HISTOIRE DE FRANCE

TOME DEUXIÈME. — LE CHRISTIANISME, LES BARBARES - MÉROVINGIENS ET CAROLINGIENS.

LIVRE III. — LES CAROLINGIENS.

CHAPITRE IV. — LA CIVILISATION CAROLINGIENNE.

 

 

I. — LE TRAVAIL AGRICOLE ET INDUSTRIEL[1].

L'ÉVOLUTION, qui, dès le règne de Charlemagne, s'annonce, par tant de signes divers et concordants, dans la société carolingienne, ne s'achèvera qu'après deux siècles de troubles et de décadence. Il serait donc prématuré de l'étudier ici, et ce sera l'objet du dernier chapitre de ce volume. Mais c'est au temps de Charlemagne qu'apparaît le mieux le caractère de la civilisation carolingienne, matérielle ou intellectuelle.

On a vu qu'au cours de la période mérovingienne, l'industrie a presque quitté les villes pour se réfugier dans la villa. Chaque propriétaire de domaines en tire ce qui lui est nécessaire pour se loger, se vêtir, se nourrir. Un des palatins de Charlemagne, Eginard, qui demeure à Aix auprès de l'empereur, ordonne à ses fermiers de lui envoyer, conformément à l'usage, de la farine, du malt, du vin, du fromage et d'autres denrées ; de conduire à l'abattoir les bœufs de ses domaines qui sont bons à tuer, et de donner aux serviteurs les entrailles et les débris inutiles. Il s'occupe de l'élevage des abeilles, du choix des semences, de la manière de rendre les porcs plus gras et meilleurs. Il fait préparer à la campagne 360 briques pour réparer sa maison d'Aix, et demande des ouvriers pour exécuter ce travail.

La disparition de la petite propriété s'achève pendant la période carolingienne. Si quelques villas de médiocre étendue (villulæ, villares) se maintiennent, c'est parce que leurs possesseurs se sont associés ; mais les communautés agricoles semblent exceptionnelles. De nombreuses villas, au contraire, sont réunies en une seule, et cette formation de grands domaines a pour conséquence la multiplication des églises. Au vue siècle, l'église de campagne est encore rare ; dans les actes de vente et d'échange, elle figure quelquefois parmi les dépendances. Au te, presque chaque villa est dotée d'une chapelle desservie par un prêtre ; aux besoins du prêtre est affecté un manse de 12 bonniers[2] avec une maison d'habitation et 4 serfs. Unité économique et paroissiale à la fois, la villa devient le village.

Le régime de la grande propriété a prévalu pour différents motifs. II arriva souvent, comme on a vu, que des hommes libres appauvris cédèrent leurs biens, de gré ou de force, à des voisins riches. Mais il faut tenir compte aussi du défrichement des forêts et de l'importance croissante des grands monastères.

Les forêts de Gaule et de Germanie, la Charbonnière, l'Ardenne, existent toujours à l'époque carolingienne. Charlemagne et ses successeurs y chassent en automne ; ils en tirent des bois de construction. Les serfs du domaine, moyennant une dîme légère, peuvent y mener les porcs chercher la glandée. Toute une législation forestière s'est formée, dont l'application est confiée à des forestiers (forestarii). Parmi les dispositions qui s'y rencontrent, beaucoup concernent le droit de chasse, réservé au roi, et la répression du braconnage ; d'autres interdisent les coupes trop abondantes. Ces dernières prescriptions ne furent pas obéies. Fut-ce négligence des forestiers ou consentement tacite du prince ? Au milieu des fourrés compacts sous lesquels les voyageurs cheminaient jadis pendant des semaines, de grandes clairières s'ouvrent, et les forêts morcelées, séparées les unes des autres par des cultures, forment cercle autour des palais et des villas impériales. Les principales forêts sont celles de Quierzy dans le Soissonnais, de Selve et de Samoucy près de Laon, de Compiègne, d'Aire en Artois, de Stenay, d'Attigny, celles de Fontainebleau, de Sénart et de Laye, voisines de Paris, et, encore plus près de la ville, les deux vastes forêts dont les bois actuels de Boulogne et de Vincennes ne sont que des débris.

Les grandes propriétés se concentrent pour une bonne part autour des abbayes, parce que beaucoup de petits propriétaires abandonnent leurs biens à ces dernières, non seulement pour échapper au service militaire et à l'impôt, mais pour assurer le remède de leur âme. Le culte des saints et de leurs reliques est dans toute sa ferveur. Eginard, ayant bâti l'église de Michelstadt, veut avoir des reliques authentiques. Un diacre romain lui raconte qu'à Rome on en trouve autant qu'on veut, dans des tombeaux abandonnés. Eginard le charge d'aller en chercher. Le diacre part avec ses mulets, des provisions de voyage et quelques compagnons. Il arrive à Rome et, après trois jours de jeûne et de prière, il cherche à forcer le sarcophage de saint Tiburce, mais sans y réussir ; alors il ouvre celui des saints Pierre et Marcellin, place leurs ossements dans un cercueil, et les transporte à Michelstadt, où Eginard les reçoit en grande pompe. Chaque saint nouveau recrute ainsi des clients et des donateurs, dont le principal est souvent le roi.

Les grandes abbayes se trouvent surtout dans le nord de la France actuelle et la Belgique. L'Artois, la Picardie, le Hainaut en sont couverts ; les principales sont Saint-Waast d'Arras, Saint-Bertin, Saint-Riquier. Dans d'autres régions se trouvent Saint-Rémi de Reims, Luxeuil, Saint-Victor de Marseille, Saint-Wandrille ou Fontenelle près de Caudebec, Saint-Germain-des-Prés aux portes de Paris. Saint-Riquier possède 20 villas ; Saint-Victor de Marseille en a 13, dont chacune se subdivise en un certain nombre de fermes appelées colonies (colonica). L'abbé de Saint-Rémi de Reims exploite 693 manses répartis en 24 fiscs[3]. En 787, sous l'administration de Widon, Saint-Wandrille compte 1.727 manses habités par une population de 10.000 âmes, et dans ce chiffre n'entrent pas les bénéfices concédés aux hommes du roi sur les terres du monastère. Au IXe siècle, cette abbaye possédera 4.824 manses. Luxeuil en aura 15.000. Si l'on en croit Élipand, l'adversaire d'Alcuin, l'abbé de Saint-Martin de Tours commandait à 20.000 serfs.

L'état et le régime des abbayes sont connus par les « Polyptyques[4]. Le plus célèbre est celui de Saint-Germain-des-Prés, dressé au temps de l'abbé Irminon, entre 800 et 826. Dans le manuscrit dont il ne nous reste que le quart, des terres, dont la contenance a été évaluée, en mesure moderne, à 36.613 hectares[5] sont portés comme appartenant à l'abbaye. Ils sont répartis entre 7 de nos départements actuels : Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Eure-et-Loir, Aisne, Orne, Nièvre. Les manses des tenanciers sont au nombre de 1646, auxquels s'ajoutent 71 de plus petite dimension appelés hospices[6]. Ils sont groupés en 23 fiscs ayant chacun à sa tête un manse seigneurial. A l'exploitation sont employées 10.282 personnes, en 2.859 ménages, dont plus de 2.000 sont formés de colons, 8 de libres, et les autres de lides ou de serfs. La majeure partie des terres sont des labours (22.129 hectares) et des bois (13.352 hectares) ; les prés et les vignes sont l'exception. Les redevances des tenanciers consistent en argent, bétail, volailles, vin, blé, houblon, lin et moutarde, étoffes de laines et de fil, miel, cire, huile et savon, outils de bois et de fer, bois à brûler, torches et objets divers. Le revenu annuel de l'abbaye est, en chiffres modernes, de 580.790 francs, ce qui fait une contribution de 109 francs par ménage.

Le plus grand propriétaire du royaume est le roi. Il reçoit de ses villas du lard, de la viande fumée, des salaisons, des poissons, des fromages, du beurre, de la moutarde, du vinaigre, des légumes, la viande de ses vaches boiteuses, mais saines, et de ses chevaux non galeux, du miel qui tient alors lieu de sucre, de la cire et du savon. Il boit le vin de ses vignes, et recommande qu'il soit fait proprement, au pressoir, sans fouler le raisin avec les pieds. Il vend les poissons de ses rivières, les cornes et les peaux de ses chèvres, il s'habille avec les fourrures des loups capturés par ses fermiers. C'est par son capitulaire de villis que nous savons exactement comment était exploitée une villa dont les revenus étaient exclusivement réservés au service de l'empereur.

Le territoire de la villa se divise en plusieurs cours[7], environnées chacune d'une haie bien entretenue. Les bâtiments sont nombreux : cuisines, boulangeries, pressoirs, écuries, vacheries, porcheries, bergeries, parcs à boucs et à chèvres. Dans les basses-cours principales, il y a au moins 100 poules et 30 oies. La pêche étant très appréciée, en raison du carême, Charlemagne veut que les anciens viviers soient conservés, et qu'on en établisse de nouveaux, si c'est possible. Au travail agricole proprement dit, —labourer et ensemencer, moissonner, faucher le foin, vendanger, — se joignent l'élevage et le jardinage. La plupart de nos fleurs, de nos légumes, et de nos arbres fruitiers, sont cultivés sur les terres impériales. On compte 74 espèces de plantes et 16 espèces d'arbres. Comme fleurs : les lis, les roses, les glaïeuls, l'héliotrope ; comme légumes : les concombres, les melons, les artichauts d'Espagne, les haricots, les pois, les carottes, les oignons, les poireaux, les choux, les raves, etc. ; comme arbres fruitiers : diverses espèces de pommiers, de poiriers, de fraisiers et de pêchers, des châtaigniers, des amandiers, des figuiers, des cerisiers, des noyers. La villa possède aussi des oiseaux singuliers, tels que paons, faisans, canards, pigeons, perdrix, tourterelles.

