HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — LE MINISTÈRE DE RICHELIEU.

CHAPITRE III. — LA FIN DU PARTI PROTESTANT[1].

 

 

I. — UNION DES CATHOLIQUES CONTRE LES PROTESTANTS.

TANT que les Huguenots auront le pied en France, écrivait Richelieu en mai 1625, le roy ne sera jamais le maistre au dedans ny ne pourra entreprendre aucune action glorieuse au dehors. C'était la condamnation du parti.

Richelieu travailla à créer une force navale capable de battre les rebelles sans l'aide des marines étrangères et, pour mener à bien cette œuvre, il se la réserva. Il se fit donner par la Reine-mère le gouvernement de la ville et du port de Brouage (4 février 1627) ; il acheta à Villars Brancas celui du Havre et de Honfleur. Il abolit la charge d'Amiral de France, mais, il s'en attribua tous les pouvoirs sous le titre de grand-maitre chef et surintendant général de la navigation et commerce de France (octobre 1626). Il fit construire de gros vaisseaux et, comme une flotte marchande pouvait être facilement transformée en flotte de guerre, il fonda la Compagnie du Morbihan.

Avant d'attaquer les protestants, il fallait pacifier les catholiques. Le Parlement avait brûlé et la Sorbonne censuré (1er décembre 1625) les Mysteria politica et l'Admonitio. Contre ces mêmes pamphlets, l'évêque de Chartres, Léonor d'Étampes, fit accepter par l'Assemblée générale du Clergé, alors réunie, un projet de déclaration. Mais beaucoup d'évêques ayant, après réflexion, jugé dangereux d'englober, dans la condamnation des libelles, la doctrine de la suprématie pontificale qui y était contenue, proposèrent et firent voter par la majorité de leurs collègues une autre déclaration. Le Parlement, qui, par arrêt. du 21 janvier 1626, avait défendu à l'Assemblée de rien changer à la formule de Léonor d'Étampes, ordonna aux évêques réfractaires de rentrer dans les quinze jours dans leurs diocèses, sous peine de saisie du temporel. Le Conseil du roi évoqua le conflit et, sans prendre parti, imposa le silence à tous (26 mars 1626).

A ce moment, parut un nouveau pamphlet, les Quæstiones quodlibeticæ dédiées au cardinal de Richelieu ou de La Rochelle (seu de Rupella), et qui, sous forme de questions, reproduisait les attaques des Mysteria politica. L'opinion désignait (à tort) un Jésuite, le P. Garasse.

L'Université crut le moment venu d'accabler ses concurrents. Le recteur, Tarin, avait publié des extraits des Mysteria et de l'Admonitio sous le titre de Capita doctrinæ Jesuiticæ. Après l'apparition des Quæstiones, il accusa encore plus haut. Les Jésuites demandèrent protection au Conseil du roi. Richelieu fit renvoyer l'affaire au Parlement, qui se trouva constitué juge des doctrines de la Compagnie (janvier 1626).

A quelques jours de là (6 fév. 1626) le libraire Sébastien Cramoisy recevait de Rome un Tractatus de hæresi, schismate... et de potestate Romani pontificis in his delictis puniendis (Traité de l'hérésie, du schisme... et du droit qu'a le souverain pontife de punir ces crimes), où l'auteur, le P. Jésuite Santarelli, enseignait que le pape peut déposer les rois non seulement pour hérésie et pour schisme, mais pour quelque crime intolérable, ou pour leur insuffisance, ou pour leur négligence ; qu'il a pouvoir de les admonester et de les punir de peine de mort.

Le Parlement condamna l'ouvrage au feu (13 mars 1626), manda devant lui les Jésuites de Paris et les obligea à signer une déclaration, par laquelle ils détestaient la mauvaise doctrine contenue dans le livre de Sanctarellus..., reconnaissaient que leurs Majestés relèvent indépendamment de Dieu — et se disaient prêts d'épandre leur sang et d'exposer leur vie en toutes occasions pour la confirmation de cette vérité. La Faculté de Théologie condamna, elle aussi, le 1er avril 1626, la doctrine de Santarelli comme fausse, erronée, contraire à la parole de Dieu.

Richelieu avait voulu faire peur aux Jésuites, mais il ne jugeait pas bon de les pousser à bout, auquel cas, disait-il au Roi, il se pourroit trouver mille ames furieuses et endiablées qui, sous le prétexte d'un faux zèle, seroient capables de prendre de mauvaises résolutions qui ne se répriment ni par le feu ni par autres peines. La minorité ultramontaine de la Faculté de Théologie, forte et ardente, s'agitait, réclamait un nouveau vote. Son chef, le docteur Du Val, alla déclarer à la Reine-mère que la plupart de ses collègues et lui étaient prêts à verser leur sang ou à sortir du royaume plutôt que de souscrire à la censure de Santarelli. Marillac soutenait les Jésuites. Le nonce Spada avait rompu ses relations avec Richelieu.

Richelieu n'avait déjà que trop d'ennemis. Les complots de Cour, la guerre imminente avec l'Angleterre à la fin de 1626, l'obligeaient à se rapprocher du parti dévot et du pape. Il fit sa paix avec le nonce Spada ; il s'entendit avec Bérulle pour obtenir de la Sorbonne soit une révocation de la censure de Santarelli, soit une nouvelle censure, qui ne viserait pas les prétentions pontificales. Et comme le Parlement appuyait de ses arrêts les gallicans, le roi défendit (2 nov. 1626) de disputer de l'affirmative ou de la négative des propositions concernant le pouvoir et l'autorité souveraine de sa Majesté et des autres rois... à peine d'être punis comme séditieux et perturbateurs du repos public.

En même temps il ordonnait à la Faculté de Théologie de se prononcer à nouveau sur la censure du livre de Santarelli (2 janvier 1627). Après une discussion violente où Du Val traita les adversaires de l'omnipotence pontificale de tyrans et de misérables, les ultramontains, les dociles et les timides firent la majorité. De soixante huit (docteurs) qu'ils estoient, cinquante n'approuvèrent pas les termes de la censure.

