HISTOIRE DE FRANCE

TOME CINQUIÈME — LES GUERRES D'ITALIE - LA FRANCE SOUS CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS Ier (1492-1547).

LIVRE PREMIER. — LES GUERRES D'ITALIE (1492-1518).

CHAPITRE IV. — MARIGNAN.

 

 

I. — LES DÉBUTS DE FRANÇOIS Ier[1].

DÈS les premiers jours du règne, on sent chez le roi nouveau et chez ceux qui l'entourent l'enivrement de la haute fortune, si âprement espérée, si incertaine pendant longtemps. Les agents de Charles d'Autriche ne durent pas avoir de peine à faire agréer les consolations qu'ils présentèrent à François Ier, à savoir : que tous les humains grands et petits sont subjects à la mort, davantaige (et de plus) que le feu Roy estoit homme anchien, débile et maladieux, et que en toutes affères l'on doibt se conformer à la volonté et disposition de Nostre-Seigneur. Gattinara pouvait écrire (non sans ironie peut-être) que la mère du Roi semblait être beaucoup plus fresche et plus jeune qu'elle n'estoit quatre ans passés. Avec elle et avec son fils triomphaient joyeusement tous les compagnons des jours sombres, toute la jeunesse, surtout les nobles, les grands seigneurs.

Louise de Savoie recevait le comté d'Angoulême, érigé en duché, le duché d'Anjou, les comtés du Maine et de Beaufort. Le duc d'Alençon, mari de la sœur du Roi, était appelé à jouir des prérogatives de Seconde personne de France. Charles de Bourbon fut nommé Connétable, dès le 12 janvier, et lieutenant général et gouverneur de plusieurs villes ou provinces du royaume, le 12 février. Artus Gouffier, seigneur de Boisy, obtint l'office de Grand-Maître de France, son frère Bonivet, celui d'Amiral ; Duprat fut Chancelier. On garda cependant quelque chose du personnel gouvernemental de Louis XII ; Robertet trouva le moyen de se maintenir en faveur. Le Bourgeois de Paris énumère dans son Journal les nominations, dons et privilèges. La liste est longue. On avait rarement vu, aux changements antérieurs de règne, un semblable partage de tous les bénéfices matériels du pouvoir.

Avec Louise de Savoie, Madame, comme on l'appelait, le principal chef du gouvernement fut M. de Boisy, auquel le Roy avait amour et familiarité espécial, et sous l'autorité duquel toutes choses passoyent en la Court du Roy. Boisy, né vers 1475, avait été, en effet, le gouverneur de François Ier. C'était un personnage d'esprit pondéré ; tous les témoignages s'accordent sur son bon sens. Dans ces premières années du règne, si charmantes et si gaies, il apparaît un peu comme un Mentor ; il est un tuteur autant qu'un ministre du Roi. Sa mort prématurée, en 1519, modifia peut-être les événements.

Un des historiens de François Ier a dit en parlant de ce prince : De quoi s'occupe-t-il tout d'abord ? Du Milanais et du royaume de Naples. De quoi s'occupera-t-il pendant tout son règne ? Du Milanais et du royaume de Naples. En effet, dès le premier jour, le Roi ne songea qu'à franchir les Alpes et à paraître en Italie, le seul pays où il se faisait de grandes choses et surtout des choses très éclatantes. Mais il fallait d'abord régler la situation diplomatique, car l'Empereur, le Pape, le roi d'Aragon et les Suisses demeuraient unis et prêts à défendre Milan.

On s'appliqua à maintenir la paix avec l'Angleterre ; François Ier, qui ne lésinait pas, se reconnut débiteur envers Henri VIII d'un million d'écus, au lieu de 800.000, non compris le douaire de Marie, la veuve de Louis XII. Mais les négociations pour la paix définitive durèrent jusqu'en 1518. Lorsqu'on eut, à cette date, promis de payer 800.000 écus pour Tournay et désintéressé Wolsey de ses prétentions sur l'évêché, la ville fut restituée à la France. François Ier dut s'habituer ainsi à l'idée qu'avec l'Angleterre on s'en tirait toujours en y mettant le prix.

Les exigences de la maison d'Autriche avaient un autre caractère et une autre portée. Par une coïncidence curieuse, l'émancipation de Charles d'Autriche, à peine âgé de quinze ans, fut prononcée cinq jours après l'avènement de François. Ainsi, du premier coup, se marquait le parallélisme entre les deux rivaux. Du premier coup aussi se pose au fond de toutes les négociations, de tous les  accords ou de tous les dissentiments, la question de Bourgogne. Maximilien ni Marguerite n'avaient jamais renoncé pour Charles aux prétentions sur l'héritage du Téméraire. Charles lui-même y rattachera ses conceptions les plus raisonnées, les plus tenaces, au moins pendant quinze ans. Ce sera pour lui affaire d'ambition et d'honneur.