A coté des ouvriers agricoles, qui forment la majorité, vivent de nombreux artisans, forgerons, orfèvres, cordonniers, selliers, tourneurs, charpentiers, cordiers. Les gynécées, distincts des ateliers des hommes, sont pourvus de chambres à poêles et de portes solides ; les femmes y travaillent le lin et la laine, et colorent les étoffes avec de la teinture de vermeil et de la garance.

Les serviteurs attachés à la villa impériale composent la famille (familia) ; ils sont dirigés par des officiers (ministeriales), que l'on retrouve dans les grandes abbayes, comme Saint-Germain-des-Prés, avec les mêmes noms et les mêmes attributions. Les principaux sont les intendants et les maires. L'intendant (judex) a la surveillance de tous les travaux ; il présente des comptes chaque année à Noël ; il envoie au palais les produits en nature et les redevances ; il maintient l'ordre et rend la justice. Il reçoit les instructions du roi et de la reine, ou, à leur défaut, du sénéchal et du bouteiller. Celui qui se rendra coupable de négligence dans l'exécution de ces ordres devra s'abstenir de boire à partir du moment où il aura été averti, jusqu'à ce qu'il vienne en notre présence ou en la présence de la reine et qu'il sollicite sa grâce. Au-dessous de l'intendant, qui exerce son autorité sur une villa tout entière ou même sur plusieurs villas, est placé le maire (major, villicus), qui n'a pas plus de terres, dans son district, qu'il n'en peut parcourir et administrer en un jour. Au dernier rang viennent les forestiers, les préposés aux haras, les cellériers, les péagers, et d'autres officiers de moindre importance.

Des fermes, comme celles de Charlemagne et de l'abbé Irminon, étaient des fermes modèles. Il n'est pas douteux que l'agriculture ait fait au début du IXe siècle de notables progrès. L'adoucissement du régime auquel les tenanciers étaient soumis, y contribua pour beaucoup. Qu'on ait bien soin de notre famille, dit l'empereur, et qu'elle ne soit réduite à la pauvreté par personne. Que nos intendants se gardent d'employer nos serviteurs à leur usage personnel et de les contraindre à faire pour eux des corvées. Si un serf veut nous dire contre son chef quelque chose d'important, qu'il ne soit pas empêché de venir jusqu'à nous.

On sait quel terrible fléau furent pour le Moyen Age les famines. Il semble qu'elles aient été moins fréquentes sous Charlemagne qu'auparavant. En 794, le synode de Francfort établit un maximum du prix du blé et du pain pour les temps d'abondance ou de disette. Ces prescriptions sont renouvelées en 803 et 806, à Thionville et à Nimègue ; des mesures sont prises contre l'accaparement du vin et des céréales, et contre l'exportation en cas de mauvaise récolte. Charlemagne, par l'intermédiaire de ses évêques et de ses comtes, rappelait à tous ceux qui possédaient quelque bien qu'ils devaient secourir les indigents, libres ou esclaves, et ne pas les laisser mourir de faim.

L'industrie prospéra surtout dans les abbayes. A Saint-Pierre de Corbie, sous l'administration d'Adalard, plusieurs chambres sont occupées par différents ouvriers ; dans la première, il y a trois cordonniers, deux selliers, un foulon ; dans la seconde, six forgerons, deux orfèvres, deux cordonniers, un armurier, un parcheminier ; dans les autres, des maçons, des charpentiers, etc. Ces ateliers furent d'abord situés à l'intérieur des monastères, et ils fournissaient seulement ce qui était nécessaire aux besoins de ceux qui les habitaient. Mais bientôt les abbés s'aperçoivent des profits qu'ils peuvent tirer d'une production supérieure à la consommation faite dans leurs maisons, et ils organisent en dehors de l'enceinte de véritables bourgs industriels. Le plus ancien à notre connaissance est celui de Saint-Riquier, dont les forgerons avaient acquis, dès la fin du Mile siècle, une grande réputation. En 834, il est divisé en onze quartiers, dont chacun est habité par les ouvriers d'une même profession. Certaines agglomérations atteignirent plusieurs milliers d'âmes, et, parmi nos villes, beaucoup doivent leur origine à cette intéressante évolution. Les artisans sont groupés en corporations ; l'existence de communautés appelées gildes (geldoniæ) ou confréries (confratriæ) est prouvée par plusieurs capitulaires et par les décrets des conciles. Elles sont des institutions charitables et des sociétés d'assurance mutuelle : leurs membres s'engagent par serment à faire des aumônes et à s'entraider, dans le cas de perte de leurs biens par naufrage ou par incendie ; chacune d'elles a son jour de fête.

 

II. — LE COMMERCE. LES JUIFS. LES MESURES ET LES MONNAIES[8].

L'INDUSTRIE se bornant presque à fabriquer les objets de première nécessité, il fallait demander à l'étranger les articles de luxe dont on commençait à sentir le besoin. L'ordre établi par Charlemagne, la sécurité qui régnait le long des frontières, facilitèrent les transactions. Nous sommes étonnés de la précision avec laquelle les écrivains du temps énumèrent les produits des différentes parties du monde. Les poèmes de Théodulfe prouvent que le commerce était étendu ; l'œuvre du moine de Saint-Gall, où les faits économiques sont nombreux, démontre que le mouvement se continua après 814[9].

Il ne semble pas que Charlemagne se soit beaucoup préoccupé d'entretenir les routes et d'en accroître le nombre ; les anciennes voies romaines, améliorées par Brunehaut et Dagobert, suffisaient. Les marchands suivaient de préférence les rivières. Le Rhin, le Danube supérieur, la Meuse, l'Escaut, ont une navigation fort active. On trouve à Valenciennes une importante agglomération de bateliers, et le commerce demeure très actif sur la Seine. L'une des artères les plus fréquentées est celle qui, suivant la vallée du Rhône, fait communiquer le nord et le sud de la France, l'Occident et l'Orient. Quand Théodulfe accomplit son voyage dans le Midi, il est émerveillé de la beauté des cités qu'il rencontre, et dont deux surtout provoquent son admiration, Lyon aux murailles élevées, et Vienne resserrée d'un côté par des rochers, pressée de l'autre par le fleuve béant.

Dans le voisinage des villes, des abbayes et des villas importantes, se tiennent des marchés publics (mercala publica), n'importe quel jour, sauf le dimanche. Les foires coïncident avec les pèlerinages les plus célèbres, et commencent en même temps que la fête du saint. Il n'est pas encore question de celles de Champagne et de Flandre ; mais la foire de Saint-Denis, confirmée par une charte de Pépin du 3 octobre 759, est florissante. On l'appelle forum indictum, d'où est venu le mot lendit. Elle doit son importance au voisinage de Paris, le marché des peuples, auprès du confluent de la Seine avec l'Oise et la Marne ; sa durée est de quatre semaines pour permettre aux marchands d'Espagne, de Provence, de Lombardie et d'autres régions d'y assister.

En Germanie, des abris furent installés le long des chemins, pour les marchands, leurs marchandises et leurs bêtes. L'Elbe et la Saale marquèrent la limite qu'il était imprudent de dépasser. Au delà, c'était la Slavie encore barbare. Charlemagne créa, le long de cette frontière, neuf comptoirs[10] ; il y mit des fonctionnaires francs pour veiller à la sécurité de leurs compatriotes et aussi les empêcher de vendre des armes à l'ennemi.

Parmi les villes de l'intérieur qui servaient d'entrepôts figurent Tournai, Maëstricht, Worms ; mais la principale était Mayence. L'industrie y était entre les mains des Frisons. Ces travailleurs habiles confectionnaient des draps supérieurs aux tissus grossiers fabriqués par les serfs du domaine ou des abbayes. L'empereur pensa faire de Mayence le grand marché de son empire et le lieu des échanges entre la Gaule et la Germanie. Il étudia deux projets, dont les contemporains parlent avec admiration : la construction d'un canal réunissant le Main au Danube par la Rednitz et l'Altmühl, et celle d'un pont de bois de cinq cents pas à Mayence même. La construction du canal fut entreprise, mais aussitôt abandonnée, à cause de la nature marécageuse du terrain ; le pont, élevé sur des arches, coûta dix années de travail, mais, en 813, un incendie l'anéantit.

Avec la Grande-Bretagne et l'Irlande, les relations furent favorisées par les bons rapports existant entre Charlemagne et les rois de ces pays. Les pèlerins anglo-saxons, qui traversaient la France sous la protection de l'empereur, furent d'utiles agents commerciaux. Les principaux ports par lesquels ils passaient étaient Gand, Duerstade, l'Écluse, Boulogne, dont le phare éclairait au loin les navigateurs, surtout Quentovic, qui est aujourd'hui ou Étaples, sur l'estuaire de la Canche, ou Saint-Josse-sur-Mer. Un bureau de douanes, centralisant les sommes perçues dans les divers ports et cités maritimes, y était installé sous la direction de Gervold, abbé de Saint-Wandrille. De noble naissance, ancien chapelain de la reine Bertrade, puis évêque d'Évreux, Gervold était intelligent et habile ; les princes bretons l'appellent leur familier et très cher ami. Charlemagne l'employa à diverses affaires, dont une au moins mérite l'attention. En 789, l'empereur désirait faire épouser à son fils acné la fille d'Offa de Mercie ; il chargea l'abbé de Saint-Wandrille de négocier ce mariage. Offa consentit, mais à la condition qu'il obtiendrait pour son fils la main de la princesse Berthe. Cette exigence irrita Charlemagne, qui interdit à tout homme venant de l'île de Bretagne, ou appartenant à la race des Angles, de débarquer sur le littoral de la Manche pour faire du négoce, et, Offa ayant usé de représailles, le commerce se trouva interrompu des deux côtés. Gervold démontra à son maître quel tort il faisait à ses sujets, et le blocus prit fin avant que la prospérité de Quentovic eût été compromise.

