HISTOIRE DE FRANCE

TOME CINQUIÈME — LA LUTTE CONTRE LA MAISON D'AUTRICHE (1519-1559).

LIVRE VIII. — LA POLITIQUE D'HENRI II.

CHAPITRE II. — DERNIÈRES LUTTES CONTRE CHARLES-QUINT.

 

 

I. — AFFAIRES D'ANGLETERRE ET D'ÉCOSSE[1].

CE fut tout d'abord l'Angleterre que la France eut à combattre. Outre que le traité d'Ardres avait laissé la situation très indécise entre les deux pays, la possession de Boulogne par les Anglais avait créé un nouveau casus belli, auquel s'ajoutaient les plaintes des Écossais, qui avaient été laissés en dehors du traité et réclamaient d'y être compris.

Édouard VI, successeur d'Henri VIII, n'ayant que neuf ans, le duc d'Hertford, son oncle maternel, s'était fait nommer Protecteur et créer duc de Somerset. Mais il eut à lutter contre des intrigues et contre des révoltes, qui sévirent dans toute l'Angleterre. Quand il eut réussi à les réprimer, il fut renversé par le duc de Warwick en 1549, et exécuté en 1552.

En Écosse, Marie Stuart, née en 1542, régnait depuis cinq ans sous la régence de fait de sa mère, Marie de Lorraine. Menacée par une invasion des Anglais en 1547, Marie de Lorraine demanda le secours d'Henri II, en proposant de faire épouser la petite reine au dauphin François et même de la faire conduire immédiatement en France.

A ce moment, les Anglais reprenaient les projets de mariage entre Édouard VI et Marie Stuart, déjà mis en avant en 1543. Comme cette affaire intéressait les Guise, à cause de leur parenté avec Marie Stuart, leur ambition détermina en grande partie une direction nouvelle de la politique française. Ils eurent l'habileté d'unir leurs intérêts en Écosse à une cause nationale, la reprise de Boulogne.

Le gouvernement d'Henri II avait d'abord essayé de s'entendre avec l'Angleterre sur ces différents points, et les ambassades s'étaient multipliées en mai et juin. Puis, une flotte française ayant été envoyée en Écosse, Somerset avait fait arrêter des sujets français et pris une attitude belliqueuse, tout en proposant de rendre Boulogne, si le Roi consentait à accepter le mariage anglo-écossais. Mais les conseillers d'Henri II songeaient, dès le mois de décembre 1547, à l'enlèvement de Marie Stuart, pour rendre illusoires et inutiles les intelligences et practiques des Anglois, et, en 1548, sans rompre ouvertement avec l'Angleterre, ils se résolurent à agir en Écosse. François d'Aumale organisa une flotte, qui débarqua 6.000 hommes à Leith, en juin. Le 13 juin 1548, de Selve annonçait de Londres que tous les préparatifs étaient faits pour transporter Marie Stuart en France, où elle arriva le 20 août, ayant évité les croisières ennemies. Mais les Français agissaient, en Écosse, en maîtres désordonnés et turbulents. Si le Roy ne donne quelque ordre à la cavalerie qu'il a ici, nostre pays ne pourroit supporter les maux que les soldats y font, écrivait Marie de Lorraine. Nos troupes ayant subi un échec, les Écossais étaient bien aises, d'après notre ambassadeur, qu'elles eussent esté sy bien frottées.

A la fin de 1548, l'Empereur était venu s'installer à Bruxelles pour suivre de plus près les événements. Les deux diplomaties anglaise et impériale cherchaient à nouer une alliance ; au besoin, les Anglais auraient cédé Boulogne à Charles. Mais, ni en 1548, ni en 1549, ils ne réussirent à le faire sortir de la neutralité. Il se borna à autoriser la levée de cinq à six cents cavaliers pour le compte de l'Angleterre. En réalité, il cherchait surtout à prolonger la guerre d'Écosse pour occuper les Français, parce qu'il connaissait leurs mauvaises dispositions à son égard, et les Anglais, parce qu'il voyait le Protecteur tendre au protestantisme.

Somerset déclara cependant la guerre à la France, mais se voyant réduit à ses seules forces, il signa, le 24 mars 1550, un traité qui rendait Boulogne à la France, moyennant le paiement de 400.000 écus d'or, au lieu de 800.000 fixés par le traité de 1546, et accordait la paix à l'Écosse. A partir de ce moment, ce ne furent plus que des chicanes sans cesse répétées : déprédations des Anglais en Écosse, des Écossais en Angleterre, saisies de navires français ou anglais, contrebande. Pourtant, jusqu'à la mort d'Édouard VI, le 6 juillet 1553, l'état de guerre fut suspendu entre la France et l'Angleterre.

 

II. — LUTTE DIPLOMATIQUE ENTRE LA FRANCE ET L'EMPEREUR.

FRANÇOIS Ier venait à peine de mourir que Charles-Quint parut sur le point de soumettre l'Allemagne et d'y résoudre la question religieuse.

Après avoir mis l'électeur de Saxe, Jean-Frédéric, et le landgrave de Hesse au ban de l'Empire, il avait réuni contre les princes luthériens 35.000 piétons et 5.000 cavaliers allemands, italiens, papalins. Il avait obtenu le concours de Maurice de Saxe, qui revendiquait le duché contre son cousin Jean-Frédéric, comme représentant d'une branche cadette, et comptait l'obtenir de l'Empereur. De leur côté, les confédérés de Smalkalde disposaient de 50.000 piétons et de 8.000 cavaliers. Mais c'étaient des troupes mal disciplinées, dont les chefs s'entendaient fort mal entre eux. Ils furent écrasés à Mühlberg, le 29 avril 1547 ; l'électeur Jean-Frédéric fut fait prisonnier. Charles convoqua une diète à Augsbourg pour le 1er septembre, espérant obtenir d'elle une adhésion à sa politique.

Mais il se retrouva presque immédiatement en face des difficultés de toute sorte qui, depuis trente ans, avaient perpétuellement fait échouer ses desseins et rendu stériles ses succès les plus éclatants.

En premier lieu, il était gravement malade, épuisé par la goutte, par des maux d'estomac, par les soucis du pouvoir ou par les chagrins. Dans toutes les correspondances, on parlait de sa mort prochaine, on l'escomptait ; lui-même se considéra comme en grand péril au début de l'année 1548 et renouvela les instructions qu'il avait déjà rédigées en 1543 à l'intention de son fils Philippe.

 Puis, il ne pouvait se désintéresser des affaires d'Italie, où les choses étaient toujours à la merci d'un incident ou d'une intrigue. En 1547, les Impériaux possédaient le Milanais et le royaume de Naples ; les Vénitiens, fortement établis dans leurs domaines de terre ferme, s'occupaient surtout des affaires d'Orient et gardaient soigneusement la neutralité ; Cosme de Médicis, installé à Florence depuis 1530, était pour l'Empereur un allié d'autant plus fidèle qu'il avait à craindre les tentatives des bannis, les fuorusciti, répandus dans toutes les Cours étrangères, et surtout des Strozzi, réfugiés en France, où ils étaient en grande faveur auprès d'Henri II ; les ducs de Mantoue étaient également des clients de Charles ; il pouvait compter aussi à Gênes sur André Doria. Henri II n'avait plus en Italie qu'un allié, la maison de Ferrare, dont le chef, Hercule II, avait épousé Renée, fille de Louis XII. Il est vrai qu'il vivait avec elle en fort mauvaise intelligence, pourtant l'union avec la France avait été resserrée par le mariage de leur fille et de François de Guise.

