HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE VII. — LE GOUVERNEMENT DE L'INTELLIGENCE.

CHAPITRE PREMIER. — L'ADMINISTRATION INTELLECTUELLE[1].

 

 

I. — LA GLOIRE DU ROI.

COLBERT, qui acheta en 1664 la charge de surintendant des bâtiments[2], fut, à ce titre, un ministre des beaux-arts. Distributeur de pensions aux écrivains et aux savants, vice-protecteur de l'Académie française, il fut presque un ministre des lettres et des sciences. Il gouverna la vie intellectuelle par les mêmes méthodes que les finances, les manufactures, la marine et le commerce.

D'abord, il ne manqua pas de penser que les lettres, les arts et les sciences se trouvaient, comme le reste, dans un état misérable au moment où le Roi — assisté par lui — prit le gouvernement. Les bâtiments, les meubles, argenterie et autres ornements, écrit-il dans un mémoire de l'année 1663, n'étaient que pour les gens de finances, en quoi ils faisaient des dépenses prodigieuses, cependant qu'il ne se trouvait pas même une paire de chenêts d'argent pour la chambre du Roi. Les mêmes gens entretenaient les muses mêmes et toutes les sciences, qui les remerciaient par des panégyriques et par des dédicaces, et couraient ainsi le risque de tomber dans cette nécessité de n'avoir à louer que la corruption. Il fallait que tout cela changeât, et déjà, constatait Colbert, cela était changé. Le Roi ayant fait rendre gorge aux financiers, a ramené l'abondance dans ses maisons. Les beaux-arts, qui n'étaient employés que par les partisans, seront désormais employés tous ensemble par lui, qui est très riche. Les muses sont retirées de la disgrâce où elles étaient tombées : Par le moyen des pensions qu'il donne, il y a lieu d'espérer qu'elles seront plus florissantes sous son règne qu'elles n'ont jamais été. — Elles cesseront de louer leurs Mécènes et de les comparer à tous les dieux et à tous les héros ; elles adresseront leurs hommages au Roi, qui est seul louable.

Il était conforme à la politique générale du règne de dissoudre les clientèles d'artistes et de gens de lettres nourris dans des maisons particulières par des princes, des grands seigneurs, et surtout par des financiers. Ces clientèles pouvaient troubler l'État. On avait vu des gens d'épée en révolte se faire soutenir par des gens de plume, Richelieu et Mazarin accablés de pamphlets, le mécénat de Fouquet faire de lui une puissance et lui garder des fidèles, même après sa chute. En une vraie monarchie, dans un État comme celui-ci, pour reprendre un mot que Colbert aimait à dire, il convenait qu'il n'y eût plus qu'un Mécène, comme il n'y avait plus qu'une Cour, et que le pamphlet se tût, et qu'on n'entendit plus parler que le panégyrique.

Les arts et les lettres allaient donc devenir un service public, dont la fonction serait de glorifier le Roi. Colbert organisa selon son habituelle façon ce service de la gloire. Il s'enquit auprès d'hommes du métier des moyens de répandre la renommée du maitre et de la faire durer jusqu'à toujours. Chapelain, l'auteur ridiculisé par Boileau du poème de La Pucelle, médiocre écrivain même en prose, critique à qui manquait le sentiment de l'art, mais homme érudit, très répandu dans le monde, informé des choses de la République des Lettres, et né officieux, fut le principal conseiller de Colbert, qui se fiait à son avis absolument, lorsque l'accablement des affaires ne lui laissait pas une heure de libre. Chapelain recommanda, parmi les moyens d'assurer l'éternité du Roi, la poésie de toutes les choses durables, sans doute celle qui se défend le plus de l'injure du temps, lorsqu'une bonne main s'en mêle. Il ajouta très judicieusement que, parmi les écrivains en prose, les plus dignes d'être ménagés sont les historiens, et, entre les historiens, ceux qui s'occupent des choses présentes.

Il dressa donc une liste d'auteurs à gratifier où figurèrent, à côté de savants de toutes sciences, mathématiciens, physiciens, naturalistes, des historiens et des poètes[3]. Un assez grand nombre étaient des étrangers, pour qui Colbert et Chapelain eurent des attentions particulières. Colbert leur annonçait les grâces du Roi par des billets complimenteurs en grand style. Chapelain leur expédiait les lettres de change, accompagnées de conseils qui leur servaient de direction dans la manière qu'ils doivent tenir pour témoigner leur reconnaissance. Il faisait entendre clairement que le Roi ne donnait que pour un an, et qu'il fallait mériter le renouvellement de ses faveurs. Il choisissait les pensionnés étrangers aux endroits bien en vue. Florence est l'État de toute l'Italie où les lettres fleurissent avec le plus d'éclat ; de même, parmi les États du Nord, se distingue la Hollande. Chapelain choisira donc deux Florentins et trois ou quatre Hollandais dans la vue de faire plus de bruit à la gloire du Roi. A la foire de Francfort, se tenait un marché de livres, d'où les écrits se répandaient dans toute l'étendue de l'Empire. Chapelain se félicite qu'on y vende une traduction allemande des Patentes de commerce, que Colbert avait désiré qu'on fit. En tête, le traducteur, un gentilhomme d'Allemagne, a mis une éloquente exhortation à la nation germanique d'user de la grâce que le Roi lui veut bien faire, aussi bien qu'à toutes les autres, de la naturaliser française, si elle entre en part d'un si noble projets[4].

Le Roi fut glorifié par des panégyriques, sur la forme du panégyrique de Trajan, par des poèmes, comme celui d'un Italien qui a imaginé d'admirables rapports entre Sa Majesté et Hercule. Colbert se félicite du dessein que de grands hommes ont formé d'écrire l'histoire du Roi, savoir celle de son règne en latin, en français, en pièces de poésie de toute sorte, en panégyriques et autres pièces d'éloquence ; celle de sa vie privée où seront en détail tous les mouvements réglés de son esprit et toutes les choses qu'il a dites et faites, dans lesquelles son admirable bon sens parait pareillement en toutes les matières.

Mais la gloire n'est point procurée que par des écrits. Les anciens nous ont laissé, disait aussi Chapelain, des monuments qui arrêtent encore avec respect les yeux des peuples. Il énumère les pyramides, les colonnes, les statues équestres, les colosses, les arcs triomphaux, les bustes de marbre et de bronze, les médailles. Nous pourrions y ajouter, pensait-il, nos riches fabriques de tapisseries, nos peintures à fresque et nos estampes au burin, qui, pour être de moindre durée que les autres, ne laissent pas de se conserver longtemps. Une histoire figurée du règne fut en effet entreprise au même moment que l'histoire par l'écriture. Tous les actes du Roi, actes de guerre, actes de paix, ses plaisirs, ses fêtes furent commémorés par des médailles, par des gravures, par des tapisseries, par des tableaux, par des portes triomphales, par des bas-reliefs, par des statues équestres.