Le commerce maritime se faisait encore par Nantes et Bordeaux, surtout par les ports de la Méditerranée. Les échanges avec l'Orient, que les invasions sarrasines n'avaient point arrêtés, se développèrent à la faveur des relations de Charlemagne avec le khalife Haroun-al-Raschid, les Césars byzantins et les chrétiens de Palestine, d'Égypte et de Syrie. Les vins de Gaza et de Sarepta, autrefois très appréciés en Gaule, disparurent, les Arabes ayant détruit les vignes dans les contrées soumises à leur domination ; mais ils furent remplacés par d'autres produits : étoffes teintes de pourpre, manteaux de soie de couleurs variées, cuirs travaillés, parfums, onguents et plantes médicinales, épices pour assaisonner les mets et préparer le vin, perles de l'Inde, papyrus d'Égypte, animaux exotiques, singes et éléphants. L'Occident donnait en échange ses blés , ses vins , ses huiles, ses chiens de chasse, et surtout les draps de Frise, blancs ou teints au kermès et au pastel, très rares là-bas et très chers. D'après une tradition qui semble certaine, il y avait à Jérusalem, devant l'hôpital fondé par Charlemagne, un marché fréquenté par des trafiquants parlant toutes les langues.

L'activité commerciale des villes de Provence et de Septimanie est attestée par la quantité de monnaies italiennes ou arabes qui y circulent. Nîmes compte parmi les plus vastes et les plus industrieuses ; Maguelonne est un petit port très actif ; mais l'opulente cité d'Arles est le principal entrepôt des produits du Levant. Ceux-ci sont débarqués à Marseille, ou à Narbonne, qui a une allure tout à fait cosmopolite avec ses restes de population gothique, ses fonctionnaires francs, ses marchands espagnols et sa colonie juive.

Les Juifs ne sont pas encore poursuivis avec cette rigueur fanatique et cupide, dont ils seront victimes pendant la seconde partie du Moyen Age. Charlemagne apprécie leur savoir médical puisé dans les livres arabes, et leur connaissance des langues ; il les emploie à ses négociations avec l'Orient : le prétendu capitulaire qu'il aurait édicté contre eux n'est pas authentique. Comme la possession de la terre leur est interdite, ces Juifs, se tournent du côté du commerce et de la banque. Leurs capitaux sont considérables ; certains d'entre eux se vantent de pouvoir acheter tout ce qui leur plaît, même les vases et les joyaux d'église. L'usure — c'est-à-dire le prêt à intérêt[11], — légalement interdite aux chrétiens, leur est permise. Marseille, Arles, Narbonne ont des armateurs juifs. Leurs vaisseaux vont chez les Bretons et les Slaves, en Afrique, en Asie et jusqu'en Chine ; ils achètent des épices et vendent des esclaves. Les légendes racontent que Charlemagne fit venir de Lucques à Narbonne, vers 787, deux Juifs, Kalonymos et Moïse, et leur accorda de vastes terrains pour y bâtir des maisons ; la communauté prospéra et reçut le droit de nommer un roi.

Mais le commerce des esclaves provoquait les protestations de l'Église. L'archevêque de Lyon, Agobard, rappela les lois ecclésiastiques et les canons des conciles ; le synode de Meaux de 845 demanda qu'ils fussent remis en vigueur, et, vers la fin du me siècle, les Juifs furent dépouillés d'une partie de leurs biens. Ils venaient de traverser, comme le remarque un de leurs derniers historiens, une période de tranquillité et de bonheur telle qu'il ne s'en présenta plus pour eux en Europe jusque dans les temps modernes.

L'un des principaux obstacles au commerce était le nombre sans cesse croissant des droits à payer pour étaler sur les marchés, circuler sur les routes, les fleuves et les ponts ; il n'était pas de seigneur qui ne prétendit lever tribut sur les marchandises qui traversaient son domaine[12]. Charlemagne reconnut la légalité des péages anciennement établis, mais il interdit d'en créer de nouveaux. Des propriétaires tendaient des cordes à travers les chemins et prélevaient des droits en rase campagne, là où il n'y avait point de routes ; ils obligeaient les voyageurs à passer les rivières sur leurs ponts. Ces pratiques furent défendues sous peine d'amende. Aucun droit ne put être levé sur les pèlerins, sur les vaisseaux qui ne faisaient que toucher, sur les marchandises qui étaient conduites au palais ou à l'armée, ou simplement transportées d'une maison dans une autre.

Les poids et mesures furent réglementés. L'unité de poids est la livre, et l'unité de mesure, le muid, qui se subdivise en setiers. Charlemagne remplace la livre gallique par la livre romaine, moins forte d'un dixième ; il fait déposer au palais un modèle de muid, d'une contenance de cinquante-deux litres environ (modius publicus), ainsi qu'un modèle de setier, et il ordonne de se conformer à ces mesures, non seulement. dans les domaines royaux, mais dans les cités et les monastères. Sans cesse les capitulaires recommandent d'avoir partout de bons poids et des mesures égales.

Les triens mérovingiens étant rarement de bon aloi, Pépin avait aboli cette monnaie d'or discréditée pour la remplacer par la monnaie d'argent. Charlemagne conserva le monométallisme, et ne permit qu'exceptionnellement la frappe des sous d'or, à Uzès et dans le duché de Bénévent. Parce qu'il avait adopté la livre romaine, il fixa la taille à vingt sous et deux cent quarante deniers. Le cours des autres monnaies fut suspendu. Un capitulaire de 794 proscrit en tout lieu, toute cité et tout marché les différents deniers, sauf ceux de la dernière émission, qui portent le monogramme du roi et sont de bon poids et de pur argent.

Les Carolingiens reprirent aussi le droit régalien de battre monnaie, que les Mérovingiens avaient abandonné. La fabrication des pièces ne se fit plus que dans les principales villes du royaume, sous la surveillance de grands fonctionnaires dont on lit les noms au revers de quelques espèces : ainsi celui de Rodlandus (Roland), préfet de la marche de Bretagne. Bientôt même la frappe n'eut lieu qu'au palais et dans quelques endroits exceptionnellement tolérés. Mais, par le palais, il faut entendre toutes les résidences royales, et non pas seulement Aix-la-Chapelle. On trouve quarante-huit noms de lieux inscrits sur les monnaies de Charlemagne, dont sept figurent encore sur un édit de Charles le Chauve de 864 comme ayant des ateliers permanents : Quentovic, Rennes, Sens, Paris, Orléans, Melle, Narbonne. Par imitation de la monnaie arabe, la pièce se transforme, le flan s'élargit ; le denier est une mince plaque au relief très doux, et demeurera tel pendant tout le Moyen Age. Les monnaies impériales faites après l'an 800 sont fort belles. On y voit, d'un côté, le buste de l'empereur vêtu du paludamentum avec les mots Karlus imperator en exergue ; de l'autre, le temple avec la croix et l'inscription Christiana religio. Ce type dura longtemps, et Charlemagne eut, entre autres gloires celle d'avoir été un bon et honnête monnayeur.

 

III. — LES ÉCOLES ET LES LETTRES[13].

MALGRÉ les efforts de Carloman et de Pépin, les superstitions étaient restées très répandues. Une éclipse de soleil, l'apparition d'une comète causaient de violentes terreurs. On se protégeait contre la grêle en attachant à des bâtons des papiers sur lesquels étaient inscrites certaines formules ; on continuait à hurler aux enterrements, à manger et à boire sur les tombes des défunts, à porter des talismans, à interpréter les sorts ; quelques-uns même adoraient les arbres, les pierres et les sources. Devant ce paganisme survivant, l'Église semblait impuissante. L'ignorance des clercs et des moines rendait toute prédication impossible. Or il leur était difficile de s'instruire. La Bible elle-même était pleine de fautes de copie et de ponctuation ; parfois deux traductions du même texte se trouvaient juxtaposées, ce qui donnait lieu à d'étranges erreurs. Les livres liturgiques étaient remplis de tropes[14].

Charlemagne, qui se croyait responsable du salut de ses sujets, voulut leur donner des prêtres capables de les instruire. Son projet était de créer une nouvelle Athènes, mais plus belle que l'ancienne, — l'Athènes du Christ, — et où toutes les études prépareraient à la connaissance de Dieu. Après l'établissement de l'Empire, considérant l'antique gloire de Rome, à laquelle avaient contribué tant d'écrivains fameux, il lui apparut aussi que les lettres étaient l'ornement obligé d'un grand règne. C'est pourquoi l'on a pu appeler, non sans quelque raison, du nom de Renaissance le mouvement dont il prit l'initiative.

L'intention du roi est bien marquée dans une lettre qu'il adressa à Baugulf, abbé de Fulde :

Sache qu'en ces dernières années, comme on nous écrivait de plusieurs monastères pour nous faire savoir que les frères priaient pour nous, nous nous sommes aperçu que, dans la plupart de ces écrits, les sentiments étaient bons et le discours inculte ; car ce qu'une pieuse dévotion dictait fidèlement au dedans, une langue malhabile était incapable de l'exprimer correctement au dehors, à cause de l'insuffisance des études. Alors nous avons commencé à craindre que, la science d'écrire étant faible, l'intelligence des Saintes Écritures ne fût moindre qu'elle devait être ; et nous savons tous que, si les erreurs de mots sont dangereuses, les erreurs de sens le sont beaucoup plus. C'est pourquoi nous vous exhortons, non seulement à ne pas négliger l'étude des lettres, mais à les cultiver avec une humilité agréable à Dieu, afin que vous puissiez pénétrer plus facilement et plus justement les mystères des Écritures divines. Comme il y a dans les livres sacrés des figures, des tropes, et autres choses semblables, il n'est pas douteux que chacun, en les lisant, n'en pénètre d'autant plus vite le sens spirituel qu'il aura reçu auparavant une instruction littéraire complète.... N'oublie pas de communiquer des exemplaires de cette lettre à tous ceux qui sont évêques avec toi et à tous les monastères, si tu veux jouir de notre grâce[15].