La situation de l'Empereur semblait donc très forte, mais un conflit survint avec le pape Paul III qui mêlait, comme presque tous ses prédécesseurs, des passions personnelles aux préoccupations religieuses. Il avait créé duc de Parme et de Plaisance son fils naturel, Pierre-Louis Farnèse. Or, Louis Farnèse ayant été assassiné à Plaisance, le 10 septembre 1547, le marquis de Gonzague, gouverneur du Milanais, occupa la ville au nom de l'Empereur. Ce fut le signal d'un nouveau bouleversement de l'Italie, car le Pape, désespéré de la mort de son fils, se tourna contre les agresseurs et contre l'Empereur qu'il accusait de complicité.

Ce grave incident, où l'attitude de Charles fut très équivoque, contribua sans doute à entraver sa politique religieuse allemande, qui était très mesurée et. très habile. La plus grave question était toujours celle du concile, qui divisait les protestants et les catholiques, le Pape et Charles, bien que tous le réclamassent. On ne s'entendait que sur le mot, non sur la chose. Les luthériens voulaient un concile libre, c'est-à-dire soustrait à toute ingérence impériale ou papale, et ils exigeaient qu'il fût composé de réformés autant que d'orthodoxes. L'Empereur le voulait à Trente, pour qu'il fût sous sa dépendance ; le Pape, à Bologne, pour échapper aux influences allemandes.

Après la bataille de Mühlberg, Paul III avait espéré un moment que l'Empereur profiterait de sa victoire pour anéantir l'hérésie. Il fut très irrité de voir qu'il temporisait ; alors il transféra à Bologne le concile qui était déjà réuni à Trente ; Charles répondit à cette mesure en cassant les décrets du concile et en rappelant de Rome son ambassadeur ; puis, le 15 mai 1548, il promulgua le célèbre Intérim, dit d'Augsbourg, par lequel il essayait d'imposer le statu quo dans les matières religieuses, en attendant les décisions du Concile. Ce fut l'occasion de nouveaux troubles : les réformés rejetèrent cette bouillie empoisonnée, dont les catholiques et le Pape ne voulaient pas davantage ; la Saxe, le Brandebourg, la grande ville de Magdebourg se révoltèrent. Lorsque Paul III fut mort, le 10 novembre 1549, Jules III, qui lui succéda, ne fut pas mieux disposé, bien que l'Empereur lui eût fait des avances.

En fait, les Allemands craignaient surtout que l'Empereur établit sa domination politique à la faveur des troubles religieux, et c'est pourquoi les luthériens et les catholiques mettaient de côté leurs griefs respectifs, dès que Charles paraissait trop puissant. Aussi ne désarmèrent-ils pas.

Le partage éventuel de sa succession contribua à augmenter les embarras de l'Empereur. Pendant longtemps, il avait été résolu à ne laisser à son fils Philippe que ses États d'Espagne, de Flandre et d'Italie, l'Empire étant réservé à son frère Ferdinand. A partir de 1348, il en revint à la chimère de l'unité. Marillac écrivait en février 1349, que l'on commençoit fort à parler à la cour de Bruxelles de faire le prince des Espaignes roi des Romains. Ferdinand en était très irrité, mais Charles, poussé probablement par son fils, ne voulait pas renoncer à son projet, qui fut repris avec toutes sortes de combinaisons, par sa sœur Marie de Hongrie et par son ministre Granvelle. Granvelle proposait le mariage de la fille de Ferdinand avec Philippe, qu'on aurait nommé deuxième roi des Romains, de façon qu'il devint empereur seulement après la mort de son oncle. Ferdinand accepta, puis refusa, malgré les instances de Charles, qui s'acharnait à son dessein, pour establir et conserver la grandeur de nostre maison, comme il l'écrivait à sa sœur.

L'un des résultats de ces divergences fut que l'Empereur se détacha complètement des affaires hongroises, où les intérêts de Ferdinand et aussi de l'Allemagne étaient si engagés, à cause du danger qui venait des Ottomans. Aux instances réitérées de son frère pour obtenir des secours, en 1548, 1549 et 1550, il ne répondit que par des promesses dilatoires, espérant ainsi l'amener à composition. Ferdinand, d'autre part, soutint fort mollement l'Empereur dans les affaires d'Allemagne et de France. En réalité, les deux princes, à partir de 1549, étaient presque complètement brouillés. En novembre 1550, ils eurent une altercation tellement violente que Ferdinand décida de ne plus s'entretenir avec Charles que par lettres.

Philippe n'était guère mieux disposé pour son père ; ses conseillers, tout au moins, ne faisaient pas faute d'opposer le jeune prince à l'Empereur vieilli, usé : cela se voit très nettement dans leur correspondance. Charles-Quint, dans les dernières années de son règne, a surtout gouverné avec le concours de sa sœur, Marie de Hongrie, régente des Pays-Bas, et c'est ce qui explique que le point d'impulsion de la politique ait été transporté souvent d'Allemagne ou d'Espagne à Bruxelles. C'est aussi à Bruxelles que s'accomplira la plus solennelle des cérémonies de l'abdication.

Les rapports n'avaient pas cessé d'être fort tendus entre la France et l'Empereur depuis 1547. Dans les instructions que Charles avait rédigées pour son fils, au début de 1548, alors qu'il se considérait comme en danger de mort[2], il lui recommandait de maintenir l'orthodoxie, de conserver la paix, une des choses que je demande à Dieu avec le plus d'instances, de rester en bons rapports avec les États allemands, les Suisses, les Anglais, le Pape et les Italiens, d'observer la trêve avec les Turcs, parce que le devoir des rois et de tous les gens de bien est d'exécuter les engagements pris, même à l'égard des Infidèles. Il n'exceptait de ce concert européen que le roi de France, ne manquant pas de lui reprocher encore une fois de troubler la Chrétienté, avec la complicité des Ottomans ; il prévoyait qu'Henri Il suivrait les traces de son père, dont il a hérité la haine que ses aïeux ont toujours manifestée à l'égard des miens. Même dans les Indes, il voyait un danger du côté des Français. Il ne faut pas cesser d'y avoir l'œil sur eux, écrivait-il. Il conseillait pourtant d'éviter une rupture, mais en exigeant l'exécution rigoureuse des traités.

Les instructions adressées à Simon Renard, nommé ambassadeur en France à la fin de 1548, étaient comme le développement pratique de cette lettre. Renard s'adressera surtout à Monsieur le connestable, lequel prendroit mal s'il en usoit autrement, selon ce que l'on a expérimenté ci-devant. Il fera ses remontrances avec la modestie qui convient, y observant toutes fois ce que luy en sera escript, que sera quelquefois de parler rudement. Il suivra attentivement les relations de la France avec le Pape et les États italiens, avec l'Angleterre, avec les Allemands et les Turcs ; il connaîtra la situation des finances ; il saura s'il y a des capitaines allemands ou italiens à la Cour, si l'on arme des galères, en Ponant ou en Levant, si les Albret reprennent leurs projets sur la Navarre. Tout cela est répété à plusieurs reprises, avec insistance.

C'était donc la paix avec la France, mais paix très méfiante et toujours armée. Pourtant il n'y avait, à la mort de François Ier, que deux questions véritablement ouvertes : celle de la Savoie et du Piémont occupés par les Français et réclamés par Philibert-Emmanuel, qui comptait sur l'appui de l'Empereur ; celle de la Navarre espagnole, toujours revendiquée par Henri d'Albret. Or, sur ces deux points, Charles était disposé à temporiser, et même il éprouvait à l'égard de la possession de la Navarre, illégitimement conquise par Ferdinand le Catholique, des scrupules, qui lui faisaient presque accepter l'éventualité d'une restitution.