Pour diriger tout ce grand travail, Colbert avait formé, l'année 1663, une petite académie de quatre personnes très érudites, Chapelain, Bourzéis, Cassagne et Charpentier. Charles Perrault, un esprit curieux de tout, poète, critique d'art et de lettres, qui fut le premier commis de Colbert à la surintendance des bâtiments, y faisait office de secrétaire. Ces gens de lettres étaient consultés par le ministre sur tout ce qu'il y aurait à faire pour donner de l'esprit, de la majesté et de la grandeur à tous les ouvrages qui s'entreprendraient. Or, l'habitude avait été prise par les érudits, depuis la Renaissance, de chercher dans l'antiquité des rapports au présent, à peu près comme les théologiens cherchaient dans l'Ancien Testament la figuration du Nouveau. La petite académie fit de l'habitude une méthode. Chargée d'inventer et d'examiner les sujets des peintures et des sculptures, les ornements des fontaines et des bosquets, tout ce qui devait servir à la décoration des appartements et à l'embellissement des jardins, et même les divertissements, les comédies en musique, les féeries, elle peupla les palais, les jardins et les fêtes de Dieux, de Héros, de Siècles, de Saisons, de signes du Zodiaque. Les écrivains et les artistes, à peu près tous disciples de l'Italie et de l'Antique, travaillèrent sous sa direction à composer le grand décor d'érudition, tout cet alibi solennel, qui a fait de Versailles un endroit majestueux, froid et lointain.

Le Roi promit de l'ouvrage aux ateliers de sa gloire. Il dit un jour aux membres de la petite académie :

Vous pouvez, Messieurs, juger de l'estime que je fais de vous, puisque je vous confie la chose du monde qui m'est la plus précieuse, qui est ma gloire ; je suis sûr que vous ferez des merveilles ; je Lécherai de ma part de vous fournir de la matière qui mérite d'être mise en œuvre par des gens aussi habiles que vous.

Il fut, toute sa vie, le modèle posant devant l'histoire. Il voulut avoir toujours à portée des artistes pour peindre, et des écrivains pour écrire ses gestes de héros. Envoyez-moi van der Meulen, écrit-il à Colbert après la prise de Cambrai. Il y a ici beaucoup à voir pour lui. Lorsqu'il a fait venir Le Brun, pendant la guerre de Hollande, il s'occupe lui-même du logement de son peintre, veille à sa sécurité, l'entoure de gardes, le promène dans le camp, lui explique les machines d'artillerie, et, pour se montrer à lui en posture de gloire, lui donne le spectacle d'une capitulation. Quand il le congédie, il règle les étapes du retour, l'honore d'une embrassade, lui recommandant derechef de se bien conserver. De même, après qu'il les aura nommés pour écrire l'histoire du Roi, il appellera Racine et Boileau aux armées, où Racine regrettera la vie de famille et sa maison de la rue des Maçons.

Procurer la gloire du Roi par l'exaltation de sa personne fut assurément l'intention principale du mécénat royal. Mais le Roi et Colbert savaient que les arts, les lettres et les sciences honorent un prince autrement que par les louanges qu'ils donnent. Le règne où ils fleurissent est grand par cela seul. Il est honorable pour un roi de s'intéresser aux recherches de l'histoire même dans les époques reculées. Des missions seront envoyées en Orient pour en rapporter tout ce qui pourrait contribuer à satisfaire la curiosité du Roi. Chapelain est content que Wagenseil, le premier pour la langue hébraïque, dont il doit compiler les antiquités, les dédie au Roi, comme aussi que Vossius prépare pour S. M. un traité sur l'origine du Nil. Il regrette que Gevaert soit mort sans avoir dédié au Roi l'explication d'une agathe. Il espère que Baeclerus dédiera à S. M. sa traduction de Polybe. C'est une gloire encore pour le Roi que ses gratifiés recherchent les secrets de la nature dans la terre, dans l'eau et dans le ciel, que Huygens écrive le nom de Louis à la première page de l'Horologium oscillatorium. Au moment où allait être fondée l'Académie des sciences, un des savants dont Colbert prit les avis, loua cette entreprise, la plus illustre qui fût jamais... qui est de bannir des sciences tous les préjugés, en ne s'appuyant que sur des expériences, de trouver quelque chose de certain, d'en écarter toutes les chimères et d'ouvrir à ceux qui les cultiveront à l'avenir un chemin aisé à la vérité, autant que Dieu a donné aux hommes de la connaître pour leur utilité. Et Colbert écrivait qu'entre les grandes choses auxquelles le Roi s'applique, celle des sciences n'occupe pas moins son esprit que toutes les autres qui regardent la guerre. A un académicien, il déclarait : Vous ne pouvez assurément rien faire de plus glorieux pour le règne du Roi... que de travailler toujours... avec le même succès que vous avez fait jusqu'à présent. Enfin, Colbert et le Roi pensaient que sont glorieuses aussi pour le prince qui les a vues naître toutes les sortes de belles choses, les poèmes, les oraisons, les tragédies, les comédies, et les monuments de pierre et de marbre, à l'aune desquels la postérité mesure les rois. Ils prétendaient égaler au siècle d'Auguste le siècle de Louis XIV.

Ainsi comprise, l'idée de la gloire par les lettres, les sciences et les arts, était un hommage à la puissance et à la beauté de l'esprit.

 

II. — ADMINISTRATION ET ACADÉMIES.

LORSQUE Colbert voulut rétablir les manufactures, il fit venir des artisans étrangers, pour qu'ils apportassent chez nous les secrets de la fabrication du drap façon de Hollande, de la dentelle ou du verre façon de Venise, etc. De même il appela en France des artistes et des savants étrangers pour leur demander les secrets des arts et des sciences. Les deux plus grands savants qui travaillèrent en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle, furent le Hollandais Huygens et l'Italien Cassini. Lorsque Colbert obtint, à très grands frais, que l'architecte Bernin vînt, de Rome, donner à Paris des leçons et des modèles de gran gusto, il semble bien avoir voulu tirer de cet étranger tout ce qu'il contenait de lumières.

Il importa d'Italie les matières premières des beaux-arts. Il entendait dire et croyait que ce pays avait pris le sceptre des arts, parce qu'il gardait en grand nombre des monuments de l'antiquité. Il concluait : Nous devons faire en sorte d'avoir en France tout ce qu'il y a de beau en Italie. Il acheta tant qu'il put d'œuvres de sculpture. Ce qu'il ne pouvait acheter, il le faisait mouler. Chaque année, à partir de 1665, des caisses arrivèrent en France, pleines d'originaux et de moulages. En 1670, on en déballa 300. Presque tout venait de Rome, qui, à la fin, se fâcha d'être dépouillée. Une émeute obligea le pape, en 1686, à défendre la sortie des antiques. Colbert acheta aussi ou fit copier en quantité des tableaux de la Renaissance italienne. Un des principaux devoirs des pensionnaires de l'Académie de France à Rome, sitôt fondée, fut de copier. Colbert écrit à Errart, le directeur : Faites faire aux peintres les copies de tout ce qu'il y a de beau à Rome et lorsque vous aurez fait tout copier, s'il est possible, faites les recommencer. Errart et les pensionnaires obéissent, mais ils se fatiguent. Les élèves sont dégoûtés de copier, écrit le directeur. Colbert répète : Lorsque tout ce qu'il y a de beau à Rome sera copié, ne craignez pas de les faire recommencer. Il recommande la plus grande exactitude dans les copies : Prenez bien garde que les sculpteurs copient purement l'antiquité sans y rien ajouter. Et encore : Prenez garde qu'il n'y ait rien de changé aux originaux, c'est-à-dire que les copies que vous ferez faire soient de mêmes mesures, et que les ornements soient faits avec soin et amour.

