HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — LES PREMIERS VALOIS ET LA GUERRE DE CENT ANS (1328-1422).

LIVRE IV. — LE GOUVERNEMENT DES PRINCES.

CHAPITRE III. — LA GUERRE CIVILE[1].

 

 

I. — ORLÉANS ET BOURGOGNE.

DANS la plupart des grandes questions qui occupèrent la politique royale à la fin du XIVe siècle, on a déjà vu apparaître une inquiétante rivalité entre le frère et le plus puissant des oncles du roi, entre le duc d'Orléans et le duc de Bourgogne. Dans les premières années du XVe siècle, elle divise la cour, le gouvernement, le royaume.

Le duc d'Orléans est un prince délicat, charmant, instruit ; il encourage les poètes et les joueurs de mystères. Son esprit est brillant et mordant ; à l'occasion, il sait être éloquent. C'est en même temps un modèle de piété et de dévotion : il multiplie les offrandes pieuses, et fait la fortune des Célestins chez lesquels il a sa cellule ; il va jeûner, chanter matines, recevoir même la discipline au milieu des moines. Mais il est superficiel et léger, magnifique et voluptueux. Une grande part de sa vie se passe en fêtes, en réceptions, en ébattements dans ses petits hôtels ; il a toujours avec lui ses levriers, ses fous et ses ménestrels. Il est amateur de parfums, de sucreries, de mets recherchés, grand et beau joueur, perdant volontiers de grosses sommes à la palme, au trinquet, aux quartes et aux échecs. Il a de grands équipages de chiens et de faucons. Ses costumes sont d'une richesse étrange, ornés de dessins brodés, d'animaux, de fleurs d'or et d'argent, de clochettes et de sonnettes. Enfin, le duc d'Orléans est un époux volage.

Pour soutenir son train de vie et ses ambitions politiques, le duc demande au roi et reçoit sans cesse de lui des dons, petits et grands. Ses domaines s'augmentent chaque année : en 1407, il possédait le duché d'Orléans, le Périgord, les comtés de Valois, de Beaumont, de Dreux, de Blois, de Dunois, de Soissons, d'Angoulême, de Porcien, la seigneurie de Couci, Château-Thierri, La Fere, Chauni, Provins et Montargis ; et, hors de France, le comté d'Asti et le duché de Luxembourg. Mais ces terres sont disséminées, et le prince envie les vastes principautés des ducs de Berri et de Bourgogne. D'ailleurs, ses domaines sont pour lui l'occasion de folles dépenses : il fait élever les châteaux de Pierrefonds et de la Ferté-Milon, embellir ceux de Château-Thierri et de Couci. Pour payer ce luxe, il lève les aides royales sur ses terres, à son profit. Lorsque ses revenus sont épuisés, il recourt à ceux du royaume. Au temps de sa puissance, les aides sont dans sa main, et les grosses tailles de 1402, 1404, 1405 sont dissipées par lui. Il est très jalousé à la cour pour ses qualités brillantes et ses succès, mal vu un peu partout pour ses propos ironiques, ses plaisirs, ses besoins d'argent, ses projets de conquête.

Philippe le Hardi a, sur son rival, la supériorité de l'âge, de l'expérience, de l'autorité personnelle et de la puissance. Il possède le duché et la comté de Bourgogne, les comtés de Charolais, de Nevers, de Rethel, de grandes terres en Champagne, l'Artois, la Flandre, la seigneurie de Malines, pour ne parler que des grands domaines. Des mariages ou des conventions habiles promettent à la maison de Bourgogne, l'héritage du Brabant, du Limbourg, du Hainaut et de la Hollande. Une telle puissance créait des relations dynastiques et commerciales de tous côtés. La politique d'un duc de Bourgogne était aussi active et étendue que celle du roi lui-même. Dans les comptes de la recette générale de Bourgogne, on relève que le total des pensions et gages à la volonté du duc monte à 59.230 livres tournois, de mars 1401 à mars 1402, et celui des dons, à 58.820 livres tournois. Chaque jour, le duc donne de l'argent, des chevaux, surtout des queues de vin de Beaune et des étoffes précieuses. Quant à l'administration de ses domaines, elle exige des agents et des officiers de toute sorte, de nombreux conseillers, une cour, même une véritable armée, qui dépense que c'est une horreur de le dire. Aussi les revenus du duc de Bourgogne, si considérables qu'ils soient, ne suffisent plus à faire vivre cet État bourguignon. Dans son budget, le passif est énorme : il s'élève, pour un an, de mars 1401 à mars 1402, à 488.105 livres tournois, et, de fin janvier 1410 à fin janvier 1411, à 538.553 livres tournois. Comme le duc d'Orléans, le duc de Bourgogne a son recours auprès du roi, qui lui donne beaucoup et sans cesse sur les aides du royaume : 192.943 livres tournois en 1400-1401, 163.424 en 1401-1402, 238.325 en 1410-1411, et, malgré tout, il y a chaque année un excédent des dépenses sur les recettes. Ni l'un ni l'autre des deux princes ne peut se passer des caisses royales ; pour vivre, il faut que l'un des deux domine, à l'exclusion de l'autre, le gouvernement royal.

Aucune autorité ne peut s'interposer. Le roi a de fréquents accès de démence, et son intelligence s'obscurcit d'année en année. La reine, fort belle encore, est capricieuse, emportée, passionnée pour la parure et le plaisir. Sa famille, la rancune des siens contre Jean Galéas Visconti de Milan, l'avaient rattachée jusqu'alors au parti bourguignon ; mais elle était femme à ne suivre que ses fantaisies, et on la trouvera bientôt du côté d'Orléans. Le duc de Berri, très riche, dont les domaines forment une masse compacte au centre du royaume, est un épicurien, un bourreau d'argent, un amateur d'art, non un politique. Le duc de Bourbon, pacifique et bienveillant, donne de bons conseils, mais il est hors d'état de les imposer. A la tête de la maison d'Anjou, est un très jeune homme, le roi Louis II de Sicile, tout occupé d'affaires italiennes. La remarquable génération des conseillers de Charles V est au déclin de l'âge, et les Conseils sont livrés à l'influence des princes. Le Parlement, enfin, est encore loin du jour où il pourra jouer un rôle politique, et même, au début du XVe siècle, il s'y refuse de parti pris.

 

II. — PREMIERS CONFLITS.

LES ducs d'Orléans et de Bourgogne siégeaient ensemble au Conseil. Quand le roi était malade, Philippe le Hardi était le maitre ; au contraire, dans les moments de lucidité de Charles VI, le duc d'Orléans, très aimé du roi, prenait l'avantage. Tour à tour, les deux princes se contrecarraient et s'exaspéraient ainsi l'un contre l'autre. A partir de 1401, pas une année désormais ne se passe sans incidents. Dès la fin du printemps de 1401, une coalition s'organise contre le duc d'Orléans, entre la reine, les ducs de Bourgogne et de Berri, et le roi des Romains, Robert de Bavière. Le duc d'Orléans, de son côté, est très entreprenant : profitant de l'absence de Philippe le Hardi, retenu depuis le commencement de l'été dans les Pays-Bas, il veut agir en mettre dans toutes les affaires. De loin, Philippe s'inquiète de ce qui se passe à Paris ; déjà la défiance est telle que des armements sont faits de part et d'autre. Au retour du duc de Bourgogne, en décembre 1401, la reine, les ducs de Berri et de Bourbon empêchent la rupture par un arbitrage.

L'année suivante, en avril 1402, pendant une nouvelle absence de Philippe le Hardi, le duc d'Orléans se fait nommer souverain gouverneur des aides, ce qui met en ses mains tout le personnel et toute la finance des aides, et il en profite pour faire ordonner une grosse contribution. Le duc de Bourgogne revient, proteste tout de suite contre cette levée, déclare qu'il a refusé 100.000 écus, qu'on lui a offerts pour prix de son acquiescement, et gagne ainsi une popularité énorme, surtout à Paris. Le roi, pour mettre d'accord son frère et son oncle, les fait tous deux souverains gouverneurs des aides ; mais, peu après, il leur enlève cette administration mal placée dans leurs mains. Ce conflit et ce désordre se trouvent dans tout le gouvernement du royaume.

Même opposition des deux princes dans les affaires de l'Église. Les Bourguignons soutenaient la soustraction d'obédience. La plupart des cardinaux d'Avignon avaient accepté la décision du roi de France, et s'étaient établis à Villeneuve, en terre royale. Mais Benoît XIII, sourd à toutes les sommations, s'était enfermé dans le palais pontifical, décidé à y résister jusqu'à la mort. Geoffroi Boucicaut, frère du maréchal, arrive avec une petite armée, au nom du roi et des cardinaux, disait-il. Le pape est assiégé par les soldats du roi, les Avignonnais et les cardinaux ; mais toutes les attaques échouent et il faut convertir le siège en blocus.

Dans cette situation ridicule, le duc d'Orléans se mit à la tête d'un parti qui réclama la restitution d'obédience. La soustraction avait eu peu de succès dans le monde chrétien et même dans le royaume. Les rois d'Aragon et de Castille, qui y avaient d'abord adhéré, se ralliaient à la cause de Benoît XIII. L'Université de Toulouse protestait contre le mauvais arbre qui avait porté de si mauvais fruits, invention de grammairiens imbéciles, de sophistes audacieux, de dialecticiens bavards. Une bonne partie du clergé de France se plaignait du trouble mis dans tous les actes ecclésiastiques. Et Benoît XIII, si violent d'ordinaire, s'était gardé de lancer des sentences spirituelles contre ses adversaires ; il décrivait sa détresse en termes touchants. Le duc d'Orléans travailla activement pour lui. Gerson, Nicolas de Clamanges, Pierre d'Ailli le soutinrent dans leurs écrits. A la suite de délicates négociations, en octobre 1400, l'investissement du palais d'Avignon fut transformé en une sorte de garde courtoise, et Benoît XIII obtint de n'être gardé que par le duc d'Orléans ou ses représentants. Or, le 12 mars 1403, secondé par l'envoyé même du duc, le pape s'enfuit sous un déguisement et se réfugia à quelques lieues d'Avignon, à Château-Renard, sur la terre du roi de Naples. Libre, il retrouva tout son prestige ; les cardinaux qui l'avaient injurié et combattu se soumirent. Au mois de mai, de nombreux prélats, réunis à Paris, se montrèrent pour la plupart favorables à la restitution d'obédience. Avec les principaux d'entre eux, le duc d'Orléans se rendit près du roi et le décida à promettre sur le Crucifix cette restitution. L'acte fut rédigé et publié à Notre-Dame, le 30 mai. Le peuple montra une grande joie. Mais Benoît XIII, qui avait fait les plus belles promesses en faveur de l'union, ne devait pas les tenir ; le duc d'Orléans alla le voir à Avignon, sans rien obtenir de lui. Du moins, il avait fait triompher sa politique, tandis que le duc de Bourgogne et l'Université restaient attachés aux solutions radicales.

Dans les relations avec l'Angleterre, se retrouvent les deux politiques. La chute de Richard II avait produit grande émotion à la cour. Cependant les trêves furent renouvelées : Henry IV avait à consolider son pouvoir, et le roi de France voulait assurer le retour de sa fille Isabelle, veuve enfant du roi détrôné. Des pourparlers furent engagés à ce sujet ; ils durèrent plus d'un an ; la petite reine fut enfin remise au duc de Bourgogne à Leulinghen, en juillet 1401. Aussitôt le duc d'Orléans se pose en vengeur de Richard II et de sa nièce. Il encourage des combats singuliers entre plusieurs de ses officiers et des Anglais. Lui-même, le 7 août 1402, il propose à Henry de Lancastre un duel, cent contre cent. Henry IV lui répond qu'un roi ne se bat pas contre un simple duc. L'an d'après, le duc renouvelle son défi avec plus de violence. Au reste, il ne réussit pas à rouvrir la guerre. Malgré tous ces défis, la trêve de vingt-huit ans fut expressément maintenue, confirmée tous les ans et même plusieurs fois par an. Le roi d'Angleterre avait encore besoin de la paix, ayant affaire au roi d'Écosse, qui avait renouvelé les hostilités, et, dans le pays de Galles, à l'aventurier Owen Glendowr, dont les bandes, chaque année, ravageaient les plaines qui s'étendent à l'Est des montagnes galloises.

La politique du duc de Bourgogne était beaucoup plus sage et plus pratique. En Bretagne, il remportait un grand succès. Après la mort du duc Jean IV, la duchesse Jeanne de Navarre, tutrice de ses enfants mineurs, avait manifesté des sympathies anglaises. En 140e, elle décidait et négociait son mariage avec Henry IV. Le duc de Bourgogne réussit à se faire donner par les États du duché la tutelle des enfants de Bretagne et la régence, au lieu et place de la duchesse, qui s'embarqua pour l'Angleterre. Mais, en même temps, Philippe le Hardi voulait le maintien de la paix entre les deux royaumes, nécessaire au commerce et à l'industrie de la Flandre. En août 1403, presque au lendemain des défis du duc d'Orléans, les villes flamandes, craignant le renouvellement de la guerre, voulurent se garantir par des conventions spéciales. Philippe le Hardi obtint pour elles, du roi de France, l'autorisation de traiter avec les Anglais d'une trêve marchande, et l'engagement que les Français ne porteraient pas la guerre sur le territoire flamand. En Bretagne, comme en Flandre, Philippe le Hardi suivait ses intérêts ; mais il se trouvait, du moins, qu'ils étaient d'accord avec ceux du royaume.

