HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE IV. — LE GOUVERNEMENT POLITIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — LA RÉDUCTION À L'OBÉISSANCE.

 

 

COMMENT Louis XIV et la France accueillirent l'offre de Colbert, c'est, disions-nous, la question capitale du règne de Louis XIV. Nous savons à présent que l'offre fut mal accueillie. La monarchie française ne fera donc pas la chose nouvelle qui lui était proposée : s'organiser pour le travail, s'enrichir par le travail, dominer le monde Par la puissance de cette richesse. Restait que le Roi continuât la chose ancienne, qui était de se procurer une autorité plus forte, une obéissance complète, prompte, et d'achever l'État, si imparfait encore. Le gouvernement de Louis XIV s'y employa de son mieux.

 

I. — LE RÉGIME DE LA PRESSE[1].

LE 8 mars 1662, le Roi écrivait au gouverneur de la Bastille :

Ayant donné mes ordres au lieutenant-civil en la prévôté et vicomté de Paris pour faire arrêter tous ceux qui, sans permission, s'ingèrent de faire ou vendre des gazettes et de débiter des nouvelles par écrit, et désirant qu'ils soient gardés sûrement, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous ayez à recevoir et faire loger dans mon château de la Bastille tous ceux que le lieutenant civil y enverra, sans y apporter aucune difficulté.

Le lendemain, 9 mars, le Roi écrivait à M. de Lessaint, chargé d'affaires de France dans des cours allemandes :

Le sieur de Lionne m'a rendu compte de ce que vous lui mandez du préjudice qu'apportent à mon service les faiseurs de gazettes à la main ; ce qui m'a obligé à donner aussitôt des ordres pour faire cesser cet abus par le châtiment des auteurs de tant d'impostures.

En février 1663, la Gazette de France publiait cet avis :

Cette semaine, l'un de ceux qui, au préjudice des défenses si souvent réitérées, s'ingèrent d'écrire et distribuer des nouvelles manuscrites a été fustigé dans les places de cette ville, par sentence de police, qui le condamne aussi au bannissement perpétuel ; ce qui doit faire assez juger, et aux autres de sa profession, que l'on n'a pas dessein de se relâcher dans la poursuite qui en a été ci-devant commencée et signalée par de pareils exemples.

Ces menaces et ces avis s'adressaient aux libellistes de France et de l'étranger. En France, les libelles étaient imprimés par des presses clandestines ou copiés à la main, et répandus par des colporteurs dans le public. D'autres arrivaient du dehors[2], de Hollande surtout. Amsterdam était un marché européen de librairie, dont Paris était un des plus gros clients. Le métier de libelliste nourrissait son homme : La fainéantise et la curiosité indiscrète des hommes, disait un arrêt du Parlement, donnent un tel cours à cette sorte de trafic, que ces imposteurs publics en tirent un profit considérable.

Colbert, par tempérament d'autoritaire et parce qu'il était maltraité des libellistes, et savait bien qu'ils ne mentaient pas toujours, disait que c'était une des choses les plus considérables dans l'État que d'empêcher à l'avenir la continuation de pareils libelles, et commandait aux intendants de rompre entièrement ce commerce. Il essaya de fermer la France aux livres imprimés à l'étranger. Des visites de douane furent prescrites ; des ambassadeurs agirent auprès des gouvernements pour obtenir que certains livres fussent interdits, et des agents envoyés dans les pays voisins pour acheter et détruire les exemplaires d'écrits scandaleux. Il arriva mime que l'ambassadeur de France à La Haye attira un gazetier dans un guet-apens, et l'envoya prisonnier en France.

Colbert ne pouvait se contenter de mesures prises au jour le jour contre cette sorte de gens ; sitôt qu'il eut institué le Conseil de police[3], il lui demanda une méthode, à savoir :

Quel ordre l'on pourrait apporter pour empêcher le commerce des livres censurés et défendus, le port d'iceux en France des pays étrangers, et particulièrement d'Angleterre et de Hollande, l'impression d'iceux dans le royaume, et des libelles diffamatoires et le débit d'iceux ; quel règlement l'on pourrait apporter pour les imprimeurs, si les caractères pourront avoir quelque marque de distinction pour chaque imprimerie, et faire en sorte que l'on en connût l'imprimeur, et que rien ne fût imprimé sans permission des magistrats, et s'il ne serait pas à propos que tous les imprimeurs demeurassent dans l'Université.

Le Conseil répondit que ce n'étaient pas les règlements qui manquaient, et qu'il fallait seulement les appliquer. Mais il s'aperçut que le nombre des imprimeurs parisiens, qui n'était que de 26 sous Henri IV, était monté à 84 en 1666 : Le nombre des imprimeurs est excessif, déclara Colbert, et le Conseil retrancha tous ceux qu'après enquête sommaire il jugea indignes d'exercer la profession : celui-ci pour avoir imprimé les Provinciales et le Tombeau de la messe, celui-là pour avoir imprimé une feuille pour ou contre les Jésuites, un autre, parce qu'il était suspect d'avoir été condamné au fouet, etc. De plus, un édit de décembre 1666 retira aux syndics de la corporation des libraires et imprimeurs le droit de recevoir de nouveaux maures, et l'attribua au Roi, qui en usa parcimonieusement : de 1667 à 1682, en seize années, neuf nouveaux maîtres seulement furent reçus, au lieu de 114 pendant les sept années d'avant[4]. Le reine régime fut appliqué dans les provinces ; l'intendant de Provence alla jusqu'à vouloir interdire l'imprimerie dans sa généralité. Colbert, pendant tout son ministère, se préoccupe de surveiller les imprimeurs. Une presse, où qu'elle travaille, l'inquiète ; en 1682, il n'autorise les adjudicataires des fermes unies à en employer une dans leurs bureaux qu'à la condition de la laisser inspecter par la police.

Parmi les libelles, il en est qui paraissent bien innocents aujourd'hui, et que les magistrats jugèrent scandaleux. En 1662 fut saisie une gazette manuscrite qui donnait des nouvelles, dont voici la plus intéressante :

Quelques seigneurs disant devant le Roi qu'il ferait beau voir les magnificences du carrousel, S. M. leur dit que cela n'était rien, et qu'Elle en voulait faire un autre l'année prochaine, où il en coûterait plus de douze mille écus au moindre parti.

Le magistrat qui envoie cette feuille à Colbert l'accompagne de ce commentaire : Par la lecture..., M. Colbert verra l'impudence de l'auteur et la conséquence de l'affaire.

Mais il se trouvait aussi dans ces papiers des paroles hardies et violentes :

Qu'est-ce qu'un roi ? — Un homme qui est toujours trompé, un maitre qui ne sait jamais son métier.

Qu'est-ce qu'un prince ? — Un crime que l'on n'ose punir.

Qu'est-ce qu'un financier ? — C'est un voleur royal.

Qu'est-ce qu'un partisan ?— Une sangsue du peuple et un larron privilégié.

Qu'est-ce qu'un courtisan ? — Rien de ce que l'on voit.

Qu'est-ce que les charges ? — Une honorable gueuserie.

Ces questions et ces réponses sont écrites dans le Catéchisme des partisans, paru en 1683. À la tin, était réédité un couplet haineux sur les armes de Fouquet. Le Tellier et Colbert, qui étaient l'écureuil, le lézard et la couleuvre :

Le petit écureuil est pour toujours en cage.

Le lézard plus rusé joue mieux son personnage,

Mais le plus fin de tous est un vilain serpent

Qui s'abaissant s'élève, et s'avance en rampant.

