HISTOIRE DE FRANCE

TOME DEUXIÈME — LES PREMIERS CAPÉTIENS (987-1137).

LIVRE II. — LA RENAISSANCE FRANÇAISE (FIN DU XIe SIÈCLE ET COMMENCEMENT DU XIIe).

CHAPITRE IV. — LA FONDATION DES GOUVERNEMENTS SEIGNEURIAUX.

 

 

I. — L'ÉVOLUTION GÉNÉRALE DE LA FÉODALITÉ ET DES GRANDES SEIGNEURIES[1].

AU début du ne siècle, le monde féodal est, chose étrange ! moins profondément bouleversé que le monde religieux. La noblesse de France continue à déverser son trop plein hors de la frontière, mais au lieu de se répandre, comme auparavant, sur tous les points de l'Europe, elle envoie ses soldats dans une direction unique, celle de Jérusalem. Les larges saignées de la croisade l'ont débarrassée peu à peu des éléments de désordre qui s'y trouvaient, élimination salutaire dont la mère-patrie ne tarde pas à ressentir les bons effets. Lorsque les barons qui ont participé à la guerre sainte sont rentrés dans leurs châteaux, ont cédé la place à leur fils, une ère nouvelle s'ouvre pour la Féodalité, devenue moins mobile. Le régime féodal s'enracine, achève à la fois de conquérir le sol et de s'organiser, et prend définitivement possession de la société.

Cent ans après l'avènement de la dynastie capétienne, les relations des propriétaires de fiefs ont pris un caractère de régularité et de permanence où se reconnaît une institution mieux assise. Les vassaux qui ne sont unis à leur seigneur que par un lien moral et tout personnel, apparaissent de moins en moins nombreux : le vasselage réel, fondé sur la possession de la terre, a prévalu, au contraire, sur tous les points. Quant à l'hérédité du fief, elle s'impose avec une force décidément irrésistible. Le vassal se trouve être, plus complètement qu'autrefois, le maitre du domaine concédé, tandis que le suzerain voit diminuer son pouvoir dans la même proportion.

Cet affaiblissement de l'autorité suzeraine se manifeste avec évidence dans tous les cas où le feudataire aliène son domaine ou le transmet à ses héritiers, notamment lorsqu'il se présente une minorité, une succession féminine, une succession collatérale. Le suzerain n'agit plus, dans l'intérieur du fief, avec la nem e liberté que par le passé. Les circonstances légales qui lui permettaient de le reprendre à la famille du vassal deviennent si rares que cela équivaut presque à une dépossession définitive. Enfin la hiérarchie, l'organisation qui étage les seigneuries en les subordonnant les unes aux autres, est devenue plus régulière et plus fixe. Le s titres féodaux, tels que ceux de seigneur, de vicomte, de comte, de duc, commencent à recevoir une signification propre, à désigner des situations déterminées. Entre le haut seigneur de chaque province et la masse de la féodalité inférieure, directement sujette des baronnies intermédiaires, le contact a presque entièrement cessé : un mur, difficile à franchir, sépare désormais le suzerain des arrière-vassaux.

Telles sont les grandes lignes de l'évolution qui s'est produite dans l'ensemble des fiefs français. Mais si l'on considère, en particulier, les seigneuries de premier ordre, ces États souverains qui entourent le domaine royal, et dont les possesseurs rivalisent, en puissance, avec le Roi, on constatera sans peine des transformations aussi décisives. Au XIe siècle, les différents groupes régionaux de la France offraient l'aspect de nations distinctes, d'un particularisme accentué, séparées par le type physique, le dialecte, les habitudes d'esprit et les mœurs, par cet ensemble de pratiques juridiques qui constituaient la coutume locale, enfin par des haines de race singulièrement persistantes. Le caractère ethnique dominait ; les provinces qui correspondaient aux grands fiefs étaient, avant tout, des peuples. Au XIIe siècle, si les différences commencent à peine à s'atténuer, il semble que ces fortes individualités provinciales aient acquis plus de stabilité et se renferment plus régulièrement dans un cadre territorial. Le duché ou le comté devient un pouvoir réel, s'exerçant dans des limites géographiques mieux déterminées ; la dignité féodale s'allie d'une manière plus étroite au milieu naturel où elle est possédée à titre héréditaire. Le dux Normannorum ou le comes Andegavorum du temps de Robert le Pieux ne pourra plus s'appeler, sous Louis VII, que le dux Normannie et le comes Andegavie.

Un autre changement s'est accompli. Les liens qui rattachaient jadis les provinces et les dynasties féodales au chef de la Monarchie ont été à peu près rompus. Les derniers vestiges de subordination réelle qui permettaient à Hugue Capet et à son fils, sinon d'agir, au moins de paraître dans les grands fiefs, ont disparu. Les groupes féodaux de premier ordre, par l'effet de la consolidation héréditaire, ont l'allure d'États indépendants, fermés à toute influence extérieure, mais surtout à l'action du Roi. Les rapports des hauts feudataires avec celui qui porte la couronne sont réduits au minimum. Et cette transformation politique se reflète déjà dans les titres officiels et les formules. Nos princes féodaux du XIIe siècle cessent de s'intituler comtes du Roi, comtes du royaume, comme le faisaient encore parfois les hauts barons de rage précédent. La Féodalité repousse jusqu'à ces dénominations archaïques qui rappelaient le temps bien passé où les comtes et les ducs se considéraient encore comme des agents de la Monarchie.

La durée même des dynasties héréditaires dans les grands fiefs a produit une concentration et comme une soudure morale des éléments qui les constituaient. Bien que les vassaux soient devenus plus maîtres de leur fief, il s'établit pourtant, entre eux et le suzerain, une solidarité jusqu'ici absente ou fort rare. Le comté ou le duché du XIe siècle n'était guère qu'une juxtaposition de petits fiefs, plus ou moins étrangers et hostiles les uns aux autres. Au XIIe, chaque province tend à devenir un tout, acquiert la conscience de certains intérêts communs et le sentiment, vague encore, de son unité.

Les assemblées de barons, de prélats et de chevaliers que la loi féodale appelle autour du suzerain se réunissent plus souvent qu'autrefois, soit pour prendre des mesures d'intérêt général, applicables à la région entière, soit pour constater et fixer la coutume, c'est-à-dire les usages communs à tous, mais par cela même, elles attestent l'existence et l'unité du groupe. Ici encore, les formules des documents de chancellerie démontrent le fait accompli et mettent l'évolution en lumière. Le chef d'État, contemporain de Hugue Capet ou de Robert, se contentait d'attacher à son titre le nom du comté principal où se trouvait sa résidence habituelle : les comtes de Champagne, par exemple, s'appelaient simplement comtes de Troyes, de Bar ou de Vitri. L'expression collective désignant la province entière comprise sous leur suzeraineté, comes Campanie, n'apparaît, dans leurs actes officiels, qu'au temps de la première croisade. Leur chancellerie n'en connaîtra pas d'autres à la fin du siècle suivant. À cette unification morale de nos grands fiefs ont contribué certains faits historiques, la croisade surtout. En obligeant les hommes de chaque province à se ranger sous la bannière du suzerain, à le suivre pendant deux années consécutives, à vivre, à combattre et à souffrir avec lui, elle a resserré et renforcé le lien qui les unissait. De retour au pays natal, les chefs de groupe ont continué à bénéficier des habitudes prises et de l'entente déjà établie.

La politique raisonnée des hauts barons a fait le reste. Ceux qui ont vécu et agi dans la période postérieure à la croisade ne ressemblent pas tout à fait à leurs devanciers. Au ne siècle, on ne voyait guère que des aventuriers batailleurs et des conquérants qu'une agitation brouillonne jetait sans cesse sur toutes les routes. Au me, on commence à trouver, parmi les ducs et les comtes, des souverains d'humeur moins vagabonde, pour qui la guerre n'est pas le but suprême, qui essayent de légiférer et de gouverner. Le tempérament de la haute féodalité s'est assagi. Aux dominations seigneuriales vont succéder, dans certaines provinces, les gouvernements seigneuriaux.

Durer et conserver le fief intact, tel sera le premier souci de ces familles princières, capables maintenant d'idées politiques et pourvues plus ou moins de l'esprit de suite qui permet de les réaliser. Sans doute, la permanence d'une dynastie est avant tout une question de chance. La maison des comtes de Champagne eut la bonne fortune d'être représentée par des héritiers mâles jusqu'à la fin du mn° siècle, tandis que celle des ducs d'Aquitaine s'est éteinte avant le milieu même du XIe. Mais il est des mesures d'ordre politique qui aident les dynasties à maintenir au moins leur domination entière et à en assurer l'unité. La plupart de nos chefs d'États travaillent à supprimer la coutume des partages et à faire passer en loi la transmission totale de la seigneurie à l'aîné des descendants masculins. L'histoire atteste la supériorité des fiefs, comme le duché de Normandie et le comté de Flandre, où de bonne heure le droit d'aînesse fut régulièrement compris et pratiqué, où le domaine, par suite, resta compact et le pouvoir indivisible.

Il ne suffit pas de garder le fief. Les barons du XIIe siècle aspirent encore à l'augmenter : ils veulent accroître leurs revenus et étendre leur influence. La préoccupation continue des acquisitions territoriales, l'âpreté au gain, la chasse à la terre, tel est le trait dominant de la haute féodalité dans toutes les provinces de France. Achats ou échanges avantageux, mariages fréquents, cumul des dots, vols faits aux églises, extorsions commises aux dépens des barons voisins, des suzerains ou des vassaux, tous les moyens lui sont bons pour s'agrandir. Dans l'âge précédent, la même passion poussait les ducs et les comtes aux mêmes procédés, mais il y a cette différence qu'au XIIe siècle, les conquêtes, plus réfléchies, s'opèrent sur un plan plus rationnel. Jadis, les acquisitions, légales ou non, se faisaient au hasard et sans ordre ; partout où le baron voyait une terre bonne à recueillir ou à prendre, fût-elle à cent lieues de son domaine, il y courait, sans penser à l'inconvénient des possessions excentriques. Maintenant, le sentiment de l'unité du fief et de l'avantage qu'on trouve à posséder un domaine compact l'obligent. à plus de méthode. Il convoite surtout ce qui, au dehors, touche à sa terre, et ce qui, au dedans, pourrait l'aider à combler les vides.