Mais, si Colbert mettait nos artistes à l'école de l'Italie, comme il mettait nos artisans à l'école de la Flandre, ou de la Hollande, ou de Venise, il ne voulait pas les y laisser. Le ministre qui a voulu produire un drap français, une dentelle française, une verrerie française, et aussi composer un droit français, espérait bien créer un art français. Un jour, il mit au concours l'invention d'un ordre français d'architecture. Ce grand nationaliste voulait, après avoir enlevé le sceptre à l'Italie, égaler l'antiquité elle-même. Si l'on parle devant lui de la colonne Trajane ou du pont du Gard, il demande que la paix soit assurée seulement douze ou quinze ans, et promet que l'on verra des choses aussi étonnantes.

Colbert se fit assister, dans les diverses parties de son administration intellectuelle, par des académies, à chacune desquelles il demanda un travail déterminé.

L'Académie française n'était encore en 1661 qu'une société privée, reconnue, si l'on peut dire, d'utilité publique, et protégée par un grand personnage d'État. Son protecteur était le chancelier Séguier, qui avait succédé dans cet office aux cardinaux Richelieu et Mazarin. Elle avait rédigé son règlement, et elle y obéissait autant qu'il lui plaisait. Elle travaillait au dictionnaire mollement. Lorsque mourut, en 1671, le chancelier Séguier, qui la logeait, elle se trouva sans protecteur et sans abri. Colbert lui donna pour protecteur le Roi, pour vice-protecteur lui-même, pour logement le Louvre. Il lui alloua une petite somme pour payer ses scribes, lui fournit le papier, les plumes, l'encre, et le chauffage et l'éclairage. L'Académie remercia le ministre de l'avoir sauvée de la tempête. Elle était confuse de l'honneur qu'elle recevait d'être attachée à titre de domestique à S. M., puisqu'elle allait résider dans un palais habité par le Roi et par les Belles-Lettres, comme autrefois, à Rome, il n'y avait qu'un palais pour Hercule et pour les Muses. Un peu plus tard, il la gratifia de jetons de présence ; mais, pour gagner le jeton, il fallut arriver devant l'heure et demeurer jusqu'à la fin. Charles Perrault affirme que l'Académie française travailla mieux et dix fois plus qu'elle n'avait fait jusqu'alors. Colbert attendait d'elle qu'elle achevât le grand ouvrage du dictionnaire. Pour la langue, comme pour tout le reste, il voulait des règles fixes et certaines. Il espérait, d'ailleurs, que, de cet ouvrage, le public recevrait de l'instruction, et que plus de personnes deviendraient, par une meilleure connaissance de la langue, plus capables de travailler à la gloire du Roi. Tous les mots de la langue, dit un jour Racine, dans un discours académique, toutes les syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d'instruments qui doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur.

Comme l'Académie française, l'Académie des sciences commença par être une société privée d'hommes qui se réunissaient à dates régulières. Colbert leur donna d'abord pour lieu de réunion sa bibliothèque, puis la bibliothèque du Roi, après qu'elle eût été établie rue Vivienne, en 1666. L'Académie se composait de vingt et un membres, astronomes, géomètres, mécaniciens, physiciens, chimistes, anatomistes, botanistes. Aucune ordonnance ne l'institua. Pour tout règlement, il fut arrêté qu'elle s'assemblerait deux fois la semaine ; elle traiterait de mathématiques l'un des deux jours, et, l'autre, travaillerait à la physique : Comme il y a une grande liaison entre ces deux sciences, on a jugé à propos que la Compagnie ne se partage point, et que tous se trouvent à l'assemblée le même jour. Le Roi se déclara protecteur de la nouvelle académie, donna des pensions à quelques académiciens, quelque argent pour l'achat d'instruments et de livres et l'entretien du laboratoire. Il honora d'une visite la Compagnie, qui le divertit de quelques expériences, et qu'il remercia par ce compliment : Je n'ai pas besoin de vous exhorter à travailler, vous vous y appliquez assez par vous-mêmes. Peu à peu, l'Académie s'organisa. En 1699 seulement elle recevra son règlement, et un logement au Louvre. L'Académie des sciences était une société de savants, dont les membres se communiquaient leurs travaux et les discutaient en commun. Elle entretenait un commerce avec les savants de France et de l'étranger pour être informée du travail scientifique universel. Elle entendait le rapport qui lui était fait de tous les ouvrages importants sur la physique et les mathématiques.

Au reste, Colbert lui demanda force consultations pratiques, dont il tira bon parti pour la marine, les métiers et les bâtiments.

Jusqu'en l'année 1648, il fallait, pour exercer légalement la peinture ou la sculpture, avoir été reçu maître, après apprentissage et présentation du chef-d'œuvre, par les jurés de la maîtrise ès arts de peinture et de sculpture. De cette obligation étaient exemptés, il est vrai, les artistes à qui les rois octroyaient ou vendaient des lettres de maîtrise, ceux qui étaient attachés à la domesticité royale par le titre de valet de chambre du Roi ou de la Reine ou d'un enfant de France, ou pourvus d'un brevet de peintre ou de sculpteur du Roi, ou logés au Louvre. De même, le service particulier du Roi et le logement au Louvre affranchissaient les artisans de la sujétion à des maîtrises. Ces peintres et sculpteurs privilégiés étaient nombreux au XVIIe siècle. Ils étaient fiers de leurs privilèges et méprisaient la vulgaire maîtrise. Celle-ci réclamant ses vieux droits, ils se plaignaient d'être tracassés par elle.

Aussi, en janvier 1648, ils demandèrent par une requête au Conseil que leur qualité ne fût plus comprise avec des barbouilleurs, des marbriers et polisseurs de marbre en une mécanique société. Ils recouraient à la puissance souveraine, dirent-ils, pour être remis en leur lustre, ainsi qu'ils étaient au temps d'Alexandre dans l'Académie d'Athènes, où chacun sait qu'ils occupaient le premier rang parmi les arts libéraux. Ils prétendaient, eux aussi, former une académie, qui leur donnerait la liberté, et les distinguerait de gens qui ne sont employés qu'à peindre la porte de la basse-cour. Sur ce ton de mépris, les artistes parlaient des artisans avec lesquels si longtemps ils avaient vécu pour accomplir tant d'œuvres admirables. Mais les temps de cette union étaient révolus. La Renaissance, l'exemple des grands artistes d'Italie, qu'avaient honorés et courtisés les princes et les républiques, une éducation toute nouvelle, l'attrait de la Cour, l'attrait de Rome, tout ce dépaysement, l'individualisme qui en fut la conséquence avec l'ambition d'une gloire et d'un profit personnels avaient brisé le vieux cadre. Le Conseil, faisant droit à la requête des artistes du Roi, défendit aux maîtres jurés, peintres et sculpteurs, de donner aucun trouble ou empêchement aux peintres et sculpteurs de l'Académie... à peine de 2.000 livres d'amende.