Le Roi même n'était pas épargné par les libellistes. Colbert l'avertit un jour que le plaisir qu'il prenait à passer des revues était tourné en ridicule :

Il est bon que Votre Majesté sache deux choses dont on n'a osé demeurer d'accord quand Elle l'a demandé : l'une, qu'il a été affiché dans Paris un libelle portant ces mots : Louis XIV donnera les grandes marionnettes dans la plaine de Moret ; l'autre, qu'il en a été distribué un autre dans les maisons portant ces mots : Parallèle des sièges de La Rochelle et de Moret faits par les rois Louis XIII et Louis XIV[5].

Les écrivains furent traqués par le lieutenant de police[6], qui, de temps à autre, en faisait des rafles. lis étaient jugés au tribunal du Châtelet. sommairement, sans appel, et quelquefois en secret. par un seul juge ; certaines choses odieuses devaient être lues par aussi peu de personnes que possible. Souvent des écrivains demeurèrent enfermés plusieurs années sans voir un juge ; ou bien une procédure était interrompue par un ordre comme celui-ci, adressé au lieutenant de police, après qu'il eut commencé d'interroger un libelliste :

J'ai rendu compte au Roi de l'interrogatoire de Gubert... S. M. ne désire pas que vous continuiez cette procédure. Toutefois, pour des considérations importantes à son service, Elle a résolu de le laisser au lieu où il est jusqu'à nouvel ordre.

Les peines furent de plus en plus sévères : c'étaient, avant 1666, l'amende, la prison, le bannissement ; plus tard, des libellistes furent condamnés aux galères ou à servir dans l'armée. Mais ni la police, ni les rigueurs, ne vinrent à bout de la presse clandestine : au contraire, les libelles se multiplieront à la fin du règne. Il n'était pas possible que tant d'abus demeurés, les vexations fiscales, l'offense aux misères par les pompes olympiennes, la guerre perpétuelle, le refoulement de la pensée, les violences faites aux consciences, fussent supportés sans plaintes. Ce n'est pas seulement à l'étranger que furent poussés les Soupirs de la France esclave[7].

Les libelles étaient un journalisme irrégulier et clandestin ; mais il y avait en France une presse régulière et publique, qui, au temps de Mazarin, fut presque prospère : elle disparaît à peu près, entre 1660 et 1663 ; il n'en resta guère que la Gazette de France, quasi officielle, et l'insignifiant Mercure galant. Le Journal des Savants, commença de paraître, en 1665, sous le patronage de Colbert ; c'était un très utile bulletin bibliographique, où l'on se proposait d'informer le public de ce qui passe de nouveau dans la république des lettres ; mais il fallait que les savants fissent un choix parmi les nouveautés ; pour avoir rendu compte d'un livre janséniste, le journal fut interdit un moment, à la requête du nonce. En juin 1676, Colletet obtient un privilège pour imprimer un Journal des avis et des affaires de Paris. Il veut, dit-il, apprendre aux siècles à venir tous les glorieux succès de ce temps, par lesquels on connaîtra la félicité du gouvernement, la tranquillité des peuples, les mœurs, la grandeur et la magnificence du royaume, notamment de Paris qui en est la capitale ; la clémence et la justice du Roi, qui procure le repos et le bonheur du public. Deux numéros paraissent, remplis seulement de faits divers, mariages, décès, cérémonies, sans commentaires ; après quoi ordre est donné au lieutenant de police d'interdire le journal que le nommé Colletet s'est ingéré d'imprimer. Un gazetier, c'était un particulier, qui s'ingérait, n'ayant ni mandat, ni office, de parler au public et même au nom du public. Colbert, qui pensait qu'il n'est pas bon qu'un seul parle au nom de tous ne pouvait souffrir ce désordre.

La publication des livres fut aussi étroitement surveillée que celle des libelles et des gazettes. Les anciens règlements, qui obligeaient les libraires à demander pour toute publication le privilège d'imprimer, furent rappelés par des arrêts du Conseil, comme celui qui fut rendu en 1665 : pour empêcher l'impression et. débit des mauvais livres contraires à la religion catholique, au service de Sa Majesté et au bien de l'État , il est fait défense à toutes personnes d'imprimer aucun livre nouveau sans lettres patentes signées et scellées du grand sceau... même aucuns des anciens auteurs, encore qu'il n'y ait rien d'ajouté aux textes, ou gloses, ou commentaires, sans permission du juge royal du lieu dans le ressort duquel les imprimeurs sont domiciliés. Cet arrêt est répété en 1667, en 1674, en 1679, etc. Un autre arrêt, en 1678, donne la procédure à suivre pour obtenir le privilège d'imprimer un livre : les libraires en présenteront une copie écrite à la main à M. le Chancelier et garde des sceaux, sur laquelle il commettra celle des personnes préposées pour l'examen des livres qu'il verra bon être, pour le voir et donner sur icelui son approbation si faire se doit. Par l'obligation d'obtenir le privilège, par la censure, par les saisies[8], par les rigueurs contre les auteurs de livres non pourvus de privilèges, par la révocation de privilèges donnés, non seulement l'autorité du Roi, mais toutes les autorités furent protégées contre la critique.

Il est défendu, en effet, d'écrire des maximes contraires au bien du service, au repos des sujets du Roi et qui attaquent l'honneur et la réputation de personnes constituées en dignité. Un artiste, Jaillot, membre de l'Académie de peinture et de sculpture, qui affecte de ne pas se trouver à ses assemblées, de se soustraire à ses ordres et déterminations, et de dédaigner l'honneur d'en être membre, est, en outre, soupçonné d'être l'auteur d'un pamphlet contre Lebrun, le premier peintre du Roi. Il est condamné à cent livres d'amende et à un bannissement. de cinq années ; l'écrit est brûlé en place de Grève. Boileau s'en est pris dans ses satires à des auteurs pensionnés par le Roi ; un moment le privilège fut retiré aux Satires pour cette raison que donna Chapelain à Colbert :

S. M. a sujet d'être offensée de l'insolence de ce satirique effréné, qui, par ses libelles, condamne le jugement et le choix que vous aviez fait et fait taire à notre magnanime monarque (le choix d'écrivains pensionnés), étant sans doute injurieux à S. M. et à vous, Monseigneur, de déchirer par des pasquinades autorisées de son sacré sceau même des gens de bien et des plumes accréditées, toutes dévouées à son service, et obligées par ses faveurs royales à mettre leur vie pour la défense de ses moindres intérêts.

Il est défendu de penser sur la médecine autrement que la Faculté de médecine, et sur le droit autrement que les magistrats. Un livre d'un chirurgien, Le Barbier médecin ou les fleurs d'Hippocrate est saisi parce qu'il a paru sans qu'il ait été examiné par la Faculté ; de même, un commentaire sur l'Ordonnance civile, parce que le Premier Président de Harlay y a trouvé des remarques fort hardies et en des termes très insolents sur chaque article de ladite ordonnance[9].

