HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — CHARLES VII. LOUIS XI ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE CHARLES VIII (1422-1492).

LIVRE III. — LE RÈGNE DE LOUIS XI ET LE GOUVERNEMENT DES BEAUJEU.

CHAPITRE II. — COALITIONS FÉODALES (1465-1472).

 

 

I. — LA GUERRE DU BIEN PUBLIC[1].

LA guerre du Bien public[2] fut une nouvelle Praguerie, mais beaucoup plus grave. Conduite par les plus puissants seigneurs de France, elle menaça l'unité du royaume. Au reste, elle ne fut qu'un tissu de fourberies, de lâches débandades et de trahisons, et n'eut pour mobile que l'intérêt des meneurs. Maitre Henri Baude datait une poésie, écrite en 1465, de l'an que chascun à son proufit tendoit.

Les manifestes des ligueurs ne nous renseignent, bien entendu, que sur les prétextes qu'ils donnaient de la révolte. Comme au temps de la Praguerie, les féodaux prétendaient qu'ils voulaient remédier au desordonné et piteulx gouvernement qui ruinait le royaume, par la faute des conseillers du roi, gens plains de toute mauvaistié et iniquités. Ils s'indignaient des entreprises de Louis XI contre les drois de Noblesse, et des mariages qu'il imposait ; ils montraient les ecclésiastiques opprimez, molestez, et le povre peuple accablé d'impôts, écorché par les gens de justice. Le duc de Nemours, dans une déclaration qu'il fit en 1466, fut un peu plus franc : il dit que Louis XI aurait dû mettre sus justice et soulager le peuple, mais aussi entretenir les seigneurs et leur donner grosses pensions.

Sur les moyens qu'on emploierait afin de soulager le povre peuple, les indications des manifestes étaient très vagues : les ligueurs donneraient un avertissement solennel au roi, qui sans doute ignorait la plupart des méfaits commis par son entourage ; ils exige raient la réunion des États Généraux, la diminution des impôts, et d'abord la suppression des aides. Quand la coalition s'ébaucha, personne, sans doute, ne savait au juste quel parti on tirerait de la victoire espérée ; d'ailleurs il était prudent de laisser la question dans l'ombre. Plus tard, au cours de la lutte, les desseins se précisèrent et les langues se délièrent. Le seigneur de Crèvecœur, fait prisonnier par les Français à Montlhéry, au mois de juillet 1465, raconta ce qu'il avait entendu dire dans l'entourage du comte de Charolais : on y parlait de faire un regent, qui serait le duc de Berry, frère du roi, et de confier aux ducs de Berry, de Bretagne et de Bourbon, et au comte de Charolais, le commandement de l'armée royale et le soin d'accomplir les réformes nécessaires au Bien public. Enfin, le 23 août, Dunois, la forte tête de la Ligue, exposa aux députés des Parisiens le programme qu'il voulait mettre à exécution : les princes convoqueraient les États Généraux, pour obtenir d'eux solennelle réparation sur tous leurs griefs ; item, demandoient la recepte, maniement et gouvernement de toutes les finances du royaulme ; item, demandoient à avoir devers eulx et en leur puissance et ordonnance toute l'armée du royaulme ; item, demandoient la congnoissance et distribution de toutes les offices du royaulme ; item, demandoient à avoir la personne du roy et le gouvernement d'icelle[3].

C'était donc le roi lui-même que l'on voulait mater. Un des rebelles, l'évêque Thomas Basin, déclare, dans le récit qu'il nous a laissé du soulèvement, que les matelots peuvent bien avertir le capitaine, s'il dirige son navire vers les écueils, et que, s'il ne les écoute pas, ils doivent lui ôter le commandement. Le Bourguignon Chastellain et le Breton Meschinot, dans des ballades composées en collaboration, au début de l'année 1465, dépeignent Louis XI comme un prince perfide, ingrat, hypocrite, envieux de la prospérité d'autrui, innocent feint, tout fourré de malice, que la destruicte France a le droit de rejeter[4].

Comme en 1440, les coalisés prirent pour chef nominal l'héritier présomptif ; cette fois, c'était le frère du roi. Monsieur Charles, duc de Berry, avait dix-huit ans ; c'était un chétif jeune homme, laid et disgracieux comme son père et son frère[5], peu intelligent, efféminé, vaniteux. Jusqu'à sa mort, il allait être un jouet aux mains des ennemis de Louis XI. Monsieur Charles, dit Commynes, estoit homme qui peu ou riens faisoit de luy, mais en toutes chouses estoit manyé et conduict par autre.

Parmi les ligueurs, nous retrouvons quelques-uns de ceux qui, vingt-cinq ans auparavant, ont poussé le dauphin Louis à la révolte : Jean II, duc d'Alençon, Dunois, Antoine de Chabannes, qui s'évada de la Bastille le 10 mars 1465. Les maisons de Bretagne, de Bourbon et d'Armagnac prirent part à la révolte de 1465 comme à celle de 1440. À la coalition adhérèrent aussi Charles le Téméraire, le comte de Saint-Pol, Charles II d'Albret, et le prince le plus actif de la maison d'Anjou, Jean, duc de Lorraine et de Calabre, un valeureux guerrier, qui à tous alarmez estoit le premier homme armé, et son cheval toujours bardé ; enfin tous ceux que Louis XI avait écartés de la cour, comme les sires de Lohéac et de Bueil, et même quelques-uns de ceux qu'il croyait s'être attachés par ses bienfaits, comme son. mignon n Jacques d'Armagnac, auquel il avait donné le duché de Nemours. Jean Maupoint compte dans l'armée de la Ligue vingt et un puissants seigneurs et cinquante et un mille combattants.

Seul de tous les grands vassaux, Gaston de Foix prêta au roi un appui loyal et efficace : il maintint le Midi dans l'obéissance. Les comtes d'Eu et de Vendôme, restés fidèles, ne pouvaient être de grand secours. Le roi René ne voulut pas se compromettre. Son frère Charles, comte du Maine, fit au roi de grandes protestations d'amitié, mais le trahit à deux reprises. Le comte de Nevers joua le même jeu.

Mais, comme en 1440, la moyenne et la petite Noblesse étaient peu disposées à se battre au profit de la grande, contre un maitre redoutable. Tous les chevaliers et escuyers du pays de Bourbonnois, écrivait Joachim Rouault le 19 mai 1465, s'en vont tous en leurs maisons, et ne se veulent point armer contre le roy. Le duc de Bretagne rencontra aussi des résistances, quand il leva son armée. Les vassaux de Charles le Téméraire furent vite las de la guerre, et restèrent avec lui contre leur voulenté. Les gentilshommes du Dauphiné fournirent à Louis XI plusieurs centaines de lances. D'ailleurs le roi seul avait une armée permanente, solidement organisée.

Les gens d'Église, les possesseurs d'offices, les bourgeois et le populaire allaient-ils rester spectateurs indifférents de cette querelle entre le roi et l'aristocratie ? Quelques prélats de Normandie et du Centre, l'évêque de Bayeux Louis de Harcourt, l'évêque de Lisieux Thomas Basin, l'évêque du Puy, bâtard de la maison de Bourbon, se déclarèrent nettement contre le roi. Thomas Basin voulait, dit-il, combattre pour la liberté, c'est-à-dire pour les privilèges acquis, menacés par Louis XI. Mais la plupart des gens d'Église se contentèrent de faire des processions, afin que Dieu voulsist mectre d'acord le roy et les seigneurs de France[6], et louvoyèrent entre les deux partis.

Certains possesseurs d'offices, surtout dans le Parlement de Paris et la Chambre des Comptes, eurent une attitude équivoque : soit rancune contre les mesures prises par le roi, soit crainte d'être privés de leurs charges par les ligueurs victorieux, ils proclamaient cette entreprinse bonne et prouffitable pour le royaulme. Dans toute la haute Bourgeoisie, les sentiments qui dominèrent furent le désir de ne point se compromettre[7] et la terreur de voir se perpétuer la guerre civile. Mais les gens du peuple, notamment à Paris, furent ouvertement hostiles aux féodaux : cette passion subite pour le Bien public ne leur disait rien qui valût. En somme, le jour où Louis XI trouverait moyen de désarmer ses grands vassaux, il était évident que la paix serait faite.

Les deux partis cherchèrent des mercenaires et des alliés au dehors. La maison de Bourgogne signa des traités d'alliance, du mois de juin au mois de septembre 1465, avec le duc de Bavière, l'électeur Palatin, l'archevêque de Cologne. Le traité qui liait depuis 1462 l'archevêque de Trèves et le duc de Bourgogne comportait une réserve concernant le roi de France : elle fut abolie par un acte du 15 mai 1465. Adolphe de Clèves amena au comte de Charolais un contingent, et l'armée commandée par Jean de Calabre comprit des arquebusiers prêtés par le comte Palatin, des mercenaires italiens et suisses. Le roi d'Angleterre, qui songea un moment à faire une descente en France, et le pape Paul Il, qui fut sollicité par les ligueurs de les délier de leur serment de fidélité envers le roi, gardèrent la neutralité, quelque envie qu'ils eussent de se venger des tours que leur avait joués Louis XI. Celui-ci recruta des mercenaires en Savoie, et Galéas Sforza, fils de son ami le duc de Milan, arriva en Dauphiné au mois de juillet 1465, avec une armée de quatre mille cavaliers et de mille hommes de pied, qui resta en France jusqu'au mois de mars 1466, et fil dans tous le Sud-Est et le Centre très aspre guerre pour le roy. Enfin au mois de mai 1465, Louis de Laval alla, de la part de Louis XI, offrir une alliance aux Liégeois, contre les maisons de Bourgogne et de Bourbon ; un traité fut signé le 17 juin : le roi promit de payer la solde de deux cents lances, et de ne point faire la paix sans ses alliés. Au mois d'août, les Liégeois déclarèrent la guerre au duc de Bourgogne et se mirent à ravager ses terres.