Mais tout d'abord on essaya d'un rapprochement entre les deux princes. Dans leurs premiers rapports, il est intéressant d'observer la différence de ton de l'un à l'autre. Le 3 janvier, un délégué de Marguerite écrivait : J'ay trouvé le Roy assez aygre en ses devises. Je luy diz que Monsieur l'Archiduc (Charles d'Autriche) estoit bien délibéré de vivre en amytié avec luy... Il me dit qu'il ne tiendroit pas à luy, et qu'il luy seroit bon parant et bon seigneur, à cause qu'il (l'archiduc) est son vassal, mais qu'il ne vouloit point être mené de luy, comme l'Empereur et le roy d'Aragon avoient mené le feu Roy. Sur une réplique assez vive, le Roi se modéra, mais il se considérait évidemment comme le supérieur de Charles, son vassal, de six ans plus jeune. Malgré toutes les leçons des revers, il gardera toute sa vie ce sentiment.

Des conférences se tinrent à Paris. Au début, les représentants de la maison d'Autriche demandèrent le renouvellement du traité de Cambrai. Ils y ajoutaient une proposition de mariage de Charles avec Renée de France, seconde fille de Louis XII, celle-ci apportant en dot le Milanais et l'Astesan. Mais ils avaient aussi l'ordre de parler de la Bourgogne, en rappelant que la détention de ce duché par les rois de France avait été cause de bien des différends, et qu'il faudrait y pourvoir pour l'avenir. Le Chancelier déclara que ces demandes lui semblaient être mises en avant par manière de jeu, car elles estoient toutes déraisonnables. Il proposa pour Renée la dot qu'avait eue la fille du roi Louis le Hutin ; à quoi Gattinara répondit que celle-ci avait reçu la Navarre, la Champagne et la Brie. Le Chancelier en resta muet. Cependant, le 24 mars, un traité fut signé à Paris, qui stipulait une alliance entre les deux princes, et une promesse de mariage entre Charles et Renée. Celle-ci devait recevoir en dot le Berry et 200.000 écus. Si le mariage ne s'accomplissait point, sans qu'il y eût faute du futur, il aurait comme dédit le Ponthieu, Péronne, Amiens, Montdidier, Abbeville. On en revenait presque aux traités de Blois, de 1504.

François Ier traita aussi avec Venise, en renouvelant les conventions de 1313, et il obtint du doge de Gènes la restitution des droits de souveraineté de la France sur la ville. D'autre part, le Pape, les Suisses, le roi d'Aragon et leurs alliés italiens ne surent ni s'entendre ni agir en commun.

 

II. — LA CAMPAGNE DE MARIGNAN.

FRANÇOIS Ier prépara la guerre, au commencement de mai. On pratiqua les Allemands, pour lever chez eux des lansquenets. Le duc de Gueldre promit de venir en personne, avec un corps de troupes. Chez les Suisses on tenta des négociations, mais qui n'aboutirent pas ; on devait les reprendre au cours même de la campagne. François Ier établit sa mère comme régente du royaume, puis il se rendit à Grenoble, où les soldats arrivaient de tous côtés.

Barrillon écrit qu'on estimait l'armée royale à 3.000 hommes d'armes d'ordonnance et 30000 hommes de pied, dont 10.000 Français et 20.000 lansquenets. Les noms des princes et seigneurs qui passèrent les monts avec le Roy, pour luy ayder à recouvrer le duché de Milan, comprennent toute la noblesse de France, mais c'est en grande partie une génération nouvelle qui entre en scène. Ceux qui avaient rempli l'histoire militaire du règne de Louis XII : La Palisse, La Trémoille, d'Aubigny, Louis d'Ars , Trivulce sont presque en sous-ordre. Au contraire, le duc d'Alençon, Charles de Bourbon, le comte de Nevers, Boisy sont cités en première ligne. Jacques Galiot de Genouillac commandait l'artillerie. Pedro Navarro, qui avait été pendant le règne de Louis XII employé par Ferdinand, et que les Albret avaient rattaché à la cause française, avait le gouvernement des gens de pied français et des pionniers. Il avait promis qu'il mettrait au service de François Ier la peau et les os : ses talents d'ingénieur faisaient de lui un auxiliaire précieux. Le chancelier Antoine Duprat, le Général des Finances Bohier, le Trésorier de France Robertet, le Grand Aumônier, des évêques, des maîtres des requêtes suivaient l'armée. Quelques-uns d'entre eux se trouvèrent en plein champ de bataille, à Marignan.

Le Milanais paraissait devoir être très vigoureusement défendu. Le Pape avait envoyé Prospero Colonna vers le Piémont avec 1 500 chevaux, et son neveu Laurent de Médicis à Plaisance avec 3.000. Le vice-roi de Naples se dirigeait vers le Pô, ayant sous ses ordres 800 hommes d'armes et 1.000 hommes de cavalerie légère. Mais c'étaient les Suisses surtout qu'on avait à redouter. Au nombre de 15 à 20.000, ils s'étaient portés au débouché même des Alpes, et campaient en masse à Suse et à Pignerol, fermant ainsi les deux seuls passages considérés jusque-là comme accessibles, celui du Mont-Cenis et celui du Mont-Genèvre. Changement de stratégie notable, puisque, dans les campagnes précédentes, ils s'étaient bornés à essayer de reprendre le pays, au lieu d'empêcher les Français d'y entrer. C'est que, depuis 1513, leur armée occupait le Milanais ; en outre, la Confédération avait signé un traité d'amitié avec le duc de Savoie.

