HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — LES PREMIERS VALOIS ET LA GUERRE DE CENT ANS (1328-1422).

LIVRE IV. — LE GOUVERNEMENT DES PRINCES.

CHAPITRE II. — LE ROI, SES ONCLES ET SON FRÈRE.

 

 

I. — LE DUC D'ANJOU ET L'ITALIE.

LES conquêtes de Charles V avaient effacé le traité de Calais, et la guerre ne faisait plus que languir aux frontières. Princes des fleurs de lis, seigneurs et chevaliers, avaient pris, dans les longues campagnes contre les Anglais, l'habitude et le gent des aventures. Tout ce monde était incapable de vivre en paix. Pour le contenir, ou l'employer et le diriger, une main puissante aurait été nécessaire, et le roi était un enfant. Ses oncles n'étaient occupés que de leurs ambitions particulières. Les ducs d'Anjou et de Bourgogne s'engagèrent, chacun pour soi, dans les entreprises qui convenaient à leur politique[1].

Le duc d'Anjou chercha fortune en Italie.

L'Italie, morcelée en principautés et en républiques, presque toutes ennemies les unes des autres, était une région ouverte aux intrigues et aux convoitises de l'étranger.

Au Nord, Venise se tenait isolée, se mêlant aussi peu que possible aux affaires générales, très occupée par sa politique commerciale, surtout par ses luttes contre Gênes. Gênes, sous son gouvernement populaire, vivait dans un état permanent d'anarchie. Florence, gouvernée alors par une oligarchie, était riche et puissante ; en Toscane, elle achevait de dominer ses voisines, Arezzo, Lucques, Pise et Sienne ; à l'extérieur, elle avait une politique ombrageuse, féconde en expédients. Florence avait reconnu le pape de Rome, mais ne le soutenait guère. A l'égard du roi de France, elle professait une vive amitié, le plus souvent platonique du reste. Ses relations avec le duc de Bourgogne étaient excellentes : les marchands florentins, les ambassadeurs de la République, qui allaient à Paris ou en Flandre et en Angleterre, passaient par la Bourgogne ; des Florentins en grand nombre étaient établis dans les grandes villes des Pays-Bas ; et même le duc de Bourgogne accordait alors toute sa confiance à une famille toscane, les Rapondi de Lucques.

 A Milan, Jean Galéas Visconti et son oncle Bernabo avaient pendant plusieurs années gouverné en indivis. Bernabo était puissant, cruel, très redouté ; sa richesse lui avait valu de belles alliances : deux de ses filles avaient épousé les ducs Frédéric et Étienne de Bavière. Son neveu, Jean Galéas, le plus cynique politique de son temps, le fit empoisonner, le 18 décembre 1385, et devint le maître unique du Milanais. Il était pour Florence le grand ennemi. Il faisait sa cour au roi de France, ménageait très adroitement le pape Clément, sans le reconnaître publiquement ; en Allemagne, il recherchait les faveurs de la maison de Luxembourg, afin d'obtenir de l'empereur le titre de duc de Milan.

La confusion et le trouble étaient très grands au Centre et au Sud de la péninsule. Le pape italien, Urbain VI, régnait à Rome, où il se montrait un terrible souverain : il déclarait schismatiques et hérétiques ses adversaires, fussent-ils princes, rois, prêtres ou évêques ; il fit torturer, puis disparaître, des cardinaux qui voulaient lui donner des curateurs. Le pape français, Clément VII, chassé de Naples par les Napolitains, avait dû, il est vrai, regagner la France et était entré pompeusement à Avignon, le 20 juin 1379. Mais une partie de l'État pontifical demeurait aux mains de ses partisans : le préfet de Rome, Francesco de Vico, était maître de Viterbe et de Civita-Vecchia ; Rinaldo Orsini se maintenait, en Ombrie, à Orvieto, à Spolète, à Corneto, et portait le titre de recteur du patrimoine pour Clément VII. Et des bandes de routiers bretons, gascons ou autres, occupaient plusieurs petites places, et guerroyaient sur le territoire pontifical.

Le pape Clément avait compris qu'une seule voie lui restait ouverte pour recouvrer Rome, la voie de fait, comme on l'appelait, c'est-à-dire la force. Il avait lié partie, dans les derniers temps du règne de Charles V, avec Louis d'Anjou ; il lui avait promis de tailler pour lui dans les États de l'Église un royaume d'Adria, et lui avait procuré l'héritage de la reine Jeanne de Sicile, maîtresse de Naples et de la Provence.

Dès ce moment, Louis s'était préparé à recueillir cet héritage. Mais Charles de Durazzo, prince angevin[2], élevé à la cour de Naples, que Jeanne avait marié à une de ses nièces, et qui comptait sur sa succession, s'insurgea, unit sa cause à celle du pape Urbain, reçut de lui l'investiture du royaume, entra dans Naples et fit étouffer la vieille reine en 1382. C'est alors que Louis d'Anjou, aidé du comte de Savoie, descendit en Italie avec une armée cosmopolite ; il poussa jusqu'à six lieues de Naples en octobre 1382, puis se mit à conquérir péniblement le royaume, mais il mourut à Bari, le 21 septembre 1384. Il laissait un héritier de ses prétentions, son fils Louis II, alors âgé de sept ans. Le royaume de Naples resta profondément troublé. Urbain VI, qui avait combattu avec Charles de Durazzo contre Louis d'Anjou, se brouilla avec lui, l'excommunia et le déclara déchu. En 1385, il prêcha la croisade contre lui. Mais Charles s'en alla mourir en Hongrie, où il réclamait, la couronne ; il ne laissait, lui aussi, qu'un fils mineur, Ladislas.

Ainsi, une fois de plus, la Papauté attirait en Italie les armes françaises. Elle donnait le royaume de Naples, dont elle était la suzeraine, à un prince de la seconde maison d'Anjou, comme elle l'avait donné, au XIIIe siècle, à un prince de la première maison de ce nom. Il y a, de nouveau, pour la France, une question napolitaine. Le jour viendra où le roi de France héritera les droits des Angevins sur la couronne de Naples. C'est pour les faire valoir que Charles VIII, à la fin du XVe siècle, inaugurera les guerres d'Italie, où la royauté française rencontrera, mêlés aux succès et aux victoires, de si grands embarras et de si graves déboires.

 

II. — LA POLITIQUE DU DUC DE BOURGOGNE[3].

LE départ de Louis d'Anjou pour l'Italie, promptement suivi de sa mort, laissa le champ libre au duc de Bourgogne. Philippe le Hardi ne quittait guère le roi ; il l'emmenait dans son duché et lui faisait la vie douce et belle. Christine de Pisan, dont il fut le bienfaiteur, donne de lui un portrait élogieux. Il était, écrit-elle, de très grand savoir, de grand travail et de grande volonté : Nul temps à peine avait repos, puis à conseil, puis à chemins. Il se montrait doux et aimable à grands, à petits et à moyens, large comme un Alexandre, noble et pontifical en cour et état magnificent. Sa statue, œuvre de Claus Sluter, conservée à Dijon, le fait revivre sous son grand manteau, les mains jointes, avec sa forte carrure, sa large figure un peu empâtée, son air de bourgeois satisfait et majestueux, son front sérieux et réfléchi et son regard droit et dominateur. C'était un politique, occupé avant tout de la grandeur de sa maison.

Le duc de Bourgogne s'en prit d'abord à l'Angleterre. Il avait à se venger de l'intervention des Anglais dans les affaires de Flandre, et voulait sans doute en rendre le retour à jamais impossible. On a vu qu'une première expédition contre l'Angleterre avait été préparée dès la fin de 1384, les trêves devant expirer au printemps suivant, mais qu'elle avait été employée en grande partie, au mois d'août 1385, à reprendre Damme aux Gantois. La descente en Angleterre fut remise à l'année d'après. Les circonstances paraissaient favorables à cette entreprise.

La puissance anglaise subissait alors une éclipse. Richard II était un jeune homme de moins de vingt ans, paresseux, prodigue, qui accordait sa faveur sans discernement. Le chancelier Michel de la Pole, duc de Suffolk, un parvenu, cherchait à secouer la mollesse de son maitre, et à restaurer l'autorité royale au détriment des oncles du roi et du Parlement, ce qui devait provoquer de graves conflits politiques. La révolte des Travailleurs semblait apaisée ; mais les causes de mécontentement subsistaient. Comme les vilains demeuraient dans la même dépendance à l'égard des lords, il se produisait encore des contestations, des résistances, des refus de service, des ligues de paysans. Les campagnes continuaient à se dépeupler, et l'on voyait grandir le prolétariat errant, l'armée des pauvres. Les misérables se pressaient autour des Lollards, ces pauvres prêtres, vêtus d'une peau de mouton rousse, qui s'en allaient dans les campagnes lire la Bible et prêcher contre les richesses de l'Église.

Depuis la mort d'Édouard III, l'armée et la marine anglaises étaient en décadence. Les Écossais avaient repris les hostilités en 1383. Ils brûlaient les villes voisines de la frontière et se retiraient dans les bois. Lancastre voulut détruire les forêts ; il créa un désert, où son armée mourut de faim. Des chevaliers français allaient, presque chaque été, prendre part aux incursions des Écossais sur le territoire anglais. Enfin les forces de l'Angleterre vont être dépensées dans une entreprise inopportune. L'oncle du roi, Jean de Lancastre, se disait toujours roi de Castille et voulait conquérir son royaume. En 1385, l'Angleterre parut toute occupée de cette chimère. Le jour de Pâques 1386, Lancastre reçut de Richard II une couronne d'or, et partit de Plymouth avec deux cents navires et vingt mille combattants.

A ce moment, se poursuivaient en France les préparatifs de la descente : ils remplirent huit mois. Il s'agissait de pourvoir aux besoins de huit mille hommes d'armes et de soixante mille hommes de pied qui, au printemps, arrivèrent de tous les points du royaume. La flotte était la plus grosse qu'on ait vue depuis que Dieu créa le monde. On y comptait quatorze cents vaisseaux, partie français et partie étrangers. Une ville de bois fut construite avec les plus beaux chênes de Normandie et de Bretagne ; elle était faite de palissades et de tours démontables, qu'on pouvait ajuster et dresser en trois heures, pour servir de camp retranché. Mais il avait été entendu que le roi et les ducs prendraient part à cette grande expédition. Charles VI était un enfant plus encombrant qu'utile ; les ducs de Bourgogne et de Berri se jalousaient ; le premier, qui était l'inventeur du projet, voulait partir sans son frère ; et le second ne voulait pas que l'expédition réussit.

Le roi se mit en mouvement seulement au milieu d'août. Arrivé à l'Écluse, il ne s'embarqua pas. On disait : Le roi entrera samedi en mer, ou mercredi, ou jeudi. Mais on attendait le duc de Berri, qui avait été dans le Midi chercher des gens d'armes, et s'y attardait à dessein. Pendant ce temps, les navires anglais croisaient sur la côte, et y faisaient beaucoup de mal ; leurs hommes d'armes sortaient de Calais, pour prendre Cassel et Bourbourg. Le connétable de Clisson, avec ses navires, fut jeté par le vent dans l'embouchure de la Tamise ; une partie de sa flotte, et précisément quelques-uns des bateaux chargés des pièces de la ville de bois, furent pris par les Anglais. Enfin le duc de Berri arriva à petites journées ; le 14 octobre il était à l'Écluse. Mais il était trop tard pour partir ; les jours étaient devenus courts et laids, et les nuits allongeaient ; le vent était contraire et la mer grosse. Dans le Conseil, le duc de Berri démontra que le départ n'était pas possible. L'expédition fut remise au printemps suivant. Dans le royaume, où le mécontentement fut vif, on accusait les princes d'entente avec les Anglais.

