HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — LE MINISTÈRE DE RICHELIEU.

CHAPITRE XIII. — LES LETTRES ET LES ARTS SOUS HENRI IV ET LOUIS XIII[1].

 

 

I. — LES LETTRES SOUS HENRI IV.

UN repos après le grand élan du avis siècle et un nouveau départ, la fin de la Renaissance et le prélude du Siècle de Louis XIV, telle est en raccourci l'histoire des Lettres et des Arts, du triomphe d'Henri IV sur la Ligue[2] au gouvernement personnel de Louis XIV (1661).

Sous le gouvernement réparateur d'Henri IV, l'ordre et la discipline rentrent dans les esprits. La littérature en porte témoignage.

Les périodes de trouble, qui laissent un libre jeu aux caractères, sont riches en écrits où les contemporains racontent les faits et se racontent eux-mêmes. Mais, en temps d'obéissance, les Mémoires sont plus rares. La vie est uniforme, la personnalité du Roi absorbe celle des sujets et commande l'attention. Même les survivants des guerres civiles qui achèvent ou écrivent leur autobiographie s'interrompent prudemment aux débuts du règne ou même avant, comme si leur histoire finissait avec le retour du pouvoir absolu, — et ils se gardent de la livrer à la publicité. Marguerite de Valois arrête ses Mémoires en 1582, le duc de Bouillon, en 1586. Villegomblain, un soldat et un mécontent, termine le récit des troubles sous les règnes de Charles IX et d'Henri III, par une plainte assez vive contre l'économie sordide d'Henri IV et son ingratitude à l'égard des services rendus, mais il se borne là. Brantôme, qui écrit les Mémoires des grands capitaines ou des Dames galantes, ne touche qu'incidemment et discrètement au règne d'Henri IV. L'Estoile, toujours si curieux à consulter, comme le témoin du Paris gallican, parlementaire et frondeur, insère de plus en plus dans ses Mémoires-journaux, de 1598 à 1610, le résumé de ses lectures et la bibliographie des écrits du temps.

A nouveaux temps convient nouvelle méthode. Les Économies royales de Sully sont les Mémoires accouplés du Roi et du Surintendant, où l'on voit le serviteur inspirer, conseiller, morigéner le meilleur des maîtres, et le maitre soutenir, enrichir, élever le plus accompli des serviteurs. De quelque affaire qu'il soit question, finances, gouvernement intérieur, politique étrangère, rapports conjugaux et extraconjugaux d'Henri IV, il n'y a que deux personnages en scène, si vivants, si naturels, si vraisemblables qu'on croit les voir et les entendre et que la postérité s'est laissé imposer, quelquefois malgré l'histoire, par le talent dramatique du conteur.

L'autobiographie de Sully est d'ailleurs encombrée de documents de toute sorte : lettres, instructions, statistiques. Bien plus réduite encore est-elle dans les Mémoires d'État de Villeroy, où se glisse, parmi les lettres qu'il écrivit comme secrétaire d'État, une courte justification de sa vie politique jusqu'à sa soumission au Roi. Les négociations du président Jeannin ne sont qu'un recueil de pièces diplomatiques, comme aussi les ambassades du cardinal d'Ossat à Rome, de Fresne-Canaye à Venise, de La Boderie en Angleterre. Toutes ces relations, publiées longtemps après la mort d'Henri, sont les vrais Mémoires de douze ans d'ordre, de paix, d'une activité appliquée surtout à la conservation et à la grandeur du royaume. Les renseignements qu'ils donnent éclairent surtout la vie des gouvernements et des peuples. C'est une psychologie et une littérature d'État.

L'histoire aussi témoigne des progrès de l'idée nationale et monarchique.

De Thou écrit en latin, langue universelle, mais dans un sentiment tout français, une Histoire de son temps (Historiarum sui temporis libri CXXXVIII, 1543-1607), hostile aux perturbateurs de tout ordre, moines et curés ligueurs, théologiens ultramontains, villes et grands seigneurs factieux, passionnément conservatrice et gallicane, quoique exacte et sincère jusque dans l'indignation et le mépris.

Si d'Aubigné n'a publié qu'en 1616 son Histoire universelle, c'est peut-être qu'Henri IV n'eût pas autorisé, par esprit de solidarité monarchique, un ouvrage où les derniers Valois étaient encore plus mal traités que les papes.

Les Guise ne trouvent plus en France d'apologistes. Pierre Matthieu, ligueur repentant (Histoire des derniers troubles, 1594 ; Histoire des sept années de paix, 1606), n'essaie même pas de plaider les circonstances atténuantes en faveur de la Ligue ; il condamne en bloc la révolte contre le souverain légitime.

Le succès des livres de morale est un autre signe des temps.

Charron (1541-1603), théologien et ami de Montaigne, a longtemps passé pour l'interprète de sa philosophie. Il aurait ramassé et présenté systématiquement les raisons de douter que l'auteur des Essais a dispersées, au gré de sa fantaisie, et comme égarées dans les tours et les détours de son œuvre. Mais Charron n'est pas le disciple de Montaigne et, s'il a cru le suivre, il s'est complètement mépris.

Consciemment ou non, Charron est un dogmatique et croit fermement à la puissance démonstrative de la raison. Son premier ouvrage, Les Trois Vérités, établit contre les idolâtres la mission du peuple juif, contre les Juifs, la divinité du Christ, contre les protestants, la vérité du catholicisme. Mais si la raison est capable d'atteindre le vrai, pourquoi ne le serait-elle pas de découvrir le bien et de régler la volonté ? C'est l'objet du Traité de la Sagesse. L'homme peut arriver, par ses seules forces, à faire excellemment l'homme. Logiquement, le rationalisme de Charron aboutissait à la religion naturelle et à l'inutilité de la Révélation. Mais il s'en défendait de toutes ses forces, et probablement était-il sincère.

Un véritable écrivain, qui avait retrouvé l'ampleur de la période cicéronienne, le premier président au parlement de Provence, Du Vair, contribua lui aussi à faire sortir la morale du temple et des livres de théologie et à la séculariser. Il traduisit le manuel d'Épictète ; il écrivit une Philosophie morale des stoïques. Il présenta en modèle à des chrétiens la plus pure des morales non révélées et, sans songer trop aux conclusions possibles, la pratique de vertus dont tout le mérite revenait à qui faisait l'effort.

Cependant l'Antiquité, si elle inspire toujours le même culte, ne parait plus exclusivement digne d'imitation. La Renaissance s'était faite païenne d'inspiration et de sentiments avec une telle ferveur qu'elle semblait croire aux dieux de l'Olympe et expulsait presque le christianisme de la poésie. Mais, au cours des longues luttes religieuses, l'âme se retrouva chrétienne et se dépouilla de cette foi littéraire qui avait recouvert la vraie.

C'en est fait aussi de l'ambition, proclamée par la Pléiade, de ressusciter les genres littéraires de la Grèce, et particulièrement les plus grands : l'épopée, la tragédie, l'ode pindarique. L'expérience a démontré la vanité de cet effort, comme on peut le voir dans l'Art poétique de Vauquelin de La Fresnaye.

Vauquelin est un attardé, dont l'œuvre, ébauchée du vivant de Ronsard (1574), n'a paru qu'en 1605. Comme, au cours de cette élaboration, il s'est écarté, en quelques points, des doctrines de la Renaissance, ses variations sont instructives comme indice des variations du goût public. Vauquelin préfère à l'ode pindarique de Ronsard la mignarde odelette d'Anacréon. Sa définition de l'épopée est en contradiction avec la Franciade. Il prêche résolument l'abandon de la mythologie, le réveil de la poésie nationale et chrétienne. Il s'inquiète des changements indéfinis que l'on fait subir à la langue[3]. Le goût et le génie français se détournent de cette École qui parlait grec et latin.

Le théâtre aussi rompt avec les formes antiques. Les tragédies de Jodelle, de Garnier, de Jean de La Taille, faites sur le modèle des tragédies grecques, n'intéressaient qu'un petit nombre de lettrés et d'écoliers et jamais elles n'avaient été représentées devant un vrai public. Le peuple de Paris ne connaissait d'autre théâtre que l'Hôtel de Bourgogne, où des comédiens amateurs, les Confrères de la Passion, avaient seuls le droit de jouer et jouaient le plus souvent des Mystères. Le Parlement, en 1548, avait interdit les représentations pieuses et le dégoût du public avait confirmé l'arrêt du Parlement.

En 1599, les Confrères, dédaignés, louèrent leur privilège à une troupe de comédiens de profession, dirigée par un certain Valleran Lecomte et qui allait de ville en ville colportant les pièces de son poète, Alexandre Hardy. Elle resta quelque temps à l'Hôtel de Bourgogne, partit pour la province, revint et ne se fixa définitivement à Paris qu'en 1629.

Hardy faisait des tragédies, mais qui étaient jouables. Il supprima les chœurs, raccourcit les monologues, coupa l'acte en plusieurs scènes, augmenta le nombre des personnages, rendit en un mot la pièce plus vivante et plus dramatique. Un nouveau théâtre se formait.

Les derniers représentants de la Pléiade, Desportes et Bertaut, riment, en pénitence de leurs chants d'amour, des cantiques spirituels. Le plus grand des survivants de la Renaissance, d'Aubigné, décrit dans ses Tragiques et déteste avec l'emportement d'un prophète l'intolérance et les turpitudes des derniers Valois. Mais cette épopée des guerres religieuses, commencée en pleines guerres de religion et, en tout cas, inspirée de la langue et de l'esprit du XVIe siècle, ne fut, comme l'Histoire universelle, publiée qu'en 1616 et surprit les contemporains de Louis XIII, autant par la forme que par le fond.

Trois hommes, en des rôles différents, marquent les changements du goût. Henri IV est, comme on en a pu juger par ses discours et par ses manifestes, dans le pur courant de la tradition française. Le Recueil de ses Lettres missives contient des pièces de toute sorte, officielles ou privées, parmi lesquelles il est difficile de faire la part du Roi. Les lettres intimes même sont et doivent être suspectes, quand elles ne sont pas autographes ; les secrétaires à la main pensaient, sentaient, rédigeaient pour le maitre. Cependant, il est possible de se faire une idée d'Henri IV écrivain. Ses lettres sont en général courtes, alertes et nerveuses, aiguisées de malice, animées de bonne humeur et sentant parfois son gascon. La flatterie est délicate ; la menace, froidement incisive. Les billets doux, d'une sentimentalité banale et monotone, et qui ne varient guère que du baisement des mains au baisement des pieds de l'idole, sont parfois bien gaillards. Mais, libertines ou non, ces lettres personnelles ont une allure si française, tant de charme et d'esprit, que, plus encore que la correspondance de Marguerite de Navarre, elles annoncent l'apparition d'un genre littéraire nouveau.

Mathurin Régnier (1578-1613), un poète, rejoint Rabelais à travers l'école de Ronsard. Il continue avec Sigogne, Motin et un prosateur, Béroalde de Verville, la tradition gauloise ou plutôt ordurière. Mais il a fondé la satire et illustré son œuvre d'êtres qui vivront. Sa langue est riche de tous les legs du passé, d'emprunts faits à la Cour, à la ville, à la canaille, au nord et au midi, cynique, colorée, pittoresque.

Mais voici le meilleur ouvrier — conscient celui-là — de la réaction contre la littérature de la Renaissance. Malherbe, né en 1555, avait d'abord suivi le goût du temps. Un de ses premiers poèmes, les Larmes de saint Pierre, imité de l'italien, n'est pas exempt de mauvais goût, quoique le vers soit déjà plein, harmonieux, frappé en belles images. Malherbe, qui était gentilhomme et normand, avait accompagné en Provence le duc d'Angoulême, gouverneur de cette province, et il s'y était fixé. Lorsque Marie de Médicis débarqua à Marseille, il adressa à la nouvelle reine, sur sa bienvenue, une ode où il célébrait, en termes magnifiques, les bienfaits de ce mariage. Le cardinal Du Perron, Normand aussi, recommanda son compatriote au Roi, qui, n'aimant point la dépense, pria le duc de Bellegarde de lui faire une pension. C'est comme domestique du Duc, que Malherbe parut à la Cour (1605).

Il avait cinquante ans, et, loin de la Cour et de Paris, il avait longuement réfléchi sur son art et s'était fait une Poétique. L'emphase verbeuse de la Pléiade, son inspiration savante, son vocabulaire néo-grec et néo-latin, son imprécision dans l'emploi des mots et des images, lui étaient antipathiques. Il était naturellement pour l'ordre, la règle, le mot propre et bien français, l'harmonie du vers et de la période. II déclara la guerre à Ronsard et à ses disciples. Il dit à Desportes, qui l'avait invité à dîner et qui voulait lui offrir un exemplaire de ses Psaumes, que son potage valait mieux. Régnier prit parti pour son oncle, et écrivit contre Malherbe la fameuse satire où il opposait à la composition laborieuse le beau désordre des favoris d'Apollon.