Il était donc impossible de franchir les Alpes aux points habituels, et il fallait opérer un mouvement tournant. On indiqua à Trivulce un col situé au nord de l'Enchastraye, à l'altitude de 1995 mètres[2], entre les vallées supérieures de l'Ubaye, à l'Ouest, et de la Stura, à l'Est. Il était alors à peine praticable, même pour les piétons. Pedro Navarro, avec 1.000 ou 1.200 pionniers, fit coupper les rocs pour faire chemin à passer les gens de cheval et l'artillerie. Le 9 ou le 10 août, l'avant-garde de Bourbon s'engagea dans les défilés, le gros de l'armée la suivit. Ils mirent trois jours à passer d'Embrun par Saint-Paul, Larche, Argentera, Demonte, au bout des grandes montagnes.

Un agent vénitien qui se trouvait à Demonte vit défiler avec étonnement toute l'armée. Le premier jour, 300 estradiots, Trivulce et son fils ; le grand connétable duc de Bourbon, superbamente. Le lendemain, M. de Saint-André, Pedro Navarro avec 6000 fantassins, le duc de Gueldre. Le troisième jour, La Trémoille et le reste des troupes. L'artillerie ne passa qu'ensuite. Le Roi quitta Embrun, le 13 août, armé de toutes pièces, ainsi que ses compagnons. Extraordinaire équipage, dans le plus estrange pais où jamais fust homme de ceste compagnie, comme il l'écrit à sa mère. Il fallait presque toujours être à pied et tirer les chevaux par la bride. Un seul pouvait passer à la fois, au milieu des rochers et des torrents. On ne trouvait personne dans les rares villages traversés, car les habitants s'étaient enfuis au plus haut de leurs montagnes. Aussi on ne but que de l'eau, et on fut réduit à quelques vivres qu'on avait emportés.

A la nouvelle du passage, l'armée de la Confédération se retira sur Chivasso et Verceil, pendant que les Français entraient à Turin. où le duc de Savoie s'était prudemment tenu, tout en essayant de ménager un accord entre François Ier et les Suisses. Puis, suivant de très près les Suisses, le Roi s'empara de Novare, les laissa rentrer à Milan et se porta sur Marignan, en continuant avec eux les négociations engagées qui, le 8 septembre, aboutirent à un projet de traité. Tout semblait terminé, le Pape lui-même faisait des avances. Mais les soldats de la Confédération et les délégués des Cantons n'étaient pas d'accord. Le cardinal Schinner en profita. Prévenant la ratification, il rassembla les troupes de la garnison de Milan, les prêcha avec sa violence habituelle et, bien que beaucoup de soldats et de capitaines se fussent refusés à violer la parole donnée au Roi, il entraîna avec lui le plus grand nombre. Dans l'après-midi du 13 septembre, ils sortirent tout à coup de Milan, pour marcher contre les troupes françaises. Schinner les accompagnait, revêtu de ses habits de cardinal et faisant porter devant lui la croix de Légat. Il jouait évidemment la partie sur un coup de surprise, car les Vénitiens étaient campés à Lodi, à quelques lieues de Marignan. Si le Roi avait le temps de les prévenir, l'armée des Cantons était singulièrement menacée.

La bataille de Marignan[3] est très simple et n'ajoute rien à l'histoire de la tactique militaire. Elle est essentiellement héroïque des deux parts : le récit le meilleur, parce qu'il en donne toute la physionomie et révèle l'âme du Roi dans sa jeunesse, est la lettre qu'il écrivit à sa mère, le soir même de la victoire : lettre confuse, toute chaude encore du feu du combat, et qu'on dirait écrite sur l'affia d'un canon. Il y apparaît avec sa valeur chevaleresque, même avec un instinct militaire, capable surtout des décisions promptes, et puis aussi avec sa joie presque enfantine, charmante à ce moment, de parler de lui et de raconter — pour sa mère et pour les dames — ses belles prouesses. Il n'y a d'ailleurs pas trop d'exagération dans ce qu'il dit et, sur les points principaux, les autres témoignages sont à peu près d'accord avec le sien.

La plaine où se livra le combat est sans relief, mais coupée de rizières, de canaux et de fossés, impraticable à la cavalerie, excepté sur quelques larges chaussées tout en lignes droites.

L'armée française faillit être surprise, comme l'espérait Schinner. Les troupes des Ligues s'avançaient en bandes épaisses, avec 8 ou 9 pièces de grosse artillerie à leur front. La poussière qu'elles soulevaient par une chaude journée révélait de loin leur approche, que quelques guetteurs vinrent annoncer à Bourbon. Le Roi prévenu se revêtit de son harnais de guerre, merveilleusement bien fait et aisé, puis courut à l'avant-garde pour concerter les derniers préparatifs avec le Connétable.

Les dispositions de l'armée française se bornèrent à peu près à celles-ci : distribution traditionnelle en avant-garde (commandée par Bourbon), corps de bataille (par le Roi), arrière-garde (par le duc d'Alençon) ; la gendarmerie sur les chaussées, où elle pouvait charger ; l'artillerie tantôt en avant, tantôt sur les côtés.

