HISTOIRE DE FRANCE

TOME CINQUIÈME — LES GUERRES D'ITALIE - LA FRANCE SOUS CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS Ier (1492-1547).

LIVRE III. — LE GOUVERNEMENT DE FRANÇOIS Ier.

CHAPITRE II. — LE SYSTÈME MONARCHIQUE[1].

 

 

I.— LA MAISON DU ROI ET LA COUR.

Il est à chaque instant question de la Cour dans l'histoire de François Ier. Qu'est-ce donc au juste que la Cour ? Ce terme vague ne se définit qu'à la condition d'en définir d'abord un autre plus précis : l'Hôtel ou, comme on dit aussi, la Maison du Roi. L'Hôtel est l'ensemble des services organisés pour les besoins de l'existence privée du Souverain : coucher, vêtement, nourriture, etc., ou pour la décoration de sa vie. Or, dans l'Hôtel des rois capétiens, depuis saint Louis jusqu'à François Ier, même jusqu'à Louis XIV, il n'y a guère que des différences de nuances, pas de transformations, tout juste des modifications[2].

Dès le XIIIe siècle aussi ou le mye, on rencontre la Cour, et déjà très nombreuse, très brillante, avec les mœurs, l'esprit et les habitudes qui semblent propres à cette institution. A lire sur ce point certaines poésies d'Eustache Deschamps, au XIVe siècle, on le croirait facilement contemporain de Marot ou de La Fontaine. Même l'innovation qu'on attribue à Anne de Bretagne, l'introduction des dames n'est tout au plus qu'un renouvellement[3].

Dès l'origine, il s'était fait dans l'Hôtel une division en six Métiers : panneterie, échansonnerie, cuisine, fruiterie, écurie, fourrière. Puis venait la Chambre, la Chapelle et d'autres services accessoires, avec distinction partout entre les gens de l'Hôtel, qui tenaient un rang très honorable dans la Maison du Roi, et les gens du commun chargés des besognes matérielles. Tout cela resta en vigueur ou se développa au temps de François Ier.

Le personnage le plus important de l'Hôtel est, à ce moment, le Grand-Maître de l'Hôtel, ou tout simplement le Grand-Maître. Celui qui jouit de telle dignité a surintendance sur tous les offices de la Maison du Roi ; il fait dresser tous les ans l'état de cette Maison, appointer ou désappointer les moindres offices, tel que la chose le requiert.... nul estant aux gages du Roi ne se peut licentier de l'obéissance du Grand-Maitre. Cette charge était la plus recherchée de toutes, même par les plus grands seigneurs. C'est un estai, ce Grand-Maître, dit Brantôme, qui est très beau et très honorable, que de commander à la Maison des roys, et qui porte avec soy de grands privilèges, comme chascun sçait qui a pratiqué la court. Sous François la fonction de Grand-Maître fut comme la consécration ou la condition de tout rôle politique. Ainsi le Roi, huit jours à peine après son avènement, en gratifia Boisy. Après la mort de Boisy, la charge passa au Bâtard de Savoie, oncle du Roi, puis, à partir de 1826, à Montmorency.

Les Maîtres d'Hôtel avaient, sous la surveillance du Grand-Maître, les détails de la gestion administrative ; ils présidaient aux solennités et les organisaient. Au dîner du sacre de Charles VIII, au partir de la cuisine de bouche, les trompettes et clairons alloient tous devant, sonnant mélodieusement. Après eux les roys d'armes et héraults ; après eux six Maîtres d'Hostel ordinaires, qui alloient deux à deux, et après eux François de Laval, comte de Montfort, habillé comme un pair laïc, et l'écuyer qui portoit la viande....

L'Émis Le Grand-Écuyer de France était un des personnages les plus en vue du royaume. Il ordonnait les dépenses de la grande et de la petite écurie, qui formaient une administration considérable (à eux seuls les courriers de l'Hôtel étaient 120). Il avait sa place auprès du souverain dans les batailles. Dans les solennités, il portait devant lui l'épée royale. La charge fut possédée, sous François Ier, par un prince italien, Galeazzo de Saint-Séverin et, lorsque celui-ci fut mort à Pavie, par Galiot de Genouillac, l'illustre Grand-Maître de l'artillerie de France. Le simple office d'écuyer d'écurie estoit de ce temps — vers 1540 — un très bel estat, pour avoir souvent l'oreille de son maistre, quand il va par les champs, après lequel se doit toujours tenir et le suivre partout, là où quelquefois le peut entretenir à part quand il luy plaist, et quand il le botte aussi. Quant à l'office de Grand-Veneur, il suffit de dire qu'il fut possédé par Louis de Vendôme jusqu'en 1525, puis par Claude de Guise, pour donner l'idée de son importance et de son éclat.

La Chambre tient une place à part dans l'Hôtel. Les services qui en dépendent sont en effet ceux par lesquels on approche de plus près le Roi. Le Grand-Chambrier était en titre, mais sans exercer de fonctions réelles, le chef de l'office. Sa charge fut supprimée en 1545, et le Grand-Chambellan et les Chambellans ordinaires devinrent les véritables chefs d'emploi ; ils s'occupaient de tout le matériel de la Chambre, servaient le Roi, l'assistaient à son lever, à son coucher. Cependant, au temps de François Ier, une grande partie de leurs fonctions passa aux Gentilshommes de la Chambre et le Premier Gentilhomme de la Chambre devint un personnage considérable. Un des plus grands honneurs qui soit en la Maison du Roy, pour coucher dans sa chambre et estre auprès de lui à son lever et coucher, si bien qu'à toute heure il en avoit l'oreille. Ainsi s'exprime Brantôme, et il ajoute, à propos des Gentilshommes ordinaires : Voilà un estat beau, grand, honorable, qui ne se donnoit à petites gens. On y trouve en 1533 Guillaume du Bellay Langey qui devint, en 1537, vice-roi du Piémont.

Ce sont de bien anciennes fonctions que celles des Valets de Chambre ; elles conservent, au XVIe siècle, leurs caractères et leurs prérogatives. De ces temps (de François Ier), les roys et les grands princes du sang se servoient de gentilshommes pour valletz de la Chambre, ainsi que je l'ai ouy dire à force anciens. Ce témoignage de Brantôme est confirmé en ce qui concerne la charge du Premier Valet de Chambre, puisque Montmorency en fut pourvu. Pourtant, on voit surtout figurer, parmi les Valets de Chambre ordinaires, des artistes ou des écrivains : les poètes Clément Marot, Macrin, l'érudit Castellanus, le peintre Jehannet Clouet. Dans les services de la Chambre sont compris les Pages, pris parmi les enfants nobles et placés sous les ordres d'un gouverneur.

Enfin il y avait plusieurs Médecins et Chirurgiens du Roi. Le Premier Médecin (qui fut pendant presque tout le règne Louis Burgensis) et le Premier Chirurgien devaient résider constamment à la Cour.

De tout temps, les souverains avaient constitué une ébauche de Maison militaire : des chevaliers d'honneur, des chevaliers appelés à tenir la bride du Roi. Au XVe siècle, l'organisation se précisa. Au premier rang se plaçaient les 200 gentilshommes de la Maison du Roi, qui servaient semestriellement, 100 par 100, et étaient commandés par deux capitaines. Ensuite, 400 archers de la garde, 100 hommes de la garde suisse, 100 de la garde écossaise. C'étaient là de véritables corps d'élite, qui de la Cour passaient aux camps, dès qu'une guerre éclatait. La police de l'Hôtel appartenait au Capitaine de la Porte, assisté d'un lieutenant, et au Grand-Prévôt de l'Hôtel.

L'Aumônerie et la Chapelle se composaient du Grand-Aumônier, devenu en 1543 le Grand-Aumônier de France, chargé de recevoir les serments de fidélité des ecclésiastiques, d'assister le souverain aux processions, de distribuer les aumônes, de baptiser, marier les fils et filles de France ; du Premier Aumônier, son suppléant, et d'un certain nombre d'aumôniers ordinaires, d'un confesseur, de chapelains et de clercs. Un corps de musique était attaché à la Chapelle. François Ier le développa par une ordonnance de 1543.

Dans la Maison de la Reine se trouvent, à côté des officiers, les Dames et les Filles d'honneur. La reine Anne avait, parait-il, 9 dames et 35 à 40 filles d'honneur. Au temps de François Ier, la Reine et les Filles de France en eurent un plus grand nombre. En 1538, Tl demoiselles de la Maison de Mesdames reçurent des robes et objets d'habillement, pour 10 152 livres tournois. Les plus grands noms de France figuraient dans ces listes, où se dissimulaient souvent les maîtresses du Roi ou des princes : par exemple la duchesse d'Etampes et Diane de Poitiers. Brantôme ne tact pas ce mélange, qui n'est pas pour lui déplaire. Ce n'estoit, dit-il, que dames de maison, demoiselles de réputation, qui paressoient en la Cour comme déesses au ciel. Et, si elles se laissaient aller à accueillir l'amour du Roi ou des courtisans, cette galanterie polie ne valait-elle pas mieux, ajoute-t-il dans un langage qu'on est obligé d'adoucir, que la grossièreté du temps jadis, alors qu'on admettait à la suite des rois des femmes qui faisaient métier de débauche[4] ?

Voilà l'Hôtel ; il contient par ses offices de quoi constituer une Cour. Mais la Cour comprend aussi toutes sortes de personnages qui vivent auprès du Roi, qu'ils y soient appelés par leurs fonctions, comme les Grands Officiers de la couronne et les membres des Conseils ; par leur naissance, comme les princes du sang ; par la familiarité avec le souverain ou par des intérêts, comme beaucoup de nobles. C'est là une population flottante extrêmement nombreuse, qui s'accroît de plus en plus. Elle vit des bienfaits du Roi, sous la forme de dons, de pensions, de privilèges de toute sorte.

Les dépenses de ces différents services s'élevèrent extrêmement haut sous le règne de François Ier. Les relations des ambassadeurs vénitiens évaluent le total des dépenses à 1 500.000 écus par an, sans qu'on puisse en rabattre un denier. On ne s'en étonne pas, ajoutent-ils, quand on voit le train du Roi che é profusissimo et senza regola alcuna[5].

D'après les Comptes royaux, les cent gentilshommes de l'Hôtel coûtaient, entre 1532 et 1535, 43.000 livres tournois par an ; les officiers et domestiques ordinaires de l'Hôtel, 210.000 livres ; les archers de la garde, 29000 livres ; les menus plaisirs étaient taxés à 24.000 livres, et le Roi recevait en plus 120000 livres pour ses besoins personnels. Au chapitre des pensions, le duc de Vendôme touche 24.000 livres, M. d'Albany 12.000, M. de Saint-Paul 14.000, M. de Sedan 10.000, M. de Fleuranges 10.000, M. de Genouillac, le prince de Melphe 10.000[6]. Lors donc que l'ambassadeur vénitien parle de 600.000 livres de pensions, le chiffre est très vraisemblable. Il fait en outre observer qu'aux dépenses ordinaires s'en ajoutent souvent d'extraordinaires : cérémonies, entrées de princes : ce qui est également confirmé par des comptes officiels. L'entrevue d'Ardres en 1520, si célèbre sous le nom d'entrevue du Camp du Drap d'Or, chargea le budget royal pour plus de dix ans. Celle de Boulogne, en 1532, ne fut guère moins onéreuse. Le tournoi de 1533 pour l'entrée solennelle de la reine Éléonore coûta au moins 20000 livres. Les frais pour la réception de Charles-Quint en 1540 dépassèrent 93.000 livres[7].

Les résultats économiques du développement de l'Hôtel et de la Cour se répercutaient jusqu'aux extrémités du corps social. A côté des dons d'argent, il faut mettre les dons d'offices, qui se comptent quelquefois par centaines dans une seule année, et sont accordés à tout le monde, aux femmes aussi bien qu'aux hommes, aux serviteurs inférieurs tout autant qu'aux personnages notables C'est une dissipation, au profit de quelques-uns et à la charge de tous, des fonctions administratives ou, pour mieux dire, des avantages pécuniaires qui y sont attachés. L'ambassadeur vénitien dit qu'en 1535 on avait résolu de ne plus donner d'offices, mais qu'auparavant ils servaient à gratifier les seigneurs et tous les serviteurs du Roi. Il a raison d'ajouter que la décision était prise per un tempo, car elle ne dura pas. Tout le règne est plein d'ordonnances de ce genre aussitôt violées que décrétées.