Au printemps de 1387, ce fut le duc de Bretagne qui fit tout manquer. Il craignait les intrigues du connétable Clisson, qui s'était fait donner par Jean de Penthièvre, héritier de Charles de Blois, l'administration des domaines de Penthièvre, et cherchait à marier sa fille à ce prince. Or Clisson avait réuni à Tréguier une des deux flottes qui devaient former l'expédition d'Angleterre. Le duc le manda aux États de Bretagne à Vannes, en juin 1387 ; Clisson eut la naïveté d'y aller. Un jour, à la fin d'un dîner, en visitant le château de l'Hermine, il fut saisi, enfermé dans la grosse tour, et là enferré de trois paires de moult gros fers. Il est vrai qu'après avoir hésité s'il le ferait pendre, noyer ou brûler, Jean IV finit par le laisser aller, dès qu'il eut versé une rançon de 100.000 francs, remis son château de Josselin et dix autres forteresses, et souscrit toute sorte d'engagements humiliants. Clisson courut trouver Charles VI et offrit de lui rendre l'épée de connétable ; le roi la refusa et promit bonne justice. Les deux oncles du roi, amis du duc de Bretagne, s'interposèrent. Après bien des tiraillements, Jean de Montfort vint à Paris s'agenouiller devant le roi, et rendit à Clisson tout ce qu'il lui avait pris ; les deux ennemis, assis à la même table, burent à la même coupe. Mais l'expédition d'Angleterre était manquée.

La grande guerre fut suspendue pour longtemps. En 1387 et 1388, les Anglais coururent la mer, et ils y furent pourchassés sans action décisive. Les hostilités parurent quelque temps transportées en Espagne. Le duc de Lancastre avait débarqué en Portugal et tenté de conquérir la Castille ; des chevaliers français aidèrent le roi don Juan, le successeur de don Enrique, à le repousser. De tout cela, du reste, il ne résulta rien. Le roi de Castille finit par faire sa paix avec le duc de Lancastre. Entre la France et l'Angleterre, le régime des trêves recommença, à partir du 18 août 1388. Ainsi, tout ce grand effort et ces grandes dépenses n'avaient abouti à rien. C'était un échec pour Philippe le Hardi.

Le duc de Bourgogne, voisin de l'Allemagne et relevant de l'Empire pour quelques-unes de ses possessions, la comté de Bourgogne (Franche-Comté), la seigneurie de Malines, et la partie de la Flandre septentrionale appelée les Quatre-Métiers, avait une politique allemande, suivie et attentive.

L'Allemagne, émiettée en centaines de principautés ecclésiastiques et laïques et de républiques urbaines, était, comme l'Italie, une carrière ouverte aux entreprises. Elle avait pour toute autorité générale une Diète, sorte d'États Généraux incohérents, et un empereur, très honoré, réputé le premier personnage de la Chrétienté, mais sans moyen de gouverner, ni de se faire obéir. La dignité impériale, qui était élective, semblait devenue héréditaire dans la maison de Luxembourg ; Wenceslas, en 1378, avait succédé à son père Charles IV. Il avait pour domaines un de ces groupes singuliers de territoires, comme il s'en formait dans l'Empire : à l'Ouest de l'Allemagne, le duché de Luxembourg, berceau de la famille ; à l'Est, la Bohème, la Moravie, la Silésie, la Lusace, la Marche de Brandebourg, pays où dominait la race slave. Wenceslas avait un esprit assez cultivé ; mais il était indolent, capricieux, fantasque, passionné chasseur, au point d'en oublier ses devoirs de souverain. Les princes de la maison de Luxembourg, amis depuis un siècle de la famille capétienne, et qui avaient transformé la Bohème avec le concours de savants et d'artistes français, étaient en Allemagne comme des étrangers, exposés à l'impopularité.

Mais ce fut dans les pays du Sud-Ouest de l'Allemagne que le duc de Bourgogne chercha des alliances.

Une des branches de la maison d'Autriche possédait une partie de la Suisse, le Brisgaw, le comté de Ferrette et de grands domaines en Alsace : elle était limitrophe de l'État bourguignon. Catherine de Bourgogne, fille de Philippe le Hardi, fut fiancée à Léopold, héritier d'une partie des domaines autrichiens. Cette union devait procurer plus tard à Catherine de Bourgogne le comté de Ferrette. Beaucoup plus importantes furent les relations de Philippe avec les Wittelsbach, une des maisons qui émergeaient de la multitude des familles princières allemandes. Elle possédait — divisée, il est vrai, en quatre branches — la Bavière, sur le Haut-Danube, et, sur les deux rives du Rhin, le Haut et le Bas Palatinat. De plus, elle venait de s'établir, par héritage, aux Pays-Bas. Albert de Bavière possédait le Hainaut, à la frontière de France, pays tout français de langue et de mœurs — le pays de Froissart, — la Hollande et la Zélande, c'est-à-dire les bouches de la Meuse et du Rhin. Or, Albert avait un fils, Guillaume, comte d'Ostrevant, qu'il était question de marier à la fille du duc de Lancastre. Cette union aurait été dangereuse pour le duc de Bourgogne, comte de Flandre, et pour le royaume de France : Philippe négocia le mariage de sa fille Marguerite avec Guillaume d'Ostrevant ; mais Albert de Bavière se montra très exigeant : au mariage de son fils avec Marguerite de Bourgogne, il mit pour condition que sa fille épouserait Jean, fils allié de Philippe le Hardi. Le double mariage eut lieu à Cambrai à Pâques 1385. Le roi de France y assista. Le duc de Bourgogne s'était fait prêter des joyaux par lui et par le duc de Berri ; il avait fait porter à Cambrai ses tapisseries, vaisselles et meubles précieux. Les dames étaient si belles, que l'abbé de Saint-Aubert n'osait les regarder par bienséance religieuse. De grandes joutes furent données, et le roi de France y courut neuf courses contre un chevalier de Hainaut.

Le mariage du roi fut une suite de cette politique bourguignonne. Charles V, disait-on, avait exprimé le désir que son fils se mariât en Allemagne, car il voyait que le roi d'Angleterre était marié à la sœur du roi d'Allemagne, dont il valait mieux. Plusieurs princesses allemandes furent proposées au Conseil ; mais le duc de Bourgogne fit décider le mariage de Charles VI avec une princesse de la maison de Bavière, Isabelle, fille du duc Étienne l'Agrafé, petite-fille de Bernabo Visconti. Au milieu de juillet 1385, Charles VI se rendit à Amiens, où la duchesse de Brabant, les comtesses de Hainaut et d'Ostrevant lui amenèrent sa fiancée ; elles s'étaient efforcées de lui apprendre à porter les riches vêtements à la mode de la cour, car le sien était trop simple selon l'état de France. Le roi la regarda de grande manière et fut tout de suite séduit par cette enfant de quinze ans basse et brunette, si fraîche qu'il n'y avait tant jeunette. Cette dame nous demeurera ; le roi n'en peut ôter ses yeux, disait-on. Charles VI voulut que la cérémonie fût célébrée à la cathédrale d'Amiens ; car il ne pouvait à nuit dormir de penser à sa femme qui sera. Lundi nous guérirons ces deux malades, dit le duc de Bourgogne. Le 17 juillet, leur union fut bénie. Et, comme dit Froissart, si furent en déduit cette nuit, ce pouvez-vous bien croire.

Une circonstance survint, où le duc de Bourgogne montra qu'il disposait des forces du royaume, comme si elles lui appartenaient, et pour ses fins particulières. Le duché de Gueldre occupait les deux rives de la Meuse inférieure avec Arnheim et Nimègue. Le duc Guillaume et son frère, le duc de Juliers, avaient fait alliance avec Charles V et recevaient pension de lui. D'autre part le duc de Bourgogne était, par sa femme, le neveu de la duchesse de Brabant. Or Jeanne de Brabant était en guerre avec le duc de Gueldre ; elle appela à son aide Philippe le Hardi, qui, séduit par l'offre de quelques châteaux et surtout par la perspective de l'héritage de Brabant, entraîna dans son intervention le roi de France. Mais le duc de Gueldre traita avec le roi d'Angleterre et envoya au roi de France des lettres de défi, adressées à Charles qui se dit roi de France ; elles avaient été rédigées à Londres, et elles étaient écrites, non sur parchemin avec sceau pendant, mais simplement sur papier avec sceau en placard. Ces procédés étaient tellement contraires à l'usage que Froissart avait peine à croire à l'authenticité de ces lettres[4].

La nécessité de mettre encore une fois la paix entre le duc de Bretagne et Clisson retarda le châtiment de cette insolence jusqu'à l'été de 1388. A la fin d'août, une armée française de six mille hommes d'armes, suivie d'un énorme train, partit de Montereau. Le chemin le plus direct était par le Brabant ; mais Philippe le Hardi voulut ménager ce pays. Il fallut donc faire un grand détour, traverser la région sauvage des Ardennes : hauts bois, diverses et étranges vallées, roches et montagnes hérissaient la route. Le duc de Gueldre, qui savait les embarras de l'armée de Charles VI, consentit bien à venir trouver le roi à Korrenzig. Mais il exigea un sauf-conduit, se fit attendre vingt jours, renia seulement de bouche son défi et accepta la médiation du roi de France pour ses démêlés avec la duchesse de Brabant, tout en restant l'allié de l'Angleterre. Le Conseil du roi hésitait à se contenter d'une pareille soumission. Le duc de Bourgogne, qui tenait à se concilier un voisin si résolu, fut d'avis de faire la paix. Le retour fut désastreux, les rivières étaient débordées ; une bonne partie des bagages fut perdue[5]. Enfin, le 28 octobre, le roi arrivait à Reims.

Une surprise termina cette campagne. Charles VI allait avoir vingt ans ; il commençait à être impatient de toute tutelle. Cette ridicule expédition de Gueldre, venue après les misérables tentatives contre l'Angleterre, le fâcha sans doute. Il avait avec lui son frère Louis, qui atteignait dix-sept ans, et, probablement, était tout aussi fatigué que lui du gouvernement de ses oncles. Le roi avait ordonné à ses conseillers de venir le rejoindre à Reims : une grande réunion se tint au palais archiépiscopal, dans les premiers jours de novembre ; les ducs de Berri et de Bourgogne étaient présents. Le doyen des conseillers, le vieux cardinal de Laon, prit la parole et demanda que le roi gouvernât lui-même son royaume ; l'âge lui était venu, disait-il, et, avec l'âge, la sagesse. Charles approuva ce discours, et, tout de suite, remercia ses oncles de leur dévouement et des services qu'ils lui avaient rendus. Les oncles du roi le prièrent inutilement de réfléchir encore et d'attendre jusqu'à son retour à Paris pour prendre une résolution définitive. Le cardinal de Laon mourut quelques jours après, et on fit circuler des bruits d'empoisonnement.

Les ducs rentrèrent à Paris avec le roi. Désespérant de changer sa volonté, ils demandèrent une récompense pour la peine et l'argent que leur avait coûtés le gouvernement du royaume ; l'un voulait la Normandie, l'autre la Guyenne ; ils exigeaient aussi le maintien de tous les officiers qu'ils avaient créés. N'ayant rien obtenu, ils se retirèrent. Jusqu'en 1392, Philippe le Hardi vécut le plus souvent éloigné de la cour, où il ne passait guère plus de trois à quatre mois par an.

Quelques mois après la scène de Reims, le 3 mai 1389, le roi d'Angleterre Richard II, qui avait vingt-deux ans, se débarrassait de la même façon de ses oncles et des barons qui gouvernaient sous son nom, et commençait à régner par lui-même.

 

III. — LES MARMOUSETS[6].

D'ANCIENS conseillers de Charles V étaient demeurés au Conseil après la mort du roi, ou bien, après une courte disparition, y étaient rentrés. Tant que les princes avaient gouverné, ils n'avaient eu aucun pouvoir. Après que Charles VI eut remercié ses oncles, ils passèrent au premier plan. Comme ils étaient, pour la plupart, de moyenne noblesse ou de petite bourgeoisie, les grands seigneurs les appelaient des Marmousets. Bureau de la Rivière et Jean le Mercier dirigèrent les grandes affaires diplomatiques et financières. Autour d'eux se groupèrent les maréchaux de Sancerre et de Blainville, Pierre de Chevreuse, les évêques de Bayeux et de Noyon, et quelques nouveaux venus, comme le Bègue de Vilaines, Enguerran d'Eudin, l'évêque d'Auxerre et son neveu, le secrétaire du roi Jean de Montagu, qui devint l'auxiliaire de le Mercier pour les finances. Entre eux, ils firent un pacte curieux : ils jurèrent de n'avoir qu'une volonté, de ne suivre qu'une même politique et de s'aider en toute circonstance. Ils furent soutenus par le connétable de Clisson, qui était mal vu des oncles du roi, et surtout par le frère du roi, qui, en février 1389, figure pour la première fois au Conseil, où sa présence est désormais constante.

