HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — CHARLES VII. LOUIS XI ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE CHARLES VIII (1422-1492).

LIVRE II. — LA SOCIETÉ ET LA MONARCHIE À LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS.

 

 

LA guerre de Cent Ans a dépeuplé et ruiné la France, détruit pour de longs siècles des centres de population, effacé des routes, anéanti quantité de monuments, de maisons, d'objets de toute sorte, qui avaient fait la joie des yeux, l'ornement et la commodité de la vie au moyen âge[1]. Rarement peuple civilisé subit tant de maux. Rarement aussi peuple se releva si vite d'une chute si rude. Les Français, a écrit Chastellain, en labeur sont prompts et actifs, disposés à la paine... Ont corps agile, non charnu, non somnolent, non paresseux ne tardif, mais toujours en œuvre, soit des mains, soit du sens, soit de parole et de fait. L'activité déployée par la population, dès qu'il lui fut loisible de travailler, était faite pour inspirer au chroniqueur bourguignon ce panégyrique de l'énergie française ; elle répara bien des ruines. Mais la guerre eut aussi des effets durables et de très longue portée : un important déplacement de la richesse, au détriment des grands propriétaires du moyen âge, Clergé et Noblesse, et au profit des classes laborieuses ; une profonde démoralisation, qui se traduisit par la persistance d'une forte criminalité, par la perversion du sentiment chrétien, par la décadence de l'Église.

Dans l'histoire politique, la guerre de Cent Ans a eu deux résultats successifs et contraires ; elle a rabaissé, puis grandi le pouvoir royal. Au milieu de désastres sans précédents, les Français avaient à plusieurs reprises été obligés de se défendre et de se gouverner eux-mêmes. L'esprit d'initiative locale, féodal ou municipal, s'était réveillé ; l'institution encore jeune des États Généraux et Provinciaux avait pris soudain une importance de premier ordre. Mais les Français n'essayèrent pas de se maintenir dans les positions ainsi acquises aux dépens de la royauté : au milieu du XVe siècle, ils ne demandaient plus qu'a vivre tranquilles, et ils perdirent, presque sans mot dire, les libertés qu'ils avaient achetées si cher au temps de leurs malheurs. Un essai de résistance aristocratique, la Praguerie, échoua piteusement. En vingt ans, avec une rapidité prodigieuse, la monarchie put reconstituer tous les organes de sa puissance, couvrir des mailles de son administration le royaume presque entier, créer des impôts permanents et une armée permanente, et le roi de Bourges redevint pour l'Europe le roi des rois. L'immense majorité de la nation s'était groupée autour de lui ; le loyalisme monarchique de Jeanne d'Arc nous représente ce qu'était alors le sentiment populaire : le patriotisme, c'était l'attachement au roi. Les tentatives faites par les assemblées d'États, par les seigneurs et par les villes pour organiser la résistance à l'invasion anglaise n'avaient pas été stériles ; mais la royauté seule semblait capable de tirer la France de l'anarchie et de la misère, et, en effet, elle l'en tira.

 

 

 



[1] Les archives d'Alais nous donnent un exemple précis de la décroissance de la fortune publique pendant la guerre de Cent Ans : les fonds imposables, dans cette ville, valaient 40.000 livres au début de la guerre : 26.369 livres en 1405, et 19.000 livres vers le milieu du règne de Charles VII (A. Bardon, Histoire de la ville d'Alais de 1341 à 1461, 1896, p. 313.)