Tels furent les partis en présence. La Ligue ne se constitua que peu à peu, après de longs mois d'intrigues : Louis XI eut tout le temps nécessaire pour se mettre en garde[8].

Dès le mois d'octobre 1464, le duc de Bourbon était allé à Lille demander à son oncle Philippe le Bon de mettre sus une armée, pour remonstrer au roy le mauvais ordre et justice qu'il faisoit en son royaulme. Mais le duc de Bourgogne, vieil et maladif, était encore dominé par les Croy ; ce fut seulement le 13 avril 1465 que Philippe le Bon et le comte de Charolais se réconcilièrent, après plusieurs scènes violentes qui achevèrent d'hébéter le vieux duc. Alors commença véritablement le règne de Charles le Téméraire. Lieutenant général de son père, il leva une grande armée pour le bien et relièvement du royaume. Pendant ce temps, Odet d'Aydie avait décidé Charles de France, duc de Berry, à s'enfuir en Bretagne (vers le 4 mars 1465). Mais le duc François Il ne réunissait que très péniblement l'argent et les hommes qu'il avait promis.

Le duc de Bourbon, imprudemment, ouvrit les hostilités dans le centre de la France, sans attendre que ses alliés fussent prêts. Il écrivit le 13 mars aux bonnes villes et au roi lui-même pour leur annoncer ses intentions ; il fit arrêter dans ses terres les officiers de Louis XI et saisir les produits des impôts royaux. Aussitôt le roi dépêcha de tous côtés des courriers, qui portèrent des instructions à ses capitaines, des promesses et des encouragements aux bonnes villes, et répandirent des manifestes. Que voulaient donc les ligueurs ? demandait Louis XI. Le royaume estoit si paisible et en si grande tranquillité que marchandise courroit franchement partout ; chacun vivoit paisiblement en sa maison, et le roi se donnait grand mal pour augmenter le bien-être de ses sujets : il passait son temps à voyager pour connaître leurs besoins. On l'a accusé de vouloir empoisonner son frère : accusation absurde, puisque jusqu'ici il n'a pas d'autre héritier mâle que Monsieur Charles. Quant aux impôts dont on lui fait un crime, il les a dépensés pour le bien et la gloire du royaume. Dès qu'il le pourra, il les diminuera : aussi y a-t-il plus grand interest que nul autre, veu qu'il est le chief et le père de la chose publicque de son royaume. Malheureusement il a dû distribuer de grosses pensions aux nobles. Et ce que veulent les nobles, c'est en avoir de plus grosses. Ils se moquent du peuple, et leurs promesses sont menteuses. La guerre civile va ruiner le royaume et préparer peut-être une nouvelle invasion anglaise.

Le plan de Louis XI était d'écraser le duc de Bourbon, Jean II, avant qu'il eût reçu aucun secours, et de marcher ensuite sur la Picardie. Il disposait d'une solide armée de trente mille hommes. Il occupa, dès le mois d'avril, la plupart des places du Berry, apanage de son frère, puis il soumit rapidement le Bourbonnais. Le comte d'Armagnac et le sire d'Albret conduisirent une armée à Riom, mais n'osèrent point agir. Grâce au concours du perfide duc de Nemours, le duc de Bourbon réussit cependant à arrêter le roi par des négociations, et à lui échapper. Pendant ce temps, les Bourguignons et les Bretons se dirigeaient sur Paris. Louis XI accorda une trêve à Jean II et marcha vers la capitale ; il voulait y arriver avant les Bourguignons et empêcher leur jonction avec les Bretons, qui s'avançaient à petites journées par l'Anjou et le Vendômois.

Charles le Téméraire, à sa grande surprise, n'avait pu entrer dans Paris : les partisans des princes étaient surveillés par le maréchal Joachim Rouault et le lieutenant du roi, Charles de Melun. Monseigneur, écrivait un des officiers du comte de Charolais, a trouvé ceulx de Paris tout aultres que l'en ne cuidoit ; dont il n'est pas bien content sur eulx. Il se décida le 13 juillet à passer la Seine et à marcher sur Étampes, pour rejoindre les ducs de Berry et de Bretagne. Le 15, ses éclaireurs se heurtèrent à ceux de Louis XI, près d'Arpajon, et le lendemain, à Montlhéry, se livra une bataille, ou plutôt une suite confuse de petits engagements. Louis XI fit preuve de bravoure et de sang-froid ; mais il fut trahi par le comte du Maine, qui s'enfuit avec ses troupes, et la garnison de Paris n'exécuta point la sortie qui lui avait été prescrite. Les Bourguignons firent très médiocre contenance : Nous n'avions l'œil qu'à fuyr, avoue Commynes, qui était dans leurs rangs. Chaque parti s'attribua la victoire[9]. Laissant au comte de Charolais la gloire de coucher sur le champ de bataille, Louis XI décampa dans la nuit et entra à Paris. Quelques jours après, Charles le Téméraire fut rejoint à Étampes par François II et Charles de France, puis par le duc de Bourbon, enfin par une armée venue de l'Est, sous le commandement du duc de Lorraine et du maréchal de Bourgogne.

Louis XI se méfiait de la haute Bourgeoisie parisienne, et même de la garnison. Il fit noyer ou écarteler quelques traîtres, et destitua les conseillers du Parlement et des Comptes qui refusèrent de lui prêter de l'argent. Il s'empressa d'ailleurs de diminuer les impôts qui pesaient sur la ville, de rendre aux gens d'Église, à l'Université, aux nobles et aux officiers les franchises financières qu'il leur avait naguère enlevées, et de déclarer qu'il admettrait dans son Conseil six bourgeois de Paris, six conseillers au Parlement, et six clercs de l'Université. Puis, le 10 août, il partit pour la Normandie, afin d'y lever des troupes et d'y amasser des vivres. Pendant son absence, l'armée de la ligue arriva sous les murs de la capitale. Les princes entamèrent des négociations avec la Ville et le Clergé, le Parlement et l'Université. Treize députés favorables à la cause du Bien public allèrent, sous la conduite de l'évêque de Paris, conférer avec Dunois, au château de Beauté. Mais, dans deux réunions de notables tenues, à leur retour, à l'Hôtel de Ville, ils essayèrent en vain d'obtenir que les portes fussent ouvertes aux princes. Le prévôt des marchands, Henri de Livres, sauva le roi, en ajournant toute décision. Quatre jours après, le 98 août, Louis XI rentrait, acclamé par les petites gens, qui parlaient de tuer les traîtres. Il était accompagné de douze mille bons combattants, et amenait soixante chariots de vivres. Il se contenta d'exiler à Orléans les cinq députés qui s'étaient le plus compromis. Le roi, ajoute Commynes, plusieurs foiz m'a dict que, s'il n'eust peu entrer à Paris et qu'il l'eust trouvé muée (changée), qu'il fust fouy vers les Suisses ou devers le duc de Millan.

Les assiégeants n'osaient ni faire le blocus de Paris, ni tenter assaut, par crainte de s'aliéner la population. Les vivres commençaient à leur manquer. Louis XI se décida cependant à traiter, parce que les défections se multiplièrent. Le comte du Maine conclut, le 18 septembre, un accord avec les ligueurs. Le 21, le capitaine de Pontoise leur rendit la place. Le 3 octobre, le comte de Nevers laissa les Bourguignons entrer dans Péronne. Le château de Rouen fut livré au duc de Bourbon dans la nuit du 27 au 28 septembre, et la plupart des villes normandes s'ouvrirent aux rebelles. Les princes voulaient forcer Louis XI à donner la Normandie en apanage à son frère, et ils avaient réussi à raviver dans le duché les souvenirs d'autonomie, et les vieux ressentiments contre la fiscalité royale. Après avoir consulté son entourage et une assemblée de grans sages homes de tous estas (29 septembre), Louis XI résolut d'accorder tout ce que les princes demandaient. Il eut une entrevue avec le comte de Charolais sous les murs de Paris ; ils parlèrent fort peu du Bien public : C'estoit là le moins de la question, dit Commynes, car le bien publicque estoit converti en bien particulier.

Les traités de Conflans et de Saint-Maur-des-Fossés (octobre 1465) satisfirent les convoitises des ligueurs les plus puissants. Charles de France eut, en échange du Berry, le duché de Normandie, avec tous les revenus que le roi en tirait. Le duc de Bretagne se contenta de la reconnaissance de ses droits sur les évêchés bretons. Le comte de Charolais prit possession, en son propre nom, des villes de la Somme, sans aucune compensation pour la somme versée par Louis XI au duc Philippe le Bon en 1463 ; le roi garda la faculté de les recouvrer, moyennant 200.000 écus d'or, mais ce second rachat ne pourrait être effectué qu'après la mort de Charles le Téméraire. Le comte eut en outre les prévôtés picardes de Vimeu, de Beauvoisis (près d'Amiens) et de Foulloy, sous réserve de rachat, et, sans cette réserve, le comté de Guines, Péronne, Montdidier et Roye. D'ailleurs, il obtint tout ce qu'il voulut : son ami le comte de Saint-Pol reçut l'épée de connétable, aux gages de 24.000 livres tournois ; Louis XI déclara qu'il ne verrait plus de sa vie les Croy, et, malgré les clauses de son alliance avec les Liégeois, il laissa les Bourguignons les contraindre à une paix humiliante (22 déc. 1465). Il offrit même la main de sa fille Amie à Charles le Téméraire, qui venait de perdre sa femme Isabelle de Bourbon. Le roy, écrivait un secrétaire du comte, dit qu'il ayme mieulx mondit seigneur mon maistre que personne qui vive. Les promesses d'amitié de Louis XI n'étaient pas plus sincères que celles qu'il recevait. Il travailla cependant et réussit à se concilier définitivement quelques-uns des chefs de la ligue. Il se fit un ami du duc de Bourbon en lui donnant la lieutenance générale de toutes les provinces du centre de la France, un quart du royaume. H gagna Jean d'Anjou en soutenant ses prétentions sur Naples et la Catalogne, Dunois et Antoine de Chabannes en leur rendant tous leurs biens.

