert. L'Angleterre demandait satisfaction entière sur le salut du pavillon, une indemnité de six cent mille à un million de livres sterling, le stathoudérat héréditaire dans la maison d'Orange, la cession de Flessingue et de Ramekens ou de Gorée. Le Congrès s'ouvrit le 18 juin 1673. La Hollande offrit en tout et pour tout à la France Maëstricht et deux autres villes, à condition qu'elle en fît remise à l'Espagne, qui lui céderait en échange des villes d'Artois, et au roi d'Angleterre une satisfaction au sujet du pavillon. Il sembla que jamais on ne pourrait s'entendre. Mais bientôt les deux rois baissèrent leurs prétentions ; à la fin de septembre, Louis XIV réduisit les siennes à peu de chose. Alors le plénipotentiaire hollandais déclara que les États-Généraux avaient conclu diverses alliances, et qu'ils entendaient que leurs alliés intervinssent dans les délibérations pour la paix. Ce qui rendait les deux rois si accommodants et les Hollandais si fiers, c'est qu'une grande coalition s'était formée contre la France.

Au mois de juin, la régente d'Espagne avait fait savoir aux Hollandais que, s'ils tenaient jusqu'en septembre, ils seraient secourus. Elle négocia avec l'Empereur. — Le 28 août, l'Empereur adressait un mémoire à la Diète. Il y représentait le danger auquel la nation allemande et l'Empire sont exposés et dont ils sont menacés toujours de plus en plus par les étrangers. Il énumérait quatorze griefs contre la France, lui reprochait de mépriser les réclamations de l'Empire, les justes propositions des États-Généraux, et de refuser à la chrétienté une paix qui soit ferme et universelle. Il adjurait tous les Allemands de se joindre à lui pour la conservation de l'Empire. Le 30 août, trois traités furent signés. Par le premier, l'Empereur s'engageait à mettre en campagne 30.000 hommes ; la Hollande lui paierait 100.000 écus d'avance et 45.000 écus par mois. Par le second, l'Espagne promettait de déclarer la guerre à la France, si la paix ne se concluait pas à Cologne ; la Hollande lui garantissait l'état territorial de la paix des Pyrénées. Par le troisième, le duc de Lorraine était mis à la tête d'une armée de 16.000 hommes, et promesse lui était faite de la restitution de son duché. Ainsi l'Espagne et l'Autriche se trouvaient alliées à la Hollande contre la France et l'Angleterre qui avaient été si longtemps les alliées de la Hollande contre la maison d'Autriche. La politique européenne se renversait, et les anciennes haines se réconciliaient dans la haine contre la France.

On sentait bien en France que la situation était grave. Pomponne, dans ses dépêches aux négociateurs de Cologne, regrette que la continuation de la guerre soit inévitable. Un des négociateurs, Courtin, avouait à Louvois sa crainte que la France n'en fût ruinée. Louvois le rassurait :

Le Roi croit que ses ennemis joints ensemble, quand leurs affaires iraient aussi bien qu'elles ont été mal jusqu'à présent, ne lui reprendront pas en plusieurs années ce que S. M. a conquis, et que, quoiqu'il soit vrai que l'argent soit rare, et qu'il le deviendra tous les jours davantage, elle a de quoi aller bien plus loin que tous ses ennemis joints ensemble.

L'événement prouvera que Louvois avait raison de croire en la puissance de la France. Mais il sentait que l'effort serait rude et qu'il coûterait cher. Dans une lettre écrite au même moment au prévôt des marchands, le même sentiment reparaît avec un peu moins de confiance :

Quand une fois la guerre est commencée, on ne la finit pas quand on veut, à moins qu'on ne veuille sacrifier toute la gloire que le Roi peut avoir acquise. Aussi, si les ennemis de sa gloire veulent se joindre ensemble pour empêcher que la paix ne se fasse, il faut se résoudre à une longue guerre et espérer qu'elle ne sera pas si ruineuse au royaume que l'ont été les dernières qui l'ont précédée.

Après la conquête de Maëstricht, Louis XIV et Louvois avaient décidé que le prince de Condé se rendrait en Flandre, et que Luxembourg reprendrait le commandement des troupes restées en Hollande. Louvois alla au mois d'août en Alsace, où le Roi parut un moment.

Des villes libres, parmi lesquelles Colmar, furent démantelées et réduites à l'obéissance. L'électorat de Trèves, qui était demeuré neutre, fut envahi ; Trèves capitula le 7 septembre. Cette dernière violence fut pour les coalisés l'occasion de se déclarer. L'Empereur congédia, le 16 septembre, Grémonville, l'ambassadeur de France. Quelques jours après, Monterey commençait les hostilités à la frontière. Ainsi s'étendait toujours le champ de la guerre.

Les derniers mois de l'année 1673 eurent pour la France de mauvaises journées. Le 7 septembre, le prince d'Orange avait attaqué Naarden, le poste le plus avancé des Français dans la province de Hollande. La place se rendit si vite que Luxembourg n'eut pas le temps de la secourir. Ce fut le premier succès de Guillaume ; les Orangistes le célébrèrent avec enthousiasme. Le prince résolut de se porter vers le Rhin au-devant des Impériaux.

Une armée impériale, partie d'Egra, forte d'une trentaine de mille hommes, commandée par Montecuculli, avait rencontré l'armée de Turenne, qui était à peu près d'égale force, dans la vallée du Mein. Les deux généraux jouèrent alors une partie d'échecs, un jeu auquel l'un et l'autre étaient fort habiles. Turenne aurait voulu échapper à son adversaire, le tourner et porter la guerre en Bohême ou en Autriche. Il demanda des troupes, reçut l'ordre d'aller les chercher en Alsace, rétrograda jusqu'à Philippsbourg, et n'y trouva qu'un renfort insuffisant. Pendant ce temps, Guillaume d'Orange joignit Montecuculli aux bords du Rhin. Ils s'emparèrent de Bonn le 12 novembre 1673. C'était le second échec des armes françaises, et qui fit plus de bruit encore que le premier. Mais Luxembourg réussit à couvrir Neuss, et d'Humières, Cologne. Turenne renforça Trèves, établit une partie de ses troupes sur la Sarre, envoya le reste en Alsace. Montecuculli, qui, d'ailleurs, s'entendait très mal avec le prince d'Orange, retourna à Vienne, laissant les généraux ramener ses troupes par la rive droite du Rhin.

Condé, Turenne, Luxembourg furent très mécontents de la conduite de la guerre, l'année 1673 Louvois et le Roi prétendaient la diriger toute. Le Tellier collaborait avec eux. Si Louvois n'était pas auprès de lui, le Roi exigeait une lettre quotidienne : Je n'eus point hier de vos nouvelles ; je serai bien aise d'en avoir tous les jours. Ensemble, après avoir causé, il est vrai, avec Turenne et Condé, ils arrêtaient le plan général des opérations. Ils envoyaient des instructions fréquentes, où ils entraient dans le dernier détail. Le Roi y mettait quelquefois des puérilités. Turenne, opérant sur les rives du Rhin en décembre 1672, dut sourire à la lecture de ces conseils :

Vous devez toujours avoir le plus de bateaux que vous pourrez à votre disposition. C'est pourquoi vous ferez bien, après que la gelée sera passée, de faire descendre ceux que vous avez envoyés à Andernach pendant les glaces... Vous faites très bien de prendre grand soin d'être averti de tous côtés afin de ne faire marcher les troupes que quand il est absolument nécessaire.

Louis XIV répétait souvent le conseil de profiter de toutes les occasions d'agir, mais sans risquer rien :

Conduisez-vous de manière que l'envie que vous aurez eue de faire une entreprise ne vous porte pas à rien faire qui n'ait quelque vraisemblance de succès, pour ne commettre pas la réputation de mon armée.

La prudence, même des plus hardis comme Condé et Luxembourg, qui semble avoir été fâcheuse à plusieurs moments, est expliquée par la crainte d'accidents, que le Roi suggérait, en étant tourmenté lui-même. Enfin, si les lettres de Louis XIV aux généraux étaient polies, avec même un ton de déférence quand c'était à Condé ou à Turenne qu'elles s'adressaient, et s'il reconnaissait que, voyant les choses de près, ils pouvaient les voir mieux que lui, il s'étonnait que ses ordres ne fussent pas exactement suivis :

J'ai vu avec peine que mon cousin le vicomte de Turenne... n'ait pas passé le Rhin (en décembre 1672) suivant les ordres que je lui en avais envoyés.... Je veux croire qu'il a trouvé qu'à la réserve du parti qu'il a pris, tous les autres étaient impraticables.

Turenne supportait mal les lisières : Vous me permettrez de vous dire, écrit-il à Louvois en septembre 1673, que je ne crois pas qu'il fût du service de Sa Majesté de donner des ordres précis de si loin au plus incapable homme de France. Condé ne mettait pas cette franchise à son mécontentement. Le souvenir des temps de la Fronde faisait nuage entre le maitre et lui. Il avait, d'ailleurs, besoin des bonnes grâces du Roi pour son fils, M. le Duc, que Louis XIV traitait bien en paroles, mais auquel il refusait les grands rôles dans les opérations de guerre. Le père et le fils s'inquiétaient de l'opinion que le Roi se faisait de leurs mérites. Un jour, ils s'en informèrent auprès de Louvois et de Le Tellier par l'intermédiaire de Gourville, intendant, conseiller et ami des Condé. Louvois et. Le Tellier donnèrent le satisfecit désiré Mais Louvois ajouta qu'il fallait absolument s'accommoder à l'esprit du maître, et Le Tellier, qu'étant donné le maître — qu'on ne changerait pas, — il n'y avait qu'un bon chemin avec lui, qui était de s'accommoder absolument à tout ce qu'il voulait, et que, quand il voyait qu'on n'était pas content de ce qu'il faisait, il était difficile qu'il le pût être des autres. Condé s'accommodait de son mieux. S'il est chagrin, comme pendant l'été de 1673, où il se trouve petitement employé en Flandre, il laisse bien entendre une plainte, mais tout de suite étouffée :

Je crains bien, écrit-il à Louvois, que le pronostic que je fis au Roi en votre présence ne soit que trop vrai et que je ne finisse cette campagne sans rien faire et sans pouvoir rien entreprendre, comme je l'ai commencée ; mais il faut servir le Roi comme il commande, et jamais personne ne le fera avec plus de zèle que moi.