Le Parlement, sans s'émouvoir, fit défenses (4 janvier 1627) à toute personne de mettre en discussion la censure, sous peine de lèse-majesté. Le Roi, pour en finir, évoqua à son Conseil le différend et, le Parlement s'obstinant, il manda au Louvre quelques conseillers et leur commanda de ne plus se mêler des affaires de la Sorbonne, sinon il leur ferait voir qui était le maître d'eux ou de lui. Quant à Richelieu, il leur parla avec beaucoup de modération. Il n'y a point, dit-il, de docte théologien, de bon sujet, ni d'homme de bien, qui puisse ne pas tenir les propositions de Santarel pour meschantes et abominables. Mais il n'appartenait ni au Parlement, ni à la Sorbonne, ni au Roi de faire des articles de foi. Le Roi attendait de Rome une censure de Santarel, et, à défaut, il en donnerait une qui satisferait tout le monde. Il fallait contenter le pape pour obtenir un prompt arrangement des affaires de la Valteline... Il est à désirer que les mouvemens des Parlemens soient semblables et uniformes à ceux du Roy et de son Conseil. Vous direz peut-être, Messieurs, que si vous sçaviez les motifs et la raison des Conseils du Roy, assurément vous le (sic) suivriez ; mais à cela j'ai à répondre que le Maître du vaisseau ne rend point de raison de la façon avec laquelle il le conduit, qu'il y a des affaires dont le succès ne dépend que du secret, et beaucoup de moyens propres à une fin ne le sont plus lorsqu'ils sont divulguez[2]. Le Parlement comprit et se tut.

 

II. — RUPTURE AVEC L'ANGLETERRE.

LES rapports avec l'Angleterre, si supérieurement jouée, étaient très mauvais. Dans le contrat d'Henriette de France, toutes les précautions avaient été prises pour mettre la future reine de la Grande-Bretagne à l'abri du prosélytisme anglican. Elle aurait un évêque comme aumônier et, dans sa maison, vingt-huit autres prêtres et ecclésiastiques ; elle n'emmènerait en Angleterre que des domestiques catholiques et Français, qui ne pourraient être remplacés que par d'autres Français catholiques ; elle garderait et élèverait ses enfants jusqu'à l'âge de treize ans. Enfin, le roi Jacques Ier et son fils s'étaient engagés à ne plus persécuter les catholiques.

Ils avaient promis plus qu'ils ne voulaient ou ne pouvaient tenir. Ils avaient à compter avec le Parlement, qui, longtemps tenu en tutelle par les Tudors, prétendait autoriser de son vote tous les actes du gouvernement et qui reprochait aux Stuarts leurs prodigalités, leurs favoris, leurs prétentions à l'absolutisme. Jacques Ier, successeur d'Élisabeth et fils de Marie Stuart, né catholique, élevé par des presbytériens, mais devenu chef de l'Église anglicane en même temps que roi d'Angleterre, avait adopté d'enthousiasme une Église indépendante du pape, très dépendante du roi, conservant du catholicisme la pompe du culte et la hiérarchie ecclésiastique, et si différente de l'Église presbytérienne d'Écosse, où le souverain était sans pouvoir sur des pasteurs tous égaux entre eux. Jacques était persuadé que cette organisation démocratique menait à la suppression de la monarchie. Pas d'évêques, déclarait-il, pas de roi.

Mais beaucoup d'Anglais ne s'étaient pas contentés de la réforme bâtarde, inaugurée par Henri VIII et définitivement organisée sous Élisabeth. Ils détestaient tout ce qu'elle avait gardé de son passé catholique, l'autel, le surplis, l'éclat des cérémonies et les autres abominations du papisme. Ils voulaient un culte simple et austère, qui ne s'adressât qu'à l'âme, sans amuser l'imagination et les yeux. Les uns rêvaient d'une Église d'État constituée sur le modèle de l'Église d'Écosse ; les autres, d'Églises absolument indépendantes et autonomes. Jacques Ier avait poursuivi les membres des congrégations dissidentes et chassé de l'Église officielle les pasteurs favorables à la réforme du culte ou à l'organisation presbytérienne. Les puritains étaient nombreux à la Chambre des Communes. Ils détestaient les papistes et, sur ce point, s'accordaient avec les anglicans, les uns et les autres étant convaincus que le pape et les Jésuites avaient juré la ruine de l'Angleterre.

Les poursuites contre les catholiques, un moment suspendues, après la signature du contrat, dans les derniers mois du règne de Jacques Ier, furent reprises sous Charles Ier, pour apaiser l'opposition parlementaire, qui menaçait de mettre en accusation Buckingham.

Henriette de France, avec la légèreté de ses seize ans, bravait à plaisir l'opinion de ses sujets. Les prêtres qui l'entouraient se flattaient, comme Bérulle l'avait représenté au pape, qu'elle gagnerait autant sur son mari que fit autrefois une fille de France sur Ethelbert, roi d'Angleterre, qu'elle rendit si bon chrétien de païen qu'il étoit, que depuis il a été canonisé. Elle fit à pied les stations prescrites par Urbain VIII pour gagner les indulgences du Jubilé de 1625, et, démonstration plus grave, alla de Hyde-Park visiter le champ d'exécution de Tyburn, où beaucoup de catholiques avaient été martyrisés. Charles Ier attribuait ces imprudences aux conseils de ces prêtres étrangers ; il s'irritait de leur ingérence indiscrète et, comme il le leur déclara, ne croyait pouvoir posséder sa femme tant qu'ils seraient auprès d'elle. Il profita de ce pèlerinage au lieu des supplices pour renvoyer toute la domesticité française et ne consentit à garder que deux prêtres, le P. Robert Philipps, Écossais, et un Oratorien, le P. Viette (9 août 1626).

Maladroitement, à la prière d'Henriette, le gouvernement français était, dès le début, intervenu dans les querelles du ménage royal. Blainville, envoyé comme ambassadeur extraordinaire en Angleterre, prit un ton si haut qu'il fallut le rappeler (novembre-décembre 1625), et envoyer à sa place, pour tout apaiser, M. de Chevreuse, parent des Stuarts. Mais les bonnes relations, un moment rétablies, furent définitivement compromises par le traité de Monçon. Les Anglais avaient commencé la guerre contre Philippe IV et essayé de surprendre Cadix (octobre 1625). Sur le refus que fit.  Louis XIII de se joindre à eux, ils arrêtèrent les navires français qui faisaient le commerce entre La Corogne et les Pays-Bas et, sous pavillon ami, transportaient une marchandise ennemie. Louis XIII réclama ; Charles Ier ordonna de restituer quelques-unes des prises, puis revint sur sa décision. Richelieu fit partir pour l'Angleterre un nouvel ambassadeur extraordinaire, le maréchal de Bassompierre, qui gagna la sympathie de Charles Ier et apaisa la jeune reine (octobre-déc. 1626). On lui promit vaguement d'assurer la liberté du commerce maritime. Mais, à son retour, il vit à Douvres, où il fut retenu trois semaines par le mauvais temps (déc.), deux pinasses anglaises prendre quantité de navires français. C'était la guerre.

En prévision de cette rupture le marquis de Mirabel, ambassadeur d'Espagne à Paris, et le P. Bérulle s'étaient entretenus d'un projet d'alliance entre les deux Couronnes. Richelieu, à qui ils en parlèrent, avaient hautement loué le dessein qu'on prêtait au roi d'Espagne de faire une descente en Irlande et regretté que le roi de France n'eût pas de vaisseaux pour attaquer en même temps file de Wight.