Il n'y eust jamais de si bonnes nopces qu'il n'en y eust de mal disnés (ayant mal dîné), dit Commynes : les ungs firent ce qu'ilz voulurent, les aultres n'eurent riens. Nemours, Armagnac et Albret se retirèrent chez eux les mains à peu près vides. Louis XI oublia de convoquer une commission de trente-six membres, qu'il avait promis de réunir pour aviser aux réformes, et personne ne réclama : elle ne devait s'assembler qu'un an après, et pour servir les rancunes du roi. La guerre du Bien public ne valut au peuple que de nouvelles misères. Pour payer les pensions réclamées par les princes et leurs protégés, il fallut augmenter les impôts. L'Île-de-France et la Picardie avaient été ravagées par les troupes bourguignonnes, et la Champagne mise à feu et à sang par les routiers du comte d'Armagnac et du sire d'Albret. Une fois la paix faite, les soldats bretons se mirent à piller la Normandie, et les seigneurs méridionaux, mécontents d'avoir été sacrifiés, gardèrent leurs gens d'armes et les laissèrent dévaster pendant plusieurs années le sud-ouest de la France. De nouveau le royaume était parcouru par des bandes armées, et la sécurité des routes avait disparu.

 

II. — L'APANAGE DE CHARLES DE FRANCE. LOUIS XI À PÉRONNE[10].

UN des ligueurs, Thomas Basin, explique pourquoi on avait exigé du roi qu'il donnât la Normandie à son frère. Quand Charles aurait obtenu la Normandie, qui touche d'une part à la Bretagne et d'autre part, sauf un petit intervalle, aux terres du duc de Bourgogne, les trois princes, devenus ainsi voisins, pourraient facilement se défendre contre le roi, puisqu'ils tiendraient toute la côte, depuis la Flandre jusqu'au Poitou, et au besoin pourraient obtenir du secours de l'Angleterre. Ce fut justement pour ces raisons que Louis XI, deux mois après avoir accordé à son frère cet apanage, le lui reprit. Il considérait d'ailleurs la Normandie comme le principal fleuron de la couronne, la tierce partie du royaume de France, et il ne l'avait point cédée de son vray consentement.

Ses adversaires se commencèrent à diviser quand se vint à departir le butin. Le duc de Bretagne avait accompagné Monsieur Charles en Normandie : il comptait organiser le gouvernement de l'apanage, et donner toutes les charges à ses créatures. Mais les compagnons de Charles, comme Jean Daillon et les sires d'Amboise, ainsi que les d'Harcourt et les autres grands personnages normands, voulaient se partager les offices. Ils accusèrent François II de séquestrer le duc de Normandie et, le 25 novembre 1465, enlevèrent le jeune prince, qu'ils amenèrent à Rouen. Le 10 décembre, la cérémonie de l'investiture eut lieu dans la cathédrale, et Thomas Basin, mettant l'anneau ducal au doigt de Charles, l'épousa au nom de la Normandie. François II, irrité, se retira à Caen.

Dès le 25 novembre, Louis XI, qui faisait ses dévotions à Cléry, avait reçu de Charles une lettre l'informant de ses démêlés avec le duc de Bretagne. Il tendit la lettre à son ami le duc de Bourbon, en lui disant : Je croy qu'il me faulra reprenre ma duché de Normandie. Il me fault aler secourir mon frère. Le bon apôtre eut la satisfaction de recevoir ensuite les ambassadeurs de François II, qui demandait son amitié. Le duc de Bourbon, puis le roi se rendirent en Normandie, et en deux mois (décembre 1465-janvier 1466), les places fortes de la province furent prises, malgré la résistance d'une partie de la Noblesse et du Clergé normands. Le roi n'offrait plus comme apanage à son frère que le Roussillon. Charles de France renoua avec le duc François, et ils regagnèrent tous deux la Bretagne.

Louis XI publia des manifestes pour justifier la violation de ses promesses, dont la couronne et tout le royaume de France pourroit avoir et souffrir trop grant dommaige. Puis, impitoyable comme il l'était toujours dans ses triomphes, il se vengea de ceux qui avaient trop bien servi son frère, ou qu'il soupçonnait d'avoir trahi la cause royale pendant la guerre du Bien public. Furent plusieurs personnes, officiers et autres, du pays de Normandie, dit Jean de Roye, executez et noiez par le prevost des mareschaulx ; notamment Gauvain Mauviel, lieutenant général du bailli de Rouen, et Jean le Boursier, général des finances du duc Charles. Plusieurs dignitaires ecclésiastiques normands, entre autres Thomas Basin, furent exilés, et les possesseurs d'offices de la province furent destitués en masse. Le comte du Maine fut privé de son gouvernement du Languedoc.

Charles de Melun avait tenu une conduite fort équivoque à la fin de la guerre du Bien public ; sous l'influence de ses ennemis, Balue et Antoine de Chabannes[11], Louis XI lui retira tous ses offices (1466-1467), et, en 1468, le livra à Tristan Lermite, qui le jugea sommairement et lui fit trancher la tête. Telle fut la voulenté du roy, qui n'avoit mercy d'homme sur lequel il eust aucune mauvaise souspechon.

En même temps, les officiers royaux recommençaient, aux dépens de la maison de Bourgogne, leurs empiétements quotidiens[12], et de secrètes excitations poussaient les villes de la Somme à la révolte. La commission des Trente-Six se réunit au mois de juillet 1466, sous la présidence de Dunois, sous prétexte de délibérer sur les remèdes convenables au Bien public, en réalité pour examiner les difficultés que soulevait l'exécution du traité de Conflans, et donner tort au comte de Charolais. Une nouvelle rupture s'annonçait.

Les Liégeois continuaient à faire le jeu de Louis XI, bien qu'il les eût abandonnés. Le parti démocratique ne voulut pas accepter le traité du 22 décembre 1465, qui rétablissait la puissance de Louis de Bourbon, sous le protectorat de Charles le Téméraire. Les Vrais Liégeois reprochaient surtout aux négociateurs de cette paix d'avoir laissé le comte de Charolais en exclure les gens de Dinant, qu'il avait menacés d'un châtiment terrible. En 1466, en effet, il se vengea cruellement des insultes que lui avaient prodiguées les Dinan-tais : leur ville fut prise et totalement incendiée. Jusqu'au dernier jour. les malheureux n'avaient cessé de dire : Le noble roy de Franche nous viendra secourir, et ne nous fauldra point, car il le nous a promis. Malgré cette atroce leçon, les Liégeois se laissèrent encore dominer par les démagogues, et séduire par les belles paroles de Louis XI, qui conclut avec eux une nouvelle alliance, le 15 juillet 1467. Louis de Bourbon dut se réfugier à la cour de Bourgogne (septembre). Pour reconforter les Liégeois, le roi plaça auprès d'eux le bailli de Lyon, et envoya Antoine de Chabannes à Mézières, avec quatre cents lances et six mille francs archers.

Sur ces entrefaites, le 15 juin 1467, le vieux Philippe le Bon était mort. L'avènement de Charles le Téméraire fut accueilli par des soulèvements populaires : les Gantois, qui aymoient bien le filz de leur prince, mais le prince jamais, forcèrent le nouveau duc, pour sa joyeuse entrée, à supprimer un impôt. En Brabant, Bruxelles, Malines, Anvers, Lierre s'agitèrent en faveur du comte de Nevers, qui réclamait la possession de ce duché ; mais la noblesse brabançonne se déclara pour Charles le Téméraire et l'aida à châtier les vilains. C'était Louis XI qui, oubliant la récente trahison du comte de Nevers pour se servir de lui, l'avait poussé à revendiquer le Brabant. Le roi s'attacha aussi un des plus anciens amis de Charles le Téméraire, le connétable de Saint-Pol : il lui fit épouser la sœur de Charlotte de Savoie.

Charles le Téméraire, de son côté, se préparait à la lutte. Il signa, en 1467, ainsi que le duc de Bretagne, des traités d'alliance avec le roi de Danemark et le duc de Savoie, et rechercha l'amitié du roi d'Angleterre.

A faict Dieu ce bien au royaulme de France, dit Commynes, que les guerres et divisions d'Angleterre estoient encores en nature, et ne fault pas doubler que si les Angloys eussent esté en l'estat qu'ilz avoient esté autrefois, que ce royaulme eust eu beaucop d'affaires. La guerre entre les maisons de Lancastre et d'York, en effet, n'avait pas été terminée par la mort de Richard d'York, tué à la bataille de Wakefield le 30 décembre 1460. Son fils, le jeune comte de March, et le comte de Warwick, le faiseur de rois, étaient entrés à Londres, et le comte de March avait pris la couronne, sous le nom d'Édouard IV (4 mars 1461). Louis XI, partisan de la maison d'York alors qu'il était dauphin, s'était, depuis son avènement, aliéné Édouard IV : dans l'espérance de regagner Calais sans coup férir, il avait conclu en 1462 un traité avec la maison de Lancastre, et procuré à Marguerite d'Anjou, pour une expédition en Angleterre, des subsides et une petite armée, qui ne pouvaient d'ailleurs suffire à assurer le succès de cette tentative. La malheureuse Marguerite était revenue d'Angleterre encore une fois vaincue, mourant de faim et de mesaise. Le roi, qui n'aimait pas les malchanceux, avait renoncé à soutenir les droits de sa cousine, et il avait essayé de conclure une bonne paix avec Édouard IV. Celui-ci s'était dérobé, et avait accordé seulement le prolongement de la trêve qui, depuis la fin de la guerre de Cent Ans, suspendait les hostilités entre la France et l'Angleterre. En 1485, les ennemis de Louis XI avaient un instant espéré une invasion de la France : au moment de la guerre du Bien public, une descente avait chance de réussir, et Édouard IV en eût retiré une gloire profitable à sa dynastie. Heureusement pour Louis XI, le roy Edouard n'estoit point homme de grand ordre, mais fort beau prince, insouciant et voluptueux, et il avait consenti au renouvellement des trêves jusqu'au 1er mars 1468.