Mais il y avait d'autres causes générales de guerre toujours persistantes, car le roi de France n'était pas encore disposé à renoncer à l'Italie ; en outre, la lutte entre lui et l'Empereur était une lutte de prépondérance politique, — mal définie par conséquent, — sans compter qu'une longue rivalité avait créé entre la France et la maison d'Autriche des traditions de mésintelligence et d'inimitié, qui devenaient presque à elles seules des motifs d'hostilité.

Les affaires de Navarre occupèrent l'attention dès le début du règne, car Henri d'Albret ne cessait pas d'intriguer du côté de l'Espagne, avec la complicité de sa femme, Marguerite. L'objet des négociations était le mariage de Jeanne d'Albret, qui avait déjà suscité en 1540 tant de difficultés de toute sorte. Henri comptait amener Charles à une restitution amiable de la Navarre, en lui proposant l'union de Jeanne avec le prince Philippe d'Espagne.

Ces combinaisons contenaient bien des menaces à l'égard de la France, et le Roi, presque tout de suite après son avènement, se décida à marier Jeanne, à qui on proposa Antoine de Bourbon ou François d'Aumale. Après de longs pourparlers, Antoine de Bourbon finit par être accepté ; le mariage fut célébré le 20 octobre 1548. Marguerite mourut presque oubliée l'année suivante. Toutes les incertitudes et la faiblesse de son caractère avaient reparu dans les dernières années de sa vie, et il est bien difficile d'admettre, quand on examine les faits, la légende attendrissante qui la montre inconsolée de la perte de son frère.

Henri d'Albret songea immédiatement à de nouvelles noces et reprit pour son compte l'idée d'un mariage espagnol, puis tenta en 1551 une invasion de la Haute-Navarre, puis sollicita la main de Christine de Danemark, nièce de Charles-Quint, et proposa de concourir à une invasion de la France par le Sud, puis demanda aux plénipotentiaires d'Henri II de soutenir ses revendications. Il mourut, décrié, le 29 mai 1555, après avoir, en définitive, servi de jouet aux deux souverains dont il pensait se jouer lui-même.

Pendant quelque temps, la Turquie sembla moins disposée à entretenir l'alliance française, et peut-être Henri II lui-même eut-il au début de son règne quelques hésitations. D'Aramon, ambassadeur à Constantinople, écrivait en juin 1547 que les Turcs soupçonnaient que le Roi faisait peu de cas de leur amitié, parce qu'on avait négligé de faire part officiellement au Sultan de la mort de François Ier. Il annonçait que le Grand Seigneur négociait avec le roi des Romains : ce qui était vrai, car Ferdinand et Charles obtinrent la prolongation pour cinq ans de la trêve signée en 1546. A partir de ce moment, et malgré les avances de la France, qui envoya ambassades sur ambassades, on ne parvint jamais à regagner complètement Soliman. Il fut très occupé du côté de la Perse, où il conduisit lui-même de nouvelles campagnes jusqu'en 1550 ; puis il était vieilli, entouré d'intrigues, qu'il ne savait plus dominer, et dont les meneurs étaient plutôt favorables à la conservation de la paix avec l'Autriche. Les choses durèrent ainsi au moins jusqu'en 1551.

Mais, aux approches de la rupture entre la France et l'Empereur, M. d'Aramon était sur un des vaisseaux de la flotte ottomane du corsaire Dragut, qui s'empara de Tripoli sur les chevaliers de Malte en 1551. Un peu plus tard, en 1553, le baron de la Garde et Dragut ravagèrent ensemble les côtes italiennes. Malgré tout, l'entente resta toujours assez vacillante.

Une fois la France libre de préoccupations du côté de l'Angleterre, après le traité de 1550, l'opposition à la politique impériale se manifesta partout. Henri Il refusa d'envoyer des représentants au concile réuni à Trente. Il soutint les villes d'Allemagne et les princes révoltés contre Charles et dépêcha un ambassadeur spécial à Magdebourg, suivant ainsi les avis de Marillac, qui conseillait de tenir soubs main les affaires d'Allemagne en la plus grande difficulté qu'on pourra. Enfin, lorsque Maurice de Saxe se fut secrètement séparé de l'Empereur, le roi de France entra en relations avec lui. Vers la fin de 1550, toute une série de négociations très serrées se poursuivirent, non seulement avec Maurice, mais avec un certain nombre de princes luthériens.

Le 25 mai 1551, ceux-ci envoyèrent une ambassade au roi de France, pour lui demander son appui contre l'Empereur, qui voulait asservir à jamais la nation allemande. En octobre et novembre, les négociations s'engagèrent à fond et Henri II signa avec Maurice et les réformés un premier traité, pro Germaniæ patriæ libertate recuperanda[3], qui fut confirmé, le 15 janvier 1552, à Chambord, où étaient venus des ambassadeurs saxons, mecklembourgeois, et des délégués de Strasbourg, de Nuremberg et de quelques autres villes. Henri Il promettait des subsides aux confédérés allemands qui, en retour, lui abandonnaient les villes de Metz, Toul et Verdun ; il fut aussi question de Cambrai, autre ville impériale. Henri conserverait ces villes en qualité de vicaire de l'Empire.

Rien de tout cela n'échappait au gouvernement impérial, qui se plaignait de plus en plus vivement. Granvelle observait que le Connétable, au début du règne, avait fait dire que le règne présent du Roy, son maistre, estoit tout différent de celuy du feu Roy, et que l'on trouveroit, en cestuy, véritable ce que ledit affirmeroit, et que le ouy seroit ouy, et que le non seroit non, mais que la conduite ne répondait guère à ces promesses. Il exposait à Marillac, en septembre 1550, tous les griefs de la maison d'Autriche. Et pensez-vous, Monsieur l'ambassadeur, ajoutait-il un peu plus tard, que l'Empereur doibve toujours comporter telles choses ?

Au début de 1551 déjà, tout allait à la lutte ouverte, le printemps étant le temps auquel ordinairement toutes humeurs se remuent, tant du corps humain que du corps politique. L'été se passa cependant en assurances réciproques du désir de maintenir la paix, contredites par des armements, des concentrations de troupes, des pratiques entretenues partout. En septembre, les ambassadeurs demandèrent leurs passeports de part et d'autre, et Marie de Hongrie, en parlant des brouillasseries des Français en Allemagne, prévoyait l'entrée en campagne pour 1552[4].

 

III. — LA CAMPAGNE VERS LE RHIN ET LE SIÈGE DE METZ.

LES hostilités commencèrent indirectement en Italie. Le Roi s'attachait non seulement à établir fortement son autorité dans le Piémont, mais à se faire une clientèle dans la Péninsule. Il avait conclu avec Paul III, en octobre 1547, une ligue défensive. En 1548, il fit dans le Piémont un voyage, où il s'entoura d'un grand appareil militaire ; il entra à Turin en août et y reçut ses alliés d'Italie, notamment le duc de Ferrare. Au printemps de 1551, il déclara prendre sous sa protection le neveu du Pape, Octave Farnèse, assiégé dans Parme par les Espagnols ; il envoya des troupes à Sienne et fit engager les opérations dans le Piémont par le maréchal de Brissac. Il insistait beaucoup auprès de l'Empereur pour lui persuader que les affaires italiennes étaient comme un terrain libre, où les deux souverains pouvaient agir sans rompre l'accord. Mais c'était là une équivoque qui ne pouvait durer : elle se dénoua, au début de 1552, par une guerre ouverte.

En dernier lieu, les ambassadeurs français proposèrent la conservation de la paix, à condition que l'Empereur abandonnât à la France Milan, Asti, Naples et la Sicile, l'Aragon, la souveraineté des Flandres et de l'Artois ; qu'il restituât aux Albret la Navarre et qu'il reconnût la liberté de Sienne. Et, disaient les instructions, si l'Empereur invoquait le traité signé à Crépy (après tant d'autres) par François Ier, on ferait apparoir protestations suffisantes et en bonne forme de François Ier contre le dit traité. Ainsi l'on en revenait toujours au même point de départ.