Quelques grands seigneurs veulent enfin, souci qu'on n'avait guère autrefois, agir en administrateurs, en souverains. Est-ce par esprit d'ordre et pour rendre leur domination plus acceptable ? Peut-être, mais surtout pour la faire plus lucrative et plus solide. Ils ont compris que le meilleur moyen d'accroître la force d'une seigneurie et les profits qui en reviennent est de l'organiser et de la régir de façon à ce qu'elle soit prospère. L'administration de ce temps n'est que de l'exploitation, mais encore faut-il qu'elle soit intelligente pour être fructueuse. Aussi voit-on les princes fonder des marchés et des villes neuves, faire des concessions intéressées aux bourgeoisies, développer graduellement et surveiller leur système administratif.

La prospérité matérielle ne peut se passer d'ordre et de paix. Il faut que l'autorité du haut suzerain soit respectée par les sujets et surtout par les vassaux. Le duc ou le comte est donc amené à faire la police dans sa province, à interdire ou à limiter les guerres privées, à mettre la main sur les châteaux, à exiger l'obéissance des châtelains, en d'autres termes, à réprimer l'instinct féodal. La lutte des hauts barons contre la Féodalité ! spectacle inattendu que nous offrent tous les grands fiefs, avec les différences que comportent le tempérament des chefs d'État, la situation géographique de la province et les obstacles variables qui peuvent entraver l'action gouvernementale. Ces grands seigneurs reconstituent l'ordre social que leurs pères du Xe siècle avaient détruit. Mais ils ne se doutent pas qu'ils travaillent pour le roi de France, et qu'un jour viendra où les petites unités provinciales, qui sont leur œuvre, disparaîtront au sein de la grande, absorbées par l'ennemi héréditaire de tous les pouvoirs féodaux.

 

II. — L'ÉTAT FLAMAND[2].

LE comte de Flandre Robert II, le Jérosolymitain (1093-1111), fut l'un des héros de la croisade et, nous l'avons vu, un héros sans reproche, du petit nombre de ceux qui combattirent sans égoïsme pour l'idée religieuse. À certains égards, il représente encore le type féodal du XIe siècle ; fils aîné de Robert le Frison, il a hérité de lui l'esprit d'aventure et l'amour du mouvement. Mais il met son humeur batailleuse au service d'autrui et se dévoue pour les causes qu'il adopte. Allié fidèle des papes, partisan des revendications pontificales, il lutte pour la réforme, entre en guerre contre Henri IV et subit, à plusieurs reprises, la colère de l'Empereur et les ravages des Impériaux. Ami de la France capétienne, il se bat pour le compte de Louis le Gros, son suzerain, avec les Anglais et les Champenois coalisés, et meurt victime de son zèle, écrasé et noyé sous les débris du pont de Meaux que le poids de ses chevaliers a fait crouler (1111). Brave soldat, qui passa sa vie sous la cotte de mailles, sans être pourtant comme son père, à proprement parler, un conquérant. Il enleva Douai au Hainaut et resta pendant quelque temps, au temporel, le maitre de l'évêché de Cambrai. Voilà tout ce qu'il gagna à se sacrifier pour les autres. Avec lui commence pourtant la série des comtes de Flandre qui ont essayé de rétablir l'ordre public. Il a senti la nécessité d'accorder des privilèges à certaines villes. L'année même de sa mort, il réunissait ses grands dans une assemblée générale et les obligeait à jurer la paix.

A peine son successeur, Baudouin VII Hapkin, ou la Hache, est-il couronné qu'il convoque les seigneurs flamands à Arras, leur fait prêter, une fois de plus, sur les reliques des saints, le serment de respecter l'ordre, et édicte les peines les plus rigoureuses centre les perturbateurs de la paix. Défense à tous les Flamands de porter des armes à moins qu'on ne soit bailli, châtelain ou officier du prince. Pour les coups et blessures, la peine du talion. Pour la violation nocturne de domicile, l'incendie ou la menace d'incendie, la peine de mort. Si le coupable allègue le cas de légitime défense, qu'il prouve son dire par le duel, par l'épreuve de l'eau ou celle du fer rouge. Les officiers du comte qui ont commis des délits punissables d'une amende la paieront double. Législation assez dure pour une noblesse habituée à ne tenir aucun compte de la vie et de la propriété des autres ! Mais Baudouin sait que les lois ne sont rien, s'il ne se trouve personne qui ait l'énergie de les appliquer. Ce juge de paix très rude exécute lui-même ses arrêts, et sa justice est des plus sommaires. Un noble a détroussé des marchands qui se rendaient à une foire : il le fait pendre, lui et ses complices, dans la prison de son château de Wynendale. Une vieille femme se plaint à lui qu'un chevalier lui ait volé deux vaches : Baudouin fait aussitôt arrêter le coupable. On réclame sa grâce, on supplie le comte de ne pas appliquer à un noble la peine légale des yeux crevés ou celle de la pendaison. « Ni l'une ni l'autre », répond le justicier, et il le fait jeter tout armé dans une chaudière d'eau bouillante, préparée pour des faux monnayeurs. Ces traits d'histoire sont-ils en partie légendaires ? On y trouve du moins la preuve que la justice de Baudouin était redoutable et que le peuple ne l'oublia pas.

A l'exemple de son suzerain et ami, le roi de France, Louis le Gros, il démolissait les châteaux et luttait contre les ligues féodales, notamment celles que nouèrent contre lui les comtes de Saint-Pol et les seigneurs de Hesdin. Quand il avait fini de pacifier son fief par la terreur, il se battait avec la même fougue contre ses voisins. Blessé d'un coup de lance dans une guerre faite aux Normands qu'il détestait, il languit près de dix mois, envenima son mal par son intempérance et mourut, en 1119, d'une paralysie générale. Il n'avait pas trente ans. Faute d'héritier direct, il avait désigné, pour lui succéder, son cousin-germain et son conseiller, Charles le Danois ou Charles le Bon, et ce choix fut ratifié d'enthousiasme par les seigneurs et le peuple flamands.

Le nouveau comte de Flandre était, comme ses prédécesseurs, un homme de guerre des mieux trempés. Il avait pris une part brillante à la première croisade. Sous le règne de Robert II et de Baudouin VII, il fut de toutes les expéditions militaires que ces princes dirigèrent pour le roi de France ou contre l'empereur allemand. En 1119, son avènement au comté soulève les colères de certains prétendants évincés. On voit se former contre lui une ligue formidable où entrent la veuve de Baudouin VII, Clémence de Bourgogne, le duc de Basse-Lorraine, le comte de Boulogne, les seigneurs de Hesdin et de Coud. Charles tient tête à l'orage, et avec une vigueur et une promptitude qui déconcertent les coalisés. En quelques mois, ses ennemis sont battus, rejetés dans leurs domaines, poursuivis, dépouillés et contraints à demander grâce. La haute noblesse ne bougea plus. Bientôt ce fut le tour des petits châtelains.

Moins brutal comme justicier que Baudouin à la Hache, Charles se montra aussi inexorable pour la répression des excès féodaux. Dans un pays où les guerres privées étaient journalières, où le brigandage devenait, pour la noblesse, une profession, où le mot miles est employé par certaines chroniques comme synonyme du mot latro, il fallait bien frapper sans relâche les violateurs de la paix et rendre la sécurité aux faibles. Charles renouvelle la défense toujours enfreinte de porter des armes. Par son édit de lin il décrète que personne ne pourra désormais paraître armé, soit dans les marchés, soit dans les lieux fortifiés. Quiconque enfreindra l'ordonnance sera frappé avec ses propres armes. Et le comte ne fait pas que légiférer, il agit. L'avoué de Thérouanne menaçait de sa forteresse l'évêque et les bourgeois de la cité. Charles accourt et rase le château. Les seigneurs pillards qui ravagent les terres de l'évêque de Cambrai reçoivent, eux aussi, un avertissement salutaire.

A Bruges, résidence du comte, cœur de la seigneurie flamande, une guerre privée, presque permanente, met aux prises deux partis qui se détestent. Il n'est pas de jour où le sang ne coule dans les rues et dans les campagnes avoisinantes : et ce sont les paysans surtout qui payent pour tous. Un jour, dit le chroniqueur Galbert, deux cents de ces malheureux viennent trouver le comte secrètement, pendant la nuit, se prosternent à ses pieds et le supplient de leur accorder, comme à l'ordinaire, son secours paternel. Ils demandent qu'on leur rende ce qu'on leur a pris : leur bétail, leur argent, les meubles de leur maison, tout ce qui leur a été volé par les neveux du prévôt de Saint-Donatien de Bruges et surtout par Bouchard, le plus turbulent de cette race de chevaliers incorrigibles. Le lendemain, par arrêt de la justice comtale, Bouchard était mis au ban et sa maison livrée au feu.