Pendant l'année 1467, l'alliance anglaise fut recherchée à la fois par Louis XI et par Charles le Téméraire, qui sollicitait la main de Marguerite d'York, sœur d'Édouard. Pour empêcher ce mariage, Louis XI comptait sur l'influence de Warwick. Il eut, au mois de juin, à Rouen, une entrevue avec le faiseur de rois ; il l'accabla, lui et sa suite, de caresses et de cadeaux. Cestuy conte, homme saige et subtil en ses affaires, promit son appui. Mais le roi de France s'abusait sur la puissance de Warwick. Édouard IV avait épousé en 1484 une veuve de petite noblesse, Élisabeth Wydeville, et depuis ce temps les relations du jeune prince avec son ancien favori s'étaient refroidies : il n'avait plus de faveurs et d'attentions que pour l'avide famille de la reine. Si Warwick accepta les avances de Louis XI, c'est qu'il préparait sa défection et voulait s'assurer une aide. Lorsqu'il retourna en Angleterre, il y trouva une ambassade bourguignonne, qui obtint d'Édouard IV de formelles promesses d'alliance. Les offres de Louis XI furent injurieusement rejetées.

En France, la situation n'était pas meilleure pour le roi. Bien que réduit à vivre aux dépens de son ami François II, et à mendier des secours auprès des grandes dames bretonnes[13], Monsieur Charles déclinait les propositions, d'ailleurs dérisoires, que lui faisait son frère. C'était la Normandie qu'il voulait, c'était la Normandie que les ducs de Bretagne et de Bourgogne entendaient arracher au roi. Tout en acceptant de Louis XI un cadeau de 120.000 écus, François II signa, le 16 août 1467, un traité d'amitié perpétuelle avec Charles de France, et il consacra l'argent du roi à lever une armée pour le combattre. Charles le Téméraire promettait d'entrer bientôt en campagne avec seize cents lances et vingt mille archers, et assurait que le comte Palatin amènerait dix mille hommes pour la conquête de la Normandie. Enfin, le ter octobre, les ducs de Normandie, de Bretagne et de Bourgogne firent alliance avec Jean II, duc d'Alençon, l'éternel conspirateur, qui se réfugia en Bretagne, abandonnant à François II toutes les places fortes de ses domaines normands.

Le 15 octobre, Louis XI apprit que l'armée bretonne avait envahi la Normandie. Au même moment, Charles le Téméraire se mettait en marche avec la plus grande armée qu'eût jamais réunie un duc de Bourgogne, pour écraser les Liégeois. Louis XI avait essayé en vain de l'arrêter, par des menaces que ses propres embarras rendaient vaines. Le roi de France sacrifia encore une fois ses alliés, et conclut une trêve avec le duc de Bourgogne. Les Liégeois, laissés sans secours, furent battus à plate couture (Bataille de Brusthem, 28 octobre). Charles le Téméraire abolit toutes leurs franchises, et s'attribua le gouvernement de la principauté. Mais, pendant ce temps, profitant de l'irritation causée en Normandie par les ravages des Bretons, Louis XI rattachait à sa cause le duc d'Alençon, arrêtait les envahisseurs, et signait une trêve avec François II (25 janvier 1468).

Le péril restait immense pour le roi et le royaume : une nouvelle guerre civile, où cette fois le duc de Bourgogne jouerait le rôle principal, allait sans doute éclater au printemps, et les négociateurs envoyés à Londres par Louis XI ne parvenaient point à obtenir le renouvellement de la trêve anglaise, qui devait expirer le 1er mars. Le roi fit appel à ses sujets, et convoqua les États Généraux. Le 26 février 1468, il manda aux bonnes villes d'envoyer leurs députés à Tours pour le 1er avril, afin de remédier aux troubles et divisions qui menaçaient de s'aggraver, à la grant foule, charge et oppression de nostre pouvre peuple. L'assemblée fut très solennelle. Elle dura du 6 au 14 avril. Il fut décidé à l'unanimité que Monsieur Charles n'avait droit qu'à un comté ou un duché rapportant 12.000 livres tournois de rente, et que le roi pourrait lui offrir en outre jusqu'à 60.000 livres tournois de pension ; mais qu'en aucun cas la Normandie ne pouvait être aliénée, et qu'il n'estoit pas au roy de la bailler.

Édouard IV commençait ses préparatifs : il était décidément entré dans la coalition. Le 17 mai, le Parlement lui accorda des subsides pour reconquérir les domaines de ses aïeux en France, et au mois de juin il envoya en Flandre sa sœur Marguerite : elle épousa Charles le Téméraire le 3 juillet. Louis XI mit à profit les fêtes somptueuses qui se succédèrent à cette occasion jusqu'au 12 juillet dans la ville de Bruges. Il obtint facilement de Charles le Téméraire une prolongation de trêve jusqu'au 1er août, et pendant ce temps ses troupes reprenaient les places encore occupées par François II en Normandie. Un moine, grassement payé par le roi, parcourait la province, admonestant le peuple des villes et pa rroisses, de garder leur leiaulté envers icelui, et resister de leur povoir à l'entreprinse de ceulx qui lui vouldroient grever[14]. Enfin une armée royale envahit la Bretagne. François II fut obligé, le 10 septembre 1468, de signer la paix d'Ancenis. Louis XI accorda une pension de 60.000 livres à son Frère et promit de lui donner un apanage.

Lorsqu'un héraut de François II vint annoncer à Charles le Téméraire la conclusion de ce traité, le duc de Bourgogne eut un tel accès de fureur qu'il voulait faire pendre le messager. Il avait réuni une armée pour secourir ses alliés, et venait de passer la Somme. Qu'allait-il advenir ? Autour de Louis XI, les avis étaient partagés. Antoine de Chabannes et le parti militaire voulaient pousser la guerre à fond. Cestuy orgueilleux rebelle Charles, faux, maudit Anglois qu'il est, sera rué pour ses pechés, s'écriaient-ils. Que l'on fière (frappe) dedans ! De par tous les mille grans deables, que l'on y fière ! Mais Louis XI écoutait les conseils des sages, qui redoutaient pour le royaume les conséquences d'une lutte désespérée. Il envoya une série d'ambassades à Charles le Téméraire, et des conférences pour la paix se tinrent à Ham, du 20 au 29 septembre. Elles n'eurent point de résultat. Louis XI, persuadé qu'il réussirait où les autres avaient échoué, fit au duc de Bourgogne un présent de 60.000 écus d'or, et obtint, non sans beaucoup de peine, la promesse d'une entrevue et un sauf-conduit[15].

Charles le Téméraire se trouvait à Péronne. Louis XI y arriva le 9 octobre 1468, accompagné seulement d'une centaine de personnes, parmi lesquelles se trouvaient le duc de Bourbon, le connétable de Saint-Pol et le cardinal Balue. Comme le logiz du chasteau ne valloit riens, le roi fut hébergé dans la maison du receveur. À peine y était-il installé qu'on lui signalait la venue de plusieurs personnes qui avaient de bonnes raisons de le haïr : c'étaient notamment son beau-frère Philippe de Bresse, et Antoine du Lau, récemment évadé d'une prison royale ; ils étaient entrés dans la ville presque en même temps que lui, accompagnant le maréchal de Bourgogne Thibaud de Neufchâtel, un autre ennemi personnel du roi. Louis XI comprit subitement quelle insigne imprudence il avait commise. Il estima que son salut était dans la loyauté de Charles le Téméraire, et s'installa dans le château. Le lendemain et le surlendemain, 10 et il octobre, le cardinal Balue tint conférence avec les agents du duc, pour la conclusion de la paix ; mais Charles refusa obstinément d'abandonner son allié le duc de Normandie. Il ne restait plus à Louis XI qu'à préparer son départ.

Tout à coup, à la fin de la journée du 11, une bande de fugitifs affolés arrivèrent dans Péronne, apportant de terribles nouvelles : l'évêque Louis de Bourbon, le légat du pape, et le sire de Humbercourt, qui gouvernait la principauté de Liège pour le duc de Bourgogne, avaient été massacrés par les Liégeois, à l'instigation des envoyés de Louis XI ; et certiffioyent avoir veu les ambassadeurs du roy en ceste compaignée, et les nommoyent. Ce n'était pas l'exacte vérité. Un mois auparavant, les Vrais Liégeois, bannis par le duc en 1487, avaient profité des embarras de Charles le Téméraire pour rentrer dans la principauté, persuadés qu'une guerre allait éclater entre le roi de France et le duc de Bourgogne. Le 9 octobre, ils avaient enlevé l'évêque dans sa résidence de Tongres ; dans la bagarre, quelques personnes avaient été tuées ; l'évêque avait été ramené à Liège, et Humbercourt avait été laissé en liberté. Mais l'accusation contre Louis XI n'était pas sans fondement. Commynes, évidemment très bien informé, nous dit : Le roi, venant à Peronne, ne s'estoit point advisé qu'il avoit envoyé deux ambassadeurs au Liège pour les solliciter contre ledit duc ; lesquelz ambassadeurs avoient jà si bien diligentez qu'ilz avoient faict ung grand amas.