Une négociation s'engagea, mystérieusement conduite par le P. Bérulle. Olivares proposait que la France et l'Espagne fissent ligue offensive et défensive pour dix ans,... tenant les amis et ennemis pour communs entre elles (sept. 1626).

Richelieu, par crainte des ruses d'Espagne, n'avançait, comme il dit, que la sonde en main, acceptant l'idée d'une action commune contre l'Angleterre, repoussant celle d'une ligue contre les anciennes alliances des Suisses, Venise, Savoie, et ajournant tout projet contre la Hollande et l'Allemagne (protestantes) maintenant. Sans doute, il sembloit que la bénédiction de ce siècle fût en la ruine de l'hérésie et que Dieu vouloit ruiner l'hérésie... comme il avoit fait en Béarn et en Allemagne et peut-être commençoit-il en Angleterre et feroit le même ailleurs en son temps. Mais il fallait attendre son heure. Si Dieu nous fait la grâce de prévoir la fin du parti de ceux qui sont rebelles à l'État et à l'Église, comme nous espérons, on entendroit volontiers à ce que l'Espagne peut désirer pour autre chose. (Instructions à Fargis, 19 oct. 1626).

Comme Buckingham, sur le point de déclarer la guerre à la France, essayait de conclure avec l'Espagne une trêve ou la paix, Olivares s'en prévalut pour faire peur à Fargis. Il décida l'ambassadeur, malgré les conseils de Richelieu, à signer, le 20 mars 1627, un traité par lequel le roi d'Espagne... déclaroit seulement... qu'il exécuteroit, de toute la puissance de ses forces, contre l'Angleterre, tous les genres d'hostilités permises en guerre royale ; ce que Sa Majesté (Louis XIII) promettoit aussi de faire, au plus tard dans le mois de juin 1628.

Le roi fut très mal satisfait d'un traité où l'Espagne ne prenait aucun engagement précis, mais il le ratifia, pour s'assurer au moins la neutralité de cette puissance (20 avril 1627).

Le parti dévot eut un autre contentement. Il détestait, pour bien des raisons, Fancan, le bon serviteur de Richelieu. Ce chanoine de Saint-Germain l'Auxerrois se moquait des miracles. Il était l'ennemi des Jésuites et du nonce. Il conseillait de créer des difficultés au pape dans le Comtat Venaissin pour l'obliger de recourir au roi et ne le délivrer jamais d'apréhension. Il fallait apuier la Sorbone et Université, exclure des chaires publiques ceux qui ont des sentimentz contraires au bien de l'Estat, prendre au Clergé les 20 millions nécessaires pour dégager le domaine.

Non seulement Fancan recommandait les alliances protestantes, mais il avait des correspondants en Angleterre et ailleurs. Il se tenait en communication avec ses amis du dehors. Le mémoire (rédigé vers la fin de 1623) que l'historien des Stuarts, Gardiner, attribuait à Richelieu, — et dont il croyait Richelieu seul capable, — est de Fancan. C'est un plaidoyer très net pour la paix avec les huguenots, la guerre en Allemagne et contre les alliances catholiques.

Aussi Fancan était-il très mécontent du Cardinal, qui se rapprochait de l'Espagne et de Rome et fortifiait les Lorrains, en laissant marier Gaston d'Orléans à la belle-fille du duc de Guise. L'Estat, écrivait-il, est très mal en dedans et dehors,... tous les corps sont mécontens, les Princes du sang eslognés, le Roy en jalousie avec Monsieur son frere, peu d'intelligence avec la Royne (Anne d'Autriche), les ministres de l'Estat peu unis.... Pour le dehors... le Roy est mal avec tous les antiens aliés de la Couronne et avec tous les princes et républicques de l'Europe. Et quel est le remède ? faire la paix au dedans, donner contentement à ceulx de la Religion, contrepointer Rome, oster le gouvernement de la conscience du Roy aux Jésuites, — changer les Conseils, tenir le nonce à l'écart, renouer les alliances avec l'Angleterre. Il s'irritait de n'être pas écouté. Le temps s'escoule, la patience m'eschappe et l'aprehension de veoir nos maulx sans remede me jette dans le désespoir.

Richelieu put craindre de ce bon Français furieux quelqu'un de ces pamphlets dont il avait éprouvé le succès contre les Brûlart et La Vieuville. Bérulle, le nonce Spada, Marillac et peut-être le P. Joseph profitèrent de sa peur pour lui arracher l'ordre d'embastiller l'ennemi du parti dévot (4 juin 1627). Mais cet homme lui avait rendu de tels services que, pour se justifier de son ingratitude devant la postérité, il l'a chargé de tous les crimes : ennemi du temps présent, libertin déclaré, athée, pamphlétaire, ami du parti huguenot, espion des protestants étrangers, inventeur de faussetés pour semer des divisions entre les personnes dont l'union était nécessaire pour la paix de l'État. Fancan mourut à la Bastille, moins d'un an après, victime du rapprochement de Richelieu et du parti dévot. Le gouvernement avait en outre sollicité et obtenu de Rome la promotion de Bérulle au cardinalat (30 août 1627).

 

III. — LE SIÈGE DE LA ROCHELLE.

À défaut de l'Espagne, Buckingham comptait sur le duc de Savoie, le duc de Lorraine et les mécontents de France et surtout sur les huguenots. Il avait envoyé le plus jeune fils du comte de Manchester, Walter Montagne, visiter les ennemis de la France et avait prévenu Rohan du dessein qu'avait Charles Ier de secourir les Églises. Il partit, le 27 juin, de Portsmouth avec une flotte de quelques cents navires, portant 5.000 hommes et 100 chevaux, et se dirigea vers La Rochelle. Depuis le mois de février, Richelieu s'attendait à une attaque ; il avait pressé les armements à l'île de Ré, à l'île d'Oléron, à Marans, à Brouage. Buckingham parut en vue de La Rochelle, le 10 juillet. Au lieu de marcher droit au fort Louis, il voulut s'emparer de Ré, défendue par la citadelle de Saint-Martin et par le petit fort de La Prée. Toiras, gouverneur de Ille, s'opposa au débarquement avec 1.200 hommes de pied et 200 chevaux, mais, après une vigoureuse résistance, il dut s'enfermer dans Saint-Martin, où il fut bloqué.