Deux politiques encore dans l'Empire, où Wenceslas, déposé comme nous avons vu, n'acceptait pas la décision de la diète qui avait élu, à sa place, Robert de Bavière. Le duc de Bourgogne était, en Allemagne, l'allié de la maison de Bavière et, en Italie, l'ami de Florence ; le duc d'Orléans était l'allié de la maison de Luxembourg et l'ami de Wenceslas, protecteur de son beau-père, le duc de Milan, Jean Galéas Visconti. Le duc d'Orléans, après l'échec de ses grands projets en Italie, poursuivit, du côté de l'Empire, des entreprises très inquiétantes pour le duc de Bourgogne : il s'efforça de gagner à sa cause les princes voisins des domaines bourguignons et bavarois. Pour faire pièce au duc Étienne de Bavière, qui projetait d'épouser la veuve du sire de Couci, dont la fille possédait de riches domaines et le château de Couci, à mi-chemin de Paris et de la frontière de l'Empire, il achète ces domaines au prix énorme de 400.000 livres tournois. Moyennant finance, il obtient, en 1401, l'hommage du duc de Gueldre, qui est voisin des domaines de la maison de Bavière, et peut prendre à revers la ligue bourguignonne et bavaroise. Il cherche à secouer l'apathie de Wenceslas, pour organiser en Allemagne la résistance contre Robert de Bavière. Il acquiert la garde de Toul, qui avait invoqué la protection du roi de France. Enfin, profitant de la détresse de la maison de Luxembourg, il se fait reconnaître par Wenceslas, à la fois comme gouverneur de la totalité et comme seigneur d'une partie du duché de Luxembourg ; en 1402, ses garnisons occupaient les places luxembourgeoises. Dès lors les possessions orléanaises, de Couci aux bords du Rhin, presque sans interruption, s'enfoncent en coin dans l'Empire, entre les États bourguignons et les États bavarois. Le danger est si grand que la diète de Spire, réunie en décembre 1402, prend des dispositions contre cet envahissement. L'alliance du duc d'Orléans avec le margrave de Bade augmentait encore les inquiétudes. On racontait que Louis d'Orléans voulait conduire Benoît XIII à Rome, et s'y faire couronner empereur.

Il semblait que la fortune servit cette grande ambition. Le 16 avril 1404, à Bruxelles, le duc de Bourgogne tombait malade. Le 26, il alla demander sa guérison à Notre-Dame de Hal. On avait aplani les chemins que le moribond devait suivre ; mais, à l'arrivée, le mal empira et, le lendemain, le duc mourait. Un somptueux cortège en longs vêtements de deuil, semblables à ceux que portent les statuettes de son tombeau, conduisit les funérailles par la Champagne jusqu'à Dijon. Le nouveau duc, Jean sans Peur, et son frère Philippe étaient venus au-devant du cortège jusqu'à Saint-Seine. Cent pauvres habillés de noir, le clergé en procession, les échevins et les bourgeois, attendaient aux portes de la ville. Un service grandiose fut célébré aux Jacobins. Les restes de Philippe le Hardi furent déposés dans l'église de la Chartreuse de Champmol, qu'il avait fondée à cette intention.

 

III. — JEAN SANS PEUR ET L'ASSASSINAT DU DUC D'ORLÉANS[2].

JEAN SANS PEUR était dans sa trente-quatrième année. Il avait la tête massive, aux pommettes saillantes, les traits fortement  accentués, sans finesse ni grâce, avec une expression de méfiance et de méchanceté. Il était petit, parlait avec difficulté, représentait mal, portait des robes raccommodées, ne risquait jamais de grosses sommes au jeu, n'était prodigue que de promesses et d'engagements, qu'il ne lui contait pas de ne pas tenir. Mais il était au courant de tout, s'intéressait à tout ; il avait l'intelligence active et déliée. A l'occasion, il savait être très brave, comme il le montra à la croisade de Nicopoli, puis contre les Liégeois. Sans morgue aucune, il s'entendait à se faire des amis et des serviteurs. Enfin, il avait une ambition énorme et inquiète, avec de l'indécision dans la volonté.

Le nouveau duc de Bourgogne laissa pour un moment la place libre au duc d'Orléans. Occupé à prendre possession de ses domaines et à liquider les dettes de son père, il fut retenu loin de Paris, durant seize mois, d'une façon à peu près continue. La reine Isabelle, bien qu'elle eût renouvelé avec Jean sans Peur, en février 1405, les convenances qui l'avaient alliée à Philippe le Hardi, est attirée maintenant vers le parti du duc d'Orléans. Le duc fait élever à la pairie ses possessions de Couci et Soissons. Pour contrebalancer les mariages, récemment décidés, du dauphin avec Marie de Bourgogne, et de Philippe de Bourgogne avec une fille du roi, — Isabelle, fille aînée de Charles VI, veuve de Richard II, est promise à Charles, fils du duc d'Orléans. Le 6 juin 1404, le duc est fait lieutenant et capitaine général en Normandie et en Picardie. En même temps, il resserre ses alliances et en conclut de nouvelles, notamment du côté de l'Empire.

Au début de 1405, il est le maître des finances. Comme elles ne lui suffisent pas, les monnaies sont affaiblies. Le duc fait hâter la fabrication des nouvelles espèces, et, pour assurer le bénéfice, ordonne un secret rigoureux aux maîtres des monnaies. Mais la Chambre des Comptes fait comparaître les maîtres, les force à s'excuser et leur défend de toucher aux monnaies sans son avis, l'ordre vint-il du roi. Peu de temps après, à propos d'un voyage du duc d'Orléans, on raconta qu'il avait voulu s'emparer de la Normandie ; le retour du roi à la santé avait seul empêché, disait-on, le succès de ce projet ; Charles VI aurait déchiré les lettres déjà accordées. Ces rumeurs avaient été provoquées sans doute par quelque tentative du duc pour s'approprier l'argent des aides ou les revenus du domaine en Normandie. Le scandale fut si grand qu'un moine augustin, Jacques le Grand, nullement bourguignon, prêchant devant la cour, en mai ou juin 1405, osa faire allusion au duc d'Orléans et à la reine, et leur reprocher leurs folles dépenses et leurs plaisirs ; il renouvela ses attaques devant le roi, à la prière même de Charles VI.

A la fin de février 1405, pour la première fois, durant une vingtaine de jours, les ducs d'Orléans et de Bourgogne se sont trouvés face à face au Conseil. Dès ce premier contact, il y a eu entre eux rumeur et envie, quelque semblant qu'ils montrassent l'un à l'autre. Au mois de mars, Jean sans Peur étant retourné aux Pays-Bas, le duc d'Orléans fait ordonner une nouvelle aide pour la guerre anglaise ; le duc de Bourgogne déclare qu'elle ne courra pas dans ses domaines. En août, il part d'Arras ; aux portes de Paris, se réunit une véritable armée bourguignonne. De son côté, le duc d'Orléans a semoncé ses vassaux ; au bout de quelques jours il y a foison de gens d'armes en Brie, Gâtinais, Beauce et Sologne. La reine et le duc d'Orléans, à l'approche de Jean sans Peur, avaient quitté Paris, y laissant le roi et le dauphin. Le duc se ravisant, envoya chercher le dauphin ; mais, à Juvisi, Jean sans Peur, qui avait traversé Paris sans s'arrêter et forcé le galop de ses chevaux à pointe d'éperon, rejoignit et ramena l'enfant en grande hâte.

Alors Jean sans Peur se posa en réformateur et en justicier. Le roi étant malade, il fit présenter au dauphin et aux princes un long rôle de doléances : il s'y plaignait de l'état précaire où était tenu le roi, de la mauvaise justice, de la ruine du domaine, des exactions. Il s'adressa au Parlement et à la Chambre des Comptes. Au factum qu'il leur remit, le duc d'Orléans répondit, quelques jours après, par un plaidoyer, où il ne ménageait pas son rival. Mais les deux grandes cours de justice et de finances gardèrent une prudente neutralité. C'est ce que firent aussi les bourgeois de Paris, malgré les prières du duc de Bourgogne et les sympathies qui se manifestaient pour lui dans la ville.

La grande difficulté d'entretenir les troupes entassées à Paris et dans les environs, décida les princes à une de ces fausses réconciliations, si fréquentes en ce temps. Le 16 octobre 1405, après deux mois de conflit aigu, l'accord fut rétabli. La reine et le duc d'Orléans rentrèrent dans Paris. Il fut défendu de réunir à l'avenir des gens d'armes sans mandement du roi. Les deux rivaux se jurèrent fraternité, et portèrent les ordres et devises l'un de l'autre. Souvent d'illec en avant burent, mangèrent et couchèrent ensemble. Mais celui qui sait la pensée des cœurs, dit Monstrelet, sait de surplus ce qui en était. En effet, le 1er décembre, le duc d'Orléans formait une nouvelle coalition avec la reine et le duc de Berri, qui abandonnait son frère pour passer du côté de son neveu.

A ce moment-là, peu à peu, se ranimaient les hostilités avec l'Angleterre. La course sur mer avait recommencé : elle fut très active, surtout en 1405[3]. La même année, une expédition française appelée par Owen Glendowr, qui avait soulevé le pays de Galles, avait débarqué sur la côte galloise et poussé jusqu'à la vallée de la Severn, auprès de Worcester, sans du reste rien faire de plus. Dans cette reprise de la guerre anglaise, les deux ducs voulurent se distinguer. Le duc d'Orléans cherchait à faire quelque chose de grand ; le duc de Bourgogne ne voulait pas paraître moins entreprenant. Le roi nomma Jean sans Peur son lieutenant en Picardie, et le duc d'Orléans son lieutenant ès pays et duché de Guyenne et au fait de la mer. Jean, qui avait annoncé l'intention de reprendre Calais, prétendit ne pas avoir reçu l'argent nécessaire et ne tenta rien. Au contraire, la campagne de Guyenne fut organisée à grands frais. Bordeaux était dans l'inquiétude ; l'archevêque se plaignait au roi d'Angleterre que sa voix se fût faite rauque à force d'appeler des secours. Mais ce grand effort n'aboutit en trois mois (octobre 1406-janvier 1407) qu'à deux échecs du duc d'Orléans devant Blaye et devant Bourg. La dysenterie se mit dans son armée ; le temps était si mauvais que ses gens étaient en la boue jusqu'aux genoux. Le duc rentra à Paris tout déconfit.

 Chaque jour la haine grandissait entre les deux rivaux. Jean sans Peur reprochait à Louis d'Orléans de lui avoir fait manquer l'entreprise de Calais. Les deux princes prenaient des attitudes de guerre civile. Louis avait choisi pour emblème un bâton noueux avec ces mots : Je l'ennuie, et le duc de Bourgogne, un rabot avec la devise flamande : Ich oud, je le tiens. Après plusieurs mois d'absence ou de maladie, ils se retrouvent en septembre 1407 à Paris et dans le Conseil, très excités l'un contre l'autre. Au mois de novembre, le duc de Berri réussit à les réconcilier encore une fois ; ils communièrent à la même hostie, dans l'église des Grands-Augustins. A l'issue d'un dîner, le duc de Bourgogne reçut l'ordre du Porc-Épic des mains du duc d'Orléans, qui le lui mit au col, en se baisant l'un et l'autre avec larmes de joie. Ce fut la dernière comédie qu'ils jouèrent ensemble.

Le 23 novembre 1407, vers le soir, le duc d'Orléans était allé voir la reine, qui venait d'accoucher de son douzième enfant. Isabelle habitait alors, au Marais, l'hôtel Barbette. Vers huit heures, un écuyer du roi vint dire au duc que le roi le mandait sur-le-champ. Louis partit, accompagné d'une dizaine d'hommes à cheval et à pied et éclairé de deux ou trois torches qu'on portait devant. Il était sur sa mule et ses gens qui le devaient suivre, point ne se hâtaient. Sans chaperon, il s'ébattait d'un gant et d'une mouffle, et chantait. Bientôt, on entendit des cris de mort. Ceux qui osèrent regarder, virent un seigneur qui était à genoux emmi la rue. Six ou huit compagnons, le visage couvert, le frappaient. Il mit une fois ou deux ses bras au devant des coups, murmura quelques mots, et sur l'heure chut tout étendu emmi la rue. Les torches furent aussitôt éteintes dans les flaques d'eau, et la bande disparut.

Peu à peu, l'escorte, dispersée par la peur, se rassembla, et tous ceux qui avaient entendu le bruit sortirent de leurs maisons. Ils trouvèrent d'abord un jeune écuyer d'Allemagne, qui, à moitié mort, appelait son maitre, puis le duc d'Orléans lui-même. On le transporta à l'hôtel de Rieux, où le prévôt alla faire les premières constatations, puis de là à l'église des Blancs-Manteaux. Le lendemain, les obsèques du frère du roi furent célébrées ; les princes tenaient les coins du drap, faisant pleurs et grands gémissements ; mais, sur tous autres, fit le duc de Bourgogne manières de haut deuil.

Qui donc avait fait le coup ? Le 24 novembre, après les funérailles, le Conseil se réunit. Les portes de Paris furent fermées, et le prévôt poussa rapidement ses recherches. Les témoignages qu'il réunit prouvèrent que l'assassinat avait été prémédité. Depuis plusieurs jours, s'était installée à l'hôtel de l'Image-Notre-Dame, rue Vieille-du-Temple, une petite bande commandée par Raoulet d'Anquetonville, seigneur normand, ancien général conseiller des aides, homme taré, et les deux frères Courteheuse. Après le crime, ils s'étaient échappés dans la nuit.

Le 25 novembre, le prévôt se présenta au Conseil et fit un très bref rapport. Encore, disait-il, n'en pouvait savoir la vérité. Il ajoutait que, si on le laissait entrer dans les hôtels des serviteurs du roi et aussi des princes, par aventure, comme il croyait, trouverait-il la vérité des auteurs ou des complices. Le roi de Naples, les ducs de Berri et de Bourbon lui accordèrent l'autorisation qu'il semblait demander. Alors Jean sans Peur tira à part le roi de Sicile et le duc de Berri, et, brusquement, il avoua que par l'introduction du diable il avait fait faire cet homicide. C'était, chez lui, à l'hôtel d'Artois, que s'étaient réfugiés les assassins. Les princes eurent si grande admiration et tristesse au cœur, qu'à peine lui purent-ils donner réponse. Ils rentrèrent au Conseil, et, sans rien dire, levèrent la séance. Le lendemain, Jean sans Peur voulut de nouveau se présenter au Conseil, mais le duc de Berri alla au-devant de lui : Beau neveu, dit-il, n'entrez point au Conseil pour cette fois. Il ne plan mie bien à chacun que vous y soyez. Le duc, craignant d'avoir affaire à la justice royale, rentra à l'hôtel d'Artois, et, avec cinq ou six chevaux, sortit au galop de la ville. Il ne s'arrêta que le 27 au matin à Bapaume. Anquetonville et ses compagnons suivirent leur maitre de près ; ils furent récompensés en argent et en honneurs de cour.