Sans s'émouvoir, le tyran des mots et des syllabes poursuivit son travail d'épuration. Il dégasconna le français, comme il le déshellénisa. Il prétendait que les meilleurs juges de la langue étaient les déchargeurs du Port-au-foin, et c'est en effet le peuple qui, inconsciemment, se défend le mieux des importations étrangères. Par là, Malherbe mérite d'être compté parmi les ouvriers de la restauration nationale.

Peut-être les plus beaux vers qu'il ait écrits lui ont été inspirés par sa passion de l'ordre et de la paix. Dans la Prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin pour y pacifier les troubles, comme dans l'Ode sur l'heureux succès du Voyage de Sedan, sa poésie, grande et noble, est animée et attendrie par l'ardeur de ses sentiments pacifiques et monarchiques.

Il pensait en vers grandement ; jamais il n'a composé de pièce libertine. Le fait est d'autant plus remarquable que sa façon de vivre l'avait fait surnommer le Père la Luxure. Mais la poésie devait rester pure. Par là aussi, il se distinguait des poètes de la Renaissance et créait une tradition. Racan, disciple de Malherbe, resta fidèle à cette conception idéaliste de l'art. L'Astrée l'introduisit dans le roman et l'hôtel de Rambouillet l'imposera plus tard dans les relations du monde.

Mais si intéressants que soient ces débuts et ces promesses, ils ne font pas du règne d'Henri IV une époque littéraire. Malherbe même, qui ne vint à Paris qu'en 1605 et qui y mourut en 1628, appartient autant au règne de Louis XIII qu'à celui de son prédécesseur. Henri n'est ni un Auguste, ni un Mécène ; il laisse à de grands seigneurs généreux le soin de pensionner les lettrés. Il ne se passionne et ne dépense que pour ses bâtiments.

 

II. — LES LETTRES SOUS LOUIS XIII ET MAZARIN.

APRÈS lui commence le grand siècle, dont il est équitable de partager la gloire entre Louis XIII et Louis XIV. Descartes qui, en 1637, publia son Discours de la Méthode ; Corneille, qui, cette année-là ou l'année précédente, fit jouer le Cid et, en 1652, Nicomède, le dernier de ses chefs-d'œuvre ; Pascal, mort en 1662 et dont les Provinciales parurent en 1656-57, ne doivent rien au grand roi, né en 1638 et qui, de fait, ne régna qu'après la mort de Mazarin (mars 1661). Ces trois grands noms suffiraient à illustrer la période littéraire qui commence pendant la minorité de Louis XIII et se continue jusqu'à la fin de celle de son fils. Tous les écrivains de cette génération, les grands et les moindres, ont entre eux un air de famille qui les différencie de la génération suivante. Ils ont vécu non sous le despotisme librement consenti d'un monarque idolâtré, mais sous la dictature combattue d'un ministre et pendant les troubles et le relâchement de deux régences[4]. Ils ont subi moins uniformément et moins fortement les patronages de cour et les disciplines d'école.

Cette époque politiquement divisée l'est aussi moralement. Certes le catholicisme est tout-puissant, en pleine ardeur et en pleine force de renouveau. Il agrandit son domaine et, en tout cas, s'affermit dans celui qu'il possédait déjà. Il détruit le parti protestant et refoule l'Église protestante. Il reprend la noblesse, il évangélise les masses ; il se réforme et il s'instruit. Il s'impose aux hommes d'État tantôt comme une discipline qu'ils ne sauraient recommander aux peuples sans la pratiquer eux-mêmes et, le plus souvent, en dehors de tout calcul, comme la révélation exclusive de la vérité morale et religieuse. L'évolution de Du Vair est caractéristique des progrès de l'esprit religieux. Au contraire de Charron († 1603), qui, des Trois Vérités, passe au Traité de la Sagesse et d'une apologie du catholicisme à la conception d'une morale sociale, Du Vair († 1621), après avoir essayé dans la Philosophie des stoïques de séculariser la morale, y renonce dans la Sainte Philosophie et, ne voyant plus de remède à la corruption que dans le retour à la morale chrétienne, il en proclame la nécessité[5]. La génération des Bérulle, des François de Sales, les Jésuites et les Jansénistes veulent faire de la religion la directrice de la vie humaine et christianiser, si l'on ose dire, jusqu'à la vie mondaine.

Pour l'élite des âmes pieuses, désireuse d'avancer dans les voies de la perfection, saint François de Sales, ce Français du dehors, écrivit l'Introduction à la vie dévote, le premier des livres de Direction spirituelle et le plus justement fameux, où, sans appareil théologique, en une langue toute fleurie, avec des effusions de paternelle tendresse, il indiquait les étapes et les progrès de l'amour en Dieu[6].

Mais justement l'excès de zèle, l'inquiétude du mieux et aussi des rivalités — très profanes — d'influence, créent des partis dans l'Église et y suscitent des conflits. C'est, sous la régence de Marie de Médicis, la dispute entre les ultramontains et les gallicans, sur la limite des deux pouvoirs, et c'est, sous la régence d'Anne d'Autriche, après la trêve imposée par Richelieu, la lutte des Jésuites et des Jansénistes.

Le scandale de ces querelles aurait, à lui seul, suffi à provoquer une réaction d'incrédulité, mais il est possible que les premiers progrès des sciences y avaient probablement contribué. Sans doute, le P. Mersenne exagérait avec excès quand il comptait, en 1623, 50.000 athées dans Paris seulement. Les libertins étaient une faible minorité, mais justement parce que leurs opinions faisaient scandale, ils passaient pour être légion. En tout cas, ils se turent sous Richelieu. La poursuite contre Théophile de Viau fut un avertissement aux autres poètes gaulois ou orduriers, qui auraient été tentés d'opposer comme lui les droits de la nature à la morale chrétienne. Après la mort du Ministre, le scepticisme érudit à la Montaigne reparut au grand jour des écrits, exposé ou insinué par des gens doctes, à l'allure grave. Des trois hommes qui passent pour les esprits les plus émancipés du temps, l'un, Gassendi, est prêtre et professeur de mathématiques au Collège de France ; l'autre, Naudé, bibliothécaire du cardinal Bagni à Rome — et plus tard de Mazarin ; le troisième, La Mothe Le Vayer, précepteur du duc d'Orléans, frère de Louis XIV. Naudé, dans son Avis pour dresser une bibliothèque (1627), où il recommande de réunir sur chaque opinion controversée les ouvrages pour et contre, conclut au bon droit des Pyrrhoniens fondé sur l'ignorance des hommes. La Mothe Le Vayer croyait que les temps inclinés à l'athéisme, comme le temps d'Auguste César, et le nôtre propre, en quelques contrées, ont été temps civils et le sont encore, là où (tandis que) la superstition a été la confusion de plusieurs États. Gassendi, dans sa Vie d'Épicure (1647), justifie la morale du philosophe ancien.

C'est aussi au temps de la bonne Régente, Anne d'Autriche, que le libertinage devient à la mode parmi les gens du bel air. Saint-Évremond, brave et galant, auteur de madrigaux et de dissertations philosophiques, pense que de toutes les conceptions touchant le souverain bien, il n'y en a point de plus raisonnable que celle d'Épicure. S'il ne médit pas des exigences de la morale chrétienne, c'est qu'elles rompent la monotonie du plaisir et l'aiguisent d'une pointe de remords. Le chevalier de Méré, qui passa en son temps pour un penseur, déclarait Épicure un admirable génie. Tous deux avaient aimé et formé la fameuse Ninon de Lenclos, une courtisane qui restait du monde, belle et spirituelle, en qui plusieurs générations d'amants ou d'amis apprécièrent, si l'on peut dire, la compagnie d'un honnête homme qui n'était pas une honnête femme. Avec elle réapparut en plein épanouissement chrétien un idéal d'hétaïre, païenne et savante, dressée aux séductions du corps et de l'esprit. La moderne Leontium, comme l'appelait Saint-Évremond, passait pour la reine des esprits forts.

De l'étranger aussi viennent des inspirations entrecroisées. On continue à imiter sous Henri IV et Louis XIII les écrivains italiens, que Catherine de Médicis a mis à la mode. Desportes, Vauquelin de La Fresnaye et beaucoup d'autres les pillent sans scrupule. Souvent des détails qui, dans les satires de Régnier, pourraient passer pour des confidences, sont des copies très exactes d'un modèle italien. Mais cette littérature dont les Français se rendent si volontiers tributaires est en décadence, gâtée par le manque naturel et la recherche du fin, du brillant et du rare dans les sentiments, les idées et les mots. Le Tasse, mort en 1595, avait mêlé à l'or de sa poésie beaucoup de ce clinquant. Guarini se fit de ces défauts un système et fonda l'école du mauvais goût.

Un de ses disciples, qui n'avait pas son talent, le Napolitain Marini, vint à Paris en 1615 et y publia en 1623 son Adone, où il avait délayé en quarante mille vers une idylle et une élégie, l'amour de Vénus pour Adonis et sa douleur après la mort de son amant. Ce poème interminable plut par ses jolis détails, ses comparaisons ingénieuses et ses métaphores prétentieuses, l'afféterie de la forme et du fond, et les mots qui, opposés en leur double sens, piquaient vivement la curiosité, ou, comme on disait, les pointes.

Ah ! voici le poignard qui du sang de son maitre

Fut souillé lâchement ; il en rougit, le traître.

Ces vers de Théophile de Viau sont antérieurs à la publication de l'Adone ; ils prouvent que la France était déjà atteinte du mal qu'aggrava la présence du cavalier Marin.

Puis quand Anne d'Autriche commença à faire figure de reine, la littérature de son pays eut un regain de vogue. Il y a à Paris une véritable agence de traducteurs du castillan. Tout ce qui parait de nouveau à Madrid, les romans surtout, est immédiatement expédié en France[7] et traduit. L'Espagne eut alors quelques-uns de ses plus grands écrivains : Cervantès (1547-1616), Quevedo (1580-1645), le premier des romanciers picaresques, et ces deux puissants dramaturges, Lope de Vega (1562-1635) et Calderon (1601-1681), sans compter les écrivains de second ordre. On oublie trop que Guillen de Castro, l'inspirateur du Cid, ne mourut qu'en 1631. C'est des Espagnols de la grande époque — leurs contemporains ou presque — que les Français du XVIIe siècle s'inspirèrent.

Malgré l'échec de Ronsard et de son École, l'influence de l'Antiquité demeure toute-puissante, mais non pas de toute l'Antiquité. L'étude des Grecs, quoique inscrite aux programmes dé l'Université, demeure un enseignement de luxe, qui ne s'étend ni ne pénètre. L'histoire littéraire de la Grèce est suffisamment connue pour inspirer des Poétiques, une règle et une pratique du théâtre ; sa littérature ne l'est pas assez pour agir sur la formation du goût et de l'esprit français. Quels sont les écrivains de la génération de Corneille qui ont pratiqué directement Homère, les tragiques, Pindare, Platon ou même Aristote, dont on parle tant ? Mais le contact avec la Rome antique est continu et intime. Par goût et par nécessité, les Français apprennent le latin, langue mère de la leur, langue du culte catholique, langue de la philosophie, de l'érudition et des sciences. Ils l'apprennent pour l'écrire et le parler. Les écrivains de la Rome ancienne ne sont pas pour eux seulement des grands noms, mais des auteurs familiers, les seuls, sans en excepter les écrivains nationaux, qu'ils aient maniés pendant le cours de leurs études.

La pénétration des deux littératures a dû être d'autant plus intime qu'il y avait entre elles affinité d'origine et communauté de tendances. C'est en France l'époque de l'établissement au pouvoir de la noblesse de robe et de la ruine de la noblesse d'épée. La nouvelle classe dirigeante tient du milieu parlementaire et bourgeois, où elle se recrute, le goût de la règle, de l'ordre et de la mesure, des habitudes de gravité, plus de raison que d'enthousiasme, plus d'éloquence que de poésie. Par ses qualités comme par ses défauts, elle sympathisait moins avec Athènes qu'avec Rome. Aussi la littérature latine est-elle le modèle que la France du XVIIe siècle a le plus constamment suivi. Mais elle n'imitait pas tout, même de ce modèle. Elle n'emprunte que ce qui se rapprochait le plus de son propre génie : pensées, formes et sentiments. Elle répudie ce que l'esprit latin a de trop particulier, sentant le terroir, le temps, le paganisme. Elle tend à rester elle-même, chrétienne et française.