A entendre les historiens de Charles le Bon, la Flandre, grâce à sa vigilance et à sa justice, aurait fini par jouir d'un calme profond, d'une prospérité inouïe : le retour à l'âge d'or. Il suffit de dire que son gouvernement avait obtenu une tranquillité relative, favorable aux paysans et aux bourgeois, et que le commerce et l'industrie se développaient. Bien que ses rapports avec les villes ne soient pas très bien connus, on sait qu'il confirma les statuts de l'Amitié d'Aire, accorda des privilèges aux Gantois et limita à Saint-Omer la juridiction que le Clergé exerçait sur la bourgeoisie. Ne voyant dans les nobles que les adversaires acharnés de la paix, il témoignait aux classes déshéritées une préférence évidente : d'où sa popularité et les complaintes naïves que sa mort suscita. Sa renommée dépassa les limites du comté. En 1125, à la mort de l'empereur Henri V, l'archevêque de Cologne et une minorité de princes allemands lui offrirent la couronne impériale. Mais Charles, esprit pratique, sachant bien qu'il ne pourrait entrer en concurrence avec le duc de Souabe, Lothaire de Supplinbourg, la refusa. Il n'accepta pas davantage la royauté de Jérusalem[3], cadeau périlleux qui ne pouvait plaire qu'à un coureur d'aventures. La tâche qu'il avait à remplir, en Flandre, lui suffisait.

Il inspirait au Clergé et au peuple, qu'il protégeait si bien, une affection sans limites. Mais la Noblesse, comprimée, rongeait son frein. Charles ayant commis l'imprudence de vouloir ramener à la condition servile, dont elle était sortie, la puissante famille de Bertoul, prévôt de Saint-Donatien et chancelier, les haines accumulées éclatèrent. Cette famille, prépondérante dans Bruges, était un des plus grands obstacles au rétablissement de la paix. Elle personnifiait la féodalité incoercible, rebelle à toutes les mesures d'ordre. Les neveux de Bertoul, parmi lesquels était ce Bouchard que le comte avait condamné, organisèrent une conspiration et résolurent de tuer le tyran.

Le 2 mars 1127, dit Galbert de Bruges, le jour fut si sombre et si nébuleux qu'on ne pouvait rien distinguer à la distance d'une longueur de lance. Bouchard envoya secrètement quelques serviteurs dans la cour du comte, chargés d'épier son départ pour l'église. Au dire de ses chapelains, Charles avait mal dormi ; on l'avait entendu se retourner souvent dans son lit, se coucher sur le côté, puis s'asseoir, l'esprit troublé de mille soucis. Levé de grand matin, il fit, selon son habitude, dans sa maison, des distributions aux pauvres, puis se rendit à l'église Saint-Donatien. Ceux qui guettaient sa sortie coururent annoncer aux traîtres que le comte était monté dans une tribune avec un petit nombre de compagnons. Alors le furieux Bouchard, ses chevaliers et ses serviteurs, prirent leurs épées nues sous leurs manteaux et suivirent le comte dans cette même tribune. Ils s'étaient partagés en deux bandes, postées aux deux issues de la tribune pour que personne ne pût leur échapper. Et voilà qu'ils aperçurent le comte prosterné selon sa coutume, sur un humble escabeau, devant l'autel. Il chantait les psaumes, les yeux attachés sur le saint livre, la main droite étendue pour distribuer ses aumônes. Son chapelain, préposé à cet office, avait l'habitude de placer près de lui beaucoup de deniers qu'il donnait, tout en faisant ses oraisons.... Une pauvre femme survient, lui demande l'aumône et reçoit treize deniers. Tout à coup, elle s'écria : Seigneur comte, prenez garde. Le comte lève la tête pour voir ce qui le menaçait : Bouchard, qui l'avait approché sans bruit, le frappe d'un violent coup d'épée au front et fait jaillir sa cervelle sur le pavé. Cette seule blessure avait suffi, mais les complices du meurtrier se précipitent à leur tour, criblent de coups la tête du comte et lui tranchent presque le bras droit.

Ainsi tomba Charles de Danemark, victime non de sa foi religieuse, mais de l'idée politique qui poussait partout alors les hauts barons à réorganiser l'état social et à combattre ceux qui le troublaient. Le Moyen âge a vu en lui le véritable héros chrétien et l'a vénéré comme un martyr[4]. Fortune extraordinaire pour un baron ! Elle s'explique par les circonstances mêmes qui ont amené sa mort. Il fut frappé par des assassins, dans une église, au moment où il priait. Le fait eut un retentissement immense. Les moines et les clercs ont raconté la vie et surtout la mort de Charles le Bon, plutôt en panégyristes qu'en biographes. Ils s'étendent longuement sur ses vertus privées, ses œuvres pieuses, ses largesses envers les pauvres. À peine laissent-ils entrevoir vaguement que le successeur de Baudouin la Hache a continué sa politique, et que, par de nouvelles victoires remportées sur les vassaux, le pouvoir des comtes de Flandre s'est fortifié entre ses mains.

 

III. — L'ÉTAT NORMAND. ROBERT COURTE-HEUSE ET HENRI BEAUCLERC[5].

IL y avait longtemps qu'un travail analogue s'accomplissait dans le grand fief limitrophe de la Flandre, le duché de Normandie. Guillaume le Conquérant, renforçant le pouvoir ducal de l'autorité acquise en Angleterre, avait dompté toute résistance au profit de la paix. La féodalité de la Basse-Seine, autrement redoutable que celle de l'Escaut, s'était exilée ou résignée à l'inaction. La tranquillité eût été grande, dans le duché, si le Conquérant n'avait dû réprimer les révoltes des membres de sa propre maison.

Duc et roi, il n'avait jamais consenti à céder à aucun de ses fils la moindre parcelle de sa double autorité. Ses différends avec l'allié, Robert Courte-Heuse, nous sont connus. Quand il mourut (1087), une partie de son œuvre politique fut remise en question. Tout au moins, l'unité de l'empire anglo-normand se trouva brisée. Le duché de Normandie, dévolu à Robert, fut détaché du royaume anglais et recouvra, pour une période de dix-neuf ans (1087-1116), son existence indépendante. C'est par la volonté expresse du père que l'acné dut se contenter de la couronne ducale et laisser son frère, Guillaume le Roux, prendre possession du royaume. Le Conquérant avait dérogé à la loi civile qui prévalait dans la plupart des grands fiefs parce qu'il considérait l'Angleterre comme la partie essentielle de son empire et qu'il se défiait, à bon droit, de son fils ainé. La domination de Robert fut, en effet, une période d'anarchie et de troubles profonds.

Chevalier et rien que chevalier, Robert était du type de ceux qui parlent et agissent dans les chansons de geste. Il en avait l'humeur belliqueuse et la bravoure à toute épreuve : on s'en aperçut dans la croisade, où il s'était engagé d'enthousiasme, où il se plaça au premier rang des chefs par ses hauts faits.

Au physique, il n'avait rien du héros de roman : de petite taille, court de jambes (d'où vient son surnom), avec un corps gros et trapu, et une large face assez avenante. Les chroniques parlent de sa voix forte, bien timbrée, et de sa remarquable facilité de parole. Nature sympathique, en somme, car on trouve chez ce soldat quelque chose qui manquait à ses frères et à la plupart des barons : une âme bonne et généreuse. Ni cruel ni vindicatif : au contraire, incapable de rancune et sans cesse disposé à pardonner. Cette douceur de mœurs, dans le milieu sauvage où il vivait, passait pour faiblesse incompréhensible. Lorsque les habitants de Rouen complotèrent de livrer leur ville au roi Guillaume le Roux (1090), Robert, vainqueur des rebelles et maître de la situation, aurait, si on l'avait écouté, laissé la vie sauve aux conspirateurs les plus compromis, tandis que son frère Henri, qui l'avait aidé à triompher, prit un vif plaisir à précipiter du haut d'une tour le chef de la bourgeoisie rouennaise. Les deux frères, appelés à devenir bientôt deux ennemis, offraient le plus vivant contraste. Henri passa sa vie à thésauriser et Robert à jeter l'or à tous venants.

Celui-ci poussa jusqu'au vice la largesse, cette vertu du chevalier, donnant tout ce qu'il avait, promettant tout ce qu'il n'avait pas. Du vivant de son père et, plus tard, lorsqu'il fut duc, son existence fut une mendicité perpétuelle. Vraie tête folle, il se laissait exploiter par tous ceux qui l'approchaient et surtout par la tourbe de filles et de bouffons qu'il invitait à ses orgies. S'il faut en croire Orderic Vital, il arriva à ce possesseur du plus riche duché de France de rester toute une journée dans son lit parce qu'il n'avait pas de quoi s'habiller et qu'il ne pouvait pas aller tout nu entendre le service religieux. Ses maîtresses et ses amis lui avaient volé ses vêtements, jusqu'à ses braies et à ses chausses, sachant bien qu'il ne se plaindrait pas. Guillaume le Conquérant avait prévu, avant de mourir, que ce vaurien (nebulo) ferait un détestable chef d'État.

Pendant les dix-neuf ans que Robert Courte-Heuse occupa le trône ducal, la Normandie se désagrégea. Le domaine particulier des ducs, dilapidé, vendu, aliéné de toutes manières, fondit entre ses mains. L'autorité du haut suzerain déclinant, la Féodalité reprit ses habitudes de pillages et de guerres privées. La puissante famille de Bellême ou de Talvas, qui dominait de ses châteaux et tyrannisait toute la Haute-Normandie, s'imposa à Courte-Heuse et devint la véritable maîtresse du duché et du duc. Robert de Bellême, brigand fort intelligent, mais féroce, dont la cruauté raffinée épouvantait une population pourtant très rude, put déchaîner ses fureurs tout à son aise. Le désordre s'accrut au point que la Normandie, placée entre le désir de rester indépendante, sous une dynastie spéciale, et le besoin de paix et de sécurité, n'hésita plus. Elle se tourna vers l'Angleterre. Du moins les clercs et les bourgeois demandèrent à être gouvernés.