Louis, frère de Charles VI et duc de Touraine, avait alors dix-sept ans. C'était un très gracieux jeune homme, fort bien doué et prompt au plaisir. Le 8 avril 1387, avait été célébré à Pavie, par procuration, son mariage avec Valentine Visconti, qui ne fut consommé que deux années plus tard[7]. C'est Jean Galéas, seigneur de Milan, qui avait proposé sa fille pour le duc de Touraine ; il espérait, par ce mariage, contrebalancer à la cour de France l'influence bavaroise, qui lui était hostile. Peut-être le duc de Bourgogne approuva-t-il ce mariage dans la pensée qu'il tournerait l'activité de son neveu vers l'Italie. La dot de Valentine était le comté d'Asti, plus 450.000 florins. Il fut en outre convenu qu'au cas où Jean Galéas décéderait sans légitime héritier mâle, Valentine recevrait tout son héritage. Le père s'interdisait d'aller en aucune façon contre cette promesse, par testament, codicille, acte quelconque de dernière volonté, donation entre vifs. Personne alors ne pouvait soupçonner les conséquences de ce contrat. Le petit-fils du jeune prince qui vient d'épouser une Visconti sera le roi de France Louis XII. Il fera valoir les droits sur Milan, comme Charles VIII les droits angevins sur Naples. Une question milanaise s'est donc ajoutée à la question napolitaine. L'avenir de la politique française se trouve engagé, à l'insu de tous, dans des voies qui lui seront funestes.

Le nouveau gouvernement, dont le jeune frère du roi était le patron, commença par se débarrasser de ceux des officiers royaux qui étaient des créatures des princes. Le chancelier Pierre de Giac, âme damnée du duc de Berri, fut remplacé par le premier président du Parlement, Arnaud de Corbie. Il fut procédé, au début de 1389, à une sorte d'épuration du Parlement, et au renouvellement simultané de la Chambre des Comptes, de la Chambre des généraux conseillers des aides, de la Chambre des généraux des monnaies, du corps des eaux et forêts. Une commission de cinq réformateurs fut chargée de rechercher tous les abus ; elle avait pouvoir de suspendre les officiers royaux et d'y commettre autres bonnes personnes à leur avis.

Le roi, dit Juvénal des Ursins, fit voir et visiter les ordonnances anciennes que ses prédécesseurs avaient faites, en les confirmant et ajoutant où métier était. Du commencement de février à la fin de mai, parut en effet une remarquable série d'ordonnances qui réorganisaient, d'après les dispositions prises par Charles V, l'Hôtel, la Chancellerie, la justice ordinaire, les aides et la justice des aides, l'administration du domaine, des Comptes, des eaux et forêts. Dans l'ordonnance du 5 février 1389, sur le Parlement et la justice, au milieu d'articles simplement renouvelés des ordonnances précédentes, se précise le principe de l'élection à tous les offices de justice. Beaucoup plus nettement que sous Philippe VI, il était stipulé que le Parlement examinerait lui-même les candidats aux offices vacants dans son sein, et désignerait les plus suffisants ; d'autre part, les baillis, sénéchaux et autres juges devaient être dorénavant élus et institués par délibération du Grand Conseil. Par là, les conseillers du roi, succédant aux princes dans le gouvernement du royaume, tendaient à constituer une sorte de monarchie administrative, dont le personnel se recruterait par cooptation : conception singulière, qui devait durer jusqu'à la fin de l'ancien régime, mais qui n'achèvera jamais de se réaliser.

Le nouveau gouvernement voulut encore reconstituer, au moins partiellement, la Prévôté des marchands de Paris, supprimée depuis 1383. La réunion, entre les mains d'un seul officier, des deux prévôtés parisiennes ne pouvait durer ; le prévôt royal reconnaissait que bonnement les deux ensemble ne se pouvaient pas bien exercer. Le rétablissement pur et simple de la Prévôté des marchands parut impossible, par crainte des Parisiens, et par égard pour les princes qui l'avaient confisquée. On se contenta de décider qu'on avisât un notable clerc et prud'homme qui eût le gouvernement de la Prévôté des marchands de par le roi, avec le titre de garde de la Prévôté des marchands. Jean le Mercier avait son candidat, un neveu par alliance, tout jeune encore, — il n'avait pas atteint la trentaine, — conseiller au Châtelet et avocat au Parlement, déjà connu fort honorablement à Paris pour son grand sens, sa forte éloquence et la dignité de sa vie, Jean Jouvenel, de Troyes. Au Conseil, plusieurs hauts personnages dirent pleinement qu'ils répondaient pour lui. Le prévôt royal venait précisément de mourir : le 27 janvier 1389, Jean de Folleville fut pourvu de la prévôté royale, et Jouvenel, de la garde de la Prévôté des marchands. Jouvenel n'eut ni échevins, ni clercs, ni parloir aux bourgeois, ni juridiction ; il devait seulement veiller à l'entretien des édifices publics, des fortifications et d'un certain nombre de rues. Cependant, par son habileté et sa patience, le simple garde royal prit peu à peu l'importance d'un prévôt des marchands.

Le voyage que le roi fit en Languedoc, dans l'hiver 1389-1390, devait également contribuer à la réformation du royaume. Bien des raisons avaient fait décider cette chevauchée pacifique. Le pape Clément VII avait sollicité la visite du roi. A Toulouse, le roi devait se rencontrer avec Gaston Phœbus, comte de Foix, qui était âgé et dont la succession était délicate à régler. Mais surtout, il était nécessaire d'apporter quelque soulagement à la misère du Languedoc, résultat en grande partie des exactions financières du duc de Berri. La venue du roi avait été invoquée plusieurs fois, de la façon la plus touchante, par des gens d'Église et des hommes du peuple qui étaient allés le trouver à Paris. Le duc de Berri désirait être du voyage ; mais le roi ne lui permit pas de dépasser Avignon, et suspendit ses pouvoirs.

Charles VI emmenait avec lui son frère le duc de Touraine, son oncle le duc de Bourbon, le connétable, le premier président du Parlement. Il s'arrêta dans toutes les villes, sensible à tous les hommages, retenu par toutes les fêtes. Le 21 octobre, à Lyon, il monta en une grosse nef et descendit le Rhône à petites journées. Il mit neuf jours pour atteindre Roquemaure, près d'Avignon. Au palais des Doms, Clément VII le reçut en grande pompe. Durant cinq jours, les offices, les fêtes profanes, les repas d'apparat et aussi les conférences secrètes, dont on verra tout à l'heure l'objet, se succédèrent.

D'Avignon, Charles VI entra en Languedoc. A Nîmes, à Montpellier, où il resta du 15 au 20 novembre, à Béziers, à Narbonne, il put commencer à juger par lui-même des souffrances dont le récit l'avait ému. Il fit commencer une enquête. Le 29 novembre, il entra à Toulouse, au milieu d'une population bariolée et bruyante. Il y eut près de six semaines de fêtes et de délibérations. Mais la réformation des abus parut si difficile que, pour en tenir lieu, on trouva une victime expiatoire. Ce fut Bétizac. Ce Bétizac était du pays de Béziers ; le duc de Berri l'avait d'abord placé près du roi comme secrétaire, puis l'avait envoyé en Languedoc en qualité de commissaire. Bétizac semble avoir dirigé toutes les finances du Languedoc ; il s'était acquis une énorme fortune. Mis en cause, il reconnut l'authenticité de toutes les pièces de comptabilité qui lui furent présentées ; il aida même les conseillers du roi dans leurs recherches ; tout était en règle. Quant à sa fortune, disait-il, elle provenait de dons réguliers à lui faits par son maître. Au reste, le duc de Berri envoya deux chevaliers pour avouer en son nom tout ce que Bétizac avait fait. Le roi fut fort embarrassé : il ne voulait pas s'en prendre au duc de Berri. On persuada perfidement à Bétizac de se déclarer hérétique, chose toujours vraisemblable dans ce pays d'Albigeois ; une fois livré à l'Église, lui dit-on, le duc de Berri serait assez puissant pour obtenir son pardon du pape. Bétizac blasphéma donc, professa les doctrines les plus téméraires ; il fut mis au secret. Devant l'official, il répéta trois fois ses blasphèmes ; livré à l'instant au bras séculier, il fut brûlé sur un bûcher, où on l'avait attaché à un poteau avec des chaînes, afin qu'il tint plus roide.

Charles VI reçut à Toulouse l'hommage des principaux vassaux du Languedoc. Le 5 janvier 1390, arriva Gaston Phœbus en magnifique appareil. Un accord fut conclu entre le roi et lui ; le comte prêtera l'hommage au roi de France et le fera son héritier pour le comté de Foix et la vicomté de Béarn ; en retour de ces promesses, il recevait le comté de Bigorre à titre viager. Le 7 janvier, le roi quitta Toulouse et alla à Mazères rendre à Gaston Phœbus sa visite et recevoir l'hommage convenu. Puis il s'en revint par Avignon et Dijon.

 

IV. — LE DUC DE TOURAINE ET L'ITALIE[8].

SOUS le précédent gouvernement, le duc de Bourgogne avait dirigé la politique extérieure. C'est à présent le duc de Touraine qui la conduit. Il cherche du côté de l'Italie l'emploi de sa jeune ambition. Depuis son mariage avec Valentine Visconti, il possédait le comté d'Asti, et il pouvait escompter, pour ses entreprises, le concours de son beau-père, le seigneur de Milan. Il n'eut pas de peine à entraîner le roi : l'esprit léger et chevaleresque de Charles VI était tenté par toutes les aventures. Au reste la lutte contre l'Angleterre semblait s'éteindre ; la trêve conclue à l'été de 1388 fut encore renouvelée le 18 juin 1390, pour trois ans.

D'Italie venaient des appels à l'intervention française. Florence, le 23 juin 1389, envoya à Charles VI une ambassade, pour lui proposer de partager avec lui les États de Jean Galéas de Milan ; elle lui offrait toute la rive droite du Pô, des Alpes à Pavie. Le pape Clément VII avait repris avec le duc de Touraine le projet qu'il avait ébauché avec Louis d'Anjou ; il s'était engagé à lui inféoder à titre perpétuel, dans les États de l'Église, Rimini, Pesaro, Fossombrone, Faënza ; il promettait d'y joindre Imola, Forli, Bertinoro. En même temps, au Sud de l'Italie, Clément VII soutenait le parti des Angevins, auxquels la mort de Charles de Durazzo, dont le fils Ladislas n'avait que onze ans, avait rendu confiance. Le 21 mai 1385, Louis II d'Anjou avait reçu de Clément VII l'investiture du royaume. Deux ans après, Otton de Brunswick, le dernier mari de la reine Jeanne de Sicile, agissant pour le compte de Louis II, avait paru devant Naples, en avait chassé la veuve de Durazzo et son fils, et s'y était établi fortement, le 7 juillet 1387. Ainsi le pape français, Clément VII, poursuivant le projet d'expulser de Rome son rival, contribuait à l'établissement d'un prince français au Nord de la péninsule, d'un autre prince français au Midi. Il faisait de l'Italie une sorte d'annexe française pour assurer le succès de la voie de fait.