Cependant il déplorait la stratégie du cabinet royal dans des lettres confidentielles comme celle-ci, écrite encore en août 1673 :

Avec plus de 100.000 hommes, nous trouvons le moyen de nous montrer les plus faibles partout hormis en Allemagne, encore ne sais-je si on y sera le plus fort, y ayant partie des troupes en Lorraine, partie avec M. de Turenne et partie dans le pays de Trèves. Je crois qu'à la Cour, on en sait beaucoup plus que nous, mais il me semble qu'on pouvait fortifier assez M. de Turenne pour tenir tête à l'Empereur tout seul, et avec le reste faire peur aux Espagnols et aux Hollandais.

En Hollande, Luxembourg aussi se lamentait. Il écrivait à Condé :

Vous connaissez ce pays-ci ; il ne faut pas y être si abandonné que je suis. M. de Louvois me mande que j'ai une grosse infanterie, mais, qu'il compte ce qu'il en faut pour les places ou les postes que nous occupons, il verra qu'il ne me reste quasi rien pour la campagne.

Les généraux avaient raison. Cette guerre, commencée de triomphale allure, s'alentissait et piétinait. En 1672, l'audace avait manqué ; l'an d'après, la conception générale des opérations fut très pauvre. L'avantage du nombre se perdit dans la dissémination des forces. Le Roi lui-même avoue le mauvais état des choses, à la fin de l'année 1673.

J'étais maitre d'une partie de la Hollande, écrit-il dans un mémoire sur la campagne de 1874, j'avais des troupes logées en Allemagne, éloignées de moi, des ennemis voisine, des places en méchant état, des frontières entièrement ouvertes, des ennemis puissants sur mer, et sujet d'avoir de l'inquiétude de tous côtés. Il me fallait résoudre à perdre quasi toutes mes conquêtes éloignées et à penser à en faire dans les endroits où je pourrais attaquer et me défendre.

Il rappela ses troupes de Hollande où restèrent seulement des garnisons. Luxembourg réussit à éviter le prince d'Orange, qui essaya de lui barrer la route. Ce fut une habile retraite, mais une retraite hors de ce pays que le Roi avait cru un moment tenir tout entier, et d'où Mme de Sévigné annonçait qu'il reviendrait comte de Hollande.

L'occupation française laissa des souvenirs terribles. Le pays était ruiné. Un intendant, Robert, préposé au service des réquisitions et contributions, avait employé contre les récalcitrants l'infaillible moyen du logement de garnisaires, qui se conduisirent comme des bandits. Louvois ordonnait ces rigueurs : Nécessité n'a pas de lois ; il faut que les armées du Roi subsistent. Luxembourg, qui avait paru d'abord y répugner, s'y était résigné, puis s'en était amusé.

M. Robert, dit-il, fait le diable à quatre. Je pense qu'il tirera des États de grandes sommes, ce qui parait aisé comme de tirer de l'huile d'un mur. A propos d'une exécution projetée contre un bourg, où l'on croyait que des soldats du Roi avaient été débauchés, il écrivit à Louvois au mois d'août 1672 : Vous me manderez si nous pendrons tous les paysans, matelots et bourgeois, ou s'ils se pourront racheter de la corde pour de l'argent. Pour moi mon sentiment serait que tout fût pendu à moins qu'on en eût une grande somme. Les violences étaient pratiquées avec une régularité administrative. Jamais accès de fièvre n'ont été mieux réglés que notre coutume de brûler, de deux jours l'un, ceux qui sont assez sots pour nous y obliger. En décembre 1672, à la suite d'une tentative manquée sur La Haye, deux gros bourgs très riches, Swammerdam et Bodegrave, furent détruits. Au témoignage de Louvois, on grilla tous les Hollandais qui étaient dans le village de Swammerdam, dont on ne laissa pas sortir un des maisons. Luxembourg raconte qu'il a vu là d'assez jolis tas consumés par les flammes ; c'est de tas d'hommes qu'il parle. Au mois de février 1673, l'intendant Robert confesse à Louvois que les exécutions, dans le pays désolé, ne rapportent plus rien : Je ne puis tantôt plus rien tirer, quelques violentes exécutions que je fasse, tant je trouve de misère dans les maisons. Le maréchal de camp Stoppa, gouverneur d'Utrecht, décrivait au même moment l'état des campagnes, les paysans réfugiés sur les toits des maisons inondées, la famine, les maladies Luxembourg a l'air de s'émouvoir à la fin. Il déplore qu'une furieuse quantité de peuple périsse dans les pauvres plaines, et que des millions de bestiaux morts ou noyés empestent les eaux où ils roulent. Mais il se reprend à sourire : J'ai pensé ne pas vous mander tout cela, dit-il à Louvois, pitoyable comme je vous connais, de peur de vous faire de la peine. Louvois répond, du même ton abominable, qu'il a été touché au plus haut point des misères de la Hollande : Si j'avais ici des casuistes, je les consulterais pour savoir si je puis, en conscience, continuer à faire une charge dont l'unique but est la désolation de mon prochain.

Les Hollandais se vengèrent en publiant par toute l'Europe le récit de ces horreurs. L'avis fidèle aux véritables Hollandais touchant ce qui s'est passé dans les villages de Bodegrave et de Suyammerdam, illustré par les dessins sinistres de de Hooghe, fut répandu dans toute la Hollande, traduit en allemand et connu de toute l'Allemagne. D'autres récits s'ajoutèrent à celui-là. Voltaire a vu les livres hollandais dans lesquels on apprenait à lire aux enfants... inspirer la haine contre les Français aux générations nouvelles. Il est vrai que la guerre faite par les armées étrangères était aussi barbare que celle que faisaient les armées de la France. Les troupes hollandaises, ramassis de Mercenaires de tous pays, les troupes allemandes qui, gardant les mœurs de la guerre de Trente Ans, traînaient derrière elles des milliers de femmes et de goujats, épuisaient les pays où elles passaient. Et si la France, au lieu d'envahir, avait été envahie, elle eût souffert les maux qu'elle a fait souffrir. Mais nulle part n'était employée la méthode de l'exploitation méthodique à outrance que pratiquèrent les intendants de Louvois[6], ni celle de la destruction par le fer et le feu de pays entiers pour empêcher l'ennemi d'y subsister. Ce fut en grande partie la faute de cet homme, si la haine du nom français, sentiment jusque-là inconnu, se répandit dans toute l'Europe.

L'année 1674, on vit clairement que, pour réussir l'entreprise contre la Hollande, il aurait fallu faire vite, et que la faute d'avoir perdu du temps, les deux premières années, était irréparable. L'œuvre de Lionne, toute cette coalition contre les Provinces-Unies, ne pouvait se soutenir longtemps. L'alliance de l'Angleterre et de la France fut rompue la première.

Si Charles II avait voulu seulement ruiner la Hollande, l'Angleterre l'aurait laissé faire avec plaisir. Mais il avait révélé d'autres pensées en publiant, presque au même temps que la déclaration de guerre, une déclaration d'indulgence à l'égard des dissidents et des catholiques. La politique religieuse de Louis XIV commençait d'alarmer les pays protestants. On disait à la Chambre des Communes : Autrefois l'Espagne était la nation la plus rigoureuse en religion ; à présent, c'est la France. Le nonce du Pape a reçu ordre de ne pas s'opposer au progrès des armes françaises. L'Angleterre se sentait en danger de redevenir papiste. Charles n'ayant pas d'enfants légitimes, son frère, le duc d'York, devait hériter de la couronne. Or, le duc était catholique, et, après qu'il eut perdu une première femme, qui s'était convertie au catholicisme, il épousa, en 1673, Marie de Modène, catholique, petite-nièce de Mazarin, d'une famille cliente de la France ; ce mariage avait été négocié par Louis XIV. L'opposition parlementaire devint alors plus vive. Le mauvais succès de la guerre l'enhardissait, et aussi le mauvais état du commerce. Après que l'Espagne se fut mise du côté de la Hollande, la marchandise anglaise eut à craindre les vaisseaux espagnols comme les vaisseaux hollandais. Les affaires et la religion se coalisant contre le Roi, la Chambre des Communes vota que l'alliance française était un grief  ; Charles II savait la valeur de ce mot redoutable. Le 20 novembre 1673, Croisai écrivait à Louis XIV qu'il n'y avait plus en Angleterre personne qui ne fût entièrement persuadé que l'alliance des deux rois n'avait été contractée que pour établir en Angleterre la religion catholique et un pouvoir arbitraire ; que chacun en disait beaucoup de circonstances approchantes de la vérité et qui avaient rempli les esprits de fureur et de rage ; qu'il ne restait pas trois hommes soit à la Cour, soit dans les troupes et dans la flotte ou dans les provinces dont ledit roi pût s'assurer... qu'il ne fallait pas espérer de pouvoir faire la levée des soldats et des matelots ni même d'obliger les officiers à servir, parce que, outre que l'esprit du Parlement, ou plutôt le venin s'est répandu sur tout le peuple, on a inspiré une si grande défiance des Français qu'il ne serait pas possible de les faire combattre ensemble.

Louis XIV usa de son moyen habituel, le subside au roi. Mais, pour mettre Charles II en état de se passer de son Parlement, qui fut prorogé en novembre, il aurait fallu prélever sur la France tout le budget de l'Angleterre. Louis XIV donna beaucoup d'argent encore ; il n'en donna pas assez. Il fit cadeau de la terre d'Aubigni en Berri à la belle fille que Madame avait conduite à Douvres ; cette terre serait réversible à tel des enfants naturels de notre frère le roi de la Grande-Bretagne qu'il voudra nommer, disent les lettres-patentes de décembre 1673. Ces procédés étaient misérables contre la volonté nationale de ne pas laisser établir en Angleterre la religion catholique et un pouvoir arbitraire. Charles II fut obligé de renier la déclaration d'indulgence. Il se dégagea des promesses faites à Louis XIV le moins honteusement qu'il put ; il lui fit demander à quelles conditions il traiterait avec la Hollande. En même temps, il écoutait les propositions que l'ambassadeur d'Espagne lui apporta de la part des Hollandais. Son Conseil décida d'y répondre. A ce moment, le Parlement, qu'il avait fallu rappeler, vota l'exclusion de deux ministres qui servaient la politique personnelle du Roi ; Charles II savait par l'histoire de la Révolution d'Angleterre ce que cela voulait dire. Il pensa donc qu'il devait sans perdre de temps penser à tout ce qui devait faciliter la paix, et il pria Louis XIV, le 1er février 1674, de consentir à la négociation particulière de l'Angleterre avec la Hollande. Le lendemain, sans attendre la réponse, il communiquait au Parlement les propositions hollandaises. Louis XIV accepta ce qu'il n'était pas en état d'empêcher : Je vous en plains, dit-il de son beau ton royal, au lieu de m'en plaindre. J'attends de votre affection que, lorsque vous ne pourrez appuyer mes armes contre des ennemis qui cessent d'être les vôtres, vous contribuerez avec plaisir dans la suite de cette affaire à me donner des marques de votre affection. Le 19 février 1674, la paix était signée à Westminster entre l'Angleterre et la Hollande.