Les confédérés voulaient d'abord s'emparer de l'artillerie, gardée par les lansquenets. Un gros Suisse du canton de Berne avait juré de clouer 2 ou 3 pièces à lui seul. Entre trois et quatre heures seulement, ils prirent contact avec l'avant-garde et rejetèrent les gens d'armes sur les gens de pied, au milieu d'un terrible désordre : Vous asseure, Madame, qu'il n'est pas possible venir en plus grande fureur ne plus hardiment. Mais le Roi arriva : Me sembla bon les charger et le furent de sorte, et vous promets, Madame, que si bien accompaignez et quelques galans qu'ilz soient, 200 hommes d'armes que nous estions en défismes bien 4.000 Suisses et les repoussâmes assez rudement, en leur faisant jeter leurs picques et crier France ! Le combat continua très confus et très incertain jusqu'au soir ; il se poursuivit même aux clartés indécises d'une nuit lunaire. Mais la poussière était devenue si épaisse qu'il était impossible de s'y reconnaître et qu'il fallut s'arrêter. Les soldats des Cantons lançaient à travers l'obscurité des appels de cornet pour se rallier ; les trompettes du camp français y répondaient et sonnaient autour du Roi. Les deux armées se trouvaient à moitié confondues, et les deux camps enchevêtrés. La nuit se passa des deux parts à remettre un peu d'ordre, à rassembler les hommes dispersés, à se concentrer pour le lendemain.

François Ier avait fait écrire en toute hâte au général des Vénitiens, Alviano, pour l'appeler à la rescousse. Il maintint la division de l'armée en trois corps, un peu en arrière du champ de bataille de la veille, mais en marquant plus nettement la disposition latérale lui au centre, le Connétable à droite, le duc d'Alençon à gauche ; l'artillerie mieux placée pour la défensive ou l'offensive. Aux premières lueurs du jour, la bataille recommença. Les Suisses semblent avoir pris le parti de se borner à contenir le centre, pour tourner l'armée française, surtout par son aile gauche. Ils me laissèrent à mon nez 8.000 hommes et toute leur artillerie, et les deux autres bandes les envoyèrent aux deux coins de mon camp, l'une à mon frère le Connétable, et l'autre à mon frère d'Alençon.

Les agents vénitiens virent le Roi, la pique à la main, au plus fort de la mêlée (ils le disent eux-mêmes), dans tout l'enthousiasme du combat. Mais, à l'aile gauche, le duc d'Alençon se laissa enfoncer. Des fuyards coururent jusqu'à Marignan, criant que tout était perdu. C'est à ce moment qu'Alviano arriva, environ huict heures du matin, dit Barrillon, avec 300 hommes d'armes, qui avaient couru au galop depuis Lodi. Il se porta d'abord au secours de l'aile gauche, renversa les Suisses déjà fatigués de quatre heures de combat, et rétablit les affaires sur ce point. L'infanterie vénitienne se montra vers onze heures Les soldats des Cantons, déconcertés par la résistance héroïque du Roi et du duc de Bourbon, effrayés par la venue du corps vénitien, se mirent en retraite, puis bientôt en fuite. La cavalerie en fit un grand carnage. Quand on procéda à l'ensevelissement des morts, on en compta, dit Barbillon, 16.500, parmi lesquels 13 à 14.000 ennemis. Les Vénitiens donnent à peu près le même chiffre, un peu plus bas. Un certain nombre de grands seigneurs français, le prince de Talmont, le duc de Châtellerault avaient péri.

Le lendemain, le Roi accueillit avec une grâce particulière Alviano et l'ambassadeur de Venise, Contarini. Ils entrèrent dans sa tente à son lever. Il leur prit les mains très familièrement, puis il alla voir les troupes vénitiennes. Il leur devait en partie la victoire ; il reconnut qu'elle avait été rude à remporter : La bataille dura depuis hier jusqu'aujourd'hui, sans sçavoir qui l'avoit perdue ou gagnée, sans cesser de combattre et de tirer l'artillerie jour et nuit.... Ce sont les gens d'armes qui ont fait l'exécution, et ne penserois point mentir que, par cinq cens et par cinq cens, il n'ait été fait trente belles charges, avant que la bataille fust gagnée. Le sénéchal d'Armagnac avec son artillerie ose bien dire qu'il a esté cause en partie du gain de la bataille, car jamais homme ne s'en servit mieux.

 Milan se rendit. Le Connétable et Pedro Navarro furent chargés de faire le siège du château. Le Roi se retira à Pavie, où il reçut des ambassadeurs de toutes parts, et tout d'abord du Souverain Pontife. Le 4 octobre, Maximilien Sforza renonçait à ses droits sur le Milanais, moyennant une somme de 94.000 écus, payable en deux ans, et une pension de 36.000. Les Milanais devaient être pardonnés ; Morone, le marquis de Gonzague et d'autres seraient gratifiés de places ou de présents.

 

III. — LIQUIDATION DES GUERRES D'ITALIE.

DE 1515 à 1519, François Ier poursuit deux politiques : l'une par laquelle il essaie de régler les affaires d'Italie, c'est la continuation de celle de Louis XII ; l'autre par laquelle il entreprend de s'assurer l'Empire, c'est la sienne propre. Dans la première se présentent de perpétuels recommencements de toutes les combinaisons déjà tentées.