Parmi les requérants se trouvaient Guillain, Le Sueur, Charles Errart et Le Brun, protégé du chancelier Séguier, et déjà célèbre. Tout de suite, ils se constituèrent et ils ouvrirent une école. La maîtrise assez longtemps se défendit. Elle avait pour elle de bons artistes comme le vieux Vouet. Mais l'Académie fut soutenue par le gouvernement. Des statuts lui furent donnés. Elle reçut, en 1655, un subside du Roi pour le paiement de ses modèles, et un logement et, ce qui était très grave, le privilège de l'enseignement : défense fut faite à tous peintres de s'ingérer dorénavant de poser aucun modèle, faire montre et donner leçon en public touchant le fait de peinture et de sculpture qu'en ladite Académie. Le Roi lui permit de prendre pour protecteur le cardinal Mazarin. Elle devenait ainsi de plus en plus royale. Elle le fut tout à fait lorsque, après la mort de Mazarin, Séguier lui ayant succédé comme protecteur, la vice-protection fut offerte à Colbert qui l'accepta. Tout de suite, des coups répétés frappent la maîtrise, mais Colbert s'en prend aussi aux indépendants. Des écoles privées s'étaient établies où des jeunes gens travaillaient : c'était, pensait-il, un désordre qui causait un grand préjudice. Un arrêt du Conseil du mois de novembre 1662 répète la défense à des particuliers de tenir une académie et de poser modèle. Des peintres et sculpteurs du Roi prétendaient demeurer à l'écart de la Compagnie ; un arrêt du mois de février 1663 ordonne à qui voudra conserver cette qualité de s'unir et incorporer incessamment à ladite Académie. Colbert n'aimait pas qu'on travaillât à part soi. Il traitait les artistes comme ces ouvrières en point de France, auxquelles il défendait d'ouvrer à la maison, attendu qu'à la manufacture les ouvrages seront beaucoup plus beaux, beaucoup meilleurs et beaucoup mieux achevés.

A la fin de la même année, de nouveaux statuts achevèrent d'organiser la compagnie. A l'origine, en 1648, elle se composait d'un nombre illimité d'académistes, lesquels élisaient entre eux douze anciens, qui à tour de rôle la présidaient, et un chef. Elle était comme une société libre des Beaux-Arts. Désormais, parmi ses académistes, quarante seront pourvus des mêmes privilèges que les quarante de l'Académie française ; elle sera administrée par un chancelier, par un recteur trimestriel, par un directeur à vie. Ce n'est plus le premier régime d'égalité et de confraternité. Logée au Palais Royal, puis au Louvre, privilégiée, gratifiée, pourvue d'un monopole, l'Académie est toute sous la main du roi. Sa Majesté, dit Colbert, veut appuyer et maintenir solidement son Académie royale de peinture et de sculpture. Elle veut la diriger aussi. Le Brun devient premier peintre du Roi et directeur de l'Académie, en 1664, l'année où Colbert achète la surintendance des bâtiments. Les artistes, qui ont revendiqué la liberté de l'Académie, pour échapper à la maîtrise des arts et des métiers, vont connaître de plus rigoureuses contraintes. L'Académie deviendra une sorte de manufacture royale pour l'enseignement et la production du beau.

Les architectes n'eurent pas besoin de se grouper en académie afin de se défendre contre une maîtrise ; il n'y en avait pas dans leur métier. Colbert pourtant institua en décembre 1671 une Académie d'architecture. Le Roi se réserva d'en nommer les membres, qui furent au nombre de dix. Ainsi aurait-il fait sans doute pour les autres compagnies, si elles n'avaient commencé par être des sociétés particulières. Il n'aimait point qu'un homme dût un honneur à une élection, et Colbert ne l'aimait pas plus que lui. Au fond, le ministre considérait les Académies comme des conseils auxquels il demandait des services. Il lui était commode d'avoir sous la main des hommes auxquels il pût ordonner, comme il fit un jour aux académiciens architectes, d'aller visiter les anciens bâtiments de Paris et des environs, d'étudier la qualité des pierres, si elles subsistent en entier, si elles sont endommagées par l'air, l'humidité, la lune, le soleil, de quelles carrières elles ont été tirées. Au reste, l'Académie d'architecture fut, elle aussi, un corps enseignant. Elle dut définir les principes de l'art, d'après les œuvres des grands architectes, depuis Vitruve jusqu'à Philibert Delorme, et former un séminaire de jeunes architectes, pour leur apprendre les règles les plus justes et les plus correctes de l'architecture.

Ni l'Académie de peinture, ni l'Académie de sculpture ne croyait que l'éducation d'un artiste pût s'achever à Paris. Il y fallait ajouter un séjour à Rome pour se former le goût et la manière sur les originaux des plus grands maîtres de l'antiquité et des derniers siècles. Les maîtres des derniers siècles, en effet, c'est-à-dire de la Renaissance, étaient égalés à ceux de l'antiquité dans l'admiration des Français. Comme nos peintres n'avaient pas de modèles anciens, ils étudiaient les peintres d'Italie. Aussi bien qu'eux les architectes et les sculpteurs voyaient l'antique à travers l'italien. Et c'était depuis longtemps l'usage que les artistes fissent le pèlerinage d'outre monts. Les uns y allaient à leurs risques et périls, gagnant leur vie comme ils pouvaient ; d'autres, aux frais de quelque Mécène. Ce fut le chancelier Séguier qui paya le voyage de Rome à Le Brun. Le Roi, successeur de tous les Mécènes, institua l'Académie de Rome, dont les statuts furent publiés le 11 février 1666.

Cette Académie recevra douze pensionnaires, — six peintres, quatre sculpteurs, deux architectes, — qui travailleront sous l'autorité d'un directeur, auquel sont dues toutes sortes de soumissions et de respects. Ils se lèveront l'été à cinq heures et, l'hiver, à six. Ils entendront la messe avec toute l'attention et la modestie requises. Ils prendront en commun les repas, en écoutant une lecture d'histoire, étant très important qu'ils en soient bien instruits. Ils recevront des leçons d'arithmétique, de perspective, d'anatomie. La destination de leur temps sera faite par le directeur, qui les visitera tous les jours, aux lieux où ils travailleront, pour voir s'ils emploient bien le temps et ne se débauchent pas. Le directeur enverra tous les mois au surintendant des bâtiments le bulletin de la conduite, des progrès, du succès qu'on peut espérer de leurs études. L'élève qui n'aura pas travaillé sera déchu de la grâce qu'il a plu à S. M. lui accorder. Celui qui aura travaillé le mieux recevra un prix le jour de la Saint-Louis.

Dix ans après, en 1676, Colbert rattacha cette école à l'Académie royale de peinture et de sculpture. Le Brun, directeur de l'Académie, devint prince et chef des pensionnaires du Roi à Rome. Ainsi, un étudiant ès beaux-arts étudie d'abord à Paris, sous la direction de Le Brun. Pensionnaire à Rome, il vit sous le principat de Le Brun. Au retour, s'il a été bon écolier, s'il a envoyé de belles copies, s'il est, comme dit Colbert, un garçon qui peut servir, il sera employé par Le Brun aux œuvres du Roi. Le cercle est achevé. L'artiste est protégé contre la flânerie et contre la fantaisie. C'est la perfection.