Il fut convenu que le Connétable irait attaquer Metz, pendant que le Roi et François de Guise pénétreraient en Lorraine, sous prétexte de régler les affaires ducales, en réalité afin d'enlever le pouvoir à la duchesse Marie-Christine, nièce de Charles, qui exerçait la régence pour son fils mineur Charles.

Avant son départ, Henri II réunit le Parlement en assemblée solennelle et lui fit exposer par Montmorency les raisons de sa politique. Après avoir expliqué ce qu'il allait faire en Allemagne, il déclara qu'il laissait la régence à la Reine et à un Conseil, reconnut au Parlement (qu'il fallait gagner) le droit de faire des remontrances, sauf nécessité d'enregistrer intégralement les décisions du Conseil royal, si celui-ci passait outre aux remontrances. Car le Conseil, disait-il, doit savoir mieux que les magistrats la volonté du Roi, l'importance des affaires et les motifs vrais des édits.

Montmorency avait réuni à Vitry une armée nombreuse, dont Rabutin donne une longue et intéressante description :

Pour commencer premierement à la fanterie, il y avoit trois bataillons quarrez ; le premier desquels estoit des vieilles enseignes souldoyées et entretenues dès le temps du Roy ès guerres du Piémont, de Champagne et de Boulogne, avec d'autres nouveaux capitaines dressez au commencement de ces guerres, sans y comprendre aucuns braves soldats et jeunes gentilshommes de maison, lesquels y estoient pour leur plaisir et sans solde du Roy.

Le second bataillon (était) des Gascons, Armagnacs, Biscayens, Béarnais, Basques, Périgourdins, Provençaux et Auvergnats, faisans monstre de dix à douze mille hommes, desquels il y en pouvoit avoir de huict à neuf mille portans long bois (pique), et de deux ou trois mille harquebusiers. Le troisième estoit d'Allemans, en nombre, comme j'imagine, de sept à huict mille, desquelz estoit colonel le comte Rheingrave

Quant à la gendarmerie et cavalerie, il y pouvoit avoir mille ou onze cents hommes d'armes, avec la suitte d'archers[5] ; les hommes d'armes montez sur gros roussins (gros chevaux), turcs et chevaulx d'Espagne, armez du hault de la teste jusqu'au bout du pied, avec la lance, l'espée, l'estoc (épée longue), le coutelaz ou la masse, sans encore nombrer leur suite d'autres chevaulx, sur lesquels estoient leurs coustillers et valletz ; et, sur tous, paroissoient les chefs de ces compaignies et d'autres grands seigneurs, armez fort richement de harnois dorez et gravez en toute sorte ; leurs chevaulx forts et adroits, bardez et caparaçonnez de bardes et de lames d'acier, légères et riches, ou de mailles fortes et déliées, couvertes de veloux, draps d'or et d'argent, orfavrerie et broderies en somptuosité indicible ; les archers armez à la légère, portant la demi-lance, le pistollet à l'arçon de la selle, l'espée ou le coustellaz.... Quant à la cavallerie légère et harquebuserie à cheval, il y pouvoit avoir près de deux mille chevaux legers, lesquels estoient armés à la légère de corselletz, brassalz et bourguignottes (casques légers), la demi-lance ou le pistollet ou le coutelaz ou l'espieu gueldrois.... De barquebusiers à cheval y en avoit de douze à quinze cens, armez de jacques et manches de maille ou cuirassines, la bourguignotte ou le morion, l'harquebuze de trois pieds de long à l'arçon de la selle.

Au premier abord, cette armée semble peu différer de celles qui accompagnèrent en Italie Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ce sont toujours les gens d'armes, dans leurs lourdes armures défensives, les chevaux bardés de fer, et la lance ou l'épée reste l'arme offensive par excellence. Il n'est pas jusqu'à la somptuosité du costume qui ne rappelle les triomphantes entrées de Charles VIII à Naples ou de François Ier à Milan. Mais on compte, en 1552, 30.000 fantassins contre 3.000 gens d'armes et archers. Et surtout on voit apparaître 2 à 3.000 arquebusiers à pied, des arquebusiers à cheval, et même des cavaliers armés de pistolets, alors qu'en 1520 encore, c'est à peine s'il y avait dans les troupes françaises quelques centaines d'arquebusiers en tout

C'est qu'en effet le système des armes à feu s'est perfectionné[6]. La poudre est meilleure, on sait la grener régulièrement ; on a deux genres d'arquebuse : l'arquebuse à mèche, où un ressort amène une mèche allumée sur un bassinet rempli de poudre, communiquant avec le canon du fusil ; l'arquebuse à rouet, où la poudre du bassinet est enflammée par les étincelles d'un silex frottant sur un rouet à cannelures, mil rapidement par un mécanisme. Ce second procédé, qui évite les tâtonnements nécessaires pour allumer la mèche, explique qu'il y ait des arquebusiers à cheval et explique surtout l'invention des pistolets, qui vont modifier profondément les conditions du combat, car ce sont des armes essentiellement mobiles. Cependant la tactique n'est pas encore très renouvelée, surtout chez les Français. Les états-majors sont attardés dans les vieilles pratiques ; la vraie révolution militaire tardera encore beaucoup.

Parti de Joinville, le Roi franchit la Meuse et arriva devant Toul, dont les magistrats lui ouvrirent les portes, le 10 avril ; le Connétable, de son côté, entra dans Pont-à-Mousson et campa sous les murs de Metz. La ville était fort travaillée de discordes et assez anarchique, le menu peuple étant, comme partout à cette époque, hostile à l'aristocratie gouvernante ; d'autre part, l'évêque Robert de Lenoncourt, tout dévoué à la France, avait organisé un parti favorable à Henri II, d'autant plus facilement que les Messins avaient à souffrir des exactions des capitaines impériaux autour de la ville. Néanmoins Montmorency ne s'empara de Metz que par ruse. Les membres du corps municipal ayant consenti à lui donner passage à travers la ville, mais avec deux bandes d'infanterie seulement, il choisit des soldats d'élite, en nombre bien plus considérable que l'effectif régulier. Quand on s'aperçut du stratagème, il était trop tard, l'une des bandes étant déjà au centre de la ville, l'autre occupant une des portes. Metz dut ainsi se soumettre, et le Connétable l'occupa en force, le 10 avril.

Pendant ce temps, le Roi et François de Guise s'étaient portés sur la Lorraine, qu'il fallait soustraire à l'influence impériale. En Lorraine, c'étaient François et son frère le cardinal qui avaient préparé le terrain. Dès que le Roi fut arrivé à Nancy, il se déclara protecteur et conservateur des personnes et biens du duc Charles. Pour mieux le protéger, il l'envoya à la Cour, donna la régence au comte de Vaudémont et mit garnison dans les places fortes.

Il rejoignit Montmorency à Metz, le 18 avril, puis l'armée tout entière fut dirigée vers le Rhin. Elle passa par Sarrebourg, traversa péniblement les Vosges, encore couvertes de neige, et arriva seulement le 3 mai à Saverne, puis se porta sur Strasbourg, où le Connétable, assez naïvement, crut pouvoir renouveler le stratagème qui lui avait si bien réussi à Metz. Mais les Strasbourgeois se méfiaient et ils refusèrent péremptoirement de recevoir le Roi, s'il était accompagné de plus de quarante gentilshommes de sa maison. Quant à décrire certainement la situation et les murs de Strasbourg, dit Rabutin, je ne puis, pour n'en avoir approché d'une lieue ; car les citoyens ne vouloient permettre entrer personne, ne approcher seulement de la portée du canon. Et il ajoute : Les habitants de ceste contrée sont fiers et hautains, pour ce qu'ils ne sont chargez ne foulez de grandes exactions et n'ont accoustumé voir gens de guerre coucher en leurs lits. C'est à ce sentiment de fière indépendance que le Connétable et le Roi se heurtaient, aussi bien d'ailleurs que l'Empereur lui-même.