 

IV. — ARMAGNACS ET BOURGUIGNONS.

LE deuil fut grand parmi les princes mais non parmi le peuple. Depuis longtemps le duc était très impopulaire. De divers côtés, par des lettres de rémission, il nous est revenu bien des mauvais propos tenus contre lui. Ils sont arrivés à l'oreille du chroniqueur Pierre Cochon, dans le pays de Caux ; il nous rapporte que le duc d'Orléans ne faisait que penser comment il pût faire mourir le roi, car oncques si mauvaise créature ne fut comme il était ; il ajoute que le peuple disait que le roi était sain ou malade, quand Monsieur d'Orléans voulait et que la reine et lui ne tendaient fors à essiller (ruiner) le peuple par grosses tailles. Au contraire, le duc de Bourgogne était considéré comme le défenseur du peuple. Philippe le Hardi et Jean sans Peur s'étaient fait une popularité par leurs protestations, répandues par tout le royaume, contre les aides. On prêtait à Jean sans Peur tout un programme de réformes. Son gouvernement, disait-on, ce sera la paix et l'abolition de toutes gabelles, impositions... qui couraient au préjudice du menu peuple. Et voulait Bourgogne, croyait-on en Normandie, que le royaume fût gouverné par les Trois États, comme autrefois avait été fait, au profit du roi et du peuple, et que les bons laboureurs, marchands puissent vivre en paix par bon gouvernement. Aussi l'aveu de Jean sans Peur ne souleva aucune colère ; on allait de tous côtés, causant à voix basse de ces tragiques événements, et commencèrent à dire l'un à l'autre en secret : Le bâton noueux est plané.

L'Université non plus ne s'émut pas du crime. Le duc d'Orléans n'était pas son homme ; elle lui en voulait d'avoir parfois répondu avec hauteur à ses députations officielles. Surtout la politique du prince, favorable au pape d'Avignon, avait été tout à fait contraire à la politique de l'Université. La soustraction d'obédience avait été faite malgré lui ; la restitution d'obédience avait été sa revanche, et l'Université ne la lui avait pas pardonnée.

Un tel état d'opinion rendait improbable le châtiment du crime. Louis d'Orléans laissait une veuve, la belle Valentine Visconti, et trois fils dont l'aîné, Charles, désormais duc d'Orléans, avait seize ans. Valentine Visconti partit de Château-Thierri, où elle avait appris le crime, avec son dernier-né et sa belle-fille, Isabelle de France, en vêtements noirs, sur des chariots tendus de noir ; elle arriva à Paris, le 10 décembre. Le roi se rétablissait en ce moment ; c'est à lui qu'elle demanda justice. La première entrevue fut très émouvante. Le 21 décembre, elle fit plaider sa requête devant Charles VI par un avocat, et le roi promit pleine et prompte justice. Quelques jours après, le duc de Bourgogne était exclu du gouvernement en cas de régence. Mais Valentine Visconti n'obtint pas davantage ; au milieu de janvier 1408, elle s'en alla tristement cacher son deuil à Blois.

Les princes en effet n'étaient pas prêts à entamer la lutte contre un adversaire aussi redoutable que le duc de Bourgogne, et ne voulaient pas, pour le moment, le pousser à bout. Jean sans Peur, après avoir fait approuver sa conduite par ses parents et ses sujets de Flandre, revenait menaçant. Au mois de janvier 1408, il annonce d'Amiens qu'il arrive pour se justifier. Les princes vont le trouver pour traiter avec lui. Il avait appelé à Amiens plusieurs maîtres de l'Université, parmi lesquels le maitre en théologie Jean Petit pour le conseiller d'aucunes choses secrètes touchant son honneur. Le roi de Sicile et le duc de Berri demandèrent au duc de ne pas se présenter à Paris, sans ordre exprès du roi ; il répondit en déclarant son intention d'y entrer en tout honneur et dignité. Le 28 février, à son arrivée dans la capitale, le peuple démenait très grande joie, et mêmement petits enfants en plusieurs carrefours, criaient à haute voix : Noël ! Huit jours après, une grande réunion était tenue à Paris à l'hôtel Saint-Paul. Là, en présence du dauphin, du roi de Sicile, des ducs de Berri, de Bretagne, de Bar et de Lorraine, devant un auditoire soigneusement trié, Jean Petit, sans muer la voix, de dix heures à deux heures, lut une longue apologie de l'assassinat de Louis d'Orléans. Il avait pris pour texte : Radix omnium malorum cupiditas. Il montra que la convoitise, source de tous les maux, mène au crime ceux qui en sont possédés ; elle fait du prince un tyran qu'il est licite de détruire ; or, le duc d'Orléans fut vrai tyran : le duc de Bourgogne avait donc le droit et même le devoir de le détruire. La mineure de ce syllogisme, consacré aux crimes du feu duc, révèle tout ce que Jean sans Peur et ses plus dévoués partisans avaient entassé de calomnies invraisemblables contre la victime. Quelques jours après, la reine emmenait le dauphin à Melun. Resté maitre dans Paris, Jean profita d'un apparent rétablissement du roi pour lui arracher des lettres de pardon.

Au début de juillet 1408, il quittait Paris sur de mauvaises nouvelles reçues de Liège ; l'évêque, son beau-frère, était assiégé par ses sujets dans Maëstricht. La reine et le dauphin rentrèrent aussitôt, suivis bientôt par la duchesse d'Orléans et le jeune duc Charles. Valentine et son fils obtinrent de faire réplique à la proposition de Jean Petit. L'assemblée du 11 septembre fut aussi solennelle que celle du 8 mars. On y vit les mêmes princes. La réplique fut prononcée par l'abbé de Cerisi : dans sa harangue, plus longue et beaucoup plus éloquente que celle de Jean Petit, il en appela de nouveau à la justice royale, qui ne peut être invoquée en vain, quand il s'agit du frère même du roi. Des conclusions rigoureuses remises au roi requéraient contre le duc de Bourgogne les peines les plus rigoureuses et les plus humiliantes.

Le gouvernement royal était plus ballotté que jamais entre les deux partis. La guerre de paroles, déchaînée dans Paris, excitait les haines. Pendant l'absence de Jean sans Peur, comme suite à la proposition de l'abbé de Cerisi, les princes alors favorables à la cause d'Orléans et qui gouvernaient sous le nom du roi et du dauphin, — les rois de Sicile et de Navarre, les ducs de Berri, de Bourbon et de Bretagne, — commencèrent à prendre des mesures énergiques. Il fut décidé qu'on procéderait contre Jean sans Peur en toute rigueur, selon les termes de justice ; s'il ne se soumettait pas, le roi irait lui faire la guerre à toute la plus grande puissance qu'il pourrait. Les lettres de pardon accordées au meurtrier furent annulées ; des hommes d'armes furent réunis à Paris et hors Paris. Mais toute cette belle ardeur tomba vite. A l'automne, Jean sans Peur était vainqueur des Liégeois ; c'est en les combattant, qu'il gagna son surnom de Sans Peur ; son prestige avait grandi. Revenu à Lille, il tenait des conciliabules avec les princes de sa famille, et restait entouré de ses troupes victorieuses. Son retour à Paris paraissait imminent. A la cour, l'effroi fut si grand, que, brusquement, en secret, le 10 novembre, le roi fut embarqué sur la Seine ; la reine et les princes sortirent par la porte Saint-Jacques. Charles VI fut installé à Tours pour attendre les événements. A ces nouvelles, Jean sans Peur fit ses préparatifs ; il se mit lentement en route, et entra à Paris le 28 novembre. Valentine Visconti venait de mourir ; son fils aîné n'avait que dix-huit ans ; les princes qui avaient pris parti pour lui n'osaient s'engager plus avant dans la guerre civile. Il y eut une première réconciliation apparente : elle fut faite à Chartres le 9 mars 1409 ; le roi et la reine rentrèrent dans Paris. L'année suivante, le conflit recommençait : les deux princes ennemis se trouvaient encore en présence devant Paris. Mais, des deux côtés, l'argent manqua ; les vivres s'épuisèrent. Orléanais et Bourguignons hésitaient toujours à engager la lutte. Un nouvel accord, aussi fragile que les précédents, est conclu à Bicêtre, le 2 novembre 1410.

Pendant ces premières prises d'armes, les partis s'étaient constitués. Le jeune duc d'Orléans attacha fortement à sa cause, après une série de conférences et de conventions, les ducs de Berri, de Bourbon, de Bretagne, les comtes de Clermont, d'Alençon, d'Armagnac, le connétable d'Albret. Veuf d'Isabelle de France, il épousa la fille du comte Bernard VII d'Armagnac, et cette union lui assura de redoutables contingents de Gascons : de là vint le nom de son parti — les Armagnacs. Jean sans Peur avait avec lui sa famille, le duc de Brabant  et le comte de Nevers ses frères, le comte de Charolais son fils, puis le duc de Lorraine, les comtes de Hainaut, de Namur, de la Marche, de Saint-Pol, de Penthièvre, l'évêque de Liège, la noblesse d'Artois, de Picardie et de Bourgogne, et enfin des seigneurs allemands.

Malgré les précautions prises au traité de Bicêtre pour organiser un gouvernement en dehors des partis, les Bourguignons avaient peu à peu envahi le Conseil royal et y étaient redevenus maîtres. Au printemps de 1411, les démonstrations hostiles et les armements recommencent. La reine, le dauphin essaient de s'interposer ; il est défendu de s'armer ; les seigneurs et chevaliers sont déliés de tout serment de fidélité fait à d'autres qu'au roi ; mais ces précautions ne servent de rien. Le 4 juillet 1411, le duc d'Orléans adresse au duc de Bourgogne un défi injurieux. Le mois suivant, Jean sans Peur répondait : Avons très grande liesse au cœur des dites défiances, mais du surplus contenu en icelle, toi et tes frères avez menti et mentez faussement et déloyalement comme trahisseurs que vous êtes. Cette fois, c'est bien la guerre civile.

Partout on prend parti pour les Bourguignons ou pour les Armagnacs. Des hommes d'armes, au nom de l'un ou de l'autre parti, pillent et rançonnent de tous côtés. A Paris, où les Bourguignons sont les maîtres, les Armagnacs, mis hors la loi, sont obligés de s'enfuir. Les bulles lancées par Urbain V contre les Compagnies un demi-siècle auparavant sont publiées en langue vulgaire et commentées en chaire ; le dimanche, au prône, les princes Armagnacs sont excommuniés. Les Bourguignons ont adopté comme signes de ralliement un chaperon vert et la croix de Saint-André en sautoir, portant la légende : Vive le Roi 1 Tous ceux qui refusent de les porter sont menacés ; les statues même des églises en sont affublées. Les biens des Armagnacs sont saisis ; l'hôtel de Nesle, le château de Bicêtre, propriétés du duc de Berri, sont assaillis et dévalisés. On ose à peine baptiser les enfants, dont les parents ne sont pas bourguignons. A en croire Juvénal des Ursins, il suffit de dire : Celui-ci est Armagnac, pour que la personne ainsi désignée soit aussitôt prise, torturée, mise à mort. Pour certain on avait autant de pitié de tuer ces gens comme des chiens. Les cadavres même des Armagnacs restaient abandonnés, et là les mangeaient chiens, oiseaux et autres bêtes, très inhumainement.

Hors de Paris, comme le duc de Bourgogne est maître du roi, ports, ponts et passages sont interdits aux Armagnacs. En 1410, la municipalité de Caen ordonne de brûler les maisons des partisans du duc d'Orléans. En mai 1412, à Dijon, tous ceux qui sont des pays des adversaires du roi et de Monseigneur le duc sont chassés de la ville. Les paysans se soulèvent et satisfont de vieilles haines. Des bandes de brigands français, gascons, espagnols, anglais reparaissent.

Ce qui est plus grave encore, c'est que les princes des deux partis sollicitent le roi d'Angleterre. Le duc d'Orléans ne demandait tout d'abord qu'une neutralité complaisante ; mais le duc de Bourgogne voulait davantage. Comme il était puissant, qu'il tenait le comté de Flandre, que ni lui ni son père n'avaient manifesté d'hostilité contre les Lancastre, il fut préféré par le roi d'Angleterre. Au mois de septembre 1411, des engagements pour une action commune contre les Armagnacs furent pris entre Jean sans Peur et Henry IV, qui négocièrent en outre un mariage entre le prince de Galles et une fille du duc de Bourgogne. En France, on raconta que Jean avait promis aux Anglais la restitution de la Guyenne et de la Normandie, l'hommage de la Flandre, le libre passage par les quatre principaux ports de Flandre. Le duc de Bourgogne écrivit au dauphin pour se justifier. Il est peu vraisemblable qu'il ait pris des engagements si précis et si considérables. Il n'en avait pas moins obtenu le concours des Anglais.

A l'automne de 1411, à la suite des défis échangés, les deux partis se trouvaient en présence en Picardie : Jean sans Peur prit Ham et plusieurs villes de la Somme. Mais le départ des Flamands, qui n'aimaient pas à servir longtemps, l'arrêta. Les Orléanais essayèrent alors de se saisir de Paris. Ils occupèrent la rive droite de la Seine, et, sur la rive gauche, Saint-Cloud. On se battit pendant tout le mois de novembre. Le duc de Bourgogne, ayant reçu le renfort d'une troupe anglaise de douze cents combattants, accourut au secours de Paris, où il les introduisit. La population, surtout les bouchers, leur fit assez mauvais accueil et même des rixes éclatèrent. Mais, grâce au contingent étranger et aux Parisiens, Jean sans Peur parvint à dégager Saint-Cloud. Les Armagnacs, fort reboutés, se dispersèrent. Honneurs et cadeaux furent prodigués aux Anglais, et le duc de Bourgogne força le roi à leur donner audience.

L'année suivante, les princes du parti armagnac recherchèrent à leur tour l'alliance anglaise, qui avait si bien réussi aux Bourguignons. A la fin de janvier 1412, les ducs de Berri, d'Orléans et de Bourbon et le comte d'Alençon envoyèrent successivement deux ambassades en Angleterre, solliciter une confédération. Pendant que la seconde était en route, le roi réunit son Conseil à Saint-Paul, le 6 avril 1412. Les Bourguignons étaient tout-puissants à la cour, et le duc de Bourgogne était présent. On délibéra sur la reprise des hostilités contre les Armagnacs ; le roi y résistait. La parole fut alors donnée au chancelier du dauphin : il raconta que, tout récemment, on lui avait remis un sac de cuir, contenant des lettres et des papiers enlevés par le bailli de Caen au moine augustin Jacques le Grand, un des ambassadeurs des princes. Le sac contenait quatre blancs scellés de quatre grands sceaux et signés de quatre seings manuels, c'est à savoir de Berri, d'Orléans, de Bourbon et Alençon, et, d'autre part, plusieurs lettres closes, de par le duc de Berri, signées de sa main et adressées au roi d'Angleterre et à autres grands seigneurs d'Angleterre. Ces pièces furent lues, puis montrées au roi, qui les toucha. Le chancelier avait gardé pour la fin un petit codicille par manière de libelle, auquel était l'instruction des ambassadeurs. La lecture en fut faite et provoqua la grande indignation des assistants.