Pour arriver à ces fins, il fallait, comme Charles disait encore, trouver des hommes qui eussent la volonté et le pouvoir d'apprendre et le désir d'instruire les autres. Il ne s'en rencontrait guère parmi les Francs. Le roi les prit partout où il les put trouver, Anglo-Saxons, Irlandais, Écossais, Lombards, Goths, Bavarois, offrant à tous des récompenses et des dignités. Les premiers appelés furent des Italiens, les grammairiens Pierre de Pise et Paulin, l'historien et poète Paul Diacre. Pierre de Pise, qui avait étudié à l'école de Pavie, donna des leçons à Charlemagne ; Paulin reçut l'archevêché d'Aquilée ; ancien précepteur des enfants de Didier, Paul Diacre demeura un moment au palais pour sauver la vie de son frère compromis dans une révolte. Mais aucun de ces hommes n'a exercé sur la direction des études une influence comparable à celle d'Alcuin.

Alcuin était originaire de l'île de Bretagne. Né dans la Northumbrie vers 735, il entra à l'école d'York, sous l'épiscopat d'Egbert, disciple de Bède le Vénérable. Son maître fut Albert, un grand savant. Aux uns, il enseignait les règles de la grammaire ; sur les autres il faisait couler les flots de la rhétorique. Il formait ceux-ci aux luttes du barreau, et ceux-là aux chants d'Aonie. Il expliquait encore l'harmonie du ciel, les pénibles éclipses du soleil et de la lune, les mouvements violents de la mer, les tremblements de terre, la nature de l'homme et celle des animaux, les diverses combinaisons des nombres et leurs formes variées. Il enseignait à calculer d'une manière certaine le retour solennel de Pâques, et surtout il découvrait les mystères des Saintes Écritures. Déjà riche de cette science universelle, Alcuin étudia dans la bibliothèque de l'école les écrits des Latins et des Grecs, les traités des docteurs de l'Église et ceux des philosophes païens. C'était bien l'homme qui convenait à Charlemagne. Le roi avait fait sa connaissance en Italie, depuis plusieurs années, quand il l'invita à se rendre auprès de lui. En 782, Alcuin débarquait avec ses élèves, Sigulfe, Fridugise, et Witton. Il devint l'ami du roi, prit part à la querelle de l'adoptianisme, et fut un de ceux qui préparèrent le couronnement de l'an 800.

L'œuvre littéraire d'Alcuin est considérable ; mais il est avant tout un pédagogue qui transmet fidèlement aux autres les doctrines qu'il a reçues, et le propagateur d'une méthode qui restera en honneur pendant le Moyen-âge. Il a consacré la division des connaissances en sept degrés, les sept degrés de la philosophie, ou, comme on disait déjà, les sept arts : la grammaire, gardienne du langage et du style correct, la rhétorique et la dialectique, celle-ci concluant avec des arguments serrés et précis, celle-là parcourant avec des mots abondants les champs de l'éloquence, l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. Au reste, il n'a ni originalité, ni curiosité scientifique. Sa manière pédantesque apparaît dans les énigmes en vers, quelquefois très longues, qu'il aimait à écrire, et dans les dialogues entre maître et élève qu'il imaginait, comme celui-ci :

Qu'est-ce que l'écriture ? dit Pépin, l'un des fils de l'empereur. La gardienne de l'histoire, répond Alcuin. — Qu'est-ce que la parole ? La trahison de la pensée. — Qui engendra la parole ? La langue. — Qu'est-ce que la langue ? Le fléau de l'air. — Qu'est-ce que l'air ? Le gardien de la vie. — Qu'est-ce la vie ? La joie des heureux, la douleur des malheureux, l'attente de la mort. — Qu'est-ce que l'homme ? L'esclave de la mort, l'hôte d'un lieu, un voyageur qui passe.

Alcuin fut le précepteur de Charles, mais aussi des fils de l'empereur, de ses filles, de tout le palais. Telle fut l'origine de la fameuse Académie palatine, où figurent, à côté de la famille royale, tous les hommes célèbres de l'époque. Suivant un usage anglo-saxon, les illustres écoliers empruntent leurs noms à l'antiquité ou profane ou sacrée. Charlemagne s'appelle David, Alcuin Horatius Flaccus, Angilbert Homère, Adalard Augustin, Witton Candidus, Fridugise Nathanæl, Arnon de Salzbourg Aquila.

Les membres de l'Académie palatine furent souvent mis à la tête des évêchés et des monastères. Charlemagne voulait répandre l'instruction par l'Église. Il le dit dans un capitulaire du 23 mars 789 : Que les ministres de Dieu attirent auprès d'eux, non seulement les jeunes gens de condition servile, mais les fils d'hommes libres. Qu'il y ait des écoles de lecture pour les enfants. Que les psaumes, les notes, le chant, le calcul et la grammaire soient enseignés dans tous les monastères et tous les évêchés. De nombreuses écoles épiscopales ou monastiques se fondent : Angilbert crée celle de Saint-Riquier, Adalard celle de Corbie, Gervold celle de Saint-Wandrille, Benoît celle d'Aniane. A Lyon, Leidrade fait enseigner la lecture, l'écriture et le chant, conformément aux coutumes du palais. Retiré à Tours comme abbé de Saint-Martin, depuis 796, Alcuin lutte contre la rusticité des Tourangeaux et s'efforce de créer sur les bords de la Loire une nouvelle York.

 L'homme qui seconda le mieux Charlemagne dans son œuvre scolaire proprement dite fut Théodulfe. Il était Goth, né en Espagne ou en Septimanie, et il devint évêque d'Orléans un peu avant 798. Dans son diocèse, les prêtres doivent lire assidûment, prêcher au peuple sans relâche, rendre compte dans les conciles des efforts qu'ils ont faits et des résultats qu'ils ont obtenus. Ils ouvriront des écoles dans les villas et les bourgs, accueilleront tous les enfants qui leur seront envoyés et n'exigeront de ce fait aucune rétribution, excepté ce que les parents pourraient leur offrir volontairement et par affection. Si l'on rapproche de cette lettre le capitulaire d'un évêque anonyme, qui ordonne aux fidèles d'envoyer leurs enfants à l'école, et de les y laisser jusqu'à ce qu'ils soient sérieusement instruits, on reconnaît une ébauche d'enseignement primaire, obligatoire et gratuit. Au-dessus des écoles paroissiales, Théodulfe en établit d'autres pour ceux qui voulaient compléter leur instruction, à Fleury-sur-Loire, Saint-Aignan, Saint-Liphard, Sainte-Croix d'Orléans.

Les écoles épiscopales et monastiques, le palais, avaient des bibliothèques. Charlemagne possède une grande quantité de livres, qu'il ordonne de vendre après sa mort au profit des pauvres. L'abbaye de Saint-Riquier a 256 manuscrits. Parmi les cadeaux que les abbés nouvellement élus font à leurs monastères, des livres figurent toujours. Quelques listes des ouvrages ainsi rassemblés nous sont parvenues : on y rencontre les histoires de Josèphe, d'Eusèbe, de Socrate, de Sozomène, le Liber historiæ, les œuvres de Bède, quelques poètes anciens comme Virgile, surtout l'Ancien et le Nouveau Testament et les écrits des Pères de l'Église, saint Augustin, saint Hilaire, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Cyprien, Grégoire le Grand. Parmi les écrivains ecclésiastiques, aucun n'est plus goûté que saint Augustin. Théodulfe le place au premier rang ; Gervold et Anségise offrent ses œuvres aux monastères de Saint-Wandrille et de Saint-Germain.

Lorsque l'empire fut institué, il y avait environ vingt ans que le relèvement des études avait été entrepris. Des écrivains s'étaient formés. Comme Charlemagne était le successeur d'Auguste, il eut, à l'imitation des premiers empereurs romains, ses historiens et ses poètes, son Suétone, son Horace, son Virgile. Mais dans ce royaume chrétien, la littérature sacrée continua naturellement à tenir une grande place.

Les Commentaires des Évangiles sont nombreux. Faits de citations paraphrasées ou simplement transcrites, ils ont une médiocre valeur. L'établissement des textes sacrés donna des résultats plus satisfaisants : Corrigez bien vos livres, lisons-nous dans un capitulaire du 23 mars 789, car souvent ceux qui doivent demander quelque chose à Dieu le demandent mal, n'ayant que des livres peu corrects. Ne permettez pas à vos enfants de corrompre les livres en les lisant ou en les copiant ; s'il est nécessaire d'écrire un Évangile, un Psautier, un Missel, que ce travail soit accompli par des hommes d'âge mûr, avec tout le soin désirable. Sur l'ordre du roi, Paul Diacre publia un Homiliaire, où il avait supprimé bon nombre de solécismes mal sonnants. Alcuin fit aussi un recueil d'homélies ; mais il passa presque aussitôt à une œuvre plus importante, la recension de la Bible, qu'il présenta à l'empereur, probablement aux fêtes de Noël de l'année 801. Théodulfe avait composé une édition plus savante ; celle d'Alcuin fut préférée : le texte qu'il avait choisi était d'une grande pureté, provenant directement des Bibles que Cassiodore avait fait écrire dans les couvents de la Calabre. De nombreuses copies sortirent encore de l'École de Tours, et la version de saint Jérôme restaurée fut seule en usage.