Ce qui garde notre littérature du XVIIe siècle d'être latine et pédante, ou italienne et espagnole, ou bigarrée de provincialismes, c'est le rôle toujours plus considérable de Paris. En effet le travail de centralisation a son effet sur la langue. Les guerres de religion sont la dernière manifestation (sous l'ancien régime) de la vie provinciale. Les rois eux-mêmes ne vagabondent plus sur les rives de la Loire, de château en château. Henri IV ne bouge de Paris, qu'il a eu tant de peine à reprendre, que pour aller à Fontainebleau. Louis XIII a un rendez-vous de chasse plus près encore, à Versailles. Paris n'est plus seulement le siège de la monarchie, mais, dans le sens le plus complet du mot, la ville capitale. Et c'est Montaigne, un des derniers grands écrivains provinciaux, qui fait le mieux sentir sa puissance d'attraction ... Elle a mon cœur dez mon enfance : et m'en est advenu, comme des choses excellentes ; plus j'ay veu, depuis, d'autres villes belles, plus la beauté de cette-cy peut et Baigne sur mon affection ; je l'aime par elle-mesme et plus en son estre seul que rechargée de pompe étrangère ; je l'aime tendrement jusques à ses verrues et à ses taches ; je ne suis François que par celte grande cité... la gloire de la France et l'un des plus nobles ornemens du monde[8].

Est-il excessif d'imaginer que les actes et les œuvres de Richelieu ont contribué à la nationalisation de la littérature. Ce bon ouvrier de la grandeur française, en donnant au pays une si haute idée de ses ressources et de ses moyens, n'aura-t-il pas aidé à le libérer de l'admiration servile des littératures étrangères et à lui rendre confiance en sa force et son originalité ? Il était lui-même écrivain, et par moments puissant écrivain. Il avait publié des ouvrages de polémique, qui, par delà le groupe des docteurs, visaient déjà les gens du. monde.

Il faut avouer le vray, dit en parlant du Cardinal un domestique de Gaston d'Orléans, cet homme avoit de grandes qualités, la mine haute et d'un grand seigneur, la parole agréable, la facilité de parler merveilleuse, l'esprit très présent et très délié... et une graice à ce qu'il faisoit et disoit à ravir tout le monde[9].

L'on s'étonne que l'histoire littéraire qui enregistre tant de noms, qui ne sont que des noms, n'ait pas retenu celui de l'orateur du Clergé en 1614, de l'auteur de la Succincte Narration, du Testament politique et d'une partie (la plus belle) des Mémoires qui portent son nom. Pour juger des progrès qu'il a fait faire à la langue oratoire, il suffit de le comparer aux autres orateurs des États généraux, à Savaron, à Henri de Mesmes, à Robert Miron et même au Cardinal Du Perron, qui passait pour l'homme le plus éloquent de France. En regard des harangues verbeuses, traînantes, ou déclamatoires, le discours de Richelieu se distingue par la sobriété et la vigueur. Surtout, il est remarquable par la netteté du plan et la rigoureuse délimitation des parties. Richelieu porte, jusque dans la composition, la passion de l'ordre. Même lorsqu'il rapporte les idées des autres, il les éclaircit et les précise. La clarté et la logique sont un impérieux besoin de son esprit[10]. Est-il possible que le tout-puissant ministre — en dix-huit ans de pouvoir — n'ait pas marqué de son empreinte le génie français ?

Le travail d'épuration de la langue, que Malherbe a commencé dans la poésie, se poursuit. Balzac (1597-1654) rend les mêmes services à la prose. Après Du Vair, il retrouve la période qui embrasse dans son tour et, par la disposition des diverses parties de la phrase, groupe en un tout harmonieux les idées secondaires autour de l'idée principale. Il s'interdit les mots grossiers, vulgaires et bas, et, de préférence, emploie les termes généraux et abstraits. Il met de la noblesse et de l'éloquence dans ses livres et même dans ses lettres. C'est le professeur national de rhétorique française. Le grammairien Vaugelas, dans ses Remarques sur la langue française, qui parurent en 1647, fixe des règles qu'une nouvelle Compagnie s'est chargée de faire observer.

Il y avait à Paris vers 1635 quelques bourgeois cultivés, écrivains ou simples lettrés, Chapelain, Gombauld, Godeau, Malleville, Conrart et d'autres, qui s'assemblaient une fois par semaine chez Conrart pour s'entretenir familièrement comme ils eussent fait en une visite ordinaire et de toutes sortes de choses, d'affaires, de nouvelles, de belles-lettres, surtout de belles-lettres. Richelieu, informé par Bois-Robert, l'un des habitués, demanda si ces personnes ne voudroient pas faire un corps et s'assembler régulièrement sous une autorité publique. Ce désir était un ordre et, bien qu'à regret, la réunion accepta.

 Le Roi, par lettres patentes du 10 février 1635, lui donna existence légale sous le nom de l'Académie française. Le Cardinal de Richelieu en était constitué chef et protecteur ; le nombre des membres devait être de quarante. Ils étaient dispensés de tout guet ou garde, et, pour ne pas être obligés de s'éloigner de Paris où leurs assemblées se doivent faire, n'étaient justiciables en toutes leurs causes personnelles, possessoires et hypothécaires que des maîtres des requêtes ordinaires de l'Hôtel ou du Palais, tout ainsi... que les officiers domestiques et commensaux de la maison du Roi.

 Le Parlement refusa pendant deux ans d'enregistrer les lettres patentes. Il se défiait, non sans raison, d'un gouvernement qui multipliait les jugements par commissaires et il pouvait craindre l'établissement d'une nouvelle justice d'exception, au détriment des auteurs et des livres ou des juges ordinaires. Il ne céda qu'en 1637, à la charge que ceux de ladite Assemblée et Académie ne connaîtront que de l'ornement, embellissement et augmentation de la langue française... et des livres par eux faits et par autres personnes qui le désireront et voudront.

La principale fonction de l'Académie sera, disaient les statuts, de travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter des arts et des sciences, — la plus parfaite des langues modernes. Sa première tâche devait être la confection d'un  Dictionnaire, en attendant une grammaire, une poétique, une rhétorique.

L'Hôtel de Rambouillet est un tribunal, — non officiel, mais aussi redouté que l'Académie française, — des réputations littéraires. Ce salon parisien, qui, de 1624 à 1648, eut sa plus grande vogue, est la manifestation d'une vie sociale qui s'organise à côté de la vie de Cour, des groupements corporatifs et des clientèles aristocratiques. De grands seigneurs et de grandes dames, comme la princesse de Condé et son fils le duc d'Enghien, des prélats, comme le cardinal de La Valette, s'y rencontraient avec des hommes de lettres et des Académiciens, Chapelain, Conrart, Bois-Robert, Racan et Godeau, qui de poète badin était devenu évêque de Grasse. De ce mélange se forma une société dont les principaux plaisirs étaient la conversation et la lecture des livres nouveaux. La fille de la Marquise, Julie d'Angennes, avec ses compagnes, Mlles de Coligny, de Clermont et Du Vigean animaient l'hôtel de leur gaieté et de leur jeunesse. Il s'y donnait de nombreuses fêtes. Un épistolier qui a porté le badinage à la perfection, Voiture, était, quoique fils d'un marchand de vin, l'enfant gâté et l'enfant terrible de cette maison aristocratique.

La fréquentation des gens du monde obligea les écrivains à se dépouiller de tout pédantisme et à parler la langue de leurs hôtes. Les femmes surtout ne s'intéressent pas longtemps à ce qu'elles ne comprennent point et, si on veut leur appui, il faut que la science se fasse aimable et la théologie, intelligible. Pour leur plaire aussi, la littérature s'astreignit à être noble, chevaleresque et décente. Mais, toujours aussi pour leur plaire, la littérature devint raffinée, alambiquée, maniérée, précieuse : crise passagère d'analyse hyper-subtile, de sentimentalité fade et de mondanisme aigu, dont la guériront le bon sens et Molière.

En attendant, l'esprit réaliste, goguenard, facétieux et gaulois de la race narguait à sa façon cette quintessence d'idéalisme et même tout idéalisme. Saint-Amant écrivait des poésies au titre suggestif : Les Cabarets, Le Fromage, Les Goinfres. D'autres bons compagnons célébraient les appétits à qui Priape sert de patron. Nombre d'écrivains regimbaient contre toute discipline intellectuelle et morale. Ces irréguliers de toute sorte ou d'une seule sorte : Saint-Amant, Cyrano de Bergerac, Chapelle, D'Assoucy, Scarron, etc., très différents de tendances et de talent, s'accordaient en un point : médire et se gausser de tout et de tous. Il n'est pas extraordinaire qu'à force de rire de ce qui était risible, ils aient été naturellement portés à faire rire de ce qui ne l'était pas, introduisant ainsi un nouveau genre de comique, le burlesque. A ce goût pour le ridicule, la Fronde, cette caricature de révolution, fournit une ample matière et de très forts excitants. La parodie, encouragée par le spectacle de la réalité, envahit le domaine littéraire. Scarron, dans son Typhon (1644) et dans son Virgile travesti (1648), prêta aux héros et aux dieux les mœurs, le langage et les sentiments de l'humanité la plus commune et la plus triviale. Il parut même en 1649 une Passion de Jésus-Christ en vers burlesques. Mais le retour de l'ordre fut aussi la fin de cette débauche de dérision et le règne de la raison s'établit avec le gouvernement personnel de Louis XIV.

Sous tant d'influences — et de si diverses — se forme une littérature qui n'a pas la majestueuse unité et l'harmonieuse beauté de celle de l'âge suivant, mais qui est peut-être plus inventive, plus vigoureuse et en un sens plus originale. Elle a des initiatives et de brusques reculs ; elle a des libertés, des audaces et parfois une verve et une verdeur que ne toléreront plus sous Louis XIV les disciplines dogmatiques ou courtisanes.

Malherbes, mort en 1628, a écrit sous Louis XIII quelques-unes de ses plus belles Odes, d'une forme si parfaite et d'un si profond sentiment monarchique Il n'a laissé que deux disciples, l'un, Maynard (1582-1646), correct et réglé jusque dans ses emportements bachiques ; l'autre, Racan (1589-1670), tendre et mélancolique, doucement amoureux des belles et fertiles campagnes. Mais les autres poètes lyriques, comme Théophile de Viau, Sarrazin, Malleville, reviennent à la libre fantaisie de la Renaissance. Malherbe est vaincu ; sa versification seule prévaut[11].

Ce n'est pas le seul retour en arrière. On a vu que Hardy avait allégé et animé la tragédie classique jusqu'à la rendre jouable. Mais en même temps qu'il s'essayait à imiter les anciens, il s'inspirait aussi des Italiens et des Espagnols et s'abandonnait aux goûts du grand public ou simplement à son propre génie. Il faisait des pièces sans unité d'action ni peinture de caractères, moins hautes d'inspiration et de ton, remplies d'incidents, de surprises et d'aventures extraordinaires, pseudo-tragédies qu'on baptisa du nom de tragi-comédies. H mit sur la scène des bergers amoureux, galants et grossiers, tendres et comiques et, par ce mélange de drame, d'idylle et de farce, créa ou renouvela la pastorale.

Ainsi Hardy, ce précurseur (1570-1631) — et qui littérairement ne compte qu'à ce titre — est partagé entre ces deux tendances : recherche d'une forme d'art plus libre, restauration plus ou moins fidèle de l'ancienne tragédie classique.

Hardy, même quand il empruntait ses sujets à l'antiquité, ne s'astreignait pas aux conditions de temps et de lieu qu'Aristote avait relevées dans la tragédie grecque et que le théâtre de la Renaissance s'était un moment imposées ; il ne se souciait guère que de l'unité d'action. Ce fut Jean de Mairet qui, dans sa tragédie de Sophonisbe, jouée en 1634, appliqua de nouveau et définitivement établit la règle des trois unités.

L'initiative de Mairet fut bien accueillie des doctes qui voulaient des pièces conformes à la Poétique d'Aristote. Mais elle n'eût pas réussi à s'imposer au public et aux auteurs si elle n'avait répondu à un instinct de vraisemblance et de logique qui tendait à réduire au minimum la part de l'illusion théâtrale et à faire concorder le plus possible l'action représentée sur la scène et l'endroit du inonde où cette action se passait avec la durée de la représentation et les dimensions du théâtre. L'introduction des unités fut donc, comme on l'a dit, une révolution en un sens réaliste et qui, comme il convenait dans ce siècle où l'esprit d'examen se réclamait toujours d'une autorité, parut à la fois la victoire d'Aristote et celle de la vérité et du bon sens[12].

Parmi les jeunes poètes qui écrivaient pour le théâtre, il en était un, Pierre Corneille, normand de naissance et avocat de profession, recherché par Richelieu pour son talent et qui lui avait déplu par son manque de docilité. Car Richelieu aimait le théâtre jusqu'à vouloir en faire. Mais le temps et la facilité lui manquaient pour versifier. Il imaginait l'intrigue, les personnages et les situations, distribuait la pièce en actes et en scènes, et la faisait écrire par cinq poètes, Colletet, Bois-Robert, L'Estoile, Rotrou et Corneille.