Après les offices viennent les privilèges et les exemptions. Exemption de toutes sortes de contributions et du logement des gens de guerre, en faveur des officiers domestiques et des commensaux de la Maison du Roi, en faveur des capitaines et archers de la garde et même en faveur des marchands et artisans suivant et fournissant la Cour.

A cette vie de Cour, qui commence à prendre tant de place dans la vie nationale, un cadre régulier manqua pendant longtemps sous François Ier. Jusqu'en 1530 et même après cette date, le Roi n'avait pas de châteaux en état de recevoir un grand nombre d'hôtes. A Paris, le Palais appartient au Parlement ; le Louvre de Charles V est étriqué et en mauvais état, il y faut faire des réparations[8]. Hors de Paris, les nouveaux bâtiments de Blois sont en construction ; Amboise est bien petit ; Chambord est inachevé ; Villers-Cotterets et le château de Madrid sont à peine commencés ; Fontainebleau ne sera vraiment habitable et ne se meublera qu'à partir de 1537. On est donc partout dans le provisoire, en camp volant.

Cela d'ailleurs était bien dans les goûts du Roi. Nous avons vu quelle était sa facilité à se déplacer. Il en résulta pour sa Cour une physionomie particulière. Les pérégrinations, avec tous leurs hasards, se prêtent plus difficilement à l'observation de l'étiquette ; les relations habituelles du Roi avec les courtisans furent par là plus familières. Les voyages se faisaient à la façon d'une émigration, comme sous les Mérovingiens ou les premiers Capétiens. Le Roi, les grands seigneurs, les dames allaient à cheval ou en litière. Une file de charrettes, de chevaux, de mulets, suivait., avec des serviteurs de toute sorte. Comme on ne savait pas au juste où l'on s'arrêterait, il fallait emporter des tentes pour coucher au besoin en plein air — ce qui arriva quelquefois. Et comme on logeait souvent dans des châteaux où il n'y avait que des murs nus, on faisait transporter les tapisseries, les meubles, la vaisselle. Il existait[9] pour cela, de tout temps, un service spécial. Malgré ces déplacements, il y avait un grand déploiement de luxe. Brantôme dit que sous François Ier, dans un village, dans des forêts, l'on y estoit traicté comme si l'on fust esté dans Paris.... Et tous les jours porter tout un attirail de court, et la voir marcher comme nous l'avons veue, c'est une chose incroyable à qui ne l'a veu ! Malgré tout, on ne sentait pas là le luxe correct, formaliste, d'une maison stable. Il faut ajouter que les événements contribuèrent à maintenir les choses dans cet état à demi inorganique : guerres incessantes, expéditions en Italie, captivité de Madrid.

En, réalité donc, la Cour de François Ier n'a pris son assiette au plus tôt que dans la seconde partie du règne. Cela n'empêche pas que le régime, combiné avec l'esprit particulier du souverain, ait produit dès la première des résultats importants. Le Roi eut autour de lui un très grand nombre de seigneurs et de nobles, attirés par sa bonne grâce, sa séduction personnelle, par la facilité et le charme de la vie, par l'espoir des faveurs, par la nécessité même, car la noblesse était en général pauvre. Ce monde tendit à se séparer de la nation et à en séparer le monarque. Cela éclate dans tous les détails de l'histoire intime ou publique du règne, tout spécialement au retour de Madrid, où l'on ne voit autour de François Ier que sa noblesse, avec laquelle il vit à l'écart, à Saint-Germain.

 

II. — LES ÉLÉMENTS DU GOUVERNEMENT[10].

FRANÇOIS Ier fut un souverain absolu.

Dans le développement de l'autorité monarchique au XVIe siècle, on a voulu trouver — comme dans tout ce qui se passa en France à la même époque — l'influence de l'Italie. Ce pays sans doute était un arsenal de doctrines de despotisme ou, pour mieux dire, offrait toutes sortes de spécimens de tyrannie. Mais les souverains français n'avaient pas attendu le principat italien pour fortifier leur pouvoir, dont le fondement d'ailleurs est tout différent. Au contraire, il faut faire une grande place, dans cet ordre de choses, au Droit romain. A la fin du XVe siècle et pendant les premières années du XVIe, le nombre des juristes que la royauté alla chercher dans le Midi, dans les pays de Droit écrit, est considérable. Ils apportèrent des théories et les appliquèrent : c'étaient celles du Digeste et du Code. Ils imprimèrent à l'action de la royauté la tournure juridique de leur esprit. François Ier avait en cette matière des instincts plutôt que des principes ; mais il laissa faire ces conseillers qui servaient si bien sa passion d'autorité[11].

Pourtant l'organisation gouvernementale resta encore fort empirique, et le gouvernement fut surtout un gouvernement de Cour. On a vu combien le Roi se laissait facilement prendre à ceux qui l'entouraient ; en outre, il avait fort peu le sens administratif. D'ailleurs, le partage entre les agents de l'Hôtel et les agents politiques restait encore très indécis. Les futurs ministres de la Royauté, les Secrétaires n'étaient chargés que de dresser les actes délibérés en Conseil. Seul le Secrétaire signant en finances avait quelques fonctions actives. Encore cet office était-il partagé entre plusieurs personnages, trois au moins en 1532.

C'étaient les grandes charges anciennes qui conféraient une part dans la direction des affaires. Estoient par-dessus tous cinq estats les plus estimés : le Chancelier, Grand Chambellan, Grand Maistre, Grand Escuyer et Connétable. Ainsi s'exprime Pasquier, et il ajoute : Tout ainsi que le Connétable, entre les estats militaires, obtient le premier rang et degré, ainsi nostre Chancelier est réputé le chef de tous les estats de justice. Cette liste donnée par Pasquier est celle des hauts fonctionnaires de l'Hôtel : par là se maintient la confusion entre les services de cour et de gouvernement, mais il faut en outre remarquer que François Ier, pas plus que ses prédécesseurs, ne s'est astreint à attacher le pouvoir politique à telle ou telle fonction. Suivant ses amitiés ou ses convenances, il l'a donné, avec Boisy et Montmorency, à la Grande-Maîtrise, avec Brion à l'Amiralat, dont Pasquier ne parle même pas. Robertet, simple Secrétaire en finances et Trésorier de France, a la haute main partout, non en vertu de son office, mais parce qu'il est personne agréable ; ses successeurs retombent dans l'obscurité. Semblançay, intendant des finances, exerça un moment de véritables fonctions ministérielles. Personne n'agit plus sur la politique que le chancelier Duprat ; il n'en fut pas de même des chanceliers qui vinrent après lui.

Les délibérations politiques étaient réservées aux anciens Conseils, qui continuèrent à se subdiviser et à se spécialiser, sans que cette subdivision et cette spécialisation fussent encore bien précises. Le Conseil du Roi, Conseil étroit ou Conseil privé, continua d'être consulté sur les affaires de gouvernement et d'administration. Il se composait de princes, de seigneurs, de nobles, appelés d'une façon intermittente par le souverain, et de conseillers fixes. Le Grand Conseil proprement dit en était déjà séparé depuis assez longtemps[12] ; il ne comprenait que des conseillers permanents. Le premier de ces deux corps était ordinairement présidé par le Roi, le second par le Chancelier.

 Bien que le Conseil étroit fût presque entièrement à sa dévotion, François Ier lui substitua peu à peu un autre Conseil bien plus intime : le Conseil des Affaires, qui devint prépondérant à la fin de son règne. Quelques personnages en faveur, cinq ou six tout au plus, y délibéraient avec lui. On y entrait sans nomination officielle, sur un mot du Roi. Je vous avertis, écrivait en 1530 Brion à Montmorency, que nous avons un compaignon de crue aux affaires du Roy, qui est Monsieur le Cardinal de Loreigne... et fut la chose bien soudénement faite.

Les relations des ambassadeurs vénitiens donnent des détails qui, bien que se rapportant aux années 1554 et 1561, peuvent s'appliquer en grande partie à l'époque antérieure. Le Conseil des Affaires est celui dans lequel se traitent les matières d'État. Il se compose de peu de tètes, des plus intimes et des plus chères au Roi, quelquefois même d'une seule, comme le Connétable, du temps du roi Henri, et le cardinal de Lorraine, du temps du roi François. Ce Conseil est nouveau et fut introduit parle roi François Ier[13], qui avait en haine les conseils trop nombreux, et qui fut le premier à prendre de son chef les grandes décisions. — Ainsi le Conseil des Affaires est celui où le Roi exerce son pouvoir absolu, et le Conseil Privé, celui où il exerce son autorité ordinaire. En 1554, l'ambassadeur ne cite au Conseil des Affaires que quatre personnages, et il dit qu'on s'y occupe de la guerre ou de la paix, des armées, des approvisionnements, des finances.

Pourtant François le, suivant les circonstances, s'adressa tantôt au Conseil des Affaires seul, tantôt au Conseil des Affaires et au Conseil Privé réunis En 1536, au moment de la déclaration de guerre à Charles-Quint, aucuns de son Conseil ordinaire et autres pour lors il voulust y faire appeler, pour estre à la délibération de ses affaires. Il y a donc là deux corps délibérants, dont la différence se saisit fort bien dans quelques épisodes. Pendant la campagne de 1536, des nouvelles importantes arrivent : Le Roy, sur ces nouvelles..., après en avoir conféré avecques aucuns de ses plus privez et qui avoient le principal maniement de ses affaires, fist assembler son Conseil, et proposant premièrement les choses ainsi qu'elles passoient, les mit en discussion. Deux avis furent présentés. François Ier tint alors un assez long discours, aux déclarations duquel tous les Conseillers se rallièrent. Après la retraite de l'Empereur battu en Provence, il assembla son Conseil (le Conseil Privé) et meit en délibération de savoir s'il devoit, en suivant sa première intention, passer jusqu'en Italie. Mais il fut advisé par le Conseil... que de passer en Italie de sa personne, aiant l'hyver déjà si près, ne sembloit raisonnable.

Quelquefois le Roi réunissait des notables ; il composait une sorte d'assemblée improvisée, avec des gens des bonnes villes, des membres des corps judiciaires ou du clergé, des seigneurs et des gens de son Conseil. Mais il ne s'adressa pas aux États Généraux.

C'est donc bien le Conseil des Affaires qui devient le véritable corps délibérant de la Royauté. Comme on l'a dit[14] : On a répété à satiété que le XVIe siècle avait vu la monarchie française faire un grand pas dans la voie du gouvernement absolu. Nous doutons qu'on ait indiqué l'un des moyens les plus efficaces employés par les derniers des Valois... moyen qui consistait à soustraire la politique aux regards du Conseil ordinaire, trop mêlé, trop indépendant.

Un autre moyen très efficace fut le développement donné à l'exercice du droit de justice, auquel la Royauté, dès le moyen-âge, avait dû de si importants progrès. Car la justice constituait une prérogative de sa souveraineté autant qu'un devoir de sa fonction ; prérogative d'autant plus précieuse qu'elle se confondait à chaque instant avec le pouvoir de légiférer ou de gouverner. Le Conseil privé, le Grand Conseil, les Parlementa, les Chambres des aides et des comptes, qui assistaient le Roi, avaient à la fois des pouvoirs judiciaires, législatifs, administratifs, et les exerçaient en son nom.

Le Grand Conseil était à la fois tribunal administratif, tribunal d'appel, chambre de cassation. Le Roi ne cessa pas d'étendre sa compétence. Il lui attribua, par des édits ou ordonnances de 1527, 1531, 1533, la connaissance exclusive des matières bénéficiales et le jugement de tous les procès relatifs aux archevêchés, évêchés..., sans que le Parlement puisse élever aucune prétention à cet égard : il lui remit ainsi toute l'application du Concordat. En 1529, il lui réserva le jugement de tous les procès élevés à l'occasion des offices royaux, sans aucuns en réserver. En 1539, il régla sa procédure.