Dans la littérature carolingienne, l'histoire occupe la seconde place. Les ouvrages historiques se distinguent de ceux de l'époque antérieure par l'abondance des développements et la supériorité de la forme. Ce double caractère est bien marqué dans les vies de Sturm par Eigil, de Grégoire d'Utrecht par Liudger, de Willibrord par Alcuin. Si l'on y rencontre encore le style ordinaire des légendes, le fond est plus solide, le latin plus soigné ; d'ailleurs les hagiographes du IXe siècle ne font souvent que remettre en meilleur langage les vies des saints que le passé leur a léguées.

Parmi les Annales, il en est qui ne diffèrent guère de celles qui existaient auparavant ; on les nomme pour cette raison Annales brèves ou Petites Annales ; mais d'autres attestent l'heureux changement survenu dans la manière d'écrire l'histoire : ce sont les Annales royales, rédigées sous l'inspiration directe du palais. L'initiative de ce travail paraît avoir appartenu à Childebrand, frère de Charles Martel, et à son fils Nibelung, qui chargèrent successivement plusieurs moines anonymes de continuer la chronique dite de Frédégaire. Au moment où Charles Martel partage ses États entre ses fils, commencent les annales de Lorsch ; elles racontent l'histoire carolingienne jusqu'en 829. Nous ignorons quels en furent les rédacteurs, et l'attribution de certaines parties à Eginard et à Angilbert n'est rien moins que prouvée ; mais il n'est pas douteux qu'elles soient l'œuvre d'hommes bien renseignés. De même nature sont les histoires d'évêques et d'abbés, comme les Gestes des évêques de Metz par Paul Diacre et des abbés de Fontenelle.

La Vie de Charlemagne, par Eginard, est l'œuvre historique la plus remarquable de cette époque. Eginard, qui avait étudié à l'école de Fulde, arriva à la cour entre 791 et 796 : il avait alors de vingt à vingt-cinq ans. Il s'y fit remarquer par son grand esprit et sa petite taille, si petite qu'on le comparait à un pied de table. L'empereur, qui le prit en amitié, lui fit don de plusieurs abbayes, bien qu'il fût laïque. Eginard a emprunté à Suétone son plan et quantité d'expressions et de tournures : 40 passages de l'écrivain latin sont reproduits presque littéralement. En acceptant le cadre que lui fournissait le biographe des Césars, il a été conduit cependant à fournir sur le caractère de Charlemagne, les mœurs de sa famille, les progrès des lettres et des arts, des renseignements que, de lui-même, il n'aurait peut-être pas songé à nous donner, et qui sont précieux. D'autre part, Eginard, comme tous les historiens de son temps, a été mêlé aux événements qu'il raconte, et il se montre assez impartial. La Vie de Charlemagne, qui parut peu de temps après la mort de l'empereur, fut imitée : Louis le Pieux sera le sujet de trois monographies du même genre, deux en prose, par Thégan et le soi-disant Astronome, l'autre en vers par Ermold le Noir.

Les évêques, les abbés, les seigneurs instruits, entretiennent une correspondance active. Les lettres d'Alcuin sont particulièrement nombreuses, et forment le complément naturel de ses cours.

Si la poésie se distingue de la prose, ce n'est guère que par la versification. On met tout en vers, la religion et la morale, la philosophie (c'est-à-dire la théologie), l'histoire, la correspondance, les fables, l'épigraphie : il serait possible de composer un recueil avec les inscriptions qui ornaient les portes des églises et les demeures des particuliers, les murs, les autels, les bibliothèques, les livres, les tombeaux, et dont quelques-unes, disposées en losanges ou en acrostiches, sont de véritables tours de force. La poésie est surtout religieuse, car les auteurs sont gens d'Église, pour la plupart ; mais une poésie profane apparaît avec l'épopée, l'églogue, l'épître. Les modèles et les inspirateurs de la poésie carolingienne sont des poètes chrétiens, Prudence et Fortunat, le plus disert des poètes, ou des païens, Calpurnius, Horace, Lucain, quelquefois Martial et Properce, souvent Ovide et Virgile. A ce dernier ses pâles imitateurs empruntent jusqu'aux noms de ses héros.

Paul Diacre et Alcuin excellent dans les épitaphes et les dédicaces. L'églogue est spécialement cultivée par un poète qui a pris le nom de Nason, qui est peut-être Modoin, évêque d'Autun ; l'exilé d'Hibernie, sans doute le moine irlandais Dungal, chante dans un fragment d'épopée la révolte de Tassilon. Les deux meilleurs poètes, tous deux divins, dit un contemporain, sont Angilbert et Théodulfe. Il s'en fallait de beaucoup qu'Angilbert, poète épique, méritât le surnom d'Homère ; mais on sent en quelques passages de ses poèmes, par exemple dans la scène de l'entrevue de Léon III et de Charles à Paderborn, un vrai souffle d'épopée. Dans les épîtres de Théodulfe à Charlemagne et à sa famille, on rencontre quelques vers harmonieux, de gracieuses images et de jolies descriptions.

Le latin était la langue officielle, celle des belles-lettres et de l'administration. Cependant Charlemagne ne se désintéressait pas du francique, sa langue natale. Il fit entreprendre une grammaire franque et donner des noms francs aux mois et aux vents ; les vieux poèmes barbares, qui célébraient l'origine et les guerres de la nation franque, furent rassemblés sur son ordre. Mais le latin rustique, qui est devenu le roman, va dominer dans la plus grande partie de la Gaule. De temps à autre, une ligne d'un auteur, une allusion en signale l'existence. En 813, au concile de Tours, les évêques assemblés déclarent que les homélies doivent être traduites en roman, pour être comprises de tout le monde. Les gens instruits répugnent encore à l'employer ; le biographe d'Adalard cite comme une singularité de son héros qu'il parle le roman, et il a bien soin d'ajouter qu'il sait aussi le francique et encore mieux le latin. Bientôt les fameux serments de Strasbourg seront la manifestation officielle de l'existence du roman, et le premier texte où il soit possible de l'étudier.

Depuis longtemps déjà, le peuple s'en servait pour chanter les exploits des anciens rois : la chanson de Saint-Faron, qui rappelait une victoire de Clotaire II sur les Saxons, fut à peu près contemporaine des événements qu'elle mentionnait. Ces chants ou cantilènes n'étaient cependant pas très nombreux, et la décadence des VIIe et VIIIe siècles avait tari la source d'où ils sortaient. Les hauts faits de Charlemagne alimentèrent, de son vivant, la littérature populaire comme la littérature classique. La bataille de Roncevaux, les principaux épisodes de la guerre contre les Saxons, furent célébrés. Les annales de Lorsch elles-mêmes furent mises en langue plébéienne et rustique. Les soldats de Charlemagne furent les agents de cette propagande. L'un d'eux, Adalbert, qui avait combattu les Avares et les Slaves sous les ordres du comte Gérold de Bavière, raconta au moine de Saint-Gall, alors petit enfant, les merveilleuses légendes que celui-ci nous a rapportées en latin, mais qui étaient contées, de l'autre côté du Rhin, en tudesque, de ce côté-ci, en roman. Or on sait que notre poésie épique est sortie des cantilènes. L'intérêt littéraire du règne de Charlemagne est beaucoup plus dans cette apparition d'une langue nouvelle et de ses premiers monuments que dans ses œuvres imitées de l'antique.

 

IV. — LES ARTS[16].

L'ART carolingien présente les mêmes caractères que la littérature. Par la pensée qui l'inspire, par ses principales manifestations, il est essentiellement religieux, mais il manque d'originalité dans la forme.

Des particuliers avaient enlevé aux églises, pour leur usage personnel, du bois et des tuiles ; des prêtres y engrangeaient leurs récoltes ; partout elles tombaient en ruines. L'empereur, dit Eginard, ordonna aux pontifes et aux pères, que ce soin regardait spécialement, de relever les édifices sacrés, et il veilla, par l'intermédiaire de ses lieutenants, à ce que ses ordres fussent exécutés. De nombreux capitulaires confirment ce témoignage. Charles veut que les églises et les autels inutiles soient supprimés, mais les autres sérieusement entretenus ; que les toitures soient toujours en bon état, les luminaires allumés, les offices célébrés régulièrement. A Lyon, Leidrade restaure Saint-Étienne, Saint-Nizier, Sainte-Marie, Saint-Jean. Des églises nouvelles sont construites. Le travail se fait au moyen de corvées surveillées par les évêques et les comtes ; au besoin, l'empereur fournit de l'argent. Les ouvriers qu'il emploie sont très bien traités ; les étrangers, placés sous la protection d'un prévôt, sont nourris et vêtus aux frais du trésor.

Le principal architecte de Charlemagne — on pourrait dire le surintendant des bâtiments — fut Eginard. On lui donnait au palais le nom de Beseleel, l'inventeur de l'arche d'alliance, qui accomplit son œuvre, dit la Bible, avec l'esprit de Dieu, et sut également ouvrer l'or, l'argent, l'airain, le bois, la pierre. Assisté par Anségise, futur abbé de Fontenelle, Eginard exécuta de nombreux travaux ; mais on lui a attribué sans preuve suffisante tous les grands ouvrages de l'époque, comme le pont de Mayence, le palais et la chapelle d'Aix, le palais d'Ingelheim.