C'est en collaboration avec ces cinq ou avec d'antres poètes qu'il a écrit La Grande Pastorale, Les Tuileries, L'Aveugle de Smyrne, Mirame et L'Europe. Naturellement il tenait à l'intrigue et au plan, puisque c'était à peu près tout son ouvrage. Corneille s'étant avisé de remanier un acte de la comédie des Tuileries, il lui reprocha de n'avoir pas l'esprit de suite, c'est-à-dire probablement de ne pas subordonner la partie au tout[13], et il cessa de l'employer.

La guerre avec l'Espagne et peut-être les conseils d'un vieux gentilhomme, M. de Chalon, attirèrent l'attention de Corneille vers la littérature espagnole. D'un drame de Guillen de Castro, Las Mocedades del Cid (les Exploits de jeunesse du Cid), dont la farouche grandeur émut ce bourgeois d'instincts héroïques, il tira la tragédie du Cid, qui fut jouée pour la première fois à la fin de 1636 ou au commencement de 1637. Elle eut un immense succès.

Quelques mois après que les Espagnols avaient pris Corbie et menacé Paris et, quelques semaines après la reprise de la place par Louis XIII, Paris courait entendre une pièce espagnole. Richelieu put croire qu'une partie du public manifestait, en applaudissant le Cid, son opposition à la guerre et ses sympathies pour l'alliance espagnole ; et comme, en tout cas, il lui était désagréable qu'on allât chercher chez nos ennemis des objets d'amour et de larmes, il voulut démontrer aux admirateurs de bonne et de mauvaise foi que la pièce n'était pas sans défauts. Il s'adressa à l'Académie.

L'Académie objecta d'abord qu'elle ne pouvait juger d'un ouvrage que du consentement et à la prière de l'auteur, mais Richelieu ayant obtenu de Corneille une sorte d'acquiescement, elle se résigna et chargea Chapelain d'examiner la pièce. Les sentiments de l'Académie sur le Cid parurent en novembre 1637. C'était une œuvre de parti, mais qui réussit à détourner Corneille d'aller, du vivant de Richelieu, chercher ses sujets en Espagne. Ainsi l'Académie devenait l'auxiliaire de la politique et de la doctrine de Richelieu.

L'Académie reprochait à Corneille de n'avoir pas rigoureusement observé les unités de temps et de lieu — et d'avoir pris pour héroïne une fille amoureuse du meurtrier de son père. Corneille, sensible aux reproches d'indiscipline et d'immoralité, donna alors ces merveilles : Horace (1639), Cinna (1639), Polyeucte (1640), où les trois unités étaient, ou à peu près, observées, mais où la tendresse paternelle, l'amour et la passion étaient sacrifiés au zèle religieux, au patriotisme, à l'intérêt supérieur de l'État.

Mais Polyeucte même prouve que Corneille était très attentif aux manifestations de l'opinion, émue par le problème de la grâce et la captivité de Saint-Cyran. Il sentait que le théâtre vit d'un certain accord entre la genèse du poète et les aspirations de la foule. Toujours il fut préoccupé de se tenir en contact avec le public et de suivre les variations du goût.

De là cette grande variété de pièces — de caractères si différents — et ces innovations qui étaient souvent des réactions. Il est revenu à la tragi-comédie, car Nicomède en est une ; il a entrecroisé et enchevêtré l'intrigue (Héraclius) ; il a porté à leur comble l'émotion et l'horreur (Rodogune) ; il a usé des surprises et des coups de théâtre comme dans nos mélodrames ; il a fait des comédies héroïques, des tragédies à machines, une tragédie-ballet en vers libres rimés. Il est par ces reculs et ces goûts d'invention très représentatif d'une époque où les genres n'étaient pas encore fixés en un canon immuable, où la complicité de l'opinion encourageait les hardiesses et favorisait les nouveautés.

La Comédie aussi fluctue entre les pièces à tiroir, la farce, la caricature et la forme où elle se fixera, la comédie de caractère. Elle emprunte un peu aux anciens, beaucoup aux Italiens, davantage aux Espagnols. Elle ne sait pas tirer tout le parti qu'elle pourrait, encore moins les effets de rire qu'elle devrait, des mœurs qu'elle a sous les yeux. Pierre Corneille — novateur en tout — l'a essayé sans y réussir. Cependant ses comédies montrent certains quartiers de Paris, les façons des gens du beau monde et de leur domesticité, en un mot le cadre extérieur plus que l'Âme de la société d'alors. Il y a aussi une part d'observation dans les pièces, les farces, les turlupinades de Thomas Corneille (1625-1709), de Scarron (1610-1660), de Cyrano de Bergerac, comme dans celles que Molière, acteur et auteur, joua de 1643 à 1658, en province et à Paris. Mais la première en date des comédies de caractère, les Précieuses ridicules, ne parut à la scène qu'en 1659, et c'est Molière, non le grand Corneille, qui est le véritable créateur de ce genre littéraire.

La force croissante de l'esprit classique, dont témoignait déjà le succès de la réforme de Mairet, peut expliquer l'apparition, dans les cinq ou six années après la Fronde, de tant de poèmes épiques : le Saint Louys du P. Lemoyne, Jésuite (1651) ; l'Alaric de George de Scudéri (1654) ; la Pucelle de Chapelain (1656) ; le Clovis de Desmarets de Saint-Sorlin (1657). Mais ces œuvres inspirées comme la Franciade de Ronsard par le désir glorieux de donner à la France des Homère et des Virgile et composées comme la Jérusalem délivrée du Tasse sur un modèle antique, annoncent, par l'élément nouveau qui s'y glisse, le merveilleux chrétien, la querelle des Modernes et des Anciens.

Le roman aussi cherche sa voie et, avant d'en venir à la peinture des mœurs, s'égare en toutes sortes de domaines. C'est d'abord le roman pastoral dont l'Astrée est le premier et le plus important spécimen ; puis le roman pseudo-historique ou roman à clef[14] ; le roman d'aventures et le roman géographique[15] ; le roman scientifique[16] ; et enfin le roman historique[17], tous également héroïques et extravagants.

Il ne restera de toute cette littérature romanesque que quelques œuvres qui se sont inspirées de la réalité comme le Francion de Sorel (1623), et surtout le Roman Comique de Scarron (1651), dont le héros fait penser à la fois au Panurge de Rabelais et au Gil Blas de Lesage.

Au nombre et à la nature des Mémoires, il est facile de juger de l'état politique d'un pays. On a vu qu'ils ne sont pas nombreux sous un régime d'ordre ou de compression, alors qu'ils abondent dans les époques de relâchement, où les fortes individualités s'émancipent. Les régences troublées de Marie de Médicis et d'Anne d'Autriche (surtout la dernière) ont été particulièrement favorables à ce genre littéraire.

Tous ces Mémoires du XVIIe siècle se distinguent de ceux du XVIe siècle en ce que la vie sociale y tient plus de place et que l'homme n'y apparaît plus seul en sa forte individualité. Ils contiennent sur la Cour, le monde et la Ville des renseignements qu'on ne trouverait pas aussi nombreux dans ceux du XVI siècle ; ce ne sont pas de simples autobiographies. Les Mémoires de Bassompierre, pleins de récits de fêtes et d'intrigues galantes, donnent l'idée la plus brillante, la plus gaie et la plus vaine du gouvernement de Marie de Médicis. Les Mémoires de Pontchartrain, de Brienne, d'Arnauld d'Andilly, du maréchal d'Estrées signalent, sous ces apparences de fête éternelle, les manœuvres et les luttes des partis, les intrigues de Cour et de Cabinet.

Les Mémoires de Richelieu se composent de deux parties : l'une, qui contient le récit en très beau style du règne de Louis XIII jusqu'en 1624, est certainement, au moins pour la période de 1610 à 1619 et dans sa rédaction définitive, l'œuvre propre de Richelieu ; l'autre (1624-1638) est un résumé des événements intérieurs et extérieurs que des secrétaires et principalement Achille de Harlay, évêque de Saint-Malo[18], auraient écrit, par ordre de Richelieu, pour encadrer, comme ils ont fait, les pièces officielles de son ministère, ses lettres, ses consultations diplomatiques et politiques, mais où certaines pages et quelques portraits en relief révèlent la main même du maître.

Les Mémoires de Nicolas Goulas sont d'un secrétaire de Gaston d'Orléans qui raconte avec une bonne humeur bien française les escapades de son maître aux Pays-Bas et au pays du Tendre, et les rivalités de la petite Cour de Blois. Les Mémoires de Pontis , lieutenant aux gardes, mort à Port-Royal, ont été rédigés par Du Fossé, un solitaire, et cependant ils sont restés, malgré l'intermédiaire, vivants et amusants. Aucun document ne donne aussi exactement que la biographie de cet officier de Louis XIII l'impression d'une noblesse gaie, étourdie, aventureuse, marchant aux coups avec entrain, les rendant avec libéralité, et qui n'est pas encore comprimée par les servitudes de la vie de Cour. Ces gentilshommes sont des soldats et non de simples figurants de la représentation monarchique. Quel malheur que Mme de Chevreuse n'ait pas écrit ses aventures pour nous donner le pendant féminin de ces héros de romans !

Qui voudra voir l'envers des grandes réputations de cette première moitié du XVIIe siècle, il n'a qu'à prendre les historiettes de Tallemant des Réaux — si méchantes et si vraies, mais d'une demi-vérité puisque l'auteur ne rapporte que les médisances.

La régence d'Anne d'Autriche a fourni la brillante matière des Mémoires qui n'ont paru ou même n'ont été écrits que plus tard dans le calme imposé du gouvernement personnel de Louis XIV : les Mémoires de la Grande Mademoiselle, de Mme de Motteville, de La Rochefoucauld et du cardinal de Retz.

L'Histoire n'a pas un grand nom à citer, à moins qu'il ne faille compter parmi les historiens de l'époque de Louis XIII D'Aubigné, dont l'œuvre ne parut qu'en 1616. Mézeray est un écrivain, mais Scipion Dupleix n'est pas même un écrivain.

Tandis que la littérature se rapproche des anciens, la science s'en éloigne, rompt avec l'autorité d'Aristote et avec le principe même d'autorité. L'exemple vient du dehors : d'Angleterre où le Chancelier Bacon, dans son Novum Organum, dénonce parmi les causes d'erreurs la superstition de l'antiquité, rappelle les savants à l'étude de la nature et leur enseigne la méthode expérimentale ; d'Italie, où Galilée, joignant la pratique à la doctrine, fabrique la lunette astronomique, observe les astres, démontre la rotation de la terre sur elle-même. Ce ne fut pas dans les Écoles que s'opéra en France ce travail de rénovation scientifique. Les Universités continuent à enseigner la physique et la métaphysique d'Aristote ; la Faculté de Médecine, qui pourrait avoir l'œil ouvert sur le dehors, ne jure que par Hippocrate et Galien. Le Collège de France, plus libre que l'Université et qui n'était pas astreint aux devoirs et aux programmes d'enseignement, ne montre ni plus d'ardeur ni plus d'initiative.

Ce sont des gens cultivés de la bourgeoisie et du monde parlementaire qui font avancer la science : Viète († 1603), le créateur de l'algèbre, est Conseiller au Parlement de Rennes, puis maitre des requêtes de l'Hôtel ; Fermat, l'un de nos plus grands géomètres, est conseiller au parlement de Toulouse ; Peiresc, grand collectionneur d'animaux, de plantes, d'insectes, le correspondant, le protecteur et l'ami des savants du monde entier, est conseiller au parlement de Provence ; Étienne Pascal, mathématicien et président de la Cour des Aides de Clermont, est le père de cet enfant prodige qui fut Blaise Pascal. Mais ces esprits éminents sont moins occupés de sciences expérimentales que de mathématiques (sciences de raisonnement), auxquelles peut-être l'étude de la scolastique et leur éducation rationnelle les préparaient mieux. Ils consacrent à ces hautes spéculations leurs loisirs, leurs veilles et leur fortune.

Descartes est de ce milieu-là. Il naquit à La Haye en Touraine en 1596 d'un père conseiller au parlement de Rennes. Il étudia au Collège des Jésuites de La Flèche (1604-1612) ; vécut ensuite à Paris quelques années, adonné à l'étude et au plaisir du jeu. En 1616, c'est un vague étudiant en droit de la Faculté de Poitiers ; en 1617, il s'engage comme volontaire dans les troupes hollandaises ; en 1619, il passe dans celles du duc de Bavière. Il voyage de 1620 à 1629 dans l'Allemagne du Nord et en Italie, revient en France, va se fixer en Hollande où il passa vingt-neuf ans — et meurt en 1650 à Stockholm, où l'avaient attiré les promesses de la reine Christine.