Les nouvelles apportées à Péronne mirent Charles le Téméraire en fureur. Y adjousta foy et entra en une grand colère, disant que le roy estoit venu là pour le tromper. Sur l'heure, il fit fermer les portes de la ville et du château. Louis XI était pris. De sa fenêtre, il voyait la troupe d'archers bourguignons qui le gardait, et la vieille tour où le roi Charles le Simple était mort, prisonnier d'un comte de Vermandois. Pendant deux jours et trois nuits, le Téméraire le tint enfermé et délibéra sur ce qu'il allait faire de lui. Il ne cessait de répéter avec rage que le roy estoit venu là pour le trahir. Sans aucun doute, sa colère était attisée par Philippe de Bresse et les autres ennemis de Louis XI. Certains l'engageaient à garder le roi en captivité, rondement, sans cerimonie. D'autres étaient d'avis qu'il mandât au plus vite Monsieur Charles et que l'on conclût une paix bien adventageuse pour tous les princes de France. Mais la majorité des conseillers du duc estimaient que le sauf-conduit donné au roi ne pouvait pas être violé. Louis XI, laissé libre de communiquer avec quelques-uns de ses compagnons, avait chargé le cardinal Balue de distribuer 15.000 écus d'or aux Bourguignons qui luy pouvoient aider. Balue avait gardé la moitié de la somme pour lui, mais il avait fait quelques cadeaux profitables à son maitre : Antoine, grand bâtard de Bourgogne, avait eu pour sa part 2.000 écus ; il est probable que Philippe de Commynes, qui jouissait du plus grand crédit auprès de Charles le Téméraire et couchait dans sa chambre, avait reçu 1000 ou i 500 cents écus. Le grand bâtard et Commynes déterminèrent le duc à tenir sa parole et à délivrer le roi. D'ailleurs des nouvelles inquiétantes arrivaient de France : Antoine de Chabannes, le généralissime de Louis XI, campait près de la frontière, et Gaston de Foix, venu du Midi avec une armée, avait établi son quartier général à Meaux.

Après une nuit agitée, qu'il passa à se promener dans sa chambre avec Commynes et à proférer encore de terribles menaces, le duc alla pour la première fois, le 14 octobre, à neuf heures du matin, voir son prisonnier. Il avait pris son parti : le roi serait libre, s'il voulait signer un traité qui avait été préparé par le Conseil ducal, et participer à la destruction de Liège. Lorsque le duc entra, la voix luy trembloit, tant il estoit esmeu et prest de se courroucer. Il fit humble contenance de corps, mais sa geste et sa parolle estoit aspre. Il reprocha au roi de l'avoir trompé et lui exposa ses conditions. Louis XI protesta, d'un air patelin, que pour rien au monde il n'aurait voulu exciter les Liégeois contre le duc, promit d'aller les châtier et de jurer le traité que Charles lui proposait. Et il le jura en effet, sur un fragment de la vraie croix, qu'il avait apporté avec lui.

Le traité de Péronne a la forme de lettres royales, contenant les doleances, remonstrances et requestes du duc, avec les provisions et responses de Louis XI. Tous les conflits qui s'étaient élevés entre les officiers bourguignons et les officiers royaux, pour l'application du traité d'Arras et du traité de Conflans, sont réglés à la satisfaction de Charles le Téméraire. Les quatre lois de Flandre, c'est-à-dire les tribunaux de Gand, de Bruges, d'Ypres et du Franc de Bruges (campagne de Bruges) sont exemptés du ressort du Parlement de Paris : c'est la clause la plus importante du traité. Chose singulière, il n'y est fait aucune mention de l'apanage de Monsieur Charles. Selon Commynes et Olivier de la Marche, Louis XI s'engagea cependant à lui donner la Champagne et la Brie : il est probable que cette promesse fut exigée par le duc de Bourgogne ; mais on ne voit pas qu'elle ait été l'objet d'un acte écrit.

Louis XI estimait qu'il s'était tiré à bon compte de ce mauvais pas. Il écrivait le jour même à ses bonnes villes de France : Sommes certains que de ce serez bien joyeux. Dès le lendemain, il lui fallut partir pour Liège. Il n'était pas libre encore, et ce voyage de Liège eût été pour tout autre une douloureuse humiliation ; mais Louis XI, convaincu que l'heure de sa vengeance viendrait, avait repris toute sa sérénité. Il se moquait maintenant des transes de son entourage. Jean Bourré lui avait écrit qu'il était prêt, en ce grand péril, à venir rejoindre son roi, mais que sûrement les Bourguignons le mettraient à mort ; Louis XI, le 16 octobre, lui fit répondre en ces termes :

Le roy fut bien content de vous, et dit qu'il veoit bien que s'il vous mandoit, que vous vendriez, et fust-il au bout du monde ; mais que, s'il vous mandoit, vous mourriez de paour en chemyn : et pour ce, que vous le alissiez actendre à Paris ou à Meaulx.

Le 30 octobre, après une résistance désespérée des habitants, les troupes bourguignonnes s'emparèrent de Liège. Au moment de l'assaut, Olivier de la Marche avait entendu Louis XI dire au duc : Mon frère, marchez avant, car vous estes le plus heureux prince qui vive. Les Liégeois ne pouvaient croire à la trahison de leur allié, et ils criaient : Vive le roy ! Louis XI entra dans la ville, l'épée nue, la croix bourguignonne de Saint-André à son chapeau, et crioit : Vive Bourgoingne ! La ville de Liège fut totalement détruite, à l'exception des églises. L'incendie dura sept semaines, et Commynes, écrivant ses Mémoires, avait encore dans les oreilles le fracas des maisons s'écroulant dans les flammes.

Le 2 novembre, Louis XI fut enfin libre. De retour en France, il fit enregistrer le traité de Péronne et envoya des crieurs, dans les carrefours de Paris, interdire les paintures, rondeaux, balades, virelais, libelles diffamatoires contre le duc de Bourgogne. Il voulait qu'on gardât le silence sur les événements qui venaient de se dérouler. Mais il savait bien que son humiliation était connue de tout l'Occident, qu'on en jasait jusque dans les petites cours italiennes, et que le prestige du Téméraire, au dedans et au dehors de l'État bourguignon, en était doublé ; et il hayssoit le duc Charles de venin de mort.

 

III. — CHARLES DE FRANCE EN GUYENNE. - RÉVOLUTIONS D'ANGLETERRE. - GUERRES ENTRE LOUIS XI ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE[16].

APRÈS avoir tiré de son prisonnier la promesse qu'il donnerait à Monsieur Charles la Champagne et la Brie, le duc de Bourgogne fit mander à ce dernier de n'accepter aucun autre apanage ; or, dit Commynes, le roy pour riens ne deliberoit bailler ce qu'il luy avoit promys, car il ne vouloit point son frère et ledit duc si près voisins. Louis XI offrit à Charles de France le duché de Guyenne. Il mit beaucoup d'habileté à l'isoler et à le circonvenir ; ses concessions et ses cadeaux affermirent le loyalisme du duc de Bourbon et du roi René, et obligèrent à la neutralité le duc de Bretagne ; enfin le principal conseiller de Monsieur, Odet d'Aydie, reçut la capitainerie de Blaye et prêta serment de fidélité au roi : il était Gascon, et avait tout intérêt à voir son maitre devenir duc de Guyenne.

L'acceptation de Monsieur fut retardée par les menées de deux prélats intrigants et mal famés, Harancourt et Balue. Guillaume de Harancourt, évêque de Verdun, qui avait tour à tour servi le roi René, Louis XI, Charles de France et le duc de Bretagne, n'avait pas réussi à faire la fortune qu'il rêvait. Récemment déçu dans son espoir de regagner la faveur royale, il prétendit obliger Louis XI à regretter ses services. Il avertit secrètement Charles de France que, s'il exigeait la Champagne et la Brie, toute la Noblesse le soutiendrait. Jean Balue entra dans l'intrigue et ce fut bientôt lui qui la dirigea, car c'était un maître fourbe. Fils d'un petit officier poitevin, ce curé de campagne, devenu grand vicaire de l'évêque d'Angers, avait séduit Louis XI par son activité et son astuce. Le roi l'avait pris pour aumônier en 1464, l'avait fait le premier du Grant Conseil, et, malgré l'inconduite notoire de son protégé, avait obtenu pour lui le cardinalat. Le jour où il reçut le chapeau, le 27 novembre 1468, Balue donna un banquet égayé par des intermèdes : entre lesquelz joueurs de fartez, il y avoit ung personnaige feingnant ledit Balue cardinal, qui disoit tels mots : Je fay feu, je fay raige, je fay bruit, je fay tout, il ne est nouvelle que de moy. Bientôt il ne fut nouvelle que de sa disgrâce. Ses ennemis l'accusèrent d'avoir machiné la surprise de Péronne ; Louis XI, heureux de voir imputer à la trahison les conséquences de sa propre témérité, se laissa facilement persuader et exclut le cardinal de son Conseil. C'est alors que Balue s'associa avec Harancourt, pour empêcher Charles de France d'accepter la Guyenne : ils espéraient tous deux contraindre le roi à résipiscence ; au pis aller, ils passeraient au service de Charles le Téméraire. Mais l'arrestation fortuite d'un émissaire qu'ils envoyaient au duc de Bourgogne dévoila leur complot (22 avril 1469). Le lendemain, Balue et Harancourt furent mis en prison, à la grande joie du public, car ils étaient méprisés et haïs. Nous avons conservé sept chansons ou ballades composées à cette occasion. Prince, disait une d'elles,

Prince, je diz que, pour enseignement,

Son corps doit estre vestu de peau velue,

Et que sur lui on trappe tellement

Que on puisse jouer... à la Balue !