Ils se heurtèrent aussi, en Allemagne, à un sentiment national, qui se combinait avec les passions anti-impérialistes et se réveillait, dès qu'il était question des étrangers. L'Empereur avait couru un moment les plus grands périls, car Maurice de Saxe, consommant sa trahison, s'était jeté sur Innspruck, d'où Charles avait eu tout juste le temps de s'enfuir, le 19 mai. Cette tentative ramena à lui une partie des Allemands. Les princes réunis à Worms et la Chambre Impériale de Spire sollicitèrent Henri II de ne pas aller plus avant. Charles-Quint recommandait à son frère de remonstrer aux Estats le tort que le roy de France fait freschement au Saint-Empire par (l'occupation de) Metz, Verdun et Thou, et la violence dont il use à l'endroit du duc de Lorrayne, confédéré et allyé dudict Saint-Empire, les exhortant à ce qu'ilz le veullent considérer et que ce n'est chose que se doive par le dict Saint-Empire comporter. D'autre part, Marie de Hongrie avait jeté dans le Luxembourg une armée qui pouvait menacer la ligne de retraite des Français.

On revint donc en arrière, au milieu de grandes difficultés. Au retour, on prit Montmédy, Bouillon, et le Roi, entra dans Verdun. Puis le camp fut rompu, le 26 juillet, tant pour les grands maladies qui y survenoient que pour l'abondance des pluies. La campagne avait été profitable ; elle l'eût été davantage pour l'avenir, si la dureté de Montmorency et les excès des soldats n'avaient aliéné la population des pays nouvellement acquis.

Charles s'était empressé de se rapprocher des luthériens, et une Diète s'était ouverte à Passau, le 27 mai, où encore une fois un terrain de conciliation fut cherché entre les deux religions. Mais les réformés, sentant leurs avantages, avaient toutes sortes d'exigences. Charles, de son côté, éprouvant des scrupules de conscience, que la vision de la mort rendait encore plus intenses dans cette âme mystique, refusait d'accepter les clauses du traité préparé par la Diète. Et comme Ferdinand le suppliait de s'y résigner, car, s'il refusait, lui, roi des Romains, ne pourroit éviter sa ruine, vu que les Turcs étoient déjà entrés en Transilvanie et en Hongrie, avec des forces considérables, auxquelles il ne pourroit résister sans l'aide de l'Empire, il répondait qu'il ne feroit rien contre son devoir et sa conscience, quand même tout devroit se perdre.

Il consentit cependant, le 2 août, à accepter la transaction de Passau, par laquelle il annulait l'Intérim d'Augsbourg, promettait de réunir une Diète pour le règlement des affaires religieuses, et remettait en liberté les princes prisonniers depuis la bataille de Mühlberg. Alors, il put tourner toutes ses forces contre les ennemis de l'extérieur.

Il avait rassemblé une grosse armée ; de tous les côtés et particulièrement d'Italie venaient des bandes de soldats, qui peu à peu se réunirent dans la vallée du haut Danube. On se demandait en France si elles étaient destinées à la guerre contre les Turcs, qui avaient encore une fois envahi la Hongrie occidentale, ou si elles seraient dirigées contre Metz. Le doute cependant n'était guère possible, Charles-Quint ne pouvant, sans compromettre son autorité en Allemagne, accepter comme un fait accompli la possession de Metz par la France ; il le déclare à plusieurs reprises dans ses lettres. Seulement, comme toujours, il agit avec lenteur, et il n'avait plus son énergie d'autrefois : Comme Sa Majesté, disait un confident de Philippe II, veut seule gouverner et pourvoir à tout, tout se désorganise. Le 18 août encore, il était à Augsbourg et n'avait pas fait connaître ses projets définitifs. A ce moment (17 août), le duc de Guise arrivait à Metz pour organiser la défense.

La ville de Metz[7] est entourée à l'Ouest, au Nord et à l'Est, par la Moselle et la Seille, qui se réunissent à son extrémité Nord-Ouest ; les deux rivières, larges et abondantes, partagées par des îles en plusieurs bras, lui font une ceinture naturelle très forte ; au Sud seulement, s'étend de la Seille à la Moselle une large plaine, par où la place est directement accessible. Sur les trois côtés protégés par les cours d'eau, il y avait une simple muraille, avec quelques ouvrages plus importants au Nord-Est, autour de trois portes sur la Seille : Porte Sainte-Barbe, Porte des Allemands, Porte Metzelle. C'est au Sud qu'on avait accumulé presque toutes les défenses, depuis la Porte Saint-Thibaut, vers la Seille, jusqu'à la Tour d'Enfer et à la Plateforme Sainte-Marie, vers la Moselle, avec la Porte Champenoise au centre. Mais ces fortifications étaient arriérées ou en mauvais état.

Guise s'occupa immédiatement de développer le système de défense. Il avait avec lui des commissaires de l'artillerie et des gens experts au fait des fortifications : MM. de Saint-Remy, d'Ortobie, de Popincourt et Camille Marin, ce dernier surtout très habile et très expérimenté. Il fit visiter tous les points, refaire les remparts, les tranchées, compléter l'armement ; il ordonna de détruire les faubourgs. On abattit même les églises ; la vieille basilique de Saint-Arnould fut démolie. Dans la ville, il fit également disparaître tous les édifices qui pouvaient servir de point de mire. Les tours des églises furent rasées ou leurs plates-formes transformées de façon à recevoir des batteries. Il ordonna de rentrer dans Metz les récoltes et de faire le désert dans un rayon de plusieurs lieues ; il renvoya les bouches inutiles. Plus de cent princes, seigneurs ou simples gentilshommes étaient venus pour leur plaisir au siège : parmi eux, Enghien, Condé, Elbeuf, deux fils de Montmorency.

Le duc d'Albe, qui avait reçu le commandement de l'armée impériale, arriva devant Metz, le 19 octobre, vers la porte des Allemands. Après avoir d'abord dirigé ses attaques de ce côté, il tourna presque subitement vers le Sud et établit le gros de son armée entre la Seille et la Moselle, devant les fortifications comprises entre la Porte Saint-Thibaut et la Plate-forme Sainte-Marie. Ce qui compliquait pour le duc de Guise la difficulté de la défense, c'était la présence du marquis Albert de Brandebourg, qui disposait de 3.000 cavaliers, de i5.000 piétons et de 40 pièces d'artillerie. Ce personnage équivoque, rejeté par l'Allemagne comme un brigand, s'était réfugié dans la région lorraine, à la faveur de la guerre, et négociait à la fois avec le roi de France et l'Empereur. Il se tenait autour de Metz, demandant d'être introduit dans la ville, mais repoussé par Guise, qui se méfiait de lui à juste titre.

L'Empereur entra au camp, le 20 novembre. Il était malade au point de se faire porter en litière. Au dernier moment, il monta sur un cheval blanc et parut ainsi devant son armée, au milieu de grandes acclamations. Il avait longtemps hésité avant de venir, et il expliquait à son fils qu'en cas d'échec sa gloire eût été aussi compromise à se tenir à distance d'un siège, que lui seul avait voulu entreprendre. Il commença par négocier avec Albert de Brandebourg, malgré ses répugnances, qui étaient vives. Quand il le prit à son service, un correspondant de Philippe II insistait sur l'importance de ce rapprochement ; mais, disait-il, Sa Majesté sera forcée de donner la main au Marquis, c'est dur.