Descartes n'est donc ni un savant de profession, ni un philosophe en chambre. Il est d'humeur inquiète, curieuse et instable, grand voyageur, jaloux de son temps et de sa liberté et qui, pour réserver l'un et sauvegarder l'autre, a quitté son pays où il craignait les servitudes mondaines et l'intolérance des doctrines officielles. R n'a jamais acheté de charge, jamais rempli de fonction et n'a vécu que pour l'étude. C'est une nouveauté. Nul, sous des apparences graves, n'est plus que lui irrespectueux du passé. De l'éducation de son temps, il blâme tout, survivances du moyen âge ou réformes de la Renaissance, éducation scolastique ou éducation littéraire. Il n'estime pas la culture livresque ; il a voulu voir les hommes et les choses directement sans intermédiaire.

Dès le collège, il avait montré un goût très vif pour les mathématiques et plus tard il les cultiva avec un très grand succès. Par l'emploi systématique des coordonnées, il créa la géométrie analytique ; et, par l'invention des exposants, simplifia et renouvela l'algèbre.

Mais, de ces découvertes-là, il triomphe modestement. Il pensait avoir rendu à l'esprit humain un bien autre service. En 1619, pendant sa campagne d'Allemagne, il s'était enfermé dans un poêle (chambre à poêle) pour méditer, et, une nuit (10 nov.), dans un rêve où se continuait l'ardent travail de sa journée, il lui sembla que du haut du ciel l'esprit de vérité descendait sur lui pour le posséder.

C'était la révélation d'une méthode applicable à toutes les sciences et qui permettait de résoudre le problème du monde : la mathématique universelle. Cette méthode n'est pas l'induction baconienne, qui part des faits particuliers pour s'élever aux lois, ni la méthode déductive, dont l'instrument principal est le syllogisme et qui vide, pour ainsi dire, les généralisations de tout leur contenu sans y ajouter rien ; c'est la méthode géométrique qui, partant des principes et des axiomes, fait reculer peu à peu, de démonstration en démonstration et de théorème en corollaire, le champ de l'inconnu.

Le Discours de la Méthode, qui ne fut publié qu'en 1637, expose les règles et montre à quels résultats Descartes est parvenu en les appliquant à la solution de différents problèmes physiques et métaphysiques.

Descartes pense consolider ainsi les principaux dogmes du spiritualisme : l'existence d'un Dieu, créateur et providence du monde, la spiritualité et l'immortalité de l'âme.

Il a, toujours par voie de conséquence, délimité rigoureusement ce qui est du corps et ce qui est de l'âme. L'âme est pensée et la matière est étendue. Les sons, les couleurs, les odeurs, les saveurs sont des qualités sensibles ou, comme nous dirions aujourd'hui, subjectives, mais qui ont pour fondement des mouvements de la matière. Le corps lui-même n'est que matière ; les phénomènes biologiques sont fonctions de la matière, et par cela même mesurables. L'animal est une machine admirablement montée, un automate plus parfait que les œuvres analogues de l'homme. Seule la pensée, fonction unique de l'âme, n'est point réductible au mouvement.

Donnez-moi, aurait dit Descartes, de la matière et du mouvement, et je referai le monde. Et, de vrai, il l'a refait hypothétiquement. La matière est infinie, remplissant tout et ne laissant point de vide, emportée en des mouvements giratoires dont les plus importants sont les grands tourbillons cosmiques. Dans chaque tourbillon, la force centrifuge comprime vers la périphérie du tourbillon les corpuscules ronds de la matière céleste et réunit au centre la plus grande partie de la matière subtile, qui y prend la forme sphérique de la place qu'elle occupe et devient ainsi le soleil du tourbillon. De ces soleils primitifs les uns s'encroûtent de matière subtile rendue inerte et venue des tourbillons voisins ; les autres restent fluides et lumineux ; les premiers sont les planètes de systèmes astronomiques, emportées avec leur mouvement propre autour des seconds, qui en sont les soleils définitifs.

Par la même force centrifuge et les impulsions qui en dérivent, Descartes expliquait en outre les propriétés physiques de la matière, telles que la lumière et la pesanteur. C'est donc à la mécanique, et à une mécanique entièrement géométrique, qu'il demandait en fin de  compte l'explication de tonte l'astronomie et de toute la physique, c'est-à-dire de tout l'Univers[19].

Plusieurs fois ce grand métaphysicien, dans son puissant effort pour deviner le système du monde, a rencontré juste. S'il se vante (probablement à tort) d'avoir suggéré à Pascal la fameuse expérience destinée à démontrer la pesanteur de l'air, du moins l'a-t-il à part soi imaginée ; et s'il doit laisser à Huygens la gloire d'avoir expliqué — par les ondulations — la propagation de la lumière, il n'est pas douteux qu'il a découvert la loi de la réfraction et, par elle, expliqué le phénomène de l'arc-en-ciel.

Ainsi cette première génération scientifique est composée, non d'expérimentateurs patients, mais de géomètres, et de logiciens qui ont surtout marqué dans l'algèbre, la géométrie et la métaphysique.

Descartes, le plus hardi, va d'un bond à l'explication du système du monde. Sa foi en la puissance de la raison était sans bornes ; confiance d'autant plus remarquable qu'elle jurait avec son caractère naturellement prudent et timide. On sait qu'il supprima le Traité du Monde, où il exposait la rotation de la terre, quand il apprit que l'Inquisition romaine avait condamné Galilée à se rétracter. Mais il n'avait pas le moindre doute sur l'aptitude de la Raison à saisir la réalité. Par cette hardiesse, il est bien de son époque, et par le coup qu'il a porté à la doctrine de l'autorité, il ouvre en France les temps du libre examen.

L'adversaire de Descartes, ce n'est pas Gassendi, prêtre provençal, l'un des pères du sensualisme, mais Blaise Pascal, fils d'Étienne, qui à l'âge de douze ans reconstitua les six premiers livres d'Euclide, lus en cachette en un après-midi, qui à seize ans fit un traité des coniques et à dix-huit une machine arithmétique — et qui a sur Descartes l'avantage d'avoir fait la preuve expérimentale de la pesanteur de l'air. Lui aussi a cru à la raison, mais, illuminé par la grâce, converti au jansénisme, pénitent et repentant (nov. 1654), il découvre avec terreur le préjudice que portaient à la recherche du salut ces spéculations de l'esprit où l'orgueil se complait et s'exalte. Dans le fameux entretien avec M. de Sacy sur Épictète et Montaigne, il reprend les arguments des sceptiques contre la raison, visant à la fois ceux qui pensent arriver à la vérité par leurs seules lumières et ceux qui veulent arriver à la vertu par leurs propres forces.

En même temps qu'il écrit les Provinciales pour défendre Port-Royal et l'austérité de la morale chrétienne contre la casuistique relâchée des Jésuites, il projette de démontrer contre les incrédules, les indifférents et les mauvais chrétiens la vérité de la religion chrétienne. L'adhésion respectueuse de Descartes à la religion établie et à la morale conventionnelle et son ferme dessein de les laisser à part du doute méthodique ne pouvaient contenter ni rassurer Pascal. Il voyait que la raison envahirait le domaine réservé à la foi et que le rationalisme menait droit à l'incrédulité. Même si la ligne de démarcation était respectée, n'était-ce pas un outrage à la religion que de lui abandonner une partie de l'homme, au lieu de le lui livrer tout entier ?

A cette raison superbe, qui prétend se substituer à la foi, Pascal oppose l'incohérence de son œuvre sociale : institutions, mœurs et lois. Comment serait-elle capable d'expliquer l'Univers, quand elle est pour elle-même un mystère ? La faiblesse de l'homme et sa grandeur, les ambitions et les défaillances de sa volonté, sa supériorité sur la matière organique ou inorganique, en tant qu'être pensant, et les erreurs de ses sens et de ses jugements sont autant de contradictions que les religions — sauf une — et les philosophies ne sont pas parvenues à concilier. Le chrétien seul a le sens de cette énigme ; il sait que la postérité d'Adam, corrompue par le péché originel, a été rachetée par le sang du Christ, mais non rétablie en sa noblesse primitive, et que ses misères viennent de sa chute, comme sa grandeur de son origine divine.

Pascal mourut à trente-neuf ans, après de longues années ou plutôt après toute une vie de souffrances. De son apologétique, il ne reste que des pensées et des fragments, superbes en leur isolement. Pascal, admirable écrivain quand il achève, est encore supérieur là où il fut interrompu.

De sa sensibilité et de sa passion unies à sa logique, s'est formé un style, plein de force et de vie, ironique ou véhément, précis et pittoresque, qui fait de lui l'un des plus puissants et des plus éloquents de nos écrivains, l'un des mitres de la langue et le premier en date des prosateurs de génie.

 

III. — L'ART ET L'ÉCOLE NÉO-CLASSIQUE (1594-1661)[20].

L'ART, sous Henri IV et Louis XIII, ou, pour parler plus exactement, de l'entrée d'Henri IV à Paris (1594) au gouvernement personnel de Louis XIV (1661), suit la même évolution que la littérature ; c'est la fin très rapide de la Renaissance et, dans le cours d'une soixantaine d'années, l'établissement, mais non sans partage, d'une École nouvelle, l'École néo-classique ou académique. Après les dernières productions des survivants du XVIe siècle, commence et s'étend, à travers les résistances du passé et du goût national, le système qui prévaudra et triomphera sous Louis XIV.

L'art français au XVIe siècle s'était inspiré de la Renaissance italienne avec originalité. Quand, épuisé par l'effort de sa production, il eut besoin de se renouveler, il s'adressa encore à ces initiateurs étrangers, que lui recommandaient une première expérience, leur gloire universelle et le prestige de l'Antiquité, dont il les croyait les continuateurs et les interprètes fidèles. Docilement, dès le début du XVIIe siècle, il se remit à leur école. On ne se contenta plus d'appeler en France les maîtres italiens ; les Français allèrent chercher des leçons au pays d'origine des arts. Le contact fut ainsi direct et l'impression plus profonde. C'est l'Italie tout entière, avec sa civilisation, sa nature et son ciel, avec l'œuvre de ses grands morts et celle de leurs disciples vivants, avec ses monuments du passé en ruines et ses églises et ses palais debout, qui se révèle à l'admiration des visiteurs et s'impose à leur vénération. La plupart ne font pas qu'adorer en passant les reliques de l'Antiquité et les magnificences du temps présent ; ils se fixent dans ces lieux saints. A l'exception de Le Sueur, des Le Nain, de Philippe de Champaigne, de La Hire[21], tous les peintres de renom firent leur pèlerinage d'Italie ; Nicolas Poussin y passa presque toute sa vie. Le peintre Simon Vouet et le sculpteur Sarrazin y demeurèrent l'un quinze, l'autre dix-huit ans. Étienne Martellange, frère-coadjuteur de la Compagnie de Jésus, en rapporta le style qui allait prédominer dans l'architecture religieuse de la France. Henri IV lui-même jugeait ce tour d'Italie, ou du moins un séjour à Rome, favorable à la perfection du talent ; en 1609, il écrivait à Savary de Brèves, son ambassadeur près du pape, pour lui recommander un jeune peintre de grandes espérances, René Le Franc, qui allait à Rome voir tant de bons maîtres et de belles œuvres. C'est, si l'on veut, la plus lointaine et la très humble origine du projet d'établissement à Rome d'une École française officielle d'apprentissage artistique.

Les Flamands, qu'Henri IV et Louis XIII emploient nombreux, prennent le même chemin. Ils semblaient pourtant bien défendus contre l'idéalisme de la Renaissance par la tradition de leur école nationale, par leur tempérament, et par leur goût de la nature. Mais, dès le XVIe siècle, ils avaient été gagnés, eux aussi ; ils vont maintenant au delà des Alpes apprendre à mépriser la moitié de la réalité et à transfigurer l'autre. Au lieu d'empêcher les Français d'imiter les Italiens, ils leur en donnent souvent l'exemple.

Flamands et Français cherchent en Italie l'Antiquité, sans distinguer entre la latine et la grecque. Mais en réalité ils ne savent rien d'Athènes que sa grandeur et ne connaissent que par ouï-dire les temples détruits de l'Italie du sud et de la Sicile. Ce qu'ils voient et admirent, c'est le Colisée, éventré et superbe, les arcs de triomphe ébréchés, les colonnes, derniers témoins des édifices disparus, et le Panthéon d'Agrippa, avec sa coupole, seul monument resté entier parmi tant de ruines. Peut-être d'ailleurs n'auraient-ils pas goûté l'harmonie des proportions, le rythme des lignes, la grâce sereine et la beauté — comme inconsciente du Parthénon. L'art romain de l'époque impériale était à première vue plus capable de faire impression par l'ampleur de ses masses, la majesté de ses formes, et l'étalage de sa puissance.

Les grands architectes italiens s'étaient formés sur ces modèles. Les églises, les palais que les Peruzzi, les San Gallo, les Vignole et les Palladio avaient construits étaient comme l'application et le développement des règles posées par les Romains. Pour suppléer aux lacunes des monuments, ils avaient pris pour guide Vitruve, le théoricien et le contemporain de l'art romain de l'époque impériale. Son livre était comme leur Bible. Sauf Michel-Ange et son école, tous les constructeurs professent le respect des ordres, tels qu'ils avaient été élaborés par l'antiquité romaine.