Le Grand Conseil était le plus souvent saisi des affaires par le système des évocations royales, qui les enlevaient aux corps réguliers. Elles se comptent sous François Ier par milliers. Elles sont tantôt générales, tantôt spéciales à un cas : tous les corps de justice du royaume sont atteints, à propos des matières les plus diverses. Évocation de causes pendantes au Parlement de Toulouse, à raison du barrage de la Garonne à Muret, aussi bien qu'au sujet des différends de ce Parlement avec la Chambre des comptes de Montpellier ; évocation de procès engagés au Parlement de Bordeaux, lors de la rebellion de certains habitants ; d'un procès pendant au Parlement de Paris, entre le sieur d'Entraigues et Louis de Vendôme — là il s'agit de décider si la connaissance en sera maintenue audit Parlement ou renvoyée à celui de Rouen — ; évocation du procès commencé au Parlement de Paris contre Berquin, voilà quelques cas particuliers à titre d'exemples. Le rôle du Grand Conseil, dit M. Valois, fut d'abord de favoriser la politique religieuse des rois... puis en bien des cas de plier la justice aux fantaisies du Gouvernement. Sa présence à la suite de la Cour garantissait sa dépendance. Il fut un instrument docile dans la main des rois absolus.

Les Chambres des cooptes et des aides, les Parlements[15] gardaient encore quelque chose des attributions multiples qu'ils devaient à leur origine, c'est-à-dire au temps où la Cour du Roi les englobait dans son unité inconsistante et mal définie. Mais, bien que les Chambres des aides ou des comptes ou certains Parlements de province aient eu parfois, sous François Ier, une action dans les affaires publiques, elle n'a été qu'intermittente ou secondaire.

Seul, le Parlement de Paris appartient à l'histoire générale. En politique, il fut avant tout le défenseur du principe monarchique. Les parlementaires, très imbus de l'idée romaine de l'État, luttaient contre les débris de la Féodalité, parce qu'elle faisait obstacle à l'unité ; contre l'Église, quand elle était en opposition avec le Roi ; contre les hérétiques, qui pour eux étaient des révoltés. Mais, en même temps, ils étaient attachés à certaines libertés traditionnelles et les défendaient au besoin contre le souverain lui-même. Il leur arrivait ainsi de lutter contre le Roi au nom de la Royauté.

Ainsi le Parlement proteste très énergiquement contre le Concordat, qui lui semble contraire aux libertés traditionnelles de l'Église de France ; il proteste contre les pouvoirs donnés à la Régente en 1523-1524, qui lui paraissent attentatoires aux lois fondamentales du royaume ; il résiste à François Ier, quand il s'agit de défendre la fortune royale contre les profusions, et à chaque instant il refuse d'enregistrer des lettres de dons, malgré des ordres réitérés. Enfin, dans les affaires religieuses, loin d'être l'agent du souverain, il est entraîné par ses propres passions et par ses convictions jusqu'à méconnaître les volontés et les sentiments du Roi. Cela apparaîtra plus d'une fois dans l'histoire de la Réforme. L'action du Parlement était facilitée par la situation, en partie nouvelle, où il se trouvait. L'inamovibilité acquise en 1467, la vénalité, qui s'introduisait déjà dans les faits sinon dans le droit, laissaient au Roi moins de part dans le choix de ses membres, tandis que leur nombre croissait par de perpétuelles créations. Le droit d'enregistrement restait toujours le moyen d'action du Parlement, mais sans cesse menacé[16].

On sent très bien que les rois hésitèrent entre des sentiments contradictoires à l'égard de cette grande assemblée. Ils se rendaient compte qu'elle était utile à leur pouvoir, bien qu'ils la trouvassent gênante pour leurs caprices ou leurs passions ; ils la redoutaient et ils s'en servaient. Dans les circonstances critiques, François lei cherchait auprès d'elle un appui moral : per exemple, à propos de la trahison du connétable de Bourbon ou lorsqu'il voulut rompre le traité de Madrid. Seulement, dans ce cas, il y appelait les Pairs et mêlait même des notables aux magistrats : c'était presque la vieille Cour des premiers Capétiens qui reparaissait. D'autre part, il employa les membres du Parlement aux affaires publiques : ambassades, délégations administratives, etc. Le président de Selves négocia à Calais en 1521, devint membre du Conseil de régence, prit part à la préparation du traité de Madrid, puis retrouva ses fonctions présidentielles. Ce n'est là qu'un exemple parmi beaucoup d'autres.

Cependant François Ier fut plutôt porté à affaiblir le Parlement. Il y fut aidé par les conflits perpétuels que faisait naître, entre celui-ci et les Chambres des comptes ou des aides, la définition insuffisante des fonctions ou des prérogatives. Il développa les attributions du Grand Conseil et multiplia les évocations, — on vient de le voir — ou bien il composa avec les membres mêmes du Parlement des commissions extraordinaires, qui restreignaient le droit de justice du corps tout entier. Souvent aussi il traita fort durement les parlementaires : bien des magistrats furent arrêtés pour des actes d'indépendance et privés de leur charge. Les chanceliers, tout particulièrement le chancelier Duprat, usèrent sans scrupules de ces mesures.

Mais, en somme, le Parlement a beaucoup aidé François Ier : il a plus d'une fois frappé ses ennemis, il a assuré l'ordre, il a étendu jusqu'aux extrémités du royaume l'autorité monarchique, il n'a jamais manqué à la Royauté, quand elle a demandé son appui contre l'étranger. II a servi la cause nationale et cependant, par la force des choses, il allait de plus en plus s'éloignant du Roi et de la nation : du Roi, parce que le régime du bon plaisir ne s'accordait pas avec l'idée qu'il se faisait de l'institution monarchique ; de la nation, parce que la vénalité et bientôt l'hérédité firent de lui un corps fermé. Il commençait à se trouver en l'air entre le souverain et le pays.

 

III. — L'AFFAIRE DU CONNÉTABLE DE BOURBON[17].

LES maisons d'Orléans et d'Angoulême étant successivement arrivées à la couronne, avec Louis XII et François Ier, il ne restait plus, en 1515, qu'une famille puissante : celle des Bourbons, qui tenait de près aux Capétiens et que les rois eux-mêmes avaient imprudemment contribué à grandir. L'affaire du connétable Charles de Bourbon est donc plus qu'un épisode tragique de l'histoire de François Ier ; c'est comme le dernier phénomène de la longue lutte entre les souverains de France et leurs grands vassaux apanagés ou non.

Pierre de Beaujeu et sa femme Anne, celle-ci surtout, avaient poursuivi avec une âpre ténacité l'agrandissement de leurs domaines. Les résultats de leurs efforts furent compromis, parce qu'ils n'eurent qu'une fille, Suzanne, née en 1491. Après la mort de son père, elle épousa en 1505 son cousin issu de germain, Charles de Bourbon, le futur connétable. Ce mariage réunissait les deux branches des Bourbons proprement dits et des Montpensier. C'était tout le centre de la France entre les mêmes mains[18]. Louis XII ne parait point y avoir vu un danger, ni François Ier tout d'abord, puisqu'il fit de Charles de Vendôme, qui appartenait à la troisième branche, un duc et pair en février 1515, et nomma Charles de Bourbon Connétable de France, Grand-Chambrier, Gouverneur du Languedoc et de Milan. Il l'emmena avec lui en Italie.

Vers 1520, il n'y avait pas dans le royaume une situation plus grande ni plus éclatante que celle du Connétable. Il était duc de Bourbon, d'Auvergne et de Châtellerault, comte de Clermont en Beauvaisis, de Montpensier, de Forez, de la Marche, de Gien, de Clermont en Auvergne, dauphin d'Auvergne, vicomte de Carlat et de Murat, seigneur de Beaujolais, de Combrailles, de Mercœur, d'Annonay, de Roche-en-Reinier, de Bourbon-Lancy, prince de Dombes. Il tirait de ces domaines des revenus immenses ; du Roi, il touchait par an 56.000 livres à titre de faveurs, de charges ou de pensions de cour. Il avait le pas sur tous les seigneurs, maréchaux et princes du sang[19]. En qualité de Connétable, il commandait l'armée.

Le centre de son gouvernement avait été fixé à Moulins ; à dix lieues de la ville se dressait le château de Chantelle, à la fois place forte et demeure de plaisance. Les institutions administratives des domaines des Bourbons étaient à peu près calquées sur celles du roi de France ; le duc avait un Hôtel considérable : un capitaine des archers de la garde, des chambellans, des écuyers, des gentilshommes et pensionnaires de l'Hôtel, vingt-quatre pages, des hérauts d'armes, des panetiers, écuyers, échansons, etc. II rendait la justice, sous réserve de l'appel à la justice royale ; il nommait un chancelier, il avait des maîtres des requêtes. Il levait des soldats dans la plupart de ses domaines ; il groupait autour de lui toute une clientèle de vassaux obligés au service féodal, de nobles attirés par ses largesses ou par la somptuosité de sa vie. Il avait à sa solde des écrivains et des artistes[20]. A cette grandeur matérielle s'ajoutait chez le Connétable une intelligence très vive, très active, plus apte à entreprendre, il est vrai, qu'à poursuivre. Puis une grande séduction : les portraits montrent une physionomie douce, agréable, avec des yeux très ouverts. Au moral, une ambition inquiète, un orgueil âpre. Anne de Beaujeu, qui aimait passionnément sa fille et qui vivait très étroitement avec son gendre, contribua sans doute à exagérer en lui ces défauts de caractère. Elle était amère, égoïste, convoiteuse et habituée à voir grand, pour avoir exercé le pouvoir pendant les premières années du règne de Charles VIII.

La mort de Suzanne, en 1521, ruina cette puissance, élevée à grands efforts depuis plus d'un siècle. Les trois enfants qu'elle avait eus étaient morts en bas âge et, bien qu'elle eût fait un testament en faveur de son mari, la succession prêtait aux difficultés les plus graves. En effet, les domaines qui la composaient étaient, comme la plupart des domaines seigneuriaux, réunis par des liens factices : ils provenaient d'héritages, de donations faites par contrats de mariage et chargées souvent de conditions résolutoires. A plusieurs reprises, au me et au XVe siècle, les membres de la famille, pour faire modifier des clauses qui leur étaient défavorables, avaient eu besoin de la royauté, l'avaient fait par là intervenir dans leurs affaires. Ainsi, une transaction, signée en 1400 avec Charles VI, avait réservé à la couronne presque tous les domaines des Bourbons, en cas d'extinction de la descendance masculine. Cette clause avait été renouvelée au contrat de mariage de Pierre de Beaujeu avec Anne de France, en 1474. Il est vrai que Charles VIII, en 1488, puis Louis XII, en 1498, l'avaient annulée, en déclarant que les filles à naître du mariage seraient aptes à hériter des duchés de Bourbonnais et d'Auvergne et du comté de Clermont en Beauvaisis.

Mais si l'on considérait les concessions de Charles VIII et de Louis XII comme non avenues, — et le Parlement, toujours soucieux des droits de l'État, n'avait consenti à les enregistrer qu'après plusieurs lettres de jussion[21] — trois prétendants pouvaient se présenter pour la succession de Suzanne, à l'encontre du connétable. On distinguoit les biens de la Maison ducale de Bourbon en trois sortes : les uns venant originairement du domaine de la Couronne et provenant d'apanages des Enfants de France, comme le duché d'Auvergne et les comtés de Clermont en Beauvoisis et de Montpensier, et ceux-là revenoient purement et simplement à la Couronne par droit de réversion [en leur qualité d'apanages] ; les seconds, aussi réversibles à la Couronne comme attachés à la lignée masculine [en vertu de conventions particulières], tels qu'étaient les duchés de Bourbonnais et de Châtelleraut ; et les derniers propres et patrimoniaux et transmissibles aux filles aussi bien qu'aux milles, comme le comté de Forez et baronnie de Roannois, et les baronnies de Beaujolois et des Dombes, et plusieurs autres grandes seigneuries[22].

Le Roi réclamait les biens apanages, Madame revendiquait les fiefs non masculins et même une partie des autres, comme petite fille de Charles Ier de Bourbon et par là plus proche héritière de Suzanne que le Connétable. Même des La Roche-sur-Yon, comme représentants des Vendôme, faisaient valoir leurs droits sur certains domaines.