L'ambassade qui alla trouver Henry IV à Eltham était, en effet, chargée de lui faire d'odieuses propositions. Par le traité d'alliance conclu avec lui, le 8 mai 1412, et qui, d'ailleurs, ne fut pas obtenu sans peine, les princes s'engageaient à aider le roi d'Angleterre, de toutes leurs forces et moyens, à recouvrer dans son intégrité le duché d'Aquitaine, qu'il posséderait entièrement et librement. En conséquence, tous les domaines que les princes possédaient dans l'ancienne Aquitaine seraient tenus par eux en qualité de fiefs du roi d'Angleterre, comme duc d'Aquitaine. Vingt forteresses royales lui seraient remises. De son côté, le roi d'Angleterre s'engageait à envoyer aux princes, à Blois, mille hommes d'armes et trois mille archers.

Après ce traité, le duc de Bourgogne se trouva être le défenseur du royaume. Charles VI et le dauphin, gouvernés par lui, le chargèrent de punir les rebelles. Au mois de mai 1412, le roi lui-même et son fils se joignirent à l'armée de Jean sans Peur ; avant de partir, Charles VI était allé prendre l'Oriflamme à Saint-Denis. On marcha sur Bourges, capitale des domaines du duc de Berri. Mais le siège se prolongea, et les Anglais n'arrivèrent pas pour soutenir les Armagnacs. Les hostilités furent suspendues, le 12 juillet : bien que les princes armagnacs se montrassent hautains, et le duc de Bourgogne, très défiant, il fut convenu, le 15 juillet, que la paix de Chartres serait renouvelée, que les princes livreraient leurs places fortes au roi, que, des deux côtés, on renoncerait aux alliances conclues, que les biens et offices seraient restitués à ceux qui en avaient été dépouillés. A Auxerre, se tint un imposant congrès de princes. Là, dans la seconde moitié d'août, ratifications et serments furent échangés : ce fut le traité d'Auxerre. Au moment où se faisait cette paix, les Anglais avaient enfin débarqué en Cotentin et s'étaient avancés jusqu'à la Loire. Bon gré, mal gré, le duc d'Orléans dut acheter très cher leur retraite par le traité de Buzançais (14 novembre). La nouvelle de cette réconciliation des princes fut accueillie avec une grande joie. Cependant bien des gens à l'esprit chagrin, ne s'en taisaient pas en derrière, mais en disaient leurs gorgées. La paix d'Auxerre, en effet, était encore une paix trompeuse.

 

V. — LES ÉTATS DE 1413[4].

DURANT ces longues années de rivalité, puis de guerre, le gouvernement et l'administration s'étaient désorganisés. Aux plaintes qui lui venaient de tous côtés, aux appels éloquents de Jacques le Grand, de Christine de Pisan, de Jean Courtecuisse, surtout de Gerson dans ses belles harangues Vivat Rex ! et Veniat Pax ! le gouvernement royal avait répondu, sous le titre pompeux de réformations, par d'inutiles ordonnances et de vaines rigueurs contre des officiers concussionnaires. Encore, si, à l'automne de 1409, les ducs de Berri et de Bourgogne firent exécuter le grand maitre de l'Hôtel, Jean de Montagu, ce fut avant tout pour confisquer ses richesses. La commission de réforme, instituée à cette occasion, travailla avec zèle, mais la plupart de ses décisions demeura à exécuter.

Cependant de larges réformes étaient réclamées, non par la haute bourgeoisie formée d'officiers royaux et de gros marchands, — ces royetaux de grandeur, dont beaucoup péchaient en eau trouble, étaient loyalistes et conservateurs, — mais par les petits marchands, les gens de métier, patrons, artisans, apprentis, excédés du désordre de l'État et de l'Église, des rivalités entre les princes, de leurs folies et de leurs scandales. Dès 1405, on entend, parmi le peuple, beaucoup de choses qui étaient bien ordes (sales) et déshonnêtes. Toujours se plaignait on du gouvernement qui était bien mauvais. En 1408, les choses sont bien douteuses à Paris. En 1411 et 1412, il faisait bien périlleux en icelle ville. Tout y est cause de mouvements et de trouble ; il suffit d'un faux bruit, d'une querelle privée, pour que de grandes foules, où se trouvent des femmes et des enfants, parcourent les rues. Prévôt des marchands et échevins sont obligés de marcher avec elles. En tête, sont d'ordinaire les bouchers, grande corporation aux habitudes violentes, suivie par toute une clientèle de petits métiers dépendants de la boucherie, écorcheurs, tripiers, couteliers, tanneurs, gens pauvres et méchants, dit avec dédain Juvénal des Ursins, et capables de faire de très inhumaines besognes. Ce sont eux qui, de 1410 à 1413, soulèvent la population parisienne. Les Legois, une des plus riches familles de la corporation, mènent aux émeutes les gens de la rive gauche et des faubourgs Saint-Victor et Saint-Marcel ; d'autres, les Saint-Yon, les Thibert, commandent aux ouvriers et aux petits marchands des Halles.

Ce peuple de Paris est organisé. Les chaînes de fer pour barrer les rues ont été rétablies en huit jours, en 1405. Les habitants doivent tenir des lanternes allumées toute la nuit dans les rues. Tous ceux qui en ont le moyen se procurent des armes, et les portent impunément dans la ville. Les Parisiens sont groupés par dizaines et par centaines, avec huit dizainiers et deux cinquanteniers par quartier ; chaque quartier a son quartenier, sorte de capitaine qui dirige le guet et veille à la garde de la ville. Enfin la Prévôté des marchands, depuis 1409, a recouvré sa puissance. Au début de 1412, le prévôt des marchands est de nouveau choisi sur une liste de candidats élus à l'Hôtel de Ville ; l'échevinage reparaît, et les échevins sont également élus. Le gouvernement municipal de Paris est reconstitué.

Les Parisiens ont de plus partie liée avec le duc de Bourgogne. Jean sans Peur envoie aux bouchers les meilleurs vins de Bourgogne ; il n'oublie pas leurs acolytes, comme les écorcheurs Denis de Chaumont et Simon Caboche. Il fait faire, à la fin de 1411, des obsèques solennelles au boucher Legois, et suit le cortège funèbre. Des personnages influents l'état-major du parti, Eustache de Laitre, président de la Chambre des Comptes, Guillaume Baraut, secrétaire du roi, le chirurgien Jean de Troyes, des maîtres de l'Université, parmi lesquels Pierre Cauchon, reçoivent de beaux cadeaux de son vin de Beaune. Enfin, Jean sans Peur envoie des agents dans les grandes villes, à Rouen, à Reims, à Soissons, à Laon. Il se forme ainsi une puissante coalition bourguignonne. Les bouchers, maîtres de la capitale, prétendent conduire les affaires du royaume. Depuis 1412, on ne leur résiste plus : ils n'ont qu'à paraître et à exiger pour être obéis.

Cependant une invasion anglaise semblait se préparer pour 1413, et les caisses du roi étaient vides et ses sujets ruinés. Sans doute, c'est le duc de Bourgogne, qui fit alors décider la convocation des États Généraux de Languedoïl. L'habitude reparaissait de recourir aux États, quand on se trouvait à bout de toutes ressources. L'assemblée se réunit à la fin de janvier 1413 ; mais les députés n'y vinrent qu'en petit nombre. Les princes armagnacs, par crainte d'un piège, se contentèrent d'envoyer des procureurs. Au nom du roi, le 30 janvier, à Saint-Paul, Jean de Nielles, chancelier du dauphin, demanda une aide pour mettre sur pied une forte armée. Les États devaient délibérer, non par ordre, mais par province ecclésiastique ; l'Université et la ville de Paris étaient à part. Le but était-il de morceler les États pour les rendre moins entreprenants, ou d'obtenir, tout au moins, de quelques provinces, l'aide que d'autres semblaient devoir refuser, ou encore de donner une place privilégiée à l'Université et à la ville de Paris ? On ne saurait le dire.

Les provinces de Rouen et de Lyon était peu représentées ; celles de Sens et de Bourges ne l'étaient pour ainsi dire pas ; seule, la province de Reims put réellement former une assemblée. Cependant, le 3 février, la plupart des provinces présentèrent leurs requêtes. L'évêque de Tournai réclama, au nom du clergé de la province de Reims, la réforme de la justice et des finances. L'évêque d'Évreux, pour la province de Rouen, demanda la paix intérieure et la reprise de la guerre anglaise, mais sans promettre de subside. Au nom de la province de Lyon, l'abbé de Moutiers Saint-Jean, un des conseillers du duc de Bourgogne, fit un réquisitoire précis et véhément contre le gouvernement royal. L'argent est facile à trouver, dit-il, il n'y a qu'à taxer les officiers du roi, qui ont dilapidé les finances. On peut en demander aussi aux princes, car ils sont issus du sang du roi ; ils sont ses sujets, ils tiennent de lui tant et de si belles possessions, et leur fait tant de bien, qu'il n'est pas doute que ce sont ceux qui premièrement au roi voudraient aider. Puis il faut prendre des mesures sévères pour éviter le renouvellement des abus dans les finances et la justice. Qu'on ne ménage personne : Et il ne suffit pas de réformer les petits, mais faut commencer aux grands et secouer la cour du Parlement tout premièrement, où il y en a plusieurs qui ne valent rien, rudes paroles qui annoncent les harangues de l'émeute.

Au bout de huit jours de travail, le 7 février, parlant au nom de l'Université et de la ville, le théologien Benoît Gentien fit à Saint-Paul, devant le roi et en présence d'une foule énorme entassée dans la grande cour, un discours emphatique et insignifiant. Les provinces de Sens et de Bourges supplièrent le roi de ne pas imposer de nouvelles charges à son peuple. Il fut décidé qu'il n'y aurait point d'aide. Quant aux réformes, le chancelier déclara qu'on s'en occupait, et que des ordonnances étaient en préparation.

Après l'inutile requête de Benoit Gentien, l'Université et la ville de Paris voulurent en présenter une seconde, plus précise. Pendant cinq jours, on travailla à fondre en un seul rapport toutes les dénonciations, tous les faits, petits et grands, qui devaient être exposés au roi. Le 13 février, l'orateur, le carme Eustache de Pavilli, discourut sur le sujet toujours nouveau de la nécessité des réformes. Il pria le roi d'écouter la lecture des humbles requêtes de l'Université et de la ville de Paris. Le roi ayant consenti, le recteur ordonna à un jeune maître des arts de se lever et de lire.

Les doléances remplissaient un rouleau de parchemin gros comme le bras d'un homme. La lecture dura une heure et demie. La première partie explique pourquoi le roi est sans ressources : c'est par la faute des officiers de finances ; s'il y a tant de trésoriers et tant de gens pressés de le devenir, c'est pour les gros lopins et gros morceaux et larcins, qu'ils trouvent aux dits offices. Vingt-deux officiers sont cités par leurs noms dans les doléances : Hémon Raguier, trésorier de la reine, a tellement gouverné que, de l'argent de la reine, il a fait grandes acquisitions et édifices coûtageux aux champs et à la ville. André Giffart, devenu trésorier parce qu'il est cousin du prévôt royal de Paris, s'est tellement rempli du dit trésor, qu'il est plein de rubis, de diamants, de saphirs et autres pierres ; à l'Épargne, que tient Antoine des Essarts, et dans les coffres du roi, que garde Morise de Ruilli, il n'y a croix ; le prévôt de Paris, qui s'est fait appeler souverain maître et général gouverneur des finances, et d'autres, avec lui, ont mis l'argent du roi en leurs sacs ; le prévôt cumule les offices et les capitaineries. Il est vrai, continuent les doléances, que les officiers des finances demandent qu'on vérifie leurs comptes ; mais ce n'est que réponse de papier ; si on veut savoir qui a mangé le lard, il faut rechercher quelle fortune, quels mariages, quelles dépenses ils ont faits. Ainsi toutes finances choient en bourses trouées. Ailleurs, au Conseil du roi, par exemple, on trouve trop grande multitude, et plusieurs conseillers n'ont pas bien cœur aux besognes du roi. Au Parlement, le président a fait entrer huit personnes de ses parents, alors qu'il suffit de dix pour faire un arrêt. Les causes des pauvres gens sont comme immortelles. A la justice des aides, Jacquet le Hongre, inexpert totalement d'office de judicature, a été mis et institué par le prévôt de Paris, lequel a dit aux autres généraux : Messeigneurs, il faut que vous m'y fassiez un passer, car il est mon cousin.

Dans la seconde partie du mémoire, des mesures radicales sont proposées au roi : déposition des officiers de finances, saisie de leurs biens — plus tard, justice sera faite aux non-coupables, — révocation des dons et pensions, contributions forcées, levée au profit du roi des aides concédées aux princes sur leurs domaines, établissement d'une comptabilité rigoureuse, réorganisation du Parlement, de la Chambre des Comptes et du Conseil, diminution du nombre des offices, nomination enfin d'une commission à qui, de partout, on pourra dénoncer les abus et qui exécutera toutes les réformes. Surtout il faut frapper les officiers enrichis par leurs fraudes : voilà le plus urgent. Et les reprises et confiscations dispenseront de recourir aux impositions nouvelles.

Les requêtes furent approuvées par les assistants : le roi, la reine, le Grand Conseil, les princes et les prélats promirent de mettre toutes ces besognes à exécution. Et, le 24 février, en effet, la plupart des officiers du domaine, des aides, de l'Hôtel, de la Chancellerie furent suspendus. Pierre des Essarts, le prévôt de Paris, crut prudent de s'absenter. Le vieux chancelier, Arnaud de Corbie, fut assez adroit pour se mettre à l'abri de toute poursuite. Enfin une commission générale d'enquête et de réforme fut nommée par le dauphin et se mit aussitôt à l'ouvrage.