Le Roi avait besoin, pour décorer ses palais et ses jardins, non seulement de peintres et de sculpteurs, mais de bons ouvriers de toutes sortes d'arts et métiers, tapissiers, orfèvres, fondeurs, graveurs, lapidaires, ébénistes. Il fallait que la moindre des choses que son regard pût rencontrer portât la marque de la grandeur et de la félicité du règne. Autrement la belle harmonie aurait été rompue. Colbert réunit des artistes et des artisans dans la maison des Gobelins, achetée en 1662 pour être une manufacture de tapisseries et qui devint, en 1667, la Manufacture royale des meubles de la couronne. Ce fut une communauté bien organisée, fortement disciplinée, très laborieuse. Le Brun était, depuis 1663, le directeur de la maison Il dessina ou fit dessiner sous ses yeux à peu près toutes les œuvres d'art qu'on y travailla. Sur ses dessins, des sculpteurs, parmi lesquels étaient Michel Coysevox et Philippe Caffieri, exécutaient des modèles, qui étaient reproduits en marbre, en bronze, en argent ou en or. Il donna aux maîtres tapissiers, au lieu de cartons, ébauches souvent indécises, d'après lesquelles les ouvriers travaillaient assez librement, des tableaux achevés, de la dimension même des tapisseries commandées. A chacun de ces modèles travaillèrent plusieurs peintres, chacun y apportant ce qu'il faisait le mieux : Van der Meulen les vues de places fortes, les paysages et les chevaux ; Monnoyer, les fleurs ; d'autres, les figures.

Quantité d'œuvres admirablement soignées sortirent des Gobelins. Des cadeaux qu'en fit le Roi dans les cours étrangères y portèrent la réputation de la maison, que visitèrent les ambassadeurs des pays les plus lointains, la Moscovie, l'Éthiopie, le Siam. Le Roi lui-même l'honora d'une visite, que rappelle un tableau dessiné par Le Brun et peint par Pierre de Sève. Louis XIV, canne en main, coiffé du large chapeau emplumé d'où s'écoulent les grandes boucles, domine de sa taille surélevée le groupe qui l'accompagne. Il semble montrer les tableaux, les tapisseries, les meubles, les vases d'argent et de marbre, réunis dans ce musée de merveilles.

Soixante apprentis travaillaient dans une école adjointe à la manufacture. Ils avaient permission d'aller dessiner gratis à récole de l'Académie royale. Après dix ans d'études, ils étaient distribués par le directeur entre les corporations d'arts et métiers. Après quatre ans d'un nouvel apprentissage, ils devenaient maîtres, de droit. Ils répandaient partout l'art et le style de la maison qui les avait élevés. C'est dans cet hôtel, disait le Mercure de France, que se sont instruits et perfectionnés tant d'habiles ouvriers qui, depuis son établissement, se sont répandus dans le royaume et surtout dans la capitale, où ils ont poussé les beaux arts au point de ne plus guère faire envier ni regretter par les Français les admirables ouvrages des Grecs et des Romains.

Au moment où Louis XIV prit le gouvernement, la Confrérie de Saint-Julien les ménétriers prétendait, de par une ordonnance de l'an 1407, exercer une autorité sur tous les compositeurs, organistes, clavecinistes, violonistes, flûtistes, facteurs d'instruments et maîtres de danse. Elle était gouvernée par le roi des violons, maitre des ménétriers et maitre de danse, souverain de tous les instruments hauts et bas du royaume. Mais le Roi avait ses musiciens à lui, comme il avait ses peintres, ses sculpteurs et ses artisans. La musique du Roi comprenait la Chapelle, la Chambre et la Grande Écurie. La Chapelle, presque toute vocale au début du règne, interprétait des messes et des motets. Les vingt-cinq violons de la Chambre, qu'on appelait la Grande Bande, jouaient aux dîners du Roi, dans les bals et les solennités. Les vingt-cinq musiciens de la Grande Écurie, hautbois, flûtes, musettes du Poitou, cors, trompettes, tambours, timbales, etc., formaient le corps de musique des cortèges, des chasses et des fêtes en plein air. Un surintendant était préposé à cette musique du Roi. Il y avait naturellement rivalité entre le roi des violons et ce surintendant. Le premier fut très puissant au temps de Dumanoir, qui, de par un édit obtenu en 1658, prétendit étendre l'autorité de sa charge. Il avait gardé celle de directeur de la grande bande, dont il était investi avant de recevoir le gouvernement de la maîtrise. Ce qui lui permit de réduire à rien l'autorité du surintendant. Mais il se trouvait dans la grande bande un Florentin, Jean-Baptiste Lulli, élevé en France et qui avait fait son éducation musicale chez des maîtres organistes parisiens. Pour échapper à l'autorité de Dumanoir, il avait obtenu de former et de diriger une nouvelle bande qu'on appela les petits violons ; la fonction particulière en fut de suivre le roi dans ses voyages et à la guerre. Lulli composait pour la Chambre, organisait les ballets de la Cour, les mettait en scène, y jouait et y dansait. Très habile, très amusant aussi, Baptiste, comme on l'appelait, gagna la faveur du Roi, dont le goût pour la musique était très vif. En 1665, il devint surintendant. Il augmenta le personnel de la Chambre et de la Chapelle, et, à ce petit royaume, il ajouta une province, l'Opéra.

L'Opéra était venu d'Italie en France au temps de Mazarin. Il avait séduit la Cour et la Ville. La musique française, très florissante au temps de Louis XIII, où elle était, au moins pour l'art du chant, la maîtresse de l'Europe, fut délaissée. Le plus illustre musicien français d'alors, le claveciniste Champion de Chambonnières, pensait, ne trouvant pas d'emploi à la Cour, s'en aller en Suède ou en Brandebourg, au moment où les plus grands compositeurs d'Italie arrivaient — par exemple Cavalli en 1660 — avec un cortège de poètes, de chanteurs et de machinistes, jouer au Louvre l'opéra italien. Lulli commença par ne pas aimer l'opéra, ou, sans doute, par avoir l'air de ne pas l'aimer. Il sentait bien une sorte de résistance nationale à l'italianisme, et voulait faire oublier son origine italienne. Il se tenait au vieux genre français du ballet de cour, qui fut si brillant et tant aimé du Roi. — Entre le ballet de Cassandre, où Louis XIV débuta en 1651, et celui des Amants magnifiques, où il parut encore dans une entrée l'année 1670, 40 ballets somptueux se sont succédé. — Lulli donna en 1658 son premier ballet, Alcidène. Depuis 1661, il collaborait avec Molière à des comédies-ballets. Il soutenait que l'opéra était une chose impossible à exécuter dans notre langue.

Mais un abbé Perrin avait donné en 1659 une pastorale dont le livret était de lui et la musique d'un musicien de valeur, Cambert. Ce fut, comme il le dit, la première comédie française en musique, représentée en France. Le succès en fut grand. Le public s'éprit, comme l'écrivit Perrin, de la passion de voir triompher notre langue, notre poésie et notre musique, d'une musique, d'une poésie et d'une langue étrangères. En 1661, Perrin dédia un Recueil de paroles de musique à Colbert. Il le priait, dans la dédicace, de ne pas souffrir qu'une nation partout victorieuse soit vaincue par les étrangers en la connaissance de ces deux beaux arts, la poésie et la musique. Perrin ne pouvait mieux s'adresser. Colbert se plut à l'idée de faire de la musique, comme des autres arts, comme des manufactures, une chose nationale. Il crut avoir trouvé en Perrin le pendant de Le Brun.