La question fondamentale était bien celle des droits de la Couronne sur les biens apanages, et le procès fut surtout un procès politique, poursuivi pour abattre un prince trop puissant. Que le Roi ait mêlé à ces grandes questions un sentiment de jalousie personnelle contre un prince jeune, brillant comme lui, populaire et cité comme un héros, et Louise de Savoie, la rancune d'une passion mal accueillie par le Connétable, cela est secondaire. Au reste, les problèmes si délicats qui allaient s'agiter ne devaient être jugés ni en droit ni en équité, même — ou surtout — en tombant aux mains des gens de loi. Après tout, c'était de cette façon, c'est-à-dire en invoquant des droits plus ou moins fondés et en se couvrant d'apparences juridiques, mais dans des conditions moins dramatiques et avec des adversaires moins capables de résister, qu'avaient été acquis bien des domaines seigneuriaux, la Provence, par exemple.

La cause s'engagea devant le Parlement de Paris en janvier 1522 ; elle se continua pendant toute l'année et jusqu'en août de l'année suivante. Pendant qu'elle se plaidait en grande pompe, Madame Anne mourut, le 11 novembre 1522, après avoir renouvelé la donation de tous ses biens à son gendre. Mais, sans attendre l'arrêt de la cour, le Roi fit donation à sa mère de la Haute et Basse-Marche, de Carlat et de Murat, qui étaient en litige, et fit prononcer la mise sous séquestre des autres domaines. Là paraît bien être l'iniquité réelle, d'autant plus qu'on savait trop ce que signifiait la mise sous le séquestre royal, et combien de temps elle durait. Le duché de Nevers y demeurait encore depuis Louis XII, sous prétexte d'une action judiciaire engagée. J'estime que l'arrest estoit juste, dit Pasquier, encores qu'un espinocheur pourroit par avanture dire qu'il n'y avoit pas grand lieu de séquestrer. Il ajoute : Quand un arrest est passé, je seray des disciples de Pythagoras : il l'a dit, doncques il faut y ajouter foi.

Il y avait une imprudence dans un acte pareil, au milieu des circonstances que traversait la France. La guerre avait commencé avec Charles-Quint en 1321. En 1322, elle avait été marquée par la défaite de Lautrec à la Bicoque et par l'invasion des Anglais en Picardie. Était-il sage de pousser à bout le Connétable, qui paraît avoir été pendant quelque temps disposé à s'en remettre au Roi ?

Cependant Bourbon avait déjà eu quelques rapports avec l'Empereur, dès 1519, et avait même obtenu de lui une somme de 100.000 livres, en dédommagement d'un duché que les Montpensier avaient possédé dans le royaume de Naples. Il avait été ensuite question, après 1521, de son mariage avec Éléonore, sœur de Charles-Quint. Enfin la duchesse Anne lui avait conseillé, quelque temps avant de mourir, de prendre l'alliance de l'Empereur. En 1322, les premières négociations relatives à la trahison furent entamées ; elles se poursuivirent de mai à juillet et reprirent d'une façon plus serrée en 1523. L'historien de Charles-Quint, Baumgarten[23], constate que presque tout le monde les connaissait en dehors de France ; il s'étonne à juste titre de l'inaction du Roi, et va jusqu'à en chercher la raison dans la crainte que celui-ci aurait eue des mécontentements excités par le procès dans le royaume.

Mais Bourbon ne se décidait pas davantage. Entouré de tout plain de jeunes gens d'assez mauvais conseil et de quelques évêques, qui l'incitoient plustôt à mal faire que bien, il reculait (par scrupule ou par faiblesse) devant les actes décisifs. Pourtant le gouvernement royal prenait quelques mesures qui, dictées sans doute par les nécessités générales, resserraient le cercle autour du Connétable. En juin 1323, défense de laisser sortir aucun courrier non muni de lettres signées du Roi ; visite de toutes les missives et des paquets envoyés à l'étranger. Beaurain, qui servait d'agent à l'Empereur auprès du Connétable, n'en arriva pas moins à Montbrison ; il vit le duc, Saint-Vallier et quelques autres complices et, le 18 juillet, l'accord définitif fut rédigé. Le Connétable et Beaurain jurèrent sur les Évangiles de l'observer. Un des complices fut envoyé vers l'Empereur. Le Connétable fit munir de canons Chantelle et Carlat ; il ordonna partout des levées d'hommes.

François Ier se préparait à se rendre en Italie. Au commencement d'août 1523, alors qu'il venait d'arriver à Saint-Pierre-le-Moûtier, il fut subitement prévenu du complot par une lettre du Grand-Sénéchal de Normandie, qui en avait eu connaissance indirectement. Il écrivait à sa mère : Puisque je suys averti, je croy que je leur ferè fayllir leur entreprise... je sesjourne en ce lieu de Saint-Pierre-le-Moûtier, disant que j'ay un peu mal à la jambe... toute la nuyt j'ay envoyé Perrot, qui en a rassemblé une bonne bande (de lansquenets), que j'ay fait venir auprès de moy, de sorte qu'à cet heure, jè plus de moyens de leur fère un mauvais tour qui n'ont à moy. Pendant que François Ier faisait le malade, Bourbon l'était véritablement, ce qui explique des deux côtés l'inaction. Le Roi et son vassal, chose étrange, se virent à Moulins. Charles, à qui François Ier parla du complot, affirma qu'il avait rejeté toutes les propositions des ennemis de la France ; François Ier temporisa et quitta Moulins pour Lyon. Mais il s'y arrêta et renonça à passer en Italie, envoyant message sur message à Bourbon, pour l'appeler auprès de lui.

 Il ne signa que le Il septembre les lettres pour l'arrestation du Connétable. Celui-ci s'était résolu à la fuite, trois jours avant. Il erra dans les montagnes d'Auvergne ; puis par le Viennois, le Dauphiné, la Bresse, il arriva à Besançon, le 9 octobre, après avoir couru sur la route toutes sortes de hasards.

 François Ier cependant était fort inquiet. Outre que Bourbon avait eu dans ses domaines des complices nombreux, l'opinion en France était incertaine. Beaucoup jugeaient inique le procès engagé ; le Parlement lui-même avait été très hésitant au cours des premiers débats. Les échecs subis dans les campagnes de 1522 et 1523 avaient irrité la nation, surchargée d'impôts. Aussi on prit partout des mesures de police ; on fit fouiller des maisons, arrêter des suspects.

 Dès le mois de décembre 1523, les principaux complices du Connétable, parmi lesquels Saint-Vallier, Aymar de Prie, d'Escars, furent renvoyés au criminel devant le Parlement de Paris, avec pouvoir de procéder contre eux par torture et itération de torture, si besoin est. Saint-Vallier, le principal accusé, fut condamné en janvier 1524 à la peine de mort, mais gracié en considération des services rendus par son gendre, le Grand-Sénéchal de Normandie (qui avait dévoilé la conspiration)[24]. Les autres complices furent condamnés au cours de l'année 1524. Un grand nombre finirent par être graciés aussi.

Le procès criminel contre Bourbon fut commencé, le 8 mars 15U, au Parlement de Paris. Le 8 mai, le Roi, sous prétexte de récusations qui restreignaient par trop le nombre des juges, leur adjoignit des membres de Parlements de province. A vrai dire, Bourbon fut jugé par une commission extraordinaire, plus d'une fois gourmandée par François Ier pour ses lenteurs. Pendant l'année 1524, elle se borna à des arrêts de défaut.

En 1525, la défaite de Pavie et la captivité du Roi donnèrent à l'affaire une nouvelle tournure et le Parlement suspendit toute procédure, en attendant le règlement des questions politiques. Même à ce moment, l'opinion ne se prononçait pas contre Bourbon aussi fortement qu'on l'a cru. De présent, il a d'amys en France plus que jamais, écrivait-on dans une lettre au Cardinal d'York. D'un autre côté, Charles-Quint avait pris la cause en main, et c'est à Madrid qu'elle fut discutée, au milieu des négociations si épineuses qui se prolongèrent entre les deux cours. Alors, Bourbon, Saint-Vallier et les autres traitèrent d'égal à égal et présentèrent non plus des aveux ou des excuses, mais des revendications. Saint-Vallier ne se contentait plus de la grâce, il réclamait sa réhabilitation et la restitution de ses biens.

Dans les articles proposés d'abord par Charles-Quint pour le traité, on lit des clauses comme celles-ci[25] : Mr de Bourbon et ses complices, condempnez pour rébellion, retournent en leurs biens confisquez. — Facille (répond le Roi), vuidant les aultres points. — Le procès de Madame demeure suspendu la vye durant du dict Bourbon. — Facile. — Le dit Bourbon demeure exempt du service et des devoirs de sa personne, luy vivant, et peult demeurer au service de l'Empereur. — Facille, mais qu'on ne le voye jamais. François Ier, un peu plus tard, se disait prêt à restituer ses biens au duc, pour l'amour de l'Empereur et non pour autre. Le traité de Madrid fut signé avec des clauses particulières en faveur de Bourbon, mais le Connétable ne revint pas en France, et lorsqu'il fut mort en mai 1527, un des premiers soins de François Ier fut de faire rendre en cour de Parlement, garnie de pairs, lui-même séant en son lit de justice, un nouvel arrêt de condamnation (28 juillet), que d'ailleurs le traité de Cambrai l'obligea encore une fois à abolir. Saint-Vallier fut réhabilité en 1527.

 

IV. — L'UNITÉ TERRITORIALE.

LE Roi s'attacha surtout à tirer du procès les profits matériels qu'il avait cherchés en l'engageant. Malgré la réhabilitation de Saint-Vallier, la baronnie de La Tour et d'autres biens confisqués ne lui furent pas rendus. Sur la succession du Connétable, différentes revendications se reproduisirent : celles de Madame, du duc de Vendôme, de la princesse de La Roche-sur-Yon. Madame était déjà munie largement depuis 1522. Pourtant le Roi dut composer avec elle, et une transaction du 25 août 1527, sous prétexte que de telles querelles et questions ne seroient convenables, utilise ne honnestes entre eulx (le Roi et sa mère), et que madicte dame ne prétend avoir autre héritier que le dit seigneur son fils et MM. ses enfants, lui accorda les biens de Bourbon, sauf le duché d'Auvergne. Après la mort de sa mère, en 1531, François Ier réunit au domaine le Bourbonnais, le Beaujolais, l'Auvergne, Châtellerault, le Forez, la Marche, le Montpensier, Clermont et les autres terres et seigneuries de la Maison de Bourbon. En même temps, cette mort le faisait hériter de l'Angoumois, de l'Anjou, du Maine, qu'il avait abandonnés à Louise de Savoie au début de son règne et, quelque temps après, il établissait des agents royaux dans tous les pays réunis.

Il fallut cependant accorder au moins quelque satisfaction à la branche des Vendôme, représentée par la princesse de La Roche-sur-Yon. Après de très longues négociations, on lui concéda le comté de Montpensier, le Dauphiné d'Auvergne et un certain nombre de seigneuries, en échange de sa renonciation aux autres biens. Ce compromis n'avait été signé qu'en 1538 ; l'affaire revint encore sous Henri II et ne fut jugée définitivement que sous Charles IX, au profit des La Roche-sur-Yon, qui reçurent en plus le Beaujolais et les Dombes. Preuve de l'arbitraire du procès de 1522, mais en même temps de la faiblesse des grandes familles, réduites à se défendre par la voie de la procédure ou incapables de rien obtenir en dehors du bon vouloir de la Royauté.

Au moment où François Ier rassemblait ainsi entre ses mains des possessions considérables, il réunissait directement la Bretagne au domaine royal[26]. Il avait obtenu que la reine Claude léguât le duché à son fils aîné, de façon à en assurer à tout jamais l'union à la Couronne. Duprat chercha les biais nécessaires pour tourner l'opposition prévue des Bretons et les amener à se soumettre au Roi lui-même, à l'aide de formules qui leur laisseraient l'apparence de leurs libertés. Les États de Bretagne, tenus à Vannes en août 1532, consentirent à demander que le Dauphin fît, son entrée à Rennes, comme duc et prince propriétaire du duché, dont cependant l'usufruit et l'administration seraient réservés au Roi ; ils acceptèrent que la Bretagne fût rattachée à titre perpétuel au royaume, sous réserve de ses droits, libertés et privilèges. Une ordonnance royale fut rendue en conformité ; le Parlement de Paris l'enregistra, le 21 septembre, et le Conseil de Bretagne, le 8 décembre. A partir de ce moment, l'histoire de la Bretagne, demeurée si longtemps indépendante sous des ducs quasi souverains, n'est plus que l'histoire d'une province.