Avec une particulière attention, étaient surveillés les paroles et les écrits sur la religion, sur les rapports de l'État et de l'Église, sur le clergé. Un prêtre est embastillé pour avoir comparé l'évêque de cour et l'évêque apostolique, au désavantage du premier ; un autre, pour avoir collaboré à un Traité de la Régale ; un autre, pour avoir, dans un sermon, élevé trop l'autorité du Pape. Bien entendu, tous les écrits jansénistes et protestants furent poursuivis, et les auteurs le plus souvent embastillés. Lorsque s'annonça le grand travail de l'exégèse par l'Histoire critique du vieux Testament de l'oratorien Richard Simon, le livre fut interdit comme étant un amas d'impiétés et un rempart du libertinage. Or, ce fut à la requête de Bossuet que cette Histoire critique fut condamnée, et, quelques années après, Bossuet lui-même devait éprouver les rigueurs de la censure. Lui, le grand évêque du règne, le théoricien de la royauté divine, le bon serviteur aux occasions difficiles, faisait imprimer une instruction pastorale, en réponse au même Richard Simon ; il apprit que le Chancelier avait ordonné de suspendre l'impression, un évêque n'étant autorisé à publier quoi que ce fût, sans la permission de l'autorité séculière. L'évêque se plaignit au Roi : Chacun fait imprimer ses factums pour les distribuer aux juges, et l'Église ne pourra pas faire imprimer ses instructions et ses prières pour les distribuer à ses enfants et à ses ministres ! Mais l'Église devait obéir à la loi commune. Tout ce qui pensait et parlait était soumis au même régime de la contrainte, sous la certaine science, et pleine puissance du Roi La Bruyère dira :

Un homme né Français et chrétien, se trouve contraint dans la satire, les grands sujets lui sont défendus : il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il relève par la beauté de son génie et de son style.

La Bruyère laissait toujours entre ses lignes une partie de ce qu'il pensait. Il savait bien qu'un Français était contraint, point seulement dans la satire, mais dans toute sa vie.

 

II. — LUTTE CONTRE TOUTES LES SORTES D'AUTONOMIE[10].

IL y avait encore en France des usages et des institutions, qui donnaient à des officiers, à des assemblées, à des corps, à des villes et à des provinces des moyens de résister à l'autorité royale ou de discuter avec elle, d'agir librement et de vivre à part soi. Louis XIV, dès les premiers jours, fit connaître sa volonté de se débarrasser de toute cette gêne.

Les gouverneurs des places frontières recrutaient eux-mêmes leurs troupes et les payaient par des contributions qu'ils prélevaient : le Roi interdit les contributions et reprit le commandement direct des troupes. — A la mort du due d'Épernon, colonel général de la cavalerie, l'office, qui donnait droit à la nomination des officiers, fut supprimé, parce qu'il n'était pas bon qu'un particulier pût se faire des créatures dans tous les corps qui constituent la principale force de l'État. — Les gouverneurs des provinces, s'ils étaient longtemps maintenus dans leurs gouvernements, finissaient par s'y croire chez eux, et toutes sortes de personnes prenaient avec eux des attaches : Je résolus, écrit Louis XIV, de ne plus donner nul gouvernement vacant que pour trois ans, me réservant seulement de pouvoir prolonger le terme par de nouvelles provisions.

L'Assemblée du Clergé, qui était en session au moment de la mort de Mazarin. prétendait ne pas se séparer avant d'avoir obtenu l'expédition d'édits qu'elle sollicitait : elle n'osa plus soutenir cette résolution, dès que je témoignai qu'elle me déplaisait.

Louis XIV attendait l'occasion d'un conflit avec le Parlement, pour bien lui prouver qu'il n'avait pas peur de lui. En 1665, il alla ordonner en lit de justice l'enregistrement de plusieurs édits. Le Premier Président de Lamoignon se trouva fort embarrassé. Des notes secrètes[11] disent de lui qu'il a médiocres biens et n'en acquérera que par voies légitimes ; c'était un honnête homme, en effet, et un esprit cultivé, qui aimait vraiment les lettres, avait de l'humanité, et qui était libéral à la façon des parlementaires. — Un jour que l'on discutait devant lui le point de droit entre César et le Sénat, il se leva pour aller embrasser quelqu'un qui se prononçait contre César, car M. de Lamoignon était grand pompéien. — Il sentait bien que son devoir était de défendre les droits du Parlement, mais, disent encore les notes secrètes, sous l'affectation d'une grande probité, il cache une grande ambition. Il souhaitait certainement d'être dans l'État un peu plus qu'il n'était, et, sensible aux grâces déjà reçues du Roi, en attendait de plus grandes. A la séance du lit de justice, il dit des choses fort douces, pour ne pas déplaire au Roi, et, pour plaire au Parlement, il y mit beaucoup de dignité et de vigueur. Cependant, après que le Roi fut sorti, des conseillers demandèrent que les chambres fussent assemblées et délibérassent sur les édits qui venaient d'être enregistrés. Lamoignon se donna beaucoup de mal pour éviter cette réunion séditieuse, mais le Roi lui commanda de convoquer les chambres :

Je suis, dit-il, que le Président, pensant me faire un grand service, pratiquait avec soin divers délais, comme si les assemblées des chambres eussent encore eu quelque chose de dangereux. Mais, pour faire voir qu'en mon esprit elles passaient pour fort peu de chose, je lui ordonnai moi-même d'assembler le Parlement, et de lui dire que je ne voulais plus que l'on parla des édits vérifiés en ma présence, et de voir si l'on oserait me désobéir, car enfin je voulais me servir de cette rencontre pour faire un exemple éclatant ou de l'entier assujettissement de cette compagnie, ou de ma juste sévérité à la punir.

Le Premier Président assembla donc le Parlement, et lui fit part des ordres du Roi :

Après qu'il eut fini, raconte d'Ormesson, toute la Compagnie demeura dans le silence, et, après quelque temps, personne n'ouvrant la bouche, M. Le Coigneux, président de la Tournelle, se leva, et chacun le suivit, l'un après l'autre, et ainsi la Compagnie se sépara sans qu'il y l'Ut dit une seule parole, la consternation paraissant sur le visage de tous. il n'y a point d'exemple d'une chose pareille dans le Parlement.

M. Le Coigneux était un personnage considérable, riche, un ami de Turenne, et, d'après les notes secrètes, un homme violent, fier et affectant la justice pour s'acquérir crédit. Il aurait été redoutable autrefois, mais les temps étaient changés ; sa violence et sa fierté n'allèrent qu'à se lever pour abréger cette pénible scène. Il n'y avait pas en effet d'exemple d'une chose pareille : assembler le Parlement exprès pour lui défendre de parler.

Cependant les parlements gardaient leur droit d'enregistrer les édits et de faire au Roi, s'il ne l'interdisait en termes exprès, de très respectueuses remontrances. Ces coutumes anciennes étaient comme des lois du royaume : Louis XIV ne jugea point qu'il pût les supprimer ; il les garda, mais en les réduisant à n'être plus que des formes vaines.

En février 16'73, des lettres patentes ordonnèrent que les édits portés aux parlements seraient enregistrés tels quels et tout de suite. Des remontrances pourraient être présentées dans les huit jours par le parlement de Paris et dans les six semaines par les parlements des provinces. Si le Roi n'en tenait compte, tout était dit. S'il acceptait quelque amendement, il le ferait savoir, mais toute remontrance ultérieure était défendue, à peine d'interdiction. Depuis, l'enregistrement fut de style, et les cours ne se donnèrent même plus la peine d'opiner. Le Roi avait obtenu l'entier assujettissement.

Il paya au Parlement de Paris sa docilité. Après que les édits fiscaux présentés à l'ouverture de la guerre contre la Hollande eurent été facilement enregistrés, les rapporteurs et ceux des conseillers qui avaient le mieux servi reçurent des cadeaux. Peut-être, pensait Colbert, dix à quinze mille livres distribuées ainsi feront-elles un bon effet pour les autres affaires qui pourraient se présenter à l'avenir.