La bataille de Marignan n'avait pas tout terminé. Maximilien avait formé contre le Milanais des projets d'expédition, annoncés à grand fracas. Il faisait appel à Henri VIII, qui ne voulait pas s'engager à fond et surtout répondait fort peu à ses demandes d'argent, même faites sous la forme d'emprunts ; car le César, comme disait l'envoyé d'Angleterre, avait l'habitude de mettre ses échéances aux calendes grecques. Maximilien comptait sur la Suisse, qui était redevenue un grand marché d'hommes ouvert à tous. Il y envoya Mathieu Schinner, qui trouva les montagnards, même ceux qui étaient mal disposés à l'égard de la France, fort méfiants : considerans que promectre et tenir estoient deux choses ; de faire la première, l'Empereur estoit assez coustumier, mais de la seconde, il n'estoit fort usité. Il obtint cependant la promesse de 10 à 12.000 hommes. Enfin, il avait noué des intelligences avec les Milanais, toujours prêts aux changements. Déjà plusieurs bannis couraient le duché.

Au mois de mars de l'année 1516, Maximilien entra en Italie avec une trentaine de mille hommes ; il n'y resta pas longtemps, bien qu'il eût annoncé qu'il ferait ses Pâques à Milan. Bourbon se fortifia dans la place, Maximilien campait au nord de Marignan. Il y était depuis trois jours à peine, lorsqu'il abandonna ses troupes, en pleine nuit, et se retira avec une simple escorte à Vérone, d'où il retourna en Allemagne. Les agents de Marguerite refusèrent pendant quelques jours d'accepter la nouvelle de ce déplorable effondrement. Ils écrivaient que les Français faisaient courir des calomnies plus que bestiales ; mais il fallut bien se rendre à l'évidence.

Le Pape fut le premier à revenir à la France. La nouvelle de la victoire de Marignan l'avait accablé. Il s'était emporté contre les Vénitiens qui y avaient contribué ; il voyait déjà le royaume de Naples menacé d'invasion et François Ier dominant dans toute l'Italie. Ses efforts tendirent d'abord à séparer le Roi de ses alliés et, du même coup, à l'engager dans sa politique à lui. Immédiatement après la défaite des Suisses, son ambassadeur Louis de Canossa reprit les négociations déjà entamées avant la bataille[4]. Malgré les efforts des Vénitiens, François Ier consentit à un accord et, le 13 octobre, les premières bases d'un traité furent jetées. Le Roi et le Pape s'engageaient à se soutenir mutuellement ; le Roi aiderait le Pape et l'Église à recouvrer tous leurs biens. Il promettait de défendre la République de Florence, que le Pape a très chère, et d'y maintenir la famille des Médicis, telle qu'elle y est. Il obtenait en échange l'appui de Léon X pour la conservation du Milanais, et recevait Parme et Plaisance.

C'était le traité entre les deux princes ; Léon X tenait au moins autant à l'entente des deux pouvoirs spirituel et temporel. La réunion du concile de Pise avait rendu là Papauté très attentive à combattre les velléités d'indépendance dans le clergé, et posé très nettement la question de l'autorité des Souverains Pontifes sur l'Église. Or, le Sacré Collège voyait dans la Pragmatique française un des principaux éléments de résistance à la centralisation pontificale, et le Concile de Latran s'était attaché à la combattre. Il venait de rendre une décision qui la supprimait et avait assigné le Roi à comparaître à ce sujet.

Mais Léon X n'était pas homme à agir brutalement, surtout avec un vainqueur : il proposa au Roi une entrevue. Chacun des deux souverains comptait jouer l'autre. Léon X se savait délié et disert, François Ier aimait à s'entendre louer de la séduction qu'il exerçait sur tous ceux qui l'approchaient ; il se considérait comme très habile à manier les hommes : Je suis persuadé, disait-il, que je le tromperai. Il fut décidé que les deux souverains se verraient à Bologne. Le 11 décembre, François Ier entra dans la ville, où le Pape était arrivé quelques jours auparavant ; vingt-deux cardinaux en grand costume allèrent le recevoir. Les rues étaient ornées d'arcs de triomphe, où se lisaient des inscriptions à sa louange. A trois heures, il se rendit dans la salle où se trouvait le Pape ; il avait revêtu une robe de drap d'or, enrichie de martre zibeline ; les plus grands seigneurs du royaume l'accompagnaient. Léon X siégeait sur son trône pontifical, la tiare en tête, entouré des cardinaux et de tous les ambassadeurs. Les deux souverains se baisèrent en la bouche. Puis Duprat prononça un élégant discours latin, auquel le Pape répondit quelques mots.

Après cette séance d'apparat, le Concordat fut préparé le lendemain dans une séance intime. De même que les deux princes, leur entourage vivait en grande familiarité. Les Français se montraient plus gracieux et plus humains qu'à leur habitude ; ils comblaient le Pape de marques de respect ; ils ne cessaient de lui baiser les pieds très religieusement et de solliciter sa bénédiction ; ils communiaient en masse. Quelques-uns même, parait-il, suppliaient Léon X de leur pardonner d'avoir combattu son prédécesseur. Il n'y faisait pas difficulté.