 

VI. — LES CABOCHIENS[5].

PENDANT ces longues délibérations, le peuple de Paris s'exaspérait. Imprudemment, de nouvelle aliénations du domaine furent faites, une même en faveur d'un prince étranger, Louis de Bavière, frère de la reine. Le chancelier du dauphin, un bourguignon, fut sacrifié et remplacé par un conseiller au Parlement, fort mal vu des Parisiens. On reprochait au Dauphin, qui avait alors seize ans, ses amis, son amour du plaisir, ses fêtes nocturnes. Il eut la mauvaise idée de rappeler le prévôt Pierre des Essarts, exécré parce qu'il avait abandonné le parti bourguignon. Des Essarts s'installa à la Bastille, et on pensa qu'il allait travailler à de secrètes besognes. Au même moment, le duc d'Orléans adressait des réclamations au roi, négociait avec plusieurs princes allemands et commençait des préparatifs de guerre. Des troupes étaient réunies aux environs de Paris. On racontait qu'un attentat avait été préparé contre le duc de Bourgogne et que le dauphin et ses conseillers allaient enlever le roi.

Le 27 avril, bouchers et écorcheurs, parmi eux l'écorcheur Caboche, parcoururent les rues, arrachèrent au prévôt des marchands l'ordre de prendre les armes, se firent remettre l'étendard de la ville, et invitèrent les cinquanteniers et dizainiers à se rendre en armes le lendemain, sur la place de Grève, avec leurs hommes. Le 28 avril, de bonne heure, malgré les efforts du prévôt des marchands et des cinquanteniers, trois mille hommes armés marchèrent à la tête d'une foule compacte, sur la Bastille. Pierre des Essarts promit d'évacuer la place, si on lui laissait passage libre ; mais on voulait s'assurer de sa personne. Le duc de Bourgogne, accouru, ne put faire lâcher prise à cette foule.

Une partie cependant se détacha, et marcha sur l'hôtel de Guyenne, rue Saint-Antoine, où habitait le dauphin. A leur tète étaient quelques chevaliers, puis Guillaume Baraut, Eustache de Lattre, Pierre Cauchon, le médecin et échevin Jean de Troyes, des Legois, des Saint-Yon, Caboche — tous les notables du parti bourguignon. Après avoir planté devant la porte de l'hôtel l'étendard de la ville, la troupe pénétra dans la cour. Le dauphin, plus mort que vif, dut se montrer à une fenêtre. Jean de Troyes réclama aucuns traîtres qui étaient dans l'hôtel ; le dauphin répondit qu'il n'y en avait pas parmi ses serviteurs, et son chancelier ajouta : Dites si vous en connaissez qui aient failli à leur devoir de fidélité ; ils seront punis comme ils le méritent. Aussitôt, Jean de Troyes présenta une liste de cinquante noms ; le chancelier dut la lire plusieurs fois à haute voix : son nom venait en tête. Le dauphin se retira dans la chambre du roi. Alors les portes furent brisées et le palais envahi. Quinze personnes furent saisies, parmi lesquelles le duc de Bar et le chancelier du dauphin. Jean sans Peur, violemment pris à parti par le jeune prince, dut répondre de la vie des prisonniers, et les fit transporter à son hôtel d'Artois. En se retirant, la foule massacra un secrétaire du roi, un ménétrier du duc d'Orléans et un canonnier du duc de Berri. A la Bastille, Pierre des Essarts capitula, le lendemain ; ce fut le duc de Bourgogne qui l'y décida : Mon ami, lui dit-il, ne te soucie, car je te jure et assure par ma foi que tu n'auras d'autre garde que mon propre corps. Mais quelques jours après, Jean sans Peur laissa emmener ses prisonniers au Louvre et au Grand Châtelet.

Au lendemain de cette journée, les Cabochiens adressèrent une circulaire aux bonnes villes, pour leur recommander de faire emprisonner ceux que, disaient-ils, vous savez être faux et déloyaux en votre ville ; et ils ajoutaient : Ainsi l'avons commencé de faire et poursuivrons jusqu'à la conclusion sûre. L'Université fut sollicitée de justifier devant le roi les violences commises ; elle promit seulement ses bons offices pour l'apaisement. Le chaperon blanc fut pris comme signe de ralliement. A ce moment, arrivaient à Paris des députés de Gand, envoyés pour demander au duc de Bourgogne de leur confier son fils aîné. Il y avait, entre Gantois et Parisiens, le souvenir de communs malheurs et d'épreuves subies pour la même cause. Un banquet magnifique fut offert aux Gantois à l'Hôtel de Ville, et là, avec de beaux discours, on fit l'échange des chaperons. Les Flamands, en prenant la coiffure des Parisiens, leur promirent secours de leurs biens et de leurs personnes en toute occasion.

Les démonstrations populaires se répètent ; chaque journée désormais a la sienne. Le 9 mai, la foule accompagne à l'hôtel Saint-Paul un orateur qui vient dénoncer la mauvaise conduite du dauphin. Le 10 mai, nouvelle proposition par Eustache de Pavilli : un nouveau rôle d'officiers royaux, dénoncés comme ennemis publics, est dressé. Une commission est instituée pour juger les incriminés. Le lendemain, une bande de Cabochiens se répand dans la ville pour les arrêter ; vingt nouvelles arrestations sont faites. Ce jour-là, la foule va encore trouver le dauphin à Saint-Paul ; elle l'oblige à reprendre Jean de Nielles pour chancelier, à nommer un chevalier bourguignon capitaine de Paris, Denis de Chaumont, garde du pont de Saint-Cloud, et Caboche, garde du pont de Charenton. Le retour du roi à la santé donne un moment de répit : Charles VI prend le chaperon blanc des Parisiens et veut travailler à une réconciliation générale. Mais, sept jours après la guérison du roi, l'émeute recommençait.

Le 22 mai, les chefs du mouvement devaient se présenter devant le roi, pour lui expliquer ce qui s'était passé durant sa maladie. Dès le matin, grand mouvement dans les rues. Les trois cours de l'hôtel royal sont remplies par la foule et les scènes des jours précédents recommencent : députation auprès du roi, discours d'Eustache de Pavilli, dialogue entre les princes et les meneurs, présentation par Jean de Troyes d'un rôle de suspects que la foule réclame, et qu'il faut lui livrer tout de suite. On y trouvait Louis de Bavière, frère de la reine, un archevêque, des officiers royaux, enfin environ quinze dames et demoiselles de la reine. Jean sans Peur essaye de maîtriser les Cabochiens. A la prière de la reine, il reparaît dans la foule, avec le dauphin, dont il a torché les larmes et qu'il trahie derrière lui, tâche-t-il d'adoucir Jean de Troyes ; mais c'est peine perdue. Pour éviter de plus grands malheurs, Louis de Bavière se remet aux mains des Parisiens. Il faut aller chercher les dames dans les appartements et les emmener, pleurant à grande effusion de larmes. La reine en fut malade, en péril de mort. Deux jours après, le 24 mai, les gouverneurs de la ville retournent auprès du roi : Jean de Troyes demande le bannissement de tous les prisonniers ; il réclame des lettres scellées affirmant que le roi avait pour agréable ce qui avait été fait. Enfin il exige que le travail préparé par la commission des réformateurs soit publié et promulgué sous forme d'ordonnances. Il eut aussitôt satisfaction.

Le 26 mai, au matin, le roi et le dauphin allèrent au Parlement, accompagnés de princes, d'évêques, de chevaliers, du recteur et des représentants de l'Université, du prévôt des marchands, des échevins et de nombreux bourgeois, pour tenir son lit de justice. Pierre de Fresnes, greffier au Châtelet, commença la lecture des ordonnances. Il avait moult bel langage et haut, mais il ne put lire, en cette première séance, toute l'œuvre de la commission des réformes ; la lecture fut suspendue à une heure après midi. Le lendemain, le roi retourna au Parlement et y tint encore deux séances. Charles VI approuva les ordonnances, et tous les assistants prêtèrent serment de respecter la nouvelle loi. Le 29 mai, l'Université, le prévôt des marchands et les échevins se présentèrent à l'hôtel Saint-Paul ; Jean Courtecuisse, aumônier du roi, membre de la commission de réformes, fit un éloquent discours, pour prier Charles VI de maintenir inviolablement les ordonnances.

L'Ordonnance, qui fut improprement appelée Cabochienne, avait été préparée par une commission composée de l'évêque de Tournai, conseiller du roi et du duc de Bourgogne, de l'abbé de Moutier Saint-Jean, docteur en décret, conseiller du duc de Bourgogne, de Pierre Cauchon, maitre ès arts, licencié en décret, de Jean Courtecuisse, docteur en théologie et grand orateur, de trois conseillers du roi, mêlés à toutes les grandes affaires des dernières années, de deux maîtres au Parlement, enfin d'un gros marchand, alors échevin. Elle est divisée en deux cent cinquante-huit articles. On trouve dans cet acte quelques mesures de circonstance : emprunt forcé sur tous ceux qui ont profité du désordre ou de la prodigalité du roi, retrait de toutes les promesses de dons déjà faites, épuration du Parlement, etc. Mais l'objet principal en est la réforme de toute l'administration royale : aides, domaine, monnaies, Hôtel, Conseil, Parlement, Chambre des Comptes, Chancellerie, justice, eaux et forêts, gens de guerre.

Les dispositions de l'ordonnance sont rarement originales. Pour la rédiger, en effet, les commissaires avaient réuni tous les textes d'ordonnances qu'on avait pu trouver à la Chambre des Comptes, au Trésor et au Châtelet. Toute la législation antérieure, déjà très abondante, mais restée souvent sans effet, y est reproduite ; elle a ainsi l'aspect d'une mosaïque composée de fragments d'ordonnances. Mais, si certains articles ont été simplement reproduits, d'autres sont éclaircis, précisés, rendus plus rigoureux.

Cette œuvre législative a pourtant son originalité. Ceux qui l'ont rédigée ne se sont pas contentés d'édicter, afin d'en assurer l'efficacité, des restitutions d'argent, des privations d'offices, des amendes arbitraires. Les véritables garanties, ils les ont cherchées dans les institutions royales elles-mêmes : d'abord, dans les conseils, qui entouraient le roi, conseil politique ou Grand Conseil, conseil de justice ou Parlement, conseil des finances ou Chambre des Comptes. Dans ces assemblées, on délibérait, on discutait, on votait. Par leurs délibérations, un contrôle s'exerçait donc sur toutes les affaires publiques. En rendant ces délibérations obligatoires pour un très grand nombre de cas, l'ordonnance faisait, de cette coutume, une loi de l'État.

De plus, l'obligation d'une délibération préalable est étendue à de nombreux cas restés jusque-là en dehors des attributions ordinaires des conseils. Là où ceux-ci ne peuvent intervenir, un corps délibérant sera organisé. Pour régler les gages et provisions supplémentaires accordés aux capitaines des places frontières, il y aura réunion et délibération des gens des Comptes, appelés avec eux des chevaliers et écuyers, et autres gens connaissant en ce. Les gages des officiers envoyés en ambassade seront établis par le chancelier, appelés avec lui des gens de notre Conseil et des Comptes. Les lettres de committimus, qui donnaient au titulaire le privilège de n'être justiciable que du Parlement, seront accordées par l'avis du chancelier, appelés avec lui aucuns de notre Grand Conseil, les avocats et procureurs et autres fréquentant les cours de notre Parlement, la Chambre des Comptes et des généraux. Le même système est étendu à l'administration locale ; lorsqu'il y aura nécessité, les élus pourront créer des sergents extraordinaires pour le fait des aides, appelés à ce nos avocats, procureurs, et autres gens de conseil du pays. Là où le service du guet est maintenu, il sera réglé par les baillis, appelés avec eux des nobles du pays, non suspects ni favorables, — c'est-à-dire partiaux. Pour l'entretien des rivières et chaussées, dans les cas douteux, les baillis devront aviser, appelés avec eux des plus notables habitants et mêmement ayant héritages environ et près des rivières, fossés et passages, et par le conseil de la plus grande et plus saine partie des dits habitants.

Pour que ces garanties soient efficaces, il faut un personnel plus sûr, recruté avec soin. Les réformateurs ont pensé que le meilleur mode était l'élection ; ils ne l'ont pas inventé pour les offices royaux ; — on a vu le curieux essai qu'en fit Charles V —, mais ils l'ont étendu à tout systématiquement. Chaque office a son collège électoral. Les deux commis généraux, placés à la tête de tous les services financiers, seront élus en Chambre des Comptes, par le chancelier, les commissaires réformateurs, les gens du Grand Conseil, du Parlement et des Comptes, et autres en nombre compétent ; de même pour les hauts officiers du domaine et des aides. Les receveurs seront élus par les gens des Comptes et les commis généraux des finances. La Chambre des Comptes, maîtres, clercs et correcteurs, se recrutera à l'élection. De même encore le Parlement, où il y aura dû scrutin, dûment publié. Les sénéchaux, baillis et autres notables officiers de judicature seront élus au Parlement, devant le chancelier et des gens du Grand Conseil. Sénéchaux et baillis feront élire leurs lieutenants par nos avocats, procureurs et conseils et autres sages fréquentant les sièges. Pour les prévôtés, il y aura élection à deux degrés : les baillis établiront une liste de présentation avec le concours des avocats, procureurs et autres gens de pratique et d'autre état, si métier est. Sur cette liste, bonne élection sera faite par le chancelier, les commissaires réformateurs, appelés avec eux des gens de notre Grand Conseil et des gens de nos Comptes.

Cette ordonnance est, à tout le moins, un curieux document : elle atteste d'abord par tant de précautions prises l'énormité des abus. Elle est un acte de défiance contre tous les agents dépositaires de l'autorité royale, contre toute une administration qui avait été trop souvent une oppression et un brigandage. D'autre part, elle n'est ni révolutionnaire, ni novatrice. Elle n'institue ni une limitation, ni un contrôle de la royauté par la nation. Sans doute l'insuffisance des États généraux était tenue pour démontrée par l'expérience. Les réformateurs, gens du roi pour la plupart, n'eurent d'autre idéal qu'une monarchie bien administrée, une royauté tempérée par les gens du roi. Dans le système qu'ils ont tenté d'organiser, les deux grandes Cours royales, le Parlement et la Chambre des Comptes, se trouvaient dominer toute l'administration du royaume : la première à la tête de presque toute la justice, et la seconde, à la tête de toutes les finances ; on espérait qu'elles offriraient plus de garanties que des favoris ou des parvenus. Certes cet idéal de monarchie tempérée était très supérieur aux tristes réalités du XIVe siècle ; mais quelle apparence que cet ordre pût être substitué à l'immense désordre, dans les circonstances qui ont été décrites, avec les hommes que l'on connaît ?

En effet l'ordonnance de 1413 ne sera pas appliquée. Ordre fut donné, il est vrai, aux hôtels des monnaies de fabriquer les nouvelles espèces ; le personnel des prévôts fut en grande partie changé d'après les règles nouvelles, après consultation des notables du pays, mais ce fut à peu près tout. Il n'existait pas d'opinion assez forte, de parti assez puissant pour faire prévaloir une œuvre de sagesse et de raison.