Au reste, Louis XIV ne voulait pas que les magistrats eussent la vanité de croire qu'il cherchât à les avilir. Il conseille à son fils de les traiter avec considération, de donner à leurs enfants une part dans la distribution des fermes et des bénéfices et de les accoutumer par de bons traitements et des paroles honnêtes à voir quelquefois le Roi, au lieu que, au siècle passé, une partie de leur intégrité était de ne pas approcher du Louvre. Il voulait que les magistrats, comme tout le monde, vinssent à l'adoration et ne croyait pas que des consciences fussent capables de résister à de l'argent et à des faveurs.

Colbert s'amusa de l'humiliation des gens de robe ; c'était une joie pour lui qui, parlait peu, de faire taire les parleurs. A l'intendant de Grenoble, qui l'avertissait en 1679 de quelque émotion dans le parlement de cette ville, il écrivit :

A l'égard des discours qui se pourront faire au Parlement, cela ne mérite ni d'en écrire, ni d'en faire réponse, car vous savez que les bruits de Parlements ne sont plus de saison. Ils sont si vieux qu'on ne s'en souvient plus, et il leur est même avantageux qu'il en soit ainsi.

Depuis longtemps, les rois traitaient les villes en enfants sous-âgés, comme disait Beaumanoir au nue siècle. Pourtant beaucoup d'entre elles gardaient des reliefs de la vie quasi républicaine d'autrefois : un corps municipal et des magistrats élus, une milice, des attributions de justice et de police, l'administration de leurs biens patrimoniaux et des deniers de leurs octrois. Elles établissaient des contributions municipales, et quelquefois prétendaient percevoir elles-mêmes les impositions royales. Quelques-unes, au temps de Louis XIV, essayèrent de s'opposer à la levée d'un nouvel impôt, refusèrent le logement à des gens de guerre, et même osèrent des manifestations politiques. En 1667, au moment où le Roi déjà entrait dans la gloire, la municipalité de Dijon ne voulut pas que l'on jouât la comédie dans la ville, parce que les souffrances ne permettaient pas que dans des temps de calamités, on admit ces sortes de plaisirs. Souffrir la comédie, disait-elle, ce serait faire croire à MM. les ministres qu'on n'était pas tellement abattu qu'on ne pensât à la joie. Cette déclaration, où Colbert était visé, puisque les souffrances étaient attribuées aux taxes de la Chambre de justice, dut l'exaspérer.

Louis XIV pratiqua, comme ses prédécesseurs, le droit de confirmer les élections, de les diriger, ou même de nommer les magistrats municipaux. Voici, choisi entre beaucoup, l'exemple d'une élection, pris dans cette même ville de Dijon, une de celles qui conservait le mieux les airs et façons d'autrefois.

Un jour de l'année 1679, il a été fait à savoir aux habitants, selon la coutume, qu'il allait être procédé dans le couvent des Pères Jacobins à l'élection du vicomte-mayeur — c'est ainsi qu'on appelait le maire de la ville. En conséquence, les électeurs s'assembleront aux églises de leurs paroisses, pour de là être conduits au couvent des Jacobins, pour y donner leurs suffrages librement, sans brigues ni monopoles, et, aussitôt les suffrages donnés, retourner chacun en leur maison. A l'ouverture de la séance, qui se tenait dans la chapelle des Jacobins, le Saint-Esprit fut prié d'illuminer les cœurs des habitants. M. le procureur-syndic de la ville représenta aux électeurs la gravité de l'acte qu'ils allaient accomplir, et leur recommanda de se déprendre de certaine affection qu'un intérêt particulier peut inspirer. Après avoir énuméré les qualités qu'il fallait exiger du futur magistrat, il s'écria : Mais que dis-je, Messieurs ? Pouvez-vous hésiter à donner vos suffrages à M. Boulier, qui vous a été indique par Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc ? (le gouverneur de la province) Ce grand prince lui a donné son agrément, qui vous doit servir d'une règle infaillible. On vota. La trompette sonna pouf avertir les retardataires que le scrutin allait être fermé, les voir furent comptées sur l'autel, le secrétaire de la ville écrivit le résultat sur son registre, et M. Boulier fut proclamé vicomte-mayeur.

Dijon avait une forte milice. En 1651, la ville, recevant la visite du duc d'Épernon, l'avait régalé du bel aspect de six mille miliciens. Le vicomte-mayeur, les jours de cérémonie, orné du haussecol, la pique en main, chevauchait entouré de sa garde, qui était de vingt-quatre sergents sous manteau rouge, épée au côté et hallebarde au poing. Le dimanche, les officiers allaient le chercher pour h mener entendre la messe aux Jacobins ; à l'issue de la messe, il présidait un conseil de guerre. Tous les soirs, les clés de la ville ln étaient remises ; il était le martre des portes. La ville était fière de posséder de beaux canons, rangés dans l'arsenal de l'hôtel de ville dans la tour Saint-Nicolas, et marqués à ses armes. Or, en 1681, des officiers en mission réclamèrent cette artillerie pour le service du Roi. La municipalité se fit prier, appuyée dans sa résistance par le États de la province ; mais elle reçut de Louvois ce billet :

Messieurs, je suis surpris d'apprendre par les lettres des officiers d'artillerie chargés des ordres du Roi pour tirer de Dijon les pièces d'artillerie qu'il vous demandent, que vous fassiez difficultés de les leur remettre. Je suis obligé de vous dire que si vous différez plus longtemps à les leur délivrer, S. M. vous fera punir de cette désobéissance en vos personnes, et vous fera payer la dépense que font les officiers d'artillerie en attendant votre délibération. Je suis, mes sieurs, votre très affectionné serviteur.

Les villes donnaient au Roi de trop bonnes raisons d'intervenir dans leurs affaires. Elles étaient ruinées, non seulement par la fiscalité royale, qui ajoutait aux impôts quantité de ruineux procédés taxes extraordinaires — dons que l'on disait gratuits, et qui étaient, el réalité, obligatoires, créations d'offices onéreux pour elles et que roi instituait à seule fin de les contraindre à les racheter — ; mais encor par les friponneries des municipalités.

A Saint-Quentin, il a été prouvé que le mayeur et les échevins ont fait des levées considérables sur le vin entrant dans la ville, sou prétexte de réparations qui n'ont pas été faites et de fortifications qui n'ont pas été construites. — A Bordeaux, on appelait deniers aveugles des fonds perçus par les jurats et qui ne se retrouvaient pal dans les comptes. — Les communautés, écrivait l'intendant du Dauphiné à Colbert, n'ont pas de plus grands ennemis que leurs consuls et leurs officiers. Ils les pillent par toutes les voies qu'ils peuvent imaginer. Je travaille autant que je puis pour arrêter la cupidité de ces mangeurs de communautés. — En Provence, l'énormité des dettes municipales ne peut s'expliquer, rapporte l'intendant, que par une dissipation et déprédation sans exemple de la part des consuls, exacteurs, trésoriers et autres administrateurs. — A Issoudun, il n'est point passé de baux pour les octrois, et les deniers sont reçus et dépensés manuellement par les échevins. A propos du désordre de cette ville, Colbert recommande à l'intendant de ne pas entreprendre une trop grande affaire, parce que, dit-il, si vous entrepreniez de rechercher ce que sont devenus ces deniers depuis trente ou quarante ans, vous trouveriez peut-être que toute la ville y serait intéressée. — Enfin, les échevins, consuls, jurats, exempts de presque toutes les charges, les épargnaient à leurs amis et clients. On lit dans les considérants d'un arrêt du Conseil que les plus notables et riches habitants de Dijon n'ont été cotés dans la répartition des tailles qu'au vingtième de ce qu'ils devaient porter, à cause du crédit qu'ils avaient auprès de ceux qui étaient en charge.