Au milieu de novembre, il y avait autour de Metz trois armées ; le camp des Espagnols au Sud, le camp dit de la reine Marie (Marie de Hongrie) au Nord, le camp du marquis Albert au Sud-Ouest. C'est par l'armée du Sud, auprès de laquelle Charles-Quint avait établi son quartier général, que le principal du siège fut conduit ; quoique les relations parlent de milliers de coups de canon tirés contre les portes, quoiqu'un très grand effort ait été fait contre la porte Champenoise, les opérations furent menées assez lentement par les assiégeants. Il ne semble pas qu'à aucun moment la place ait été sérieusement menacée. Le duc de Guise avait écrit au Roi, le 6 novembre, qu'il se faisait fort de tenir dans Metz et que l'armée royale pouvait être employée à d'autres opérations. Néanmoins on ne s'explique pas l'inaction de Montmorency et d'Henri II, qui se bornèrent à envoyer quelques secours jusqu'à l'investissement complet. Do Saint-Mihiel, le Connétable ramena l'armée à Reims, où était le Roi et, à la fin de novembre, à Compiègne. Inactif du côté de Metz, où il était cependant facile d'agir, le Connétable le fut également en Artois, en Picardie, où les ennemis firent de grands maux.

Cependant, la situation de l'Empereur n'était pas bonne ; il avait à se préoccuper de ce qui se passait en Allemagne ; l'Italie n'était pas sûre ; l'argent manquait : si la flotte d'Espagne n'était pas arrivée aux Pays-Bas, le 4 novembre, il était hors d'état de payer ses troupes, car la place d'Anvers était épuisée financièrement. Le 2 décembre, la pénurie fut extrême ; Charles ou ses conseillers adressaient à Philippe des appels très pressants. Mais celui-ci se réservait ; on voit très bien que ses confidents ne se gênaient point pour lui faire part des fautes commises et laisser entendre que son père déclinait beaucoup.

Au cours de décembre, des brèches avaient été ouvertes dans les murs de Metz, la tour d'Enfer avait été abattue, mais les assiégés élevaient immédiatement en arrière de nouvelles fortifications. L'Empereur voulait un assaut général ; son Conseil s'y opposa. On était en plein hiver, le camp fut inondé par des pluies, les maladies décimaient les soldats. Le 24 décembre, on publia dans le camp la résolution prise de renoncer au siège et, le 26, la retraite commença.

A ce moment encore, s'il en faut croire une lettre de François de Guise à son frère, on était à Metz bien éloigné de l'espoir du succès. Ne me chantez plus par vos lettres, disait-il, que l'Empereur doive desloger d'icy et tenez pour certain que, s'il ne nous trompe bien fort, tant qu'il aura la vie, il ne voudra recevoir ceste honte d'en partir avant qu'il en voye la fin, sy les forces de nostre maistre ne l'y contraignent.

L'Empereur se retira le 11 janvier. Le 6, Guise fit une sortie ; il trouva le camp impérial et ses environs dans un état effroyable : des cadavres non enterrés, des blessés laissés à l'abandon, partout des tentes rompues, les chemins couverts de chevaux morts, des voitures brisées. Sur 60.000 hommes de l'armée impériale, Charles-Quint, prétendit Guise, n'en emmenait que 12.000 valides. Les Français, au contraire, n'auraient perdu que vingt-deux personnages notables, quelques hommes d'armes, chevau-légers ou arquebusiers à cheval, deux cent cinquante soldats de diverses bandes. Guise se montra très humain pour les blessés et les malades ennemis, qu'il recueillit dans Metz et fit soigner par les médecins français.

Monluc a dit, en parlant du duc de Guise : Il n'y avoit homme qui ne le jugeant un des plus vigilans et diligenz lieutenans qui aient esté de nostre temps, au reste si plein de jugement à sçavoir prendre son parti qu'après son opinion il ne falloit pas penser en trouver une meilleure. C'estoit au reste un prince si sage, si familier et si courtoys qu'il n'y avoit homme en son armée qui ne se fust volontiers mis à tout hasard pour son commandement, tant il sçavoit gagner le cœur. Ce jugement est mérité par la conduite du duc pendant le siège de Metz : il y fut vigilant, judicieux, habile à susciter les dévouements. Il sut tirer parti de toutes les ressources, il organisa admirablement la défense. A cette époque, d'ailleurs, il était plus facile de défendre une grande place que de la prendre : Pavie, Mézières, Marseille assiégée deux fois ont résisté ; Sienne n'a été emportée qu'au bout de six mois, par la famine. Saint-Quentin, presque surpris à l'improviste, désemparé, dégarni de défenseurs, tiendra plus d'un mois contre cinquante mille hommes.

A partir de la levée du siège de Metz, la guerre fut conduite très mollement de part et d'autre. Les événements militaires, dont souffrirent beaucoup les peuples — sur la frontière du Nord-Est, le seul système stratégique finissait par être la dévastation — se déroulèrent avec une monotonie misérable et une incroyable mesquinerie de résultats.

 

IV. — CAMPAGNES D'ITALIE ET DE PICARDIE.

ENCORE une fois, l'activité se reporta en Italie : de Selve à Venise, du Bellay et Lansac à Rome, M. de Lodève à Ferrare, s'agitaient beaucoup, sans obtenir autre chose que des promesses illusoires. Brissac, qui avait reçu en 1550 le gouvernement du Piémont, continuait à organiser fortement le pays et à élargir le cercle des possessions françaises, par une série de sièges presque toujours heureux, où se déployaient sur un petit théâtre la tactique et l'héroïsme particuliers à la guerre de montagne, toute en surprises, en escarmouches et escalades. Verceil fut prise en 1553, Ivrée et Casale en 1554.

Puis la France intervint en Corse contre les Génois en 1553 et envoya le maréchal de Termes pour soutenir les rebelles de l'île. Sanpero d'Ornano fut nommé capitaine sous l'autorité du maréchal de Termes, et un intendant de justice fut, pour un moment, installé[8].

L'événement militaire le plus éclatant se passa dans le centre de la Péninsule. La France, pour faire échec au duc de Florence, allié à Charles-Quint, avait poussé les Siennois à se révolter contre la garnison espagnole qui leur avait été imposée en 1540 et qui fut en effet chassée en 1552. Pierre Strozzi fut chargé de défendre les Siennois contre l'attaque des Impériaux commandés par le marquis de Marignan. Comme il voulait tenir la campagne dans le territoire siennois, il demanda au Roi de déléguer un chef militaire pour diriger la défense dans la ville elle-même. Monluc fut désigné ; il a raconté longuement dans ses Mémoires les épisodes du siège, où il s'est fait, bien entendu, la plus grande part. On avait hésité, dit-il, à l'envoyer, parce qu'on craignait son caractère bizarre, colère, atrabilaire, et il raconte, avec son amusante verve gasconne, qu'il mit ses défauts dans un sac et les jeta au feu. Il ne les jeta pas tous, car de Selve, qui se trouva pendant quelque temps dans Sienne, eut avec lui de graves difficultés, dont Monluc se garde bien de parler. Du moins, il déploya beaucoup de ressources, d'ingéniosité et même de finesse à manier une population ombrageuse et défiante. Il était entré dans Sienne vers le milieu de juillet ; sa situation y fut compromise par la faute de Strozzi, qui se fit battre à Lucignano, de telle sorte que le marquis de Marignan put employer au siège toutes ses forces. Puis une grave maladie le tint presque alité jusqu'à la veille de Noël. Les premiers assauts ayant été repoussés, le marquis de Marignan se résolut à prendre les habitants par la famine. En avril 1555, la ration des soldats était réduite à 12 onces de pain, et celle des non-combattants à 9 onces par jour. Ils furent obligés de capituler, le 17 avril, mais Monluc sortit de la ville avec les honneurs de la guerre.