De l'ancienne France féodale, il ne reste que les possessions des Albret qui aient apparence d'États, mais la Maison demeure effacée, jusqu'au moment où elle se fond dans la famille des Bourbon-Vendôme, par le mariage de Jeanne d'Albret avec Antoine de Bourbon. Le rôle de leur fils Henri — Henri IV —, sa lutte contre les Valois et son avènement au trône seront comme une revanche éclatante de l'abaissement des Albret et des Bourbons devant Louis XII et François Ier.

François Ier pouvait déjà écrire dans des lettres patentes de 1528 : Considérant que nous tenons à présent la plupart des comtés et duchés qui souloient être tenus en pairie. Il est vrai que c'était pour se donner l'excuse de l'érection d'une pairie nouvelle, celle de Guise, et qu'il ne cessa pas jusqu'à la fin de son règne, avec cette inconséquence qu'on retrouve dans tous ses actes, de distribuer toutes sortes de domaines à ses amis et serviteurs[27]. Mais ce n'était plus que la menue monnaie de la féodalité. L'ambassadeur de Venise écrivait, en 4546 : Depuis quatre-vingts ans, le gouvernement de France ajoute toujours aux propriétés de la couronne, sans rien aliéner. Et même, ceux qui possèdent des revenus ou des états n'en sont propriétaires que pour les profits ordinaires : le ressort souverain, c'est-à-dire les appellations, les tailles, le droit de garnison et, tous les nouveaux droits extraordinaires restant au Roi. Ce qui, outre l'avantage de tenir la monarchie à un haut degré de richesse, d'unité, de grande réputation, l'assure aussi contre les guerres civiles. Car les princes, devenus pauvres, n'ont pas l'idée ni le pouvoir de tenter quelque chose contre elle, comme faisaient autrefois les ducs de Bretagne, de Normandie et tant d'autres grands seigneurs en Gascoigne. Et si, par hasard, quelqu'un se rencontrait qui, mal soucieux de ses intérêts, tentât quelque mouvement, comme l'essaya le duc de Bourbon, cette tentative donnerait plutôt occasion à la couronne de s'enrichir de sa ruine, qu'elle ne pourrait avoir effet ou nuire en aucune façon à la monarchie.

Ces paroles étaient conformes à la réalité pour le règne de François Ier : la puissance des Grands ne devait se relever un moment qu'à la faveur des passions religieuses.

Mais pendant qu'il étendait son domaine direct sur la France entière, François Ier ne changea presque rien aux institutions administratives. La plupart des provinces étaient pourvues de gouverneurs[28] ; pendant quelque temps, il multiplia le nombre de ces représentants de l'autorité monarchique.

Quelquefois il attribua à un latine personnage plusieurs provinces. Le cardinal de Tournon, en 1536, reçut le gouvernement du Lyonnais, de l'Auvergne, du Forez, du Beaujolais ; Henri d'Albret, en 1528, celui de la Guyenne, de l'Aunis et du pays de la Rochelle[29].

Cette charge, par ses origines, était avant tout militaire : elle existait surtout pour les provinces frontières, et les circonscriptions des gouvernements n'avaient rien de fixe. Au XVIe siècle encore, les pouvoirs étaient peu définis. Le Gouverneur et Lieutenant Général du Roy — c'était le titre officiel — servait surtout d'intermédiaire entre le Roi et les États de la province, quand celle-ci avait gardé des États. Il présentait les demandes du gouvernement, il se faisait l'interprète des doléances de l'assemblée ; il intervenait entre elle et les Parlements, toujours jaloux d'étendre leurs prérogatives. Mais il administrait fort peu et d'ailleurs il était presque toujours absent. Sa charge essentielle était de lever les troupes, d'asseoir les garnisons, de surveiller et d'entretenir les places fortes. Seulement, étant indéfinie et sans contrôle, elle pouvait par là prêter à bien des usurpations, surtout avec François Ier, qui la confiait à ses amis, quelquefois même à des étrangers.

Le Roi parait s'être aperçu tout d'un coup du danger que son autorité pouvait courir[30], car il rendit, en mai 1542, une ordonnance dont les termes sont singuliers. Comme en pourvoyant cy-devant plusieurs grands personnages de nostre royaume ès principaux estats d'iceluy, gouvernements des pays et lieutenances générales, leur ayons entre autres choses concédé plusieurs grands pouvoirs, puissances et facultés, qui leur ont été expédiées plus amples peut-être que n'eussions entendu, ni que leurs prédécesseurs en iceux auroient accoutumé les avoir, à la diminution de nostre autorité et oppression de nostre peuple... avons revocqué, cassé et adnullé tous et chacuns lesdits pouvoirs... et avons expressément défendu à ceux qui les ont de n'en pas user, et à nos subjects d'y obéir, sinon en tant qu'ils auront eu, depuis l'expédition de ces présentes, nos lettres de confirmation et autorisation sur iceux.

On a prétendu que cette mesure visait surtout Montmorency, qui était gouverneur du Languedoc et venait d'être disgracié en 1541. Elle devait cependant correspondre à certaines préoccupations générales du moment, car elle s'appliquait aussi aux principaux Officiers de la Couronne ; et vers la même date, l'autorité du Chancelier recevait quelques atteintes. Pourtant la plupart des gouverneurs furent rétablis immédiatement. Puis, en 1545, ils furent supprimés dans toutes les provinces qui n'étaient pas en frontière, et l'on n'en maintint que dans la Normandie, la Bretagne, la Guyenne, le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, la Bresse, la Savoie, le Piémont (ces trois pays étaient alors occupés par les troupes françaises), la Bourgogne, la Champagne, la Brie, la Picardie et l'Île-de-France. Ils ne devaient garder que les fonctions militaires.

Les vrais agents du pouvoir royal restent encore, au XVIe siècle[31], les baillis et sénéchaux, nommés par le Roi ou le Chancelier[32]. Ils n'exerçaient pas, eux non plus, des fonctions administratives bien précisées : l'administration à cette époque est dispersée dans tant de mains qu'on ne peut la saisir nulle part. Mais ils avaient des pouvoirs de police et de justice, qui leur permettaient d'intervenir partout au nom du Roi[33].

L'ordonnance de Crémieu, en 1538, fixa leurs attributions, sans d'ailleurs innover beaucoup. Ils connaissaient des causes du domaine, d'un grand nombre de causes civiles, sauf appel aux Parlements, de certaines causes bénéficiales et des crimes de lèse-majesté. Ils avaient le regart et superintendance sur nobles et sujets au ban et à l'arrière-ban ; la cognoissance de la vérification des hommages des vassaux du Roy. Ils présidaient aux élections des maires et échevins, recevaient leur serment, les instituaient[34]. Ils ordonnaient les troupes, réglaient les questions administratives. Ils étaient assistés de lieutenants généraux et de lieutenants particuliers qui, en fait, administraient plus que les baillis, aussi souvent absents que les gouverneurs eux-mêmes. Les Conseils de bailliages avaient également un rôle très actif. Au-dessous d'eux les prévôts jugeaient les causes moins importantes et exerçaient des pouvoirs de police.

François Ier, dès son avènement, avait augmenté le nombre des enquêteurs dans les sièges judiciaires royaux et institué des contrôleurs des deniers des villes. Il est vrai que cette mesure, comme tant d'autres qui furent prises pendant son règne, aboutit d'abord à enrichir ses favoris : Lesquels offices, tant d'enquesteurs que de contreroolleurs, il donna à Messieurs de Boisy, Bonnyvet, au Bastard de Savoie, à M. de la Palice, dont ils eurent plus de soixante à quatre-vingt mille livres.

La féodalité, on le voit, possède encore des terres, mais ne gouverne plus. En outre, elle est très surveillée et tenue en main. Le Catalogue des actes montre combien les hommages dus au Roi sont exigés sévèrement, sous la menace, quelquefois réalisée, de reprise du fief. Quant aux privilèges particuliers de provinces, de pays et de villes, ils ne disparaissent pas complètement, mais le Roi et ses représentants ne cessent pas de les discuter. Toutes sortes d'empiétements sont réalisés sur eux, principalement dans les matières de justice et de finances. Les États des provinces en sont réduits à négocier, et tout leur effort consiste à obtenir des concessions, illusoires le plus souvent. Mais l'extension de l'autorité monarchique ne s'opère pas encore très activement dans les matières administratives proprement dites, où elle laisse toujours s'exercer les initiatives locales[35].

 

V. — SEMBLANÇAY[36].

L'HISTOIRE des finances sous François Ier est celle d'un effort considérable vers la centralisation, l'uniformité et la simplification, mais contrarié par le désordre le plus effréné, par les contradictions constantes du pouvoir avec lui-même, par tous les abus du régime personnel et les passions ou les faiblesses du Roi. Pourtant les innovations introduites entre 1515 et 1547 préparent le système administratif du XVIe et du XVIIe siècle.

L'année 1523 marque assez bien le point de partage entre l'ancien régime et le nouveau.

L'organisation, au XVe siècle, était fondée sur la distinction en revenus ordinaires (domaine) et revenus extraordinaires (tailles, aides, gabelle, etc.), auxquels s'ajoutaient encore les affaires extraordinaires ou inventions, comprenant toutes sortes de procédés fiscaux : décimes, emprunts, ventes de domaines, etc.

De là, deux et même trois administrations ressortissant : pour le domaine à 4 Trésoriers de France, un changeur, des contrôleurs ; pour les revenus extraordinaires, à 4 Généraux des finances, 4 Receveurs généraux des finances, 4 contrôleurs généraux. Pour les inventions il y avait une administration tout à fait à part. Cette organisation ne s'appliquait qu'à quatre grandes circonscriptions géographiques : Languedoc, Languedoïl, Pays sur et outre Seine et Yonne, Normandie. La Picardie, la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence étaient régis par d'autres agents. Les membres du Conseil royal, les 4 Trésoriers de France et les 4 Généraux des finances rédigeaient chaque année l'État général des finances, c'est-à-dire les prévisions de recettes et de dépenses, qu'ils répartissaient ensuite entre les circonscriptions et les administrations.

Quand les dépenses avaient été prévues par l'État des finances, les Trésoriers ou les Généraux les ordonnançaient sur les recettes de leur circonscription ; quand elles étaient engagées en cours d'exercice, par suite de besoins inopinés, un mandement du Roi en renvoyait le paiement aux agents de l'une des quatre Généralités financières.

Les inconvénients de ce régime, composé en grande partie de pièces de rapport, étaient : l'extrême complication administrative, doublée de la complication géographique ; l'absence de liens et de hiérarchie entre les différents agents : 4 Trésoriers, 4 Généraux, égaux entre eux ; le nombre considérable de caisses, de doubles emplois ; les allées et venues perpétuelles des ordres, des hommes et de l'argent ; la difficulté du contrôle ; la presque impossibilité de savoir à un moment donné où l'on en était des dépenses et des recettes prises dans l'ensemble.

Dans cet état de choses, les Trésoriers de France et les Généraux des finances acquirent une importance exceptionnelle. Chacun d'eux était préposé à l'une des quatre circonscriptions. On se figure ce que pouvait être un fonctionnaire de ce genre, dans une circonscription comme celle de la Languedoïl par exemple, égale à peu près au quart de la France, disposant à lui seul de son budget, sous la condition, qui le rendait encore plus puissant, d'être toujours prêt, à fournir de l'argent au Roi ! Or, entre la plupart des hauts officiers de finances, il avait fini par s'établir une sorte de syndicat fondé sur la communauté d'intérêts. Des alliances de famille avaient resserré ces liens : les Berthelot, les Robertet, les Semblançay, les Bohier, les Poncher se tenaient de très près et se ramifiaient à l'infini[37].