 C'est pourquoi le Roi, après qu'il eut procédé par nombre d'arrêts particuliers à des réformes d'échevinages, promulgua l'édit de 1683, un des derniers actes de Colbert : les maires et échevins seront tenus de remettre aux intendants, dans les trois mois, l'état de leurs revenus ; les intendants dresseront un état des dépenses ordinaires des villes, qui comprendra un fonds fixe et certain pour l'entretien des ponts, pavés, murailles, et les autres dépenses nécessaires ; ils arrêteront cet état eux-mêmes, quand il ne dépassera pas une certaine somme, et, s'il la dépasse, ils le soumettront au Conseil ; les dépenses ordinaires seront assignées sur les revenus patrimoniaux ; en cas qu'il n'y ait pas de revenus, ou qu'ils soient insuffisants, les habitants assemblés délibéreront sur le fonds à faire, et leur délibération sera communiquée au Roi, avec l'avis de l'intendant ; défense expresse aux villes de vendre ni aliéner leurs biens patrimoniaux ou leurs octrois, d'emprunter aucun denier, si ce n'est en cas de peste, logements de troupe, réédification de nefs d'églises tombées par vétusté ou incendie, auxquels cas les habitants s'assembleront, et la proposition de l'emprunt sera présentée par les maires et échevins ; l'acte de délibération sera porté à l'intendant, examiné par lui et transmis au Roi, qui décidera ; les municipalités n'engageront aucun procès qu'après une délibération des habitants, agréée par ledit intendant.

Après ces actes divers, il ne reste à peu près rien aux villes de leurs anciennes franchises. L'administration municipale est une des principales fonctions des intendants, qui interviennent même aux affaires d'édilité pure. A Marseille, un agrandissement de la ville avait été décidé : Colbert recommande à l'intendant de le faire tourner à l'embellissement, se moque des grosses murailles que les échevins font bâtir, Marseille n'en ayant besoin, que pour empêcher les loups d'entrer : à la fin, ennuyé des sottises que ces échevins commettent, il conclut qu'il faut leur ôter la conduite de toutes les affaires d'importance. Il en est de même dans toutes les villes du royaume.

Aux libertés municipales survécurent des formes, des costumes et des fêtes. Le Roi, avant de réformer l'échevinage de Dijon en 1668, avait octroyé aux échevins le droit de se vêtir d'une très belle robe : le maire continua de se dire vicomte-mayeur et de porter le hausse-col et la pique. A Saint-Quentin, comme au temps jadis, après que le maire avait été élu par le corps de ville, le maire sortant se présentait devant la porte qui faisait face à l'escalier, ordonnait au sergent de frapper trois coups de baguette, et prononçait les paroles rituelles : Messieurs, vous avez un payeur ! Puis il remettait la clé du trésor à son successeur, lui adressait un petit compliment, lui recommandait les privilèges de la ville, et le conduisait à une des fenêtres pour le faire voir au peuple réuni sur la grand'place. Le nouveau maire haranguait la foule, les échevins se couronnaient de fleurs, rentraient chez eux couronne en tête ; le soir, on banquetait joyeusement en l'honneur et aux frais de la ville. Les cérémonies durèrent après que les réalités avaient disparu : les vanités y trouvèrent des satisfactions, et les bonnes gens, le plaisir de voir de temps en temps des choses qui ne se voient pas tous les jours.

Les États provinciaux, plus considérables que les municipalités. étaient plus désagréables au Roi. Il entreprit de les annuler par des moyens qui se révèlent. clairement dans sa conduite à l'égard des États du Languedoc[12].

C'était assurément un très médiocre esprit que celui des Étals Languedociens. Ils ne voyaient pas au-delà de l'horizon provincial. ou plutôt, du côté de Provence et du côté de Gascogne, ils voyaient l'étranger. Ou ne pouvait même dire qu'ils représentaient la province : le bas clergé n'y figurait pas, ni la petite noblesse, ni le commun : les députés des villes étaient les élus des oligarchies bourgeoises, et presque tous des gens de loi. Aussi ces États méconnurent-ils en plus d'une circonstance les intérêts généraux du Languedoc.

Ils furent un jour saisis du projet d'ouvrir un canal de navigation et de desséchement, partant du Rhône à Beaucaire pour arriver à Aigues-Mortes. Le Conseil du Roi et l'entrepreneur donnaient les meilleures raisons à l'appui ; raisons d'intérêt national : le canal aboutissant au grau d'Aigues-Mortes, on ferait un bon port de refuge pour les navires de Catalogne et de Provence ; ce canal transporterait quantité de bois pour faire des bateaux, galères et autres navires, sans aller en chercher dans les pays étrangers, et on y ferait passer gens de guerre, canons et munitions ; raisons d'intérêt provincial : la foire de Beaucaire attirerait un plus grand nombre de marchands et de chalands ; les mariniers auraient un passage qui ne serait plus interrompu par les vents contraires, les bancs de sable et les arrêts du parlement d'Aix ; les marais, qui ne produisent que des grenouilles, sangsues, moucherons, sauterelles et de graves maladies, donneront du laitage, du beurre, de la laine.

Mais les États disaient que le sieur Brun, l'entrepreneur, était un maniaque, blessé de la fantaisie de faire le canal au-dessous de Beaucaire ; que le canal submergerait tout le pays ; que les habitants des lieux circonvoisins déserteraient leurs anciens seigneurs pour aller habiter les terrains desséchés ; que les blés du dehors, entrant par le canal, feraient baisser le prix du blé dans la province ; que ce prix serait encore diminué si les nouveaux terrains étaient cultivés en blé, car l'abondance alors ferait la pauvreté. A l'argument que les seigneurs seraient désertés par leurs sujets, l'entrepreneur répliquait : Il y a quatre provinces voisines de ces marais ; toutes les années, plus de dix mille hommes en sortent, pour aller en Espagne travailler, lesquels seront bien aises de trouver en France de quoi gagner leur vie. En effet, les habitants des bourgs voisins souhaitaient que le canal fût construit, mais ils n'étaient pas représentés aux États de Languedoc.

Le Conseil du Roi ayant ordonné que les travaux fussent commencés, traita les arrêts du Conseil de certains parchemins que nous ne devrions pas lire.

De même, les États voulurent s'opposer à la liquidation des dettes des communautés, entreprise par Colbert dans tout le royaume ; ils la retardèrent tant qu'ils purent, et pour de vilaines raisons :

Le succès de la liquidation, écrivait l'archevêque président, sera avantageux à la province, mais non pas à beaucoup de préteurs d'argent, tant du corps de la noblesse que des gros milords des villes et des communautés, et c'est quasi de cette sorte de gens-là dont est composée l'assemblée.