Les deux coupables ne furent jamais jugés, mais Balue resta captif jusqu'en 1480, et Harancourt jusqu'en 1482[17].

Une semaine après leur arrestation, le 29 avril 1469, Louis XI conférait à son frère le duché de Guyenne, avec les sénéchaussées d'Agenais, de Quercy, de Périgord, de Saintonge, La Rochelle et le bailliage d'Aunis. Charles de France n'accepta cet apanage qu'après avoir renouvelé son alliance avec le duc de Bretagne. Pourtant, le 7 septembre, grâce à l'entremise de la bonne Charlotte de Savoie, il eut une entrevue avec son frère et se réconcilia avec lui. Il était encore l'héritier présomptif du trône, et Louis XI le traitait avec une sollicitude qui n'excluait point d'ailleurs la méfiance : le 19 août, Charles avait dû jurer, sur la croix de Saint-Laud, de ne jamais conspirer contre la vie ou la liberté du roi, et de ne point solliciter la main de Marie, unique enfant et héritière du duc de Bourgogne. Il lui fallut encore signer un acte par lequel il renonçait à ses précédents apanages, le Berry et la Normandie, et renvoyer l'anel dont on disoit qu'il avoit espousé la duchié de Normandie ; le 9 novembre, en séance de l'Échiquier de Rouen, l'anneau fut brisé sur une enclume. Surveillé en Guyenne par des hommes de confiance du roi, Charles déclina les propositions du Téméraire, qui lui offrait la main de sa fille et la Toison d'Or.

Louis XI n'était pas homme à se contenter de ce demi-succès. La ruine de la maison de Bourgogne était certainement un dessein arrêté déjà dans son esprit. Pour arriver au but, il allait prendre successivement les moyens les plus différents, à mesure qu'ils se présenteraient à portée de sa main. On en a conclu qu'il n'avait point de plan d'ensemble, ni de suite dans les idées, et que la chute de son adversaire a été due aux circonstances et non à son habileté. La suite de ce récit montrera cependant avec quelle merveilleuse adresse il a réduit le Téméraire à l'impuissance : les événements exigeaient justement patience et souplesse d'esprit, et, si le duc de Bourgogne s'est perdu, c'est qu'il n'a point eu, comme Louis XI, l'art de reculer et d'attendre.

Lorsqu'il eut constaté l'inutilité du traité de Péronne, que les officiers du roi violaient à plaisir, Charles le Téméraire poussa son beau-frère le roi d'Angleterre à envahir la France, et la flotte d'Édouard IV vint menacer à plusieurs reprises les côtes de Normandie. L'alliance anglaise devint, de 1469 à 1471, l'objet principal de la diplomatie royale, comme de la diplomatie bourguignonne. Louis XI comptait sur un prochain changement dynastique outre-Manche. L'Angleterre était considérée comme le pays des révolutions ; le jeune roi était peu populaire, et Warwick pouvait bien défaire le roi qu'il avait fait. Il s'y employa : du mois de juillet 1469 au mois d'avril 1470, l'Angleterre fut continuellement troublée par des prises d'armes. Enfin Warwick, traqué par Édouard IV, s'enfuit en France ; au passage, sa flottille captura quelques nefs bourguignonnes : il voulait obliger Louis XI à se déclarer franchement, et à rompre avec Édouard IV et Charles le Téméraire.

Louis XI joua la surprise, négocia. Mais le duc de Bourgogne se vengea des prises de Warwick en envoyant une flotte ravager les rives normandes, et, lorsque les ambassadeurs royaux vinrent lui demander des explications, il leur cria, pourpre de colère : Entre nous Portugalois[18], avons une coustume devers nous, que, quand ceux que nous avons tenus à nos amis se font amis à nos ennemis, nous les commandons à tous les cent mille diables d'enfer. En réponse à cette algarade, Louis XI appela la reine Marguerite de la retraite où elle vivait avec le prince de Galles, et lui offrit son appui et celui du faiseur de rois pour une nouvelle expédition en Angleterre ; il arriva, au bout de trois semaines de patiente diplomatie, à la réconcilier avec ce Warwick, son ennemi mortel, qui jadis avoit fait prescher publiquement par Londres comment elle estoit femme ahontie de son corps, et que l'enfant qu'elle faisoit accroire estre fils du roy Henry estoit un enfant de fornication. Warwick requit humblement le pardon de Marguerite, et obtint que sa seconde fille fût mariée au prince de Galles. Le 15 juillet 1470, Louis XI écrivit ironiquement à Jean Bourré qu'il venait de marier la reine d'Angleterre et Warwick.

Le faiseur de rois débarqua en Angleterre le 13 septembre 1470. et marcha sur Londres. Tandis qu'Édouard IV s'enfuyait en Hollande, Henry VI, prisonnier depuis cinq ans à la Tour de Londres, était délivré, couronné, assis sur le trône : autant y eust fait un sac de laine que l'on traîne par les oreilles, dit Chastellain ; et il ajoute : se baignoit le roy Loys en roses, ce lui sembloit, d'oyr ceste bonne aventure. Louis XI, en effet, se croyait assuré du concours des Anglais, et ses ambassadeurs proposaient à Henry VI le démembrements des États bourguignons.

Au mois de novembre 1470, Louis XI réunit à Tours une assemblée de seigneurs, de prélats et d'officiers de la couronne. Ses griefs contre son adversaire furent exposés avec un grand luxe de détails, plus ou moins authentiques : l'entrevue de Péronne avait été un guet-apens combiné par Balue et le duc de Bourgogne ; les traités de 1465 et de 1468, obtenus par la violence, n'avaient même pas été respectés par Charles le Téméraire. L'assemblée répondit que, selon Dieu et conscience, et par toute honneur et justice, le roi estoit quitte et delié desdits traités. Brusquement, au mois de janvier, la Picardie fut envahie par les troupes royales. Le connétable de Saint-Pol occupa Saint-Quentin, et les gens d'Amiens, de Roye et de Montdidier ouvrirent leurs portes, de gré ou de force, à Antoine de Chabannes. Les nobles et les francs-archers du Dauphiné pénétrèrent au cœur du Mâconnais et jusqu'en Bourgogne. Pris de court par cette agression subite, Charles le Téméraire criait à la trahison, accusait Louis XI d'avoir tenté de le faire empoisonner. Autour de lui, les défections commençaient. Les Bourguignons avaient le cueurs failly. Ils disoient que Dieu estoit françoys ceste année, combien que le temps passé il a esté bourgoignon, et les fidèles de Louis XI se réjouissaient de voir la desconfiture et le rabassement d'orgueil de ces traistres borgoignons, enemys du roy et de la France, hors de la foy de France[19]. Louis XI écrivait, le 7 mars 1471 : J'ay esperance que ce sera la fin des Bourgongnons.

Cette confiance n'était pas justifiée. Charles de France, bien qu'il eût accompagné le roi en Picardie, était prêt à le trahir : la Guyenne, dévastée par les terribles guerres de 1451 et de 1433, et désolée par l'anarchie féodale, n'était point un bon apanage ; de plus, la naissance d'un dauphin, le 30 juin 1470, avait enlevé à Charles l'espoir de la couronne. Ce médiocre ambitieux, qui s'intitulait très grand duc d'Aquitaine et fils de France[20], était poussé à la révolte par les deux factions qui se disputaient l'avantage de le gouverner. Sa maîtresse Colette de Chambes, veuve de Louis d'Amboise, voulait se venger de Louis XI, qui venait de la dépouiller de l'héritage de son mari. Odet d'Aydie, qui avait oublié son serment de fidélité à Louis XI, était le chef de l'autre parti ; il cherchait à se débarrasser de Colette, et à marier son maitre avec une fille de Gaston IV, comte de Foix, qui était maintenant brouillé avec Louis XI. Mais Charles de France se rappelait qu'on était venu lui offrir la main de l'héritière de Bourgogne. Le Téméraire le laissa caresser cette chimère. Il se promit bien d'ailleurs de ne point donner Marie au duc de Guyenne, non plus qu'aux six autres princes dont il accueillit ou provoqua successivement les avances matrimoniales. Il disait en riant à ses intimes qu'il marierait sa fille quand il serait cordelier de l'observance. Il entendoit bien, dit Jean Le Clerc, que c'estoit le meilleur baston qu'il eust, et Commynes ajoute : Croy qu'il n'eust point voulu avoir de filz, ne que jamais il eust marié sa fille tant qu'il eust vescu. Mais ce décevant espoir était suffisant pour assurer la défection prochaine de Charles de France.

Le péril anglais allait renaître, plus grand que jamais : Charles le Téméraire fournit en secret au fugitif Édouard IV les moyens de réunir une flotte et une armée, et les Yorkistes débarquèrent à l'embouchure de l'Humber le 14 mars 1471. Édouard IV, lorsqu'il secouait son habituelle mollesse, avait les qualités d'un grand capitaine, prudence, justesse d'esprit, décision. Il réussit, avec douze ou quinze cents aventuriers, à traverser en moins d'un mois la moitié du royaume. Il était peu aimé en Angleterre, mais le peuple, indifférent et las, le laissa passer. Il entra à Londres le Il avril ; le 14, Warwick fut vaincu et tué à Barnet, et le 4 mai, le prince de Galles, fils de Henry VI, périt dans le désastre final de Tewkesbury. Henry VI, enfermé de nouveau dans la Tour de Londres, y mourut le 21 mai[21].