Les intentions du roi se précisèrent à partir de 1389. Au début de mai, il avait donné des fêtes splendides à Saint-Denis pour la chevalerie des deux frères, Louis et Charles d'Anjou. A l'automne, pendant le séjour à Avignon, Louis H fut couronné roi de Sicile. Charles VI prit lui-même les insignes royaux sur l'autel pour les donner à Clément VII, qui en revêtit le jeune roi. Quelques jours après Charles accordait au roi de Sicile une grosse subvention. Après les cérémonies, étaient venues les conférences. On y arrêta sans doute, dans ses grandes lignes, un vaste dessein : le roi lui-même frayerait le chemin à Clément VII à travers l'Italie jusqu'à Rome, et il assurerait du même coup l'établissement de son frère au Nord et celui de Louis d'Anjou au Sud de la péninsule. Vers le moment où Charles VI quittait Avignon, était arrivée la nouvelle qu'Urbain VI était mort au Vatican, le 18 octobre 1389 ; mais, dès le 2 novembre, les cardinaux de Rome avaient élu un second pape italien, Boniface IX. La situation demeurait donc la même, et les projets du roi persistèrent.

En août 1390, Louis II prenait les devants et entrait à Naples, accompagné d'un légat. De ce côté, tout semblait marcher à souhait. Dans un conseil tenu en décembre 1390, l'expédition du roi en Italie fut décidée pour le mois de mars suivant : le roi devait emmener au moins douze mille lances, conduites, sous ses ordres, par son frère, ses oncles, le connétable et le sire de Couci ; le rendez-vous était fixé à Lyon. En même temps, le gouvernement royal renouvelait les alliances avec Wenceslas de Bohême et le roi de Castille. Le roi tenait surtout à l'alliance de Jean Galéas Visconti. Comme un grand seigneur de France, Jean d'Armagnac, s'était mis au service de Florence pour combattre Jean Galéas, le roi lui fit débaucher ses routiers. A ce moment, Clément VII comptait si bien entrer à Rome qu'il faisait garnir ses vêtements de fourrures, achetait des autels portatifs, des bâts, des selles, des couvertures, tout le matériel d'un grand déménagement[9].

Le duc de Bretagne avait annoncé qu'au moment fixé le roi aurait autres étoupes en sa quenouille. Brusquement, en effet, en février 1391, arrivèrent à Paris des ambassadeurs de Richard II, afin de faire une paix définitive et de préparer une entrevue entre les deux souverains. Charles VI ne pouvait, sans courir le danger de rouvrir la guerre anglaise, repousser ces propositions. Le 24 février il fut promis, par acte authentique, que les deux rois se rencontreraient, vers la fin de juin, entre Boulogne et Calais. Il n'était donc plus possible de descendre en Italie au printemps. Ces propositions anglaises étaient-elles sincères ? L'Angleterre était toute dévouée au pape romain Boniface IX, que menaçait le projet italien. S'il y eut subterfuge, il réussit. L'expédition fut ajournée, et il n'y eut ni traité ni entrevue entre les rois d'Angleterre et de France.

L'année 1391 se passa, en effet, dans des négociations oiseuses. Le grand projet italien ajourné, le roi d'Angleterre n'est plus pressé ; il veut régler toutes les difficultés avant de voir Charles VI. En mars un, tandis que le roi de France se met en route pour l'entrevue, Richard, sans se déranger, envoie à Amiens les ducs de Lancastre et d'York avec la plus grande partie de son Conseil. Mais les propositions anglaises pour la paix étaient exorbitantes, et les Anglais ne firent aucune concession sérieuse : par hostilité contre les conseillers du roi, les ducs de Bourgogne et de Berri, dans une entrevue secrète avec le duc de Lancastre, lui firent entendre que le roi de France pouvait aller au delà des conditions qu'il offrait dans les négociations officielles. En fin de compte, il fut convenu que les Anglais soumettraient à leur roi la note contenant les propositions de la France ; puis on se sépara. Et voilà encore un exemple d'une entreprise, préparée à grand fracas, et avortée.

 

V. — LA FOLIE DU ROI[10].

LES affaires sérieuses ne suffisaient pas à occuper la jeunesse du roi. Depuis le début de 1389, c'était un tourbillon de fêtes. Au mois de mai, pour la chevalerie de Louis et Charles d'Anjou, trois jours et quatre nuits passèrent en joutes et débauches à l'abbaye de Saint-Denis. C'est au mois d'août que fut célébré, à Melun, le mariage de Louis de Touraine et de Valentine Visconti. Le même mois, le roi fit faire l'entrée de la reine à Paris. Isabelle, mariée depuis cinq ans, avait bien des fois séjourné dans la capitale ; mais tout était prétexte à fêtes pour Charles VI et sa cour.

Le dimanche 22 août, le cortège se forma à Saint-Denis. La reine et les dames étaient dans des litières richement ornées. Valentine, la belle duchesse de Touraine, était montée sur un palefroi, pour différer des autres. Les princes et les grands seigneurs formaient escorte à cheval. Tous portaient des costumes étincelants d'or, de perles et de pierreries ; sur les pourpoints, on voyait des rameaux d'aubépine, des troupeaux de brebis, des soleils, des cygnes, des nuages en broderie d'or et d'argent. Tous les bourgeois s'étaient rangés sur le passage ; douze cents d'entre eux, parés de baudequin vert et vermeille, faisaient la haie en avant des murs. Tant y avait grand peuple et grande presse sur les rues, que ce semblait un monde. A la porte Saint-Denis, commença la série des tableaux vivants qui marquèrent les étapes jusqu'à Notre-Dame ; il y en avait encore à la Trinité, à la seconde porte Saint-Denis, à Saint-Jacques, au Châtelet. Ils figuraient Dieu le père, le ciel, les anges, Notre-Dame avec l'enfant Jésus qui s'ébattait par soi à un moulinet, Saladin, les Sarrazins, etc. Les maisons étaient tendues de tapisseries et de velours ; des draperies de soie formaient comme un grand velum. A Notre-Dame, un baladin, portant un cierge dans chaque main, franchit sur une corde l'espace entre une des tours de la cathédrale et les plus hautes maisons du pont Saint-Michel.

Le roi, qui suivait le cortège dans la foule, en costume très simple, pour ne pas être reconnu, reçut les horions des sergents qui faisaient ranger les curieux. Le couronnement eut lieu à Notre-Dame, à la tombée de la nuit. Le lendemain, grand banquet au Palais : plus de cinq cents dames et demoiselles y prirent place. Un entremets merveilleux représentait la défense de Troie la Grande ; mais il se fit une si grande presse de gens, que la reine faillit se trouver mal : des dames perdirent connaissance et il fallut briser une verrière et enlever les tables. Le soir, souper et danses à Saint-Paul : le roi, les seigneurs et les dames ébattirent toute la nuit jusqu'à la pointe du jour. Le troisième jour, ce furent les joutes auxquelles le roi prit part. Tous les chevaliers étaient parés sur leurs larges du rai de soleil, qui était, en ces jours, la devise du roi. Le soir, nouvelles danses et fêtes jusqu'au soleil levant. Deux jours et deux autres nuits se passèrent encore en joutes et réjouissances.

Le voyage de Languedoc n'avait été qu'une longue et étourdissante fête, à Lyon, à Avignon, à Montpellier, à Toulouse, à Mazères, à Dijon. A Toulouse, le jour où arriva Gaston Phœbus, il y eut dîner grand, bel et bien étoffé de toutes choses. Après le dîner, furent le roi et les seigneurs, en étant sur leurs pieds, en chambre de parement, près de deux heures, en oyant ménestrels. A Mazères, avant d'arriver au château du comte de Foix, le roi trouva un troupeau de moutons, cent bœufs gras, douze coursiers qui portaient des sonnettes d'argent ; ils étaient conduits par des paysans en habit de bouviers. C'était un déguisement qui cachait les plus nobles chevaliers du pays. Au festin, les mêmes chevaliers parurent avec des instruments de musique et vêtus de manteaux de fleurs de lis. Le lendemain, Charles VI remporta le prix pour le jet. Au retour, de Bar-sur-Seine à Paris, le roi fit d'une traite une course échevelée avec le duc de Touraine. Les années suivantes, ce ne fut encore que bruit de joutes et cliquetis de tournois, aux environs de Calais, à Épernai, à Paris surtout. Le roi regretta de ne pouvoir jouter au champ clos tenu pendant près d'un mois par trois chevaliers français à Saint-Inglebert, entre Boulogne et Calais ; on raconta qu'il y avait assisté secrètement. Mais, comme disait le poète Deschamps, tous les plaisirs du monde et les hommes jolis finissent en pleurs et en cris.

Une telle existence, en effet, ruina en quelques années les nerfs fragiles de Charles VI. Au printemps de 1392, à Amiens, où il recevait les princes anglais venus pour traiter de la paix, il fut atteint d'une fièvre et chaude maladie. On l'emmena à Beauvais sur une litière ; il demeura au palais épiscopal jusqu'à ce qu'on le crût guéri. Quand il fut tout fort et en bon point, il alla jusqu'à Gisors, dans un pays de beaux bois, où il pouvait oublier son mal dans le déduit des chiens. C'était le premier avertissement. La catastrophe était proche.

Malgré l'intervention répétée du roi, le duc de Bretagne et Clisson restaient ennemis. De plus, Jean de Montfort était de nouveau en coquetterie avec les Anglais, pour obtenir la restitution du comté de Richemond. Charles VI le manda à Tours, en décembre, pour se justifier et pour s'accorder avec Clisson. Montfort fut très peu conciliant ; il se sentait soutenu par les ducs de Berri et de Bourgogne contre les conseillers ordinaires du roi ; la duchesse de Bourgogne était sa proche parente. Le roi, très ami de Clisson, parlait déjà de faire la guerre en Bretagne. La sentence, rendue, non sans peine, entre les deux parties, le 26 janvier 1392, à la suite de conférences tenues à Tours, ne fut qu'une trêve.

Jean de Montfort trouva l'instrument de sa vengeance, en son cousin, Pierre de Craon, qui, expulsé successivement, à la suite d'indélicatesses, des hôtels du roi de Naples, du roi de France et du duc de Touraine, s'était réfugié auprès de lui. Il persuada à ce grand seigneur taré que c'était Clisson qui lui avait brassé ce contraire. Comme depuis 1383, il n'y avait plus de portes à Paris, et que l'entrée de la ville était libre nuit et jour, Craon put conduire, dans un hôtel qu'il possédait au Marais, une troupe d'hommes d'armes. Le soir du 13 juin 1392, Clisson sortant de l'hôtel Saint-Paul, où on avait carolé, c'est-à-dire dansé, jusqu'à une heure après minuit, chevauchait avec quelques serviteurs, sans autre arme qu'un grand couteau à sa ceinture. Au passage d'un carrefour, Craon et sa bande l'assaillirent. Le connétable se défendit de son mieux. Un hasard le sauva : un grand coup d'épée, qui l'atteignit à la tête, le précipita dans la boutique entr'ouverte d'un boulanger. La bande s'enfuit. Aussitôt les serviteurs de Clisson allèrent annoncer l'événement à l'hôtel Saint-Paul. Le roi, entouré de ses gardes, partit à pied. Il constata que la blessure était sans gravité ; les médecins promirent de guérir le blessé en quinze jours. Mais Charles VI jura de venger son serviteur. Cet attentat, cette expédition nocturne, à la lueur des torches, la vue, dans cette misérable échoppe, des blessures et du sang, donnèrent à l'esprit du roi un nouvel ébranlement.

Tout d'abord, on ne trouva que quelques comparses du crime, qui furent décapités. Craon avait fui dans la direction de Chartres, puis s'était enfermé dans son château de Sablé. Ses biens furent confisqués, ses hôtels à Paris et aux environs rasés. Comme il ne se trouvait pas en sûreté à Sablé, il alla encore une fois se réfugier auprès du duc de Bretagne, qui jura de ne point le livrer et lui fournit les moyens de gagner l'Espagne ; des Bretons gardèrent son château de Sablé. Le sire de la Rivière et Jean le Mercier, malgré les efforts du duc de Berri et du duc de Bourgogne, firent décider que le duc de Bretagne serait châtié par les armes. Les conseillers du roi voulaient atteindre en lui la coalition des trois ducs, qui poursuivaient leur ruine. Au moment du départ, le roi était très surexcité. Au Mans, où il arriva dans la seconde moitié de juillet, il prononçait des paroles incohérentes et faisait des gestes désordonnés. Enfin, le 5 août, l'armée se mit en route pour la Bretagne.