Sir William Becher et Soubise, envoyés aux Rochelais pour leur annoncer l'arrivée de la flotte anglaise, trouvèrent les portes de la ville fermées. Il fallut que la duchesse douairière de Rohan, très populaire à La Rochelle, sortit à la rencontre de son fils et du député de Buckingham, et, les prenant par la main, les fit rentrer avec elle, à la grande joie du peuple, mais contre le gré du maire et de ceux qui gouvernaient. Becher, conduit à la Maison de Ville, offrit aux réformés un puissant secours de terre et de mer contre la tyrannie du Conseil de France, pourvu qu'ils s'engageassent à ne faire aucun traité, accord ou paix sans l'avis et le consentement du roi d'Angleterre, promettant aussi le même de sa part. La municipalité fit répondre à Buckingham qu'elle remerciait le roi de la Grande-Bretagne de ses sympathies pour les réformés de France, mais les Rochelais, n'étant qu'un Membre du Corps des Églises, ne pouvaient rien décider que de concert avec elles.

La bourgeoisie craignait la guerre ; le peuple lui-même, dit Rohan, était sans vigueur ni courage. Le parti n'avait plus que deux chefs : Rohan et Soubise. Bouillon était mort et ses fils, Frédéric-Maurice et Turenne, avaient l'un vingt-deux ans, et l'autre seize ans à peine en 1627 ; Sully était vieux et moins que jamais disposé à la révolte ; La Force et Châtillon jouissaient en paix du maréchalat qu'ils avaient gagné à se soumettre ; La Trémoille était prêt à se convertir et en effet se convertit. L'aristocratie désertait la Cause. La révolte était d'ailleurs difficile à justifier. Sans doute, Louis XIII refusait de démolir le fort Louis, mais il n'avait promis, et encore verbalement, de le faire que lorsqu'il le jugerait à propos. Les fortifications entreprises par Richelieu à Brouage, à Marans, dans l'île de Ré et d'Oléron s'expliquaient aussi bien par la crainte des Anglais que par la haine des Rochelais. Vaguement les réformés les plus perspicaces sentaient que la Cour avait de mauvais desseins, mais ils n'en avaient d'autres preuves que leurs appréhensions.

Le Midi était encore plus hésitant que La Rochelle. Rohan, craignant une forte opposition, n'osa pas convoquer en forme une Assemblée générale des Églises. Il écrivit le même jour à toutes les principales communautés des Cévennes et du Bas-Languedoc, au desçu les unes des autres, de députer à Nîmes pour y entendre des choses qui leur importoient en particulier. Nîmes, Uzès, Saint-Ambroix, Alais, Anduze, Le Vigan et autres lieux, nommèrent des  délégués ; il les mena à Uzès et y forma l'Assemblée, s'assurant par sa présence de la raffermir dans son parti. Bien pratiquée et échauffée par l'exposition des griefs, cette réunion le pria de reprendre la charge de général des réformés et décréta la prise d'armes. Elle renouvela le serment d'union, auquel on ajoutera la jonction aux armes de la Grande Bretagne, tout en protestant solennellement et devant Dieu qu'ils voulaient vivre et mourir en l'obéissance du Roi, leur prince légitime et naturel.

Rohan espérait que l'exemple de ces villes entraînerait le reste des Églises. Mais les gens de Milhau écrivirent à Rohan qu'ils ne se départiraient jamais de la fidélité et sujétion à laquelle Dieu et leur naissance les obligeoient envers Sa Majesté. Sans vouloir s'enquérir plus avant du dessein de l'étranger ni des intérêts qui l'avaient poussé à cette descente, ils s'étaient, ajoutaient-ils, promis par serment de ne lui point adhérer, croyans fermement qu'il n'y a raison d'Estat ni de religion qui le leur conseille (23 oct. 1627). Les Consuls et l'Assemblée de ville de Montauban déclaraient s'opposer tant à M. de Rohan qu'à tous autres qui voudront entreprendre sur l'Estatet détester et abhorrer les armes du roy d'Angleterre. La ville de Castres expulsa le sieur de Saint-Germier, sénéchal de Carcassonne, qui avait comploté de livrer la ville à Rohan (14 octobre). Le sieur Galand, ancien commissaire royal près des synodes, envoyé dans le Midi en septembre 1627, pour rassurer les religionnaires paisibles et promettre le maintien des Édits, trouva les populations disposées à l'obéissance, dans le comté de Foix, à Pamiers, à Mazères, au Mas d'Azil, à Mazamet. La bourgeoisie se prononçait contre Rohan. Mais le peuple et une partie de la petite noblesse tenaient pour lui. Il rassembla 5.300 hommes, parut dans le Haut- Languedoc, prit Revel et Réalmont, fit révolter Millau malgré ses consuls. Il venait de repousser Montmorency et de prendre Pamiers (22 nov. 1627), quand les revers des protestants des Cévennes et du Vivarais l'obligèrent à rebrousser chemin.

Après deux mois de tergiversations, les habitants de La Rochelle avaient déclaré leur union avec les protestants du Midi et les Anglais (septembre). Mais les troupes royales que commandait, en l'absence du Roi, le duc d'Angoulême, se contentèrent de fermer les passages du côté de la terre. Tous les efforts de Richelieu tendaient à ravitailler, malgré la flotte anglaise, Saint-Martin-de-Ré, que Buckingham cherchait à prendre par la famine. Il voulait, des Sables-d'Olonne, de Brouage ou d'un autre point de la côte, pousser vers Saint-Martin une flottille chargée de vivres. Son activité embrassait l'ensemble et le détail des opérations. Il s'improvisait munitionnaire, constructeur de navires, ingénieur. Les prélats et les moines de son entourage, l'évêque de Maillezais, Sourdis, l'évêque de Mende, Daniel de La Mothe du Plessis-Houdancourt, l'abbé de Marsillac et le P. Placide de Brémond, un Bénédictin, qui s'intitulait chevalier de la Croisade, couraient d'un havre à l'autre, rassemblaient des chaloupes et des bateaux plats, pressaient les armements, organisaient les convois. Richelieu écrivait à son beau-frère, le marquis de Brézé : ... Je vous jure que j'aymerois autant mourir que voir périr M. de Toiras, faute de vivres.

Ce fut seulement le 6 octobre qu'un convoi de trente-cinq voiles, parti des Sables-d'Olonne, traversa la flotte anglaise et aborda à Saint-Martin. Dans la nuit du 16 octobre, le fort de La Prée fut aussi ravitaillé.

Louis XIII venait d'arriver au camp (10 octobre). Il fallait chasser l'ennemi de Pile de Ré avant que lord Holland lui amenât d'Angleterre des renforts. Le Roi, qui ne pouvait se risquer en cette aventure, choisit les troupes de débarquement soldat à soldat, les mestres de camp, les capitaines et tous les officiers. Les volontaires s'offrirent si nombreux, qu'il dut en refuser beaucoup. Mais il le fit avec tant de bonne grâce, en vrai fils d'Henri IV ! L'un des exclus réclamait vivement. Et pourquoi, dit-il, ne passerai-je pas ?Voulez-vous, dit Louis XIII en souriant, que je reste seul. Cette armée d'élite, 2.000 fantassins et 200 cavaliers, que commandait Schomberg, partit de l'île d'Oléron et aborda au sud-ouest de Ré, près du fort de La Prée (8 novembre).