Elle n'était pas non plus purement grecque la statuaire antique recueillie dans les collections du Vatican et des particuliers. Les statues les plus admirées : l'Apollon, le Laocoon, le Torse, l'Ariane, l'Hercule Farnèse étaient ou, comme l'Hercule Farnèse, des répliques d'un modèle grec, interprété brutalement, ou des œuvres de l'hellénisme asiatique qui, par le relief des musculatures, ou l'affectation des poses et l'outrance de l'expression, étaient plus appropriées au goût un peu fruste des Romains que la perfection discrète de l'art de la belle époque. A l'imitation de Michel-Ange, mais sans génie, les sculpteurs les plus en renom de la décadence italienne, Jean de Bologne (1525-1608) et l'Algarde (1583-1634) interprétaient ces modèles et transmettaient aux Français qui se formèrent à leur école leurs admirations et leur goût du pastiche.

Comme à cette époque on ne connaît de la peinture antique que les Grolleschi et les Nozze Aldobrandine[22], les peintres copient les statues, les bustes, les bas-reliefs. Quand ils étudient les Italiens, ils vont aux maîtres contemporains qu'ils estiment les interprètes les plus fidèles de l'antiquité, au chef de l'école bolonaise, Annibal Carrache, et à ses disciples : le Guide, Lanfranc, l'Albane, copieux improvisateurs de mythologies pour plafonds et de tableaux de sainteté sans piété, et qui excellent — non sans talent — dans le poncif noble[23].

Telles sont les leçons que les Français trouvent en Italie et qu'ils suivent docilement. Le culte qu'ils ont pour l'antiquité et pour les Italiens fait qu'ils imitent tout de l'Antiquité et de l'Italie. Les architectes reproduiront les ordres, les colonnes, le dôme du Panthéon et feront consister l'originalité uniquement à varier et à combiner les éléments de l'architecture romaine. La sculpture reproduira sans faillir les beaux gestes, les beaux corps, les nobles attitudes des statues antiques. La peinture, qui se ressent de l'avoir trop fréquentée, posera tous les personnages et leur donnera une attitude théâtrale. Elle les drape, les habille, les arme à l'antique ou ce qu'elle croit être tel. Elle altère la vérité des temps, des lieux, des conditions sociales. Sous prétexte d'idéaliser la réalité, elle la déforme et la dénature. Elle est froidement correcte et banalement expressive. Jamais elle n'émeut parce que jamais elle ne montre des êtres vivants.

C'est de ces qualités : beauté des formes, pureté des lignes, horreur de la vulgarité, — et de ces défauts : absence de naturel, de vérité, de vie et de couleur, impersonnalité des figures qu'est fait le néo-classicisme ou l'académisme, qu'importèrent d'Italie les artistes français du XVIIe siècle.

Pourtant il ne faudrait pas croire que de 1600 à 1660, cette forme d'art ait été exclusivement souveraine. Le génie national se défend et quelquefois même se manifeste avec éclat. Il reste en France des architectes qui ne construisent à l'italienne qu'à moitié ou même pas du tout ; des sculpteurs, qui, comme Simon Guillain, modèlent de vrais corps ; des peintres et des graveurs, les Callot, les Bosse, les Le Nain, qui montrent les soldats, les gueux, les courtisans, les bourgeois et le peuple, tels qu'ils les voient et tels qu'ils sont ; des portraitistes fidèles à la tradition des Clouet, qui reproduisent aussi exactement les vêtements que les traits de leurs modèles. Même dans la peinture d'Église, où l'Italie s'imposait par la masse de ses tableaux de piété, des artistes naïvement religieux comme Eustache Lesueur mettaient une autre âme que les semi-païens de l'école bolonaise. La Renaissance catholique — dont le jansénisme représente le maximum d'austérité — et l'avènement au pouvoir de l'aristocratie bourgeoise donnaient à la génération de l'époque de Louis XIII un caractère de sérieux et de gravité, qui la défend en partie des mièvreries dévotes et des fadeurs sentimentales. A notre race aussi appartiennent en propre des qualités qui trouveront leur expression dans l'art : logique, ordre, ordonnance.

Ainsi va ce demi-siècle d'art, partagé entre les traditions nationales et les influences du dehors, mais toujours plus dominé, du commencement à la fin, par le néo-classicisme.

Henri IV fut un grand bâtisseur. A peine fut-il rentré dans Paris, dit le Mercure françois de 1611, qu'on ne vit plus que maçons en besogne. A l'imitation des papes, des ducs de Mantoue, de la République de Gênes, qui avaient ouvert de larges avenues, distribué l'air et la lumière, il voulut transformer sa capitale[24].

Paris avait des rues étroites, encore rétrécies de saillies, avances,  pans de bois, encorbellements, de bornes, pas, marches, sièges, montoirs à cheval, auvents et enseignes ; des ponts surchargés de maisons et des berges sans quais ; et, contrastant avec la masse compacte des habitations, d'immenses étendues de terrains vagues, de jardins et de couvents. Il n'y avait que deux ponts pour aller de la Ville (rive droite) à la Cité, le pont Notre-Dame et le pont au Change, et deux autres ponts pour aller de la Cité à l'Université (rive gauche), le petit Pont et le pont Saint-Michel. Le pont aux Meuniers s'était effondré ; le pont Neuf était en construction.

Sur l'ancien emplacement de l'Hôtel des Tournelles, le Roi fit tracer une grande place, la place Royale, et commencer en bordure des bâtiments où il se proposait d'installer les ateliers des industries de luxe. Il finit le pont Neuf et, pour remplacer le pont aux Meuniers, autorisa Charles Marchant, capitaine des arquebusiers, à construire, à ses frais, le pont dit pont Marchant (ou pont aux Oiseaux), ouvrage, dit L'Estoile, singulier et exquis, enrichi de force beaux et superbes bastimans servant de décoration, commodité et embellissement à ceste grande ville (aujourd'hui la première et la plus belle de l'Europe). II céda au premier président, Achille de Harlay, deux flots de la Cité, entre le Palais de Justice et le pont Neuf pour y construire une nouvelle place, la place Dauphine. Il pensait faire mieux encore. Il voulait, à l'extrémité de la rue du Temple, tout contre le rempart, qu'il aurait ouvert, construire une place nouvelle, dite la Place de France, où seraient venues aboutir huit rues larges de trente pieds, portant le nom des plus grandes provinces, et coupées elles-mêmes de seize autres rues, portant le nom des provinces moindres : groupement symbolique qui aurait été comme la proclamation de l'unité française. Richelieu reprit ce projet, conçu en 1609 et arrêté par la mort du Roi, mais il en détruisit le sens national et politique, en se contentant de percer au hasard dans ces quartiers de l'est de Paris, onze rues désignées presque toutes du nom des provinces de l'ouest, Bretagne, Saintonge, Poitou, etc., comme pour rappeler ses gouvernements et le pays d'origine de sa maison[25].

Henri IV continua la grande galerie que Catherine de Médicis avait commencée pour joindre le Louvre au Palais des Tuileries.

Hors de Paris, il chargea Salomon de Brosse de réparer le château de Monceau (près de Meaux) et Jacques II Androuet Du Cerceau de continuer le château de Verneuil. Il fit commencer par Du Pérac sur un plan grandiose le château Neuf de Saint-Germain et bâtir à Fontainebleau la galerie de Diane ou de la Reine et la porte Dauphine[26].

Pour ses constructions, il emploie naturellement les artistes qu'Henri III avait employés. Du Pérac ( 1601), Jacques II Androuet Du Cerceau († 1616) et les autres architectes qui ont élevé (ou surélevé) la grande galerie jusqu'au pavillon Lesdiguières, se sont si bien inspirés de Pierre Lescot ; les frères Lheureux, qui ont sculpté les frises marines, ont si fidèlement retenu le charme et l'élégance de Jean Goujon, que la façade du bord de l'eau reste dans son ensemble, malgré bien des retouches, l'une des dernières et des belles survivances de l'art du XVIe siècle.

Bien différente était la partie de la grande galerie, aujourd'hui disparue, qui allait du pavillon Lesdiguières aux Tuileries. Par la nudité de sa face, la grandeur froide de ses lignes et la majesté lourde de ses pilastres, elle imitait les faces classiques des palais italiens et annonçait un nouveau succès de l'art néo-latin et classique sur l'architecture française. Par contre, il y eut un retour en arrière très heureux. On revint à l'emploi de la brique, comme sous Louis XII au château de Blois, dans la construction de nombreux châteaux en province, des maisons bâties place Royale et place Dauphine, et du château Neuf de Saint-Germain. C'est une architecture économique, pratique, encadrant dans les chaînes de pierre des angles et des baies le mur de briques rouges ou multicolores et disposées en dessins variés. Pas de sculptures, pas de luxe, mais des façades vives et fraiches, dont l'aspect gai et coloré contrastait avec la beauté froide des palais de pierre. Ce mode de construction eut alors un tel succès qu'il créa presque un style et fut la seule manifestation d'art originale du règne d'Henri IV[27].

Dans la sculpture aussi, quelques artistes résistaient au néo-classicisme italien : Pierre De Biard († 1609), dont l'œuvre la plus importante est le jubé de Saint-Étienne-du-Mont commencé en 1601[28] ; le médailleur Guillaume Dupré (né vers 1576, † en 1643) ; Barthélemy Prieur, qui sculpta la statue de marbre agenouillée de Marie de Barbançon Cany, le buste du premier président Christophe de Thou et les deux Renommées couchées que l'on voit dans l'arcade de la petite galerie du Louvre, du côté du jardin de l'Infante. Mais Jean de Bologne et Francavilla (Francheville), deux Flamands, qui ont fait, celui-là le cheval et celui-ci les quatre esclaves de la statue d'Henri IV érigée sur le pont Neuf, avaient si bien italianisé leur manière et même leur nom qu'on a eu quelque peine à retrouver leur lieu d'origine, Douai et Cambrai.

Dans la peinture, mêmes divergences. Un Flamand aussi, Ambroise Dubois (d'Anvers), peint les aventures de Tancrède et de Clorinde et les amours de Théagène et de Chariclée, sujets qui disent assez le pays et l'école dont il s'inspire. Le Français Toussaint Dubreuil, qui se réclamait, avec quelque prétention, de Michel-Ange, développa sur le plafond de la galerie du Louvre les douze travaux d'Hercule et, sous prétexte de rappeler les victoires d'Henri IV sur la Ligue, y joignit la lutte de Jupiter contre les géants. Le grand peintre du règne, Martin Freminet (1567, † 1619), disciple inélégant des Bolonais, illustrait, sans allusions, l'Énéide. Mais le Flamand Franz Pourbus le Jeune († 1622), bien qu'il eût passé neuf ans au service du duc de Mantoue, retrouvait devant un modèle, Henri IV ou Marie de Médicis, la faculté de voir la réalité telle qu'elle est et de la traduire sans la trahir.

Chez la plupart de ces artistes, morts tous ou peu s'en faut presque en même temps qu'Henri IV, s'affirment déjà les changements de goût et les influences d'École que, de 1610 à 1660, fera prévaloir une nouvelle génération d'architectes, de peintres, de sculpteurs.

L'architecture religieuse, la vraie, la grande, celle du moyen âge, se meurt. Les tentatives parfois heureuses de conciliation entre le système gothique et celui de la Renaissance sont abandonnées. Saint-Étienne-du-Mont, où l'on travaille activement sous Henri IV, et qui est achevé en 1626, est le dernier édifice religieux de ce genre mixte.

En 1603, Étienne Martellange, frère-coadjuteur de la compagnie de Jésus, revint en France, apportant le style jésuite.

A peine si l'architecte, dit M. Rosières, a besoin d'être un artiste pour élever de pareils monuments, tant la disposition des éléments qui les constituent est invariable et obligatoire. International comme la congrégation qui l'a élaboré, cet art s'est si bien soustrait à l'influence de tout esprit national qu'il peut s'épanouir sans aucune différenciation en toute région du globe. Colonnes au rez-de-chaussée entre les trois portes, corniches d'entablement, colonnes au premier étage de chaque côté de l'œil-de-bœuf central, fronton triangulaire au sommet, l'implacable façade se dresse identique sous tous les cieux.

C'est dans ce style, qui est l'absence même de style, que le P. Derand et Étienne Martellange construisirent, de 1627 à 1641, l'église Saint-Paul-Saint-Louis. Encore Saint-Paul laisse-t-il tomber du haut de ses voûtes une impression religieuse que ne donne pas l'église de la Sorbonne, construite par Jacques Le Mercier dans un style plus classique et plus froid. Les pilastres et le dôme sont des éléments désormais inévitables qu'on retrouvera dans tout le cours du siècle : au Val-de-Grâce, commencé seulement en 1645, et plus tard aux Invalides[29].