Gouverneurs, intendants, ministres essayèrent de faire comprendre à cette sorte de gens là que toutes les provinces doivent songer à l'entretien du royaume. Ils leur représentèrent que les considérations générales, qui sont l'objet des grandes âmes, doivent être plus fortes que les particulières. Au moment où la session de 1662 va commencer, Colbert donne à l'intendant la matière du discours qu'il devra prononcer à l'ouverture : le Roi vient de racheter Dunkerque ; le roi d'Angleterre en use le plus obligeamment du monde et avec une civilité singulière envers Sa Majesté ; il n'a pas attendu, pour ordonner l'évacuation de la place, que l'argent lui fût délivré : ce qui marque assez la déférence que les princes étrangers ont pour la personne du Roi. Colbert pense donc que le Languedoc doit se réjouir de la rentrée de Dunkerque dans la communauté française, et se tenir honoré de l'honneur fait au Roi par les étrangers. Ici la royauté apparaît en sa fonction de créatrice de la France. Mais, le plus souvent, lorsque les agents du Roi se mettent en frais d'éloquence et qu'ils font appel à de grands sentiments, c'est pour obtenir une contribution plus forte, et l'effet de leurs belles paroles était détruit par leur conduite envers les États, qui fut malhonnête.

Le gouvernement employa tous les moyens pour se procurer des assemblées dociles. Il n'avait point à s'occuper d'élections pour les deux premiers ordres ; les évêques et les barons siégeaient du droit de leur évêché ou de leur baronnie ; ils étaient d'ailleurs presque toujours prédisposés à l'obéissance, et, si quelqu'un d'eux était soupçonné de vouloir faire la mauvaise tête, le Roi n'avait qu'à le prier de rester chez lui. En 1669, l'évêque de Saint-Pons était en route pour se rendre aux États ; une lettre du Roi l'invita à s'en retourner : il la reçut avec toute sorte de respect, et, en effet, s'en retourna dès le même instant. Mais les évêques pouvaient se faire représenter par un vicaire général, et les barons par un suppléant ; ces vicaires et suppléants étaient moins dociles que les titulaires, se sentant moins obligés envers le Roi, dont les grâces ne descendaient pas jusqu'à leurs tètes plus basses. Dans l'assemblée, ils siégeaient sur les hauts bancs du clergé et de la noblesse et si le tiers-État se sentait appuyé par eux, cela lui haussait le menton. Aussi les évêques étaient-ils invités à envoyer des vicaires dont on pût s'accommoder, et le Roi prenait la peine d'écrire à des barons pour les prier de choisir de bons suppléants.

Les villes élisaient les députés du tiers-État, lequel, disait un évêque, comme moins informé des affaires du monde et de la nécessité de l'État, songe d'ordinaire à épargner le peuple. Il importait donc de se procurer de bonnes élections dans les villes. Le Roi se recommandait au Premier Président du parlement de Toulouse, qui avait grand crédit au Capitole, et ce magistrat obtenait le désistement d'un candidat mal intentionné au profit d'un de ses amis, qui montrait un grand zèle pour le service de S. M. Comme le magistrat était influent aussi à Saint-Papoul : Je m'en vais soigner ce consulat, écrit-il. Colbert aurait voulu se rendre maître de tous les consulats pour n'avoir plus à s'inquiéter d'élections. Quelqu'un l'avisa d'un bon moyen d'y parvenir : les consulats sont, d'ordinaire, divisés en deux partis ennemis, qui plaident au Conseil du Roi ; par là, on les tient ; il n'y a qu'à faire gagner leurs procès aux amis du gouvernement, mais toutefois en leur laissant quelque inquiétude : Il est nécessaire que tous les arrêts qu'on donnera soient seulement par provision, pour tenir toujours dans le devoir ceux à l'avantage de qui ils seront donnés.

La présidence des États revenait de droit au siège archiépiscopal de Narbonne ; mais comme, au début du gouvernement de Louis XIV, l'archevêque était le frère de Fouquet, le Roi nomma président pour la session de 1662 l'évêque de Viviers, et, pour la suivante, l'archevêque de Toulouse. Celui-ci n'avait pas encore reçu ses bulles, et devait même les attendre longtemps, le Roi étant alors en querelle avec le Pape. La Cour craignit que les évêques ne fissent quelque difficulté à lui reconnaître la présidence à laquelle prétendait l'évêque d'Albi. Le Roi se donna la peine de parler aux évêques du Languedoc présents en Cour, et d'écrire aux autres et à l'assemblée des États. Puis les États furent convoqués pour un vendredi, parce que, lors qu'ils étaient appelés pour ce jour-là, personne ne venait avant le dimanche. Les amis avaient été avertis, ils se présentèrent en nombre le jour dit, et M. de Toulouse fut mis dans la chaire. C'était un client de Colbert et un bon courtisan. Lorsque les commissaires demandèrent deux millions pour le don gratuit, il trouva que les tenues si beaux et obligeants dont ils avaient usé, valaient les deux millions.

L'endroit de la session était choisi avec soin. Pour l'année 1666, Ou avait parlé de Montpellier, mais Montpellier était bien loin ; il fallait, six ou sept jours pour y arriver de Toulouse et de Montauban ; la vie y était chère, et c'était une ville de débauches et de divertissements. Colbert est prévenu que les députés, s'y amusant, ne finiront de rien. Puis il se trouve que l'évêque a mauvais caractère et la chambre des comptes, qui réside dans la ville, mauvais esprit : Toutes les fois que les États ont été tenus à Montpellier, ils ont été longs et difficiles. Au contraire Pézenas est un petit lieu où il y a tout juste place pour loger les États : il ne peut venir de souffleurs que nous n'en soyons avertis ; on aura plus de commodité pour manier les esprits ; d'ailleurs, il n'est que bon que les députés des États s'ennuient un peu et qu'ils n'aient pas beaucoup de divertissements qui... leur fassent goûter le plaisir qu'il y a d'être député. Les États furent convoqués à Pézenas cette année-là.

La première affaire d'une session était l'examen des procurations — c'est à-dire la vérification des pouvoirs — des vicaires, des suppléants et des députés du tiers. En 1662, presque tous les suppléants, écrit M. l'évêque de Saint-Papoul, manquaient des qualités prescrites par les règlements ; mais, opinant le premier, dit-il, je fus d'avis de les faire entrer pour cette année sur leurs procurations, quoique défectueuses, parce qu'ils étaient bien intentionnés pour les affaires du Roi. Pour ce qui est des députés des villes, il n'y a eu de difficultés que pour le consul d'Agde. J'ai été d'avis de l'exclure. étant averti que celui qui tiendra sa place fera son devoir. Mon avis a été suivi. C'était l'opinion de l'archevêque président que les règlements ne sont qu'un prétexte à refuser ceux qui ont mauvaise volonté.

Pour avoir une assemblée douce, le gouverneur, l'intendant, et les commissaires du Roi faisaient croire aux députés que les rôles des opinions étaient envoyés au Roi, et que ceux qui serviraient bien seraient favorisés aux occasions qui se présenteraient.

Les prélats et les barons touchaient une pension, mais ce n'était pas un droit, c'était seulement une faveur habituelle ; on avait soin de la leur laisser désirer de temps en temps : Messieurs les évêques et Messieurs les barons, écrit l'archevêque en 1673, demandent leurs ordonnances des pensions accoutumées. Ils cherchaient à mériter des faveurs particulières par de particuliers services. Le marquis de Castries et des évêques acceptent la fonction d'espionnage, que Colbert leur propose. L'évêque de Saint-Papoul prend la précaution de ne pas signer ses rapports, celui de Béziers supplie Colbert de brûler les siens. Et ces gens sont grands solliciteurs. Lorsqu'en 1662 le Roi donne la présidence des États à l'évêque de Viviers, le prélat s'empresse de demander un cordon : Que Votre Majesté me permette, s'il lui plaît, de lui dire, avec toute la soumission que je lui dois, que l'honneur que je reçois de présider à cette assemblée nie va apporter une étrange confusion, que l'on voie que ceux que je présiderai soient honorés du cordon de votre ordre et que je ne l'aie pas. Tout le monde en est surpris.