Le Concordat est un fait capital dans l'histoire ecclésiastique de la France ; on en verra plus loin la teneur, le caractère et les conséquences. En ce qui concerne la politique italienne de François Ier, cet acte avait pour résultat de faire espérer à celui-ci l'alliance pontificale. Elle n'était pas encore complètement assurée à la fin de 1515 et les ennemis du Roi s'efforcèrent de ramener Léon X à leurs intérêts. Pourtant, en novembre 1516, les évêques de Lodève et de Saint-Malo, envoyés à Rome, y conclurent enfin, au nom du Roi, une ligue avec le Souverain Pontife, la république de Florence, le duc d'Urbin et tous les membres de la maison des Médicis.

 Assez vite après Marignan, le gouvernement de François Ier chercha à se rapprocher des Suisses. Il s'émerveillait comme les dits sieurs des Ligues, qui sont gens d'esperit et d'entendement et clairevoyants, s'étaient laissé surprendre aux paroles de ses ennemis. Il leur rappelait que leurs alliés les avaient abandonnés au moment de la lutte. Il leur insinuait qu'ils avaient plus d'intérêt à s'unir à lui qu'à nul autre. De l'Empereur, ilz congnoissent le port de son arbalestre, disait-il assez dédaigneusement. En même temps qu'il faisait des ouvertures aux Ligues, il ne laissait pas de garder vis-à-vis d'elles toutes sortes de méfiances. Les ambassadeurs français avaient reçu la recommandation d'être des plus prudents, de ne leur clarifier ne spécifier trop les choses, affin de ne pas leur ouvrir trop l'entendement et les faire penser à ce qu'ils ne pensent point ; ils devaient chercher à obtenir plus qu'une paix : une alliance pour quelque cause que ce soit. Mais les délégués des cantons avaient fait depuis longtemps leurs preuves de finesse ; d'ailleurs, la Suisse restait divisée : Fribourg, Berne et Soleure, qui tenaient pour le Roi, entrai-aèrent dans leur parti cinq cantons, les autres demeurèrent hostiles. A la suite de longues négociations, un premier traité fut conclu à Genève, le 7 décembre 1515, avec huit cantons seulement.

François Ier reprit les négociations, en mai 1516. Il eut recours, ainsi qu'il l'avait déjà fait, au système des pensions ou des dons. Il recommandait d'en gratifier ceux qui conduisent et mènent le populaire, et d'y besongner en grande dextérité. Il fallait amener les cinq cantons dissidents, surtout Schwytz et Uri, connus pour les plus influents, à se joindre aux autres. Or, ils se déclaraient prêts à signer une convention de paix, non d'alliance. Le Roi réussit enfin à obtenir un traité général avec les treize cantons. C'est la fameuse Paix perpétuelle, signée à Fribourg, le 29 novembre 1516. Les Suisses recevaient 700.000 écus, dont 400.000 pour les frais et dommages qu'ils avaient eus en assiégeant Dijon, 300.000 pour leurs frais et dommages dans l'expédition du Milanais : on les indemnisait des dépenses faites en combattant la France. A cela s'ajoutait une somme de 300.000 écus, pour la restitution par eux des châteaux de Lugano, de Locarno, et des places de la Valteline, Bellinzona restant aux confédérés. Chacun des cantons recevait en outre une pension annuelle de 2.000 francs ; Barrillon avait quelque raison d'écrire que les Suisses ne sont pas honteux à demander.

A ce prix, on assurait l'abolition de toutes les anciennes querelles et la conclusion d'une alliance. Les Suisses ne devront consentir ni souffrir aller au service des princes, seigneurs, communautez, qui vouldraient prétendre endommager le dit sieur Roi, en son Royaume, en son duché de Milan ou ses appartenances. La paix est perpétuelle, afin que le diable ne puisse la troubler. Au fond, c'était la reprise, avec succès, de toute la première politique de Louis XII : le mercenariat helvétique au service de la France. Pourtant François Ier ne l'emportait qu'à demi : en réalité il obtenait plutôt une paix qu'une alliance, ou tout au plus, il obtenait une alliance simplement défensive.

Avec Charles d'Autriche, ce fut aussi en grande partie la reprise de la politique suivie par Louis XII à l'égard de Philippe le Beau, alors qu'on opposait Philippe à Maximilien ou à Ferdinand. Le jeune prince échappait de plus en plus à sa tante Marguerite et à son grand-père l'Empereur. Dès 1514, ses serviteurs devaient le défendre contre toutes sortes de reproches : sa préoccupation d'agir seul, son entêtement, sa hauteur. Il se rapprochait de François Ier, de tout le besoin qu'il avait de lui. La mort de Ferdinand d'Aragon, survenue le 23 janvier 1516, lui rendit encore plus indispensable l'amitié du Roi, Monsieur son bon père, comme il l'appelait. Car la mère et le frère de Charles avaient aussi des droits sur la Castille ; les Aragonais eux-mêmes étaient fort mal disposés à maintenir l'union des deux royaumes, et tous les Espagnols assez peu favorables à Charles, trop flamand, disaient-ils. François Ier avait la partie belle, à ce qu'il semble : Le dict Seigneur a eu plusieurs advis des royaumes de Castille et Arragon, esquelz, facilement, en voulant adhérer et tenir la main aux mal contens, il eust peu mettre a main aux dictz royaumes sans rien frayer. Il ne le voulut pas, croyant peut-être Charles plus faible qu'il ne l'était, ou comptant l'opposer à Maximilien et obtenir de lui toutes sortes de concessions. Ce fut une maladresse.