Fils de gros commerçants, ayant souvent commencé eux-mêmes par le commerce, y laissant leurs fils, leurs gendres, ils avaient acquis de grandes fortunes, qui les rendaient indispensables. A l'égard du Roi, ils étaient à la fois ordonnateurs de ses dépenses et banquiers, c'est-à-dire prêteurs. Ils lui avançaient de grosses sommes prises dans leurs maisons de banque ; lorsque les fonds de l'État rentraient mal ou quand le budget se soldait en déficit. Leur caisse se confondait avec la sienne. De là pour eux l'irrégularité inévitable, la tentation des opérations incorrectes et profitables, et contre eux bien des haines, qu'ils exaspéraient encore par leur luxe. Les plus beaux châteaux de la première Renaissance ont été presque tous construits ou commencés par des financiers. Louise de Savoie les appelle amèrement les inextricables sacrificateurs des finances et déclare que son fils et elle furent continuellement desrobés par eux, de 1515 à 1522. Le Roi fut d'autant plus entre leurs mains que, dès le début de son règne, les dettes laissées par son prédécesseur puis bientôt ses guerres et ses propres folies le mirent dans les plus grands embarras pécuniaires : douaire considérable promis à Marie d'Angleterre lors de son mariage avec Louis XII, expédition de Marignan, dépenses pour l'élection impériale, camp du Drap d'Or, campagnes d'Italie.

L'histoire de Semblançay montre clairement de combien de questions sociales ou politiques se compliquaient les questions financières et comment, en tenant compte même des fautes ou des improbités, il y avait dans le régime une fatalité presque plus forte que les hommes. Jacques de Beaune de Semblançay était le deuxième fils d'un riche marchand de Tours, Jean de Beaune, mort en 1480. De la maison de commerce et de banque qu'il dirigeait, il passa au service d'Anne de Bretagne, qui le prit pour trésorier en 1491 ; puis il devint Général du Languedoc en 1495 et de la Languedoïl en 1509, tout en continuant à gérer les intérêts de la Reine.

Il n'abandonnait pas non plus les opérations de sa maison de banque, qui consistaient surtout à escompter les mandats payables par les différents agents des finances[38] à faire des prêts aux particuliers, aux villes (à Tours), aux souverains (à Frédéric de Naples). François d'Angoulême était son débiteur, à la veille de 1515. Semblançay parvint ainsi à se maintenir en pleine faveur auprès du nouveau Roi et de Louise de Savoie, entre 1515 et 1520 ; il gérait les finances de Madame, comme il avait fait pour celles d'Anne de Bretagne. Vers 1518, il fut à l'apogée d'une fortune extraordinaire. Il avait été fait chevalier dès 1498, il tenait depuis cette date la mairie de Tours, le bailliage de Touraine ; il installait son fils Guillaume dans la charge de Général de la Languedoïl ; il se trouvait en rapports d'affaires et d'amitié avec tous les seigneurs de la Cour, le Grand-Maître de Boisy, du Bouchage. Il s'était constitué un domaine foncier considérable : maison à Tours, fiefs aux environs de la ville ; il avait acquis, en 1545, et agrandi la baronnie de Semblançay, dont il prit le titre[39].

Le Roi mit le comble à cette puissance par l'acte de 1518, qui donnait à Semblançay la charge, connaissance et intendance du fait et maniement de toutes nos dites finances, tant ordinaires qu'extraordinaires[40]. Sous l'autorité du Bâtard de Savoie, frère de Louise, Semblançay garde entre ses mains l'État général des finances et les États particuliers ; il prend au vrai, des Trésoriers et des Généraux, les valeurs de leurs charges, il voit les États des officiers comptables de la Maison du Roi ; il entend aux voyages et aux ambassades, pour en régler les paiements ; il assigne les dépenses sur les receveurs généraux des finances, qui mieux le pourront porter ; le Chancelier, les Gens des comptes, les Trésoriers et Généraux doivent aviser à faire entendre et obéir (à Semblançay) tous ceux et ainsi qu'il appartiendra. Lorsque plus tard on déclarera, au procès, que Semblançay a eu la superintendance de toutes les finances du Roi et de Madame, on ne sera pas loin de la vérité.

Mais les difficultés ne tardèrent pas à s'accumuler devant lui. A partir de 1521, elles devinrent insurmontables : augmentations d'impôts, emprunts sous toutes les formes, appel aux capitaux par la création des rentes sur l'Hôtel de Ville, en 1522, inventions extraordinaires, tout s'engouffrait dans l'abîme des dépenses de guerre et des déficits antérieurs. Le déficit de 1522 monta à 2.500.000 livres, et pourtant la gendarmerie attendait depuis longtemps d'étre payée. Madame s'adressait désespérément à Semblançay : Faites comme celluy en qui est, pour une telle extrémité, ma dernière espérance. Celui-ci trouvait de l'argent à coup d'expédients, trop tard presque toujours. Il recourait (du moins il le prétendait) à ses amis, aux banquiers, aux marchands, à tout le monde. Il finissait par déclarer : les bourses sont closes ; on se fuye de moi !... On était en pleine guerre, les Suisses non soldés se faisaient battre à la Bicoque (29 avril 1522). Le Roi s'en prit d'abord à Lautrec, mais bientôt après à Semblançay lui-même : Je donneray à congnoistre à mes serviteurs que je ne vueil plus estre trompé. Bien que cette menace eût duré autant que la colère, comme l'écrivait François Ier quelques jours après, elle avait sa signification redoutable.

Le 17 janvier 1523, une commission était nommée pour liquider les comptes en souffrance. Pendant qu'un nouveau régime financier s'établissait au cours de l'année Semblançay continuait à administrer les finances, mais avec des pouvoirs de plus en plus limités, et en face de revendications de plus en plus pressantes. Le Il mars 1524, le Roi nomma quatre commissaires, pris dans la Chambre des comptes et dans le Parlement, pour examiner sa gestion. La commission lui réclamait la production de tous les registres et autres papiers qu'il avoit devers lui du fait des finances depuis l'avènement. Semblançay s'y refusait avec une obstination qui peut paraître singulière, et traînait les choses en longueur. Pourtant ce n'était encore qu'un procès civil en reddition de comptes ; bien étrange procès, car tout l'effort des agents du Roi et de Madame se limitait à faire admettre que le surintendant avait eu le tort de confondre les comptes du Roi et de sa mère, et de faire emploi pour les besoins de la guerre de 600.000 livres qui revenaient à Madame. Semblançay répondait en vain qu'il avait agi ainsi par commandement des dits Sieur et Dame, qu'il avait toujours considéré les bourses en tant que communes. Il invoquait les quittances du Roi, les États de 1517 et de 1521, où l'argent de Naples était prévu comme ressource par le Conseil des finances L'avidité de Louise de Savoie éclate dans cette affaire, et d'ailleurs, au moment même des embarras financiers les plus critiques et des périls extérieurs les plus graves, elle n'avait pas cessé de poursuivre l'accroissement de ses biens personnels et de s'enrichir des dons du Roi. Les Actes du Catalogue en font foi.

Ce procès civil se résolut à l'avantage de Semblançay : car le jugement du 27 janvier 1525 reconnut qu'il avait agi sur les ordres de François Ier et de sa mère. Les juges admettaient que l'argent de Naples devait être porté au compte de Madame, mais aussi que la confusion avait été le fait du Conseil royal. Madame n'en était pas moins déclarée créancière de Semblançay pour 107.000 livres et pour les 600.000 de Naples. Par contre, le jugement attribuait à Semblançay sur le Roi une créance supérieure (910.000 livres).

Mais pendant que l'ancien superintendant essayait de faire lace à ses créanciers, sans pouvoir recouvrer ce qui lui était dû, ses ennemis ne désarmaient pas. Le 27 janvier 1527, il fut arrêté et enfermé ; cette fois c'était un procès criminel qui s'engageait. Les juges furent nommés par le Roi, le 27 mai : premiers présidents des Parlements de Paris, de Toulouse et de Rouen, un Maitre des requêtes, deux membres du Grand Conseil, deux du Parlement de Dijon, deux auditeurs des Comptes. Au milieu des obscurités d'une procédure remuant des questions de comptabilité, qu'il n'était pas nécessaire d'embrouiller pour les rendre inextricables, on démêle quelques traits de l'accusation. Semblançay aurait gardé par devers lui des sommes qui auraient dû être remises aux officiers de finances, et s'en serait servi pour faire des prêts au gouvernement et en tirer des intérêts à son profit. Il aurait même fabriqué des bordereaux de prêts factices ou de faux rôles d'intérêts, prétendus payés à des banquiers préteurs, ou bien encore il aurait emprunté pour l'État, à de très gros intérêts, dont il touchait une partie. Dans certaines circonstances, il aurait reçu pour le compte de François Ier des sommes qu'il aurait gardées par devers lui ; il aurait falsifié les comptes de Madame.

On ne voit pas paraître dans tout cela le reproche fait par Lautrec d'avoir retenu l'argent destiné aux Suisses et causé ainsi les désastres de l'armée d'Italie ; il semble bien au contraire que Semblançay ait envoyé au delà des Alpes autant d'argent qu'il était possible. Il fut beaucoup question des banquiers italiens de Lyon, avec qui Semblançay avait été en rapports constants, et qui eux-mêmes avaient des relations d'affaires avec Londres, Venise, Nuremberg, Anvers. Cette sorte de syndicat international disposait de ressources considérables, et les souverains, toujours à court d'argent, étaient obligés de compter avec lui. François Ier était débiteur de grosses sommes aux banques lyonnaises ; il s'inquiétait de les voir en relations d'affaires avec l'Italie et l'Allemagne. Il sentait en elles une action cosmopolite, qui pouvait, à certains moments, devenir dangereuse. En frappant Semblançay, il les atteignait indirectement.

Semblançay allégua l'extraordinaire difficulté des temps, la nécessité de pourvoir par tous les moyens à des dépenses urgentes, les ordres du Roi ou de Madame, qui avaient couvert presque toutes ses opérations, les conditions même de l'organisation financière, qui s'opposaient à la régularité. Certaines de ses explications ne laissent pas d'être au moins singulières. Lorsqu'on lui objecte qu'il a inscrit sur un bordereau des sommes qui, en réalité, n'avaient pas été prêtées au Roi, il répond que c'était pour éviter qu'on ne fit sur lui de nouveaux emprunts, auxquels il était incapable de suffire. Il finit par invoquer sa vieillesse, ses longs services, l'impossibilité de se défendre, puisqu'il avait été dépouillé de ses papiers et privé de tout conseil. Le 9 août, il fut condamné à mort ; le 11, exécuté. Il attendit le supplice pendant six heures à Montfaucon, où après qu'il eust fait plusieurs oraisons et prières et prins moult saigement sa mort et fortune en patience, finallement fest pendu et étranglé. Sur le chemin du gibet, il saluoit plusieurs gens de sa connoissance.

Ces témoignages s'accordent avec l'épigramme de Marot[41] :

Et Semblançay fut si ferme vieillart

Que l'on cuydoit au vrai qu'il menast pendre

A Montfaucon le lieutenant Maillart.

Ce qui perdit Semblançay, ce fut le pouvoir trop étendu et mal défini qui lui fut laissé. Homme d'affaires du Roi et de sa mère, obligé perpétuellement de sortir des règles pour trouver l'argent indispensable, agissant le plus souvent à ses risques et périls, se découvrant sans cesse, il crut probablement qu'il lui était permis de tirer quelque bénéfice des ressources que son crédit personnel procurait. Ou plutôt, à partir de 1521, il agit sans calculer, il subordonna tout aux nécessités de l'heure présente. Dans ces conditions, il était perdu dès qu'on lui faisait un procès de forme, et c'était de la part du Roi et de sa mère une iniquité de le lui faire, car ils avaient connu certainement le gros de ses opérations.

On est en droit de penser qu'ils y virent un moyen de se débarrasser d'un créancier gênant. Car Semblançay avait été condamné en 300.000 livres d'amende, qui vinrent en déduction sur ce que le seigneur (roi) devait au dit feu de Beaune. La liquidation ne se termina qu'en 1536, mais Guillaume de Beaune, le fils du superintendant, compromis dans les affaires de son père, avait été réhabilité avant cette date.