Par une très chaude journée d'août, le roi s'engagea dans la forêt du Mans. A peine y était-il entré, qu'un homme nu-tête, sans souliers, vêtu d'une pauvre cotte blanche, se lança par entre deux arbres hardiment et prit les rênes du cheval que le roi chevauchait et l'arrêta tout coi et lui dit : Roi, ne chevauche pas plus avant, mais retourne, car tu es trahi ! On eut peine à lui faire lâcher prise ; il suivit quelque temps l'escorte, puis disparut. Au sortir de la forêt, s'ouvrait une grande plaine sablonneuse. Le soleil était bel et clair et resplendissant à grands rais. Le cortège s'était dispersé pour faire moins de poussière. Charles VI, lourdement vêtu de velours noir, souffrait de la chaleur. Derrière lui, chevauchaient deux pages ; le premier avait la tête couverte d'un chapeau de Montauban en acier fin, clair et net ; le second portait une lance. Celui-ci s'endormit et laissa tomber sa lance sur le chapeau d'acier de son compagnon. Le roi tressaillit tout soudainement. Il crut voir des ennemis lui courir sus, et se lança l'épée au poing contre les fantômes. Son frère dut s'enfuir. Plusieurs pages furent renversés, peut-être même blessés ou tués. Quand le malheureux fut épuisé, un seigneur de sa suite, Guillaume Martel, le saisit par derrière ; on l'entoura, on le fit descendre, on le déshabilla et coucha, tout doucement. Ses oncles approchèrent, mais nul semblant d'amour ne leur faisait, et lui tournaient à la fois les yeux moult merveilleusement en la tête, ni à nul ne parlait.

Aussitôt, les ducs arrêtèrent l'expédition ; les hommes d'armes furent renvoyés chez eux. Le roi fut ramené au Mans dans une litière. Les médecins se contentèrent d'ordonner le changement d'air. Dès les premiers jours, la douleur fut grande par tout le royaume : dans les églises, la foule priait. Beaucoup attribuaient cette maladie à des maléfices ou au poison. La crise aiguë ne dura pas plus de quatre jours. Au bout de trois semaines, on crut le malade guéri. On le mena faire ses dévotions à Chartres, puis, aux premiers jours de septembre, on l'installa dans le site paisible de Creil.

Le soir même du jour où la maladie s'était déclarée, quand il s'était agi de veiller sur le roi, il avait été dit au sire de la Rivière, à Jean le Mercier, à Jean de Montagu et au Bègue de Vilaines qu'ils s'en départissent de tout point. Les ducs de Berri et de Bourgogne en voulaient à mort à ceux qui les avaient supplantés. A la cour, on n'aimait guère ces serviteurs d'un autre règne, presque tous de petite origine. Ils étaient impopulaires dans l'Université, dont ils combattaient les privilèges. Comblés de dons de toute sorte par deux rois généreux, administrateurs avisés de leurs biens comme du royaume, affranchis de ces dépenses de magnificence qui épuisaient les ressources des princes, ils exaspéraient les convoitises par leurs richesses. On racontait que Clisson, après l'attentat de Craon, avait fait son testament, et que la somme dont il disposait en purs meubles, sans héritages, s'élevait à 1.700.000 francs. Enfin, sûrs de la confiance du roi, ils se croyaient perpétuels en leurs offices et se montraient très fiers pour tous : Et volaient de si haute aile, qu'à peine en osait-on parler.

Les oncles du roi se vengèrent des Marmousets. Clisson, un jour qu'il allait trouver le duc de Bourgogne pour affaires de sa charge, fut reçu avec des injures. Vers le soir, avec deux compagnons, d'une traite, il gagna le château de Montlhéry ; puis, de là, chevaucha par voies couvertes, par bois et par bruyères, jusqu'à son château de Josselin, en Bretagne. On lui fit son procès par défaut, sans retard : condamné comme faux et mauvais traître, il fut dépouillé de sa charge et banni. Le sire de la Rivière, retiré dans son château d'Auneau, refusa de se sauver et de se défendre. Amené à Paris, il y retrouva d'autres prisonniers, Jean le Mercier, le Bègue de Vilaines, Gui Chrétien, maitre des Comptes. Plus avisé, Montagu s'était réfugié à Avignon avec sa finance. Des poursuites furent engagées contre eux ; leurs créatures furent frappées. Une réformation générale fut ordonnée. Chaque matin, on venait en place de Grève croyant assister au supplice des prisonniers. Mais, graciés par le roi de la peine de mort prononcée contre eux. ils allèrent finir leurs jours dans leurs terres. Le duc de Bourgogne, grand ami de la paix, arriva même à réconcilier Clisson avec le duc de Bretagne, en octobre 1395. Il n'y eut donc rien de bien tragique dans cette révolution de cour.

Le pire malheur, c'est qu'elle remit le royaume sous la tutelle des princes. Le roi sortit assez vite de cette première attaque ; mais les médecins ordonnaient un grand repos, et défendaient de le travailler de conseils ; car encore a-t-il, et aura toute cette saison le chef faible et tendre et tout ému. La maladie prit une forme intermittente ; elle reparut tous les ans, puis bientôt à des intervalles plus rapprochés. On fit faire au roi des pèlerinages inutiles et, fatigants ; on le livra aux pratiques les plus ridicules de la magie et de la sorcellerie.

Alors, le duc de Bourgogne redevint tout-puissant. Le duc de Berri était d'accord avec lui ; ils avaient alors les mêmes rancunes et les mêmes antipathies. Le frère du roi, à qui, peu avant sa folie, le 4 juin 1392, Charles VI avait donné le duché d'Orléans, réclama la première place dans les conseils. Il y eut des débats orageux, le duc de Bourbon s'interposa. Grâce à lui, toute voie de fait fut écartée, et le duc d'Orléans se résigna pour le moment à laisser faire ses oncles.

Dans les premiers jours de 1393, il y avait fête à Saint-Paul pour le mariage d'une dame d'honneur de la reine, déjà deux fois veuve. C'était l'usage de faire, pour les troisièmes noces, une sorte de charivari aux nouveaux époux, avec mascarades et momeries. Un jeune seigneur persuada au roi d'organiser un divertissement de ce genre. Charles VI et quelques seigneurs de la cour revêtirent des maillots de toile cirée enduits de poix et recouverts d'une toison d'étoupe de lin ; vers le milieu de la nuit, ils firent leur entrée dans la grande salle de l'hôtel Saint-Paul où dames et chevaliers carolaient. Les sauvages firent toute sorte d'entrechats. Le duc d'Orléans survint, accompagné de cinq porteurs de torches. Il approcha d'un des hommes une torche pour le reconnaître ; le feu prit aussitôt ; cinq sauvages rôtirent dans leurs maillots. On crut le roi parmi les victimes, et la reine s'évanouit. Mais Charles VI avait quitté le groupe de ses compagnons pour deviser avec les dames et les intriguer. Il causait avec la duchesse de Berri, quand les premières flammes jaillirent ; la duchesse, sans le reconnaître, le couvrit de sa robe et le sauva.

On s'en prit au duc d'Orléans de cette terrible alerte. Les bourgeois n'aimaient pas ses façons aristocratiques et légères. Dès que la nouvelle de l'accident se fut répandue, la foule s'amassa dans les rues, voulant voir le roi, et se dirigea vers l'hôtel Saint-Paul, dont les portes furent enfoncées. Les ducs de Berri et de Bourgogne étaient à l'abri de tout reproche ; ils s'étaient retirés avant la fin de la fête. Pour calmer le peuple, ils emmenèrent le roi à Notre-Dame, à Montmartre, à Saint-Denis, rendre grâces à Dieu de son salut. Puis comme Charles VI avait failli périr, on crut sage d'organiser une régence : elle fut attribuée au duc d'Orléans — on ne pouvait faire autrement —, mais avec tant de restrictions qu'elle devait être plus nominale que réelle. Les oncles du roi étaient bien les maîtres.

 

VI. — PAIX AVEC L'ANGLETERRE[11].

LEUR politique fut toute pacifique. Les pourparlers avec l'Angleterre furent poursuivis à Leulinghen et à Boulogne en 1393 et 1394. Des deux côtés, on était bien disposé.

Dans une épître adressée à Richard II, Philippe de Mézières, le Vieux Pèlerin, célébrait en allégories les heureuses dispositions du noble aimant que Dieu transplanta d'Inde majeure en Angleterre — c'est-à-dire Richard II —, et de l'arbre de baume qui s'élevait sur le sol de France — c'est-à-dire Charles VI —. Depuis quarante ans, disait-il, il avait corné aux empereurs et rois et princes de la Chrétienté, pour assembler à la chasse de Dieu les grands lévriers et les chiens courants ; et l'on ne pouvait s'unir contre les ennemis de la foi que dans la paix, ce verger délectable où on n'entend que gracieuses chansonnettes amoureuses. Heureusement voilà que, pour fermer les plaies de la guerre, un électuaire a été trouvé par plusieurs physiciens grands et moyens du royaume d'Angleterre : c'est le mariage de Richard II avec une jeune marguerite pierre précieuse, Isabelle, fille du roi de France.

En effet, au début de juillet 1395, arrivèrent à Paris deux prélats et quatre barons anglais chargés, par le roi Richard II, de négocier son mariage avec Isabelle de France. Pour en délibérer, tous les princes furent réunis à Paris, au mois d'août. Le duc de Bourgogne avait renoncé à toute hostilité contre l'Angleterre ; ses domaines flamands en effet avaient intérêt au rétablissement de la paix ; il était donc d'avis d'accepter les propositions anglaises. Les ducs d'Orléans et de Berri voulaient que le roi de France fût très exigeant, et faisaient remarquer que la future reine d'Angleterre serait beaucoup trop jeune pour avoir de l'influence à la cour de Richard II. Mais le roi était favorable au projet. Isabelle fut présentée aux envoyés anglais qui la trouvèrent à leur goût. En février 1396, elle était fiancée à Richard ; elle n'apportait en dot aucune terre, seulement 800.000 francs ; quand elle aurait atteint sa douzième année, le mariage devait devenir définitif ; elle renonçait à tout droit sur la succession royale de France. En même temps, la trêve, qui devait expirer en 1398, fut prolongée de vingt-huit ans ; c'était presque l'équivalent de la paix.

Le 12 mars, les fiançailles furent célébrées à la Sainte-Chapelle en présence de trois rois, les rois de France, de Sicile et de Navarre. Au festin qui suivit la cérémonie, dit Juvénal des Ursins, si on voulait déclarer les assiettes des personnes, les parements et habillements, tant en tapisseries que robes, trompettes et ménestrels, la chose serait trop longue à réciter. A la prière du roi Richard, la date du mariage fut avancée. Il fut convenu que les deux rois se rencontreraient auparavant, et les conditions de l'entrevue furent réglées d'avance, à Calais, entre le duc de Bourgogne et Richard II, tandis qu'à Paris on préparait les joyaux et la garde-robe qu'Isabelle devait emporter.

Le 27 octobre 1396, les deux rois se rencontrèrent en effet en rase campagne, entre Ardres et Calais, à égale distance des pavillons somptueux qui avaient été préparés. Tout avait été minutieusement convenu. Charles VI et Richard II ne s'étaient jamais fait sérieusement la guerre ; l'entrevue cependant fut compassée et banale. Les rois prirent le vin et les épices, assistèrent à des banquets, sans que rien de décisif fût fait pour une paix définitive. Le roi de France remit sa fille à Richard II, puis on se sépara. A Calais, le 4 novembre, le roi d'Angleterre épousa solennellement Isabelle.