Le château de cartes des alliances rhénanes croulait. Le ministre Pomponne a décrit cette ruine dans ses Mémoires. Tous les alliés se sentaient dupés par la France. Les subsides promis à l'évêque de Paderborn n'ont pas été payés. Munster n'a pas été mieux traité. Neubourg est excédé par les passages ruineux de troupes françaises dans ses États, par l'indifférence à ses plaintes et la cessation des subsides ; en 1675, après les violences d'un corps français, qui a mis des châteaux à sac, il passera du côté de l'Empereur. Osnabrück fait de même, ayant été mal payé. L'électeur palatin s'est plaint de désordres commis, en 1673, sur ses terres, et que Louvois commande dans le Palatinat comme s'il y était chez lui. L'électeur témoigne qu'il est prêt de faire ce que le service de S. M. requerrait, mais demande qu'on lui témoigne au moins ce que S. M désirait ; alors, il donnerait les ordres nécessaires ; autrement, il n'était plus souverain de ses États, plus malheureux qu'un gouverneur de province, de qui au moins les commandants prenaient l'attache, avant de se servir des ordres du Roi dont ils étaient chargés. Après une razzia violente, menée par des cavaliers français jusqu'aux portes de Heidelberg, il fit monter quelques compagnies à cheval pour protéger ses sujets. On le lui reprocha ; il négocia avec l'Empereur. Alors Turenne lui brûla 5 villes et 25 villages ; ce fut le premier incendie du Palatinat. L'électeur de Mayence, Philippe de Schœnborn, est mort en 1673. Il s'était détourné du Roi, voyant bien, lui qui désirait la paix sur toutes choses et particulièrement celle de sa patrie, que Louis XIV était éloigné des partis qui pouvaient la donner  ; son successeur traite avec l'Empereur en mars 1674. L'archevêque de Cologne a perdu une grande partie de son électorat où sont établis les Impériaux. Les Fürstenberg le maintiennent dans l'alliance française, et l'un d'eux, Guillaume, le représente au congrès de Cologne ; l'Empereur le fait enlever en février 1674 et conduire dans une prison de Vienne. Louis XIV proteste contre cet attentat au droit des gens, et il rappelle ses envoyés, ce qui met fin aux conférences de Cologne. Mais, le 11 mai, l'électeur traite avec la Hollande. Le premier jour du même mois, le Reichstag déclare la guerre au roi de France au nom de l'Empire. Le Brandebourg, le 1er juillet, rompt le traité de Vossem et reprend les anciens accords avec l'Empereur. Dans tout l'Empire, un seul prince demeurait ami de la France, l'électeur de Bavière, qui reçut 350.000 livres pour faire des levées, et 28.000 écus par mois. Il maintint sur pied une belle armée, et l'Empereur n'osa le pousser ni faire vivre ses troupes sur les terres de Bavière.

Hors de l'Empire, il restait à Louis XIV un seul allié, la Suède ; encore n'était-elle engagée que sous conditions à une action commune. Le Danemark avait une alliance avec l'Empereur, depuis le mois de janvier.

Pendant cette année 1674, ruineuse pour notre diplomatie, les armées françaises combattirent en Franche-Comté, en Flandre, sur le Rhin et aux Pyrénées. Le Roi s'était réservé la conquête de la Franche-Comté. Pendant qu'il opérerait dans cette province, Turenne, en Alsace, contiendrait les Impériaux et le duc de Lorraine, et Condé, aux Pays-Bas, les Espagnols et les Hollandais.

Louis XIV et Vauban prirent en mai et juin Besançon et Dole. La Cour, qui avait accompagné le Roi, vécut, à des incommodités près, comme à Saint-Germain ou à Versailles. Mademoiselle raconte : Les violons, les hauts-bois étaient toujours au dîner et au souper du Roi ; on avait les derniers, les soirs à la promenade... Pendant que le Roi était au Conseil et la Reine à prier, on jouait à la ferme (une sorte de loterie) chez Madame de Montespan.

Condé, à peine remis de la goutte, de la fièvre et des saignées, alla prendre, le 8 mai, le commandement de son armée à Tournai. Il se porta sur la Meuse pour aller au devant de troupes françaises, composées des garnisons rappelées de Hollande. Une seule garnison demeura, celle de Grave, sur la Basse-Meuse, dernier vestige de la conquête. Condé ramena vers la Sambre son armée renforcée, pour couvrir le chemin de Paris. Il fut inquiet, en juin, d'un désir exprimé par le Roi, qui, à la veille d'achever les sièges en Franche-Comté, se proposait d'aller prendre quelque ville en Flandre, et demandait au prince de lui choisir une place de premier rang s'il était possible. Condé n'osa résister ouvertement aux désirs du roi poliorcète  ; il le pria de faire connaître à quel siège Sa Majesté aurait plus d'inclination. Mais il craignait qu'un siège ne ruinât l'armée au début d'une campagne, qu'il pressentait sérieuse et dangereuse. Heureusement, l'idée fut abandonnée. Il s'agissait de bien autre chose que de prendre des villes. Le prince d'Orange et Monterey appelaient à eux M. de Souches, qui manœuvrait sur la Meuse avec un corps d'Impériaux. A la fin du mois, les trois armées alliées étaient réunies sur la Dyle. Elles comptaient plus de soixante mille hommes. Condé, pour leur faire face, s'était campé à 11 kilomètres au nord de Charleroi, sur un mamelon enveloppé de bois et de deux ruisseaux, dont l'un était le Piéton, affluent de la Sambre. Le camp du Piéton était inexpugnable.

Les coalisés résolurent de l'éviter, et, longeant ses positions, de marcher vers la frontière de France. Les places espagnoles de l'Escaut, Valenciennes, Bouchain, Cambrai, jalonnaient leur route vers Paris. Ils se mirent en mouvement le 11 août. Condé laissa les longues colonnes défiler sur le terrain boisé, mamelonné et marécageux ; se jeta sur l'arrière-garde arrêtée à Senette, l'anéantit presque. Le prince d'Orange retourna en arrière avec les troupes hollandaises et espagnoles, et se retrancha. Condé l'attaqua. Après un combat d'une extrême violence, il le débusqua. Les Impériaux, un moment égarés par une démonstration de la cavalerie française, arrivèrent sur le terrain, et une troisième action commença. Souches avait mis ses troupes sur un versant coupé par des murs, des haies et des houblonnières ; les Français ne purent emporter la position. Condé avait payé de sa personne, de la première à la dernière heure ; trois chevaux furent tués sous lui. A la fin, il n'y avait plus que M. le Prince qui eût envie de se battre. Les Français perdirent près de 8.000 hommes, et les alliés 11 ou 12.000 ; ce fut une des plus grandes tueries du siècle. La nuit, les deux armées, exténuées, se retirèrent chacune de son côté. Toutes les deux s'attribuèrent la victoire, et chantèrent le Te Deum. Mais la marche des alliés fut arrêtée par la journée de Seneffe ; ils entreprirent le siège d'Audenarde ; Condé les força de le lever. Ils s'entendaient mal entre eux ; le prince d'Orange reprochait aux Espagnols et aux Impériaux d'être trop mous ; eux, le trouvaient trop téméraire. Souches fut rappelé sur le Rhin par l'Empereur. Orange, resté seul, dut se contenter de prendre Grave sur la fin d'octobre, après un siège de quatre mois, héroïquement soutenu par la garnison française.

Sur le Rhin, Turenne s'était tenu, les premiers mois de 1674, dans le pays de Bâle, pour couvrir les opérations du Roi en Comté. Sitôt qu'il fut assuré que tout irait bien par là, il se porta au nord de l'Alsace vers Haguenau. De l'autre côté du Rhin, près de Heidelberg, une armée d'Impériaux et de Lorrains attendait le gros des forces impériales, que devait amener Bournonville, qui remplaça cette année Montecuculli. Le maréchal, bien qu'il ne commandât qu'à quinze mille hommes, résolut d'attaquer l'ennemi avant l'arrivée de ces forces. Il passa le Rhin à Philippsbourg, et à l'Est de cette ville, près de Sinzheim, le battit et le désorganisa, le 16 juin. Puis il se maintint dans le Palatinat ; c'est à ce moment qu'il ravagea ce pays. Cependant aucun renfort ne lui était envoyé ; le Roi achevait sa conquête de la Comté, et Condé, en Flandre, avait affaire à forte partie. Turenne ne pouvait donc demeurer sur la rive droite pour faire tête à l'ennemi dont le nombre augmentait tous les jours. Il repassa le fleuve et s'établit entre Landau et Wissembourg pour défendre la frontière nord de l'Alsace. Mais les Impériaux entrèrent dans la province par le pont de Strasbourg, dont la ville leur avait permis l'usage. Turenne, accouru, livra à Entzheim, au sud-ouest de Strasbourg, une bataille qui demeura indécise, le 4 octobre. Il avait commencé de recevoir des renforts qui portèrent son armée à 30.000 hommes ; mais l'ennemi s'accroissait démesurément ; l'électeur de Brandebourg avait rejoint Bournonville. Allemands et Lorrains étaient 57000. Turenne, renonçant à les combattre, retourne au nord, va se retrancher dans les Vosges, d'abord à Wasselonne, puis plus loin, à l'est de Saverne, à Dettwiller. Voilà l'ennemi maitre de l'Alsace, et qui envoie des partis en Lorraine. La Cour le voit déjà en Champagne. Depuis le mois d'août elle pressait Turenne de passer les Vosges pour aller couvrir cette province ; mais Turenne avait répondu qu'il fallait s'opiniâtrer de demeurer en Alsace, et que mieux vaudrait pour le service du Roi perdre une bataille que repasser les montagnes. Il avait son idée de derrière la tête, qui fut très belle. Sans plus s'occuper du maréchal, l'ennemi s'était étendu du nord au sud de l'Alsace, de Benfeld à Altkirch, et avait pris ses mesures pour passer un bon hiver. Le 30 novembre, Turenne quitte ses cantonnements, sort d'Alsace, entre en Lorraine par le défilé de la Petite-Pierre, suit le pied des Vosges du nord au sud, arrive, après vingt-sept jours de marche très pénible en ce pays et cette saison rudes, à la trouée de Belfort, fait une conversion vers le nord, prend à rebrousse-poil les quartiers ennemis éparpillés, en bouscule plusieurs à Altkirch et à Mulhouse, attaque à Turkheim près Colmar le gros des forces assemblées, les met en désordre. La retraite se précipite en déroute. Le 14 janvier les restes de cette grande armée repassaient le Rhin. Ce fut la plus étonnante campagne de Turenne, qui croissait d'audace en vieillissant.