D'une coupole aussi fut coiffé le Pavillon de l'Horloge, au Louvre, dont Louis XIII posa la première pierre le 28 mai 1624. Le Mercier, chargé de continuer l'aile occidentale, commencée par Lescot, reproduisit fidèlement, sauf la coupole, l'œuvre de son illustre prédécesseur. Au château de Blois, où Gaston d'Orléans fit travailler François Mansart, l'évolution du goût est encore plus marquée. A côté de l'aile de François Ier et de son élégant escalier extérieur, une froide façade étale le progrès du style académique. Le palais du Luxembourg, bâti par Salomon de Brosse contre l'enceinte de Paris, sur un terrain que Marie de Médicis avait acheté en 1612 au duc de Luxembourg-Piney, est d'un art plus original ; il tient le milieu par le style entre les constructions françaises et les palais de la Renaissance italienne. S'il rappelle le palais Pitti par les bossages, il est bien français par l'ordonnance générale, par ses ailes en retrait, par ses hautes toitures et par la simplicité de la décoration.

Le développement de la vie de société et les longs séjours de l'aristocratie dans les villes multiplient les hôtels. Le plus complet peut-être de tous les édifices de ce genre est l'hôtel Lambert, bâti pour un président de la Chambre des Comptes par Le Vau (Louis), qui fut l'architecte favori de Mazarin et de Fouquet. L'hôtel n'étant pas fait pour le public, mais pour la société[30] qui y fréquente, la décoration sur la rue était généralement sobre. La porte cochère était ornée, et plus encore les façades de la cour et du jardin. L'escalier se développait ample et majestueux. Dans les appartements de réception, le plus grand luxe régnait, très différent d'ailleurs de celui d'aujourd'hui : quelques meubles seulement, point de bibelots, ni d'étoffes ingénieusement drapées. Les tapissiers d'alors, ce sont les peintres et les sculpteurs qui, par les ornements en ronde-bosse, les stucs, les ors et les fresques, animent, égayent, colorent la nudité des plafonds et l'uniformité des murs.

L'aristocratie, surtout l'aristocratie nouvelle, parlementaires, financiers et ministres, se bâtit à la campagne des châteaux plus grands et plus beaux que les hôtels des villes, précédés de cours, suivis de jardins, et fermés de parcs de tous côtés. Les maisons du cardinal de Richelieu, à Rueil et à Richelieu, qui en sont les plus grandioses spécimens, ne nous sont connues que par les gravures. En avant du château de Richelieu, Le Mercier avait édifié, pour lui servir de cadre, une ville aux larges avenues se coupant à angles droits — et une église. Ville, église, château, c'était déjà l'idée de Versailles.

Le château devait naturellement former le centre artistique de l'œuvre, comme il en constituait la raison d'être... Une première cour, puis une seconde, bordées toutes deux par des communs ou des bâtiments d'habitation, précèdent le château proprement dit... Le corps du logis principal est massif, grave et froid. Rien qui rompe l'harmonie ou plutôt la raideur des lignes. Nulle part un coin réservé à l'imagination et à la fantaisie. Tout est austère, par là même tout laisse l'impression de la grandeur[31]. Le château de Vaux-le-Vicomte, bâti vingt ans plus tard par Le Vau pour Fouquet, fait contraste par sa magnificence avec cette sévérité. Des colonnades, des portiques, plusieurs dômes dispersent ou adoucissent l'effet d'ensemble. Dans les jardins, où une fantaisie plus libre pouvait se déployer sans trop choquer l'esthétique, les fontaines, les jets d'eau, les rocailles, les statues ont composé un décor mythologique charmant pour les yeux[32]. Richelieu et Vaux-le-Vicomte sont les étapes qui mènent au Versailles de Le Vau et de Jules Hardouin.

Sous Louis XIII, comme sous Henri IV, la sculpture est inégalement partagée entre les sollicitations de l'art italien et les traditions de l'art flamand et français. Il n'y a pas beaucoup d'œuvres subsistantes, et d'ailleurs il n'y a pas de grands talents[33].

Nombreux sont les sculpteurs flamands ou d'origine flamande : Van Opstal, Simon Guillain, dont le père Nicolas Guillain est né à Cambrai, Jean Warin, de Liège. D'Italie arrivent par batelées, non des artistes, mais des œuvres antiques ou modernes. En une seule année (1633), Richelieu reçut pour la décoration de ses palais 60 statues et 60 bustes. Ainsi se maintenaient et se renforçaient les leçons que les Français étaient allés chercher en Italie. Le sculpteur Jacques Sarrazin, qui fit en son temps figure de chef d'école, y passa dix-huit ans. Ses œuvres (du moins celles qui subsistent) ont cependant un caractère personnel. Les principales sont : le tombeau d'Henri II, prince de Condé (aujourd'hui à Chantilly), dont le symbolisme n'est pas païen, les Cariatides soutenant le dôme du pavillon de l'Horloge, au Louvre, et les Renommées placées au-dessous du fronton, qui les unes et les autres sont remarquables par la noblesse et la suavité.

Mais c'est dans le portrait que les qualités nationales se conservent le mieux. Les médailles et les bustes de Guillaume Dupré et de Warin ; les statues royales du monument[34] du Pont-au-Change, de Simon Guillain, sont des conciliations remarquables de l'art et de la réalité. Guillain avait représenté Anne d'Autriche avec toute l'expansion de la vie, toute la fierté de la race, sans dissimuler la plénitude de ses formes. Il avait reproduit avec une absolue vérité le beau vêtement du temps, la robe découvrant les épaules, et les manches courtes qui laissaient voir les bras et les mains, ces mains royales, dont les contemporains vantaient la beauté. Pas de draperies antiques, pas davantage d'allégorie mythologique.

Les sculpteurs les plus récents de cette période, François Anguier (1613-1669), qui a élevé le tombeau d'Henri II de Montmorency (à Moulins), et son frère, Michel Anguier (1614-1686), donnent dans le genre pompeux, dans la sculpture funéraire de luxe, ou, comme on peut dire, d'oraison funèbre. C'est le commencement de la grande sculpture décorative du temps de Louis XIV.

Il y a même complexité dans la peinture[35]. En 1621, Marie de Médicis appela à Paris Rubens et lui fit peindre pour l'une des galeries du Luxembourg les principaux épisodes de son mariage et de sa régence ; puis, quand elle voulut décorer les autres galeries, elle s'adressa à Guido Reni et au Josépin (Giuseppe Cesari, dit il Giuseppino), qui d'ailleurs ne vinrent pas : choix disparate d'un Flamand et de deux Italiens qui montre bien l'éclectisme ou plutôt la confusion du goût à cette époque.

L'un des meilleurs portraitistes du siècle, Philippe de Champaigne, est un pur Flamand. Il saisit les traits dominants d'une physionomie, ceux qui sont la manifestation d'un caractère, il les fixe et les souligne, montrant l'âme sous le corps et ce que tel ou tel homme a d'essentiel et de constant, à travers les inconstances de la vie et de l'âge. Qui ne sentirait devant le portrait de Richelieu les qualités maîtresses du Cardinal-ministre : l'esprit dominateur et superbe, la volonté inflexible ?

Mais la plupart des Français s'italianisent éperdument. Simon Vouet (1590-1649), le grand peintre d'alors (bien oublié aujourd'hui), resta quinze ans en Italie. C'est lui le maître et l'ancêtre des peintres à grandes machines héroïques, mythologiques, allégoriques du règne de Louis XIV.

A côté de lui François Perrier et Sébastien Bourdon, tous peintres faciles, brillants, sans profondeur, de ceux dont Poussin disait plus tard qu'ils travaillent en se jouant, et font des tableaux en vingt-quatre heures.

Chez Eustache Le Sueur, qui n'est pas allé en Italie, l'influence de l'Italie est sensible. Il imite Raphaël (Saint Paul prêchant à Éphèse) ; il peint des sujets mythologiques dans les cabinets de l'Hôtel Lambert. Mais il se distingue de ce groupe par la sincérité de son inspiration. Quelque chose revit en lui de l'âme sérieuse et de l'imagination naïve des vieux enlumineurs (Vie de saint Bruno).

Plus différent encore de la peinture italo-classique de Vouet, le réalisme survit dans l'œuvre des Le Nain, — ou du moins de l'un des trois frères, — et aussi (mais d'une autre façon), dans celle des graveurs Jacques Callot et Abraham Bosse. Callot a, comme les burlesques de la littérature, Scarron et Cyrano de Bergerac, la même verve fougueuse, grossière et surtout libre, et pas académisée.

Il n'y a qu'un grand peintre à cette époque, c'est Nicolas Poussin. Si l'on veut le compter parmi les néo-classiques, il faut lui faire une place à part, bien au-dessus de tous les peintres, italiens ou français, de son temps.

Normand de naissance, comme Corneille, Poussin, âgé de trente ans, alla s'établir à Rome (1624), et, sauf un séjour en France de deux ans, il y passa le reste de sa vie et y mourut (1665).

Il retrouvait là plus qu'ailleurs l'antiquité dont il avait le culte et même la superstition. Il en a pieusement étudié les restes. Il a regardé, copié, mesuré au compas les statues et jusqu'au nez de l'Antinoüs. Il s'est inspiré des Noces Aldobrandines. Il a tiré de l'histoire grecque et romaine ou de la mythologie beaucoup de ses peintures. Même pour des tableaux de piété, il choisit de préférence les scènes de l'Ancien Testament. Quand il traite des sujets chrétiens, il y mêle des réminiscences païennes, représentant, par exemple, dans le Miracle de saint François-Xavier, Dieu le Père sous les traits de Jupiter. Dans sa fameuse série des Sept Sacrements, on ne sent pas d'émotion religieuse[36]. La Cène est pour lui un symposium de philosophes. Il peint gaillardement le sacrement de l'Extrême-Onction en se répétant que c'est un sujet digne d'Apelles, lequel affectionnait de représenter des transis[37]. Artiste avant tout, il paraît oublier qu'il est chrétien.

S'il est si grand admirateur de l'antiquité, c'est que les monuments qui en subsistent répondent à sa conception intime de l'art ; il y a entre elle et lui affinité. La sculpture antique, à défaut de peinture, lui offre les beaux corps, les beaux gestes, les belles poses dont il est amoureux. Poussin est un idéaliste. Il prend à la réalité ce qu'elle a de beau et il y ajoute ; il lui laisse ses laideurs et ses tares. Il s'astreindra, comme les sculpteurs, à ne pas dépasser certaine mesure et s'interdira d'exprimer des passions qui risquent de rompre l'harmonie des formes. De peur d'altérer la dignité des figures, il les peint belles, impersonnelles et sereines. Il rend le sentiment par une attitude et un geste et fige, pour ainsi dire, l'émotion. Il se défie des éclats de la couleur comme des agitations trop vives de l'âme. Dans l'interprétation du paysage, il apporte les mêmes préoccupations de choix. Exact dans les détails, au point de rapporter de ses promenades, dans un mouchoir, des fleurs, des cailloux, de la mousse pour les copier fidèlement, il ne se laisse pas imposer par la nature l'ensemble d'un tableau. Il a bien vu la campagne romaine et nul mieux que ce Français n'en a compris la sauvage grandeur. On reconnaît facilement dans ses œuvres certains coins de la vallée du Tibre. Mais, en peignant d'après ses souvenirs ou ses esquisses, Poussin n'a pas laissé de les arranger ou de les modifier. Son imagination plus que sa vision dirige sa main.

A force de viser la beauté, l'idéalisme est réduit à se répéter. Un artiste comme Poussin échappe aux fatalités de l'École par son labeur et son génie.

Il ne peint pas au hasard de l'inspiration et méprise ces peintres décorateurs, ces bousilleurs, comme il les appelle, qui, en sifflant, couvrent les plafonds et les murs d'une mythologie abondante et banale. Lui ne prend le pinceau qu'après avoir longuement médité son sujet. Il examine différentes façons de le traiter, et, quand il a fixé son choix, il fait concourir les personnages et les lieux à illustrer cette conception de l'œuvre. Il subordonne rigoureusement les parties à l'ensemble, les épisodes au motif principal. Le paysage même doit être à l'unisson de l'idée génératrice. Quand la nature n'en fournit pas les éléments, Poussin les imagine. Dans le Moïse frappant le rocher, il ne représente pas le désert d'Arabie tel qu'il est, mais un désert psychologique surchargé de tous les accidents de terrain qui symbolisent le trouble des esprits, le désespoir des Israélites avant le moment où coule la source miraculeuse[38]. Les heures de la journée ne seront pas les mêmes, ni les colorations, selon qu'il s'agira d'encadrer une scène triste, ou gaie, ou amoureuse. Du tableau doit se dégager une impression parfaite d'unité.