D'autres actes achevèrent la liquidation du passé. Le 2 décembre, l'héritier de Bretagne, qui avait cinq ans, fut marié à la seconde fille de Charles VI, qui en avait trois. Richard II avait accepté de rendre au duc de Bretagne, pour 120.000 francs, Brest, la dernière place bretonne occupée par une garnison anglaise ; ce qui fut fait, sept mois après l'entrevue d'Ardres[12]

Il semblait qu'à ce moment on pût espérer une réconciliation complète de la France et de l'Angleterre ; mais une révolution se préparait outre-Manche. Richard II se trouvait en désaccord avec une partie de la famille royale, de sa cour, de son peuple. Il voulait la paix avec la France ; mais il y avait en Angleterre un parti de la guerre, très puissant et conduit par le plus brutal des princes, le duc de Glocester, homme à l'âme périlleuse. Puis Richard s'était engagé, vis-à-vis de Charles VI, à détacher l'Angleterre du pape de Rome ; et l'Angleterre entendait rester fidèle à cette obédience. Il était indifférent aux questions religieuses, laissait les Lollards en paix, donnait sa faveur à quelques-uns d'entre eux ; et l'orthodoxie était soupçonneuse en Angleterre. Enfin, Richard II se préparait à rendre son pouvoir absolu et à régner sans Parlement, ce qui était une dangereuse chimère.

Après toute une série d'actes maladroits, un acheva de le perdre. Henry, duc de Derby et d'Hereford, fils du duc de Lancastre, avait beaucoup couru le monde : on l'avait vu à la croisade d'Afrique conduite en 1390 par le duc de Bourbon, à la bataille de Nicopoli, sur les bords de la Baltique avec les chevaliers teutoniques, à Constantinople avec le maréchal Boucicaut ; dans le royaume, il était très populaire. A la suite d'une querelle que le duc Henry eut avec le duc de Norfolk, le roi le bannit pour dix ans. Le départ du prince fut un triomphe. Brutalement, à la mort du duc de Lancastre, le roi confisqua son héritage. Peu après il partait pour l'Irlande, où il avait à combattre une révolte. Henry de Derby, réfugié en France, y avait été magnifiquement reçu. Il conclut avec le duc d'Orléans, le 17 juin 1399, un traité d'alliance intime.

Un autre exilé, Thomas d'Arundel, archevêque de Canterbury, le pressa de rentrer en Angleterre pour mettre fin à un gouvernement odieux. Henry quitta Paris, sous prétexte d'aller en Bretagne, rejoignit une petite troupe d'hommes d'armes réunie par Pierre de Craon, et, le 4 juillet 1399, débarqua à Ravensport, dans le Yorkshire. Du château de Pomfret, lui qui venait d'être l'hôte de la France, il lança des proclamations, où il dénonçait l'alliance criminelle du roi d'Angleterre avec la France, et se donna pour le défenseur de l'honneur anglais. En huit jours, il eut cent mille hommes autour de lui. A Bristol, il fit décapiter les conseillers de Richard II et envoya leurs têtes aux bourgeois de Londres. Quand Richard revint d'Irlande, à la fin de juillet, sa cause était perdue. Il se réfugia au château de Conway, sur un dot des côtes de Galles ; de belles promesses l'en firent sortir. Il fut arrêté, et conduit, le 14r septembre, à la Tour de Londres. Là, par-devant témoins et notaires, il se reconnut incapable de régner, et engagea le Parlement à mettre à sa place Henry de Lancastre ; il fit tout cela, dit le procès-verbal, hilari vultu, d'un visage souriant. Le 30 septembre, à Westminster au Parlement, Richard II fut déclaré déchu, et Henry acclamé roi. Le 13 octobre, Henry IV fut couronné et oint d'une huile divine que la Vierge elle-même avait, disait-on, confiée à saint Thomas de Canterbury. Richard resta en prison. Quelques mois après, une conspiration ayant été découverte, on apprit qu'il était mort ; on ne sut jamais bien comment. Son corps fut exposé pendant deux jours à Saint-Paul, pour que nul n'en ignorât. On prétendit cependant qu'il vivait obscurément en Écosse. Cette Révolution, dont avait été victime un roi ami de la France, annonçait une nouvelle rupture entre les deux pays.

 

VII. — L'AFFAIRE DE GÊNES[13].

LE duc d'Orléans s'occupait en Italie. Son beau-père, Jean Galéas Visconti, grand amateur d'intrigues de toute espèce, menacé du reste par une coalition dont Florence était la tête, avait repris à son compte le projet de Clément VII, d'un établissement dans les États de l'Église pour un prince de France. Au début de 1393, Nicolas Spinelli, son ambassadeur, vint à Paris proposer une alliance étroite entre son maitre et le roi de France. Puis, laissant de côté ses instructions écrites, il exposa le plan de Jean Galéas : Clément VII inféoderait une partie des domaines de l'Église à un prince de France sous le titre de royaume d'Adria et au prix d'un tribut annuel. Avec l'appui de ce royaume et de celui de Naples, Rome serait bientôt reconquise par le pape français. Un prince, dit Spinelli, semble mieux taillé à ce faire que tout autre, c'est le duc d'Orléans ; car il est jeune et peut bien travailler, et, de plus, le seigneur de Milan a plus grand amour à lui qu'à nul autre. Mais Clément VII mourra sans avoir donné son adhésion à ce projet, dont il était l'auteur, mais au succès duquel il semblait ne plus croire. Alors, du reste, se produisit un incident qui appela l'attention sur un autre point de l'Italie.

A Gênes, les partis aristocratiques cherchaient un maître, qui les délivrât du gouvernement populaire. La France avait avec Gênes des relations anciennes et cordiales. Tout récemment encore, en 1390, à l'appel des Génois et pour le plus grand profit de leur commerce, le duc de Bourbon et les plus nobles seigneurs de France avaient entrepris une croisade contre les Sarrasins d'Afrique, assiégé El-Mehdia, sur la côte de Tunisie, et Cagliari, en Sardaigne, qui étaient des repaires de pirates. Ce fut au roi de France que s'adressa un parti de nobles génois en 1392, puis en 1393 : ils lui offraient la souveraineté de la ville. Charles VI, malade, n'était pas en état de courir cette aventure ; mais les propositions des nobles génois séduisirent le duc d'Orléans, déjà maître d'Asti : l'acquisition de Gènes préluderait à la conquête du royaume d'Adria.

On persuada au prince de commencer par s'établir à Savone, vassale de Gênes, et qui voulait s'émanciper. Le duc avait envoyé dans son comté d'Asti, comme lieutenant et capitaine général, Enguerran de Couci, très au courant des affaires italiennes. Couci, qui eut à négocier avec les plus rusés des Italiens, réussit à conclure avec Savone, le 17 novembre 1394, un traité, qui permettait au duc de mettre garnison dans le château et de faire flotter sa bannière à côté de celle de l'Empire. Le traité promettait à Savone la pleine indépendance à l'égard de Gênes ; au même moment, les agents du duc d'Orléans promettaient à Gênes de lui abandonner complètement Savone. Or Gênes se défia et fit un coup de théâtre.

La République de Gênes s'offrit au roi de France. Le doge Adorno vit sans doute dans cet expédient le seul moyen de garder son pouvoir ducal. Mais l'événement avait été préparé par une coalition où s'étaient rencontrés, pour faire échec au duc d'Orléans et à son beau-père, la seigneurie de Florence, la reine de France Isabelle de Bavière, petite-fille de Bernabo Visconti, qui avait été empoisonné par Jean Galéas, enfin le duc de Bourgogne, ami à la fois de la maison de Bavière et des Florentins. Ainsi se dessinait en Italie un conflit entre Orléans et Bourgogne.

Charles VI hésita longtemps à opposer son intervention à celle de son frère. Mais l'influence de la reine et du duc de Bourgogne finit par triompher. En mars 1395, le duc d'Orléans a déjà été mis en demeure de renoncer à Gênes et même à Savone. Des difficultés de détail, certaines résistances dans le Conseil retardèrent la réponse définitive du roi à la proposition que lui avait faite le doge de Gênes. Le 24 mars 1396, le Conseil déclara enfin que le roi l'acceptait.

Le 27 novembre 1396 eut lieu la prise de possession. A la grande tour du Palais et aux portes furent arborées des bannières portant, d'un côté, le lis de France, et, de l'autre, l'aigle impériale ; car Gênes demeurait ville d'Empire. Les représentants de Charles VI s'assirent sur le trône ducal. Adorno, qui d'abord avait été laissé comme gouverneur pour le roi de France, se retira peu après, et le comte de Saint-Pol, protégé du duc de Bourgogne, fut envoyé pour le remplacer. La domination française ne parut vraiment assise que lorsqu'arriva, cinq ans après, le 31 octobre 1401, le maréchal Boucicaut. Sa bonne administration donna quelques années de calme à la ville. Boucicaut était très entreprenant : il acquit à la souveraineté du roi de France Savone, Monaco, l'île d'Elbe, alla jusqu'en Chypre, imposer une paix avantageuse au roi Janus, fit la guerre sur mer aux Vénitiens et chercha à établir la domination française pour le compte du duc d'Orléans à Livourne et Pise. Mais cet établissement en Italie ne pouvait être qu'une courte aventure : à l'été 1409, pendant une absence de Boucicaut, une émeute populaire mettra fin à la domination française sur la république de Gênes. Déjà depuis l'été de 1399, Louis II d'Anjou avait été contraint par Ladislas de Durazzo à quitter Naples et s'était réfugié en Provence. Après tant d'échecs et d'avortements, il ne restait aux princes français en Italie que le comté d'Asti. Et c'est, encore une fois, une entreprise manquée.

 

VIII. — LE SCHISME ET LA SOUSTRACTION D'OBÉDIENCE[14].

DANS toutes les affaires, celles d'Allemagne, celles d'Italie surtout, on retrouve les effets du Schisme, qui était alors la grande affaire internationale. Les principaux royaumes latins, la France, la Castille, l'Aragon, s'étaient prononcés, plus ou moins vite, pour le pape français ; au contraire, les États Scandinaves, la Pologne, la Hongrie, l'Angleterre et l'Allemagne tenaient pour le pape de Rome. Il avait suffi que le roi de France reconnût Clément VII, pour que le roi d'Angleterre s'attachât à Urbain VI. Quant à l'Allemagne, elle avait une raison particulière de redouter l'absorption de la Papauté par la France. C'est à Rome que le prince, élu roi par les électeurs allemands, et qui portait, dès lors, le titre de roi des Romains, allait chercher la couronne impériale. Si la Papauté devenait définitivement française, ne transférerait-elle pas l'Empire des Allemands aux Français, comme elle l'avait transféré au Xe siècle des Francs aux Allemands ? Cependant, la France n'avait pas à se louer tout entière du pape d'Avignon. Clément VII avait livré au roi les revenus de l'Église. Les décimes ou demi-décimes accordées à Charles VI étaient levées et administrées par des officiers royaux. Le pape obligea le clergé à acquitter les aides royales dans les mêmes conditions que les laïques ; il lui donna tort dans les conflits qui s'élevèrent à ce sujet. L'Université dut se mettre en grève pour faire respecter ses privilèges.

La cour d'Avignon n'était pas moins âpre pour elle-même. Comme elle exigeait à son tour des décimes, les évêques, en 1392, refusèrent de payer, en appelèrent du pape mal informé au pape mieux informé, et firent afficher leur appel sur les portes mêmes du palais d'Avignon. A ces impositions s'ajoutaient toutes les variétés de taxes ecclésiastiques, subsides volontaires réclamés d'une manière impérative, emprunts forcés, annates ou prélèvement d'une demi-année sur les revenus des bénéfices vacants, réserves et profits de toute sorte dans la collation des bénéfices ; tout cela faisait une énorme chevance. Et cependant les caisses pontificales étaient toujours vides ; le pape était obligé d'emprunter aux Juifs et de mettre en gage les objets sacrés. En 1391, les paiements du pape furent reculés d'une année ; à la mort de Clément VII, la tiare, disait-on, était engagée. C'est qu'à la cour du pape, comme l'écrivait Philippe de Mézières, s'étaient établies trois horribles vieilles, Orgueil, Avarice, Luxure. Clément VII s'efforçait de conserver le luxe de ses prédécesseurs : il achetait des joyaux, des camées et des œuvres d'art ; il entretenait une ménagerie, des jongleurs, et il était obligé de prodiguer à ses trente-six cardinaux, pour les retenir à Avignon, les cadeaux en argent et en nature.