Que cette ordonnance ne pût satisfaire les Cabochiens, cela était évident. Elle n'avait rien de démocratique ; d'ailleurs le peuple savait par une expérience, toujours répétée, ce que valaient les plus belles ordonnances. Puis il ne comprenait pas grand'chose aux écritures ni aux théories. Il s'en prit aux personnes qu'il accusait, à tort ou à raison, d'être les auteurs de ses maux.

En juin, le sire de la Rivière, incarcéré au Palais, fut trouvé mort dans sa prison, la tête fracassée ; son cadavre, décapité aux Halles, fut porté à Montfaucon. Vers le même temps, trois prisonniers furent encore décapités. Le 1er juillet, fut exécuté Pierre des Essarts, qui mourut très vaillamment. Les Cabochiens faisaient la police de la ville. Une nuit, le capitaine de Paris, Jacqueville, entra dans l'hôtel du dauphin, et jeta l'effroi au milieu d'un bal. Le prince, furieux, donna à Jacqueville trois coups de couteau, qui glissèrent sur la cuirasse que portait sous sa robe le capitaine de Paris. A la suite de cette scène, le dauphin fut malade, et jeta le sang par la bouche. La perception, faite par les Cabochiens les plus violents, d'un impôt destiné à la guerre contre les Anglais, donna lieu à des vexations. L'avocat du roi, Jean Jouvenel, fut enfermé quelques jours au Petit Châtelet. Gerson eut sa maison dévalisée, et dut se réfugier dans les hautes voûtes de la cathédrale.

Ce régime de terreur ne pouvait durer. Appelés secrètement par le dauphin, les princes du parti armagnac, les ducs d'Orléans, de Bourbon et de Bretagne, les comtes d'Alençon et d'Armagnac s'étaient ligués pour délivrer le roi ; ils avaient concentré des hommes d'armes en Normandie et s'y tenaient prêts à tout événement. Des négociations furent entamées entre la cour et les princes, à Verneuil. Malgré les menaces des Cabochiens, il fut convenu que des conférences définitives seraient tenues à Vernon et à Pontoise. Les ducs de Berri et de Bourgogne, avec les membres du Grand Conseil, le recteur de l'Université, le prévôt des marchands et les échevins, se rendirent à Pontoise. Les délibérations durèrent quatre jours et durent être laborieuses. Enfin, le 28 juillet, on s'accorda sur ces bases : amnistie entière, abolition de toutes les commissions extraordinaires établies à Paris, licenciement des bandes armées, promesse d'une entrevue entre les princes, le roi, la reine et le dauphin. Au fond, c'était le commencement de la ruine pour les Cabochiens.

Il fallait faire accepter à Paris la paix de Pontoise. Alors la grande bourgeoisie parisienne entre en scène, pour se débarrasser des Cabochiens. Des conciliabules se tenaient depuis quelque temps, où on parlait de détruire la puissance des bouchers. L'Université, troublée par leurs excès, s'était peu à peu séparée d'eux. L'avocat du roi, Jouvenel, prit la direction du mouvement. A l'Hôtel de Ville, le 2 août, un de ses amis, le hûchier Cirasse, donna l'exemple de la résistance aux Cabochiens. A l'assemblée du quartier de la Cité, le lendemain, Jouvenel prit la parole, fit accepter la paix de Pontoise, et conduisit les principaux bourgeois à Saint-Paul, auprès du dauphin, qui, bien qu'entouré des meneurs cabochiens, promit de chevaucher par la ville, au milieu de ses fidèles bourgeois.

Le vendredi, 4 août, les Cabochiens étaient massés autour de l'Hôtel de Ville et sur la place de Grève ; mais le duc de Bourgogne ne put empêcher les partisans de la paix de se réunir de leur côté, et d'agir. Conduits par Jouvenel, plus de trente mille hommes bien armés allèrent chercher le dauphin et l'emmenèrent au Louvre et au Palais, délivrer les prisonniers. Pendant ce temps, les Cabochiens récriminaient sur la place de Grève ; mais, des inconnus ayant crié : La paix ! la paix ! et qui ne la veut si se traie en lieu senestre (gauche) et qui la veut se traie au côté dextre, presque toute la foule se rangea à droite. Jouvenel survint ; bien qu'il fût à peine accompagné, les Cabochiens démoralisés s'enfuirent dans toutes les directions. Le Dauphin et son cortège arrivèrent à l'Hôtel de Ville ; Jouvenel lui souhaita la bienvenue, et, en son nom, annonça plusieurs mutations d'officiers. Au dire de Juvénal des Ursins, fils de l'avocat Jouvenel, jamais réaction ne commença si bien. Dans l'après-midi, on circulait librement dans la ville : les cloches sonnaient à toute volée ; le 8 août, la paix faite à Pontoise, au nom du roi, entre les princes fut proclamée ; et il fut défendu de se servir des mots d'Armagnacs et de Bourguignons.

Mais cette modération n'était qu'un leurre. Tous ceux qui avaient eu peur ne pensaient qu'à se venger. Les Parisiens semblaient devenus tout Armagnacs ; ils se mirent à porter de grandes casaques violettes en étoffe de deux tons, coupées de la grande croix blanche des Armagnacs, avec la devise : Le droit chemin. Il fallut garder les maisons des Cabochiens. On parlait avec horreur des proscriptions qu'ils avaient préparées. Contre eux, le prévôt des marchands écrivit aux bonnes villes des lettres violentes. Dans les lettres d'abolition du 29 août, soixante-six personnes, dont une femme, furent exceptées de toute amnistie. Il y eut des emprisonnements, plusieurs exécutions. Puis tous les grands offices furent pourvus d'un personnel nouveau. Henri de Male fut élu chancelier de France ; Jouvenel, chancelier du dauphin.

Jean sans Peur avait eu durant les derniers troubles une attitude embarrassée ; il avait été débordé par les Cabochiens et n'avait su ni retenir au début, ni protéger à la fin ses compromettants amis. Maintenant la réaction le menaçait ; des hommes d'armes le surveillaient ; plusieurs fois, il fut injurié. On parlait de l'arrêter. Il fit poster des troupes et des relais sur la route de Lille. Le 22 août, il voulut emmener le roi voler à Vincennes, espérant l'entraîner avec lui ; mais Jouvenel et le duc de Bavière les rejoignirent dans le bois. Le roi se laissa ramener comme un enfant. Jean sans Peur gagna Pont-Sainte-Maxence, et, le 29 août, arriva à Lille.

Jean sans Peur parti, les princes armagnacs se décidèrent à revenir. Le duc d'Orléans en tâte, ils entrèrent le 1er septembre dans Paris, à la grande joie des bourgeois. Le lendemain, les princes jurèrent la paix. Le 5 septembre, un lit de justice fut tenu au Parlement par le roi, accompagné du roi de Sicile, du dauphin, de onze princes des fleurs de lis, du recteur et de maîtres de l'Université, du prévôt des marchands et des bourgeois, tous en hucques violettes, brodées de feuillages d'or et d'argent à l'ortie et chaperons rouges et noirs. Le nouveau chancelier rappela les troubles récents et annonça que les commissions de justice établies récemment étaient abolies. Puis il déclara que la grande Ordonnance n'avait pas été préalablement lue au roi et à son Conseil, ni examinée en la cour du Parlement ; qu'elle avait été soudainement et hâtivement promulguée, et qu'il avait fallu grande impression de gens d'armes pour la faire publier. En conséquence, elle était cassée, annulée, abolie, révoquée et de tout mise à néant. Un gros cahier fut remis au greffier, qui le déchira devant le roi et les princes. Puis la réaction redoubla. Le personnel des baillis fut changé ; des Cabochiens furent dénoncés, poursuivis et exécutés. Du 12 décembre 1413 au 28 juillet 1414, cent sept personnes furent bannies.

Ainsi cette réaction fit autant de victimes que l'insurrection cabochienne, et en supprimant l'acte de 1413, elle ôtait tout espoir de réforme. Au reste, les Armagnacs, par leurs excès, provoquèrent bientôt des résistances. Le dauphin, qu'ils tenaient au Louvre comme prisonnier à pont levé, adressait maintenant au duc de Bourgogne des lettres éplorées, pour l'appeler à sa délivrance. Mais les princes firent interdire par le roi à Jean sans Peur de se présenter à Paris, et ils ordonnèrent à tout le monde de s'armer, même aux conseillers au Parlement, bien qu'ils n'eussent communément pour eux chevaucher que mules. Les princes se promenaient dans la ville. Le 7 février 1414, Jean sans Peur arriva à Saint-Denis avec grande escorte ; mais, dans Paris terrorisé, personne ne bougea. Au bout de neuf jours, il se retira. En venant, il avait désobéi aux ordres du roi : il fut déclaré rebelle, banni comme faux traître, sans pitié ni merci, et le ban et l'arrière-ban furent convoqués pour le combattre ; au Conseil, le chancelier comparait le duc aux Anglais. Le roi, le jour des Rameaux, alla prendre l'Oriflamme à Saint-Denis, où était le rendez-vous de l'armée. Ces grands mouvements ne produisirent à peu près rien. En août, après une courte campagne qui mena l'armée royale de Compiègne à Arras, les deux partis entamèrent des négociations pour une paix, qui devint définitive en février 1415. A Paris, quelques secousses se produisirent. Puis, vint l'accalmie. Au printemps de 1416, la Grande Boucherie fut fermée. Qu'avaient voulu ces bouchers ? Ils avaient, un moment, personnifié la résistance populaire contre un régime détestable. Mais, sans commettre de grands excès, ils furent violents et maladroits. Les réformateurs, universitaires ou gens du roi, se séparèrent vite de ces furieux amis, que le duc de Bourgogne lui-même n'osait plus avouer. La grande bourgeoisie préférait toute autre tyrannie à la leur ; elle entraîna contre eux sa clientèle. Les Cabochiens se trouvèrent isolés, dans une ville fatiguée, troublée, mobile, où les esprits se portaient d'un extrême à l'autre. Et. l'ordre fut rétabli, l'ordre par les princes. De quel ordre ils étaient capables, nous le verrons bientôt. Mais il faut, d'abord, retourner en arrière, et reprendre l'histoire du schisme, où se trouvent encore en présence et se combattent Orléans et Bourgogne.

 

VII. — SCHISME ET CONCILES[6].

LA restitution d'obédience à Benoît XIII, vers la fin de mai 1403, n'avait pas rendu la paix à l'Église de France, ni l'union à  l'Église d'Occident. Entraîné par le duc d'Orléans, le roi y avait consenti, sans imposer à Benoît XIII des conditions formelles. Ni les négociations de Benoît XIII avec le pape romain Boniface IX, ni la mort de celui-ci, le 1er octobre 1404, ni l'élection d'un autre pape romain, Innocent VII, ne firent avancer d'un pas la réconciliation des deux obédiences. Benoît XIII ne parlait plus de convoquer le concile, qu'il avait vaguement promis au moment de la restitution. Au contraire, depuis la fin de 1404, il se préparait activement à passer en Italie avec tout ce qu'il pourrait trouver d'argent et d'hommes d'armes, pour donner la main aux Génois qui venaient de le reconnaître, et se rencontrer, s'il était possible, avec son rival ; car il restait attaché à son chimérique projet, la voie de conférence. Au fond, ni l'un ni l'autre des pontifes ne désirait sincèrement cette entrevue.

Le pape d'Avignon alla errer sur les bords de la Méditerranée et poussa jusqu'à Gênes. Comme on pouvait le prévoir, l'entente préalable sur les conditions de la rencontre ne put se faire. Benoît XIII, en s'en revenant de Gênes, dénonça avec emphase au monde chrétien la conduite inavouable de l'intrus, et désormais fit appel, comme Clément VII, à la voie de fait.

L'Église de France, souffrait plus qu'aucune autre des désordres du Schisme. Benoît XIII avait fait de grandes difficultés aux clercs qui avaient été pourvus de bénéfices pendant la soustraction ; il avait annulé toute collation contraire aux privilèges apostoliques, et rétabli les diverses taxes pontificales dans toute leur rigueur. C'était pour le clergé une grosse aggravation de charges, puisque le gouvernement royal avait profité de la soustraction pour réclamer une bonne partie de l'argent qui n'était plus donné au pape, et que les aides établies à cet effet continuaient à courir . De là, des mécontentements, et la perte de l'illusion qu'avait eue l'Église de France d'avoir recouvré ses libertés. Peu à peu les esprits se préparaient ainsi à une nouvelle soustraction. La reprise des hostilités contre Benoît XIII fut fort encouragée d'ailleurs par Jean sans Peur, qui suivait la même politique que son père, mais avec plus d'âpreté, et surtout par l'Université, qui s'en tenait, malgré tout, aux solutions qu'elle avait déjà fait prévaloir. Une première fois, à la fin de 1403, une ordonnance royale enjoignit de résister aux collecteurs apostoliques. A la fin de 1404, sur l'ordre du roi, les poursuites, intentées par les mêmes collecteurs aux clercs pourvus de bénéfices pendant la soustraction, furent arrêtées. Et Benoît XIII, pressé par le besoin d'argent, commettait des imprudences : à l'automne de 1405, l'Université de Paris elle-même, malgré ses privilèges, fut soumise à la décime pontificale ; elle se mit en grève, et le roi dut lui promettre sa protection contre les agents du pape. La venue d'un légat, qui parla avec une violence maladroite, acheva de gâter les choses.

Au milieu de mai 1406, l'Université partit en guerre : le maitre en théologie Jean Petit réclama devant les princes la condamnation d'une épître publiée par l'Université de Toulouse en faveur de Benoît XIII, et, en même temps, le maintien de la soustraction et l'interdiction des taxes apostoliques dans le royaume. L'affaire fut portée devant le Parlement. Là, Jean Petit prit deux fois la parole, et traita surtout la question d'argent : Si telle servitude durait au clergé de France, dit-il, vaudrait trop mieux être savetier que clerc. Un premier arrêt condamna l'épître toulousaine ; puis un second, le li septembre 1406, abolit toutes les taxes apostoliques. Quant à la soustraction d'obédience, une nouvelle assemblée du clergé fut réunie, pour en délibérer.