Ainsi Poussin garde de l'art idéaliste ce qu'il a d'excellent : la noblesse des attitudes, la pureté des lignes, la beauté des formes et il y joint tout ce qu'il tient de son génie propre, de sa race et de son temps. C'est un Français et un contemporain de Corneille, de Descartes, de Pascal, de Richelieu. Il a, comme tous ces grands hommes, une force de raison et, si l'on peut dire, d'éloquence qu'il transporte dans la peinture. Il se fait de la dignité de l'art une idée si haute qu'elle le garde des mièvreries, des vulgarités et des grossièretés. Ce Normand rude d'allures, amer de propos, simple et fruste, a, dans sa modeste maison du Pincio ou de la Via Paolina, évoqué les formes les plus parfaites et vécu un rêve d'idéale beauté.

L'art néo-classique profita de la gloire, pourtant si personnelle de Poussin, et gagna toujours plus en crédit jusqu'à son triomphe définitif sous Louis XIV. La fondation de l'Académie de sculpture et de peinture en 1648 est une date à retenir dans cette marche en avant. Si cette société d'artistes ne devint une puissance officielle que sous Colbert et eut seulement alors la même autorité dans le domaine des arts que l'Académie française dans celui des lettres, elle fut dès son origine le centre de la nouvelle École. Son membre le plus écouté était Charles Lebrun, qui, pendant un séjour de quatre ans en Italie, de 1642 à 1646, avait copié de l'antiquité tout ce qui lui tomba sous les yeux, statues, armes romaines, objets du culte, etc. De retour en France, il fut rapidement célèbre et, dés 1649, il peignit, dans la galerie de l'hôtel Lambert, l'Apothéose d'Hercule. Cher à Fouquet, et chargé de diriger les travaux de décoration à Vaux et à Saint-Mandé, il allait avoir même crédit auprès de Louis XIV qui le nomma son premier peintre. Il fut. le représentant le plus brillant de ce style impersonnel, imprécis et noble, théâtral et faussement antique, qui déguise les sujets, les personnages, les lieux et les temps, autrement dit du style académique.

Mais, sous Richelieu et Mazarin, l'art ne s'inspire pas uniquement de l'Italie et de l'Antiquité. Il a ses traditions ; il s'adapte aux besoins, aux goûts, aux aspirations des différentes classes sociales, des gouvernants et des sujets. Il est, suivant le tempérament des artistes et l'esprit de leur clientèle, tantôt somptueusement décoratif, noble et digne à la mode classique, tantôt réaliste, et, à l'occasion, austère et religieux. Il échappe encore à la tutelle officielle que Louis XIV fera si dorée et si lourde. Il ne subit pas plus le credo académique que la volonté royale ; il accepte, s'il le veut, ces deux disciplines qui agissent dans le même sens ; et il le veut le plus souvent. De là avec l'unité dans les tendances générales, la variété, la flexibilité, la liberté, la vie en un mot. Sous Louis XIV l'art devient une admirable machine ; avant lui, c'est un organisme[39].

 

FIN DU TOME VI-2

 

 

 



[1] SOURCES : Une partie des textes est réunie dans la Bibliothèque elzévirienne et dans la Collection des Grands Écrivains de la France. Une édition définitive des Œuvres de Descartes, entreprise par Charles Adam et Paul Tannery, est en cours de publication et contient, au t. VI, le dernier paru, 1902, le Discours de la Méthode et les Essais. La dernière édition de Pascal est celle de Brunschwicg, 1904, 9 vol. On trouvera les autres indications de textes, qu'il serait trop long de donner ici, dans les ouvrages et les manuels indiqués ci-dessous.

OUVRAGES A CONSULTER : Brunetière, Manuel de l'Histoire de la Littérature française, 1898, et les Études critiques sur l'Histoire de la Littérature française, 7 parties. Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, éd. de 1898. Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900, t. IV : XVIIe siècle (première partie, 1601-1850), 1897. Reg. Rigel, Alexandre Hardy et le théâtre français à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, 1889. Vianey, Mathurin Regnier, 1898. F. Brunot, La doctrine de Malherbe, 1891. Bug. Jung, Henri IV écrivain, 1855. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. I, II et III, éd. de 1888. Jacques Denis, Sceptiques ou libertins de la première moitié du XVIe siècle : Gassendi, Gabriel Naudé, Gui-Patin, Lamothe-Levayer, Cyrano de Bergerac, Mémoires de l'Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1884. Perrons, Les Libertins en France au XVIe siècle, 1896. Gustave Lanson, Études sur les rapports de la littérature française et de la littérature espagnole au XVIIe siècle (1600-1680), Revue d'Histoire littéraire de la France, 15 janvier 1898. A. Morel-Fatio, Ambrosio de Salazar et l'étude de l'espagnol en France sous Louis XIII, 1901. Ernest Martinenche, La Comédie espagnole en France de Hardy à Racine, 1900. Paul Ménard, Histoire de l'Académie française, 1859. Gaston Bizos, Étude sur la vie et les œuvres de Jean de Mairet, 1877. Lanson, Corneille (les Grands Écrivains français), 1898. Fournel, Le théâtre au XVIe siècle, la Comédie, 1892. N.-M. Bernardin, La Comédie italienne en France et le Théâtre de la Foire, 1902. Paul Morillot, Scarron et le genre burlesque, 1888. André Le Breton, Le Roman au XVIIe siècle, 1890. Émile Roy, La Vie et les œuvres de Charles Sorel, 1891. Alfred Fouillée, Descartes, 1893 (Collection des Grands écrivains français). Le chapitre de Hannequin et Thamin sur Descartes dans Histoire littéraire de la France, IV. Émile Boutroux, Pascal, 1900 (Coll. des Grands Écrivains français).

[2] Sur les écrivains de la période antérieure, voir Histoire de France, V, 2 et aussi le VI, 1, et VI, 2, où, çà et là, sont indiqués et quelquefois analysés les livres de combat et les pamphlets.

[3] Morillot, Histoire littéraire, III, 257-258.

[4] Brunetière, Manuel, p. 111, marque bien le rapport de l'anarchie politique avec la littérature et les mœurs. On trouvera à leur place, ici et là, dans ce volume comme dans le volume précédent, les écrits qui ont un rapport plus direct avec les événements politiques ; nous n'y reviendrons donc pas.

[5] Brunetière, Manuel de littérature française, p. 97.

[6] Strowski, Saint François de Sales, 1898, p. 289 et suiv.

[7] Morel-Fatio, Études sur l'Espagne, 2e éd., 1895, t. I, p. 41.

[8] Essais de Michel de Montaigne, t. III, chap. IX.

[9] Nicolas Gallas, Mémoires, I, p. 283.

[10] Comparez le discours de Du Perron à la Chambre du Tiers-État et l'analyse qu'en donne Richelieu dans ses Mémoires.

[11] Lanson, p. 380.

[12] Lemaitre, Histoire littéraire, IV, 284.

[13] Voltaire interprète autrement ce reproche. Le Cardinal, dit-il, entendait par esprit de suite la soumission qui suit aveuglément les ordres d'un supérieur.

[14] La Carithée de Gomberville (1621).

[15] La Polexandre de Gomberville (1629-1637).

[16] Histoire comique des États et empires de la lune, de Cyrano de Bergerac (1659).

[17] Cassandre, de La Calprenède (1642-1645) ; — Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653) ; — Clélie, Histoire romaine (1654-1660), de Mlle de Scudéry.

[18] Robert Lavollée, Le Secrétaire des Mémoires de Richelieu, Revue des Études historiques, 1904, p. 449-477.

[19] Hannequin, Histoire littéraire, IV, 508.

[20] SOURCES : Voir la Bibliographie de l'Histoire de France, t. V, 1, p. 314, 319, 828, 326 ; t. VI, 2, p. 336-337, et aussi celle de l'ouvrage de Lemonnier, L'art français au temps de Richelieu et de Mazarin, 1893, passim et particulièrement les notes des pages 220-223. Guillet de Saint-Georges, Mémoires inédits sur la vie et les ouvragea des membres de l'Académie royale de peinture et de sculpture, p. p. Dussieux, 1854, 2 vol. André Félibien, Mémoires pour servir à l'histoire des maltons royales et bastimens de France, p. p. la Société de l'Histoire de l'art français, 1874. Le château de Fontainebleau au XVIIe siècle (1625), Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, XII, 1885. Procès-verbaux de l'Académie royale de sculpture et de peinture, p. p. Anatole de Montaiglon, t. I, 1875 (Société de l'Histoire de l'art français). F. Mazerolle, Les médailleurs français du XVe siècle au milieu du XVIIe, 3 vol., 1892-1894 (Coll. Doc. inédits).

OUVRAGES À CONSULTER : Henry Lemonnier, L'art français au temps de Richelieu et de Mazarin, 1898 (mon principal guide). L. Courajod, Leçons professées à l'École du Louvre, p. p. H. Lemonnier et André Michel, t. III ; Origines de l'art moderne, 1903. Adolphe Berty, Topographie historique du vieux Paris. Région du Louvre et des Tuileries, t. II, 1866 (Collection de l'histoire générale de Paris). André Michel, L'art en Europe (1648-1716), chap. XI du t. V de l'Histoire générale de Lavisse et Rambaud. Albert Babeau, Le Louvre et son histoire, 1895. D'Heinrich, baron von Geymüller, Die Baukunst der Renaissance in Frankreich, 2 fasc. Stuttgart, 1898-1901. Paul Mantz, La Peinture française du IXe siècle à la fin du XVe. Henry May, s. d. (Bibliothèque de l'Enseignement des Beaux-Arts). Charvet, Étienne Martellange, 1874. Raoul Rosières, L'évolution de l'architecture en France, 1894. Pfnor, Le château de Vaux-le-Vicomte, 1890. Olivier Merson, La peinture française au XVIIe et au XVIIIe siècle. Henry May, a. d. (Bibliothèque de l'Enseignement des Beaux-Arts). Gonse, La sculpture française depuis le XIVe siècle, 1895. Paul Desjardins, Poussin. Biographie critique, s. d. (Con. des Grands Artistes). André Fontaine, Quid sentent Carolus Lebrun de arte sua ? (thèse latine, 1903).

[21] Lemonnier, L'art français au temps de Richelieu et de Mazarin, p. 91.

[22] Ce sont des fresques trouvées, les Grolleschi, au XVe siècle dans un couloir voûté de la Maison dorée de Néron, et les Noces Aldobrandines, tout au début du XVIIe siècle, sur l'Esquilin, à la fin du pontificat de Clément VIII (Aldobrandini).

[23] Paul Desjardins, Poussin, p. 40 et 43.

[24] Sur les projets d'Henri IV pour l'embellissement de sa capitale, voir les documents cités par Poirson, Histoire de Henri IV, t. III, p. 719 et suiv.

[25] Sur l'état des travaux exécutés par Henri IV, voir sa lettre au cardinal de Joyeuse de mai 1607, Lettres missives, IX, p. 606-607.

[26] Sur l'état des travaux exécutés par Henri IV, voir sa lettre au cardinal de Joyeuse de mai 1607, Lettres missives, IX, p. 606-607.

[27] Geymüller, Die Baukunst der Renaissance in Frankreich, p. 439-446.

[28] La Renommée de bronze du Musée du Louvre est de Pierre Biard ; elle surmontait le monument funéraire élevé par le duc d'Épernon à sa femme, Marguerite de Foix-Candale, dans l'église Saint-Blaise de Cadillac. Voir Courajod, III, p. 260-261, et Nouvelles Archives de l'art français, 3e série, t. I (1884-85), p. 177.

[29] Principaux architectes : Salomon de Brosse (1565-1626), Etienne Martellange (1569-1641), Jacques Le Mercier (1585-1651), François Mansart (1598-1666), Louis Le Vau (1612-1670).

[30] Lemonnier, p. 253.

[31] Lemonnier, p. 255.

[32] Lemonnier, p. 255.

[33] Principaux sculpteurs : Gérard van Opstal (1597-1668), Simon Guillain (1581 ?-1658), Jean Warin (1604-1672),Jacques Sarrazin (1581 ?-1658), Guillaume Dupré (né vers 1576, † en 1643).

[34] Monument reconstruit vers 1647 et qui tenait à la fois de l'arc de triomphe, du portique et de la façade décorative.

[35] Principaux peintres : Philippe de Champaigne (1602-1674), Simon Vouet (1590-1649), François Perrier (1590-165o), Sébastien Bourdon (1616-1671), Le Nain [Antoine] (1588 ?-1648), Le Nain [Louis] (1593 ?-1648), Le Nain [Mathieu] (1607-1677), Eustache Le Sueur (1616-1655), Nicolas Poussin (1594-1665).

[36] Lemonnier, p. 322.

[37] Paul Desjardins, Poussin, p. 104.

[38] Lemonnier, p. 94.

[39] Lemonnier, p. 121.