Après un silence de plusieurs années, l'Université s'était réveillée de son sommeil apparent. Le 6 janvier 1391, un orateur déjà célèbre, Gerson, bachelier en théologie, prêchant devant la Cour, développa de prime à vêpres, les requêtes de l'Université, tendant à la cessation du Schisme ; il protesta discrètement contre la voie de fait, recommanda d'agir sans bataille douteuse et sans cruelle effusion de sang et de multiplier les prières et les processions. L'Université se refusait à imposer le pape d'Avignon à la Chrétienté : ce qu'elle voulait, c'était l'union, fût-ce aux dépens des deux pontifes rivaux. Elle pouvait compter sur le duc de Bourgogne, que le souci de ne pas déplaire à ses sujets flamands, très attachés au pape de Rome, et ses relations, en Allemagne, avec la maison de Bavière et, en Italie, avec Florence, rendaient fort tiède à l'égard du pape d'Avignon.

La maladie de Charles VI, qui rendait la direction politique au duc de Bourgogne, enhardit encore l'Université. A une démarche faite par elle en janvier 1394, le duc de Berri répondit : Si vous trouvez un remède qui agrée au Conseil, nous l'adopterons sur l'heure. Aussitôt prières, processions, conférences se succèdent. L'Université organise un referendum : une boite est placée au cloître des Mathurins, où chacun dépose sa cédule. Cinquante-quatre professeurs, chargés de dépouiller ce singulier scrutin, ne comptèrent pas moins de dix mille cédules. De tant d'avis exprimés, trois solutions principales — les tres viae, que recommandaient depuis plusieurs années les docteurs les plus éminents — ressortirent avec netteté : la consultation de l'Église universelle sous forme de concile ; l'arbitrage ou compromis ; la retraite volontaire des deux papes ou cession. De la voie de fait, qui aurait fait prévaloir par la force l'un des deux papes sur l'autre, il n'était plus question. On se demandait plutôt si tous les deux n'étaient pas deux antipapes. Les opinions ainsi exprimées furent exposées dans une sorte de lettre circulaire qui fut répandue dans tout le monde chrétien.

Le 30 juin 1394, le roi, à qui déplaisaient ces mouvements universitaires, s'était pourtant décidé, sur les instances du duc de Bourgogne, à donner à l'Université une audience, qu'elle sollicitait depuis quatre mois. Parlant à sa personne, elle se prononça en première ligne pour la double cession ; à défaut de cession, pour le compromis ; en dernier lieu, pour le concile. Le roi devait assurer celle de ces solutions qui serait possible. Si les papes se refusaient à l'admettre, il faudrait les déclarer schismatiques endurcis et hérétiques ; les traiter comme des loups dévorants ; les expulser du bercail et les envoyer, loin de la terre des vivants, partager le supplice de Datan et d'Abiron. L'Université ne reçut d'abord d'autre réponse du roi que la défense de s'occuper plus longtemps de cette affaire. C'était le temps où se négociait la création chimérique du royaume d'Adria pour le duc d'Orléans. A Avignon, Clément VII, recevant une dernière sommation de l'Université en faveur de l'union, s'écria en latin au milieu de sa lecture : C'est mauvais ! c'est venimeux ! Mais, le 16 septembre 1394, le matin, après la messe, il fut frappé d'apoplexie foudroyante.

Le 22 septembre, le roi s'apprêtait à siéger avec les gens de son Parlement, quand la nouvelle lui arriva. Le Conseil délibéra ; une lettre fut rédigée et envoyée en toute hâte à Avignon, priant les cardinaux de surseoir à toute élection. Des ambassadeurs suivirent à quelques jours de distance. Ils apprirent en route que, le 26 septembre, malgré la lettre du roi, arrivée avant la fin du conclave, mais qui n'avait pas été ouverte, le cardinal de Luna avait été élu ; il prit le nom de Benoît XIII.

Pierre de Luna ou de la Lune, comme on disait alors, avait été très mêlé aux affaires du Schisme. Légat à Paris en 1393, il avait manifesté pour l'union un zèle édifiant ; il fit alors l'agneau-Dieu, secondant l'Université, approuvant la voie de cession, annonçant que, s'il lui arrivait d'être élu pape, il déposerait la tiare à la première mise en demeure ; il l'avait encore répété au conclave. Les circonstances de son élection l'invitaient à tenir sa promesse ; les cardinaux, avant de voter, s'étaient engagés par écrit à tenter l'union, même par la voie de cession. Élu, Benoît XIII écrivit donc au roi pour le prier de travailler à l'union ; quant à lui, il se disait prêt à accepter la voie la meilleure. L'Université lui ayant rappelé ses bonnes intentions, il lui fit une réponse satisfaisante, et ôta sa chape devant les délégués, assurant qu'il déposerait aussi facilement le pontificat ; l'espérance était partout. Une assemblée du clergé se réunit à Paris, sur l'ordre du roi, le jour de la Purification (1395) ; cent neuf prélats, abbés et docteurs y assistaient. Pour la première fois depuis Charles V, il ne s'agissait pas de demander au clergé de l'argent. Les délibérations durèrent plus de quinze jours. Par quatre-vingt-sept voix contre vingt-deux, le clergé, après l'Université, se déclara pour la voie de cession. Une ambassade fut envoyée à Benoit XIII, pour obtenir son désistement, au nom du roi, du clergé et de l'Université. Les ducs de Berri, de Bourgogne et d'Orléans la conduisaient. Le fait était grave : Appuyée sur le vote du clergé national, imbue du sentiment de sa mission providentielle, encore une fois la Royauté substituait sa propre autorité à celle de l'Église : elle se croyait appelée à diriger la barque de saint Pierre[15].

Or, Pierre de Luna était en réalité tenace, violent, inflexible. On voyait que cet Aragonais, disait l'archevêque de Reims, était du pays des bonnes mules. Les ducs restèrent plus d'un mois à Avignon et perdirent leur temps en démarches, d'ailleurs insolentes et maladroites. A la voie de cession, le pape opposait la voie de conférence ; il demandait à se rencontrer, sous la sauvegarde du roi, avec le pape de Rome. Il faisait du reste mille chicanes, objectait à toutes les demandes son autorité pontificale. Les ducs de Berri et de Bourgogne se retirèrent profondément irrités. La colère de l'Université fut d'autant plus vive que ses espérances avaient été plus grandes. Elle écrivit au pape que son obstination serait schismatique ; elle en appela au pape futur, élu canoniquement, et annonça qu'elle allait se mettre en campagne, pour faire triompher malgré tout la voie de cession. Les plus fameux docteurs, Plaoul, Deschamps, Courtecuisse, s'en allèrent, missionnaires de l'Université, chevauchant sur haquenées à la manière des dames, prêcher dans les villes, dans les écoles, dans les cours, contre les deux papes. Comme ils s'attaquent aux vices de l'Église, en même temps qu'au schisme, ils jettent dans les esprits l'idée d'une réforme générale.

La Hongrie, l'Aragon, la Castille, l'Écosse, la Navarre, le duc de Bavière, quelques prélats allemands parurent adhérer aux propositions de l'Université et du roi. L'empereur et le roi d'Angleterre  hésitaient. Pour forcer Benoît XIII à céder, l'Université, dans une nouvelle assemblée du clergé tenue en 1396, proposa la soustraction d'obédience : l'Église de France refuserait, jusqu'à ce que l'union fût faite, de reconnaître l'autorité du pape d'Avignon. Avant de se décider à ce parti extrême, le roi négocia encore en Angleterre et en Allemagne. Une entrevue entre Charles VI et Wenceslas de Bohême, à Reims, à la fin de mars 1398, n'avança guère les choses. De nouvelles démarches furent faites auprès de Benoît XIII. Pierre d'Ailli, évêque de Cambrai, un des docteurs les plus fameux de l'Université, jadis ardent pour l'union, mais fort apaisé par les honneurs, alla, au nom de Wenceslas, à Avignon et à Rome supplier les papes avec une douceur et une onction qui furent inutiles. Enfin Benoît XIII sembla provoquer le roi de France, en refusant de proroger au delà du 1er avril 1398 les décimes dont vivait en partie le gouvernement royal.

Le 22 mai 1398 s'ouvrit, à Paris, une nouvelle assemblée du clergé, pour examiner la soustraction d'obédience. Les ducs de Bourgogne, de Berri et d'Orléans y représentaient le roi ; plus de cinquante évêques y siégeaient. Le concile institua un débat contradictoire entre six docteurs désignés d'office pour défendre Benoît XIII, et six autres chargés de l'accuser. Pendant toute une semaine, on discourut ; puis l'assemblée se prorogea. Un scrutin fut ouvert : les ducs de Berri et de Bourgogne, grands partisans de la soustraction immédiate, le surveillèrent et le dépouillèrent ; le duc d'Orléans, beaucoup moins animé contre le pape d'Avignon, se tenait sur la réserve. Cependant, on attendit plus d'un mois pour faire connaître le résultat. Le 28 juillet enfin, l'assemblée se réunit de nouveau ; le duc d'Orléans n'y parut pas. Le scrutin donna deux cent quarante-sept suffrages pour la soustraction immédiate, vingt pour la soustraction après une dernière démarche, seize pour un nouveau concile. Ces chiffres étaient falsifiés ; la majorité pour la soustraction immédiate avait été faible : cent vingt-trois voix contre près de quatre-vingt-dix[16]. Mais, depuis la veille, l'ordonnance royale était prête ; elle fut aussitôt promulguée. Le duc d'Orléans se décida à donner son adhésion.

La soustraction était un fait d'une extraordinaire gravité. Ni le clergé, ni les fidèles ne devront plus rien payer, à quelque titre que ce soit, aux agents de Benoît XIII. La Papauté avait absorbé la collation de la plupart des bénéfices ecclésiastiques[17] : désormais les bénéfices seront attribués suivant les règles canoniques, par élection, ou par la collation des patrons. Les bénéfices de ceux qui continueront d'adhérer à Benoît XIII seront donnés à d'autres ou mis sous séquestre. Aucun commissaire de Benoît XIII — conservateur apostolique, auditeur, juge, délégué, exécuteur — ne pourra exercer ses pouvoirs dans le royaume ni faire acte de procédure, tel que citation, nomination, censure, etc. On appelait ce régime le retour au droit ancien, la restauration des libertés de l'Église de France.

Cette révolution jeta un grand trouble extraordinaire dans la vie religieuse. La Papauté étant pour ainsi dire suspendue, il n'y a plus d'autre autorité générale en matière ecclésiastique que celle du roi, nouveau Charlemagne, chef d'une sorte d'Église nationale autonome : ce qui était bien dangereux pour l'Église en pareil temps. Tous les usages pour l'attribution des bénéfices étaient remplacés par des règles anciennes ; mais ces règles étaient bien oubliées ; la tradition des élections était perdue, et le retour au passé risquait de créer de nouveaux abus. Enfin, il n'y avait pas unanimité pour la soustraction dans l'Église de France. Des prélats, de nombreux dignitaires étaient attachés au pape d'Avignon, par intérêt ou par conscience. L'Université de Toulouse le soutenait énergiquement. Comment expulser tous les adhérents de Benoît XIII ? Et le pape continuait à nommer aux bénéfices vacants, à envoyer des collecteurs et des juges. La situation menaçait d'être inextricable.