Au nord-est de la France, les échecs de la campagne, conduite par Montmorency, firent encore ressortir la gloire de François de Guise à Metz. Le fils du Connétable capitula, le 20 juin 1553, dans Thérouanne  que l'Empereur fit impitoyablement raser jusqu'au sol ; Hesdin fut de même pris et détruit. Le Connétable n'entra qu'à la fin de juillet à Amiens ; il ne sut pas employer les 50.000 hommes qu'il commandait. Et quand le Roi fut venu rejoindre l'armée, sa présence n'apporta avec elle qu'une solennité pompeuse, un appareil de majesté inerte, qui paralysait toute énergie. Devant Valenciennes, où était le camp de l'Empereur, on manœuvra en grande parade, puis on battit en retraite, sous prétexte que Charles n'était pas sorti de ses lignes. Les opérations furent suspendues, le 21 septembre.

En 1554, on entreprit un plus grand effort, qui fut dirigé vers Bruxelles, où l'on croyait atteindre plus profondément la puissance de l'Empereur. Montmorency, Antoine de Bourbon et le maréchal de Saint-André réunirent 40.000 hommes de pied et 12.000 chevaux, et le Roi vint les rejoindre. Mais quand on eut pris Dinant et ruiné la ville, l'approche de l'armée impériale commandée par Charles-Quint et par Emmanuel-Philibert décida le Connétable à battre en retraite. Poursuivi très vivement, il se porta sur Cambrai, puis sur Calais et Boulogne, et entreprit le siège de Renty. L'Empereur, ayant essayé de délivrer la ville, fut vaincu le 13 août ; il perdit 500 hommes tués, laissa entre les mains des Français 5 à 600 prisonniers et 5 canons. Malgré ce succès, qu'on fit sonner très haut, le Roi et le Connétable levèrent le siège de Renty, le 15 août, et ramenèrent l'armée à Compiègne. Ils s'étaient presque bornés à ravager le pays, ami ou ennemi ; douze cents villages, dit-on, avaient été détruits.

Ce fut alors contre Montmorency un déchaînement de colère et de mépris, soigneusement entretenu par les amis des Guise, restés presque étrangers aux événements. La faute de ces échecs, dit très durement l'ambassadeur vénitien, est au Connétable, qui passait auparavant pour un homme pusillanime et est maintenant considéré comme un homme très lâche (vilissimo), puisqu'il a craint de poursuivre un ennemi battu et presque en fuite. Il en est partout bafoué. Montmorency, en effet, s'était montré profondément incapable ; sa réputation militaire, très usurpée en réalité, s'effondrait presque dans le ridicule, et il avait fait jouer à Henri II un rôle assez peu digne. Il fallait à celui-ci tout l'aveuglement de l'affection pour ne pas s'en apercevoir.

 

V. — ABDICATION DE CHARLES-QUINT ET TRÊVE DE VAUCELLES[9].

LA France espérait toujours trouver en Allemagne ou en Orient les moyens de résistance à la puissance de l'Empereur. En 1552, les Turcs avaient repris les hostilités en Hongrie, et la guerre y fut terrible. En 1553, Henri II renoua avec les Allemands. Il s'agissait, Sa Majesté ayant été advertie que l'Empereur est mort ou tellement affligé ou exténué de diverses maladies qu'il est pour demourer le demourant de ses jours du tout inutile, de s'entendre pour le règlement des affaires de l'Empire et pour conclure une bonne et parfaicte alliance et intelligence avec ligue défensive et offensive, tant pour la conservation du royaume de France que de la liberté des États et des princes contractants. Mais les Allemands ne croyaient plus au désintéressement de la France ; les réformés étaient fort irrités des persécutions dirigées par le Roi contre leurs coreligionnaires, et les liens avec la France se relâchèrent sensiblement.

De son côté, l'Empereur se préoccupa, dès 1553, de rattacher l'Angleterre à sa politique. Lorsqu'Édouard VI fut mort, au mois de juillet 1553, Marie fut proclamée reine, et presque immédiatement Charles lui faisait observer qu'elle pouvait compter sur son appui, sur celui de Ferdinand, sur celui du Pape, et qu'elle n'avait que deux voisinances doubteuses, la France et Escosse.

Il avait de très bonne heure mis en avant la candidature de son fils Philippe pour un mariage avec Marie[10]. Son ambassadeur fit des ouvertures, que la Reine reçut en riant, non une foys, ains plusieurs foys, me regardant, écrivait-il, d'un œil signifiant l'ouverture luy estre fort agréable. Le 21 décembre, une ambassade extraordinaire fut envoyée à Londres, pour faire la proposition officielle, et, en juillet 1554, Philippe passa enfin en Angleterre pour la célébration de l'union, qui fut consacrée le 25 juillet. Il avait reçu au départ toutes sortes de recommandations pour la conduite à tenir : donner des pensions aux grands et aux fonctionnaires influents, caresser la noblesse et lui être accessible, se faire voir souvent au peuple. On craignait évidemment sa morgue un peu hautaine et sa froideur toute castillane. En effet, les difficultés de la situation ne tardèrent pas à apparaître. Simon Renard écrivait à Charles, en août 1554 : Il y aura bien affaire d'accorder les Espaignolz avec les Angloys, pour la faulte du langaige, pour estre les Angloys telz que je les ay deschifrés à Votre Majesté par plusieurs de mes lettres, abhorrissans les estrangiers, n'estans accoutumez d'en veoir si grande multitude. Le point de la religion se présente, que faict pires les hérétiques ; les Francoys ne dorment en practique. En réalité, la mésintelligence s'accusait de plus en plus entre le nouveau roi et ses sujets, surtout parce que Philippe se donnait tout entier et maladroitement à la restauration du catholicisme en Angleterre.

Les agents du roi de France avaient tout fait pour empêcher le mariage et pour affaiblir le gouvernement de Marie Tudor. En février 1554, ils avaient suscité une insurrection, qui parut assez redoutable pour qu'on parlât de faire réfugier la reine à Calais. Elle fut réprimée, mais la situation resta pendant longtemps très troublée, et une rupture avec la France toujours menaçante. Elle ne devait se produire qu'en 1556.

Charles, cependant, faisait de suprêmes efforts pour pacifier l'Allemagne. Plus je pense aux troubles de la Germanie, écrivait-il en juin 1554, moins vois-je qu'il y aye autre moyen pour y asseurer repos assheure ou pour modérer les dits troubles et éviter que la confusion ne procède de mal en pis, que par diette et assemblée universelle des Estats. Mais la Diète qu'il avait convoquée à Augsbourg fut retardée sans cesse par la mauvaise volonté des Allemands. Annoncée enfin pour novembre 1554, elle ne s'ouvrit que le 5 février 1555. L'Empereur, malade, occupé par les affaires de France, dut renoncer à quitter les Pays-Bas et délégua ses pouvoirs à son frère, en le suppliant de ne pas sacrifier les intérêts de la religion, tout en s'efforçant de « ramener la concorde », idéal plus difficile que jamais à réaliser. Après des délibérations, qui durèrent du commencement d'avril à la fin de septembre, au milieu de discussions très vives et sous la menace continuelle de rupture entre les deux partis catholique et protestant, la paix dite d'Augsbourg fut conclue, le 3 octobre 1555. L'article essentiel en était la liberté de culte accordée aux princes luthériens ; ce qui consacrait la séparation de l'Allemagne entre deux religions. A vrai dire, cette paix n'était qu'un compromis, dont les conditions n'avaient été acceptées par les contractants qu'avec toutes sortes de restrictions mentales. Pourtant, c'était un succès que d'avoir suspendu la lutte, imminente au début de 1555, et redoutée par les catholiques encore plus que par les réformés. D'ailleurs, on continuait à répandre toutes sortes de bruits sur l'état de santé de l'Empereur ; dans des lettres venues d'Allemagne, on prétendait qu'il était si affaibli d'esprit qu'il fallait renoncer à lui communiquer la plupart des affaires ; qu'il ne s'amusait plus qu'à monter ou démonter les horloges dont sa chambre était pleine ; que même on l'avait cru mort (c'était en janvier 1555). Un peu plus tard, lorsqu'il abdiqua, le Pape allégua qu'il était impos mentis, et que, par conséquent, sa résignation de l'Empire était de nulle valeur.