Les rois d'Angleterre, Guillaume le Roux (1087-1100), et après lui Henri Beauclerc, n'aspiraient qu'à reconstituer l'édifice élevé par leur père en réunissant le duché et le royaume. Robert commit l'imprudence de donner prise à leurs attaques. Incapable d'administrer son État, il eut l'ambition d'en gouverner deux. À plusieurs reprises, notamment en 1101, il essaya sans succès de reprendre, au nom de son droit d'aînesse, la couronne anglaise. Dès lors sa perte était certaine.

A l'inverse de ce qui s'était passé en 1066, ce fut l'Angleterre qui procéda, cette fois, à la conquête de la Normandie. Déjà Robert avait été obligé de céder à Guillaume le Roux une notable partie du territoire ducal, les comtés d'Aumale et d'Eu. Henri Beauclerc s'empara progressivement du reste, si bien qu'à la fin le malheureux duc n'était plus reconnu que dans quatre villes : Caen, Falaise, Bayeux et Rouen. Encore se voyait-il contraint de solliciter des bourgeois l'argent nécessaire à ses dépenses. Ceux-ci en vinrent à le repousser et à lui fermer leurs portes. En 1106, les circonstances semblant favorables, Henri se décida à en finir avec ce gueux. Il s'était assuré de l'assentiment du pape Pascal. Le Capétien, engagé dans une lutte difficile avec les châtelains qui entouraient Paris, ne se souciait pas d'intervenir pour sauver un duc de Normandie que les Normands eux-mêmes rejetaient.

La bataille de Tinchebrai (28 septembre 1106) fit tomber Robert Courte-Heuse entre les mains de Henri Ier. Celui-ci n'avait pas l'âme tendre et ne relâchait pas les captifs dangereux. Expédié en Angleterre, Robert y resta emprisonné jusqu'à son dernier jour, pendant vingt-huit ans. Prison assez large, à la vérité : l'ex-duc de Normandie pût s'y livrer à ses goûts de sensualité et de paresse. La tradition le représenta néanmoins encha1né dans un noir cachot, les yeux crevés.

Lorsque le pape Calixte II, rencontrant Henri Ier à Gisors (1119), lui demanda compte de sa conduite envers son frère, le Roi répondit : Je ne l'ai pas chargé de fers comme un ennemi captif ; je l'ai logé dans un de mes châteaux, comme un noble étranger, brisé par l'adversité. Je lui ai fourni en abondance la nourriture, d'autres douceurs, et un mobilier aussi varié que confortable. Puis il se justifia d'avoir conquis la Normandie : il n'en a pas dépouillé son frère, puisque Robert Courte-Heuse, en réalité, ne la possédait plus. Le duché était la proie de brigands qui le ravageaient d'une manière pitoyable. On avait cessé d'honorer les prêtres et les autres serviteurs de Dieu, et le paganisme avait presque été ramené en Normandie. Les monastères que nos ancêtres avaient fondés pour le repos de leurs âmes étaient détruits, les religieux obligés de se disperser, faute de pouvoir se nourrir. Les églises étaient livrées au pillage, la plupart, réduites en cendres ; les prêtres vivaient cachés. Leurs paroissiens s'entretuaient. La Normandie, victime de ces calamités pendant sept ans, n'offrait plus aucune sécurité pour personne. On ne saurait s'imaginer, quand on ne l'a pas vu, la quantité innombrable de meurtres, d'incendies et d'horribles forfaits qui ont désolé ce malheureux pays. En présence de tant de scélératesse, je n'ai pas voulu refuser mes services à notre Sainte-Mère l'Église et je me suis efforcé de m'acquitter d'une manière salutaire de la mission divine dont j'ai été chargé.

Que pouvait-on reprocher à cet homme qui sauvait l'Église et l'ordre public ? Le Pape consacra, de son silence, le fait accompli.

Henri Ier refaisait ainsi l'unité politique de l'empire normand et sut maintenir son œuvre intacte, malgré tous les efforts des ennemis intéressés à la détruire. La Normandie, qui vécut en repos sous cette main ferme, ne s'en plaignit pas. Seuls, les barons, qui voulaient l'indépendance du duché pour y faire régner l'anarchie, protestèrent par des révoltes. Robert Courte-Heuse avait laissé un fils, Guillaume Cliton. Pendant vingt-deux ans (1106-1128), toutes les puissances à qui l'union de la Normandie et de l'Angleterre paraissait dangereuse, se servirent de cet enfant comme d'un jouet pour séparer le duché du royaume. Le roi de France, Louis le Gros, cimenta ces haines et chercha à les exploiter dans l'intérêt de sa dynastie. Nous retrouverons l'heureux Normand sur le terrain de son duel interminable avec le Capétien. Il n'en sortira pas diminué. La Normandie resta rivée à l'Angleterre, qu'elle avait conquise, mais elle y gagna le progrès social et la paix.

 

IV. — L'ÉTAT ANGEVIN[6].

LES fondateurs de la puissance angevine, Foulque Nerra et Geoffroi-Martel, avaient surtout fait œuvre de conquérants. À la mort de Geoffroi (1060), une querelle de succession qui mit aux prises ses deux héritiers, ses deux neveux, Foulque le Réchin et Geoffroi le Barbu, faillit rendre inutiles les progrès déjà réalisés et compromettre l'avenir. Martel avait désigné Geoffroi le Barbu pour lui succéder dans le comté, car il lui avait légué l'Anjou et la Touraine, ne laissant au Réchin que des fiefs peu considérables sous la suzeraineté de son frère. Mais le Réchin n'entendait pas être soumis à son ainé et voulut intervertir l'ordre de succession. Querelleur et hargneux, comme l'indique son nom, il fit à son frère, pendant cinq ans (1064-1068), une guerre impitoyable qui couvrit de ruines les campagnes de Tours et d'Angers. Quand elle prit fin, Foulque était maitre de cette dernière ville. Geoffroi fut enfermé dans le donjon de Chinon où il végéta, à moitié fou, pendant près de trente ans. De cette lutte fratricide, l'Anjou sortait désolé et amoindri. Foulque avait laissé les Aquitains reprendre la Saintonge, cédé le Gâtinais (patrimoine du Barbu) au roi de France et reconnu, pour le comté de Tours, la suzeraineté de la maison de Blois.

A ce prix, il put régner seul, mais ne sut pas rendre à son pays la tranquillité et le prestige perdus. Non pas que cet homme ait été de tous points méprisable. Dans sa jeunesse, il s'était illustré en battant les Aquitains à Chef-Boutonne (1061). Par deux fois, il résista à Guillaume le Conquérant qui voulait lui prendre la Flèche. Il était d'ailleurs intelligent et relativement instruit comme tous les princes de sa famille[7]. Mais sa vie privée ne fut qu'un long scandale. Frère détestable, il ne semble pas, comme père, avoir beaucoup mieux valu. Il menaça de déshériter, au profit d'un fils plus jeune, son aîné, Geoffroi-Martel II, jeune homme brave, généreux, aimable, dont les chroniques n'ont dit que du bien. Contraint à la révolte, celui-ci prit Angers (1103) et força son père à partager avec lui le gouvernement du comté. Aussi populaire que le Réchin l'était peu, il aurait fini par le reléguer au second plan, s'il n'avait été tué, par trahison, au siège de Candé (1106). Foulque se trouva débarrassé si à point de ce fils incommode, que ses sujets le soupçonnèrent tout bas d'avoir aidé la chance.

Débauché et ivrogne, il épousa cinq femmes, répudia les quatre premières et ne put empêcher la cinquième, Bertrade de Montfort, de se faire enlever par le roi de France, Philippe I. Foulque en était fort épris ; mais il ne paraît avoir rien tenté de décisif pour reprendre son bien. Il fit même preuve d'une philosophie peu commune. En 1106, Philippe et Bertrade étant venus le voir à Angers, il leur fit les honneurs de son palais et les reçut avec tous les égards dus à la dignité royale. C'est peut-être à cette circonstance que Suger fait allusion, quand il nous montre le Réchin assis sur un escabeau, aux pieds de cette femme qui l'avait quitté, mais qui continuait à faire de lui tout ce qu'elle voulait, le pétrissant comme une cire molle.

Tout entier à ses vices, Foulque IV, vers la fin de sa vie, n'avait même plus le courage de faire la police dans son fief. Les chroniqueurs s'accordent à dire qu'il laissait l'Anjou en proie aux brigandages. Quelques-uns même prétendent que les voleurs, afin d'opérer plus à l'aise, l'associaient à leurs bénéfices. À ce concert de réprobation s'oppose l'éloge unique d'un moine de la Trinité de Vendôme qui rappelle en ces termes la mort du Réchin (1109) : Cette année mourut Foulque, comte d'Anjou, homme plein de piété et de miséricorde. Il fut enterré dans notre monastère de la Trinité d'Angers qu'il avait choisi lui-même pour sa sépulture.

Les vrais créateurs du gouvernement seigneurial en Anjou, Foulque V le Jeune, fils du Réchin (1109-1129), et Geoffroi le Bel (1129-1151), son petit-fils, ont fait de leur fief l'État de la France capétienne le mieux centralisé et le plus puissant.

Foulque le Jeune, a dit Guillaume de Tyr, était un homme aux cheveux roux, de petite taille, capable de supporter toutes les fatigues, très expérimenté dans l'art militaire, plein de ressources en politique, doux, humain, affable, loyal, très généreux pour les pauvres et les gens d'église. Geoffroi, d'après le moine Jean de Marmoutier, était roux comme son père, mais plus grand, avec une figure agréable, un corps maigre, nerveux et des yeux vifs. Incomparable comme soldat et chef d'armée, il n'était pas seulement un homme de guerre, mais un lettré, qui connaissait l'histoire et parlait agréablement. Aimable, généreux, sympathique même à ses ennemis, il semble avoir été populaire, comme le prouve une anecdote attribuée, il est vrai, à d'autres souverains dont la foule conserva un bon souvenir : celle du charbonnier qui rencontre son maître égaré à la chasse, le nourrit et le ramène au palais[8].