Buckingham n'attendit pas l'attaque. Il fit filer ses troupes le long de la côte occidentale pour aller les embarquer à l'île d'Oyes. Toiras et Schomberg attaquèrent l'arrière-garde anglaise et lui tuèrent de 1.000 à 1.200 hommes. Quelques jours après, Buckingham mit à la voile pour l'Angleterre.

Après le départ des Anglais, Richelieu résolut de bloquer La Rochelle. Il l'enferma du côté de terre dans une ligne de retranchements, liée de distance en distance à des forts ; il imagina, pour lui barrer la mer et les communications avec l'Angleterre, d'élever une digue en travers de la rade qui précède le port de La Rochelle. L'architecte du roi, Clément Métezeau, et un maître maçon de Paris, Thiriot, présentèrent un projet (fin nov.). Les travaux commencèrent.

En même temps une flotte s'organisait au Blavet (aujourd'hui, Lorient) et dans le golfe de Morbihan. Le duc de Guise, qui en avait été nommé commandant en chef (27 avril 1627), n'avait encore, en janvier 1628, que 12 grands vaisseaux : une simple avant-garde. Aussi pour tenir tête aux Anglais, s'ils revenaient, Richelieu comptait sur les secours d'Espagne. Olivarès lui offrait une flotte et des soldats, mais il n'accepta que la flotte. Le gouvernement espagnol expédia à Morbihan (nov.) 40 vaisseaux, si dénués de vivres que Richelieu fit les avances pour nourrir les équipages. Quelques jours après son arrivée à Saint-Martin-de-Ré, l'Almirante Don Frédéric de Tolède demanda son congé (24 janvier), sous prétexte que le vent était maintenant favorable pour le retour. Peut-être craignait-il d'attendre, avec des navires, qui n'estoient pas en état de faire grand effet, l'attaque de la flotte anglaise ; peut-être l'ouverture de la succession de Mantoue et les compétitions qu'elle soulevait avaient-elles détourné vers l'Italie l'attention de la Cour de Madrid.

Cependant la digue avançait, coupée en son milieu par un goulet où la mer, en son flux et reflux, passait. Elle se dressait au-dessus des plus hautes eaux et se garnissait d'hommes et de canons. En avant, du coté du large, elle était renforcée par des estacades et des vaisseaux coulés, et protégée contre une attaque par vingt-six navires de guerre, postés à l'entrée de la rade.

L'armée de terre comptait 25.000 hommes bien payés et bien nourris. Le roi faisait distribuer des vêtements aux soldats ; il leur faisait payer la solde tous les huit jours par ses commissaires, et non, comme d'usage, par les capitaines, qui en retenaient toujours une partie. Les paysans et les marchands, assurés de vendre à prix débattu, entretenaient l'abondance dans le camp. Louis XIII, qui s'ennuyait de ce blocus sans fin, partit, le 4 février 1628, pour Paris, laissant à Richelieu, nommé lieutenant général, le commandement suprême des armées réunies dans le Poitou, l'Aunis, la Saintonge et l'Angoumois, avec le duc d'Angoulême et les maréchaux de Bassompierre et de Schomberg sous ses ordres (28 février 1628). Le lieutenant général s'inquiéta d'établir la discipline parmi les soldats du camp, qui vont à toute heure de jour et de nuit dans les cabarestz, et s'estant eschauffez de vin, au lieu de se retirer dans leurs huttes, courent et rodent dans les quartiers. Il ordonna qu'à neuf heures du soir un coup de canon fût tiré, qui servira de retraite à un chacun. Des moines, surtout des Capucins et des Récollets, étaient venus en grand nombre à la croisade. Ils prêchaient, confessaient et soignaient les assiégeants, mais ni leurs sermons, ni les ordonnances de Richelieu n'étaient capables de transformer les soldats en religieux qui auroient porté les armes.

Les Rochelais avaient député à Charles Ier, pour l'appeler à l'aide. A la fin d'avril, lord Denbigh sortit de Plymouth avec soixante-six vaisseaux mal équipés et arriva devant La Rochelle le 11 mai 1628. Après huit jours d'escarmouches, il se retira, promettant de revenir avec des forces plus grandes.

Les Rochelais expulsèrent les bouches inutiles. Les hommes et les femmes, dit une relation contemporaine, venoient à troupes de centaines crier miséricorde près des lignes de communication et demander la liberté ou du pain. Mais toute la courtoisie qu'ils recevoient des soldats estoit qu'on dépouilloit les hommes nuds comme la main, et mettoit-on les femmes en chemise et en cent estat on les renvoioit dans la ville à coups de fouet, de fourchettes, de hampes de hallebardes et quelquefois à coups de mousquet. Ces malheureux périrent entre le camp et les remparts. A l'intérieur de la ville, la famine sévissait. Cependant le maire, Jean Guiton, déclara dans l'Assemblée de ville qu'il poignarderait de sa main quiconque parlerait de se rendre.

Pressé par Soubise et les députés de La Rochelle, Buckingham avait résolu de faire un nouvel effort pour sauver la capitale du protestantisme français, quand il fut assassiné à Portsmouth, au moment de s'embarquer, par John Felton, officier aigri par la misère et quelque injustice du Duc. Le commandement de la flotte fut donné au comte de Lindsey qui mouilla devant Saint-Martin-de-Ré, le f8 septembre. Les défenses du havre étaient encore plus fortes qu'en mai et les soldats excités par la présence du Roi, qui était revenu au camp. Les brûlots lancés contre les vaisseaux français furent détournés ou coulés. Alors Walter Montagne, qui, arrêté en Lorraine par l'ordre de Richelieu et depuis remis en liberté, était revenu avec la flotte, alla trouver Richelieu et lui offrit la médiation de l'Angleterre. Mais les Rochelais étaient à bout ; leurs députés supplièrent le roi de leur pardonner leur désobéissance et leur accord avec les étrangers qui ont pris les armes contre cet Estat. Ils obtinrent le pardon de leur faute avec toute seureté pour leur vie, et l'exercice libre de leur religion prétendue réformée en La Rochelle. Ce fut le 28 octobre que cette capitulation mémorable fut signée.

Le lendemain (29), le Cardinal fit son entrée dans La Rochelle. Au maire, qui était venu au-devant de lui accompagné de six archers, il ordonna de congédier cette escorte avec défense de s'intituler maire sur peine de la vie. Il alla célébrer la messe dans l'ancienne église Sainte-Marguerite et communia de sa main Marillac, le garde des sceaux, et Schomberg.