Cependant Louis XIV continuait à chercher la paix. On s'en étonnait en Europe. Je ne sais pas le besoin que la France avait de la paix, écrit Sir William Temple, mais je sais qu'elle en avait un extrême désir et quelle tenta cet hiver-là (hiver de 1674-5) pour la faire réussir tous les moyens imaginables excepté ceux qui auraient trop découvert sa nécessité. Temple pense que la Cour avait peur d'une invasion qui aurait donné aux mécontents du royaume l'occasion d'éclater contre le gouvernement. Le Roi, en effet, toujours préoccupé des souvenirs de la Fronde, devait d'autant plus redouter une invasion que les provinces de l'ouest commençaient à s'agiter pour s'opposer à la levée de nouveaux impôts. Après la séparation du congrès de Cologne, en 1674, il s'était offert à négocier. Il comptait sur la bonne volonté de la Hollande, pensant que les bourgeois désiraient la fin de la guerre autant qu'il faisait lui-même. D'Estrades avait engagé la conversation avec son ami Launoi, secrétaire de Guillaume d'Orange, afin de savoir s'il n'y avait pas moyen de s'accommoder avec le Prince. Mais celui-ci fit connaître, en juillet, qu'il ne désirait qu'acquérir de la réputation. Après Seneffe, nouvelle démarche de d'Estrades ; le 29 août, même réponse que la précédente, mais plus précise : Le Prince est persuadé que sa gloire et son avantage se rencontreront plus à continuer la guerre et à soutenir ses alliés qu'à faire une paix où il restera peut-être oisif toute sa vie. Ainsi, une gloire et un avantage s'opposaient à la gloire et à l'avantage du roi de France. Et le Prince sera moins accommodant que le Roi, car le Roi est le Roi, au lieu que Guillaume n'est qu'un stathouder, un dictateur d'occasion, qui, l'occasion retirée, la guerre finie, les troupes licenciées, se retrouvera Orange comme devant. Il fallait donc que la guerre continuât, pour que l'on sût qui, de la France ou de l'Europe, serait de force à la soutenir le plus longtemps.

L'Europe n'était pas aussi forte qu'il semblait. La coalition marchait mal ensemble. On prévoyait que les Hollandais fausseraient compagnie à leurs alliés, s'ils recevaient de la France des avantages. L'Empereur voulait reprendre l'Alsace, et ne se souciait pas des intérêts de la Hollande. Le Danemark ne pensait qu'à satisfaire sa haine contre la Suède. La plupart des princes allemands tâchaient de servir le moins possible, pour les plus gros subsides possibles. Impériaux et Brandebourgeois se détestaient toujours. Le prince d'Orange ne s'accordait avec personne. C'était peu de chose, auprès de la dissension permanente entre coalisés, que les désaccords entre Louvois et les généraux. Chaque année, régulièrement, les armées françaises étaient prêtes au moins un mois avant les autres. Bien qu'elles souffrissent de beaucoup de misères, elles étaient mieux outillées que les troupes adverses. Par des moyens, — au reste destructifs, — Colbert trouvait de l'argent. Condé, Turenne étaient les plus grands généraux du monde ; le seul Montecuculli pouvait les contre-balancer. La marque particulière du prince d'Orange était la constance dans les revers ; mais il eut trop d'occasions de la montrer, ayant été battu presque toujours Personne, enfin, dans les armées étrangères, ne pouvait être comparé à Vauban, le preneur de villes.

Après tant d'alliés perdus, la diplomatie française sut en trouver de nouveaux. En Hongrie, l'Empereur, pour se venger d'un complot formé en 1671, avait mis un régime de terreur. Des Hongrois se réfugièrent en Transylvanie, où l'insurrection tint ferme contre les Impériaux. Louis XIV envoya de l'argent et des hommes aux insurgés, dont le chef Tékéli remporta de grands succès. Et la France lui procura l'aide de la Pologne. Michel Wisnicwietski, qui avait été élu roi de ce pays après la retraite de Ladislas, en 1669, étant mort en 1674, la France ne présenta pas la candidature d'un prince français. L'ambassadeur du Roi près de la Diète d'élection, Forbin, évêque de Marseille, eut seulement pour mission d'empêcher que le duc de Lorraine, candidat de l'Empereur, fût élu. L'évêque, arrivé en grande pompe, —précédé de fanfares, escorté de seigneurs illustres, laminant. une suite de quatre-vingts carrosses, de pages et d'écuyers — apportait de l'argent pour payer les pensions des clients attitrés ; il avait en outre 30.000 écus à répandre et permission de promettre jusqu'à 400.000 livres. Il approuva la candidature à la couronne d'un noble polonais, Sobieski, dont la femme, Marie d'Arquien, était une Française. au en mai 1674, Sobieski s'engagea par traité secret, moyennant subsides, à soutenir les mécontents de Hongrie et à faire la guerre à l'électeur de Brandebourg dans le duché de Prusse Enfin la Suède, rentrant en scène, dans les derniers jours de 1674, envoya 15000 hommes dans la marche de Brandebourg

Pendant que l'Empereur avait affaire à la Hongrie et à la Pologne, et l'électeur de Brandebourg aux Polonais et aux Suédois, la Sicile s'était révoltée contre l'Espagne. En septembre 1674, des vaisseaux français avaient porté des secours aux insurgés de Messine. La diplomatie de la France, toujours en éveil, ses armes toujours prêtes agissaient partout à la fois.

La guerre dura quatre années encore.

 

III. — LES QUATRE DERNIÈRES ANNÉES DE LA GUERRE (1675-1678).

EN 1675, Louis XIV alla faire des sièges en Flandre. Il prit Dinant  en mai, Huy et Limbourg en juin, et retourna à Versailles, suivant son habitude, en juillet. Les princes de Condé et d'Orange demeurèrent en présence autour de Charleroi, se guettant l'un l'autre, ne se souciant ni l'un ni l'autre de risquer une bataille. Condé fut envoyé en août à l'armée du Rhin, où Turenne venait de mourir. Luxembourg, qui lui succéda dans le commandement de l'armée de Flandre, avait l'ordre de ne rien hasarder. Le prince d'Orange ne fit rien de sérieux ; lui et les Espagnols ne s'entendaient pas.

Sur le Rhin, Turenne reprit en juin le commandement de l'armée. Il avait soixante-trois ans passés, il était las et souhaitait la retraite ; mais le Roi lui avait demandé de servir encore. Mme de Sévigné raconte qu'en prenant congé du cardinal de Retz, le maréchal lui dit : Monsieur, je ne suis pas un diseur, mais je vous prie de croire sérieusement que, sans ces affaires-ci, où peut-être on a besoin de moi, je me retirerais comme vous, et je vous donne ma parole que, si j'en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre, et je mettrai, à votre exemple, quelque temps entre la vie et la mort. C'était la coutume, au XVIIe siècle, de se préparer à mourir ; beaucoup qui vivaient mal mouraient bien. Or, Turenne n'avait pas toujours bien vécu  ; avec moins d'éclat que d'autres, il avait à tout le moins commis le péché d'ambition et le péché d'amour, où il fut du reste maladroit. Il s'inquiétait de la destinée de son âme. La veille du jour où il fut tué, il voulait se confesser, et, en se cachetant, il avait donné les ordres pour le soir, raconte encore Mme de Sévigné.

Il avait donc rejoint l'armée du Rhin en Alsace. Il passa le fleuve, et se retrouva en présence de Montecuculli  ; les deux grands chefs reprirent la partie d'échecs. Le 27 juillet, se voyant en meilleure position que l'adversaire, auprès de Sasbach , Turenne résolut de l'attaquer. En faisant une reconnaissance pour choisir l'emplacement d'une batterie, il fut tué par un Boulet. On peut dire que cette mort fut un deuil national. La France aimait en M. le maréchal l'homme dont la simplicité, l'air de modestie et d'embarras charmaient, parmi tant d'allures d'arrogance, et le général ami du soldat qu'il faisait tuer le moins possible, et surtout le vainqueur qui, l'année d'avant. l'avait sauvée d'un danger et d'une honte.

La Cour fut consternée. On y pleura ; Bossuet pensa s'évanouir. Mais on s'aperçut qu'il ne fallait pas trop pleurer. M. de Turenne était mort, sans doute, mais le Roi ne demeurait-il pas ? Le Roi, dit Mme de Sévigné, sentait bien la perte qu'il venait de faire, quand il était seul, qu'il rêvait et rentrait en lui-même. Mais il n'était pas souvent seul, et Mme de Montespan n'aimait pas qu'on fût triste. Le 7 août, Mme de Sévigné écrivait à sa fille que la perte du héros a été promptement oubliée dans cette maison de Versailles et que c'a été une chose scandaleuse. Au point que l'on risquait de se compromettre à laisser voir son chagrin. Savez-vous bien, disait encore la marquise, qu'il nous faudrait un chiffre ? Au reste, pas un moment Louis XIV ne pensa courir à la frontière menacée comme il aurait fait s'il avait eu l'âme d'un soldat. Il écrivit des lettres.

Après la mort de Turenne, son neveu, de Lorges, conduisit la retraite vers le Rhin. Attaqué au pont d'Altenheim par Montecuculli, le 1er août, il le repoussa, passa le fleuve, et entra en Alsace ; mais Montecuculli pénétra dans la province par le pont de Strasbourg. Dans le pays de Trèves, Créqui se laissa surprendre — le il août — à Consarbrück par l'armée du duc de Lorraine, qui opérait contre Trèves. Échappé à la déroute, il courut s'enfermer dans cette ville et s'y défendit bien ; mais une sédition militaire livra la place à l'ennemi. Notre frontière de l'Est était découverte. Il fut très heureux pour la France que les Brandebourgeois et les Munstériens fussent alors occupés à la guerre contre les Suédois ; que la Hongrie retint, en grand nombre, des soldats impériaux, et aussi que l'armée lorraine se débandât, le vieux duc étant mort au moment où il croyait rentrer enfin dans son duché.