Bien que le domaine de l'art carolingien fût vaste — il comprenait la Germanie, la Gaule, la Lombardie —, peu de monuments du IXe siècle ont survécu. On continuait à bâtir en bois, surtout dans le Nord, et non seulement des églises de campagne, mais de grandes basiliques, qui ont naturellement disparu. Parmi les constructions en pierre remontant, selon certains auteurs, au règne de Charlemagne, les unes sont de date incertaine, les autres ont été considérablement remaniées. Il ne s'ensuit pas qu'aucune d'entre elles ne doive être retenue comme carolingienne[17], mais on doit se contenter de prendre une idée générale de l'architecture de cette époque, d'après les fragments qui subsistent et les textes des écrivains.

L'église est à la fois un lieu de prière, de réunion et d'asile. Les habitants s'y installent pour causer, les marchands pour vendre, malgré la loi qui veut que la maison de Dieu soit l'endroit où l'on prie, et non une caverne de brigands. Un fugitif qui réussit à pénétrer dans l'atrium n'en peut être emmené de force. Les dispositions en usage sont celles de la basilique mérovingienne, mais l'imitation de l'antique y est mieux comprise. Eginard et ses contemporains lisaient Vitruve : c'est même le seul renseignement précis que nous possédions sur leur éducation artistique. Le plan de l'église est celui de la croix ; la nef a quelquefois des bas-côtés portant des tribunes réelles ou simulées ; les autels sont nombreux. L'originalité de la construction provient de la tour-lanterne, cylindrique ou carrée, bâtie à la croisée et surmontée, soit d'un pavillon de bois, soit d'une coupole, où l'on met les signaux et les cloches, qui sonnent l'heure des offices et de la prière.

La plupart des édifices religieux sont conformes à ce type. Mais les Francs avaient admiré, au delà des Alpes, les chefs-d'œuvre de l'art byzantin et ceux de l'art gréco-romain : ils imitèrent les premiers et pillèrent les seconds. L'Italie envoya des colonnes, des frises, des chapiteaux, et ces débris introduits tant bien que mal, plutôt mal que bien, dans les églises franques, rappellent les vers de Virgile que les écrivains inséraient dans leurs poésies. Si l'architecture ordinaire reste romaine, l'architecture officielle est byzantine, surtout aux bords du Rhin.

Le principal monument qui nous en reste est la chapelle que Charlemagne fit construire pour son palais d'Aix, et qui sert aujourd'hui de nef à l'église de cette ville. Des sculptures, des marbres, des mosaïques, furent apportés de Rome et de Ravenne ; des maîtres, des ouvriers arrivèrent de toutes les régions situées en deçà des mers. Les travaux, dirigés par un certain Othon, durèrent dix-huit ans, et l'édifice fut inauguré, le 6 janvier 805, par le pape Léon III. Il se compose d'une salle octogone de quatorze mètres cinquante de diamètre, entourée par deux étages de galeries largement ouvertes, auxquelles on accède par deux tourelles contenant des escaliers à vis ; une coupole sert de couronnement. C'est une simple reproduction de Saint-Vital de Ravenne, exécutée par des mains lourdes et maladroites.

La chapelle d'Aix provoqua cependant un grand enthousiasme. Eginard la déclare admirable et d'une suprême beauté ; le Moine de Saint-Gall la qualifie d'œuvre divine et humaine ; les contemporains en vantent la toiture de plomb doré, les luminaires d'or et d'argent, les chancels et les portes de bronze, qui existent encore. Plusieurs églises furent construites sur ce modèle, notamment celles de Saint-Michel de Fulde, de Wimpfen, et plus tard celle d'Otmarsheim en Alsace. En France, il reste un spécimen du même art dans la petite église de Germigny-des-Prés, située à quelques kilomètres du monastère de Fleury-sur-Loire, et qui est l'œuvre de Théodulfe. Elle a subi de nombreux accidents, y compris, dans notre siècle, une fâcheuse restauration ; mais les absides qui terminent la nef du côté de l'Orient et celles qui décorent les extrémités des transepts, sont anciennes et rappellent tout à fait les procédés byzantins. D'ailleurs le moine Létald, qui écrivait au Xe siècle, dit que l'église de Germigny fut exécutée à l'instar de celle d'Aix, et cette affirmation devient très vraisemblable, si l'on admet l'authenticité de l'inscription qui en fixe la consécration au 3 janvier 806.

La richesse des abbayes trouve en partie son emploi dans les grandes constructions. L'abbé de Fulde, Ratgar, fatiguait ses moines par sa manie de bâtir : le nécrologe de l'abbaye l'appelle un savant architecte. C'est à l'époque carolingienne que les monastères se constituent avec leurs bâtiments nombreux, répondant aux divers besoins des habitants, disposés d'ailleurs avec beaucoup de netteté et dans un ordre à peu près uniforme. L'église en est la partie essentielle ; le cloître, généralement carré, y est adjacent. La salle de réunion, l'école et la bibliothèque, le réfectoire, le dortoir, bordent les quatre côtés de la cour. Au delà s'étendent les quartiers de l'abbé, des hôtes, des malades. Les dépendances, occupées par les colons et les serfs, couvrent au loin la campagne[18].

En France, l'abbaye de Saint-Wandrille était une des plus belles. La grande tour de l'église se terminait par une pyramide quadrangulaire, haute de trente-cinq pieds, recouverte d'étain et de cuivre doré ; le réfectoire et le dortoir, décorés de fenêtres vitrées, mesuraient 208 pieds de long sur 27 de large. L'abbaye de Saint-Riquier fut bâtie de 793 à 798, sur les plans d'Angilbert. Grâce aux subventions de Charlemagne, les ouvriers et le travail manquèrent, dit la chronique, avant l'argent nécessaire pour les payer. Le roi envoya à l'abbé des architectes, et lui permit de faire chercher à Rome des marbres et des colonnes. Il y avait trois églises, dont la principale, construite au Nord, était surmontée de hautes tours flanquées de tourelles à escaliers, comme celles de la chapelle d'Aix ; les deux autres, consacrées à la Vierge et à saint Benoît, s'élevaient au Sud et à l'Est, et l'enceinte qui les unissait donnait au cloître la forme d'un triangle, en l'honneur de la Sainte-Trinité. La superstition des chiffres symboliques, alors très répandue, avait déterminé le nombre des autels, des ciborium, des ambons. Les grands murs extérieurs étaient ornés de tours et de chapelles, qu'Angilbert avait doublées d'un second mur très solide, pour que les prêtres pussent dire la messe en toute tranquillité.

L'unique forme de l'architecture civile que nous connaissions est le palais. Les anciens empereurs romains avaient des demeures somptueuses ; il était naturel que leur successeur les imitât. Les constructions s'élevèrent sur les bords du Rhin, à Nimègue, Ingelheim, Aix. Le palais d'Aix, bâti vers 798, eut probablement celui de Ravenne pour modèle : il est possible de se le représenter, grâce aux vestiges qui en sont restés et que les archéologues allemands ont étudiés avec beaucoup de science, et quelquefois d'imagination. Le plan en était très étendu, car il fallait beaucoup de place pour héberger toute la cour. Au centre se trouvaient les appartements de l'empereur et de sa famille, la salle de réception, les thermes. Une grande aile, qui renfermait l'école, la bibliothèque, les archives, réunissait la salle à la chapelle ; mais l'empereur allait directement à l'église par une galerie couverte, construite à grands frais, qui s'écroula subitement en 813, le jour de l'Ascension. D'après le Moine de Saint-Gall, les maisons des courtisans étaient disposées alentour, de telle sorte que Charles pût voir de sa terrasse tous ceux qui y entraient ou en sortaient.

La décoration des églises, des monastères et des palais, était, sinon remarquable, du moins très riche. La sculpture ne parait pas avoir été en honneur ; mais les fragments qui en restent sont trop rares pour qu'on puisse l'apprécier avec exactitude. L'empreinte barbare se reconnaît à certains dessins géométriques, et à la dureté du ciseau qui a taillé les oiseaux, les roses, les palmes. Nombre de chapiteaux portent les volutes de l'ordre ionique ou la feuille d'acanthe du corinthien. La véritable décoration consiste en stucs, surtout en peintures murales et en mosaïques, qui masquent à l'extérieur et à l'intérieur les défauts du petit appareil.

On a dit, à tort, que Charlemagne avait proscrit les arts figurés. Ce qu'il défendit, ce fut l'adoration des images. Dans les capitulaires relatifs à la restauration des églises, il recommande les pavements, les peintures aux plafonds et aux murs, et, dans les livres carolins, il autorise la représentation des scènes de l'Écriture. A Saint-Wandrille, la basilique entière et le réfectoire avaient été décorés par Madalulf que les annales de l'abbaye qualifient de peintre remarquable du diocèse de Cambrai. La plupart des sujets traités dans les églises sont religieux : création du monde avec de nombreux animaux, scènes de martyre, principaux épisodes de la vie du Christ depuis le mariage de Marie jusqu'au crucifiement. Dans les palais impériaux, ce sont des sujets historiques : les guerres contre les Sarrasins et les Saxons, les grandes actions des empereurs romains. Comme beaucoup n'étaient pas capables de comprendre ces peintures, les poètes les commentaient à l'aide d'inscriptions ; au-dessous des personnages étaient écrits leurs noms.

Les mosaïques, empruntées à l'art byzantin, servent de préférence à composer les pavements et à décorer les voûtes des absides. Pour le pavement des nefs, on utilise des matériaux ordinaires ; pour celui des chœurs, on recherche les marbres précieux, le porphyre rouge et vert, comme on en voyait encore à Saint-Riquier au XVe siècle. A Aix, la mosaïque la plus remarquable était celle qui recouvrait l'intérieur de la coupole : sur un ciel d'or parsemé d'étoiles rouges se détachait le Christ bénissant, escorté de deux anges, les douze vieillards à ses pieds. Elle n'est plus connue que par un mauvais dessin. L'église de Germigny-des-Prés a gardé une mosaïque représentant l'arche d'alliance portée par quatre chérubins au nimbe d'or et aux ailes déployées. Au fond de l'arche entr'ouverte apparaissent les tables de la Loi ; au-dessous se développe l'inscription en majuscules romaines, formée de cubes argentés sur fond d'émail bleu.