Foulque le Jeune et Geoffroi le Bel passèrent leur vie à poursuivre les violateurs de la paix publique, à dissoudre les ligues de feudataires, à assiéger et brûler les châteaux insoumis. Cette œuvre d'héroïsme leur donne une singulière ressemblance avec Louis le Gros. Le père combattit les châtelains de l'Ile Bouchard, de Doué, de Brissac, de Preuilli, de Montreuil-Bellai ; le fils fit une guerre plus rude et plus heureuse encore aux comtes de Laval, aux vicomtes de Thouars, aux seigneurs de Parthenai, de Mirebeau, d'Amboise, de Montreuil et de Sablé.

La féodalité ecclésiastique elle-même, les évêques du Mans, les chanoines de Saint-Martin, les archevêques de Tours, n'osèrent pas souvent leur résister en face. La bourgeoisie trouva en eux des maîtres autoritaires qui ne lui permirent pas de se rendre indépendante. Les citoyens d'Angers qui essayèrent, en 1114, de se révolter contre Foulque le Jeune, perdirent l'envie de recommencer. La Touraine et l'Anjou ont été, au nord de la Loire, les deux provinces où le mouvement d'émancipation urbaine s'est le plus faiblement manifesté. Non seulement il n'y fut pas question de la liberté communale : mais les grandes villes demeurèrent étroitement soumises aux officiers et aux juges du haut suzerain.

Ces comtes, si redoutés dans l'intérieur de leur fief, n'en réussirent que mieux à l'agrandir et à compléter les conquêtes de Nerra et de Martel. Ils renoncèrent pourtant aux possessions d'Aquitaine, trop éloignées, trop difficiles à garder, pour chercher à s'étendre du côté du Nord, aux dépens de la Normandie. En 1110, Foulque le Jeune prend définitivement possession du Mans. Dès lors l'unité de la puissance angevine, avec son triple élément territorial (Maine, Touraine, Anjou), est constituée pour longtemps et le duché normand entamé devient le point de mire de l'ambition de ses hardis voisins.

Foulque, qui est parvenu, un instant, à s'installer dans Alençon, porte ses vues secrètes bien au delà. Il essaie plusieurs fois de s'allier avec le roi de France et avec le jeune Cliton, son protégé, pour détacher la Normandie de l'Angleterre, ou du moins pour déterminer, dans le duché, un mouvement profitable à ses convoitises. La guerre contre Henri Ier lui réussissant mal, il penche vers celui-ci, c'est-à-dire du côté du plus fort. En 1127, le mariage de son fils Geoffroi avec l'héritière de l'empire anglo-normand, l'ex-impératrice Mathilde, lui permet d'entrevoir le succès définitif. Mariage de raison, s'il en fut ; la fiancée était une femme hautaine, peu agréable, et de quinze ans plus âgée que son mari. Mais tout devait être sacrifié à la brillante perspective de l'union des deux dynasties et des deux fiefs.

Ce grand acte politique accompli, Foulque V, appelé par les barons du royaume de Jérusalem à prendre possession de la couronne royale (1129), pouvait partir pour la Terre-Sainte. Il laissait à son fils Geoffroi un héritage réel, l'Anjou, et une succession éventuelle : le duché de Normandie et le royaume d'Angleterre.

Pour changer cette espérance en réalité, il fallut à Geoffroi le Bel dix ans d'une guerre continue et quatre invasions en règle dans la Normandie. De 1135 à 1144, on le vit lutter à outrance contre ses compétiteurs de la maison de Blois, contre la féodalité normande, contre le clergé normand, courant d'un ennemi à l'autre, revenant précipitamment en Anjou pour renverser d'un tour de main les ligues de châtelains que son absence avait fait naître, puis retournant en Normandie pour achever, de haute lutte, la conquête d'un pays qui ne voulait pas de lui. Cette persévérance et cette énergie extraordinaires eurent enfin leur récompense. Le 19 janvier 1144, Geoffroi le Bel recevait solennellement la couronne ducale dans l'église cathédrale de Rouen.

 

V. — LES GRANDS FIEFS DE BRETAGNE, DE BOURGOGNE ET DE BLOIS-CHAMPAGNE[9].

PENDANT que certains groupes féodaux de la France du Nord deviennent des États où le haut suzerain commence à faire office de gouvernant et agit avec promptitude et vigueur pour consolider son pouvoir, d'autres, comme la Bretagne, la Bourgogne, la Champagne, tardent à s'organiser et résistent à la centralisation.

La Bretagne avait été, au XIe siècle, le théâtre d'une anarchie prolongée. En 1066, la réunion des trois comtés de Cornouailles, de Nantes et de Rennes, entre les mains du duc Houel, sembla donner au pouvoir suzerain assez de consistance pour qu'il pût commencer à remplir sa tâche. Mais le chef de la seigneurie rencontrait, en Bretagne, une difficulté particulière qui l'empêcha longtemps d'y conquérir la situation que d'autres feudataires avaient su prendre. On lui disputait le titre de duc. Les baronnies locales, non contentes d'affecter, là comme partout, l'indépendance, ne cessaient de contester son droit à celui qui détenait la plus haute dignité du pays. Le duc Houel, son fils Alain Fergent, son petit-fils Conan III, ne furent occupés qu'à maintenir leur dynastie en possession de la suzeraineté, toujours méconnue par des vassaux turbulents, les comtes de Léon et de Penthièvre, les seigneurs de Porhoët, de Gaël-Montfort, de Combour, d'Ancenis, de Vitré. Pendant quatre-vingts ans (1066-1148), ils durent combattre pour l'existence : où auraient-ils trouvé le loisir de fonder un gouvernement ?

Au milieu de ces déchirements stériles, l'histoire signale l'heureuse influence d'une femme, l'Angevine Hermengarde, qui épousa Alain Fergent. Grâce à elle, le concile de Nantes (1127) décida l'abolition du droit de bris, cette odieuse exploitation des naufrages, et la suppression d'une autre coutume fort impopulaire, qui permettait au seigneur breton de s'approprier les biens mobiliers des époux décédés sans laisser d'héritiers directs.

Les trois ducs qu'on vient de nommer n'ont pris qu'une très faible part aux événements généraux de leur temps. Au moins ont-ils su bien garder, contre les puissances du dehors, l'indépendance de leur fief. Comme leurs prédécesseurs, ils ont à peine connu et voulu connaître le roi de France. Ils n'apparaissent dans l'armée royale que lorsque tout le corps des vassaux était convoqué et qu'ils ne pouvaient, sans une félonie trop criante, se dispenser d'envoyer quelques soldats. Encore, au moment de l'invasion allemande de HU, Conan III s'abstint-il sous prétexte que son fief était trop loin. Le vrai suzerain de la Bretagne, à cette époque, c'est le duc de Normandie. Alain Fergent prête l'hommage féodal à Henri Ier ; ses troupes et celles de Conan III font régulièrement partie de l'armée normande. Cette suzeraineté était devenue officielle, dès 1113, au traité de Gisors, par lequel Louis le Gros renonça, en faveur de Henri Ier, à l'hommage direct des ducs bretons, sacrifice peu coûteux, car le vasselage de la Bretagne, purement nominal, ne rapportait rien.

A l'autre extrémité de la France féodale, les destinées du duché de Bourgogne et de sa dynastie capétienne continuent à se dérouler obscurément. Le duc Hugue II, surnommé le Pacifique, avait un tempérament peu militaire et une dévotion prodigue de libéralités envers les églises. Cîteaux est l'objet de sa prédilection et les volontés de saint Bernard s'accomplissent par lui, sans obstacle. Rien de plus vide, d'ailleurs, que ce long règne de quarante et un ans (1102-1143) où l'histoire ne trouve, en fait d'événements politiques, qu'une courte apparition de l'armée bourguignonne sous la bannière de Louis le Gros, guerroyant avec la Normandie (1110), et une tentative de lutte contre de petits feudataires insolents, les châtelains de Grancey. Cependant le seigneur de Dijon commence à prendre au sérieux son rôle de justicier ; il tient régulièrement sa cour et s'efforce de régler les différends quotidiens qui surgissent entre les barons et les abbayes. Il semble même avoir essayé de mettre un peu d'ordre dans son domaine ; des mesures énergiques effrayèrent ses propres officiers, coupables de violences et d'exactions. Ici, le gouvernement seigneurial, peu secondé par les circonstances extérieures, entravé par une féodalité intraitable et par les puissances d'Église devant qui tout s'efface en Bourgogne, souffrant de la pauvreté de ses chefs et surtout de leur insignifiance, restera longtemps encore à l'état d'embryon. Il ne s'établira vraiment qu'au me siècle, sous la main des fils du roi de France, Jean le Bon.

Bien que l'histoire de la maison seigneuriale de Blois-Champagne soit mieux connue, on ne voit pas que ses chefs aient entrepris, au commencement du XIIe siècle, l'œuvre de réorganisation politique qui s'accomplissait alors en Normandie, en Flandre et en Anjou. Un membre de cette famille régnait à Blois et à Chartres, un autre à Troyes, mais ni l'un ni l'autre ne semble avoir fait d'efforts vigoureux pour fonder un gouvernement.