La ville était pleine de morts. Des soldats de la garnison, il n'y avait de vivants que 64 Français et 90 Anglais ; 15.000 personnes avaient péri. Le Roi fit son entrée le Ier novembre à cheval et armé. Sur son passage le peuple crioit d'une voix foible : Vive le roi ! Le 3 novembre l'on fit une procession générale où fût porté le Saint-Sacrement de l'Eucharistie, et y assista le Roi en personne, monsieur le Cardinal et force noblesse.

La prise de La Rochelle causa autant de joie à Rome qu'en France. Dans le bref de félicitations qu'il adressa à Louis XIII, Urbain VIII célébra cette victoire, les trophées de laquelle sont élevés dedans le ciel, la gloire de laquelle les siècles à venir jamais ne passeront sous silence. Que le pécheur le voye et en despite et que la synagogue de Sathan en meure de desplaisir. Le roy très chrestien combat pour la religion ; le roy des armées combat pour le roy très chrétien.

Louis XIII régla l'ordre et la police de la ville conquise (nov. 1628). L'échevinage, corps et communauté de ville, furent abolis à perpétuité ; la cloche, qui servait à convoquer les assemblées de ville, ôtée et fondue. Abolis aussi tous les droits, privilèges, franchises et exemptions attribués à ladite ville, corps et communauté. Les remparts, sauf le front de mer et les tours de Saint-Nicolas, de la Chaîne et de la Lanterne, seraient rasés rez pied, rez de terre et les fondemens arrachez, les fossés comblez en sorte que de tous costez l'accès et l'entrée de ladite ville soit libre et facile, que la charrue y puisse passer comme sur les terres de labour. Les églises seraient rendues au culte catholique, les biens ecclésiastiques restitués au Clergé, un évêché créé à La Rochelle, et un intendant de justice établi en ladite ville, pays et gouvernement, et aux pays de Poitou et de Xaintonge, depuis la rivière de Loyre jusques à celles de Garonne et Gironde.

 

IV. — LA SUCCESSION DE MANTOUE.

PENDANT le siège de La Rochelle, le duc de Mantoue, Vincent II de Gonzague était mort (26 déc. 1627), désignant pour son successeur, Charles de Gonzague, duc de Nevers, chef d'une branche cadette de sa maison établie en France. L'héritage se composait du Mantouan et du Montferrat, fiefs impériaux ; le duc de Nevers en prit possession et envoya prêter hommage à l'Empereur. Mais il y avait d'autres prétendants : le duc de Guastalla, la duchesse douairière de Lorraine, Marguerite de Gonzague, et enfin le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, qui réclamait le Montferrat, fief féminin, au nom de sa petite-fille Marguerite, fille du frère ainé et du prédécesseur de Vincent, François II. L'Espagne s'entendit avec la Savoie pour le partage du Montferrat (janvier 1628). Elle entraîna l'Empereur, d'abord très hésitant, en lui rappelant l'accord de 1617, par lequel il s'était engagé à céder à Philippe III tous les fiefs qui deviendraient vacants en Italie, en échange de ses prétentions sur la Bohême, la Hongrie et les domaines autrichiens. Charles-Emmanuel s'empara des terres situées sur la rive gauche du Pô et entre ce fleuve et la Stura, et Gonzalve de Cordoue, gouverneur de Milan, assiégea Casal.

La France ne pouvait, sans perdre tout crédit en Italie, abandonner un prince italien, né sujet de Louis XIII, et laisser aux Espagnols et aux Impériaux les deux places les plus fortes de l'Italie du Nord, Casai et Mantoue. Tant que La Rochelle tint, Richelieu se contenta de négocier. Mais, aussitôt libre, il lui parut plus urgent de sauver Casai que de marcher contre Rohan et d'achever la ruine du parti huguenot. L'armée de La Rochelle se dirigea vers les Alpes. Le roi fit demander le passage au duc de Savoie, lui offrant, pour ses prétentions sur le Montferrat, la ville de Trino en toute souveraineté, avec 12.000 écus de rente. Mais Charles-Emmanuel voulait, en outre, que Louis XIII rompit ouvertement avec l'Espagne, lui commandât d'attaquer Gênes et lui permit d'attaquer Genève. Louis XIII, qui avait passé le mont Genèvre le 1er mars (1629), se décida, sur un nouveau refus du Duc, à forcer le pas de Suze. Il partit d'Oulx le lundi 5 mars, à dix heures du soir, et tant à cause de l'obscurité de la nuit qu'à cause de l'abondance des neiges il fut quasi toujours à pied jusqu'à trois heures du matin, où il arriva au passage. C'était une gorge âpre et étroite entre de hautes montagnes, barrée, de cent en cent pas, par de petites murailles de pierres sèches et par des barricades. Le Roi et le Cardinal marchèrent à l'assaut avec les Suisses et les gardes (6 mars 1629). La furie française emporta tout. Charles-Emmanuel et son fils, le prince de Piémont, faillirent être pris. Le Duc, se mettant à la raison, accorda le passage, et promit de faire entrer dans Casal, avant le 15 mars, mille charges de blé froment et cinq cents charges de vin. Il s'obligea, si Gonzalve de Cordoue ne levait pas le siège, de se joindre aux Français pour le combattre. Le 18 mars, les assiégeants se mirent en retraite.

 

V. — LA PAIX DE GRÂCE.

PENDANT que le Cardinal restait à Suze pour surveiller l'exécution du traité, Louis XIII, avec une partie de l'armée, tourna vers les Cévennes (avril). Les protestants, peu à peu, avaient été entraînés. Le prince de Condé, que Richelieu avait envoyé contre eux (1er octobre 1627), avait descendu la vallée du Rhône et ravagé le Haut-Vivarais. En 1628, il passa dans le Haut-Languedoc, où il recommença ses dévastations. A Pamiers, qu'il avait pris d'assaut, il pendit, tua, ou envoya aux galères la plus grande partie des habitants. Réalmont, que son gouverneur lui livra, fut saccagé (18 avril). A la vue des femmes nues et échevelées et des hommes échappés au massacre, les habitants de Castres se déclarèrent pour Rohan. Montauban fit aussi défection. Les grandes villes huguenotes rejetaient la direction pacifique de la haute bourgeoisie. Condé échoua devant Saint-Affrique (5 et 6 juin 1628). La guerre s'éternisait et devenait féroce.

Rohan était resté dans les Cévennes, où l'apparition de Condé l'avait rappelé. Il avait manqué Montpellier (19 janvier), mais il avait pris et fortifié Le Pouzin, sur le Rhône, et de là avait fait quelques pointes en Dauphiné pour s'y ravitailler et donner la main au duc de Savoie.