En juin 1669, il fit donner à l'abbé un privilège pour l'établissement des académies d'opéras ou représentations en musique et en vers français, à Paris et dans les autres villes du royaume, pendant l'espace de douze années. Tout contrevenant au privilège serait puni d'une amende de dix mille livres et de la confiscation des théâtres, machines, habits, etc. Le Roi permettait aux gentilshommes, damoiselles et personnes de condition de chanter à l'Opéra sans que pour cela ils dérogeassent au titre de noblesse. Perrin organisa une administration et recruta des artistes. Au jeu de paume de la rue Mazarine, transformé en théâtre, fut jouée Pomone, de Perrin et Cambert, dont la réussite fut extraordinaire, puisqu'elle fut représentée 150 fois. Mais Perrin gouverna mal son affaire ; il fut emprisonné pour dettes. Molière eut l'idée de demander au Roi le privilège qui avait si mal réussi à Perrin, et l'imprudence de s'en ouvrir à Lulli qui, en affaires, ne connaissait pas d'amis. Baptiste alla trouver Perrin dans sa prison, et il lui acheta le privilège.

Puis, il fit étendre le privilège par le Roi. Le 12 mars 1672, des lettres patentes l'autorisent à établir à Paris une académie pour faire les représentations de pièces de musique, tant en vers français qu'en autres langues étrangères. Défense est faite à toutes personnes de faire aucunes représentations accompagnées de plus de deux airs et de deux instruments, sans la permission par écrit du sieur Lulli. Au sieur Lulli, le droit est reconnu d'établir des écoles de musique à Paris et partout où il le jugerait nécessaire pour le bien et l'avantage de l'Académie. Le surintendant de la musique de la Chambre devint ainsi le dictateur des académies, des théâtres, et des écoles de musique. Par lui, la musique fut gouvernée, comme, par Le Brun, la peinture et la sculpture. Elle devint monarchique ; dans le privilège de 1672 l'Académie de musique est appelée nationale.

Pendant qu'à Paris les académies et les écoles, sous le regard du Roi et la surveillance de Colbert, travaillaient avec la ferveur d'un début, la vie esthétique et intellectuelle s'éteignait dans les provinces. Artistes et lettrés provinciaux essayaient de se défendre contre la mort approchante. Il se trouvait en un grand nombre de villes de petites sociétés dont l'objet était de s'avancer dans la connaissance des lettres, de conférer des lectures, de pratiquer des exercices d'éloquence et d'érudition, ou, comme disaient les académiciens de Nîmes, de travailler, à côté des marchands, des artisans et des artistes, à tout ce qui peut contribuer aux commodités et à l'embellissement de l'État. Plusieurs de ces sociétés demandèrent à Monseigneur Colbert de vouloir bien prier S. M. de consentir à les honorer de ses lettres patentes et du titre d'académie. Colbert acquiesça volontiers. L'Académie des belles-lettres de Soissons, par exemple, devint royale par lettres patentes. Elle reçut pour protecteur l'évêque de Laon, cardinal d'Estrées, l'un des quarante. Après le cardinal, elle choisira le protecteur parmi les quarante. Tous les ans, à la Saint-Louis, elle enverra à l'Académie française un ouvrage de sa composition. Elle est la fille modeste d'une mère illustre.

De même furent instituées des académies provinciales de peinture et de sculpture. En 1676, le peintre Thomas Blanchet écrivit à l'Académie royale que, s'étant habitué dans la ville de Lyon, il désirait établir une académie dans ladite ville pour y enseigner la jeunesse dans les arts de la peinture et de la sculpture, selon les ordonnances du Roi et la doctrine de l'Académie. L'Académie reconnut que cela pouvait être utile et avantageux à ceux de la profession. Blanchet fut agréé comme académicien et nommé professeur pour enseigner à Lyon. L'Académie saisit le moyen qui lui était offert de régenter l'art dans tout le royaume. Elle délibéra que la proposition du sieur Blanchet fût représentée à Monseigneur notre protecteur pour obtenir son agrément et sa protection et faire réussir ce dessein en tous les lieux où l'Académie le jugera à propos par les officiers d'icelle qui seront obligés de lui rendre compte. Colbert donna son agrément. En 1676, des lettres patentes ordonnèrent l'établissement d'académies de peinture et de sculpture dans les principales villes du royaume. Ces lettres furent à peu près vaines ; au milieu du XVIIIe siècle seulement, des académies prospéreront dans les provinces. Mais la tentative faite par Colbert et par l'Académie nationale est curieuse. Le peintre Blanchet a donné une claire formule : Enseigner la jeunesse dans les arts... selon les ordonnances du Roi et la doctrine de l'Académie.

 

III. — LA DOCTRINE.

LA doctrine, élaborée depuis la Renaissance, gouvernait, au milieu du XVIIe siècle, les arts et les lettres. Elle prescrivait l'admiration de l'antiquité, et l'obéissance à des règles, ou bien écrites par les anciens, comme Aristote, Horace ou Vitruve, ou bien tirées de l'étude des œuvres grecques et romaines par la critique. A partir du XVIe siècle, en effet, la critique, mise en présence des chefs-d'œuvre de l'antiquité, s'efforce de reconnaître, analyser, définir et cataloguer les raisons et les causes de l'impression que ces œuvres produisent ; puis, après avoir reconnu ces causes et ces raisons, s'efforce de les transformer en règles de l'art.

La doctrine eut ses professeurs. Charles Perrault publia un Poème sur la peinture, en 1668 ; Dufrénoy, un De Arte graphica, la même année ; Molière donna en 1669 la Gloire du Val-de-Grâce ; Boileau, en 1674, l'Art poétique. Elle fut enseignée dans les académies. L'Académie française était un conservatoire des règles anciennes. L'Académie d'architecture s'est proposé, comme elle a dit elle-même, de conférer sur l'art et les règles de l'architecture et donner son avis sur les ouvrages antiques et sur les écrits de ceux qui en auront traité. Pour commencer par le commencement, elle s'est demandé, à sa première séance, ce qu'est le bon goût. Elle a répondu que la véritable règle pour connaître les choses de bon goût est de considérer ce qui a toujours plu davantage aux personnes intelligentes, dont le mérite s'est fait connaître par leurs ouvrages ou par leurs écrits. Elle a dressé une liste de ces personnes intelligentes, en tête de laquelle est Vitruve, le premier et le plus savant des architectes. Voilà donc l'architecture pourvue de sa loi et de ses prophètes.

L'Académie de peinture et de sculpture devait, aux termes de son règlement, se réunir une fois par mois pour s'entretenir... sur le fait et raisonnement de la peinture, de la sculpture et de leurs dépendances. Elle négligeait un peu ce devoir. Colbert le lui rappela sitôt qu'il eut pris la surintendance. Il avait besoin, pour son esprit, de définitions claires et de principes certains. Des conférences se succédèrent pendant une dizaine d'années à partir de 1664. On y étudiait une statue ou un tableau. Après avoir considéré l'œuvre, on lisait les auteurs qui en ont écrit, on discutait, et la discussion s'achevait par l'établissement d'une règle, soit à la pluralité des voix, soit après sentence d'un arbitre. Les règles étaient enregistrées. Elles devenaient ces règles assurées que l'Académie enseignait aux étudiants, comme l'expliquait un jour le secrétaire à Colbert, qui assistait à la séance. Colbert se plut assurément à voir préparer ainsi, article par article, dans cette sorte de commission qu'était l'Académie de peinture, une ordonnance sur le bon goût[5].