Cependant la commission d'enquête de 1523, en lutte constante avec la Chambre des comptes, et devenue suspecte ou incapable d'agir, fut remplacée, en 1527, par une commission dite de la Tour carrée, composée de membres du Grand Conseil et du Parlement, de Martres des requêtes, de gens des comptes, et qui procéda, de 1527 à 1536, contre des financiers. Gilles Berthelot fut condamné à payer environ 50.000 livres ; une fille de Semblançay, veuve de Raoul Hurault, dut acquitter une amende de 100.000 livres ; Thomas Bohier, mort depuis quatre ans, fut taxé dans la personne de son fils à 190.000 livres. Jean de Poncher fut condamné à mort et exécuté ; le chiffre de ses restitutions fut fixé à plus de 310.000 livres. Lambert Meygret, Morelet du Museau, Gaillard, Spifame, Jean Ruzé, Jean Lallemant furent également frappés[42]. En 1533, on faisait état des amendes pour 2.000.000 de livres. On ne les perçut pas en réalité, et il fallut entrer en marchandage avec les condamnés ou avec leurs familles. Les Lallemant composèrent pour 28.000 livres au lieu de 60. Les négociations duraient encore en 1539 : tout était expédients et compromissions dans le gouvernement de François Ier.

 

VI. — RÉFORMES FINANCIÈRES.

LA féodalité financière était frappée : il avait fallu à François Ier près de quinze ans pour l'abattre. Mais, avant d'être atteinte par des arrêts de justice plus ou moins suspects, elle l'avait été plus fortement et plus utilement par des réformes administratives[43].

Le gouvernement les avait entamées dès le début de 1523, c'est-à-dire au moment où il commençait à agir contre les gens de finances, et cette coïncidence est significative. L'ordonnance du 23 décembre constitua le Trésor de l'Épargne[44]. Le Trésorier de l'Épargne devait rassembler entre ses mains non pas seulement les produits casuels : emprunts aux officiers, ventes d'offices, mais aussi les revenus ordinaires du domaine et les tailles, les aides, les gabelles, c'est-à-dire presque tous les revenus de l'État. François Ier essaya, avec une bonne volonté évidente, de développer l'institution nouvelle, spécialement par des ordonnances de 1527, 1529, 1532.

L'Épargne fut fixée au Louvre ; un conseil de surveillance, composé des premier et second présidents de la Chambre des comptes, de contrôleurs spéciaux, etc., fut institué. Toutes sortes de précautions matérielles furent renouvelées du passé pour la conservation des fonds. On aménagea des coffres ; la tour où ils étaient placés était gardée par deux archers du Roi, choisis parmi les plus seurs et les plus féables. La porte était fermée, ainsi que les coffres, par trois serrures différentes, et les clefs réparties entre les Présidents des comptes, les contrôleurs, le Trésorier de l'Épargne ; les serrures ne s'ouvraient que s'ils étaient tous présents. Seul, le Roi pouvait se desrober lui-même ; il ne s'en fit pas faute ; on le verra.

L'ancienne administration, qui n'avait pas complètement disparu, fut profondément transformée. Les Receveurs généraux subsistaient, mais n'avaient plus guère qu'une charge de percepteurs et devaient remettre au Trésor de l'Épargne les espèces mêmes perçues. Les Généraux n'étaient maintenus qu'à l'état de surveillants, chargés de faire des chevauchées ; en réalité ils remplaçaient les contrôleurs, qui furent supprimés peu à peu par extinction. Ainsi presque tous les revenus de l'État se trouvaient centralisés en un Trésor, celui de l'Épargne, qui soldait les dépenses directement, soit en vertu de l'État général annuel, soit en vertu de mandements spéciaux expédiés par la Chancellerie ; recettes et dépenses étaient consignées sur deux registres.

Les créateurs de ce système parlaient sur un ton d'enthousiasme naïf de leur œuvre, faite plus par inspiration et volonté divine que autrement. Congnoissant, dit une ordonnance, quel bien et support ce nous a esté d'avoir fait tomber en une main tous les deniers du dit terme de septembre et quartier d'octobre, novembre et décembre dernièrement passés et que, sans crue de tailles, emprunts, retranchements ne reculements (de pensions ou de paiements), en avons soustenu le fez de nos guerres, plus de sept moys entiers et davantage, de ce acquitté plusieurs debtez en quoy nous estions constitués du passé, qui est chose si incréable.... Si incréable, en effet, que ce n'était pas exact.

Les avantages de la réforme consistaient surtout en améliorations administratives : clarté plus grande dans les comptes, facilité de savoir constamment où l'on en était, par la comparaison des deux registres de recettes et de dépenses ; l'argent à la disposition du Roi et non plus des Généraux ; enfin l'effondrement de ceux-ci, qui rentrent désormais dans le cadre obscur de la bureaucratie.

Au contraire, le Conseil royal ressaisit presque toute l'autorité que peu à peu il avait perdue. Il est chargé de toutes les expéditions en finances, il reçoit chaque semaine le rapport de l'Épargne et délibère sur toutes les matières, sans que les Trésoriers et Généraux soient appelés. Le Bourgeois de Paris a fort bien noté le fait. Rien ne se ferait plus que par le Conseil du Roi, et les Trésoriers et Généraux des finances n'auraient plus les finances du Roi.

La signification historique générale de ces mesures apparaît par le changement dans le sens des mots revenus ordinaires. Avant 1524, on ne désignait ainsi que les revenus du domaine ; désormais les tailles, aides, gabelles passent de l'extraordinaire à l'ordinaire : véritable confirmation du droit d'imposer que la Royauté s'était attribué au XVe siècle. C'en est fini de la monarchie féodale, réduite à son domaine et se faisant aider exceptionnellement par ses vassaux.

Pendant, tout le règne se manifeste aussi la préoccupation de composer un trésor de guerre, c'est-à-dire d'accumuler à l'avance les ressources nécessaires pour la reprise de la lutte contre Charles-Quint, toujours prévue au cours même des intervalles de paix. Les essais, ébauchés dans les premières années du règne, se précisèrent après le traité de Cambrai (1529). Dans une tour du Louvre, on disposa deux coffres spéciaux, fermés chacun de quatre serrures différentes, dont les clefs furent confiées au Roi, au Chancelier, à Montmorency, à Brion. C'était probablement des coffres à tirelire, de telle façon qu'on pût y introduire l'argent sans faire ouverture. A côté, d'autres meubles recevaient la réserve de vaisselle du Roi.

Le trésor de guerre, en 1535, devait contenir environ 1 650.000 livres, qui ne tardèrent pas à être absorbées et au delà par les dépenses de la campagne de 1536. On essaya, en 1540 et 1541, de refaire par les mêmes procédés des ressources du même genre, qui ne durèrent pas plus, et qui furent loin de suffire aux frais de la nouvelle guerre.

L'ordonnance de na acheva les réformes commencées en 1523 et fit presque entièrement disparaître ce qui restait de l'ancien système. A la place des anciennes circonscriptions financières furent tants — on peut traduire : faits à des personnages importants — sont ensuite confirmés. A ces causes de désordre, il faut ajouter les négligences, explicables peut-être par la pénurie du trésor. On devait encore, en 1532, une partie des dépenses faites pour l'entrevue d'Ardres de 1520 ; en 1533, on voit figurer des paiements pour des achats de linge datant de 1519 à 1525.

Il en résultait des budgets toujours incertains, des déceptions constantes. Si, par exemple, on prévoit en 1535 une réserve de 6.000.000 de livres pour le Trésor de guerre, les comptes nous apprennent que, dans la réalité, elle ne dépassa guère 1.600.000 livres. Tous les budgets se sont soldés en déficit, aussi bien après qu'avant les réformes. Quant au Trésor de l'Épargne, qui devait centraliser les ressources, il ne reçut dans certaines années que le quart des sommes prévues.

Pour se suffire, le Roi employa tous les procédés : les uns repris de ses prédécesseurs, les autres inventés au profit de ses successeurs.

1° Augmentations constantes d'impôts. En 1517 et 1519, la taille était de 2.400.000 livres tournois ; en 1525, elle fut de 2.660.000 ; en 1529, de 3.260.000 ; en 1534, elle redescendit à 2.060.000 livres, mais remonta en 1535 à 3.060.000, et en 1543 à 4.600.000.

2° Charges particulières ajoutées aux charges courantes : Paris donna 100.000 écus en 1528 et 150.000 en 1529, pour la rançon du Roi et des Enfants de France. En 1537, contribution sous la forme de don gratuit pour la guerre contre Charles-Quint ; en 1542, 850.000 livres sont exigées des grandes villes : Toulouse, Albi, Dijon, etc. En 1543, obligation pour les habitants des villes closes de contribuer à la solde de 50.000 gens de guerre ; en 1545, les aides sont introduites partout où elles n'existaient pas encore. Ce sont là seulement quelques exemples. Il est vrai que les villes et les pays luttaient désespérément contre les exigences du fisc. Le Roi presque toujours consentait à des diminutions, quelquefois de plus de moitié[45].

3° Décimes sur la clergé, qui se multiplièrent avec l'autorisation du Pape, que presque toujours le Roi tenait en sa main.

4° Expédients : ventes du domaine ; en 1519, 268.000 livres ; en 1521, 187.000 ; en 1522, 200.000 livres ; en 1537, 950.000 livres ; en 1543, 600.000 livres ; en 1544, 360.000 livres[46]. Ventes des joyaux de la couronne[47] ; ventes des trésors des églises. — Créations d'offices, emprunts ou impôts sur les offices existants : en 1527, on prélève la moitié des gages d'une année des officiers du Parlement, de la Chambre des comptes et des autres Cours du Dauphiné, pour subvenir aux grands frais que le royaume est obligé de supporter après la délivrance du Roy. Même mesure pour les changeurs, contrôleurs du Trésor, etc. Taxe d'un huitième de la valeur sur les offices de finances. — Ventes de titres de noblesse, en échange de prêts faits au Roi (1524, etc.). — Mise à contribution des gens de la Cour : Montmorency, Brion, à qui le Roi emprunte de l'argent. — Emprunts forcés sur les détenteurs d'offices, remboursés sous la forme d'augmentation de gages. — Conversion en monnaie de vaisselles d'or ou d'argent appartenant ou offertes au Roi (1521, 1529). — Prise par forme d'emprunts des deniers consignés par les particuliers ou donnés en garde et dépôt (1523).

Comme il arriva presque toujours pendant ce règne, c'est sous la pression des besoins que s'introduisirent des innovations durables, essayées tout d'abord à titre d'expédients[48]. Par des lettres patentes du 2 septembre 1522, au moment où Semblançay désespérait de trouver de l'argent, le Conseil royal prit une mesure hardie : il fit appel au crédit public. Il est vrai qu'il le sollicita, non pas en offrant la caution de l'État, trop justement suspect, mais en se couvrant de celle de Paris, plus régulièrement administré. Il faisait un emprunt gagé sur les aides, gabelles et impositions de la Ville, spécialement sur le revenu des étaux de la grande Boucherie, sur l'impôt du vin, du poisson, etc. Ces revenus, perçus jusqu'alors au profit du Roi, devaient former la garantie d'une somme de 25.000 livres tournois de rente à payer pour un capital emprunté de 250.000 livres.

Le contrat fut conclu dans une assemblée tenue à l'Hôtel de Ville. Les membres de la municipalité réduisirent le capital à 200.000 livres et le taux d'intérêt au denier 12, un peu plus de 8 pour 100 (16.666 livres de rente). Ils exigèrent que les impositions abandonnées par le Roi fussent assignées à la Ville elle-même, qui obtenait en outre le droit de juger toutes les questions relatives à ces rentes nouvelles. Ce fut elle aussi qui se chargea de réaliser l'emprunt en son propre nom, pour après estre, par iceulx Prévost des marchans et eschevins, constitué rente particulière à chacun de ceulx qui nous bailleront partie ou porcion de la dite somme de 200.000 livres tournois.

L'opération est une nouveauté en droit privé aussi bien qu'en droit public. Elle établit la légitimité du prêt à intérêt, que la législation civile n'acceptait encore que par voie détournée, et que la doctrine empruntée à l'Église continuait à déclarer odieux. Elle crée la rente volante ou mobilière, à côté de la rente foncière ; elle y introduit la faculté de rachat au gré de l'emprunteur, tandis que la rente foncière n'était pas rachetable. Elle inaugure ainsi le régime du crédit pour les particuliers et pour l'État.