La chute de La Rochelle étonna les protestants. Beaucoup disaient qu'ayant pris les armes pour sauver la ville, ils n'avaient plus qu'à les poser. Les bourgeois, les marchands étaient las. Le roi, avant de partir pour l'Italie, avait de nouveau, par lettres patentes (15 décembre 1628), exhorté ses sujets à se remettre en leur devoir. Il ordonnait aux protestants qui tenaient la campagne de faire enregistrer, dans quinze jours, leur soumission devant les Cours de parlements ou les sièges présidiaux, — et aux habitants des villes d'avoir à députer vers lui pour recevoir sa grâce et volonté. C'était encourager les capitulations particulières et la désorganisation du parti.

Rohan comptait sur les complications italiennes et sollicitait partout des alliances et des secours. L'Assemblée générale de Nîmes s'adressait au roi d'Angleterre et Rohan lui rappelait que ces pauvres peuples, qui soupiraient après son assistance, avaient, en 1625, quitté les armes parce qu'ils surent que c'estoit votre désir et les avaient reprises quand ils avoient appris que Votre Majesté les y obligeoit par ses conseils et ses promesses. Ils ont sur cette seule assurance méprisé tous les dangers, surmonté tous obstacles, fait litière de tous leurs biens et sont prests encore d'espandre leur sang jusques à la dernière goutte... (12 mars). Mais ces questions d'honneur et de sentiment touchaient moins les Anglais que les affaires du Palatinat. Pour être libres d'agir en Allemagne, ils signèrent avec Richelieu, à Suze, le 24 avril, un traité où il n'était point question de ces réformés qu'ils avaient fait révolter.

Richelieu aussi renonçait au patronage des catholiques anglais. Le principe que chaque souverain traiterait ses sujets comme il l'entendrait fut tacitement admis. Henriette, dont les rapports avec Charles Ier étaient. devenus très tendres, avait écrit à Louis XIII qu'elle était parfaitement contente de sa maison actuelle, et, par là, elle dispensait son frère d'insister dans le traité sur les clauses du contrat de mariage.

Rohan, désespéré, se tourna vers l'Espagne. Il envoya son agent, Clausel, à Madrid. Il offrait à Sa Majesté catholique, moyennant un subside annuel de six cent mille ducats d'or, dont la moitié lui serait payée d'avance, d'entretenir d'ordinaire douze mille hommes de pied et mille deux cens chevaux ; et de favoriser tous les desseins de Sa Majesté, en quelque temps que ce soit, de tout son pouvoir. Il s'engageait encore à respecter les ecclésiastiques, à les maintenir dans leurs biens et bénéfices et, si lui et ceux de son parti devenaient assez forts pour se cantonner et faire un Estat à part, à laisser aux catholiques le libre exercice du culte, leurs biens, honneurs et dignités et le droit d'entrer en toutes charges de villes et autres.

C'était la première fois que les huguenots et les Espagnols contractaient une alliance formelle. Rohan s'en excuse, d'un mot, sur la nécessité ; et Philippe IV longuement sur les grandes pertes et dommages que ses Estats ont receu et, reçoivent journellement par le moyen de la faveur et assistance que les roys de France, dez plusieurs années en ça, ont donné et donnent aux vassaux de Sa Majesté en Hollande. Avec l'approbation de son Conseil de conscience, Philippe IV acceptait les offres du duc de Rohan et promettait de lui payer annuellement trois cent mille ducats de onze réaux de Castille chacun (3 mai 1629)[3].

Le secours serait arrivé trop tard. Louis XIII avait assiégé, pris et brûlé Privas, la citadelle du protestantisme dans le Vivarais (14-27 mai) et interdit aux anciens habitants d'y revenir jamais. Le 9 juin, il était devant Mais où il entra par capitulation. La situation des protestants était désespérée. Le maréchal d'Estrées ravageait la campagne de Nîmes jusqu'à une portée de canon de la ville ; le duc d'Épernon faisait le dégât autour de Montauban ; le duc de Ventadour, autour de Castres ; Noailles, gouverneur du Rouergue, autour de Millau. Rohan ne songea plus qu'à empêcher les paix particulières et à négocier pour le parti tout entier. A la première demande, Richelieu répondit que le roi voulait traiter avec chaque ville et que Rohan avait intérêt à donner l'exemple de la soumission. Rohan lui fit peur du désespoir des huguenots. En Italie, le levain de Mantoue commençoit à faire lever de nouvelle pâte  ; en France, Gaston d'Orléans recommençait à brouiller. Le Cardinal autorisa la réunion d'une Assemblée générale à Anduze ; mais ce fut pour imposer ses conditions. Il refusa de négocier de puissance à puissance. Le roi voulait donner la paix à ses sujets par abolition et par grâce, et non en forme de traité, comme auparavant. Auparavant on leur laissoit des villes de sûreté, en cette occasion le roi les condamna à raser généralement, sans exception d'aucune, toutes les fortifications de celles qui s'étoient portées à rébellion.... Autrefois les chefs des rébellions recevoient des établissemens et des récompenses.... En cette occasion, le duc de Rohan quitta non seulement le Languedoc, mais sortit du royaume.... On lui rendit seulement son bien et on lui donna cent mille écus [ce] qui n'étoit pas la moitié des ruines des b&â de ses maisons et du rasement de ses forets[4]. La rébellion était pardonnée et l'Édit de Nantes rétabli.

Cette paix d'Alais (28 juin 1629) était mieux nommée la paix de grâce. Nîmes faisant difficulté de l'accepter, Louis XIII s'y rendit et fut reçu par le peuple aux cris de : Vive le roi et vive le Cardinal. Montauban parlait de résister. Le Cardinal laissa partir Louis XIII pour Paris et alla lui-même calmer cette effervescence. Les députés de la ville vinrent à sa rencontre et lui demandèrent de leur laisser leurs remparts. Mais il sut leur persuader de ne chercher d'autre assurance que dans la bienveillance du roi. Comme ils appréhendaient que le parlement de Toulouse ne voulût modifier l'Édit d'abolition à leur désavantage, il écrivit de si bonne encre au premier président que la vérification ne tarda pas vingt-quatre heures. Ainsi que le Roi à Nîmes, il tint à se montrer dans Montauban le plus fort. Il sembloit, écrivait-il à Louis XIII, que la rébellion continuelle de ceste place qui estoit compagne de La Rochelle et le chef de la rébellion de deça, requeroit qu'on la vist soumise à sa puissance (du roi), tant pour la gloire de Vostre Majesté que pour le repos de ces provinces. Il fit occuper la ville par six compagnies des gardes, dix de Picardie et six de Piémont, et y entra, escorté de six cents gentilshommes.