Hugue Ier, comte de Champagne (1093-1125), a réalisé ce prodige d'être resté en paix toute sa vie avec ses vassaux et ses voisins, ou du moins, s'il s'est battu, les chroniqueurs ne nous l'apprennent pas[10]. On ne l'a pas vu à la croisade ; confiné derrière les remparts circulaires de son château de Troyes, il n'en sort que pour visiter pieusement tous les sanctuaires célèbres de la Champagne et de la Bourgogne. Pas de souverain plus dévot, à en juger par le nombre de ses donations et de ses fondations religieuses. L'histoire ne s'est guère occupée de lui que pour ses deux mariages, qui ont l'un et l'autre mal tourné. Il avait d'abord épousé Constance, fille de Philippe Ier et sœur de Louis le Gros ; mais, en 1106, après dix ans de mariage, elle demanda à reprendre sa liberté. Le clergé royal découvrit qu'ils étaient parents à un degré prohibé et la fille du roi de France courut épouser à Chartres un des héros de la croisade, Bohémond d'Antioche, venu en Occident pour y recueillir de l'argent et des soldats. On ne voit pas que le comte de Champagne ait protesté. Il eut même le bon goût d'être absent au moment de la rupture et fit alors un premier pèlerinage à Jérusalem. Revenu dans son fief, Hugue se remarie à une femme toute jeune, Élisabeth, fille d'un comte de Mâcon, et presque aussitôt la prend en aversion et la délaisse, au point de faire scandale. Ive de Chartres l'admoneste sévèrement. Hugue, résolu à rompre quand même, part pour un second voyage en Terre-Sainte (1114) ; ce procédé lui servait à se tirer des situations embarrassantes. En 1125, il se décide à se faire Templier, et se remet en route pour un troisième pèlerinage dont il ne revint pas. Singulier personnage ! Sa mort permit au comte de Blois, Thibaut IV, de réunir sous sa main, pour vingt ans, tous les domaines de la maison.

Celui-ci, petit fils de Guillaume le Conquérant par sa mère, Adèle de Blois, étroitement mêlé aux affaires d'Angleterre et de France, protecteur attitré de la réforme ecclésiastique, bienfaiteur des moines, est devenu célèbre par ses libéralités envers l'Église et surtout par la haine implacable qu'il avait vouée aux Capétiens. Il était dans son rôle de prince féodal, et l'on dirait, tant son hostilité fut persistante, qu'il a pressenti les dangers que le développement du pouvoir monarchique devait faire courir aux grandes baronnies du royaume. Pendant vingt-quatre ans (1111-1135), il fit à Louis le Gros une guerre ininterrompue, formant contre lui des coalitions, soutenant les brigands qu'il combattait et les fonctionnaires royaux révoltés, secondant et excitant son oncle, le roi d'Angleterre, Henri Ier. Les contemporains eux-mêmes ont été frappés de cette attitude : Thibaut, le comte palatin, dit la chronique de Morigni, le second personnage de la nation après le Roi, gonflé de ses richesses et de son illustre origine, a hérité de ses ancêtres l'hostilité contre la France. Tout jeune encore, il s'est acharné à poursuivre le roi Louis de son inimitié, et le royaume, grâce aux guerres dont il est l'auteur, n'a jamais cessé d'être en feu.

Pourtant en 4411, voyant qu'il ne pouvait se venger, par lui-même, des ravages commis sur sa terre par Hugue du Puiset, il était allé, avec sa mère Adèle, implorer le secours du Roi, et ses supplications, jointes à celles des évêques, amenèrent la première expédition de Louis le Gros contre le Puiset. Débarrassé pour quelque temps d'un dangereux voisinage, Thibaut profite de ce répit pour construire sur la lisière du domaine royal une forteresse destinée à menacer perpétuellement les possessions capétiennes de la Beauce. Telle était sa façon de reconnaître les services rendus ! Le même homme, en 1115, arrêtait par traîtrise et emprisonnait pour quatre ans le comte de Nevers, Guillaume II, alors que celui-ci revenait paisiblement de la croisade organisée par l'Église contre Thomas de Marie.

Cet ennemi du Roi demanda tout à coup (1135) à rentrer en grâce quand la mort de Henri Beauclerc, son oncle, lui ouvrit la perspective d'un brillant héritage, la succession du duché de Normandie. Mais Thibaut, actif et tenace dans les petites choses, n'était pas fait pour les entreprises importantes qui exigent des résolutions énergiques et un vaste déploiement de forces. À deux reprises (1135 et 1141) il laissa échapper l'occasion de se rendre maître de la Normandie : on le vit faiblir, hésiter, se dérober et finalement laisser la place à un concurrent plus hardi, Geoffroi le Bel, l'Angevin. Louis le Gros s'était prêté à une réconciliation avec ce vassal hargneux. Affaibli par la maladie, condamné à l'inaction, et désirant, avant tout, transmettre en paix sa couronne, il désigna le comte de Champagne avec Raoul de Vermandois pour servir de tuteur à son fils. L'histoire de Louis VII montrera que la haine de Thibaut ne désarmait pas.

On verra aussi pourquoi ce grand seigneur, très religieux, chef de famille exemplaire, trouva en saint Bernard un ami chaud et un défenseur convaincu. Ses fondations pieuses, les aumônes qu'il prodiguait, l'offre qu'il fit, dit-on, à saint Norbert d'abandonner ses États et de se cloîtrer à Prémontré, expliquent assez la considération dont il jouissait auprès de l'Église. Les moines qu'il comblait lui furent reconnaissants pendant sa vie, et après sa mort (1152) l'enthousiasme des faiseurs d'éloges funèbres éclatera : Il est trépassé, ce comte Thibaut, grand par l'honneur, puissant par les armes, illustre par la naissance, sage d'esprit, clair en paroles, beau de visage. Petit avec les petits, fier avec les superbes, dur pour les méchants, joie des pauvres, il prodiguait aux moines et aux malheureux des secours, des présents, des églises, des maisons. Abélard, que le comte de Champagne avait pourtant protégé, fit contre lui ces vers cinglants : Thibaud donne beaucoup aux religieux : mais plus il vole, plus il a d'argent volé à distribuer. Mieux vaudrait qu'il ne volât pas et ne donnât rien.

Centralisés ou non, ces États seigneuriaux de la France du Nord n'apparaissent plus aussi isolés qu'autrefois. Leurs souverains ont déjà une politique extérieure, négocient avec leurs voisins, ont avec eux des entrevues, signent des traités. En particulier, les dominations capétienne, normande, flamande, angevine, champenoise, constituent une sorte d'Europe minuscule, où chaque État vise une fin particulière et poursuit ses avantages par la guerre comme par l'intrigue, où les systèmes d'alliances s'équilibrent, où les coalitions se font et se défont avec une singulière facilité. L'Anjou, qui a pour objectif l'annexion du Maine et bientôt de la Normandie, oscille, selon les besoins de sa politique, entre la royauté de Paris et celle de Londres. La maison de Blois, acharnée contre le Capétien, s'allie, pour le détruire, à l'Angleterre et à tous les ennemis de la royauté de France. Par instants, la Flandre, l'Anjou et la France capétienne se confédèrent à leur tour pour soutenir contre le roi d'Angleterre un prétendant au duché de Normandie. Mêlée confuse d'intérêts et d'appétits, où les hauts suzerains des groupes féodaux prennent l'habitude de se connaître les uns les autres, de régler la guerre et de demander à la diplomatie ce qui ne s'accordait jadis qu'à la force !

La France du Midi, celle des Aquitains et des Languedociens, reste étrangère, presque toujours, à ce qui se passe aux bords de la Loire et de la Seine. Orientée vers l'Espagne, vers la Méditerranée, vers les colonies syriennes, elle continue à vivre de sa vie propre et à former une nation à part.

 

VI. — LES DYNASTIES SEIGNEURIALES DU MIDI[11].

LES ducs d'Aquitaine et les comtes de Toulouse avaient pour vassaux des chefs de groupes ou d'États considérables. Une féodalité de cette envergure ne devait pas se laisser réduire aussi facilement que les châtelains de l'Anjou ou de la Flandre. L'unification du duché d'Aquitaine ne commencera que le jour où la monarchie anglaise des Plantagenets s'y établira et y mettra sa rude empreinte. De même l'unité ne se fera dans le Languedoc que lorsque la guerre des Albigeois aura décimé la Noblesse et permis d'installer à Toulouse un prince capétien que suivra bientôt le roi de France en personne. Pour ces deux pays, il a fallu que la force politique vint du Nord et de l'étranger.

Dès le milieu du XIe siècle, les comtes de Toulouse avaient annexé la Provence et dominaient de la Garonne aux Alpes. Mais la constitution défectueuse de leur État, cette loi de succession qui exigeait, on l'a vu, le partage du fief[12], empêchait de le gouverner avec la vigueur et l'esprit de suite, plus nécessaires en Languedoc que partout ailleurs. À cette première cause d'infériorité s'ajoutaient d'autres circonstances fâcheuses. Mal obéis de leurs grands vassaux, les comtes de la maison de Saint-Gilles n'étaient pas plus maîtres de leur bourgeoisie. Leur autorité s'arrête aux murailles des vieilles cités où l'esprit d'indépendance municipale datait d'avant le Moyen âge. Le caractère de la propriété, allodiaire plutôt que féodale, l'existence d'une aristocratie bourgeoise à peine séparée de la chevalerie et de la noblesse par une limite difficile à saisir, le développement du commerce et de l'industrie, le rôle des Provençaux et des Languedociens dans la croisade, le voisinage contagieux des communes d'Italie, tout a surexcité, chez les habitants des villes du Languedoc, l'esprit de liberté et d'insoumission. Les pouvoirs consulaires commencent à poindre. Impuissants devant la Féodalité, les comtes de Toulouse n'ont même pas la ressource de posséder les villes et. de les exploiter à leur profit.

Les difficultés extérieures compliquent et rendent pire encore cette situation. La famille de Saint-Gilles ne reste pas en possession paisible du titre de suzeraine. Les comtes de Barcelone le lui contestent en Provence, les ducs d'Aquitaine, à Toulouse et dans tout le reste de la seigneurie. Il lui faut lutter, sans relâche, contre ces redoutables voisins. Du côté des Pyrénées, le danger est moins grand, l'attaque moins vive ; les comtes de Toulouse en seront quittes, vers le milieu du XIIe siècle, pour céder aux Catalans la moitié du marquisat de Provence. Mais il n'y a pas de transaction possible avec l'Aquitain qui veut le Languedoc entier, y compris sa capitale. En 1098, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX, entre dans Toulouse et y reste trois ans. En 4414, il la reprend et la garde cette fois plus de six ans, pendant que son adversaire vivait au delà du Rhône en exilé.