En Alsace, Condé arriva au mois d'août pour arrêter Montecuculli. Il opéra très prudemment ; sans risquer un seul combat, il fit lever aux Impériaux les sièges des villes qu'ils attaquaient. L'Alsace fut évacuée en septembre. Le Prince rentra à Chantilli pour n'en plus guère sortir. Il ne commanda plus d'armée ; lui aussi il en avait assez. Il était jeune encore, — cinquante-quatre ans ; —mais il avait usé sa santé, usé aussi bien des sentiments, l'amour, l'ambition, l'orgueil même. Il était devenu un courtisan très humble après avoir pensé peut-être à de certaines heures qu'il n'était pas juste qu'il ne fût pas le Roi. Cet impétueux, dont l'audace sur le champ de combat et l'élan héroïque demeurent la marque militaire, bien que, d'ailleurs, il sût tout de la guerre, et qu'il rait prouvé, se plaisait à des curiosités de toute sorte. Il aimait l'esprit, et savait très bien ce que c'était que d'en avoir. Il fut un bon juge de Molière, de Boileau, de La Fontaine, de Corneille et de Racine. Son ardeur se réveillait aux disputes littéraires, où il n'aimait pas la contradiction : Je serai toujours de l'avis de M. le Prince quand il aura tort, disait Boileau II vécut jusqu'en décembre 1686, loin du Roi, qu'il n'alla voir que rarement, mais qu'il adorait de loin, soignant les intérêts des siens, de son fils Henri, de son petit-fils Louis, qui épousera en 1685 Mlle de Nantes, bâtarde légitimée du Roi  ; M. le Prince tiendra ce mariage à honneur. A la fin, il voulut, lui aussi, prendre ses assurances du côté du grand mystère. Converti par Bossuet, il mourra muni des sacrements de l'Église.

Cette année 1675, de grands événements parurent se préparer dans la Méditerranée. Le Pr janvier, à Messine, une escadre, passant à travers la flotte espagnole, débarqua cinq compagnies et des officiers, qui devaient organiser la défense de la ville. Puis une grande expédition navale fut décidée, sur les instances sans doute de Colbert et de Seignelai, qui voulaient de l'emploi et de la gloire pour la marine qu'ils avaient faite si belle et si forte. Vivonne, frère de Mme de Montespan, commandant l'expédition, força en février l'entrée du port de Messine. Il reconnut vite qu'il ne pouvait compter sur les Messinois, qui voulaient bien qu'on les défendit, mais à condition de ne pas s'en mêler. Cependant les Hollandais avaient envoyé dans la Méditerranée leur flotte commandée par Ruyter. La France en envoya une, commandée par Du Quesne, un vieux loup de mer, — il avait soixante-six ans. — Du Quesne avait commencé par la piraterie, puis servi sous Richelieu. Il était passé dans la marine suédoise, puis revenu en France en 1647. Dans le désordre de la Fronde, il avait armé une escadre de sa propre autorité, et empêché les Anglais de secourir Bordeaux, révolté contre le Roi. Au début de la guerre de Hollande, servit sous les ordres du comte d'Estrées. Il avançait lentement dans la hiérarchie, parce qu'il était de petite naissance et protestant, et qu'il avait, d'ailleurs, un mauvais caractère. Du Quesne était cependant parvenu au grade de lieutenant-général. Colbert, bien qu'il l'estimât beaucoup, appréhendait sa rencontre avec Ruyter. Il était content de l'état de nos forces maritimes ; à la flotte hollandaise et espagnole, — 22 vaisseaux hollandais, 14 espagnols et 19 galères, — il opposait 30 vaisseaux, 10 brûlots, 24 galères. Il croyait nos vaisseaux mieux armés, mieux équipés, mieux commandés que ceux des Hollandais, et, à plus forte raison, que ceux des Espagnols. Il concluait que la flotte du Roi devait battre nécessairement tout ce qui peut se présenter dans la Méditerranée. Malheureusement, disait-il à Seignelai en juillet 1675, il ne pouvait faire aucune comparaison entre la tête et le cœur de Du Quesne et celle de Ruyter. Du Quesne devait montrer, l'an d'après, que la comparaison ne lui était pas si défavorable.

En 1676, le principal effort des armées françaises fut fait contre l'Espagne. Au mois d'avril, le Roi arriva en Flandre avec Monsieur ; il prit la ville de Condé, le 26 avril, et Monsieur attaqua Bouchain le 10 mai. Le Roi commandait l'armée qui couvrait le siège de cette dernière ville, menacé par le prince d'Orange. Entre Valenciennes et Bouchain, à Denain, les deux armées se trouvèrent si proches l'une de l'autre qu'une bataille parut nécessaire. Louis XIV tint conseil ; un seul des généraux proposa l'attaque immédiate ; tous les autres furent d'un avis contraire. Le Roi, à son habitude, suivit la pluralité. Comme vous avez tous plus d'expérience que moi, dit-il, je cède, mais à regret. Orange non plus n'avait pas attaqué, et on le lui reprocha, comme on blâma Louis XIV d'avoir laissé échapper l'occasion d'une victoire. Dans cette guerre qui traînait, les deux adversaires craignaient un événement décisif. Mais Louis XIV regretta plus tard, et il l'avoua, d'avoir suivi les conseils de prudence. Il ne pouvait ne pas sentir qu'il est singulier qu'un roi qui, toute sa vie, a fait la guerre, ne se soit jamais trouvé à une bataille et se soit contenté d'être un preneur de villes. Il est certain que sa présence, et la crainte d'exposer une majesté comme la sienne aux hasards d'une journée, gênaient ses généraux. Louis XIV aurait donc bien mieux fait de rester chez lui. Après la prise de Bouchain, il demeura encore en Flandre, voyageant, inspectant les fortifications ; puis, à sa date de juillet, il s'en alla. Les sièges continuèrent ; le prince d'Orange attaqua Maëstricht et les Français assiégèrent Aire. C'est, disait Madame de Sévigné, afin de jouer aux échecs ; dans le cas ou Maëstricht succomberait, ce serait pièce pour pièce. Elle ajoute : Il y avait un fou, le temps passé, qui disait dans un cas pareil : Changez vos villes de gré à gré ; vous épargnerez vos hommes. Il y avait bien de la sagesse à ce discours.

Aire fut prise en juillet. Le prince d'Orange ne put prendre Maëstricht. Le Roi aurait souhaité quelque entreprise en Flandre. Il la demandait à Louvois : Songez à tout ce qui sera possible ; mandez-moi votre avis ; préparez tout ce qui pourra être nécessaire, et n'oubliez rien de ce qui se pourra faire, mais il ajoutait : sans hasarder beaucoup, et concluait : Enfin je ne dis rien de positif, mais j'ai bien envie que l'on fasse quelque chose avec prudence. Il souhaitait remporter quelque grand avantage, car, en ce cas, disait-il, je parlerais plus hardiment que je ne fais. Mais, d'autre part, un malheur qui pourrait arriver en attirerait bien d'autres. Il considérait la lutte engagée en Flandre, sur le Rhin, dans la Méditerranée et dans les mers lointaines : Il y a tant de grandes choses entreprises de tous côtés que je regarde avec attention et beaucoup d'inquiétude dans le fond, quoique je paraisse fort tranquille.

Sur le Rhin, en cette année 1676, une médiocre campagne : Luxembourg ne put empêcher les Impériaux de prendre Philippsbourg, bien que la garnison se fût défendue, à la lettre, jusqu'à la dernière extrémité. Cette ville, dont le pont avait une grande valeur stratégique, capitula le 17 septembre.

En mer, de grands coups furent frappés. Le 8 janvier 1676, du Quesne livra bataille à Ruyter entre les fies Satina et Stromboli. Ruyter déclara qu'il ne s'était pas encore trouvé à un si rude combat. Mais la journée fut indécise. Le 22 avril, en vue d'Agosta, Du Quesne battit la flotte espagnole et la flotte hollandaise. Ruyter, blessé, mourut quelques jours après. Le 2 juin, nouvelle victoire française à Palerme. Ce fut un de ces moments rares, où l'on entrevoit que la France, si elle l'avait voulu, aurait pu régner sur la mer. Colbert avait mis à diriger les départs des escadres et des convois son habituelle activité anxieuse, pressant les retardataires, leur exagérant l'extrême impatience de Sa Majesté. En novembre il espérait, pour l'année d'après, une nouvelle campagne glorieuse, et il envoyait en inspection son fils Seignelai à Marseille et à Toulon.

Cependant, les négociations pour la paix étaient recommencées. Personne ne la désirait plus sincèrement que le très embarrassé roi d'Angleterre. En 1675, il avait proposé sa médiation que Louis XIV et la Hollande acceptèrent. La réunion d'un congrès à Nimègue fut convenue. Mais, à la fin de 1676, les plénipotentiaires n'étaient pas tous arrivés à Nimègue, et le congrès n'avait guère fait que régler des questions de protocole. Il semblait pourtant que la France dût y obtenir les satisfactions qu'elle désirait. Le roi Charles, le médiateur, était à sa dévotion ; en février 1676, après les habituels marchandages, Louis XIV et, lui s'étaient promis d'entretenir leur étroite amitié. D'autre part, le patricial hollandais était tout, porté à bien accueillir la proposition que Louis XIV lui faisait d'un traité séparé. Il savait que la France lui ferait de belles conditions. Il se plaignait de l'accablement de cette guerre, chaque année mal conduite ; il craignait que le Roi n'achevât la conquête de la Flandre, que personne ensuite ne pourrait lui ôter. Le grand pensionnaire Fagel expliquait à W. Temple, d'un ton triste et sérieux, que, puisque la Hollande ne pouvait empêcher ce malheur, il valait mieux qu'elle s'y résignât, en s'accommodant avec la France, que de s'exposer elle-même, après la Flandre conquise, à une nouvelle invasion, qui pourrait la tuer. Il acceptait pour les Provinces-Unies une destinée médiocre de pays vassal de la France.

Cependant, il était bien difficile que les deux principaux États, France et Hollande, se réconciliassent sans plus de façons par un traité particulier. Ils étaient trop engagés avec leurs alliés pour qu'ils pussent se les sacrifier mutuellement. Louis XIV était résolu à ne pas abandonner la Suède, à qui la guerre contre le Brandebourg avait été funeste. En juin 1675, l'électeur Frédéric-Guillaume avait détruit une armée suédoise au combat de Fehrbellin, qui fut la première grande victoire remportée par un Hohenzollern. Il s'était mis à conquérir la Poméranie. Avec lui combattaient les ducs hanovriens de Zell et de Brunswick et le roi de Danemark. Ces princes avaient des traités avec la Hollande, et ils étaient représentés au congrès de Nimègue. Il fallait donc bien compter avec eux. De sorte, pensait Temple, que la guerre seule était capable de faire la paix.