On usait de fonds secrets avec les députés des villes. Le sieur du Chassan, député de Toulouse, parlait longuement, étant avocat et de Toulouse, et faisait de l'opposition. Sur le conseil de l'archevêque président, Colbert mit dans une lettre un mot et une promesse à l'adresse du tribun ; l'archevêque pria celui-ci à souper et lui montra l'article, lequel l'a tellement contenté qu'il a fait merveilles. Un député a donné un reçu de 500 livres accordées à son zèle pour le petit effort qu'il fit.

Si, malgré toutes ces précautions, l'assemblée se conduisait mal, l'archevêque menaçait de la bénir : Pour mortifier Messieurs du parterre, écrit-il, je leur ai signifié que, de demain en huit jours, je donnerai la bénédiction. La bénédiction était l'acte final de la session, et messieurs du parterre, qui touchaient une indemnité pour chaque jour de présence, désiraient être bénits le plus tard possible. Le président voulait au contraire que la session fût courte et bonne : Je mettrai pour fondement que, venant aux États, nous devons avoir deux vues : la première, de faire l'affaire du Roi le mieux qu'il se peut ; la seconde, de faire finir l'assemblée au plus tôt.

L'opposition peu à peu s'atténua dans les États de Languedoc. L'année 1665, vit encore une contestation : M. l'évêque d'Albi prétendait que le don gratuit ne devait pas dépasser l'octroi de l'année précédente. Ce sont, disait-il, les colonnes d'Hercule. Il ne voyait aucun motif d'une augmentation, puisque le Roi n'avait plus de guerres. Il alla même jusqu'à comparer l'État à une grosse horloge dont le peuple connaît seulement ce qu'elle marque, et jusqu'à dire qu'il serait à propos d'ouvrir l'enveloppe et d'en voir les ressorts ; mais M. d'Albi était un homme d'humeur singulière. En cette même année 1665, le prince de Conti, gouverneur de la province, célébra cet heureux commerce dans lequel nous vivons, de faveurs de la part du Roi et de soumission de la part de cette province, et cet accord mystérieux de votre obéissance et de votre liberté, qui sont deux choses, quoique opposées en apparence, si peu contraires en effet que vous n'êtes jamais plus libres que lorsque vous êtes obéissants. Plus simplement, le Roi écrit dans ses mémoires : Les pays d'États Commencèrent à ne plus se servir de leur liberté que pour me rendre leur soumission plus agréable.

En 1670 et en 1671, l'ordre fut envoyé par Colbert, et sans difficulté obéi, de supprimer le marchandage du don gratuit : l'intendant, au lieu de demander plus qu'il ne pouvait obtenir et de transiger ensuite avec les États, qui, de leur côté, proposaient moins qu'ils n'étaient décidés à donner, déclarera tout de suite la somme entière ; S. M. veut qu'elle passe en une seule délibération, sans délai ni envoi de courrier. Désormais les États, au lieu de présenter leurs griefs et conditions avant le vote du don gratuit, voteront le don d'abord : les conditions viendront ensuite et elle seront faciles et bien intentionnées. Les demandes du Roi montèrent d'année en année, elles furent accordées tout d'une voix. Les fonds secrets devinrent à peu près inutiles ; il suffit, dit l'intendant, d'un peu de manège. On en arriva même à voter sans parler. En 1672, des évêques décidèrent qu'on ne dirait mot el opinant, ce qui fâcha l'évêque de Mirepoix : Cette manière d'opiner, écrit-il à Colbert, pourrait faire connaître au peuple que l'on donna au Roi à regret. Il se réserve de dire à ses diocésains que nous n'avons fait que ce que nous devions.

Cette docilité servile, obtenue par tant de mauvais moyens permit au Roi de ne pas se gêner avec la province. Il tenait rarement les promesses faites par ses commissaires en échange du don gratuit Les États furent dupés dans les opérations financières du canal de Deux-Mers. Un édit de l'année 1666 avait disposé que le Roi achète rait au prix fixé par estimation d'experts les terres nécessaires à L construction du canal, et qu'il indemniserait de leurs droits de justice et de tous autres droits les seigneurs des fiefs dans le ressort desquels ces terres seraient situées. L'année d'après, les États accordèrent une subvention de 2.400.000 livres, payable en huit années, al la condition que la somme serait employée de préférence au paiement des indemnités ; cette condition avait été acceptée par les commis. safres du Roi. Onze ans après, une partie seulement des indemnité : était payée ; les États, par charité, prirent à leur charge les intérêts des sommes qui restaient dues. Chaque année, ils furent requit de faire un fonds pour l'entretien du canal, bien qu'ils ne s'y fussent pas engagés. Ils ne tirèrent d'ailleurs aucun profit de l'exploitation dont les bénéfices furent partagés entre l'entrepreneur et le Roi Enfin, l'intendant de Languedoc. dans un mémoire écrit en 1698 sut l'état de la province, rapporte que, des 13 millions de livres prévues par le devis, le Roi avait donné 6.692.018 livres, et la province le reste. mais ce n'est pas un compte de bonne foi, car le Roi avait tiré beaucoup d'argent du Languedoc en y créant des offices, que les États avaient rachetés, pour que le pays n'en fût pas importuné : puis, le prix du sel avait été augmenté. En somme, le Roi ne fit guère que rendre à la province, d'une main, ce que, de l'autre main, il lui avait pris. Peut-être la mauvaise volonté des États à l'endroit des travails publies venait-elle en partie de la peur d'are dupés. Ils se tirent prier longtemps avant de contribuer à la dépense du canal ; il semble bien qu'ils n'aient pas cru qu'on voulût l'entreprendre pour tout de bon. Les États de Languedoc, comme les marchands à qui Colbert demandait l'état de leurs affaires et des échantillons de leurs étoffes. comme les officiers qu'il priait de prendre des actions de ses compagnies de commerce, comme les villes qu'il invitait à établir des manufactures, redoutaient les roueries du fisc perfide.

Les États de Languedoc, malgré tous leurs défauts, méritaient un autre traitement. Ils n'étaient pas incapables de bien faire. En 1664, ils nommèrent des commissaires pour étudier les moyens de rétablir le commerce du royaume. Des députés des villes les plus commerçantes furent appelés devant la commission, ils remirent des mémoires qui furent lus à l'assemblée. C'étaient des gens raisonnables, écrit l'archevêque président qui ne se plaignaient pas beaucoup de l'excès des impôts, mais des abus qui se commettaient dans la perception. La petite conversation qu'on a eue avec eux les a fort échauffés, et ils s'en allèrent dans la meilleure volonté du monde de travailler à bon escient à rétablir le trafic et à améliorer toute sorte de manufactures. L'archevêque fut très content de cette affaire : C'est une des meilleures que nous avions faites, dit-il.