Ce fut l'Université qui organisa la réunion ; elle paya les courriers qui portèrent les convocations. L'assemblée, réunie le 18 novembre 1406, comptait soixante-quatre évêques, des abbés et un très grand nombre de docteurs et gradués des Universités du royaume. Le dauphin et les princes assistèrent à l'ouverture. Après un discours de Pierre Aux-Bœufs, qui compara le schisme au phénomène météorologique appelé halo, et les prélats à de claires étoiles qui luisent dans leurs diocèses, Jean Petit engagea le débat. Son discours dura deux séances. L'orateur y a dépensé sa verve normande, goguenarde et matoise, contre les deux renards qui divisaient l'Église. Il se déclare tout d'abord intimidé : Quand je regarde cette grande compagnie, la matière et les personnes qu'il me faudra toucher, mon engin s'en ébahit, ma mémoire s'enfuit. Puis il proteste qu'il n'entend rien dire contre Sainte-Écriture, ni injurier personne, mais il ajoute : Chacun a sa manière, et, quant à moi, je suis rude et parle hâtivement et chaudement, en si comme un charretier, pour faire l'édifice, amène sa matière. Et, en effet, il ne ménage rien : Or, regardez s'il semble point qu'il (le pape Benoît XIII) se parjure à chaque coup. II ne faut point aller environ le pot : il est tout clair qu'il se parjure à chaque coup. La soustraction d'obédience était donc nécessaire : Qu'il y ait deux maitres en une nef, qui ne fassent qu'estriver ensemble et s'entre-impugner, et n'entendent pas à gouverner la nef, les autres mariniers laisseront-ils tout périr ? Non pas : ils en feront soustraction, et ils les jetteront ainsi à l'eau, s'ils ne les peuvent mettre autrement à accord. Mais le grief sur lequel il revient sans cesse, c'est que Benoît, malgré ses belles promesses, exploite l'Église de France sans mesure : Saint-Denis en France payait par aventure 100 ou 200 francs ; mais quoi ? ils sont venus en dupliquant, en tripliquant et tant ont multiplié qu'il n'y a rime ni raison. Ils rifflent tout ce qu'ils peuvent rifler. Et, au fond, en effet, la grande question est moins désormais le Schisme, que les libertés de l'Église de France et l'affranchissement du clergé national à l'égard des exigences de la Papauté.

Le chancelier demanda que deux commissions fussent désignées : l'une pour accuser le pape ; l'autre, pour le défendre. Benoît XIII fut défendu par Guillaume Fillastre, doyen de Reims, Pierre d'Ailli, évêque de Cambrai, Ameilh du Breuil, archevêque de Toulouse, et accusé par Simon de Cramaud, patriarche d'Alexandrie, Pierre le Roi, abbé du Mont-Saint-Michel, Pierre Plaoul et Jean Petit, maîtres de l'Université. Défenseurs et accusateurs parlèrent fort longuement, puis répliquèrent ; mais les accusateurs furent les plus ardents et les plus violents. La plupart des évêques étaient fatigués de ces trop longs débats. Après la réplique de Fillastre, le 7 décembre, l'archevêque de Reims prit la parole : Oyez deux mots, dit-il, j'ai pitié des prélats de ma province que vous tenez si longuement. Ils sont sur mes épaules ; ils n'osent parler. Ceux de Paris n'en font compte. Je supplie à mes frères, sujets et amis, qu'il suffit de ce qui est fait et que nous soyons assemblés à conclure. L'on touche le pape, l'on touche le roi, l'on parle de la foi. Il vaudrait mieux en parler à l'école. Je pense qu'il pourrait suffire, s'il plaisait au roi.

Une nouvelle arriva, qui fit entrevoir la possibilité de rétablir la paix dans l'Église. Innocent VII était mort, le 6 novembre 1406. Les cardinaux romains, après avoir été tentés de surseoir à l'élection, avaient été obligés par les Romains d'y procéder ; mais, l'élu Grégoire XII était favorable à la voie de cession, et, tout de suite, il entra en relation avec son rival pour tenter un accord. Le concile n'attendit pas les effets de cette bonne volonté. Le 20 décembre 1406, l'avocat du roi requit l'assemblée de donner son avis sur les matières qui lui avaient été soumises. Il y eut une grande majorité pour la soustraction ; d'aucuns la voulaient totale, et d'autres, partielle. C'est à ce dernier avis que se rangea l'assemblée : après scrutin, dans les premiers jours de janvier 1407, elle décida qu'il convenait de retirer à Benoît la collation des bénéfices et le droit de taxer, sauf dans des cas exceptionnels et avec le consentement du clergé, ce qui était, en effet, une sorte de soustraction partielle.

Le roi, un mois et demi après, en février 1407, sanctionna les décisions de l'assemblée par deux ordonnances fameuses : la première enlève au pape, jusqu'au prochain concile, le droit de conférer des bénéfices ; ces bénéfices seront pourvus désormais comme jadis, soit par élection, avec confirmation du souverain, soit par collation des patrons, selon le droit commun, privilégié ou coutumier ; — le second édit interdit toutes taxes, décimes, dépouilles, annales, services communs et autres droits levés dans le royaume au profit des pontifes. Mais l'Université n'était pas entièrement satisfaite ; elle ne cessa de demander que l'Église fût totalement soustraite à Benoît XIII, et que le pape fût déclaré hérétique.

 Cependant, des pourparlers s'engageaient entre les deux papes. Pour aider au succès de cette tentative, l'expédition des ordonnances royales fut suspendue, et une ambassade fut envoyée par le roi au pape d'Avignon ; toutes les lumières de l'Université, de l'un ou de l'autre parti, Simon de Cramaud, patriarche d'Alexandrie, Pierre d'Ailli, Fillastre, Petit, Gerson, Courtecuisse, etc. — près de quarante personnes — en faisaient partie. Les ambassadeurs devaient demander à Benoît XIII une promesse de cession, sous forme de bulle, en lui accordant un délai de vingt jours, et le menacer, s'il refusait, non seulement de la mise à exécution des mesures récemment arrêtées, mais d'une nouvelle soustraction totale. A leur arrivée à Marseille, où se trouvait alors Benoit, ils apprirent qu'une convention, du 21 avril 1407, avait réglé une entrevue des deux papes à Savone, sous la protection du roi de France, alors seigneur de la ville. Tout se passa bien à la réception des ambassadeurs : ils baisèrent la main et le pied du pape, et Benoît montra tant d'humilité et de douceur que le patriarche d'Alexandrie lui demanda son pardon à genoux. Mais, quand on avança dans les négociations, tout changea : le pape faisait toutes les promesses, mais refusait tout engagement écrit. On eut beau lui parler rudement, faire intervenir les cardinaux et le duc d'Orléans : il ne céda point. L'ambassade, intimidée par les agents du duc d'Orléans, n'osa parler de soustraction. Quelques-uns de ses membres restèrent à Marseille, attendant des dispositions meilleures ; une partie retourna à Paris ; les principaux personnages s'en allèrent à Rome, voir s'ils seraient plus heureux auprès de Grégoire XII qu'auprès de Benoît XIII.

L'affaire de l'entrevue des deux papes fut une comédie qui dura de longs mois. Benoît XIII n'était pas sincère, et Grégoire XII cessa de l'être. Grégoire proposait maintenant, pour l'entrevue, quatorze combinaisons nouvelles. Benoît affectait de s'en tenir avec ponctualité aux promesses échangées. Quand il fut sûr que le pape romain n'irait pas à Savone, il s'y rendit. Au début de 1408 cependant, Grégoire s'avança jusqu'à Lucques, Benoît de son côté, jusqu'à Porto-Venere. Ils n'étaient plus qu'à une journée l'un de l'autre, mais l'un ne voulait pas descendre de son navire, l'autre craignait la mer. Léonard l'Arétin disait : L'un est un animal marin, il ne veut pas aller sur terre ; l'autre est un animal terrestre, il ne veut pas aller sur mer. Il fut impossible de les faire avancer. On les accusa de s'entendre par collusion, pour défendre chacun leur dignité, à laquelle ils tenaient plus qu'à l'union de l'Église.

En France, quand le duc d'Orléans, le grand appui de Benoît XIII, eut disparu, l'Université, soutenue fortement par le duc de Bourgogne, obtint du Conseil du roi une ordonnance qui donnait à Benoît XIII un dernier délai : si l'union n'était pas faite, le jour de l'Ascension 1408, la soustraction d'obédience serait renouvelée. En réponse, Benoît envoya par messagers tout un paquet de pièces officielles ; au fond, on trouva une bulle, vieille de près d'un an, qui, au cas où la soustraction serait prononcée, excommuniait implicitement le roi de France, mettait le royaume en interdit et destituait tous les ecclésiastiques de leurs dignités. C'était une sorte de déclaration de guerre.

Aussitôt les ordonnances de février 1407, qui affranchissaient l'Église de France, furent publiées solennellement. Le 21 mai 1408, une grande assemblée fut tenue dans le préau du Palais en présence du roi. Du haut d'une chaire placée au milieu, Courtecuisse fit un sermon sur ce thème : Convertatur dolor ejus in caput ejus, où il traitait Benoît en ennemi de l'Église. L'Université requit que la bulle fût déchirée, que les complices des papes fussent emprisonnés et que toute relation fût rompue avec Pierre de Luna. La bulle d'excommunication fut coupée en deux ; des laïques prirent une moitié, et des ecclésiastiques, l'autre, et les mirent en morceaux. Les messagers pontificaux furent traînés dans Paris, couverts de boue, vêtus de dalmatiques de toile noire et coiffés de mitres de papier. Le 25 mai, la soustraction fut publiée ; le royaume de France rejetait les deux papes, et se retirait de toute obédience pontificale, pour demeurer jusqu'à nouvel ordre dans la neutralité. Une nouvelle assemblée du clergé, du 11 août au 7 novembre, délibéra pour régler la situation de l'Église de France. Elle repassa tous les anciens griefs contre Benoît XIII, et rendit des décrets destinés à combler le vide produit par la disparition momentanée du Saint-Siège. Les traits les plus remarquables de cette constitution nationale du clergé, c'étaient l'organisation de conciles provinciaux annuels, qui devaient donner à l'Église de France une sorte de self-government, et l'attribution de pouvoirs effectifs aux primats. Les princes chrétiens furent invités à suivre l'exemple de la France. Les rois de Navarre et de Bohême, le duc de Milan, Florence et quelques princes allemands se mirent aussi en état de neutralité. Quant à Benoît XIII, il avait quitté l'Italie : embarqué à Porto-Venere, le 15 juin 1408, il avait longé les côtes de Provence sans trouver un port où on voulût le recevoir, et il était allé s'établir à Perpignan, sur les terres du roi d'Aragon.

La seconde soustraction et la déclaration de neutralité furent les derniers grands actes du Schisme en France. Au moment où la cour de France rompait avec Benoît XIII, les cardinaux de Grégoire XII rompaient avec leur pape. Des cardinaux des deux obédiences se réunirent, au nombre de douze, à Livourne, et, le 29 juin 1408, par une déclaration solennelle ou acte d'union, convoquèrent un concile général. La convocation des cardinaux, bien qu'approuvée par les Universités de Paris, d'Oxford et de Bologne, n'était pas canonique, le pape seul pouvant ordonner un concile général. Mais cette solution répondait aux vœux presque unanimes de la Chrétienté. Ainsi menacés, Benoît et Grégoire protestèrent d'avance contre le concile des cardinaux, et convoquèrent hâtivement chacun leur concile : l'un à Perpignan, l'autre à Aquilée.

Le concile des cardinaux se réunit le 25 mars 1409 à Pise ; il fut vraiment l'assemblée générale de l'Église. Le gouvernement de Charles VI avait fait désigner sous ses yeux la plupart des délégués des provinces ecclésiastiques. L'Université de Paris y était médiocrement représentée ; cependant son esprit et ses idées dirigèrent le concile. Après un procès en règle, les deux papes, accusés de crimes de toute sorte, même de sorcellerie, furent déclarés hérétiques et déposés. Le 26 juin 1409, le conclave, composé de vingt-quatre cardinaux présents, parmi lesquels il n'y avait que cinq français, élut le cardinal de Milan, Alexandre V. A Paris, où les affaires du Schisme avaient eu tant de retentissement, l'élection d'un pape unique fut célébrée par des fêtes bruyantes.

Mais Benoit XIII et Grégoire XII entendaient demeurer papes et protestaient toujours ; au lendemain du concile, l'Église se trouva divisée en trois tronçons, au lieu de deux. Puis, le 23 mai 1410, à la mort d'Alexandre V, les cardinaux firent un très mauvais choix en la personne de Balthazar Cossa, Jean XXIII, Napolitain violent, sorte d'aventurier, qui, après avoir porté les armes, était entré dans l'Église pour y mieux faire sa fortune. Un second concile avait été convoqué pour avril 1412 ; le nouveau pape fit tout pour l'éviter, puis, quand il se réunit à Rome au commencement de 1413, pour en diminuer l'importance. Si une nouvelle assemblée générale de l'Église put enfin s'ouvrir, en novembre 1414, à Constance, ce fût grâce aux efforts de Sigismond, roi de Hongrie, devenu seul chef de l'Empire trois ans auparavant.

Le concile de Constance avait une triple tâche : maintenir l'unité de la foi catholique en extirpant les hérésies, rétablir dans son unité l'autorité pontificale, réformer la société ecclésiastique[7]. En France, la plupart des représentants du clergé furent désignés dans une assemblée ecclésiastique, sous le contrôle du gouvernement. L'Université de Paris envoya ses maîtres les plus fameux. Le duc de Bourgogne se fit représenter par un évêque et des moines mendiants. Le concile se divisa en nations, parmi lesquelles la nation française fut la plus active et la plus éloquente. Dans toutes les affaires, les docteurs de France, les cardinaux Pierre d'Ailli et Guillaume Fillastre, Benoît Gentien, Martin Porée, Pierre Cauchon, Gerson firent admirer leur science. Mais la France était alors en pleine guerre civile. Le conflit des Armagnacs et des Bourguignons se prolongea jusque dans le concile, où il divisa la nation française.