Les Hollandais se décidèrent de mauvaise grâce à la continuer ; ils menacèrent les alliés de leur couper les subsides, s'ils ne se conduisaient pas, la campagne prochaine, rondement et sincèrement... afin de pouvoir mettre les Français dans le tort. Mais le prince d'Orange se réjouissait que la paix fût impossible. Il se plaignait bien de la conduite des alliés, de la faiblesse ou plutôt de l'inutilité des troupes espagnoles en Flandre, (par) manque de paix et de bon ordre, et de ce que les Impériaux agissaient sans dessein sur le Rhin, et selon les ordres qui leur venaient de Vienne, où la jalousie des ministres faisait faire mille fausses démarches aux généraux. Mais, malgré tout, il s'obstinait à tenir tête an roi de France. Il raconta un jour de janvier 1677 à W. Temple que, le matin, il avait vu à La Haye un vieillard seul dans un petit bateau, qui ramait de toute sa force contre le courant d'une écluse ; qu'après avoir gagné avec bien de la peine le lieu où il souhaitait d'aller, le courant l'avait entraîné ; qu'il avait tourné son bateau le mieux qu'il avait pu ; et que, pendant qu'il l'avait regardé, il avait eu trois ou quatre fois le même sort que la première. Le prince conclut qu'il y avait beaucoup de rapports entre les affaires de ce bonhomme et les siennes, et qu'il devait agir comme ce vieillard avait fait, sans savoir pourtant ce que ses efforts produiraient.

La France n'attendit pas le printemps pour commencer la campagne en 1677. Le 28 février, une place très considérable, Valenciennes, fut investie. Le même jour, le Roi quittait Saint-Germain pour arriver devant la ville. Assuré du succès, très en train, il écrivait à Colbert : Mon canon commence à tirer aujourd'hui et fait grand bruit. Le temps est admirable ; tout ira bien, et les ennemis ne remuent rien pour s'approcher de moi. Le 17 mars, Valenciennes fut emportée d'assaut.

Le Roi s'en alla ensuite assiéger Cambrai, et Monsieur, Saint-Omer. Le prince d'Orange voulut délivrer Saint-Omer. Monsieur, sous qui Luxembourg et d'Humières commandaient, le battit à Cassel, le 11 avril 1677. C'était un événement, dans ces campagnes de sièges, qu'une bataille gagnée. Condé écrivit à Louis XIV pour le féliciter : Mon cousin, répondit le Roi, c'est avec justice que vous me félicitez de la bataille de Cassel. Si je l'avais gagnée en personne, je n'en serais pas plus touché, ou pour la grandeur de l'action, ou pour l'importance de la conjoncture, surtout pour l'honneur de mon frère. Mais des familiers de Monsieur lui prédirent que jamais plus il ne gagnerait de victoire, parce que jamais plus il ne commanderait d'armée, et la prédiction s'accomplit. Louis XIV n'aimait pas qu'on lui prit quelque chose de sa gloire.

Saint-Omer se rendit le 22 avril, Cambrai-ville capitula le 17 mai, et la citadelle, le 20. Cambrai, célèbre par son antiquité et par son siège archiépiscopal, était comme un avant-poste espagnol à la frontière de France. Des partis en sortaient constamment pour ravager les campagnes françaises voisines. Aussi le siège de cette place fut-il un grand événement. Le lendemain de la capitulation, le Roi écrivit à Colbert : Je crois que la date de cette lettre ne vous déplaira pas. Pour moi, je la trouve très agréable pour un roi de France, et particulièrement pour moi. Une médaille commémorative représente un paysan de France qui pousse sa charrue, en vue des clochers de Cambrai, dans un champ tranquille.

Sur le Rhin, après la perte de Philippsbourg, on s'en tenait à la défensive. Le pays entre le Rhin et la Sarre fut affreusement dévasté, pour que l'ennemi ne pût s'y maintenir. Le quartier général de l'armée commandée par Créqui fut reculé à Nancy. Créqui envoya un corps protéger l'Alsace, se réservant de surveiller le nouveau duc de Lorraine, qui avait cru, après le succès de Philippsbourg, le moment bon pour conquérir son duché ; il avait écrit sur ses drapeaux : Aut nunc, aut nunquam, Ou maintenant, ou jamais. Mais Charles V n'entra dans son héritage que pour tout de suite être obligé d'en sortir. Et Créqui termina une campagne savamment menée, par un beau coup. En octobre, les Impériaux et les Lorrains s'étaient installés pour leurs quartiers d'hiver dans le Palatinat. Créqui fit semblant de se préparer à l'hivernage, et, passant le Rhin par Brisach, alla investir Fribourg, qu'il prit (9-17 novembre). La perte de Philippsbourg était compensée.

Pendant cette campagne, une diversion utile aux armes françaises se produisit en Orient. Sobieski avait fait la paix avec les Turcs ; Nointel, ambassadeur du Roi à Constantinople, l'y avait aidé. Des troupes, composées de Polonais, d'Allemands, de Cosaques et de Tartares, qui avaient servi pendant la guerre, se trouvèrent ainsi disponibles. Or, un nouvel ambassadeur de France venait d'arriver à Varsovie. C'était le marquis de Béthune, beau-frère de la reine de Pologne, qui fut le bienvenu à la Cour polonaise, où il apporta les présents de la France : un lit, tout un ameublement, un carrosse magnifique, et une croix de chevalier du Saint-Esprit en diamants ; Sobieski ayant souhaité l'honneur d'être membre de l'ordre. Béthune eut l'idée d'acheter les troupes inoccupées. Il leur donna pour chef un gentilhomme français, qui, après la paix des Pyrénées, ne sachant que faire, était allé chercher la guerre en Pologne. Nommé maréchal de camp par Louis XIV, le gentilhomme entra en Hongrie, où il donna de l'occupation aux troupes impériales.

Dans la Méditerranée, Colbert avait tout préparé pour de grandes actions. Ordre, le 10 avril, à l'intendant de marine à Toulon, de faire l'impossible pour faire partir les vaisseaux destinés à Messine sans retardement, de faire savoir par sa première lettre que tous ses vaisseaux sont partis. Même jour, même ordre à du Quesne surmonter toutes les difficultés, en prenant toutes sortes d'expédients, même les plus difficiles...  ne demander aucun éclaircissement... mettre à la voile sans aucun moment de retardement. Mais les Hollandais n'envoyèrent point leur flotte dans les eaux de Sicile.

Toute l'année 1677, on avait négocié. Le 3 mars, les plénipotentiaires remettaient leurs propositions à l'Angleterre, puissance médiatrice. Excepté celles de la Hollande, la France les refusa toutes ; mais des nouvelles venues d'Angleterre rendirent Louis XIV plus accommodant.

Charles II avait continué de vivre du subside français : 2 500.000 livres au mois de novembre 1675, en échange d'une prorogation du parlement pour quinze mois ; deux ans après, pour une prorogation nouvelle, 4 700.000 livres. Mais il sentait le péril de sa tête et conjurait son confrère de se prêter à la paix. Au mois d'octobre 1677, il prit une résolution grave ; il appela le prince d'Orange à Londres, pour lui donner la main de sa nièce Marie, fille du duc d'York, héritière de la couronne d'Angleterre. Louis XIV convoitait cette princesse pour son fils le Dauphin. Il ne demandait pas de dot ; il offrait même au roi Charles un cadeau de trois millions de livres. Ce n'était pas cher, pour mettre dans sa famille, à côté de la succession d'Espagne, la succession d'Angleterre ; mais, contre ce mariage, des Anglais se seraient insurgés. Guillaume, au contraire, fut le bienvenu en Angleterre, où il se maria en novembre. Cette union semblait être le prélude d'une coalition de l'Angleterre et de la Hollande. Or, le parti populaire anglais pensait que Louis XIV ne devait sa grandeur et le bruit qu'il faisait dans le monde qu'à la condescendance du roi Charles. Guillaume essaya d'entraîner tout de suite son oncle dans la coalition. Il parlait de ramener la France à l'état territorial de l'année 1659. Charles ne voulut pas aller si loin. Il proposa à Louis XIV de garder Aire, Saint-Orner et la Franche-Comté et de rendre ses autres conquêtes. Il est vrai que cette proposition eut le caractère d'un ultimatum, un délai étant fixé pour la réponse. Louis XIV n'accepta ni ne refusa ; il traîna en longueur. Le 10 janvier 1678, la Hollande et l'Angleterre signèrent un traité d'alliance. Dès lors, l'entrée de l'Angleterre dans la coalition parut certaine.

Louis XIV opposa an péril une très grande prudence et une très grande fermeté. Il ordonna en janvier 1678 l'évacuation de Messine, bien que Vivonne eût déclaré aux Messinois que le Roi, n'ayant rien de plus à cœur que le triomphe des victimes contre leurs oppresseurs, était résolu à les prendre définitivement sous sa puissante et amicale protection, et à leur rendre leurs franchises et libertés suivant le droit sacré de toute république. Louis XIV savait bien que, tant que les Français resteraient en Sicile, la Hollande ni l'Angleterre ne voudraient entendre parler de paix, parce qu'elles craindraient que la France ne voulût se rendre maîtresse de la Méditerranée. Mais, au moment où il ordonnait cette retraite, il s'apprêtait à frapper un grand coup aux Pays-Bas. Dès le mois de février, il met en mouvement une armée de 420000 hommes. Il trompe les ennemis par un long détour en Lorraine, et arrive le 4 mars devant Gand ; la ville capitule le 9, et la citadelle, le 12. Voilà les Hollandais avertis : s'ils persistent à refuser la paix, après Gand, ce sera le tour d'Anvers d'être pris, et ils savent qu'Anvers au pouvoir de la France sera la ruine d'Amsterdam.