Personne dans cette assemblée, ni évêque, ni baron, ni tribun, ne voulait sérieusement résister au Roi, ni même lui déplaire. Le Languedoc, comme tout le royaume, était reconnaissant à Louis XIV de la peine qu'il prenait de gouverner. A l'ouverture de l'assemblée tenue en 1662, le prince de Conti, après qu'il eut exposé les grands besoins de l'État, termina par ces mots : Je me tais après vous avoir fait remarquer que celui qui demande est un roi et un roi qui gouverne. Les États avaient porté leur offre plus haut que de coutume, en donnant pour raison qu'ils agissaient avec le Roi lui-même. Si Louis XIV et son gouvernement l'avaient voulu, ils auraient élevé le petit esprit de ces gens du Languedoc jusqu'aux considérations générales qui font l'objet des grandes âmes. Il y fallait du temps, de la patience, car l'habitude était vieille et chère, de vivre chez soi et entre soi. Les petites patries tiennent les âmes Par des liens très forts, ayant la vertu d'être naturelles.

Il aurait fallu aussi de l'honnêteté, et que le Roi, reconnaissant à la province des droits, cherchât à les concilier avec les droits de l'État. Mais, depuis longtemps, l'État détestait tout ce qui restait d'autonomie dans le royaume, et Louis XIV était plus éloigné encore que ses devanciers de permettre que ses sujets, dont le devoir, disait-il, était d'obéir sans discernement, entrassent en partage de son autorité. Il pensait que le pire malheur qui pût affliger les personnes de sa condition était d'être obligé de discuter avec une populace assemblée. Dès lors, il semble qu'il aurait dû supprimer les États. Cette mesure radicale n'aurait pas effrayé Colbert ; mais le Roi n'était pas un révolutionnaire comme son ministre ; il était, au fond, prudent, modéré, conservateur. L'abolition des États eût été une grosse affaire ; il préféra, comme il aimait à dire, une voie de milieu, qui fut de les garder en les annulant, et il joua la comédie que nous avons vue. Son majestueux gouvernement descendit à de petites ruses et au mensonge perpétuel.

Or, un peu plus d'un siècle après que Louis XIV s'était félicité d'avoir réduit les États provinciaux à l'obéissance, les derniers ministres de la monarchie conseillèrent à Louis XVI de leur donner une organisation meilleure là où ils avaient été conservés et d'en instituer à nouveau là où il n'en existait plus. Un édit de 1787 mit en activité les assemblées provinciales. La royauté, qui avait détruit tout ce qui était capable de lui résister et absorbé en elle la vie du royaume, se trouvait isolée en face de la Nation, personne vague et redoutable. Elle cherchait, parmi les ruines qu'elle avait faites, s'il ne s'en trouvait pas qui, tant bien que mal restaurées, pussent lui servir de points d'appui. Les assemblées provinciales devaient être à la fois des corps d'administration locale et des collaboratrices de la royauté. Au même moment, les parlements offraient leur collaboration ou plutôt voulaient l'imposer. Mais les parlements et les États provinciaux étaient des revenants ; ils parurent et s'évanouirent.

 

 

 



[1] SOURCES. Isambert, Recueil..., t. XVIII et XIX. Clément, Lettres..., t. VI. Depping, Correspondance..., t. II. Ravaisson, Archives de la Bastille, Paris, 1866-86, 16 vol. Des documents inédits ont été utilisés pour ce chapitre, notamment le Registre des délibérations du conseil de Police, Bibl. nat., ms. fr. 8118.

OUVRAGES. Delamare, Traité de la police, déjà cité. Hatin, Histoire politique et littéraire de la presse en France, t. I à III, Paris, 1859. Du même auteur : Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris, 1866. Clément, La police sous Louis XIV, Paris, 1866. Fr. Funck-Brentano et d'Estrées, Les nouvellistes, Paris, Hachette, 1905.

[2] Sur les libelles publiés en Allemagne, voir : Zwiedineck-Södenhorst. Die äffentlichte Meinung in Deutschland im Zeitalter Ludwigs des XIV, Stuttgart, 1888. Haller, Die Deutche Publizistik in dem Jahren 1668-1674, Heidelberg, 1892.

[3] Voir au chapitre suivant.

[4] Voir J. de la Caille, Histoire de l'imprimerie et de la librairie, Paris, 1689. — 15 maîtres sont reçus en 1660, 22 en 1661, 15 en 1662, 19 en 1663, 14 en 1664, 11 en 1665, 17 en 1666 ; 0 en 1667, 0 en 1668, 0 en 1669, 1 pour chacune des années 1670, 71, 72, 73, 0 en 1674, 0 en 1675, 1 pour chacune des années 1676, 77, 78, 79, 0 en 1680, 1 en 1681, 0 en 1682 ; en 1683, le nombre monte à 29 ; il descend à 0 les deux années suivantes, se relève à 31 en 1686, et, après, baisse de nouveau.

[5] Voir plusieurs libelles contre Colbert, dans Clément, Lettres..., t. VII, pp. CXCV et suiv.

[6] Sur le lieutenant de police, voir au chapitre suivant.

[7] Titre d'une série de brochures attribuées à Jurieu ou à Le Vassor, Amsterdam, 1689.

[8] De temps en temps, la police faisait des rafles de livres. En 1679, à la mort de Savereux, libraire janséniste — qui avait été plusieurs fois embastillé, — on découvre un magasin dans l'église de Notre-Dame, dans l'une des tours... où l'on a trouvé une intaille d'exemplaires de tous les écrits faits pendant le règne du jansénisme, et même de beaucoup d'autres qui n'ont point été publiés. Le tout est saisi ; l'affaire fait du bruit, mais Colbert commande au lieutenant de police de l'assoupir.

[9] On voit bien, par ces derniers exemples, qu'il serait, injuste d'attribuer au seul gouvernement du Roi toutes les rigueurs de ce régime. Certainement la Faculté de médecine, le président de Harlay, le peintre Lebrun, Chapelain, — qui était une sorte de surintendant des lettres, — ont réclamé le châtiment des particuliers qui se permettaient des opinions dissidentes. Personne n'était d'humeur à se laisser contredire par personne. Des arrêts de parlements, des censures ou interdictions, prononcées par des facultés, par des évêques concouraient, avec la police du Roi, à empêcher l'expression de toute opinion qui menaçait un intérêt ou une doctrine. Mais le gouvernement de Louis XIV répugnait à permettre une discussion publique en quelque matière que ce fût. Il avait fait sienne cette maxime écrite dans un des livres composés pour l'éducation du Roi, le Catéchisme royal, qu'il faut interdire de papier et d'encre tout esprit inquiété de la démangeaison d'écrire.

[10] SOURCES. Les documents législatifs dans Isambert, Recueil, aux t. XVIII et XIX. Clément, Lettres..., aux t. IV et VI. Depping, Correspondance.... aux t. I et II. Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, au t. II. Les Mémoires de Foucault. Les Mémoires de Louis XIV.

OUVRAGES. Pour les provinces et les villes prises en exemple, voir Al. Thomas, Une province sous Louis XIV, la Bourgogne de 1641 à 1715, Paris, 1884. Histoire générale de la province de Languedoc, t. XIII et XIV. Normand, Étude sur les relations de l'État et des communautés aux XVIIe et XVIIIe siècles. Saint-Quentin et la royauté, Paris, 1881.

[11] Tableau des Parlements, publié dans Depping, Correspondance... au t. II, p. 33.

[12] Sur les États du Languedoc. Voir plus haut. — Il a paru nécessaire de prendre un exemple d'États et de s'y tenir, comme il a été pris un exemple de villes. Cette méthode a l'avantage qu'elle permet de donner une représentation de la vie en tel ou tel endroit, et l'inconvénient de négliger d'autres manifestations non moins curieuses qui ont été l'objet d'un grand nombre d'études. Elle s'impose, croyons-nous, dans une histoire générale.