Une fois cette carrière ouverte, le Gouvernement s'y engagea, d'abord avec modération, bientôt avec excès. Quatorze ans séparent le premier emprunt du second, qui ne fut que de 140.000 livres, en 1536. Mais, en 1537, nouvel emprunt de 200.000 livres ; puis d'autres se produisirent en 1544, 1545 et 1546. A plusieurs reprises, la Ville avait fait entendre des doléances et invoqué la diminution de ses ressources et les charges qui pesaient sur les habitants. Ceux-ci paraissent avoir montré peu d'empressement à souscrire, car il semble bien que certaines catégories de gens aient été forcées à le faire, même en 1522. Les rentes cependant furent régulièrement payées jusqu'à la fin du règne, bien plus régulièrement que les dettes de l'État.

Avec cette création et les réformes dans l'administration s'ouvre dans l'histoire financière de la France une nouvelle période.

 

 

 



[1] Les sources et les ouvrages cités en tête du livre III sont à consulter pour les chap. II et III dans leur entier. Nous avons pris un grand nombre de renseignements dans le Catalogue des actes de François Ier. Ils sont très faciles à retrouver, puisque la table générale a été publiée. Voir E. Pasquier, Recherches de la France, éd. de 1728. J. du Tillet, Recueil des Rois de France, leur couronne et maison, ensemble le rang des Grands du royaume, 1838. Th. Godefroy, Le Cérémonial françois, 2 vol., 2e éd., 1649.

[2] Le Grand d'Aussy l'avait déjà observé dans l'Histoire de la vie privée des François, éd. de 1815, t. III, p. 745-752.

[3] Ce qui a trompé pendant longtemps — outre l'ignorance des historiens sur toutes les institutions du moyen âge — c'est que chaque Roi modelait à son image l'Hôtel et la Cour, les étendent ou les resserrant, suivant qu'il aimait plus ou moins le luxe et l'éclat.

[4] On lit encore, dans le Catalogue des Actes de François Ier, à la date du 30 juin 1540, un ordre de payer à Cécile de Melville, dame des filles de joye suivant la court, 45 livres tournois, tant pour elle que pour les autres femmes et filles de sa vaccation... pour leur droit au mois de may derrenier passé, ainsi qu'il est accoustumé de faire de toute ancienneté.

[5] La livre tournoie peut être évaluée en moyenne à 4 francs, en valeur de poids actuelle ; l'écu à 8 ou 9 francs.

[6] Plusieurs de ces personnages touchent en outre 8.000 livres, comme gouverneurs dans les provinces.

[7] On peut consulter sur cette question des dépenses de Cour l'ouvrage du P. Hamy, L'entrevue de Boulogne de 1533, 1900, qui donne dans sa seconde partie de nombreux extraits de comptes, à propos de cette entrevue.

[8] La construction du nouveau Louvre ne fut décidée qu'en 1546.

[9] Deux chambres de la tapisserie du Roy et celles qui se mènent sur les chariots. — La vaisselle d'argent, les tapisseries et autres meubles que le Roy a ordonné de porter du Louvre au Câteau-Cambrésis, où la Reine doit arriver le 10 de ce mois, etc.

[10] Noël Valois, Le Conseil du Roi aux XIVe, XVe et XVIe siècles, 1888 ; Inventaire des arrêts du Conseil d'État, (règne de Henri IV) (l'introduction), 1886. De Crue, De Consilio regis Francisci I, 1888 (thèse de Paris). G. Hanotaux, Le pouvoir royal sous François Ier, dans Études historiques sur le XVIe el le XVIIe siècle en France, 1886. Dognon, Les Institutions politiques et administratives du pays de Languedoc, du XIIIe siècle aux guerres de religion (thèse de Paris), 1895 (4e et 5e parties).

[11] Cela n'est pas nouveau (voir par exemple l'Histoire de France, t. III, 2e partie, liv. V), mais il semble bien qu'au début du XVIe siècle il y ait eu comme une reprise offensive des légistes méridionaux.

[12] Il existait avant la date de 1497, qu'on assignait autrefois à sa création.

[13] Ce n'est pas exact. On voit quelque chose de cela au XVe siècle.

[14] Noël Valois, Inv. des arrêts du Conseil d'État (introduction), p. XLIV-XLV.

[15] Ils étaient au nombre de sept, au XVIe siècle : Parlements de Paris, de Toulouse, de Bordeaux, de Grenoble, de Dijon, créé en 1477, de Rouen, substitué à l'ancien Échiquier de Normandie en 1499 et 1515, d'Aix, créé en 1501.

[16] Voir le chap. II du livre IV, et le chap. III du livre VI, où l'on peut prendre une idée du rôle du Parlement en face du Roi.

[17] De La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, édit. Chautelauze, 1860-1868, t. II et III. De Luçay, La succession du Connétable de Bourbon, dans les Notices et documents pour le Cinquantenaire de la Société de l'Histoire de France, 1884. Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, 2 vol., 2e édit., 1876. G. Guiffrey, Procès criminel de Jehan de Poytiers, seigneur de Saint-Vallier, 1867.

[18] Voir ci-dessus, le chap. I du livre II.

[19] Sauf le duc d'Alençon, mari de Marguerite.

[20] La région du Bourbonnais, explorée depuis peu, a révélé des œuvres remarquables de la fin du XVe et du commencement du XVIe siècle, par exemple les statues de saint Pierre et de sainte Anne, acquises par le Louvre. Voir A. Michel, Les statues de sainte Anne, saint Pierre.... du château de Chantelle au Musée du Louvre, dans les Mélanges Piot, t. VI, 1899.

[21] Il avait déclaré, sous Louis XII, que l'abandon aux Beaujeu de tous leurs domaines en Pleine propriété seroit le plus grand inconvénient qui oncques arrivast au royaume.

[22] La Mure, Histoire des ducs de Bourbon, etc., t. II, p. 715-716.

[23] Baumgarten, Geschichte Karts V, t. I, 1885. Il n'apporte d'ailleurs rien de particulièrement nouveau sur le complot et sur le procès.

[24] L'amour de François Ier pour Diane de Poitiers, fille de Saint-Vallier et femme du Grand-Sénéchal, et le sacrifice de sa virginité que celle-ci aurait fait au Roi pour sauver son père ne sont décidément qu'une légende. Diane, en tous cas, n'était plus une jeune fille, en 1524. Née en 1499, elle était mariée au Sénéchal depuis dix ans.

[25] Champollion-Figeac, Captivité du roi François Ier, 1847, p. 160, 168 (Coll. des Doc. inéd.).

[26] A. Dupuy, Histoire de la réunion de la Bretagne à la France, 2 vol., 1880, t. II, p. 284-291.

[27] Don du comté de Castres à la marquise de Saluces (1527), du duché de Chartres et de la châtellenie de Montargis à Renée de France (1528), du duché de Nemours à Philippe de Savoie (1528), du duché de Châtellerault, du comté de Clermont en Beauvaisis à Charles de France (1540). La Chambre des comptes luttait énergiquement contre ces profusions.

[28] L'institution remonte au moins au XIVe siècle.

[29] En 1548, François Ier instituera Henri d'Albret son lieutenant-général en Guyenne, Poitou, Languedoc et Provence, à cause des menaces d'invasion de l'Empereur.

[30] Loyseau considère — il écrivait après la Ligue — qu'il y avait en effet à redouter les ambitions des gouverneurs de provinces, et il parle presque d'une recrudescence de féodalité.

[31] Voir sur tout ceci Dupont Ferrier, ouvrage cité. Il évalue à 86 le nombre des bailliages vers 1515. Il faudrait ajouter è ce chiffre les sénéchaussées ou bailliages établis dans les domaines confisqués du Connétable et dans la Bretagne après sa réunion. Mais on doit insister sur le fait que le nombre et l'étendue des circonscriptions varia beaucoup.

[32] Voir sur tout ceci Dupont Ferrier, ouvrage cité.

[33] Voir sur tout ceci Dupont Ferrier, ouvrage cité.

[34] Ordonnance de 1536. Elle est confirmée, pour les prestations d'hommage, par des lettres de 1540.

[35] Ce règne, où la royauté fut forte et despotique, fut cependant troublé à plusieurs reprises. Il y eut quelques révoltes — celle des Rochelais est la plus connue — des essais d'opposition, des pilleries de gens de guerre, des ravages d'aventuriers et de boutefeux. Nous en parlerons au cours du récit des événements politiques et militaires.

[36] Consulter pour les §§ V et VI, De Boislisle, Semblançay et la surintendance des finances, Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France, 1981. — Jacqueton, Documents relatifs à l'administration financière en France de Charles VII à François Ier, 1443-1533, 1891. Jacqueton, Le trésor de l'Épargne sous François Ier, 1533-1547, Revue historique, t. LV et LVI, 1894, et tirage à part, 1894 ; important. — Spont, Semblançay, (? -1527) ; La Bourgeoisie financière au début du XVIe siècle, 1895 (thèse de Paris).

[37] Semblançay est allié aux Briçonnet, dont l'un fut Général du Languedoc ; à Pierre Morin, Trésorier de France ; il tient par eux à Thomas Bohier, Général de Normandie, à Jean de Poncher, Trésorier des guerres, aux Rezé, aux Berthelot. Son fils Guillaume fut Général de Languedoïl ; deux autres fils furent, l'un évêque de Vannes, l'autre archevêque de Tours. Une de ses filles, Marie, épousa Raoult Hurault, Général d'Outre-seine. On voit figurer dans la généalogie des Semblançay tous les hauts officiers des finances et les plus grands dignitaires ecclésiastiques.

[38] Aucune dépense publique n'était payée directement, pas plus les dons de Roi que les dépenses proprement dites. On remettait au bénéficiaire ou au créancier un mandat ou décharge qu'il devait présenter, soit à l'un des trésoriers de France, soit à l'un des généraux des finances, soit à l'une des administrations financières. Suivant qu'il était assigné, sur tel ou tel agent, voisin ou éloigné, sur une caisse qui avait des fonds ou sur une calme qui n'en avait pas, le mandat était plus ou moins avantageux. De là des spéculations sans nombre, des récriminations, des difficultés énormes à se faire payer. Marot se plaint sans cesse d'être mai assigné. Les banquiers escomptaient ou achetaient à bas prix ces décharges, puis se faisaient réassigner plus avantageusement.

[39] Spont a pu reconstituer, sur le terrain même, les limites de la baronnie dans presque toute leur étendue. L'hôtel de Semblançay existe encore à Tours presque intact.

[40] On a nié qu'il y eût dans ce pouvoir spécial l'organisation de la surintendance des finances, telle qu'elle existera plus tard, et que Semblançay ait été, comme on l'avait dit, le premier en date des surintendants ; cela est vrai dans ces termes. Mais il faut aussi tenir compte des habitudes de l'ancien régime, qui ne créait jamais les institutions d'un seul jet. C'était tout su moins le premier essai de la future surintendance.

[41] Marot qualifie Maillart de juge d'Enfer. M. Paulin Paris fait observer avec raison que ces mots n'ont pas le sens défavorable qu'on leur prête : ils font tout simplement partie du bagage mythologique du temps : Maillart, juge des Enfers, allusion à Minos, Éaque et Rhadamante.

[42] Le Bourgeois de Paris parle longuement de tous ces procès criminels.

[43] Voir surtout, pour ce paragraphe, Jacqueton, ouvrage cité.

[44] Une ordonnance du 18 mars 1523 avait créé un Trésorier de l'Épargne. Mais ce Trésorier fut bientôt réduit à un rôle très secondaire, à côté de celui du 23 décembre. Il ne dut plus percevoir que les fonds provenant des inventions postérieures au 23 décembre.

[45] Voir Dognon, Les institutions politiques et administratives du pays de Languedoc, 5e partie, et appendice n° 7, et les Registres des délibérations du Bureau de la ville de Paris, t. II et III (1527-1552), 1886. — Le Bourgeois de Paris parle souvent de ces impôts variés à l'infini dont le peuple fut fort oppressé et molesté. Pour fournir aux dictes troys armées furent faicts gros emprunts sur le peuple du royaume... Après furent mis les gros emprunts particuliers sur les manans et habitans de la ville de Paris... puis on demanda par les maisons de la vaisselle d'argent et par tout le royaume...

[46] Les Trésoriers de France firent souvent opposition à ces mesures ; le Roi les contraignait par des lettres de jussion.

[47] Bapst, Histoire des joyaux de la Couronne de France, 1889.

[48] Cauwès, Les commencements du crédit public en France. Les rentes sur l'Hôtel de Ville au XVIe siècle, Revue d'économie politique, t. IX, 1896.