Louis XIV se contente d'avoir donné cette preuve de sa force. Il craint de provoquer en Angleterre et en Hollande une émotion trop vive, et il quitte l'armée en avril. Comme il se sent toujours sous le coup d'un ultimatum, il calcule avec exactitude ce qu'il peut exiger et les concessions et restitutions qu'il doit faire pour obtenir la paix ; et il publie les conditions auxquelles il traitera : tous les territoires conquis sur des alliés de la France, en particulier sur la Suède, leur seront restitués ; la France échangera Fribourg contre Philippsbourg, qu'elle a perdu, ou bien gardera Fribourg  ; l'Espagne cédera à la France la Franche-Comté, et des villes de Flandre, parmi lesquelles Valenciennes, Bouchain, Condé, Cambrai, Aire, Saint-Omer ; la Hollande rentrera en possession de Maëstricht, et la France signera avec elle un traité de commerce ; le duché de Lorraine sera restitué au duc, mais avec la servitude d'un passage pour les troupes françaises ; le Roi gardera Nancy et donnera Toul en échange. — Ces conditions devront être acceptées, et les traités signés avant le 10 mai. Après, le Roi reprendra sa liberté. C'était donc Louis XIV qui jetait un ultimatum à l'Europe.

Il importait que l'Angleterre ne se déclarât pas contre lui à ce moment critique. Le parti de la guerre s'y agitait. Le prince d'Orange faisait les derniers efforts pour obtenir que Charles II persévérât dans la politique qu'il avait acceptée en signant le traité de janvier. Il disait : Le Roi, qui est si souvent en mer, n'apprendra-t-il jamais un mot dont on s'y sert, que j'y appris dans mon dernier voyage, et dont je me souviendrai toujours. La tempête était fort violente, et le capitaine du vaisseau ne cessa de crier toute la nuit au matelot qui gouvernait : Ferme ! Ferme ! Mais Charles II était alors obsédé d'intrigues et d'ennuis. Le Parlement était travaillé par des ambitions de politiciens ; il suspectait d'ailleurs les intentions, en effet toujours suspectes, du Roi ; après lui avoir imposé la guerre, il s'inquiéta quand il le vit prêt à la faire, inventa des difficultés, exigea des garanties sur les matières de religion. Charles, qui gardait toujours au fond du cœur son inclination pour la France, se retourna vers elle et demanda, comme prix de sa neutralité, un subside de trois millions de livres pendant trois ans. Louis XIV le promit en mai 1678.

Il soignait la Hollande particulièrement. A la requête des États généraux, il prorogea jusqu'au 15 août le délai qu'il avait donné aux coalisés. Ses agents manœuvraient dans les villes hollandaises, où grandissait le parti de la paix. Toutes ses démarches furent fort habiles. Pour montrer qu'il était prêt à continuer la guerre, il reparut à la tête de ses troupes au milieu du mois de mai ; mais il fit savoir aux Hollandais qu'il n'attaquerait pas de places nouvelles avant la fin de juin Les villes de Hollande décidèrent alors de lui envoyer une députation. Le prince d'Orange sentait qu'il ne pourrait plus longtemps résister aux pacifiques : Je commence, disait-il au ministre de Brandebourg, à regarder la paix, toute honteuse et ruineuse qu'elle est, comme nécessaire, si l'on veut garder ce qui reste des Pays-Bas ; d'ailleurs le peuple consterné nous y forcera. Le 22 juin, les États généraux ordonnèrent à leurs représentants au congrès de conclure et de signer le traité de paix avant la fin du mois avec ceux des alliés qui s'y trouveraient disposés. L'Espagne ayant déclaré qu'elle était prête à signer elle aussi, l'on commença de rédiger les actes.

Un moment, la paix fut compromise. Louis XIV était résolu à faire rendre aux Suédois les pays qu'ils avaient perdus. Abandonner la Suède, c'aurait été céder sur le premier article de l'ultimatum présenté par lui, manquer à sa gloire, ruiner son crédit auprès des princes à vendre, faire banqueroute à la politique suivie dans l'Empire par les deux couronnes de France et de Suède, alliées depuis si longtemps. Or, il savait bien que le Danemark et le Brandebourg, qui venaient de vaincre la Suède, ne lécheraient pas prise, s'il ne portait pas la guerre dans l'Allemagne du Nord. Il voulut garder, parmi les villes qu'il avait promis de restituer, celles d'où ses troupes pourraient partir. Lorsque, à la fin de juin, cette intention fut déclarée aux plénipotentiaires de Nimègue, les esprits y furent retournés ; on craignit quelque grande perfidie. Le parti de la paix se trouva discrédité en Hollande. L'opinion anglaise était à ce moment-là troublée par une crise violente d'antipapisme. Elle obligea le roi Charles à conclure avec la Hollande un traité d'alliance offensive et défensive, qui fut signé le 26 juillet : la Hollande continuerait la guerre et l'Angleterre la commencerait, si la France ne déclarait pas avant le 11 août qu'elle évacuerait les places sans attendre le rétablissement de la Suède. Un corps de 9.000 Anglais avait passé en Hollande. La flotte attendait l'ordre du départ.

Le Roi essaya d'obtenir un délai. Il était prêt, faisait-il dire aux plénipotentiaires hollandais, à examiner tous les expédients qu'on pourrait lui proposer. Mais les Hollandais répondirent qu'il fallait en finir avant le 11 août. Le Roi fut obligé de trouver lui-même l'expédient, qui fut très bien imaginé. On suggéra à la Suède de déclarer qu'elle ne s'opposerait pas à la paix entre la France et les Provinces-Unies, à condition que celles-ci promissent de ne pas assister le Brandebourg. Louis XIV, ainsi libéré par ses alliés, se désista, le 2 août, de sa prétention de garder des villes. Il aurait voulu qu'avant la signature du traité, les Hollandais lui envoyassent une députation ; dans une de ces audiences solennelles, où il se plaisait à faire grande figure, il aurait paru accorder la paix à l'ennemi qu'il n'avait pu vaincre. Mais le temps pressait. Le 10 août, on travailla ferme à Nimègue. Sur divers points, les Hollandais s'obstinèrent ; plus d'une fois, ils renfermèrent leurs papiers. Les plénipotentiaires français durent faire quelques concessions. Les actes furent signés le 10 août, à onze heures du soir.

Il y en eut trois : un traité de paix entre la France et la Hollande ; un traité de commerce et de navigation entre les deux pays ; une trêve entre la Hollande et la Suède. Par le premier traité, le Roi cédait Maëstricht, mais obtenait que l'exercice libre de la religion catholique y fût maintenu  ; il rendait au prince d'Orange sa principauté et les domaines qu'il possédait en Franche-Comté, Charolais et Flandre. Le traité de commerce dispose que les sujets des deux États pourront franchement et librement fréquenter avec leurs marchandises et navires les pays... de l'un et de l'autre État... sans que cette liberté réciproque puisse être défendue, limitée ou restreinte par aucun privilège, octroi ou aucune concession particulière.

Au moment où la paix se concluait, Luxembourg bloquait Mons. Le prince d'Orange avait amené son armée tout près, espérant cette année-là, — comme les précédentes, d'ailleurs,— quelque belle journée, qui lui aurait permis de pénétrer en France, d'y soulever les mécontents et de dicter la paix. Luxembourg s'attendait à être attaqué par lui. Mais, dans la nuit du 13 au 14 août, un courrier venu de Nimègue apporta au camp français la nouvelle que la paix était faite. Le maréchal ne pouvait pas croire que le prince n'eût pas été informé de l'événement aussi bien que lui et même un peu plus tôt, puisque les Hollandais se trouvaient plus près que lui de Nimègue. Cependant il se tenait sur ses gardes. Son armée occupait, à deux lieues au Nord de Mons, le plateau escarpé de Saint-Denis. Le 14 août, le prince l'attaqua. La bataille fut furieuse, meurtrière et indécise. Guillaume, le lendemain , dans une lettre écrite au grand pensionnaire de Hollande, déclara devant Dieu qu'il venait tout juste d'apprendre la nouvelle de paix ; encore n'avait-il reçu aucune lettre de l'État. Qu'il n'ait eu aucune nouvelle de l'événement, ce n'est guère vraisemblable. Il est très vraisemblable, au contraire, qu'il ait voulu rompre la paix, la guerre étant nécessaire à sa fortune. Au reste, le maréchal de Luxembourg détestait la paix tout autant que le prince. Après que le traité eût été officiellement déclaré, ces deux hommes se virent. Ils s'entretinrent sur l'inutilité dont chacun allait être durant la paix et sur la nécessité qu'il y avait de s'adonner à la chasse pour s'occuper. Luxembourg disait : Durant la paix, on méprise bien les gens de guerre.

La Hollande, pour la défense de laquelle les autres États s'étaient armés, ayant fait sa paix, la coalition tomba, pièce à pièce. L'Espagne était alors gouvernée par don Juan d'Autriche, frère naturel du jeune roi. La politique du jésuite Nithard et de la reine-mère Marie-Anne — le premier avait été exilé et la seconde s'était retirée dans un monastère — fut abandonnée. Marie-Anne avait projeté le mariage de son fils avec une fille de l'Empereur ; don Juan pensait à demander pour Charles la main de Marie-Louise, fille de Monsieur. Le 17 septembre, e traité entre Espagne et France fut signé, à Nimègue, aux conditions marquées dans l'ultimatum de Louis XIV. Le roi de France rendait Charleroi, Binche, Ath, Audenarde et Courtrai, qu'il avait acquises en 1668 par la paix d'Aix-la-Chapelle ; puis Limbourg, Gand, le fort de Rodenhus avec le pays de Waes, Leuve et Saint-Ghislain, occupées pendant la guerre. Le roi d'Espagne lui cédait : la Franche-Comté, Valenciennes, Bouchain, Condé, Cambrai, Aire, Saint-Omer, Ypres, Warwick et Warneton, Poperinghen, Bailleul, Cassel, Bavay et Maubeuge[7]

L'Empereur était hors d'état de continuer la lutte. L'insurrection hongroise se fortifiait par le secours de la France. Tékéli écrivait sur ses monnaies la devise : Ludovicus XIV Gallia rex, defensor Ungariæ. Sobieski servait dans l'Orient de l'Europe la politique française. Léopold était menacé même chez lui, dans son archiduché, où couraient des bandes protestantes. Il se résigna. Deux traités furent conclus, à Nimègue encore, le 5 février 1679. Par le premier, entre la France et l'Empereur, la France renonçait à Philippsbourg et gardait Fribourg, avec un chemin entre Fribourg et Brisach. Elle promettait de rendre au duc de Lorraine son duché, moins Nancy et Longwy, et à la condition que quatre routes larges d'une demi-lieue missent Nancy en communication avec Saint-Dizier, l'Alsace, Vesoul et Metz. L'Empereur ne put obtenir davantage pour son allié et vassal le duc de Lorraine. Celui-ci refusera de rentrer dans son héritage ainsi démembré et humilié, et le roi de France gardera le duché L'Empereur promettait en outre de ne secourir ni aider d'aucune façon l'Électeur de Brandebourg. Par le second traité, entre l'Empereur et la Suède, les deux États furent remis au statu quo ante bellum.