Tout d'abord les négociations, qui avaient commencé à Noyon le 1er mai, furent ajournées au 1er août ; retard favorable au jeune roi d'Espagne. Quand les ambassadeurs se rencontrèrent enfin, ceux de France étaient porteurs d'instructions, qui tendaient à l'extinction de toutes les querelles et à la paix universelle, afin d'entreprendre la guerre contre les Turcs, et de délivrer les povres chrestiens de la captivité où ils sont. Mais, des deux parts, on ravivait des controverses qui rendaient l'accord difficile. La question de Bourgogne était soulevée par les ambassadeurs de Charles, et la liste des provinces qu'ils revendiquaient en son nom comprenait à peu près le cinquième de la France. De leur côté, les ambassadeurs de François Ier avaient mission de demander à tout le moings à l'extrémité Naples et le Roussillon. Ce qu'ils avaient à demander en plus, c'était tout simplement l'Aragon, la Catalogne, Majorque, Minorque, et par surcroît 200.000 écus. Ces exagérations, qui reparaîtront des deux parts, durant le règne de François Ier, et qui seront quelquefois discutées très sérieusement, ne fournissaient aux diplomates que l'occasion de déployer leur éloquence et leur érudition : les instructions françaises pour les conférences de Noyon contiennent sept pages sur l'histoire des droits prétendus. Il fallait bien arriver ensuite aux questions pratiques.

Elles furent résolues, le 13 août, entre Boisy et le sire de Chièvres. Encore une fois, la solution fut cherchée dans un mariage austro-français. Seulement, au lieu de Renée, fille de Louis XII, on crut faire un coup de maître en proposant à Charles une fille de François Ier, la princesse Louise, qui venait de naître fort à propos, l'année précédente. On lui donnait pour dot la partie du royaume de Naples à laquelle prétendait la France. Charles, de son côté, n'insistait pas sur la Bourgogne. Toutes les anciennes querelles venaient se fondre dans la cordiale affection des deux rois. Le traité de Noyon est un acte ou un essai de fraternité.

Il y fut fait mention amicalement de la Navarre. Après la mort de Ferdinand, François Ier avait écrit aux Albret que l'eure et le temps estoient venus de faire diligence. Mais il s'en tint à ces encouragements vagues, pendant que Charles était reconnu roi par les Cortés navarraises, le 22 février 1516. La mort de Jean d'Albret survint à propos pour Charles, entre les deux conférences de Noyon, le 17 juin. On s'apitoya sur la douloureuse situation de sa veuve et de ses enfants ; on déclara même, dans un article spécial, que Charles s'efforcerait de les contenter. Mais, comme on ajouta que le roi de France en aucun cas ne se départirait de l'alliance du Roi catholique, la question navarraise fut enterrée. François la reprendra trop tard, et mollement d'ailleurs, lorsqu'il aura constaté, après 1519, ce que vaut l'alliance et amitié avec Charles.

On saisit dès cette époque un trait de son caractère et de sa politique : la propension à se donner sans réserve à sa pensée du moment, à avoir la confiance facile, entière, aveugle ; il est en un mot l'homme des entraînements, par conséquent changeant et mobile. En 1316-1517, tout était à l'alliance avec Charles, et celui-ci commençait déjà en petit son rôle d'arbitre de l'Europe, en attendant qu'il essay9t de s'en faire le chef. Il s'efforçait à réconcilier la France et l'Empire et à assurer la paix en Italie. Il fut convenu qu'une Diète se réunirait à Cambrai, pour régler définitivement les questions pendantes entre Maximilien et François Ier.

Boisy était porteur de longues instructions, lorsqu'il se rendit à Cambrai. La première ouverture sera sur le fait de Grèce, de la conquester à communs dépens et partir par égalles portions. C'est la reprise de l'idée de croisade, et, à vrai dire, le sultan Sélim avait obtenu des succès de nature à inquiéter l'Europe. Il avait vaincu les Perses, en 1515, et conquis la Syrie, au cours même de l'année 1516. Si ceste ouverture n'est agréable, Boisy pouvait proposer la conquête en commun de Calais, qui resterait au roi de France, Tournai étant donné à l'Empereur. Et ce faict, qui vouldra tirer plus avant, on pourra facillement conquester le royaume d'Angleterre et se enrichir des biens qui y sont. Puis l'Italie pourra être divisée en deux parts : la Lombardie, des Alpes aux montagnes de Savoie, pour le Roi ; l'Italie péninsulaire pour l'Empereur et le Roi catholique. Enfin la dernière ouverture que faire se pourroyt, c'est des Suisses et diviser leur pays. Ces folies étaient d'autant plus folles que tout l'ensemble des instructions est pénétré de sentiments très légitimes de défiance à l'égard de Maximilien. On craint, on attend de sa part quelque mauvais tour. Même Charles d'Espagne est considéré comme suspect, malgré la bonne amitié, alliance et confédération, parce que sa jeunesse l'expose à bien des suggestions. Quant aux anciens coalisés de la Sainte-Ligue, quoiqu'ils soient pour la plupart ralliés à la cause française, on insiste sur la nécessité de les surveiller, de mettre tousjours subtilement quelques picques, hayne et jalousie entre eulx, et ne se endormir à leurs belles paroles. De sorte qu'on allait à Cambrai, les mains pleines et fermées.