Il pressa le démantèlement des' places. Quand il quitta le Languedoc, le 24 août, de trente-huit, vingt étaient absolument rasées et le reste en état d'être parachevé de raser le 20 de septembre. Mais il observa jusqu'à la lettre l'Édit d'abolition. Il refusa de mettre des soldats dans les bastions de Castres et de Nîmes, dont la peste avait suspendu la démolition, — et il aima mieux laisser provisoirement les remparts debout, que de rendre le roi odieux aux peuples par le soupçon de quelque citadelle.

A Montauban, et dans beaucoup d'autres villes, le Cardinal accueillit avec beaucoup de bonne grâce les ministres, tout en leur faisant remarquer qu'ils n'avaient pas le droit de se présenter en corps, et leur dit qu'il se dispensoit volontiers de cette austérité pour leur témoigner l'excès de son affection. Il les assura qu'il rendrait bon compte au roi de leur repentir et de la passion qu'ils témoignaient pour son service.

Maintenant qu'ils s'étoient remis dans la règle commune de tous les sujets, dont la sûreté ne devoit et ne pouvoit dépendre que de la bienveillance et de la foi du prince, Sa Majesté aurait un soin particulier de faire connoître à leur avantage qu'en qualité de sujets, il ne faisoit point de distinction entre eux et les catholiques ; que pour son particulier, il s'estimerait très heureux de les servir en toutes occasions et leur faire connoître par effet que s'il désiroit ardemment leur salut, comme la charité et leur intérêt l'y obligeoient, il souhaitoit aussi leur conservation temporelle.

Richelieu considérait l'unité de foi comme le terme idéal de l'action religieuse et politique ; il rétablissait le culte catholique dans tous les lieux où les protestants l'avaient aboli ; il rendait les hôpitaux aux religieux, comme à La Rochelle ; il faisait à Montpellier restaurer de ses deniers l'église Saint-Pierre et il y fondait un collège de Jésuites ; il établissait partout, dans les villes huguenotes, des couvents d'hommes et de femmes ; il créait partout des missions ; il approuvait que le roi, par dons, pensions et faveurs, sollicitât les conversions et réservât aux catholiques les plus hautes charges de l'État, mais il répugnait à l'emploi de la force, convaincu que les maladies de l'esprit s'aigrissent par la violence. Les dévots, au contraire, étaient pour les remèdes violents. Marillac, garde des sceaux, voulait faire aux réformés une guerre de procureur ; il proposait, par exemple, de déposséder les détenteurs de biens ecclésiastiques dans les quatre bailliages du Dauphiné, et de défendre aux ministres d'aller prêcher aux villages et autres lieux que ceux qui leur sont permis par l'édict. Le Cardinal répondait que ces choses semblaient fort bonnes, mais qu'il ne savait si elles étaient de saison en Languedoc et en Dauphiné. J'ai peur, écrivait-il, que ces establissements nouveaux, dont l'intention est parfaitement louable, n'affermissent pas la paix qui y est maintenant et esmeuve les espritz. C'était cette prudence et cette modération que les zélés, comme Marillac et Bérulle, reprochaient au Cardinal ministre.

 

 

 



[1] SOURCES : Avenel, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d'État du cardinal de Richelieu, II et III. Mémoires du cardinal de Richelieu, Mich. et Pouj., 2e série, VII et VIII. Mercure françois, XII-XV. D'Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus qui ab initio duodecimi seculi... usque ad annum 1632, in Ecclesia proscripti sunt et notati, II (1521-1632), Paris, 1728. Collection des Procès-verbaux des Assemblées générales du Clergé de France depuis 1560, II, 1768. Du Mont, Corps diplomatique, V, 2e partie. Frédéric Léonard, Recueil des Traitez de paix... faits par les rois de France avec tous les princes et potentats de l'Europe, 1693, IV et V. Charles Bernard, Histoire du roy Louis XIII, 1646. Claude Malingre, Suite de l'histoire de la rébellion pendant les années 1625-1629, Paris, 1629. Dr. Th. Kokelhaus, Zur Geschichte Richelieus. Unbekannte Papiere Fancans, Historische Vierteljahrschrift, 1899, II. Relation du siège de La Rochelle, Archives curieuses, 2e série, III. Pierre Mérault, Journal des choses mémorables qui se sont passées au dernier siège de La Rochelle, 1871. Relation ou Journal du siège de La Rochelle ; secours de Casal par le Roy en personne et retour en Languedoc.., Mémoires de Fontenay-Marcuil, Mich. et Pouj., 2e série, V. Rodocanachi, Les derniers temps du siège de La Rochelle, 1899. Mémoires du duc de Rohan, Michaud et Pouj., 2e série, V. Mémoires de J. de Bouffard-Madiane sur les guerres civiles du duc de Rohan (1610-1629), p. p. Pradel, Archives historiques de l'Albigeois, Fasc. V, 1898. Vittorio Siri, Memorie recondile, VI.

OUVRAGES A CONSULTER : Le Vassor, Histoire de Louis XIII, 1757, III. Le P. Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, 1758, I. Abbé Ed. Puyol, Edmond Richer, Étude historique et critique sur la rénovation du gallicanisme au commencement du XVIIe siècle, II, 1876. Le P. Prat, Recherches historiques et critiques sur la Compagnie de Jésus en France du temps de P. Coton, IV, 1876. Abbé Houssaye, Le P. de Bérulle et l'Oratoire de Jésus, 1874 (1611-1625), du même, Le cardinal de Bérulle et le cardinal de Richelieu (1625-1629), 1875. Rapin-Thoyras, Histoire d'Angleterre, 1725, VII. Gardiner, History or England, 1891, VI et VII. Louis Batiffol, Au temps de Louis XIII, 1904. Pietro Orsi, Il carteggio di Carlo Emanuele I, dans le Carlo Emanuele I, duca di Savoia, Turin, 1891. G. Curti, Carlo Emanuele I, secundo i più recenti studi, Milan, 1897. Comte Horric de Beaucaire, Les machines de Du Plessis-Besançon au siège de la Rochelle en 1618, Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, XVIII (1890). A. Laugel, Henry de Rohan (1879-1638). Schybergson, Le duc de Rohan et la chute du parti protestant en France, 1880. Dom Vaissète, Histoire de Languedoc, XI et XII.

[2] D'Argentré, Collectio judiciorum, II, p. 255-256. Il est remarquable que Richelieu ne dise rien dans ses Mémoires de son intervention, comme s'il n'aimait pas à rappeler les circonstances où il s'est montré conciliant et modéré.

[3] Le porteur du traité, un Zélandais nommé Bernard Pelz, fut arrêté à Lunel, jugé par le parlement de Toulouse et exécuté (12 juin 1629).

[4] Mémoires de Richelieu, Mich. et Pouj., 2e série, VIII, p. 24.