Cette méthode, dont l'objet était d'abstraire des règles, conduisait à imaginer des types généraux et des idées générales, ou, comme on disait, à tout réduire à l'universel. La doctrine s'accordait donc avec la philosophie cartésienne, qui abstrait, désindividualise, et cherche l'universel.

Elle méprisait les réalités de l'histoire. L'Académie française, dans ses Sentiments sur le Cid, recommande au poète de travailler en vue de cette beauté universelle, qui doit plaire à tout le monde. S'il traite une matière historique, il doit la réduire aux termes de la bienséance sans avoir égard à la vérité. L'art, se proposant l'idée universelle des choses, les doit épurer des défauts et des irrégularités particulières que l'histoire, par la sévérité de ses lois, est contrainte d'y souffrir. L'Académie de peinture a les mêmes sentiments. Un jour, dans une conférence, Philippe de Champagne avait avoué son regret de ne pas voir dans l'Éliezer et Rébecca de Poussin les chameaux dont l'Écriture fait mention. Le Brun blâma cette critique : M. Poussin, dit-il, cherchant toujours à épurer et débarrasser le sujet de ses ouvrages et à faire paraître agréablement l'action principale qu'il y traitait, en avait retranché les objets bizarres, qui pouvaient débaucher l'œil du spectateur et l'amuser à des minuties. Un autre jour, qu'on parlait d'une nativité de Carrache, Le Brun reprocha au peintre d'avoir mis au premier plan le bœuf et l'âne, ces bonnes bêtes qu'aimèrent les primitifs. Il pensait que l'artiste a le droit de retrancher du sujet principal... les circonstances bizarres et embarrassantes que l'histoire ou la fable lui fournissent. On trouve bien ici l'inspiration de Descartes, qui détestait toutes les irrégularités des œuvres humaines. A la ville millénaire, bâtie au jour le jour, selon les besoins, les fantaisies et les hasards, incohérente, enchevêtrée, le philosophe préférait la cité dessinée sur plan, une fois voulue et pour toujours. Pareillement, à un ensemble de lois et d'institutions, œuvre confuse aussi de générations séparées par des siècles, et qui, chacune en leur temps, pourvurent aux nécessités et convenances de leur vie, il préférait une législation sortie un certain jour du cerveau d'un seul homme, comme celle de Lycurgue.

Les artistes doctrinaires croyaient que tout l'art avait été dévoilé aux anciens par une sorte de révélation. Ils ne sentaient point qu'il est l'expression des idées et des émotions successives des hommes. Au reste, ils ne voulaient rien savoir de l'humanité entre l'antiquité et leur siècle. Quelques érudits exceptés, ils n'ont rien compris du moyen âge. Molière s'indigne

... du fade goût des monuments gothiques,

Ces monstres odieux des siècles ignorants,

Que de la barbarie ont produit les torrents

Quand leur cours Inondant presque boute la terre

Fit à la politesse une mortelle guerre...

Ces mauvais vers sont écrits dans le poème où il a célébré la Gloire du Val-de-Grâce, c'est-à-dire le pâle décor paradisiaque peint par Mignard dans la coupole de cette froide bâtisse. La Fontaine lui-même a méprisé la barbarie des temps gothiques. Et La Bruyère dira :

On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecture : on a entièrement abandonné l'ordre gothique, que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples ; on a rappelé le dorique, l'ionique et le corinthien. Ce qu'on ne voyait plus que dans les ruines de l'ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles.

La nature fut requise, aussi bien que l'histoire, d'obéir aux règles de l'art. Elle a, elle aussi, ses désordres, qui offusquaient le cartésien Malebranche :

Il est vrai, écrit-il dans ses Méditations chrétiennes, que le monde visible serait plus parfait, si les terres et les mers faisaient des figures plus justes ; si, étant plus petit, il pouvait entretenir autant d'hommes  ; si les pluies étaient plus régulières et les terres plus fécondes ; en un mot s'il n'y avait point tant, de monstres et de désordres. Mais Dieu voulait nous apprendre que c'est le monde futur qui sera proprement son ouvrage, ou l'objet de sa complaisance, et le sujet de sa gloire.

Quant au monde présent, il est désordonné, parce qu'il est la demeure des pécheurs ; les irrégularités des rochers et les escarpements des côtes sont des châtiments du péché. Malebranche parle ici en sa triple qualité de géomètre, de cartésien et de prêtre ; mais son opinion ne fut pas singulière en son temps.

La doctrine enseignait à ne regarder l'imparfaite nature qu'à travers l'art des anciens. Bourdon, académicien sculpteur, conseillait au jeune artiste de se familiariser avec l'antique au point qu'il pût le reproduire de mémoire ; sans doute, lui disait-il, il faut dessiner d'après nature, mais pour donner ensuite à la figure le caractère de quelque figure antique, de l'Hercule Commode, par exemple, ou bien de telle autre statue dont il se sentirait plus particulièrement affecté. Il voulait qu'il vérifiât ensuite, le compas à la main, si ce qu'il avait dessiné d'après nature était dans les mesures que donnait l'antique. S'il y avait une différence, c'était aux mesures données par l'antique qu'il fallait s'assujettir, attendu qu'elles sont justes. L'artiste n'avait donc plus à chercher la forme ; l'antiquité l'avait trouvée. Aussi Le Brun ne s'étonne pas, et même il admire de reconnaître dans les Israélites ramassant la manne, de Poussin, un Laocoon, une Niobé, un Sénèque, une Vénus, un Médicis. Félibien ne doutait pas que le groupe du Laocoon n'eût inspiré les artistes italiens, en qui se continuait la révélation faite à l'antiquité. L'Académie contemplait religieusement cette œuvre dramatique. Van Obstal, un jour, la loua dans une leçon. Laocoon, dit-il, est un homme de qualité... Si les mouvements que la douleur cause sur tout son visage n'en avaient pas changé les traits, on y verrait les marques les plus belles et les plus naturelles d'un honnête homme. Après qu'il eut parlé, il n'y eut personne qui ne convint que c'est sur ce modèle qu'on peut apprendre à corriger même les défauts qui se trouvent d'ordinaire dans le naturel ; car tout y paraît dans un état de perfection et tel qu'il semble que la nature ferait tous ses ouvrages, s'il ne se rencontrait des obstacles qui l'empêchent de leur donner une forme parfaite.