On ne s'étonnera donc pas s'il s'y fict seullement un petit traicté. Les plénipotentiaires le signèrent, le 11 mars 1517. Les clauses se restreignaient à la protection réciproque des États des trois contractants, François, Maximilien et Charles, et à un projet de croisade contre les Turcs. Le roi de France et l'Empereur avaient résolu de se voir au mois de mai suivant. Mais Maximilien ne devait pas plus voir François Ici qu'il n'avait vu Charles VIII ou Louis XII : il aimait bien mieux se réserver. Et il révéla, parait-il, au roi d'Angleterre les ouvertures étranges du roi de France ; lui ou Charles, car tout cela sent bien la main de ce dernier.

Néanmoins et pour un temps, toute l'Europe se reposa encore une fois. Le royaume de France estoit en grand paix et tranquillité, et n'y avoit pour lors aucun bruyct ou rumeur de guerre, division ou partialité. Les marchands faisoient leur train de marchandise en grande seureté, tant par terre que par mer ; et commerçoient pacifiquement ensemble Françoys, Anglois, Espaignols, Allemans et toutes autres nations de la Chrestienté, qui estoit grande grâce que Dieu faisoit au peuple chrestien.

La Chrétienté n'allait pas jouir longtemps de cet état idéal. Déjà une nouvelle politique perçait sous l'ancienne, parvenue au bout de sa trame. En novembre 1516, était arrivé à Amboise le comte François de Sickingen ; il venait promettre à François Ier de l'ayder de tout son pouvoir que le dict seigneur seroist eslu Empereur, la vaccation de l'Empire advenant. C'était la chimère de l'élection impériale, après les chimères de la conquête de Milan et de Naples ou du partage de l'Europe.

En 1518, les guerres d'Italie proprement dites sont terminées ; ce qui va commencer, c'est la lutte entre les maisons de France et d'Autriche pour la prépondérance en Europe, bien plus encore que pour la possession de l'Italie même. Ces guerres ont occupé pendant vingt-cinq ans environ l'activité politique, diplomatique et militaire de l'Europe presque entière, car les faits débordèrent très loin au delà de la Péninsule, pendant qu'elle restait le centre d'où ils rayonnaient.

La France a été le principal artisan des événements ; c'est elle qui a commencé la guerre, qui, la première, a armé l'Europe contre l'Italie, et c'est presque toujours contre elle que les grandes puissances et l'Italie se sont armées. Quels résultats a-t-elle obtenus ? Le Milanais, domaine précaire, sans cesse perdu et recouvré. Quant au Napolitain, première cause des luttes, il n'en est plus guère question, dès 1303 même, que par formule ou par point d'honneur.

Ces résultats valaient-ils les efforts dépensés, le sang versé ? Laissons de côté l'héroïsme déployé, les beaux faits d'armes : la terre italienne n'avait pas plus qu'une autre le privilège de les susciter. Laissons également de côté la Renaissance ; il n'y a pas à douter qu'elle se fût produite aussi chez nous — quelque jugement qu'on porte sur elle —, et nous eussions sans doute gagné à ce qu'elle se fût réalisée par des chocs moins brusques.

Dira-t-on qu'il était nécessaire d'occuper l'activité militaire de la génération de Charles VIII et de Louis XII ? Singulière philosophie de l'histoire du passé, on l'avouera, et qui la rapetisse étrangement. Encore même en reviendrait-on à ce problème sans cesse posé : n'y avait-il pas sur nos frontières, à l'Est, au Nord, même au Sud-Ouest, des champs d'activité aussi larges, aussi féconds, où les événements, plus forts que les passions ou les entraînements, ont ensuite ramené la politique et les armes de nos rois ?

Et puis, si l'on veut se préoccuper d'autre chose que de la France et de l'Europe, n'est-il pas étrange et fâcheux que notre pays se soit enfermé dans la Méditerranée, quand l'Océan commençait à s'ouvrir ; dans le continent européen, quand s'offrait le Nouveau Monde ? Il est vrai que, pondant plus de deux siècles, les autres gouvernements ne furent guère plus clairvoyants que le nôtre.

 

 

 



[1] Nous indiquerons plus loin la bibliographie du règne de François Ier. Pour la campagne de Marignan et les négociations qui suivirent, jusqu'en 1519, on peut consulter une partie des sources et des ouvrages cités en tête du premier chapitre du Livre I et aux chapitres précédents et, en outre : Journal de Jean Barrillon, secrétaire du Chancelier Duprat, 1515-1521 (publié par P. de Vaissière pour la Société de l'Hist. de France, t. I, 1897, très important). Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, 2 vol., 1875. Baumgarten, Geschichte Karls V, t. I, 1885.

[2] Aujourd'hui la route de Larche. Les troupes françaises durent remonter la vallée de la Durance d'Embrun vers Mont-Dauphin, puis rabattre sur Saint-Paul.

[3] Voir Spont, Marignan et l'organisation militaire sous François Ier, Rev. des Quest. histor., t. LXVI, 1899.

[4] Madelin, De Conventu Bononiensi, 1900 (Thèse de Paris).