Au moment de la réaction provoquée, en 1413, par la rentrée des Armagnacs à Paris, Gerson, encore tout aigri des persécutions des Cabochiens, avait fait condamner dans un concile de la foi tenu à Paris (novembre 1413-février 1414), les doctrines émises par Jean Petit dans sa Justification du meurtre du duc d'Orléans, et qui étaient l'apologie du tyrannicide. Jean sans Peur avait protesté contre la sentence rendue à Paris. La question fut soumise au Concile universel. Le duc de Bourgogne avait pris ses précautions pour que la cause de Jean Petit, qui était la sienne, fût bien défendue ; il avait muni ses représentants de joyaux ecclésiastiques, d'argent, surtout de vins de Bourgogne. Après de longues discussions et d'ardentes polémiques, où Gerson dépensa sans utilité son éloquence, une proposition vague et anonyme sur la légitimité du tyrannicide fut condamnée ; mais, d'autre part, la commission de la foi au Concile annula la sentence du Concile de Paris. Gerson voulut continuer la lutte ; mais silence fut imposé, non sans peine, aux deux parties, qui avaient compromis par ce débat l'autorité de l'Église de France.

Le concile avait à s'occuper de plus grandes affaires. Pour rétablir l'unité de la foi, il condamna avec une rigueur implacable l'hérésie de Wyclif et celle de Jean Huss et de Jérôme de Prague. Jean et Jérôme, condamnés à mort, moururent héroïquement, martyrs de leur foi. Mais leur mort allait être vengée par la terrible insurrection de Bohème, prélude des grandes guerres religieuses ; Jean Huss, en opposant à l'autorité ecclésiastique l'unique et souveraine autorité de l'Écriture, avait posé le principe de la Réforme : l'unité de la foi ne sera pas rétablie. Le concile, du moins, refit l'unité de l'Église. Il déposa Jean XXIII et Benoît XIII ; Grégoire XII renonça au pontificat ; enfin, le 11 novembre 1417, le Schisme fut terminé par l'élection du cardinal Odone Colonna, qui prit le nom de Martin V. Quant à la réforme de l'Église dans son chef et dans ses membres, depuis longtemps elle était ardemment désirée par de doctes et clairvoyants chrétiens, comme Gerson, comme Nicolas de Clamanges, l'auteur probable d'un traité, De l'état corrompu de l'Église. Le chef, c'est-à-dire la Papauté, avait été moralement amoindri par le grand désordre du Schisme et l'indignité de plusieurs pontifes ; les membres, séculiers et réguliers, n'obéissaient à aucune discipline, canonique ou morale ; les bénéfices s'obtenaient par la simonie ; ils étaient presque tous accaparés par des nobles, de qui l'on n'exigeait aucune garantie de savoir ; une fois pourvus, ils négligeaient l'office spirituel, et ne se souciaient que de percevoir les revenus du bénéfice. Les Pères de Constance voulurent entreprendre la réforme de cet état corrompu. Avant l'élection de Martin V, la Papauté étant vacante, le Concile se trouva, comme il le dit lui-même, le représentant de l'Église militante tout entière ; il déclara que tous les chrétiens, même le pape, lui devaient obéissance dans les choses qui regardent la foi, l'extirpation du dit Schisme et la réforme générale de l'Église, dans son chef et dans ses membres. Il établissait ainsi la supériorité des conciles œcuméniques sur les papes. L'empereur Sigismond fut alors d'avis que le concile procédât à la réforme générale avant l'élection du pape. Cet avis ne prévalut pas. Même à Gerson et à Pierre d'Ailli, il sembla qu'un concile, sans pape, n'avait pas une autorité suffisante pour réformer l'Église. C'est alors que Martin V fut élu. Il ne pouvait souscrire à la déchéance de la Papauté : il ne confirma pas le décret qui avait établi la supériorité des conciles. Quelques autres décrets, qui restreignaient ou supprimaient quelques abus furent sanctionnés par lui ; des concordats furent conclus entre le pape et les nations ; mais la réforme générale n'était point faite, et l'Église demeurait exposée par là au péril d'une révolution religieuse.

C'est au cours du Schisme que s'est posée la question, si intéressante dans notre histoire nationale, des libertés de l'Église gallicane. Le régime établi pendant la neutralité avait ramené l'Église de France, comme on disait alors, en ses anciennes libertés et dispositions de droit commun. Ce qu'on entendait par là, c'étaient surtout des protections contre le pouvoir pontifical. La réunion de conciles provinciaux annuels, les pouvoirs reconstitués des primats et des métropolitains, le rétablissement des élections canoniques et en général de l'ancien droit pour la collation des bénéfices, devaient affranchir le clergé du royaume d'une tutelle et d'un accaparement que le temps n'avait fait qu'aggraver. Par cette restauration des libertés, on espérait en particulier se débarrasser de toutes les taxes sur les bénéfices et des contributions générales si ingénieusement multipliées par les papes. Enfin, pour mieux assurer cette délivrance, la supériorité des conciles œcuméniques sur les papes, que réclamaient les plus grands docteurs français, deviendra une des maximes gallicanes.

En somme le gallicanisme, comme il apparaît alors, confus encore, c'est une conception de la vie de l'Église, opposée à la conception pontificale, qui allait à l'absolutisme ; c'est l'idée que le gouvernement de l'Église universelle appartient à elle-même, et que, dans l'Église universelle, il existe des églises nationales, lesquelles ont un certain droit à se gouverner elles-mêmes ; c'est aussi une protestation contre la fiscalité romaine, par laquelle les bénéficiaires étaient lésés dans leurs intérêts matériels. C'est donc une réaction contre tout le progrès du pouvoir pontifical, une volonté de retour vers les anciens temps de l'Église, où l'on supposait que toutes choses se passaient selon les règles canoniques, ce qui était d'ailleurs une grande illusion. Au reste, il faut répéter que toute cette doctrine est encore en formation. Les protestations gallicanes les plus précises s'adressent alors à la fiscalité pontificale.

Contre cette réaction, les papes se défendirent avec succès. Alexandre V, l'élu du concile de Pise, bien qu'il fût un esprit conciliant, ne voulut pas laisser ramener la Papauté de plus d'un siècle en arrière ; il ne consentit qu'à des concessions illusoires. Jean XXIII prétendit lever une décime sur le clergé de France, puis la transforma, pour prévenir les réclamations, en une aide caritative, ce qui revenait à peu près au même.

Il n'y avait pas en France de gouvernement stable pour soutenir la cause des libertés de l'Église. Depuis 1408, le duc de Bourgogne avait le pouvoir en mains, et il avait besoin de l'appui du pape aux  Pays-Bas et dans sa lutte contre les Armagnacs. D'autre part, le roi et le pape avaient grand intérêt à s'entendre : les finances royales étaient en très mauvais point ; les aides que le clergé avait accordées expiraient au début de 1410 ; fort habilement, Jean XXIII donna au roi l'autorisation d'en continuer la perception pendant trois nouvelles années. A l'usage, du reste, la liberté des élections ne faisait guère mieux les affaires du roi que celles du pape : le roi s'accommodait fort bien de la collation par le pape, pourvu que celui-ci lui fit généreusement sa part, ce qu'il ne manquait pas de faire. L'Université elle-même en arrivait à regretter les provisions apostoliques : elle avait besoin de très nombreux bénéfices pour ses gradués, et les papes, le plus souvent, l'en avaient comblée. Au mois de février 1411, le recteur déclarait que le droit de collation du pape était sacré, et qu'il n'y fallait point toucher. Jean XXIII récompensa généreusement le retour de l'Université à de meilleurs sentiments, et Simon de Cramaud lui-même fut fait cardinal.

Mais les Armagnacs redeviennent les maîtres à l'automne de 1413, et ils se posent en défenseurs de l'Église nationale, contre les abus de l'autorité pontificale. Il est vrai que, bientôt, des faveurs très lucratives, largement octroyées par Jean XXIII, tempèrent pour quelque temps cette ardeur. Cependant au concile de Constance, les ambassadeurs du roi, les représentants officiels du clergé et de l'Université, alors terrorisée par les Armagnacs, soutinrent avec énergie les grandes réformes proposées et la restauration des libertés. Malgré leurs efforts, on ne put aboutir à une solution générale. Il fallut se contenter de peu : le nouveau pape Martin V, sans rien abandonner des droits acquis par la Papauté, désireux de donner quelque satisfaction aux vœux de l'assemblée, signa avec les nations latines, notamment avec la nation française, un concordat qui réglait le nombre des cardinaux, les réserves, les annates, les jugements en cour de Rome, les commendes, les indulgences et les dispenses. Or, par ce concordat, les exactions pontificales étaient modérées, mais maintenues.

A mesure que la lutte contre les Bourguignons s'exaspéra, la politique gallicane des Armagnacs s'accentua. Il y avait du reste déjà à cette époque, parmi les officiers du roi, un esprit gallican très ardent. Et c'est ici un gallicanisme particulier, celui des gens du roi, ennemis ou, tout au moins, adversaires par ferveur monarchique du pouvoir pontifical , dont ils veulent limiter le plus possible l'action sur l'Église du royaume, pour y étendre celle du roi. Au mois de novembre 1417, toutes les chambres du Parlement, les gens du Grand Conseil et autres sages clercs et notables personnes décidèrent qu'il y avait lieu de renouveler les ordonnances de 1407. Ils voulaient faire des mesures transitoires, prises dix ans auparavant, le droit du royaume. Le 26 février 1418, le dauphin, en séance du Parlement, ordonna à l'Université, qui avait sollicité des bénéfices du nouveau pape Martin V, de suspendre toute instance, tant que le roi n'aurait pas reconnu le pontife, ce qu'on n'entendait faire qu'après avoir obtenu le maintien des Églises du royaume en leurs anciennes franchises et libertés. Un maître en théologie, qui avait protesté, et le recteur furent arrêtés et emprisonnés. Dans une autre séance, tenue au Parlement le 16 mars, on fit valoir les raisons financières déjà si souvent invoquées en faveur du régime de 1407, à savoir que les exactions pontificales tiraient tout l'or et l'argent hors du royaume. De nouveaux actes confirmèrent les prescriptions antérieures sur la collation des bénéfices, défendirent d'envoyer de l'argent à Rome et de solliciter des grâces expectatives.

Mais le royaume était alors trop troublé pour que ces graves questions pussent être résolues. Quand les Bourguignons rentrèrent dans Paris, ils défirent ce qu'avaient fait les Armagnacs. Le duc de Bourgogne continuait à ménager le pape. Le 9 septembre 1418, toutes les ordonnances antérieures furent annulées. Le chancelier et le procureur général au Parlement refusèrent, le premier de sceller, le second de publier l'acte d'annulation ; il fut passé outre. La partie bourguignonne du royaume vécut donc sous le régime du Concordat de Constance ; et même, lorsqu'après le traité de Troyes, en 1420, le gouvernement anglais s'établit dans le Nord de la France, le pape y recouvra son entière liberté. Mais le régime gallican fut maintenu dans les pays où dominaient les Armagnacs, et la France, même au point de vue ecclésiastique, se trouva coupée en deux. Le recouvrement de France par les Armagnacs devait amener, sous Charles VII, le triomphe de leurs principes. La Pragmatique Sanction de Bourges ne fera qu'achever ce qu'avaient préparé les ordonnances de 1407.

 

 

 



[1] SOURCES. Enguerran de Monstrelet, Chroniques, éd. Douët d'Arcq, 1857-1882. Le Fèvre de Saint-Remy, Chroniques, éd. Morand, 1876-1881. Pierre de Fénin, Mémoires, éd. Dupont, 1837. G. Le Bouvier, dit le héraut Berri, Chroniques, dans Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, éd. Denis Godefroy, 1653. Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Tuetey, 1881. Cousinot le Chancelier, Geste des Nobles, éd. Vallet de Viriville, 1859. D. Plancher, Histoire de Bourgogne, III, Preuves, 1781. La Barre, Mémoires pour servir à l'histoire de France et de Bourgogne, 1729. De Laborde, Les ducs de Bourgogne, Preuves, 1849-1851. Il faut tenir compte aussi des pamphlets de forme historique ou poétique ; les principaux pamphlets bourguignons ont été édités par Kervyn de Lettenhove dans les Chroniques relatives à l'histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, 1870-1876.

OUVRAGES À CONSULTER. Jarry, La Vie politique de Louis d'Orléans, 1889. A. Champollion, Louis et Charles, ducs d'Orléans, 1844. A. Coville, Les Cabochiens et l'ordonnance de 1413, 1888. Wylie, History of England under Henry IV, 1884-1898.

[2] SOURCES. Enquête du prévôt de Paris sur l'assassinat du duc d'Orléans, publiée par P. Raymond, Bibliothèque de l'École des Chartes, XXVI, 1863.

OUVRAGES A CONSULTER. V. de Viriville, Assassinat du duc d'Orléans, Magasin de la Librairie, VII, 1859. Sellier, Le Quartier Barbette, 1899.

[3] Un récit très curieux de la campagne maritime de 1405 nous e été laissé par Guttiere Diaz de Gomez, alférez du capitaine castillan Pedro Niño, qui alla ravager les côtes d'Angleterre en compagnie de Charles de Savoisi, dans le Victorial, traduction de Circourt, 1867.

[4] SOURCES. J. Marion, Rapport adressé au roi sur les doléances du clergé aux États Généraux de 1413, Bibliothèque de l'École des Chartes, VI, 1844. Moranvillé, Remontrances de l'Université et de la ville de Paris à Charles VI sur le gouvernement du royaume, Bibliothèque de l'École des Chartes, LI, 1890.

[5] SOURCES. Correspondance entre le corps municipal de la ville de Paris et celui de la ville de Noyon en 1413, publiée par Bourquelot, Bibliothèque de l'École des Chartes, VII, 1845. Coville, Ordonnance cabochienne, 1890.

OUVRAGES A CONSULTER. Coville, Les Cabochiens et l'Ordonnance de 1418, 1888. Battifol, Jean Jouvenel, 1890.

[6] OUVRAGES À CONSULTER. Bourgeois du Chastenet, Nouvelle histoire du concile de Constance, 1718. B. Bess, Johannes Gerson und die kirchenpolitischen Parteien Frankreichs, vor dem Konzil zu Pisa, 1890, et Frankreichs Kirchenpolilik und der Prosess de Jean Petit, 1891. Reinke, Frankreich und Papal Johann XXIII, 1900. L'ouvrage déjà cité de M. Valois : La France et le Grand Schisme, t. IV, est toujours le meilleur guide.

[7] La remarquable publication de Finke : Acta Concilii Constanciensis, n'en est encore qu'au tome I : Akten zur Vorgeschichte des Konstanzer Konzils (1410-1414), 1896. On trouvera dans l'ouvrage de M. Valois : La France et le Grand Schisme, le détail des intrigues auxquelles furent mêlés le gouvernement royal, les princes et les docteurs français pendant le concile. La plupart de ces intrigues paraissent aujourd'hui bien vaines.