Pour résister à tant de causes de ruine, les comtes de Toulouse n'avaient qu'une ressource : se tenir à poste fixe dans leur État et travailler à y consolider, de toutes façons, une autorité mal assise. Or ils se sont lancés, à corps perdu, dans la croisade. Aucune de nos dynasties féodales ne s'est autant préoccupée de la Terre-Sainte. Raimond de Saint-Gilles, s'enrôlant le premier au concile de Clermont, jurant de ne jamais remettre le pied dans sa seigneurie, donna un exemple qui fit l'admiration des contemporains, mais s'accordait mal avec les vrais intérêts de son fief. Quand il s'établit dans le comté de Tripoli, un lien permanent fut créé entre le Languedoc et l'Orient : ce qui amena les comtes de Toulouse à se désintéresser de ce qui se passait en France, autour d'eux, et à regarder sans cesse au delà de la Méditerranée. Dans l'espace de moins de cinquante ans, quatre princes de la famille de Saint-Gilles moururent en Syrie. Il semblait que le héros de cette race eût imposé à ses descendants une tradition dont ils ne pouvaient se départir. Les deux fils de Raimond, Bertrand et Alphonse-Jourdain, qui gouvernèrent successivement après lui, quittèrent l'un et l'autre leur État pour aller guerroyer en Terre-Sainte. Pons, son petit-fils, y passa sa vie entière. L'attrait invincible de l'Orient ou de l'Espagne leur faisait oublier la plus pressante des nécessités politiques, celle de rester chez eux, de se défendre et de gouverner.

Un seul, Alphonse-Jourdain, fit preuve d'activité et de sens politique pendant un règne de plus de quarante ans (1100-1148). Il parvint à reprendre Toulouse à Guillaume IX et plus tard à la défendre contre les entreprises du roi Louis VII. II lutta contre la féodalité languedocienne, soutenant habilement les habitants de Montpellier, hostiles à leur seigneur, essayant, pour faire valoir son droit de suzerain, d'unir la vicomté de Narbonne à son domaine. Son autorité était grande en Espagne où il apparut plusieurs fois, pour imposer son arbitrage aux rois chrétiens qui se battaient. Enfin, il créa la ville neuve de Montauban (1144), pour opposer aux républiques consulaires, aux anciennes cités qui échappaient à son pouvoir, le type nouveau d'une bourgeoisie moderne, privilégiée, mais directement soumise à la seigneurie et exploitée par ses agents. Alphonse-Jourdain aurait peut-être réussi à faire de son fief une vraie souveraineté, si la fièvre de la croisade ne l'avait saisi, interrompant brusquement l'œuvre entreprise. Il venait d'aborder à Saint-Jean d'Acre (1148), quand il mourut.

Avec leur généreuse imprévoyance, leur amour des expéditions lointaines, leur dédain de la politique utilitaire, ces barons toulousains ne manquent pas de grandeur. Le Moyen âge leur a su gré de s'être dévoués pour la cause de la Papauté, de la foi chrétienne et du Saint-Sépulcre. On ne pourrait en dire autant de leurs ennemis et voisins de l'Ouest, les ducs d'Aquitaine, comtes de Poitiers.

Leur domination féodale, vaste entre toutes, s'étendait, à l'époque de la croisade, de la Loire aux Pyrénées et des Cévennes à l'Atlantique. L'homme qui avait surtout contribué à la fonder, Gui-Geoffroi ou Guillaume VIII, conquérant énergique et dur, eut un fils qui ne lui ressembla qu'à demi, Guillaume IX, figure originale. Il semble que le Nord et le Midi se mélangent en lui, comme le Poitou se trouvait uni dans son fief à la Gascogne. À certaines des qualités solides de son père, à l'amour du pouvoir, à l'âpreté des convoitises, il joignait la légèreté d'esprit, la gaieté expansive et railleuse, la sensualité, la religiosité superficielle du Méridional. Il fut le plus ancien troubadour connu, poète facétieux et licencieux, qui se plut à tout chansonner, l'amour, la guerre, même la croisade.

Avisé et fin, il ne frappait fort qu'à bon escient, sans aucun scrupule d'ailleurs et avec une indifférence parfaite sur le choix des moyens. En 1106, il se trouve à la cour de Philippe Ier. On lui confie le soin de ramener au comte d'Anjou, Foulque le Réchin, son plus jeune fils, le fils de la reine de France, Bertrade. Au lieu de se détourner sur Angers, pour remettre l'enfant à son père, Guillaume IX l'emmène dans le Poitou où il le retient captif et ne le restitue qu'après s'être fait céder plusieurs châteaux qu'il convoitait.

Dans le chaos des seigneuries de son duché, ce haut baron sut maintenir un ordre relatif. Les comtes d'Angoulême, les seigneurs de Lusignan, de Parthenai, de Châtelaillon, de Blaye, de Ventadour, de Benauge, les turbulents habitants de Saint-Macaire, ont fait, à leurs dépens, l'épreuve de sa décision et de sa rudesse. Il a définitivement expulsé les Angevins de la Saintonge et tenu tête aux comtes d'Anjou.

Vassal du roi de France, il est plus souvent l'ami des rois d'Angleterre que de son suzerain. C'est à Guillaume le Roux qu'il songe lorsque, partant pour la Terre-Sainte, il veut confier la garde de ses États à un protecteur autorisé. Quand la guerre du Vexin éclata entre le Normand et le Capétien (1097), les bandes gasconnes et poitevines de Guillaume IX chevauchèrent, contre les Français, jusqu'à Épernon.

Lorsque Louis VI succède à Philippe Ier, le duc d'Aquitaine refuse au nouveau roi l'hommage féodal. Il l'ignore pendant près de vingt ans. En 1126, le roi de France ayant paru à Clermont pour punir le comte d'Auvergne, persécuteur des églises, Guillaume s'émut pourtant et accourut avec son armée. Il voulait prouver au Capétien que c'était lui, le duc d'Aquitaine, qui était le suzerain direct des comtes d'Auvergne. Mais la vue des forces considérables qui entouraient le roi de France le calma instantanément. Il se contenta de revendiquer, en termes respectueux, son droit féodal et ne put faire autrement que de prêter le serment de fidélité au souverain. Puis il s'en alla comme il était venu, sentant qu'il risquait trop gros jeu à entrer en lutte.

Sans être irréligieux par principe (on ne pouvait pas l'être au commencement du XIIe siècle), il se souciait peu du Pape et de l'Église. Il n'a jamais cessé d'être en lutte avec l'autorité ecclésiastique. Si tous les souverains féodaux lui avaient ressemblé, la monarchie pontificale aurait eu peine à s'établir en terre française. Il n'a été favorable, en réalité, ni à la réforme, ni à la croisade. Quand Urbain II arrive pour prêcher la guerre sainte au concile de Clermont, Guillaume IX assiste à l'assemblée, mais ne cède pas à l'enthousiasme général et ne prend pas la croix. Cependant (et peut-être justement pour cette raison) il témoigne au Pape une amabilité extraordinaire, l'engage à traverser ses États, le reçoit magnifiquement à Limoges, à Poitiers, à Saintes, à Bordeaux. Mais il continue à ne pas se croiser, et lorsque Urbain II est sorti de France, lorsque la grande armée est en marche vers Jérusalem, il commet ce crime de lèse-croisade : l'invasion du comté de Toulouse.

A la fin pourtant, quand l'Europe apprend que le saint Sépulcre est délivré, sous le coup de la réprobation universelle qui atteint à la fois ceux qui ont déserté comme ceux qui ne sont pas partis, Guillaume se décide à s'en aller vers l'Orient avec la noblesse retardataire. Et comme il est brave, après tout, qu'il n'est pas ennemi des aventures, et voudrait avoir sa part de gloire, il essaie de se conduire en chevalier. Il fait route par l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et pénètre en Asie Mineure. Mais les Turcs le surprennent, l'enveloppent et détruisent son armée. Le chroniqueur Geoffroi de Vigeois semble indiquer qu'il dut son échec en grande partie à son inconduite, à ses désordres, aux femmes qu'il traînait à sa suite. Dénué de tout, il continue sa route à pied, mendiant pour vivre, et arrive avec six hommes à Antioche. Là il guerroie pour le compte de Raimond de Saint-Gilles (à qui il devait bien ce dédommagement) et l'aide à assiéger Tortose ; puis il visite Jérusalem et s'embarque à Jaffa pour retourner en Europe. Nouveau contretemps : il est assailli par une tempête, rejeté sur les côtes de Syrie, forcé de débarquer à Antioche. Pour se rendre utile, il aide le roi de Jérusalem, Baudouin, à faire le siège d'Ascalon. Enfin, il s'embarqua et parvint, en 1102, à rentrer pour tout de bon dans son duché. Heureux d'échapper, sain et sauf, à la dangereuse entreprise, laissant en Terre-Sainte la plupart de ses compagnons d'armes, il se dédommagea de cette croisade manquée en la racontant en vers burlesques qu'il débitait lui-même dans toutes les cours où il passait.