A la cour de France, Montmorency restait le représentant des idées de paix ; il parlait confidentiellement de l'obstination dudit roy de France, qui pourroit causer à l'un ou à l'aultre ruine entière, et sans doute il visait plus encore l'obstination des Guise que celle du Roi. Il était d'autant plus pacifique qu'ils étaient plus belliqueux. Dans son désir de mettre fin aux hostilités, il s'adressa à Marie Tudor, qui avait gardé la neutralité. Marie accepta le rôle de médiatrice et prépara des conférences, qui s'ouvrirent à Marcq, le 25 mai 1555. On y échangea surtout des propos fort aigres. L'Empereur écrivait à son frère, le 8 juin, que les ambassadeurs avaient conféré à plusieurs reprises, mais que les Français n'avaient pas manqué de reprendre toutes les vielles querelles. Après sept séances, on se sépara sans avoir rien conclu.

Alors Henri II essaya de retrouver en Italie le levier de la politique, et négocia avec Paul IV, qui avait succédé, le 23 mai 1555, à Marcel II[11]. A la fin de décembre encore, on semblait si éloigné d'un accord avec l'Empereur que François de Guise recevait le commandement d'une armée destinée à passer en Italie, pour conquérir le royaume de Naples.

Cependant, la situation du gouvernement français était difficile. Renard disait que le pays était déformé d'argent, que le Roi ne pouvait plus en obtenir de ses peuples. Au même moment, l'Empereur, de plus en plus malade, tenait à réaliser en paix les actes si compliqués et si délicats de l'abdication de son immense empire. Presque subitement, il reprit l'initiative de négociations, qui s'ouvrirent à l'abbaye de Vaucelles, en janvier 1556. Les plénipotentiaires français s'y montrèrent assez hauts à la main. Ils déclarèrent qu'ils ne rendraient aucune des conquêtes faites, qu'à insister sur ce point, on ne ferait que perdre du temps. Charles se résigna, et en deux jours, les termes d'une trêve de cinq ans furent arrêtés ; elle fut signée le 15 février. La France gardait ses conquêtes en Piémont, conservait les Trois-Évêchés, ne renonçait expressément à aucune de ses alliances, soit avec les Ottomans, soit avec certains princes italiens.

Le 25 octobre 1555, Charles-Quint avait abdiqué le gouvernement des Pays-Bas, en présence des États-généraux des dix-sept provinces, des membres des Conseils, des chevaliers de la Toison d'or, des ambassadeurs étrangers et d'un assez nombreux populaire ; le 16 janvier 1556, il céda à Philippe les royaumes d'Aragon, de Castille, de Sicile et de Naples. Il ne garda que le titre d'Empereur, à la demande de son frère, qui craignait des troubles en Allemagne. Puis il se retira au monastère de Yuste en Espagne.

Dans les dernières années de son gouvernement, la pensée de réunir pour Philippe l'Empire à l'Espagne, celle du mariage de ce même Philippe avec la terrible Marie, la lutte armée contre les protestants montrent qu'il avait été comme repris de l'idée chimérique de la splendeur de sa maison, que ses sentiments catholiques s'étaient exaltés, son âme endurcie.

Quand il disparut de la scène européenne, il avait échoué dans toutes ses entreprises, alors que François Ier avait en partie réussi contre lui. Et cependant la politique impériale semble aussi une, aussi logique, que celle de François parait décousue et même incohérente.

Prince autrichien et flamand, souverain espagnol, empereur, catholique sincère, il était normal que Charles-Quint reprit contre la France la question de Bourgogne, qu'il combattit François Ier en Italie, qu'il luttât contre les Turcs, contre les princes allemands, contre les luthériens. Au contraire, François Ier, catholique, soutient les protestants et s'allie aux Ottomans ; souverain absolu, favorise les résistances des Allemands à l'autorité impériale, attaque en Italie le principe d'indépendance nationale, qu'il proclame pour la France.

Mais Charles-Quint menaçait toutes sortes d'intérêts que le péril commun groupait autour de François Ier. Et puis ses conceptions furent peut-être irréalisables parce qu'elles étaient arriérées et lésaient les droits des nations et des individus. François Ier au contraire, se trouva être le représentant des idées modernes, presque malgré lui. Ce qu'il y eut de grand chez Charles-Quint, ce fut la valeur de son intelligence, la sincérité de sa conviction. Il méritait presque de vaincre, mais il eût été déplorable qu'il réussit.

 

 

 



[1] Ajouter à la bibliographie du début du livre VIII, chapitre premier : Correspondance politique de Odet de Selve, ambassadeur de France en Angleterre (1546-1549), publiée par G. Lefèvre-Pontalis (Invent. analyt. du min. des Affaires étrangères), 1888.

[2] Mon fils, le retour de quelques infirmités que j'avais précédemment ressenties, le danger où je me suis trouvé tout récemment encore de perdre la vie et mon incertitude au sujet des desseins de Dieu à mon égard m'engagent à vous tracer ici la conduite que vous auriez à tenir si je venais à quitter ce monde.

[3] Pour la restauration de la liberté de la patrie allemande.

[4] On usait aussi de manifestes et de libelles : au début de 1550, Marie de Hongrie se plaignait qu'on eût permis d'imprimer en France le Parangon de vertu, qui contenait (dans son chap. XXIV) des propos diffamatoires contre l'Empereur. Le chancelier répondait qu'il n'avait, suivant l'usage, vérifié que le titre du volume et les premiers feuillets, réponse dont Marie ne se contentait point (Granv., III, 411). Le Connétable lui donna satisfaction en faisant saisir le livre et en entamant une enquête (p. 416). Voir aussi la discussion engagée à propos de La Mer des Histoires, p. 528.

[5] Chaque homme d'armes avait avec lui deux archers.

[6] Article du colonel Ed. Theillier, dans La guerre de 1557 en Picardie.

[7] Chabert, Le siège de Metz en 1552, documents relatifs à l'organisation de l'armée de l'empereur Charles-Quint, à ses travaux devant celle place.... 1850. A. Paré, Le Siège de Metz en 1552 (publié en 1847).

[8] G. Hanotaux, Origines de l'institution des Intendants des provinces, 1884.

[9] Mignet, Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, 1857. Gachard, Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste, 1852.

[10] Il se déclara très nettement pour elle contre Jeanne Gray, qu'on avait essayé de lui opposer et, après la défaite des partisans de Jeanne, il se borna à insinuer des mesures de clémence possibles : Et quant à la Jeanne de Suffoc (Suffolk), il est certain que, puisque reginam se dixit, elle mérite la mort par les lois d'Angleterre ; totales foys, si Votre Majesté luy vouloit convertir la peine de mort en relégation, et regarder si serait bon de la faire garder en lieu seur.... elle en arbitrera ce que luy semblera pour le mieulx.

[11] Jules III était mort le 28 mars 1555, Marcel II, élu le 5 avril, régna tout juste vingt-cinq jours.