Au moment où Édouard IV s'embarquait pour reconquérir son royaume, Charles le Téméraire s'était mis en marche avec une armée de trente mille hommes, pour reprendre les villes de la Somme. Il mit le siège devant Amiens (10 mars 1471). La ville, bien défendue par Antoine de Chabannes, résista au bombardement. Le duc de Bourgogne espéra se la faire livrer par le connétable de Saint-Pol, qui y était entré sous prétexte d'amener des renforts. Saint Pol cherchait à se rendre l'homme nécessaire, le médiateur entre Louis XI et le Téméraire ; son but était sans doute de se constituer une principauté en Picardie. Mais pour le moment, d'accord avec François II de Bretagne, il voulait obliger le duc de Bourgogne à se lier envers la Noblesse de France par une garantie solennelle et à conclure le mariage de sa fille avec Monsieur Charles. Impatienté par ces exigences, inquiet des nouvelles qu'il recevait du Mâconnais, le Téméraire, au début du mois d'avril, escripvit au roy six lignes de sa main : il regrettait de luy avoir ainsi couru sus, pour satisfaire autrui. Louis XI, de son côté, avait perdu sa belle assurance, et il accueillit avec joie ces ouvertures : il signa avec le duc de Bourgogne une trêve, qui laissait les garnisons royales dans Amiens et Saint-Quentin.

Mais Louis XI, en déchirant les traités de Conflans et de Péronne, s'était condamné à une lutte sans merci avec ses grands vassaux. La mésintelligence de ses adversaires ne dura point. Dans le cours de l'année 1471, des Pays-Bas à la Bretagne, des Alpes aux Pyrénées, une coalition féodale se reforma. Odet d'Aydie unit les maisons de Bretagne et de Foix par le mariage de François II avec une fille de Gaston IV (26 juin). Au mois de juillet, le duc de Guyenne quitta Louis XI pour retourner à Bordeaux et demanda au pape d'annuler le serment qu'il avait fait sur la croix de Saint-Laud de ne jamais épouser Marie de Bourgogne. En vain Louis XI envoyait en Guyenne un de ses plus fins diplomates, Imbert de Batarnay, pour négocier le mariage de Charles avec Jeanne de Castille : si vous réussissez, lui écrivait-il, vous me mettez en paradis. Charles refusa la fille d'Espaigne. Louis XI lui proposa une de ses propres filles : Au regard du mariage de la fille du roy, lui fut-il répondu, mondit seigneur a bien intention de mieux faire, au bien du royaume, desdicts seigneurs du sang et des subjets d'iceluy. Jean V d'Armagnac, qui avait recommencé ses menées occultes, avait été dépouillé de ses biens par le roi en 1469, et obligé de s'enfuir en Espagne ; au mois de décembre 1471, le duc de Guyenne le rappela et lui rendit ses domaines. Jean leva aussitôt une armée et avec grant puissance tint les champs du costé de Thoulouse. Jean II, roi d'Aragon, et Yolande, duchesse de Savoie, sœur de Louis XI, promirent leur concours aux coalisés, et il fut convenu qu'Edouard IV serait laissé libre de reconquérir en France les anciens domaines des Plantagenéts. Les familiers du duc de Guyenne disaient que on bailleroit au roy tant de levriers a la queue qu'il ne sauroit quel part fuyr. C'était le démembrement de la France qui se préparait. Charles le Téméraire déclarait qu'il aimait mieux que personne le bien du royaume, car, disait-il, pour ung roy qu'il y a, je y en vouldroye six.

Le bruit courait que le roi de France était perdu. Un espoir pourtant lui restait. Le 1er mars 1472, il chargea l'évêque de Valence de déposer au trésor de Saint-Laud n'Angers une série de documents établissant que Monsieur Charles avait violé le serment prêté par lui sur la croix de Saint-Laud. Un tel parjure ne pouvait rester impuni. Comment douter d'ailleurs de la protection céleste ? Colette de Chambes était morte le 14 décembre 1471, et Charles de France, depuis l'entrée de l'hiver, ne faisait que dépérir. Louis XI était parfaitement renseigné sur tout ce qui se passait en Guyenne : le moine même qui disait les heures avec le duc était u., espion aux gages du roi. Les précautions de Louis étaient prises : des troupes étaient massées sur la frontière ; les serviteurs de Monsieur étaient gagnés d'avance ou surveillés, les bonnes villes circonvenues. Charles de France mourut le 24 mai 1479. En quelques jours, toute la Guyenne fut soumise. Odet d'Aydie s'enfuit en Bretagne, accusant le roi d'avoir empoisonné son frère[22].

Charles le Téméraire venait de réorganiser son armée, de régler strictement le service des nobles, de créer des troupes permanentes[23]. Le 22 juin et le 16 juillet, il publia de violents manifestes, où il prétendait que le duc de Guyenne avait été mis à mort sur l'ordre du roi, par poisons, malefices, sortilèges et invocations diaboliques. Dès le 4 juin, sans attendre l'expiration de la trêve, il avait commencé les hostilités ; le 10, il fit massacrer les habitants et les défenseurs de la petite ville de Nesle, et, entrant à cheval, armé de pied en cap, dans l'église Notre-Dame, où s'entassaient des monceaux de cadavres sanglants, il s'écria : Saint Georges ! Enfans, vous avez faict une belle boucherie ![24] Le 27, il arriva devant Beauvais, qui n'avait point de garnison. Sachant le sort qui les menaçait, les habitants firent une résistance désespérée, à laquelle les femmes prirent une part glorieuse. Pendant un assaut, une fille du peuple, Jeanne Laisné, gagna et retira devers elle ung estendart ou bannière des Bourgoignons[25]. Telle était l'impéritie militaire du duc de Bourgogne que, malgré les forces considérables dont il disposait, il laissa chaque jour des troupes royales entrer dans Beauvais, qui finit par devenir imprenable. Il déguerpit le 22 juillet, et alla, durant trois mois, ravager le pays de Caux, brûlant des centaines de villages et de châteaux, détruisant les moissons. Sur l'ordre du roi, Antoine de Chabannes se contentait de le suivre de loin et de rompre ses vivres. Pendant ce temps, les garnisons royales de la frontière faisaient des incursions dans les pays bourguignons, et le corsaire gascon Guillaume de Casenove terrifiait les populations maritimes des Pays-Bas. Les troupes du Téméraire, épuisées et affamées, reprirent à la fin d'octobre la route des Flandres. Le duc de Bourgogne conclut avec le roi, le 3 novembre, une trêve de cinq mois, qui, à son expiration, fut renouvelée pour un an.

Louis XI, selon son habitude, avait réservé ses coups décisifs à ses adversaires les plus faibles. Il avait envahi la Bretagne, et François II fut contraint d'accepter une trêve, le 15 octobre 1472. Odet d'Aydie passa au service du roi. Le duc d'Alençon, arrêté sous l'inculpation d'avoir voulu livrer ses domaines au Téméraire, fut traduit devant le Parlement, et, pour la seconde fois, condamné à mort ; Louis XI eut cependant pitié de son ancien complice : le vieux conspirateur fut encore gracié[26]. Jean V, comte d'Armagnac, fut moins heureux. Assiégé dans la place forte de Lectoure, il s'était rendu, le 11 juin 1472, au sire de Beaujeu, et il avait obtenu la permission d'aller se justifier auprès du roi. Il resta dans le Midi et no profita de sa liberté que pour préparer sa revanche. Lorsque les troupes royales se furent éloignées, Jean V s'empara de Lectoure et fit prisonnier le sire de Beaujeu, grâce à la connivence des habitants (19 octobre 1472). Cette satisfaction d'amour-propre lui coûta cher : les Francs-Archers de Guyenne furent mis sur pied, l'arrière-ban de la sénéchaussée d'Agen fut convoqué, le roi envoya de l'artillerie, et Lectoure dut capituler le 4 mars 1473. L'armée royale saccagea la ville, et Jean V, qui avait promesse de vie sauve, périt fortuitement dans une bagarre. Ses biens, qui formaient une des plus importantes seigneuries du Midi, furent dépecés entre le sire de Beaujeu et une vingtaine d'autres serviteurs du roi.

La période des grandes coalitions féodales était close : Charles de France et le comte d'Armagnac étaient morts ; le comté de Foix était échu à un enfant ; le duc d'Alençon avait disparu de la scène politique ; le duc de Bretagne se tenait coi ; Charles le Téméraire, absorbé par ses projets sur les Allemagnes, allait être réduit, dans les affaires de France, à une opposition impuissante. Un chansonnier du temps résuma très bien la situation :

Berry est mort,

Bretaigne dort,

Bourgogne hongne (grogne),

Le roy besongne.

 

 

 



[1] SOURCES. Outre les sources indiquées au chap. I, § 3 : Jean de Haynin, Mémoires, édit. R. Chalon, 1842. Guillaume Leseur, Hist. de Gaston IV, édit. H. Courteault, t. II, 1886. Robert Gaguin, Annales, édit. de 1511, f° 253 et suiv. Benoît Mailliard, Chronique, édit. G. Guigue, avec un supplément, 1883 et 1901. — J. Quicherat, Docum. relatifs à la guerre du Bien public, dans Champollion-Figeac, Docum. histor. inédits, t. II, 1843. De Reilhac, Jean de Reilhac, t. III, 1888. Dom Plancher, Hist. de Bourgogne, t. IV, 1781. Dom Morice, Hist. de Bretagne, t. III, 1746. L. Delisle, Pièces soustraites au Trésor des chartes des ducs de Bretagne, Bibl. de l'École des Chartes, 1893, p. 413. Abbé J.-M. Alliot, Visites archidiaconales de Josas, 1902.

OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages indiqués chap. I, § 3 : Chazaud, La ligue du Bien public en Bourbonnais, Bull. de la Soc. d'émul. de l'Allier, t. XII, 1873. B. de Mandrot, Louis XI, Jean V d'Armagnac et le drame de Lectoure, Rev. histor., t. XXXVIII, 1888 ; Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, Rev. histor., t. XLIII, 1890 ; La bataille de Montlhéry, Append. au t. II du Journal de Jean de Roye. J. Finot, L'artillerie bourguignonne à la bataille de Montlhéry, Mém. de la Société des Sciences de Lille, 5e série, fasc. V, 1896. P. Ghinzoni, Spedizione Sforzesca in Francia, Archivio storico lombardo, t. XVII, 1890. V. de Beauvillé, Hist. de Montdidier, t. I, 1875, 2e édit. A Canel, Révolte de la Normandie sous Louis XI, Soc. d'agricult. de l'Eure, 2e série, t. I, 1840. Ed. Gœchner, Les relations du ducs de Lorraine avec Louis XI, de 1461 à 1473, Annales de l'Est, t. XII, 1898.

[2] Fut cette guerre despuys appelée le Bien publicque, dit Commynes, pour ce qu'elle s'entreprenoit soubz couleur de dire que c'estoit pour le bien publicque du royaulme.

[3] Journal de Jean Maupoint, § 101. Ce journal est la source narrative la plus précieuse pour ce qui concerne la guerre du Bien public. Il a été rédigé au fur et à mesure des événements ; sa précision et son exactitude sont remarquables.

[4] Ballades imprimées (fautivement) dans les Œuvres de Chastellain, par Kervyn de Lettenhove, t. VII. Cf. A. de La Borderie, Jean Meschinot, Bibl. de l'École des Chartes, 1896.

[5] Voir la reproduction à une miniature gasconne, évidemment faite d'après nature, Stein, Recherches Iconographiques sur Charles de France, Réunions des Sociétés des Beaux-Arts des départements, 1892.

[6] Quentin, Épisodes du XVe siècle aux pays Sénonais et Gâtinais, Mém. lus à le Sorbonne en 1865, Section d'histoire, p. 695.

[7] Cf. l'exemple caractéristique de la ville d'Espaly : Chronique d'Estienne Médicis, édit. Chassaing, t. I, 1869, p. 252-254. Voir aussi Dumas de Rauly, Docum. inédits sur Saint-Antoine, Bull. de la Soc. archéolog. de Tarn-et-Garonne, t. IX, 1881, p. 300. Quelques villes seulement se prononcèrent franchement : Mortagne, Corbie, Saint-Quentin, Montdidier ouvrirent leurs portes aux rebelles ; Amiens, Lyon et Bordeaux montrèrent au contraire un ardent loyalisme.

[8] Les historiens de la guerre du Bien public ont prétendu, en se fiant au reçut d'Olivier de la Marche (Mémoires, t. III, p. 7), que la ligue se forma vers la fin de 1464, sans que Louis XI en eût connaissance. Or personne n'était plus méfiant et mieux informé que et roi. Nous savons, d'ailleurs, qu'au mois de décembre 1464, un bourgeois de Saint-Flour se dévoua, pour lui porter des nouvelles du complot qui se tramait dans le centre de la France (M. Boudet, Villandrando et les Écorcheurs, à Saint-Flour, Rev. d'Auvergne, t. XI, 1894).

[9] Voir une curieuse lettre de rémission publiée par A. de Reilhac, Jean de Reilhac, t. III, 1888, p. 200, et le Journal de famille des Dupré, publ. par Lex et Bougenot, Annales de l'Acad. de Mâcon, 3e série, t. II, 1897.

[10] SOURCES. Outre les sources indiquées au chap. I, § 3, et au chap. II, § 1 : J. de Wavrin, Chroniques, édit. W. Hardy, t. V, 1891, et édit. Mlle Dupont, t. II, 1859 (avec les Pièces justific. du t. III, 1863). Louis de Diesbach, Mémoires, édit. Max de Diesbach, 1901. Chronique du Mont-Saint-Michel, édit. S. Luce, t. I, 1879. Chron. du Bec, édit. Porée, 1889. Chastellain, Le livre de Paix, Le mystère de la paix de Péronne, au t. VII de ses Œuvres. Lettres de Louis XI, t. III, 1887. Récit des États généraux de 1468, édit. Champollion-Figeac, Docum. histor. inédits, t. III, 1847. Des États généraux et autres assemblées nationales, t. IX, 1789.

OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages de Foster Kirk, Dupuy, Favre, Courteault : Forgeot, Jean Balue, 1895. Ch. de La Roncière, Hist. de la marine française, t. II, 1900. Chéruel, Le dernier duché de Normandie, Rev. de Rouen et de Normandie, t. XV, 180. G. Dupont, Hist. du Cotentin, t. III, 1885. Ch. de Beaurepaire, Notes sur six voyages de Louis XI à Rouen, Trav. de l'Acad. de Rouen, t. LIX, ann. 1858-1857. C.-W. Oman, Warwick the Kingmaher, 1891. J.-H. Ramsay, Lancaster and York, 1892. J. Gairdner, Introduction sur Paston Letters, nouv. édit., 1900-1901. G. Périnelle, Relations de Louis XI avec l'Angleterre, Positions des thèses de l'Éc. des Charles, 1902.

[11] Anchier, Charles de Melun, Moyen âge, 1882 ; cf. Processus Balue, publ. par E. Deprez, Mélanges de l'École de Rome, 1890.

[12] Les abus de pouvoir et les empiétements des agents royaux, de 1466 à 1468, sont exposés en détail dans le traité de Péronne.

[13] Lettre de Charles, publ. dans le Bull. de la Soc. archéol. de Nantes, t. III, 1863, p. 207.

[14] Quittance publiée deus le Précis des Trav. de l'Acad. de Rouen, ann. 1897-1898, p. 300.

[15] L'idée d'une entrevue particulière avec le Téméraire était personnelle à Louis XI. Dès le mois d'août il avait projeté de voir lui-même le duc de Bourgogne. Ce ne fut point Balue qui lui suggéra le voyage de Péronne. C'est ce qu'a parfaitement démontré M. Forgeot.

[16] SOURCES. Outre les sources indiquées aux §§ 1 et 2 : Lettres de Louis XI, t. IV et V, 1890-1895. Commynes-Lenglet, t. III. Documents publ. par Eug. Déprex, Mél. de l'École de Rome, 1899 : Godard-Foultrier, Mém. de la Soc. des Sciences d'Angers, 2e série, t. V. 1854. et Bull. du Comité de la langue, de l'hist. et des arts de la France, t. I, 1854 ; U. Chevalier, Bull. de la Soc. de statist. de l'Isère, 3e série, t. VI, 1874 p. 391 et suiv. ; H. Stein, Annuaire-Bull. de la Soc. de l'Hist. de Fr., 1888, p. 188 et suiv. Journal de famille des Dupré, édit. Lex et Bougenot, Annales de l'Acad. de Mâcon, 3e série, t. II, 1897. Comptes de Riscle, édit. Parfouru, t. I, 1888.

OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages indiqués aux §§ 1 et 2 : B. de Mandrot, Ymbert de Batarnay, 1886. Abbé Ledru, Louis XI et Colette de Chambes, Rev. de l'Anjou, Nouv. série, t. IV, 1882. J. Roux, Hist. de l'Abbaye de Saint-Acheul-lez-Amiens, 1890. Samaran, La chute de la maison d'Armagnac, Thèses de l'Éc. des Chartes, 1901 (Manuscrit communiqué par l'auteur). Dupont-White, Le siège de Beauvais, Mém. de la Soc. Acad. de l'Oise, t. I, 1847-1851. Tamizey de Larroque, De l'existence de Jeanne Hachette, Rev. des Quest. histor., t. I, 1866.

[17] Le long supplice de Balue, enfermé dans une étroite cage de fer, est une légende. Belin eut une captivité fort douce. La cage de fer où, par crainte d'une évasion, l'on entonna Harancourt, en 1476, avait les dimensions d'une cellule.

[18] Le duc se disait Portugais de naissance, par sa mère.

[19] Lettre du Dauphinois Jean de Ventes au Parlement de Grenoble, 16 mars 1471, publ. par Fauché-Prunelle, Bull. de l'Acad. Delphinale, t. II, 1846-1849, p. 648.

[20] Stein, Réun. des Soc. des Beaux-Arts des départ., 1892, p. 528. Sur son administration en Guyenne, voir les documents publiés aux t. V et VIII des Arch. hist. de la Gironde, et Brives-Cazes, Les Grands Jours du dernier duc de Guyenne, 1867. Louis XI avait eu bien soin de transférer à Poitiers le Parlement qu'il avait fondé à Bordeaux en 1462.

[21] Marguerite d'Anjou resta cinq ans prisonnière en Angleterre ; Louis XI finit par payer sa rançon, et elle vint terminer sa vie en France.

[22] En réalité, le duc de Guyenne était depuis longtemps malade (Rapport publié par Vaesen, Lettres de Louis XI, t. IV, p. 384 ; relation d'Arnold de Lalaing, publ. par Lenglet du Fresnoy, Preuves de Commines, t. III, p. 261). Le Dr E. Brissaud, Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 1882, p. 199, a émis l'hypothèse de la syphilis.

[23] D'après les édits de 1471, Charles le Téméraire forma une armée de 1.250 lances. Chaque lance comprenait un homme d'armes à cheval avec un coutilier et un page, trois archers montés, combattant à pied, un couleuvrinier, un arbalétrier, un piquier. Voir les ouvrages indiqués par H. Pirenne, Bibliographie de l'Hist. de Belgique, 2e édit., n° 1018 à 1031, notamment ceux de G. Guillaume.

[24] Témoignage publié dans le Bull. du Comité de la Langue, de l'Hist. et des Arts de la France, t. II, 1853-1855, p. 234.

[25] Lettres de Louis XI pour Jeanne Laisné (Ordonnances, t. XVII, p. 583). De cet épisode est sortie la légende de Jeanne Hachette.

[26] Il sortit de prison le 28 décembre 1475 et mourut l'année suivante.