La doctrine, qui prétendait ne tenir aucun compte de la nature ni de l'histoire, était pourtant, si l'on peut dire, le naturel produit d'une histoire accomplie dans un pays déterminé, la France. Elle fut une sorte de réplique de la politique royale. La politique et la doctrine firent, chacune à sa façon, la guerre au provincialisme, au particularisme, à l'indépendance des individus. Le Roi chercha, sous les différences et les dissemblances historiques et naturelles, le sujet à sa loi, et la doctrine, le sujet à ses règles. Ils avaient en vue une sorte d'être de raison, qui leur obéit. Leur action parallèle se rapprocha, et finit par se confondre. A mesure que l'autorité du Roi s'affermissait, la critique devenait plus autoritaire  ; les grands ouvriers du classicisme, Malherbe et Balzac, furent contemporains de Richelieu et de Mazarin. Les deux forces, l'intellectuelle et la politique, s'unirent dans les académies sous le règne des cardinaux. De même, le Roi et la critique firent la guerre à l'étranger, l'un pour l'indépendance et pour la gloire de la couronne, l'autre pour la nationalisation de la littérature et pour la gloire de l'esprit français. Et au moment même où le Roi, vainqueur de ses ennemis, s'éprenait d'orgueil, les écrivains voulurent égaler le nom français au nom romain, et doubler la suprématie par les armes d'une suprématie par l'esprit. Cette conformité à la vie nationale explique la victoire de la doctrine, qui fut, en son temps, une puissance légitime.

Au reste, la méthode des doctrinaires, tirer l'abstrait du concret et monter du particulier à l'universel, est un des procédés naturels de l'esprit humain. Et l'antiquité, qu'ils imposaient comme un modèle, est un très beau modèle de raison et de beauté. La doctrine classique a inspiré des œuvres claires, ordonnées et grandes. Mais ce fut une erreur étonnante de vouloir faire du moderne avec des ruines et transporter en France des portiques, des péristyles, et l'ionique, et le dorique, et le corinthien, et le composite, aussi l'épique et le tragique à la façon de l'ancienne Rome et de la vieille Grèce, puisqu'on ne pouvait, en même temps, y amener les Dieux, leur culte, leurs cérémonies, l'air transparent, la couleur du ciel, les mœurs des cités antiques. Mettre un modèle entre la nature et l'artiste ou l'écrivain, c'était presque refuser à celui-ci le droit d'inventer. Les académiciens, qui, dans leurs conférences, commencent par admirer un modèle, et continuent par lire ce que les bons auteurs en ont écrit, semblent résignés à la condition d'élèves perpétuels.

La doctrine eut la puissance d'une orthodoxie. Seule enseignée dans les écoles, à Paris, en province, à Rome, elle s'appuyait à une hiérarchie : le premier peintre, les académies, le surintendant des bâtiments, le Roi. Une révolte était impossible contre un ordre si bien constitué. Dans les premières années encore du XVIIe siècle, quelque liberté d'allure demeurait, avec de la fantaisie possible. Des jeunes gens s'en allaient un à un au pays des antiques où ils travaillaient comme il leur semblait bon. Des hommes se réunissaient en compagnies libres pour discuter des idées. Qui voulait posait le modèle. Qui pouvait devenait Mécène. Il était possible qu'il y eût différentes sortes de poser le modèle, et, chez les Mécènes, des goûts divers en arts et en lettres. Dans la seconde moitié du siècle, il ne reste qu'un Mécène, qu'un goût, qu'un atelier. Les compagnies sont des académies royales, et les artistes voyageurs une école d'État. Tout devenait institution.

 

 

 



[1] SOURCES. Clément, Lettres..., principalement aux tomes V et VII (voir à la table les mots ACADÉMIES, PEINTRES, SCULPTEURS, ARCHITECTES, BÂTIMENTS). Depping, Correspondance administrative, t. IV. Aucoc, L'Institut de France, lois, statuts et règlements, Paris, 1889. Ch. Perrault, Mémoires, publ. par P. Lacroix, Paris, 1878. Comptes des Bâtiments du Roi sont le règne de Louis XIV, publ. par Guiffrey, dans la Collection des Documents inédits, t. I et II. Procès-verbaux de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publ. per De Montaiglon, t. I et II, Paria, 1875-78. Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publ. par Jouin, Paris, 1883. Conférences inédites de l'Académie de peinture et de sculpture, publ. par Fontaine, Paris, 1903. Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome avec les surintendants des bâtiments, publ. par De Montaigion, t. I, Paria, 1887. Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie royale de peinture et de sculpture, Paris, 1854, 2 vol. Les Lettres de Chapelain, dans la Collection des Documents inédits.

OUVRAGES. Pellisson et d'Olivet, Histoire de l'Académie française, nouv. éd. par Livet, Paris, 1858. Maury, Les Académies d'autrefois, Paris, 1864, 2 vol. Bertrand, L'Académie des sciences, Paris. 1889. Vital, L'Académie royale de peinture et de sculpture, Paris, 1861. Bouillier, L'Institut et les académies de province, Paris, An. Lecoq de la Marche, L'Académie de France à Rome ; correspondance inédite de ses directeurs, précédée d'une étude historique, 1re édit.. Paris, 1878. Lemonnier, L'art français au temps de Richelieu et de Mazarin, Paris, 1893. Rocheblave, L'art français au XVIIe siècle dans ses rapports avec la littérature, au t. V de l'Histoire de la Langue et de la Littérature française, publ. sous la direction de Petit de Julleville, 8 vol., Paris, 1896-1900.

[2] Les provisions lui furent données le 1er janvier 1664. Il était chargé de diriger et entretenir les bâtiments, arts, tapisseries et manufactures de France, et les châteaux, parcs, jardins, canaux et fontaines : il avait aussi autorité sur les artisans logés sous la grande galerie du Louvre. Cette charge lui rapportait environ 40.000 liv. par an.

[3] De ces pensions, des listes sont publiées dans Clément, Lettres..., t. V, pp. 467 et suiv., pour les années 1664 à 1683, et dans les Comptes des Bâtiments. Elle comprennent à la fois les savants et artistes français et étrangers. Les sommes ainsi dépensées chaque année par le Roi n'ont jamais été très importantes : à partir de 1674, les étrangers disparaissent des listes, et les Français ont leurs gratifications notablement diminuées.

[4] Le Roi demandait à ses ambassadeurs de lui proposer des listes de gratifiés. Il écrivait en 1668 au comte d'Estrades, ambassadeur en Hollande, la lettre suivante : Prenez soin de vous enquérir, sans qu'il paraisse que je vous aie écrit, mats comme par votre simple curiosité, quelles sont, dans toute l'étendue des Provinces-Unies, et même dans les autres des Pays-Bas de la domination du Roi d'Espagne, les personnes les plus insignes et qui excellent notablement par-dessus les autres en tout genre de professions et de sciences, et de m'en envoyer une liste bien exacte, contenant les circonstances de leur naissance, de leurs richesses ou pauvreté, du travail auquel elles s'appliquent, et de leurs qualités. L'objet que je me propose en cela est d'être informé de ce qu'il y a de plus excellent et de plus exquis dans chaque pays en quelque profession que ce soit, pour en user après ainsi que je l'estimerai à propos pour ma gloire et pour mon service. Semblable lettre fut adressée A tous les ambassadeurs. (Lettres... de M. le Comte d'Estrades, t. IV, p. 297.)

[5] L'académicien Testelin a résumé les résolutions de l'Académie dans sa Table des préceptes, qui fut publiée en 1696. Voir les Conférences de l'Académie de peinture, publiées par Jouin, pp. 141 et suiv.