Restait à imposer la paix aux ennemis de la Suède qui s'était très mal défendue. Brandebourg et Danemark furent sommés de lui restituer les pays qu'ils avaient conquis. Mais Frédéric-Guillaume voulait à tout prix garder la Poméranie II demanda l'aide de l'Empereur et de la Hollande inutilement. Alors il supplia Louis XIV de ne pas l'accabler

Après tout, Monseigneur, je comprends bien que le parti est trop inégal des forces de V. M. aux miennes, et que je pourrais être accablé d'un roi qui a porté seul le fardeau de la guerre contre les plus grandes puissances de l'Europe, et qui s'en est démêlé avec tant de gloire et de succès. Mais V. M. trouvera-t-elle son avantage dans la ruine d'un prince qui a un extrême désir de la servir, et qui, étant conservé, pourrait apporter à son service quelque chose de plus que sa seule volonté ? Certes, V. M., en me détruisant, s'en repentirait la première, puisqu'elle aurait de la peine à trouver dans tout le monde un prince qui fût plus véritablement que moi, et avec plus de respect et de zèle, votre serviteur.

Louis XIV demeura insensible. Frédéric-Guillaume se débattit tant qu'il put. En novembre 1678, une armée suédoise recrutée en Pologne avec la permission de Sobieski étant entrée en Prusse, il accourut en traîneau, et chassa l'ennemi, après une rude campagne de trois mois. Mais, au printemps de 1679, Créqui envahissait ses duchés rhénans. Les troupes brandebourgeoises reculèrent jusqu'au Weser, que les Français passèrent le 30 juin. La veille, avait été signé le traité de Saint-Germain-en-Laye par lequel l'électeur restituait la Poméranie à la Suède, entrait dans l'alliance de Louis XIV et promettait de lui donner sa voix, à la vacance de l'Empire. Le Roi pour lui faire connaître le plaisir avec lequel il le voyait rentrer dans son alliance, lui fit un cadeau de 300.000 écus.

Le Danemark, comme le Brandebourg, pria et supplia le Roi de lui laisser quelque profit de la guerre. Il représenta que la Suède avait eu bien des torts envers lui. A défaut de territoires, il avait désiré quelque somme d'argent. Il serait trop malheureux d'être plus mal traité de S. M. que le Brandebourg. Il aurait voulu aussi que le roi de France donnât à son roi le titre de Majesté. Louis XIV n'accorda rien. L'armée de Créqui pénétra dans l'Oldenbourg. Et, en novembre 1679, le Danemark se résigna au traité de Fontainebleau. Louis XIV avait imposé des lois à ce prince dans le fond du Nord.

 

 

 



[1] SOURCES. Mémoire inédit de Louis XIV relatif à la campagne de 1672, publ. en appendice à Rousset, Louvois..., t. I. Le P. Griffet, Recueil de lettres pour servir à l'histoire du règne de Louis XIV, Paris, 1760-64, 8 vol. Pellisson, Lettres historiques, Paris, 1729, 8 vol. Actes et mémoires de la paix de Nimègue, Amsterdam, 1679-80, 4 vol. Lettres inédites des Feuquières, publiées par Gallois, Paris, 1846, 5 vol. Des documents sont publiés par P. de Ségur, en appendice à Le maréchal de Luxembourg et le Prince d'Orange, Paris, s. d.

OUVRAGES. Beaurain, Histoire de la campagne de M. le prince de Condé en Flandre en 1674, Paris, 1774, 1 vol. Sirtema de Grovestins, Louis XIV et Guillaume III, 1868, 8 vol. Reynald, Louis XIV et Guillaume III, 1883, 2 vol. Auerbach, La diplomatie française et la cour de Saxe de 1640 à 1680, Paris, 1887. De Ségur, Le maréchal de Luxembourg, qui vient d'être cité. Cartwright, A life of Henrietta, duchess of Orléans, Londres, 1894.

[2] Le Roi exigeait une exacte discipline. Il était un justicier sévère. Il a raconté qui n'avait jamais eu tant de peine que de se voir contraint à ordonner de sa bouche la mort de douze personnes en un seul jour, quoique les plus coupables du monde. Il s'agissait de soldats coupables de pillage et de sacrilèges.

[3] Cette capitale une fois prise, dit Voltaire, non seulement la république périssait, mais il n'y avait plus de nation hollandaise, et bientôt la terre même de ce pays allait disparaître..... Puis, après avoir parlé du projet d'émigration en masse vers les Indes Orientales, qui courut, au moment d'affolement, dans la bourgeoisie hollandaise, il ajoute : Amsterdam, le magasin et l'entrepôt de l'Europe, où deux cent mille hommes cultivent le commerce et les arts, serait devenue bientôt un vaste marais. Toutes les terres voisines demandent des frais immenses et des milliers d'hommes pour élever leurs digues : elles eussent probablement manqué à la fois d'habitants et de richesses et auraient été enfin submergées, ne laissant à Louis XIV que la gloire déplorable d'avoir détruit le plus singulier et le plus beau monument de l'industrie humaine. Cette belle parole d'admiration et de pitié humaine devant cette œuvre de l'homme, qui fut une victoire sur la nature, personne ne l'aurait trouvée au XVIIe siècle.

[4] Le Roi avait été, pendant la campagne, bienveillant aux catholiques. Il avait été bien accueilli par eux. Les catholiques d'Emmerick avaient célébré, après son entrée, la Fête-Dieu en grande pompe. A Utrecht, les catholiques avaient souhaité son arrivée. Lorsque revint la députation envoyée au Roi pour traiter de la capitulation, elle fut escortée par des gardes du corps que commandait un gentilhomme, Rosamel. Pellisson raconte que les catholiques s'écrièrent qu'ils étaient en liberté, puisqu'ils voyaient les gens du roi de France. Ils firent la messe sur une place publique, où ils donnèrent à Rosamel, malgré qu'il en eût, un carreau et un tapis de pied, lui faisant et à tous ceux qui l'accompagnaient, mille honneurs et mille caresses. Le 16 juillet le Roi fit reconsacrer au culte catholique la grande église d'Utrecht. La foule y fut énorme. Jamais on n'a vu tant de personnes pleurer de joie. La Gazette de France célébrait la restauration de la foi : Partout où l'on plante les fleurs de lys, on replante en même temps l'étendard de la religion. Louvois propose à Luxembourg, dans un mémoire du 10 août 1672, de menacer les habitants d'une totale inondation par la destruction de certaines digues du Rhin ; il croit que les Hollandais, effrayés, se soumettront aux ordres de S. M. en recevant la foi catholique et apostolique de quoi leurs ancêtres ont fait profession depuis neuf cents ans. Tout cela ne prouve pas que la guerre de Hollande ait été une guerre religieuse. Louis XIV n'avait pas une passion d'apôtre. Peut-être ce qu'il estimait le plus en la religion catholique était-il qu'elle fût la sienne. Pellisson explique qu'Il Utrecht, il n'a pas fait seulement une action de justice et de piété en favorisant les catholiques, mais aussi une action de politique. Il a voulu s'attacher fortement la moitié des habitants, au lieu qu'il n'aurait pu gagner entièrement l'autre moitié, quelque complaisance qu'il eût voulu avoir pour eux. Au reste Luxembourg croyait qu'on se trompait sur les sentiments des catholiques hollandais. Il disait que la masse de ceux-ci aurait voulu, aussi bien que les Huguenots, voir noyé le dernier des Français. Voir Pellisson, Lettres historiques, t. I, 243-4, et Pierre de Ségur, Le maréchal de Luxembourg, p 82-87.

[5] Ces deux batailles mirent à l'épreuve la flotte de Colbert. Après la première, Ruyter ayant reconnu que les Français s'étaient bien comportés, Colbert se réjouit : Nous tenons de nos ennemis la preuve la plus claire et la plus constante que l'on puisse désirer d'une belle action. Louis XIV reçut aux bords de l'Yssel la nouvelle de la bataille. Tout en reconnaissant qu'elle ne fut pas une victoire parfaite, il se montra content : Ce qui me donne beaucoup de joie, c'est ce qu'ont fait mes vaisseaux  ; car, du consentement universel, il ne se peut rien faire de mieux. Après la bataille de Schoonveldt-Bank, Colbert fut consolé de la défaite par le témoignage des ennemis qui reconnurent la brillante valeur des vaisseaux de France. Cette valeur, il est vrai, a passé, dit-il, jusqu'à quelques excès. Mais, l'an passé, ils avaient fait preuve de bon ordre et d'exacte exécution des ordres Il me semble que, du tout, on pourrait composer, avec an peu de temps et d'expérience, quelque chose de bon pour la gloire de la nation et la satisfaction du Roi.

[6] Le prince de Condé, dont l'ante pourtant était dure, essaya de modérer cette exploitation pendant qu'il commandait en Hollande. Il écrivait à Louvois, le 25 avril 1673 : Je ne saurais m'empêcher de vous dire que je trouve les esprits de ces peuples ici tout autres que l'année passée ; ils sont tous au désespoir à cause des taxes insupportables qu'on leur fait tous les jours. Il me semble que le profit qu'on a tiré au delà de ce qu'on aurait pu en tirer par la douceur est bien médiocre, et qu'il ne valait pas l'aversion cruelle qu'on s'est attirée. Je ne sais s'il est de l'intérêt du Roi de continuer ; vous me ferez savoir là-dessus ses volontés. Louvois, répondant, convient que les taxes imposées ne peuvent pas avoir mis de bonne humeur les peuples de Hollande ; mais S. M. a trouvé que de l'argent valait mieux que leurs bonnes grâces. Condé répliqua, maintint son opinion sur les voies qui ont mis les peuples au désespoir, laissa entendre que la douceur aurait été une bonne politique et peut-être aurait produit en Hollande quelques révolutions plus grandes que celles qui sont arrivées. Mais il conclut : Je vais pourtant prendre mon front d'airain, puisque vous le voulez ainsi, et être le plus impitoyable homme du monde.

[7] En outre, le roi d'Espagne tâcherait d'obtenir de l'évêque de Liège la cession de Dinant à Louis XIV  ; s'il n'y réussissait pas, il devrait donner Charlemont au Roi.