En même temps que la Papauté, l'Empire, la seconde grande puissance du Moyen Age, était en crise. Wenceslas, qui ne sortait guère de ses forêts de Bohême, avait perdu toute autorité. En Italie, il avait créé Jean Galéas duc de Milan et laissé les Français s'établir à Gènes et à Naples, ce qui lui fut reproché comme autant d'atteintes à l'intégrité de l'Empire. On lui en voulait aussi de céder dans tous les petits conflits qui se produisaient avec la France sur les frontières impériales de Savoie ou de Flandre, dans les évêchés de Cambrai, de Verdun, de Toul et de Metz. Il était en grande intimité avec le duc d'Orléans, dont on redoutait l'ambition. Enfin, l'on racontait que, dans une entrevue à Reims, Wenceslas avait promis à Charles VI de se soustraire à l'obédience du pape de Rome, auquel l'Allemagne voulait rester fidèle.

Dès 1397, il fut question de déposer Wenceslas qui resta tranquillement en Bohême. A un dernier rendez-vous qui lui fut donné à l'été de 1400 par les princes de l'Empire, il ne parut pas. Charles VI, sollicité par lui, n'intervint que mollement pour le soutenir. Le 20 août, Wenceslas fut déposé et, le lendemain, Robert de Bavière  élu roi des Romains. Tous les deux demandèrent l'appui du roi de France ; mais Orléans tenait pour Wenceslas, Bourgogne pour Robert. Une démonstration armée du duc d'Orléans ne servit de rien. En janvier 1401, au couronnement de Robert de Bavière assistèrent des envoyés du roi de France. Mais Wenceslas n'accepta pas sa déchéance ; il y eut donc schisme dans l'Empire, comme dans l'Église, et deux empereurs, comme il y avait deux papes[18].

Pendant que la Chrétienté se divisait ainsi, les Turcs avaient fait, dans la péninsule des Balkans, des progrès alarmants. Après la grande bataille de Kossovo, Bajézid l'Éclair avait poussé jusqu'au Danube, et, en 1391, entamé la Hongrie. Toute l'Europe était menacée. Alors, à l'appel du roi de Hongrie, on reparla de croisade. C'était au moment de la trêve entre France et Angleterre ; les jeunes générations de chevaliers, dans les deux pays, cherchaient des occasions de gloire. En 1395, c'est la France qui, fidèle à sa tradition, montra le plus d'empressement pour la croisade. Une ambassade hongroise vint à Lyon s'entendre avec le duc de Bourgogne. Le commandement des croisés de France fut donné à son fils aîné, Jean, comte de Nevers, qui n'avait que vingt-quatre ans. Autour de lui se rangea toute fleur de chevaliers et de nobles gens, environ dix mille hommes. Pourvus d'indulgences pontificales, ils partirent brillants et joyeux, comme pour un tournoi. De son côté, le roi de Hongrie, Sigismond, avait rassemblé une forte armée composée d'Allemands, d'Anglais, de Polonais, de Valaques, surtout de Hongrois. La concentration eut lieu à Bude. Sigismond aurait préféré attendre les Turcs ; il n'avait pas confiance dans cette armée disparate. Mais les chevaliers français voulaient tout de suite une bataille.

Pour attaquer les Turcs sur la rive droite du Danube, l'armée passa le fleuve près d'Orsova, puis avança de Widdin à Nicopoli. L'insouciance était si grande, que Bajézid put s'approcher des croisés sans qu'ils s'en doutassent. Le 25 septembre 1396, cent mille chrétiens se rencontrèrent avec cent dix mille Turcs. Pour s'entraîner, les Chrétiens massacrèrent avant la bataille tous leurs prisonniers musulmans. Les Français attaquèrent à leur guise ; ils foncèrent droit sur l'ennemi ; mais les Turcs se refermèrent sur eux, tandis que la plus grande partie de l'armée de Sigismond lâchait pied. On dit que les croisés avaient tué trente mille infidèles. Bajézid, exaspéré par ses pertes, fut impitoyable. Jacques de Heilli, qui savait le turc, lui désigna les seigneurs les plus puissants et les plus riches. En leur présence, les autres prisonniers défilèrent. Bajézid les regardait un petit, faisait un signe et les janissaires les tuaient à mesure. Il n'y eut pas plus de vingt-quatre chevaliers épargnés. Emmenés au fond de l'Asie Mineure, ils attendirent neuf mois leur rançon[19].

Le siècle finissait mal pour la Chrétienté, troublée dans son chef et dans ses membres. Le scandale du Schisme s'invétérait ; en Angleterre et en Allemagne, la foi était menacée par des hérésies. A l'Orient de l'Europe, la Croix a été vaincue, et ne cesse de reculer. Partout, la société a été troublée par la lutte des petits contre les grands. L'ordre politique est ébranlé : un roi a été détrôné en Angleterre, un autre en Allemagne. Et la France, avec son roi fou, ses princes occupés de leurs intérêts et de leurs ambitions est menacée d'une guerre civile ; la paix avec l'Angleterre est gravement compromise par la chute de Richard II ; la soustraction d'obédience déchire l'Église du royaume. Parmi les grands projets faits par le roi ou les princes, presque aucun n'a réussi. Il a été fait beaucoup de folies et dépensé beaucoup d'argent, et de grands malheurs s'annoncent pour l'avenir.

 

 

 



[1] OUVRAGES À CONSULTER. Wallon, Richard II, 1864. Trevelyan, England in the age of Wycliffe, 1899. Himly, Histoire de la formation territoriale des États de l'Europe centrale, 1876. Lindner, Geschichte des deutschen Reichs unter König Wenzel, 1880 et Deutsche Geschichte unter den Habsbürgern und den Luxembürgern, II, 1893. Leroux, Recherches critiques sur les relations politiques de la France et de l'Allemagne de 1378 à 1450, 1898. Durrieu, Les Gascons en Italie, 1885. N. Valois, La France et le Grand Schisme, 1896. Cipolla, Storia delle Signorie dal 1313 al 1530, 1881. Perrens, Histoire de Florence, VI, 1883.

[2] Sur la première maison d'Anjou, voir Histoire de France, II, 2e partie. — La première maison d'Anjou, dont le chef fut Charles Ier d'Anjou, frère de saint Louis, ne possédait plus l'Anjou, qui avait été cédé par Charles II d'Anjou à Charles de Valois, réuni au domaine à l'avènement de Philippe de Savoie et donné par Jean le Bon à son fils Louis, chef de la seconde maison d'Anjou. Mais elle avait, hors de France, des possessions, titres, droits et alliances fort étendus. Elle régnait à Naples et en Provence. Elle avait in partibus le royaume de Jérusalem, par suite de l'acquisition que Charles Ier avait faite des droits de Marie d'Anjou. Deux princes angevins portèrent le titre d'Empereur de Constantinople et régnèrent en Achille. Charles, dit Martel, petit-fils de Charles devint roi de Hongrie, † en 1295 ; son fils, Charles Robert, roi de Hongrie, † 1342, épousa Élisabeth de Pologne ; son petit-fils, Louis le Grand, † 1382, fut roi de Hongrie et de Pologne. Il ne laissa que des filles : l'une, Marie, épousa Sigismond de Luxembourg, le futur empereur, qui fut roi de Hongrie ; une autre épousa Josellon, grand-duc de Lithuanie, qui devint roi de Pologne. Charles, duc de Durazzo (en Albanie), était le petit-fils de Jean, huitième fils du roi de Naples, Charles II.

[3] OUVRAGES A CONSULTER. D. Plancher, Histoire de Bourgogne, III, 1748. Terrier de Loray, Jean de Vienne, 1878. Moranvillé, Étude sur la vie de Jean le Mercier, 1878. De la Roncière, Histoire de la marine française, II, 1900. De Circourt, Le duc Louis d'Orléans, frère de Charles VI, Revue des Questions historiques, XLI, 1887.

[4] Ces pièces sont conservées aux Archives Nationales, J, 522, 16, et publiées dans Douët d'Arcq, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, I, p. 78.

[5] Sur cette expédition, voir Lindner, Der Feldzug der Franzosen gegen Iälich und Geldern, Monatschrift für Rhein-Westfaslische-Geschichtsforschung, II, 1878.

[6] OUVRAGES À CONSULTER. Moranvillé, Étude sur la vie de Jean le Mercier, 1888. Jarry, La vie politique de Louis d'Orléans, 1889. Battifol, Jean Jouvenel, 1890. D. Vaissette, Histoire générale de Languedoc, IX, 1885.

[7] Sur le mariage de Valentine Visconti, voir Faucon, Le mariage de Louis d'Orléans et de Valentine Visconti, Archives des Missions scientifiques, 3e série, VIII, 1882, et Jarry, Actes additionnels du contrat de mariage de Louis d'Orléans et de Valentine Visconti, Bibliothèque de l'École des Chartes, LXII, 1901. Cet article donne la bibliographie des travaux italiens les plus importants sur la question.

[8] OUVRAGES À CONSULTER. Durrieu, Le Royaume d'Adria, Revue des Questions historiques, XXVIII, 1880, et Les Gascons en Italie, 1885. Jarry, La Vie politique de Louis d'Orléans, 1889, et La Voie de fait et l'alliance franco-milanaise, Bibliothèque de l'École des Chartes, LIII, 1892. Moranvillé, Conférences entre la France et l'Angleterre, 1388-1393, Bibliothèque de l'École des Chartes, L, 1889. N. Valois, La France et le Grand Schisme, 1896. De Circourt, Le duc Louis d'Orléans, frère de Charles VI, Revue des Questions historiques, XLI, 1887.

[9] N. Valois, La France et le Grand Schisme, II, p. 179.

[10] OUVRAGES A CONSULTER. Moranvillé, Étude sur la vie de Jean le Mercier, 1886. J. Lefranc, Olivier de Clisson, 1898.

[11] SOURCES. Cosneau, Les Grands traités de la guerre de Cent Ans, 1889. L'Entrevue d'Ardres, texte publié par P. Meyer et S. Luce, Annuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1881.

[12] D'autre part de longues négociations finirent par régler les litiges que la mort de Charles le Mauvais, le 1er janvier 1387, avait laissés en suspens entre le roi de France et le nouveau roi de Navarre. En vertu du traité conclu en 1404, Charles III renonça aux terres que son père avait possédées en Normandie en échange de rentes sur divers domaines de Champagne, Bourgogne et Gâtinais, qui formèrent le duché de Nemours.

[13] SOURCES. Chronique d'Antonio Morosini, éd. Lefèvre-Pontalis, I, 1898.

OUVRAGES À CONSULTER. Jarry, Les Commencements de la domination française à Gênes, 1897.

[14] SOURCES. Le P. Ehrle a publié dans l'Archiv für Literatur and Kirchengeschichte, IV, V, VI et VII, 1889-1893, une série de documents très intéressants pour l'histoire du Schisme et de Benoît XIII. Toutes les sources sont du reste citées avec grand soin dans l'ouvrage de M. N. Valois, signalé ci-dessous, qui est désormais le meilleur guide pour toute cette histoire.

OUVRAGES A CONSULTER. Th. Malter, Frankreichs Unionsversuch, 1393 bis 1398, 1885. Kehrmann, Frankreichs innere Kirchenpolilik von der Wahl Clemens VII bis zum Pisaner Koncil, 1890. Jarry, La vie politique de Louis d'Orléans, 1889. Valois, La France et le Grand Schisme d'Occident, II et III, 1896-1901. Salembier, Le Grand Schisme d'Occident, 1900. Schwab, Johannes Gerson, 1858. Tschackert, Peter von Ailli, 1877.

[15] N. Valois, La France et le Grand Schisme, III, p. 37.

[16] N. Valois, op. cit., III, p. 72.

[17] Peu à peu les papes avaient accaparé, sous prétexte de réserves, de défenses et d'expectatives ou de grâces, la nomination à un très grand nombre de bénéfices auxquels il était pourvu autrefois par élection ou par le choix des patrons Pour donner une idée de cet accaparement, il suffit de rappeler comme exemples que, le 18 novembre 1378, Clément VII avait mis à la disposition de Charles V cent canonicats et autant à la disposition du dauphin, et que le même pape abandonna à Charles VI, lors de sa visite en 1389, sept cent cinquante bénéfices.

[18] Lindner, Geschichte des Deutschen Reiches unter König Wenzel, 1880.

[19] Delaville Le Roulx, La France en Orient au XIVe siècle, 1886.