L'orfèvrerie et l'ivoirerie continuent les traditions mérovingiennes. Chaque église possède son trésor. Sur les (limes perçues, un tiers est. réservé aux pauvres et aux pèlerins, un tiers aux besoins du prêtre, un tiers à l'entretien des ornements sacrés. Mais le trésor des grandes basiliques, augmenté sans cesse par les dons des abbés et des fidèles, est particulièrement riche. On y trouve des reliquaires d'or enchâssés de pierres précieuses, des autels portatifs contenant aussi des reliques, des ciborium. Placé au-dessus des tombeaux des saints, le ciborium est formé de quatre colonnes qui supportent une petite coupole de pierre ou de bois lamé d'or et d'argent. Les ivoires, dont il existe encore d'intéressants spécimens, sont travaillés d'après les vieilles images chrétiennes d'Italie et les modèles byzantins. Les principaux ateliers sont ceux de Saint-Riquier et de Saint-Wandrille. Il n'y a d'ailleurs pas de nom d'artiste à citer, comme, à l'époque précédente, celui de saint Éloi.

Les trésors contiennent aussi des livres, qui figurent sur les inventaires au même titre que les ornements d'églises, et qui sont en effet de véritables œuvres d'art. Avec Charlemagne, l'écriture se transforme. Sous l'influence irlandaise et saxonne, la minuscule mérovingienne, d'aspect désagréable, et difficile à lire, est abandonnée pour une autre, plus claire, plus élégante, moins embarrassée de ligatures. Surtout la calligraphie décorative mérite l'attention par ses belles lettres à entrelacs ingénieusement combinés, ses caractères d'or et d'argent qui se détachent sur fond de pourpre, ses miniatures.

L'école de calligraphie la plus célèbre est celle de Tours ; Alcuin y a lui-même installé l'atelier des scribes, et, sur la porte du lieu où ils travaillent, il a fait placer une inscription qui leur recommande de soigner leur ouvrage, de ne pas mettre un mot pour un autre, d'éviter les fautes de ponctuation. Il y eut encore sept autres écoles calligraphiques, celles du palais, de Metz, de Reims, de Saint-Denis, de Corbie, de Fulde et de Saint-Gall. On y recopiait surtout les livres sacrés, Bibles, Évangéliaires, Psautiers, Sacramentaires. Quelques-uns de ces splendides manuscrits sont parvenus jusqu'à nous. Le plus ancien est l'Évangéliaire que le moine Godescalc exécuta pour Charlemagne vers '781, et qui se trouve à la Bibliothèque Nationale ; écrit en lettres d'argent et d'or sur pourpre, il est disposé sur deux colonnes et orné de six miniatures. Il faut citer encore le Psautier donné par Charlemagne au pape Hadrien, l'Évangéliaire qui, d'après la légende, fut trouvé sur les genoux de l'empereur à l'ouverture de son tombeau, et qui est conservé au Trésor impérial de Vienne, les Bibles de Théodulfe. Dans la suite furent faites les Bibles de Charles le Chauve. Celle du comte Vivien, exécutée à Tours entre 845 et 851, est très précieuse ; les miniatures représentent l'histoire d'Adam et Ève, Moïse recevant la loi et l'enseignant aux peuples, Charles le Chauve sur son trône, accompagné de deux soldats, et le comte Vivien lui offrant son livre. Les possesseurs de pareilles œuvres les enfermaient, comme des reliques, et les faisaient enchaîner pour qu'on ne pût les enlever.

La musique a aussi sa place parmi les arts auxquels s'intéressa Charlemagne ; elle est alors toute religieuse. Depuis le Ve siècle, il y avait dans les chants liturgiques d'Occident deux usages, l'usage romain régularisé par Grégoire le Grand et l'usage gallican. Sous l'épiscopat de Chrodegang, la liturgie romaine fut introduite à Metz, et, vers la même date, un évêque de Rouen obtint du pape quelques chanteurs. Pépin entreprit d'étendre cette réforme à tout le royaume ; et Charlemagne ordonna que, suivant la volonté de son père, de vénérée mémoire, toutes les églises de Gaule adoptassent la tradition romaine, afin que les pays unis par une même ardeur dans la foi, le fussent également par leur manière de psalmodier. Hadrien lui envoya deux maîtres, Pierre et Romain, pour corriger ses antiphonaires ; ils s'établirent, l'un à Metz, l'autre à Saint-Gall, et l'on montre encore à la bibliothèque de cette dernière ville un antiphonaire grégorien que Romain y aurait apporté. L'école de Saint-Gall fleurit à la fin du Ir siècle et au début du Xe ; elle eut pour représentants les plus illustres Notker, Hartmann, Radbert, et surtout Tutilon, qui, dit la légende, était bon orateur, ciseleur élégant, musicien et poète.

 

V. — CONCLUSION.

LE règne de Charlemagne est l'un des plus grands dont l'histoire fasse mention. Les plus glorieux princes de l'Europe, au Moyen Age et dans les temps modernes, d'Otton III à Napoléon, en passant par Frédéric Barberousse et par Louis XIV, ont été hantés par son souvenir. Napoléon l'appelait notre illustre prédécesseur. Comment Charlemagne a-t-il mérité cette admiration ?

Il ne fut pas un administrateur de génie : il a seulement perfectionné des moyens de gouvernement qui existaient avant lui. Il ne fut pas non plus un grand homme de guerre : à part une ou deux actions d'éclat, l'histoire de ses campagnes est monotone et vide ; d'ailleurs, pour vaincre ses ennemis, il n'avait besoin ni de grande stratégie, ni de tactique savante. Enfin la Renaissance des lettres et des arts, à laquelle il a présidé, est restée médiocre et factice.

Mais il fut, comme dit un de ses contemporains, le lutteur vigoureux, qui abattit les Saxons et disciplina les cœurs des Francs et des Barbares, que la puissance romaine n'avait pu dompter. En lui vivait une extraordinaire énergie : il eut la conscience de tous ses devoirs, si divers, et soutint jusqu'au bout son application à les remplir. Il fut un sérieux et inlassable travailleur, comptant les poules de ses basses-cours et dictant ses capitulaires, apprenant à écrire et présidant assemblées et conciles, réglant les chants de sa chapelle, et, chaque année presque, chevauchant vers quelque lointaine frontière. Son intelligence était assurément très remarquable, à la fois ferme, ouverte et habile : il vit clairement la grande complexité des choses, ou peut-être il s'y accommoda tout naturellement. Il n'a point essayé d'établir l'uniformité des lois entre les peuples de son empire. Des droits nouveaux naissaient, ou étaient nés déjà de l'évolution que préparait la féodalité : il ne les a pas contestés ; on a même vu qu'il les avait confirmés. Mais il a soumis les peuples divers à une même administration, celle des comtes et des missi, et à des ordonnances générales. Les coutumes féodales naissantes, il les a employées au service de l'État, en obligeant le seigneur à mener ses hommes à l'ost du roi. On dirait qu'il y a en lui une faculté de tout comprendre et de tout concilier, d'imaginer entre des contradictoires le possible modus vivendi. Aux vices du régime, il cherche le remède, et il le trouve : aux hommes libres incompétents et négligents il substitue, dans le mail, les scabins ; aux comtes, administrateurs infidèles, il superpose les missi. Et partout et toujours sa main se porte aux lézardes de l'édifice.

Enfin, il s'est donné un idéal, et il y a cru. Il a voulu faire de son empire une communauté morale, une grande cité chrétienne. Par là s'est achevée sa gloire. Cette gloire vient, en somme, de sa puissance, car les hommes admirent toujours ceux qui ont commandé à beaucoup d'hommes ; mais cette puissance est embellie par la grandeur de ce rêve carolingien : l'unité morale de l'humanité dans l'imperium christianum.

La légende s'empara de Charlemagne aussitôt après sa mort[19]. On raconta que des prodiges effrayants avaient annoncé sa fin : pendant trois jours de suite, le soleil et la lune s'étaient obscurcis, et des lignes de feu avaient passé dans le ciel ; le toit de la basilique d'Aix, frappé par la foudre, s'était écroulé, et les mots Karolus princeps, gravés sur une couronne d'or suspendue à la nef, avaient disparu. L'on imagina plus tard que l'empereur n'avait pas été mis dans un cercueil, mais assis sur son trône, en grand costume impérial, le voile sous le diadème, l'épée au côté, le sceptre à la main, les Saints Évangiles sur les genoux.

Au reste, la poésie et la tradition populaires ont amplifié, mais non pas altéré les traits de cette grande et admirable physionomie. Le Charlemagne des poètes de Gestes, combattant les vassaux rebelles ou félons, allant à la guerre avec son frère le pape, visitant en pèlerin la Terre-Sainte, dont Haroun-al-Raschid lui fait les honneurs, ou conduisant à la croisade les chevaliers de la chrétienté ; ce guerrier d'une stature haute de huit de ses pieds, qui étaient fort longs, aux reins si larges, si vigoureux, que, d'un coup d'épée, il coupe en deux cavalier et cheval armés de pied en cap ; ce lettré, ce savant, à qui l'on attribue la fondation de l'Université de Paris, c'est Charlemagne, que la postérité a grandi, comme le soleil couchant allonge l'ombre d'un corps en le laissant reconnaissable.