L'œuvre de la réforme ecclésiastique, que son père avait favorisée, lui déplut, pour les mêmes raisons qui excitaient contre elle les défiances d'un Philippe Ier et d'un Louis le Gros. Non seulement elle gênait ses passions et son exploitation fiscale des églises, mais il voyait clairement, comme les rois, qu'elle tendait à lui enlever son pouvoir sur les évêchés pour les mettre dans la dépendance de Rome. Aussi accueille-t-il les agents de la Papauté, les prédicateurs réformistes, avec une froideur visible. En 1097, il fait arrêter, on ne sait pourquoi ni dans quelles circonstances, le légat d'Urbain II, le zélé réformateur, Amat d'Oloron, devenu archevêque de Bordeaux. Trois ans après, il n'ose pas empêcher les légats du Pape de tenir un concile à Poitiers ; mais quand il apprend qu'il s'agit d'y prononcer l'excommunication du roi de France Philippe Ier, son suzerain, il engage les envoyés de Rome à ne pas donner suite à leur projet. Repoussé, il quitte solennellement le concile et peut-être ne fut-il pas étranger à la sédition populaire qui fit scandale dans l'église et mit en péril la vie des cardinaux.

Il défendait les mêmes intérêts que le roi de France et repoussait d'ailleurs, comme lui, ce pouvoir censorial, que la Papauté s'arrogeait sur la vie privée des souverains. La sienne, à vrai dire, donnait prise à l'indignation des clercs. Il avait choisi sa première femme, Philippe de Saint-Gilles, pour se procurer des droits au comté de Toulouse. La seconde, Hildegarde d'Anjou, lui ayant déplu, il la quitta sans façon et la remplaça par la belle Maubergeon, enlevée au vicomte de Châtellerault, son mari. Excommunié par les légats pontificaux et par ses propres évêques, il resta indifférent aux anathèmes ; rien ne put l'obliger à reprendre l'épouse légitime. Si nous en croyons les anecdotes de Guillaume de Malmesbury, il répondait par des facéties aux prélats qui l'engageaient à se soumettre. Je répudierai ma vicomtesse quand tes cheveux auront besoin du peigne, dit-il à l'évêque d'Angoulême, Gérard, qui était chauve. Comme il criait à l'évêque de Poitiers, Pierre, qu'il tenait en face de lui, l'épée haute : Donne-moi l'absolution, ou je te tue. — Frappe, répond l'évêque, en tendant le cou. — Non, répond Guillaume, je ne t'aime pas assez pour t'envoyer droit au paradis. Et il se contenta de l'exiler.

En 1119, au concile de Reims, on voit paraître Hildegarde, la femme injustement chassée qui se plaint à voix haute et claire, dit Orderic Vital, du traitement dont elle est victime. Le pape Calixte II demande si le duc est au concile et peut se justifier. Les évêques d'Aquitaine répondent qu'il est tombé malade. Le Pape lui accorde un délai pour se présenter et reprendre sa femme légitime, sous peine d'anathème. Le duc resta si bien en route qu'il ne parut jamais devant ses juges. La menace n'eut aucun effet.

Quand il mourut (1127), pieusement enseveli dans son abbaye de Montierneuf de Poitiers, la dynastie ducale d'Aquitaine n'avait plus que dix ans à vivre. Son fils, Guillaume X, qui lui avait fait la guerre pour le punir d'avoir abandonné sa mère Hildegarde, ou pour avancer le moment de l'héritage, ne le valait pas. Caractère faible et violent, aussi peu moral que son père (si Malmesbury ne l'a pas calomnié), absorbé par ses querelles obscures avec la féodalité de la Saintonge et de l'Angoumois, il n'est guère connu que par deux faits qui intéressent l'histoire générale.

En 1130, dans l'affaire du schisme, poussé par Girard, évêque d'Angoulême, il osa résister à saint Bernard et se prononça pour l'antipape Anaclet. Son opposition dura quatre ans. Il fallut que l'abbé de Clairvaux vint en personne discuter avec lui, dans la fameuse conférence de Parthenai-le-Vieux, près de Poitiers. Alors se passa cette scène extraordinaire, que le biographe du saint a seul racontée et qu'on aimerait voir confirmée par d'autres témoignages contemporains : le comte se tenant comme un excommunié, en dehors de l'église, et Bernard marchant vers lui, l'hostie consacrée à la main et le foudroyant de cette apostrophe : Voici votre juge, aux mains de qui votre âme tombera un jour. Lui aussi, allez-vous le repousser ? Lui aussi, allez-vous le mépriser, comme vous avez méprisé ses serviteurs ? Au dire du chroniqueur de Clairvaux, le duc Guillaume, anéanti, sent ses membres défaillir et tombe par terre. Relevé par les soldats de son escorte, il retombe encore. Sa salive coule sur sa barbe ! sa respiration est entrecoupée par de sourds gémissements, on dirait un épileptique ! Ce coup d'audace a réussi, Bernard relève le comte et lui donne le baiser de paix. Le schisme d'Aquitaine était terminé.

L'Église pardonna à Guillaume X et composa même en son honneur des épitaphes où la louange est hyperbolique. C'est qu'il mourut en faisant œuvre pieuse, sur la terre d'Espagne, au cours d'un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle (1137), et peu s'en faut que l'historien Richard de Poitiers, moine de Cluni, ne le considère comme un martyr de la foi.

Avant de se mettre en route, le duc avait accompli l'acte politique le plus important de sa vie entière. Exprimant ses dernières volontés à ses barons, il leur avait recommandé de marier sa fille aînée, Aliénor, au fils du roi de France, Louis le Gros. Pour la première fois, le vœu suprême d'un prince féodal appelait la dynastie capétienne à hériter d'une grande seigneurie : preuve décisive du progrès de la Royauté sous Louis VI le Victorieux.

Il est temps que le Roi entre en scène et qu'on sache comment cette puissance, si longtemps reléguée dans l'ombre par la Féodalité et par l'Église, se trouvait tout à coup avoir grandi.

 

 

 



[1] SOURCES. Recueil des Historiens de France, t. XI, XII et XIII.

OUVRAGES À CONSULTER. Luchaire, Manuel des Institutions françaises, 2e partie, 1892. Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, t. IV, 1892.

[2] OUVRAGES À CONSULTER. Histoires générales de la Flandre citées précédemment p. 449. De Smet, Robert de Jérusalem, comte de Flandre, à la première croisade, 1862. Leglay, Charles de Danemark, 1889. Wegener, Charles de Danemark, 1839, traduit du danois par un Bollandiste, 1843.

[3] Il faut noter que le chroniqueur Galbert de Bruges, chapelain et panégyriste du comte, est le seul qui ait parlé de cette dernière offre.

[4] De nos jours, sur les instances du clergé belge, l'Église romaine a reconnu Charles le Bon comme bienheureux. Ses reliques, déposées depuis le XIIe siècle dans l'église de Saint-Donatien de Bruges, n'ont jamais cessé d'être honorées par les croyants de ce pays et une sorte de souscription nationale fut ouverte, il y a quelques années, pour offrir au comte de Flandre une châsse digne de lui.

[5] OUVRAGES À CONSULTER. Le Hardy, Le dernier des ducs Normands, dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, t. IX, 1880. Freeman, The reign of William Rufus and the accession of Henry the First, 1882.

[6] OUVRAGES À CONSULTER. Célestin Port, Dictionnaire biographique de Maine-et-Loire, 1876. Kate Norgate, England ander the angevin Kings, t. I, 1887. M. Prou, L'acquisition du Gâtinais par Philippe Ier, 1898. Dodu, De Fulconis Hierosolymitani regno, 1894. Halphen, Essai sur l'authenticité du fragment d'Histoire d'Anjou attribué à Foulque le Réchin, dans la Bibl. de la Faculté des Lettres de Paris, fasc. XIII, 1900.

[7] On possède, sous son nom, un fragment d'une chronique des comtes d'Anjou qui ferait de lui, s'il en était réellement l'auteur (ce que nous croyons et ce que parait avoir démontré un de nos élèves, M. Halphen [Bibl. de la Faculté des Lettres de Paris, fasc. XIII]), le plus ancien historien de la région et même le premier historien laïque de la France, à l'époque capétienne.

[8] Le musée du Mans conserve une plaque épaisse de cuivre émaillé où un comte d'Anjou est représenté avec la barbe et les cheveux blonds, vêtu d'une robe d'un bleu clair, d'un bliaud vert foncé et d'un manteau gris, doublé de bleu. D'une main il tient l'épée, de l'autre l'écu aux quatre lions d'or. Des raisons sérieuses permettent de croire que cette figure n'est pas celle de Henri Plantagenet, mais de son père, Geoffroi le Bel, le dompteur de la féodalité angevine, le conquérant de la Normandie.

[9] OUVRAGES À CONSULTER. Voir plus haut la bibliographie relative aux ducs bretons. E. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. II, 1886. D'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne, t. II, 1863.

[10] En 1111, ses soldats se sont joints à ceux du comte de Blois, Thibaut IV, pour faire campagne contre Louis le Gros ; mais ce fait est exceptionnel, Hugue étant resté l'ami et le conseiller du roi de France pendant la majeure partie de son existence.

[11] OUVRAGES À CONSULTER. Sachse, Ueber das Leben und die Lieder des troubadours Wilhelm IX, Graf Don Poitou, 1882. L. Palustre, Histoire de Guillaume IX, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1880, inachevé.

[12] En 1079 un règlement de partage était intervenu entre le comte Guillaume IV et son frère Raimond de Saint-Gilles. Après une période d'unité (1093-1107), un nouveau partage eut lieu entre deux autres frères, Bertrand et Alphonse Jourdain, et à peu près sur les mêmes bases. Toute la seigneurie est ensuite concentrée entre les mains d'un possesseur unique, Alphonse Jourdain (1112-1148). À la mort de ce haut baron, ses deux fils Raimond et Alphonse II, au lieu de se partager le domaine et les tares seigneuriaux, ont l'idée d'exercer le pouvoir par indivis. Tous deux s'intitulent : comte de Toulouse, duc de Narbonne et marquis de Provence, système politique qui fut pratiqué, pendant plus de quarante ans, jusqu'en 1167.