 

 

 



[1] SOURCES. Les documents historiques proprement dits ne donnent presque rien. Voir cependant la Chronique de l'abbaye de Saint-Riquier, édit. Lot, 1894, et les Gesta abbatum Fontanellensium dans les Scriptores rerum germanicarum ad usum scholarum, éd. Lawenfeld. Les Lettres, et en particulier celles d'Eginard, fournissent quelques renseignements, mais les véritables sources sont les Capitulaires et les Polyptyques. Voir notamment Boretius, Capitularia regum Francorum, p. 83-91, le Capitulaire de villis, commenté par Guérard dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, 1853. Guérard a publié en 1853 le Polyptyque de Saint-Remi de Reims, en 1857 celui de Saint-Victor de Marseille, et en 1844 celui de Saint-Germain-des-Prés précédé de remarquables prolégomènes. Ce dernier a été réédité par Longnon en 18813-1895. — Les textes relatifs à l'histoire de l'industrie ont été en partie rassemblés par Fagniez, Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, t. I, 1898.

OUVRAGES À CONSULTER. L'Histoire des classes rurales en France, de Doniol, 1857, et l'Histoire des classes agricoles en France de Dareste, 1858, ont beaucoup vieilli. Consulter principalement : Levasseur, Histoire de l'industrie et des classes ouvrières en France, 2e éd., 1900, Sée. Les classes rurales et le régime domanial en France au Moyen Âge, 1901. Imbart de la Tour, Les paroisses rurales de l'ancienne France, 1900. Maury, Les forêts de la Gaule, 1850. Fustel de Coulanges, L'alleu et le domaine rural à l'époque mérovingienne, 1889.

[2] Le bonnier (bunuarium, bunarium) est une mesure de superficie qui valait un peu plus d'un hectare : 128 ares, selon Guérard.

[3] Le fisc était un ensemble de manses, soumis à un même système de redevances, de services et de coutumes.

[4] Le mot polyplychum, qui vient du grec, désignait d'abord un objet plié plusieurs fois sur lui-même. Au Moyen-âge, il a été appliqué aux rouleaux de parchemin sur lesquels figurait l'état des biens dépendant d'un monastère. Puis de polyptyque, on a fait en français pouillé.

[5] Guérard donnait un chiffre beaucoup plus élevé (221.187 hectares). Il a été prouvé depuis qu'il s était trompé dans ses calculs, et que ses évaluations étaient en moyenne neuf fois supérieures à la réalité. Voir à ce sujet le t. I de l'édition Longnon, p. 235 et suiv.

[6] Les hospices (hospitia) sont de petites propriétés qui ont été confiées, en principe, à des hôtes (hospites).

[7] Le mot curtis, que nous traduisons par cour, avait à peu près le sens actuel de ferme. Il désignait une partie de la villa, enclose de murs ou de haies, où se trouvaient des maisons d'habitation et des étables. Parfois aussi ce mot curtis désigne la villa toute entière.

[8] SOURCES. Capitulaires de Charlemagne. Gesta abbatum Fontanellensium. Poèmes de Théodulfe, n° VII et XXVIII, édit. Dommier. Fagniez, Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, t. I.

OUVRAGES À CONSULTER. Pigeonneau, Histoire du commerce de la France, t. I, 1889. Gaffarel, De Francise commercio regnantibus Karolinis, 1879. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Age, t. I, traduit en français, 1886. Grætz, Histoire des Juifs, traduction Voguë, t. III. A. de Barthélemy, Les monnaies de Charlemagne, appendice au livre de Vétault, P. 487-501. Prou, Catalogue des monnaies carolingiennes de la Bibliothèque nationale, 1896. Engel et Serrure, Numismatique du Moyen Age, t. I, 1891.

[9] Les Gestes de Charlemagne, par le moine de Saint-Gall, ont un caractère fortement légendaire, et ne sauraient être utilisées pour écrire l'histoire de l'empereur. Mais l'auteur n'a pas dénaturé de la même façon la vie des classes populaires, et elle n'était pas sensiblement différente à son époque de ce qu'elle était au temps de Charlemagne. En ce qui concerne le commerce, surtout avec l'Orient, c'est une source précieuse qu'il faut utiliser.

[10] Bardowick, Schlessel, Magdebourg, Erfurt, Hallstadt, Forchheim, Brembourg, Ratisbonne, Lorsch.

[11] Il y a usure, dit la loi, toutes les fois qu'il est réclamé plus qu'il n'a été donné ; par exemple : si l'on a donné dix sous et qu'on en redemande davantage ; si l'on a donné une mesure de blé et si on en exige plus.

[12] Un bateau était soumis à des droits de passage (passapium), de pont (pontaticum), de rivage (ripaticum), de port (portaticum), d'ancre (anchoraticum). Les marchands prenaient-ils la voie de terre, ils acquittaient des droits de transit nombreux et variés (viaticum, rotaticum, pulveraticum, cespitalicum). Quand ils arrivaient au terme du voyage, il leur restait encore à payer le salutaticum, le modiaticum, le mensuraticum, le ponderaticum, etc.

[13] SOURCES. Les Œuvres littéraires de cette époque ont paru, soit dans les différentes séries des Monumenta Germaniæ historica, soit dans la Patrologie latine de Migne. Celles d'Alcuin ont été publiées spécialement par Jolie, Monumenta alcuiniana, 1873. Il y a dans la série in-4° des Monumenta d'excellentes éditions des Poésies latines et des Lettres.

OUVRAGES À CONSULTER. Les livres généraux de Bahr, Geschichte der römischen Litteratur im Karolingischen Zeitalter, 1840, d'Ampère, Histoire littéraire de la France avant le XIIIe siècle, 1840, et d'Ozanam, La civilisation chrétienne chez les Francs, 1849, ont beaucoup vieilli. Ils doivent être corrigés et complétés à l'aide des ouvrages suivants : Wattenbach, Deutschlands Geschiehtsquellen, 6e édit., 1893-1894. Ebert, Histoire de la Littérature du Moyen Age en Occident, trad. Aymeric-Condamin, 1883-1889. Monod, Études critiques sur les sources de l'histoire carolingienne, 1898. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, 2e édit., 1900. Müllinger, The schools of Charles the Great and the restoration of education in the IX Century, 1877. Histoire littéraire de la France, publiée sous la direction de M. Petit de Julleville, t. I, 1896. Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, 1865. Samuel Berger, Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du Moyen Age, 1893. Consulter aussi les monographies d'Alcuin par Monnier, 1863 ; Hamelin, 1873 ; Werner, 1876, et de Théodulfe, par Baunard, 1869, et Cuissard, 1892.

[14] On appelle trope un texte liturgique nouveau et sans autorité, intercalé dans un texte authentique et officiel. (Voir Léon Gautier, Histoire de la Poésie liturgique au Moyen Age. Les Tropes, 1886.)

[15] Voir cette lettre et toutes les prescriptions de Charlemagne relatives à la création des écoles, dans Boretius, Capitularia regum Francorum, t. I, p. 79 et suiv.

[16] SOURCES. Les textes relatifs à l'histoire de l'art carolingien sont indiqués dans Piper, Einleilung in die monumentale Theologie, p. 267 et suiv., et Schlosser, Schriftquellen zur Geschichte der Karolingischen Kunst, 1896.

OUVRAGES À CONSULTER. Enlart, Manuel d'archéologie française, t. I, chap. III, 1902. Courajod, Leçons professées à l'École du Louvre, t. I, 1899. Marignan, Louis Courajod, t. I, chap. VI, 1899. Lenoir, Architecture monastique du Moyen Age, 1852-1856. Bodman, Die Pfatzen der fränkischen Könige in Deutschland, 1890. Rhoen, Die Karolingische Pfalz zu Aachen, 1889. Hénocque, Histoire de l'abbaye de Saint-Riquier, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, série in-4°, t. IX-XI. Bouet, L'Église de Germigny les Prés, Bulletin monumental, 1868. Clemen, Merovingische und Karolingische Plastik, 1892. Leitschuh, Geschichte der Karolingischen Malerei, 1894. Rahn, Geschichte der Karolingischen Miniaturmalerei, 1828. Émile Molinier, Histoire générale des Arts appliqués à l'industrie, en cours de publication ; voir notamment les chapitres sur les ivoires, t. I, et l'orfèvrerie, t. IV. Prou, Manuel de Paléographie, chap. III, 1889. Léopold Delisle, Mémoire sur l'école calligraphe de Tours au IXe siècle, Mémoires de l'Académie des Inscriptions, 1885. Duchesne, Origines du culte chrétien, 2e édit., 1898. Kurze, Einhard, 1899.

[17] C'est l'opinion qui a été il peu près soutenue par Alfred Ramée, De l'état de nos connaissances sur l'architecture carolingienne, Bulletin du Comité des Travaux historiques et scientifiques, Section d'archéologie, 1882. Elle doit être rejetée. Voir la liste des monuments qui appartiennent avec le plus de vraisemblance à l'époque carolingienne, dans Marignan, Louis Courajod, p. 163 et suiv., et Enlart, Manuel d'archéologie française, t. I, p. 255 et suiv.

[18] Le plan le plus célèbre et le plus complet qui nous soit parvenu est celui de Saint-Gall en Suisse, que l'on attribue, tantôt à Eginard, tantôt au maître des huissiers Gerung. A Lorsch se voit encore un portique, composé de quelques colonnes monolithes supportant un fronton en appareil réticulé, qui aurait servi de porte à l'ancien monastère.

[19] Sur la légende de Charlemagne, voir Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, 1885. Léon Gautier, Les épopées françaises, 2e édit., 1878-1897. Rauschen, Die Legende Karls des Grossen, 1890, et les articles de Lindner dans la Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins.