HISTOIRE DE FRANCE

TOME DEUXIÈME. — LE CHRISTIANISME, LES BARBARES - MÉROVINGIENS ET CAROLINGIENS.

LIVRE II. — LA PÉRIODE MÉROVINGIENNE.

CHAPITRE IV. — LA ROYAUTÉ MÉROVINGIENNE. LES INSTITUTIONS DE L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE[1].

 

 

I. — LE ROI ET L'ADMINISTRATION CENTRALE.

APRÈS avoir exposé cette série de guerres et de désordres, il faut étudier, d'ensemble et de suite, les institutions du temps mérovingien, et chercher à découvrir la marche du gouvernement et de la société.

La royauté mérovingienne ne ressemble guère à celle que Tacite nous a décrite, vague et précaire, ni à celle qu'exerçaient les chefs de bandes du ne et du lire siècle, simple commandement militaire. Elle a gardé, il est vrai, quelques caractères germaniques ; mais elle a beaucoup emprunté au pouvoir impérial romain. Au reste, elle n'est ni germanique ni exclusivement romaine ; c'est une institution nouvelle, procédant de la Germanie et de Rome, consacrée par le christianisme, mais aussi s'adaptant aux circonstances. Elle grandit au jour le jour, au milieu des guerres et des troubles, pour décroître ensuite rapidement, par suite des progrès de l'aristocratie.

La royauté était héréditaire ; les fils succédaient au père, chacun ayant un droit égal à l'héritage ; ils se partageaient la monarchie, suivant leurs convenances personnelles[2]. Les filles, parce qu'elles n'auraient pu commander les armées, étaient exclues de la succession, comme de la possession de la terre. Ce n'est que dans certains cas extraordinaires que les grands choisissaient le roi, en le portant sur le pavois d'un bouclier au-dessus de leurs épaules, comme firent, par exemple, les Francs de l'Ouest pour Sigebert, quand il s'empara du royaume de Chilpéric. En cas de succession légitime, les rois n'étaient investis de leur autorité par aucune cérémonie : il n'y eut point de sacre à l'époque mérovingienne ; les écrivains postérieurs qui racontent le sacre de Clovis ont commis une confusion volontaire ou involontaire avec son baptême. Les rois pourtant prirent l'habitude, après leur avènement, de parcourir leurs États et de se faire prêter par leurs sujets un serment de fidélité[3]. Les rois mineurs sont placés sous la tutelle de leur plus proche parent, leur mère ou leur oncle ; un gouverneur (nutricius) est chargé de leur éducation. A douze ou à quinze ans, ils sont proclamés majeurs, selon les prescriptions de la loi, et censés gouverner en leur propre nom. Parfois les rois associent leur fils à leur pouvoir et leur confient l'administration d'une partie de leurs États. A la fin de l'époque mérovingienne, Brunehaut, Ébroïn, tentèrent de supprimer la coutume des partages, mais inutilement. L'habitude était prise de considérer la royauté comme un patrimoine, conception simpliste et primitive, dont on a vu déjà, dont on verra encore dans la suite les graves conséquences.

Les rois portent comme insigne une longue chevelure ; aussi coupe-t-on les cheveux au prince qu'on veut dégrader. La lance est aussi un emblème royal. Les rois mérovingiens empruntent le costume des empereurs romains : Clovis se revêt de la tunique de pourpre. Puis, à la manière des souverains orientaux, il met sur sa tête un diadème. Dagobert donne audience assis sur un trône d'or[4]. Quand on s'adresse au roi, on l'appelle : Votre Sublimité, Votre Excellence ; lui-même prend la dénomination : Notre Clémence ; il appelle les hommes ses sujets ; il est le dominus[5].

Les rois ont leur capitale ; mais, d'ordinaire, ils habitent, à la campagne, une de leurs villas favorites avec leurs officiers et leurs antrustions. Dans une pièce de la villa est enfermé le trésor qui se compose de lingots d'or, de pièces monnayées d'espèces fort variées, de pierres précieuses, de riches vêtements de pourpre ou de soie. Les villa royales de Berny-Rivière près de Soissons, de Malay-le-Roi près de Sens, ou de Marlenheim en Alsace étaient parmi les plus célèbres[6].

Autour de ces villa s'étendent d'immenses forêts. Le roi chasse avec fureur et il banquète sans mesure. Il goûte, il est vrai, des plaisirs plus relevés ; il a des poètes attitrés qui célèbrent ses louanges et nous avons vu Fortunat chanter l'épithalame de Sigebert et de Brunehaut et faire dialoguer en leur honneur Cupidon et Vénus. Cet apparat mythologique flatte l'amour-propre de ces Barbares. Ils aiment à être comparés aux rois de la Bible et aux empereurs de Rome. Votre patience est admirable, dit Fortunat à Caribert, votre mansuétude égale celle de David. Chef de la justice, ami du droit vénérable, vous jugez avec la sagesse de Salomon et votre foi est plus ferme que la sienne. Votre piété rappelle le grand Trajan.

Le roi exerce sa puissance également sur les Francs et les Gallo-Romains. Il est possible qu'à l'origine il ait gouverné à des titres différents les uns et les autres ; mais bientôt toute distinction a disparu ; il règne sur tous par droit de naissance et par droit de conquête.

Il fait rédiger ou réviser les anciennes coutumes des peuples barbares, la loi Salique, la loi des Ripuaires, celle des Alamans et des Bavarois. Sans doute il ne crée pas les usages qui règlent les relations des hommes entre eux ; car le droit populaire préexiste à la loi écrite ; mais lui seul fait codifier ces usages et, par sa sanction, leur donne une force nouvelle. Il retranche les coutumes qui sont contraires aux prescriptions chrétiennes ; il adoucit celles qui lui paraissent trop barbares ; il amende selon son bon plaisir. Puis, à côté de ces lois particulières à chaque peuple, il fait des édits applicables à tous les peuples du royaume ; et quelques-uns de ces actes, émanés de Chilpéric ou de Clotaire II, sont parvenus jusqu'à nous.

Le roi est juge souverain ; la justice paraît même le principal attribut de sa fonction. Mais il peut s'affranchir des règles ordinaires et, dans l'intérêt de l'État ou le sien, faire mettre à mort sans forme de procès les personnages qui lui paraissent dangereux[7]. Ce juge de tous n'est d'ailleurs jugé par personne, sinon par Dieu. Si tu enfreins la justice, dit Grégoire à Chilpéric, qui te châtiera ? Nous nous adressons à toi : tu nous écoutes, si tu veux ; si tu ne veux pas, qui te condamnera, sinon celui qui a écrit qu'il était la justice ?

Le roi convoque l'armée quand il lui plaît ; il fait la guerre et la paix et dirige les opérations comme il l'entend. S'il consulte parfois ses guerriers, c'est qu'il le veut bien.

Il lève les anciens impôts et en crée de nouveaux. Il envoie aux souverains étrangers des ambassadeurs qui portent comme insigne un bâton consacré. Toutes les forces de l'État sont entre ses mains et l'Église lui donne un caractère sacerdotal : elle enseigne que son pouvoir vient de Dieu, que le Ciel l'inspire, et qu'il en exécute les volontés. Le roi domine l'Église comme la société laïque ; ainsi qu'on le verra plus loin, il convoque les conciles et nomme les évêques.

Tous les ordres du roi doivent être obéis : on les appelle des bans, banni. Quiconque viole l'un de ces ordres doit payer l'amende de soixante sous d'or ; s'il ne s'en acquitte point, il est mis hors la loi et chacun peut lui courir sus.

Tels sont, en théorie, les pouvoirs du roi ; mais bientôt, à cause de cet absolutisme même, les grands et les évêques se liguent contre la royauté et cherchent à lui enlever partie de ses attributions ; ils forcent le prince à leur faire des concessions et à mettre lui-même des limites à sa toute-puissance. Mais ces concessions sont souvent aussitôt violées qu'accordées, et l'on n'arrive point à établir des principes de gouvernement fixes. Il ne reste aux grands d'autres ressources que de se soulever et de conspirer, si bien qu'on a pu dire du gouvernement des Mérovingiens qu'il était un despotisme tempéré par l'assassinat. Pourtant, peu à peu, comme nous l'avons vu, le pouvoir des rois diminue et celui de l'aristocratie augmente et un jour viendra où une famille de seigneurs se substituera à la race de Mérovée.

On a souvent prétendu que le roi était assisté dans son gouvernement par des assemblées régulières ; mais nous ne trouvons aucune trace de telles assemblées sous les premiers Mérovingiens[8]. Les assemblées que Tacite a décrites ont disparu après les invasions. On voit bien de temps en temps les grands réunis à l'armée essayer d'imposer leur volonté au souverain ; ainsi, un jour, ils obligent Clotaire le' à repousser les offres de paix que font les Saxons ; mais ce sont là les violences d'une armée en révolte, non les délibérations d'une assemblée régulièrement constituée. Il arrive, d'autre part, que le roi réunit en une sorte de commission, pour les consulter sur telle ou telle question, des fonctionnaires du palais ou de l'administration locale, des évêques, des clercs, des seigneurs dévoués.

Les vraies assemblées sont nées aux derniers temps de la dynastie mérovingienne[9]. Elles se composent de grands ecclésiastiques et laïques. Les évêques s'étaient toujours réunis en concile, afin de prendre des mesures dans l'intérêt de l'Église et de voter des canons obligatoires pour les chrétiens. Seulement, au beau temps de la monarchie mérovingienne, les conciles ne pouvaient être convoqués sans l'assentiment du roi, et le faible Sigebert d'Austrasie lui-même revendiqua cette prérogative contre Didier de Cahors ; puis les canons des conciles, pour lier tous les habitants du royaume, devaient être revêtus de la sanction royale. Plus tard, ces deux règles cessèrent d'être observées. A l'exemple des évêques, les seigneurs laïques, qui, eux aussi, avaient des intérêts communs opposés à ceux de la royauté, prirent l'habitude de se réunir pour s'entendre ; souvent les prélats se joignirent à eux. A partir de Dagobert, comme nous l'avons dit, chaque royaume, Neustrie, Austrasie, Bourgogne, eut ainsi ses assemblées.

La royauté, obligée de compter avec elles, cessa d'être absolue : elle les consulta sur les affaires générales, sur les impôts à lever, sur le choix des maires du palais, etc. ; à leur demande, elle reconnut et renouvela les privilèges qu'avaient usurpés les seigneurs. Quand les maires du palais d'Austrasie eurent rétabli l'ordre et l'unité, ils gardèrent cet usage : seulement, au lieu d'une assemblée pour chaque partie du royaume, il n'y en eut plus qu'une seule pour le royaume entier. Elle devint régulière et fut convoquée le 1er mars : d'où le nom de champ de mars qu'on lui donna[10]. Les descendants d'Arnoul se servirent de cette institution pour gouverner le pays. Nous verrons plus tard comment ces assemblées, transférées du mois de mars au mois de mai, furent l'un des principaux rouages du gouvernement carolingien[11].

Le roi est assisté dans le gouvernement par des fonctionnaires qui le conseillent, reçoivent et exécutent ses ordres. La distinction entre fonctions domestiques, qui ont pour but le service de la personne royale, et. fonctions publiques, instituées pour le service de l'État, est impossible à établir pendant la période mérovingienne. Toutes sont conférées de la même façon. Le roi choisit ses serviteurs comme il l'entend, généralement parmi les hommes libres, mais aussi parmi les affranchis et les non-libres, et il les emploie où et comme il lui plaît.

Deux fonctions pourtant peuvent être considérées de préférence comme des fonctions d'État : ce sont celles des référendaires (referendarii) et des comtes du palais (comites palatii). Les référendaires rédigent et souscrivent les diplômes royaux, ils y apposent le sceau dont ils ont la garde. Ils veillent sur le dépôt des archives placées dans le trésor ; ils ont sous leurs ordres des scribes (scribæ) et des chanceliers (cancellarii). Les référendaires — et nous en trouvons un certain nombre en fonctions à la fois — sont, à l'époque mérovingienne, toujours des laïques. Les attributions des comtes du palais — plusieurs personnages occupent cette charge simultanément, — sont essentiellement judiciaires. Ils assistent aux jugements rendus à la cour ; ils dirigent les débats ; ils attestent que toutes les formalités de la procédure ont été observées ; ils rédigent le rapport d'après lequel la sentence est rendue ; puis ils sont les garants de cette sentence et veillent à l'exécution. Mais les comtes du palais et les référendaires sont aussi employés à des missions très diverses, commandements d'armée, établissement des rôles d'impôts[12], etc. Nul n'est enfermé dans sa fonction ; tout homme qui a la confiance du roi est mis par lui à toutes les besognes.

Les autres fonctions ont un caractère plutôt domestique. Les cubiculaires (cubicularii) ou trésoriers (thesaurarii) ont la garde des trésors ; ils ont sous leurs ordres un certain nombre de camerarii ou chambriers. Ils sont aussi chargés de garder les rôles de l'impôt et de renouveler le cadastre. Les sénéchaux (senescalci) surveillent la domesticité du palais et maintiennent la discipline dans cette cohue ; ils siègent souvent au tribunal du roi. Les maréchaux (marescalci), ayant sous leurs ordres des connétables (comites stabuli), sont préposés à la garde des écuries. Le chef des échansons (princeps pincernarum) surveille la cuisine et le service de bouche. Parmi les officiers secondaires, figurent le mapparius qui, à table, présente au roi l'essuie-main, et le spatarius qui porte l'épée devant lui. Le roi a sa chapelle privée, à laquelle appartiennent un grand nombre de clercs. Des médecins, des musiciens, des chanteurs sont attachés à sa personne.

Un de ces officiers du palais prit, nous le savons, à la fin du VIe et au cours du VIIe siècle, la première place : c'est le major domus, le maire du palais[13]. On s'est demandé si la fonction était d'origine romaine ou germanique. On a rattaché le maire tour à tour au præpositus sacri cubiculi ou au magister officiorum palatinorum des Romains et au senescalcus qu'on trouve chez les Germains. Mais il semble que, de part et d'autre, on se soit trompé. La mairie du palais est une institution propre à l'époque mérovingienne. Le propriétaire qui ne faisait pas valoir par lui-même une exploitation rurale, y mettait un chef qui administrait et assignait leur tâche aux serfs. Ce chef, qui était souvent un serf lui-même, prenait le titre de maire, major. Si un propriétaire avait plusieurs exploitations, il nommait un chef supérieur, qui dirigeait l'ensemble des cultures et centralisait les revenus : ce chef s'appelait major domus. Tous les grands personnages avaient leur maire de la maison[14]. Le maire de la maison royale, major domus regiæ, ou maire du palais, major palatii, avait naturellement une importance exceptionnelle. Il présidait à la discipline du palais ; en cette qualité, il avait juridiction sur les personnes qui s'y trouvaient réunies. Bientôt ses attributions s'étendent. Si le roi est mineur, le maire dirige en qualité de gouverneur, nutricius, son éducation, et remplit le rôle d'un premier ministre. Quand le roi est proclamé majeur, il s'efforce de garder ce pouvoir ; au VIIe siècle il y réussit. Les ducs et les comtes qui viennent au palais sont placés sous son autorité ; le maire s'habitue à leur envoyer des ordres dans le duché ou dans le comté ; il intervient dans leur nomination ; s'ils ont mal agi, il les réprimande et les destitue. Comme toute l'administration aboutit au palais, le chef du palais devient tout naturellement le chef de l'administration. Il veille à la conservation du domaine royal et fait rentrer au fisc les domaines qui ont été usurpés. Il dirige la levée des impôts et intervient dans l'administration de la justice. En l'absence du roi, il préside le tribunal royal. Il commande l'armée : les maires Pépin II et Charles Martel sont d'illustres guerriers. Le roi lui confie le soin de protéger ceux qui se sont recommandés à lui et placés sous sa protection spéciale. La chaîne des recommandés aboutit au maire. Nous verrons plus loin qu'au vile siècle le maire du palais, en même temps que le représentant du pouvoir royal, est le chef de la hiérarchie sociale qui s'organise alors et prépare la féodalité.

Le maire était nommé par le roi et révoqué par lui ; mais bientôt le roi fut obligé de prendre l'avis des grands avant de le choisir. Nous savons que le maire du palais pouvait se trouver partagé entre des soucis contradictoires ; que, représentant du roi et chef de l'aristocratie, il sert tantôt le roi, tantôt les grands et qu'il tend à se substituer à l'un et aux autres ; qu'à la fin les maires d'Austrasie confisquèrent la mairie au profit de leur maison et devinrent les véritables chefs de l'État. Au temps de Grégoire de Tours (VIe siècle), la mairie du palais est une charge insignifiante; au temps du chroniqueur appelé Frédégaire, au début du VIIe siècle, le maire occupe la première place après le roi ; quand écrit l'auteur du Liber historiæ Francorum, au début du VIIIe siècle, le maire tient la première place avant le roi.

La cour du roi est très nombreuse. Elle se compose des officiers du palais, des ecclésiastiques, clercs de la chapelle. Souvent les fils des seigneurs y sont amenés fort jeunes, recommandés à l'un des hauts fonctionnaires sous la direction de qui ils font leur apprentissage de la vie civile et militaire[15]. On les nomme les nutricii du roi, sortes de pages, qui plus tard sont appelés aux premiers emplois. Au palais viennent aussi les ducs et les comtes, pendant qu'ils sont en charge ; sortis de charge, ils y résident, à portée des faveurs du souverain. Les évêques abandonnent leur diocèse pour vivre près du roi. Tous ces personnages sont les optimates, les proceres, les leudes.

Toute cette foule qui vit à la cour ou qui s'y rend à certains jours était désordonnée et bruyante. Les compétitions étaient âpres entre ces courtisans, et ce n'était pas une tâche facile que de leur imposer une discipline.

Parmi ces personnages, il faut distinguer les antrustions[16], qui sont unis au roi par un lien particulier. L'homme qui voulait devenir antrustion venait en armes au palais et prêtait au roi un serment. Il ne lui jurait pas seulement fidélité, comme les autres sujets, mais encore trustis ; c'est-à-dire qu'il promettait de faire partie de sa truste, qui était sa garde. L'antrustion, en effet, est un garde du corps. Il procède du compagnon germain. Mais en Germanie tout princeps pouvait se donner des compagnons ; à l'époque mérovingienne, on ne trouve d'antrustions que dans l'entourage du roi. Les antrustions ont d'importants privilèges : ils jouissent du triple wergeld ; ils ne sont justiciables que du tribunal du roi. Le souverain leur confie souvent d'importantes missions. Ils forment un corps, dont les membres se doivent assistance mutuelle ; ils ne peuvent témoigner les uns contre les autres, ni s'attaquer en justice sans remplir de nombreuses et minutieuses formalités[17]. Au début, c'étaient toujours des hommes libres, de préférence des Francs, mais aussi quelques Gallo-Romains qui avaient qualité de convives du roi, convivæ regis ; plus tard, l'institution parait s'être ouverte aux affranchis, pueri regis.

 

II. — L'ADMINISTRATION LOCALE.

LE royaume franc se subdivisait en petites circonscriptions qui portaient le nom de pagi, pays[18]. En principe, le pagus mérovingien correspondait à l'ancienne cité romaine[19] ; mais, dans la suite des temps, à cause des partages du royaume, et aussi pour qu'on pût nommer un plus grand nombre de fonctionnaires, ces circonscriptions se multiplièrent, du moins dans le nord de la Gaule. Au sud d'une ligne qui irait de Lyon au mont Saint-Michel, les pagi continuèrent de se confondre avec la cité romaine ; au nord, ils furent beaucoup plus nombreux : l'ancienne cité de Toul, par exemple, donna naissance aux pagi de Toul, au Scarponais, au Chaumontois et au Saintois.

A la tête du pays était le comte[20], en langue germanique grafio ou graf. On l'appelle souvent judex, juge, à cause de la principale attribution qui lui était confiée, ou encore judex fiscalis, juge public, par opposition aux juges des domaines privés. Le comte était nommé par le roi. La formule du diplôme d'investiture nous a été conservée :

La clémence royale est louée, si elle a égard à la capacité et au zèle de ses fonctionnaires et si, loin d'accorder à la légère la puissance judiciaire, elle la confère à celui dont elle a expérimenté la fidélité et le talent. Aussi, comme nous connaissons ta fidélité et ton zèle, nous t'avons confié dans tel pagus l'office de comte que ton prédécesseur un tel avait rempli jusqu'à ce jour, en sorte que tu gardes à notre égard une fidélité éprouvée ; que tu gouvernes tout le peuple qui demeure dans le pagus, les Francs, les Romains, les Burgondes et les autres nations ; que tu les régisses selon leurs lois et leurs coutumes ; que tu sois le défenseur des veuves et des orphelins ; que tu châties sévèrement les crimes des voleurs et des malfaiteurs, afin que les peuples, vivant heureusement sous ton commandement, demeurent en paix ; enfin que, chaque année, tu fasses porter à notre trésor ce que le fisc doit attendre de ton office.

Le roi nomme et révoque le comte à sa guise ; il le choisit dans toutes les classes de la société, même parmi les affranchis sans distinction entre Francs et Gallo-romains[21] : mais, par la constitution de 614, une restriction importante fut faite au libre choix du roi, qui dut prendre les comtes parmi les grands propriétaires du pays, afin que leurs biens personnels pussent être saisis en cas de mauvaise gestion. Il en résulta que le grand propriétaire investi de l'office de comte, ajoutant l'autorité publique à l'influence que lui donnait sa richesse, fut mis en état de désobéir au roi.

Le comte jouit du triple wergeld. Il n'a pas de traitement proprement dit ; mais il touche des revenus d'un certain nombre de villa royales assignées à cet effet : disposition fâcheuse, puisqu'il s'efforcera de confondre ces terres du fisc avec ses biens particuliers. Il garde aussi le tiers des amendes qu'il prononce comme juge, et naturellement il multipliera les amendes. Dans ses tournées, il est logé et nourri avec sa suite par les habitants : on fixe avec soin le nombre de plats et de redevances auxquels il a droit ; mais ce soin même prouve qu'il commet des abus.

Les attributions du comte sont multiples. Il exerce la justice sur tous les habitants de sa circonscription, quelle que soit la loi suivant laquelle ils doivent être jugés. Il a son tribunal propre et peut présider les tribunaux inférieurs. Il arrête les malfaiteurs, les fait mener devant son tribunal ou les envoie devant le tribunal du roi, sans attendre que la victime ou ses parents engagent une action judiciaire. Il a une petite garde de licteurs ou de tribuns[22], ou bien il emploie le concours d'associations d'hommes libres — les centenæ — qui se sont donné comme tâche de faire régner le bon ordre. Il prend la défense de la veuve et de l'orphelin, de toutes les personnes qui, par leur condition ou bien en vertu d'un diplôme spécial, sont placées sous le mundeburdis du roi. Il organise l'assistance publique. Il lève les impôts et, chaque année, porte l'excédent des recettes au trésor royal. Il convoque les hommes libres du comté et les mène à l'armée du roi. Il cumule ainsi tous les pouvoirs, et l'on devine ce qu'un tel personnage pouvait faire de bien ou de mal à un pays.

Dans l'intérieur de chaque pagus, le roi possédait un certain nombre de domaines, outre ceux dont il laissait le revenu au comte. La surveillance en était attribuée à un fonctionnaire spécial, le domesticus. Par exception, quelques personnages illustres exercèrent les fonctions de domesticus dans un certain nombre de pays : ainsi, comme nous avons vu, Arnoul, le futur évêque de Metz.

Les comtes choisissaient des vicaires pour les aider dans leurs multiples fonctions. Tantôt le vicaire agit avec le comte, sous sa direction ; tantôt, quand le comte est obligé de s'absenter, il le remplace ; ou bien le comte lui délègue une partie du comté à administrer. Plus tard, il y eut plusieurs vicaires dans le comté, qui fut partagé en circonscriptions nommées vicairies. Le centenier ou thunginus[23], que nous avons trouvé dans la loi salique, se confondit avec le vicaire ; les deux termes de vicairie et de centaine devinrent synonymes.

Par-dessus les comtes, les rois mérovingiens instituèrent, en certaines circonstances et en plusieurs pays, des ducs. Le duc était surtout un chef militaire ; il réunissait les hommes libres de son ressort et les conduisait à la guerre. Le duché ne formait pas une circonscription stable comme le comté ; il disparaissait en général avec les circonstances qui l'avaient fait naître. Pourtant, dans certaines régions, il y eut un duché permanent : ainsi, par-dessus les comtes de Reims, Châlons-sur-Marne, Soissons, il y eut toujours, ce semble, un duc de Champagne ; cette vaste plaine, dont l'unité géographique est si nette, forma, de la sorte, une grande circonscription administrative et militaire. Au vile siècle, les duchés s'organisèrent dans l'Est : il y eut un duché d'Alsace[24], un duché d'au delà du Jura. Dans le royaume de Bourgogne, les ducs portaient souvent le nom de patrice[25]. L'officier qui commandait dans la partie de la Provence relevant de l'Austrasie s'appelait recteur.

De l'autre côté du Rhin, les ducs devinrent bien vite de véritables chefs nationaux : sous la vague suzeraineté des Francs, ils étaient en réalité indépendants et transmettaient leurs charges héréditairement. Les ducs d'Alamanie, de Bavière, de Thuringe, de Frise, que nous trouvons à l'époque mérovingienne, étaient à la tête de peuplades germaniques diverses, parlant des dialectes différents et souvent ennemies les uns des autres. Longtemps l'Allemagne ne sera que la confédération de ces duchés.

Ces fonctionnaires, qui réunissaient tous les pouvoirs, devenaient souvent de petits tyrans. Ils exigeaient des redevances illicites, vendaient la justice au plus offrant, se rendaient coupables d'arrestations arbitraires, satisfaisaient leurs vengeances privées ; leurs serviteurs mêmes se croyaient tout permis. Les exemples de ces abus de pouvoir abondent dans Grégoire de Tours. Sigivald, à qui Thierry a confié le gouvernement de l'Auvergne, y causait de nombreux maux. Il envahissait les biens d'autrui, et ses serfs ne cessaient de commettre vols, homicides et toutes sortes de crimes, et personne n'osait murmurer devant eux. En Provence, le patrice Celse était un homme de taille très élevée, large d'épaules, aux bras puissants, à la parole hautaine, prompt à la réplique, versé dans le droit ; et il montra une telle cupidité qu'il enlevait les biens de l'Église. Un seul jour, il éprouva des remords, lorsqu'il entendit lire à l'église cette parole du prophète Isaïe : Malheur à ceux qui joignent maison à maison, qui ajoutent un champ à l'autre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de terrain. Le comte Palladius, à Javols (Gévaudan), pillait aussi les biens de l'Église et dépouillait les sujets de l'évêque ; il poursuivait publiquement le prélat des plus grossières injures. Le duc Beppolène, aux pays de Rennes et d'Angers, enlevait dans les maisons tous les vivres, le foin, le vin qu'il pouvait trouver ; et il n'attendait pas que les clefs fussent apportées, mais brisait les portes ; il mit à la torture et il fit tuer beaucoup d'habitants[26].

Le plus célèbre de ces mauvais comtes est Leudaste. Il était né sur un domaine du roi dans l'île de Ré ; il fut attaché comme esclave aux cuisines, puis à la boulangerie du roi Caribert, passant du pilon au pétrin. S'étant plusieurs fois évadé, il fut marqué d'une incision à l'oreille. Mais il gagna les bonnes grâces de la femme de Caribert ; affranchi par elle, il devint chef de ses écuries, et, après la mort de sa bienfaitrice, il obtint les mêmes fonctions dans les écuries royales. C'est là que Caribert alla le chercher, pour faire de lui un comte de Tours. Pauvre au jour de sa nomination, il voulut acquérir la fortune ; il se maria avec la fille d'un des habitants les plus riches de la cité. Il suscita aux personnes aisées une foule de procès et les condamna à de fortes amendes, dont il avait sa part ; il pilla les biens des églises et il accumula dans sa maison l'or et les objets précieux. Hautain envers les hommes, il ne respectait aucune femme, et il ne fut bruit à Tours que de ses cruautés et de ses débauches. A la mort de Caribert, Leudaste quitta la cité, qui devint possession du roi Sigebert., et chercha asile dans le royaume de Chilpéric. Mais, quand Tours tomba au pouvoir de celui-ci, l'ancien esclave recouvra son office. A ses audiences publiques, il coupait la parole aux accusés, et, si la foule manifestait sa sympathie pour eux, il vomissait contre elle de grossières injures. Il faisait comparaître devant lui les prêtres, les menottes aux mains, et frapper de coups de bâtons les hommes libres. Il entra naturellement en conflit avec l'évêque Grégoire. Il ne pénétrait jamais dans la maison épiscopale que la cuirasse sur le dos, le carquois en bandoulière, une longue pique à la main et le casque en tête. Les habitants lassés finirent par dénoncer ses méfaits à Chilpéric : une enquête fut ordonnée. Elle fut conduite par un délégué du roi, Ansovald : Leudaste fut révoqué de son office et remplacé par Eunomius, qu'avaient désigné Grégoire et le peuple. Leudaste voulut se venger en accusant l'évêque Grégoire d'avoir tenu des propos calomnieux contre Frédégonde ; mais l'accusation tourna contre lui-même, et, après toutes sortes d'aventures romanesques, il fut arrêté par ordre de la reine : on lui lia le cou à une colonne, et un homme armé d'une barre de fer le frappa à la gorge jusqu'à ce qu'il eût rendu le dernier soupir. Leudaste, au demeurant, ne paraît pas avoir été plus méchant que la plupart des autres comtes. On cherche dans Grégoire de Tours le nom d'un comte honnête : on ne le trouve point. Peut-être pourrait-on en citer quelques-uns dont la douceur, la clémence et l'amour des lettres sont vantés par Fortunat : mais quelle confiance accorder à ces panégyriques d'un poète parasite, qui a adressé de si grands éloges à Chilpéric lui-même ?

Pour empêcher ces excès, le roi envoyait dans les provinces des missi. Cette institution n'était point régulière comme elle le sera sous Charlemagne ; les missi n'étaient délégués qu'en certaines circonstances exceptionnelles et ils n'étaient chargés que d'affaires bien déterminées. Ainsi, comme il vient d'être dit, Ansovald fut délégué pour faire une enquête sur les méfaits de Leudaste ; ainsi Chilpéric fit rechercher par des missi les causes de la révolte de Limoges. Mais ces missi furent impuissants, et de plus en plus les comtes et les autres fonctionnaires se rendirent odieux aux populations qu'ils opprimaient. Bientôt les plus puissants des hommes du pagus n'eurent plus qu'un désir : se soustraire à l'autorité du comte. Ils s'adressèrent au roi, pour que le comte ne pût pénétrer sur leurs terres ni accomplir en leur domaine aucun acte de la puissance publique. Un certain nombre de sujets échappèrent ainsi à l'administration locale et furent soumis directement au roi, sans aucun intermédiaire[27]. C'est l'un des traits les plus curieux de l'histoire des institutions politiques, à la fin de l'époque mérovingienne, et l'une des principales causes de la formation du régime féodal.

 

III. — LA JUSTICE, LES IMPÔTS ET LE SERVICE MILITAIRE.

LE roi fait la loi et, rend la justice, perçoit des impôts, lève des armées.

Les rois mérovingiens n'ont point cherché à établir l'unité législative. A chaque peuple ils ont laissé sa loi propre. Les Romains continuent d'être jugés d'après les lois romaines, surtout d'après la compilation faite dans le royaume wisigothique et connue sous le nom de Bréviaire d'Alaric. Comme la population romaine est moins mélangée d'éléments barbares au sud de la Loire, l'usage du droit romain se maintiendra surtout dans cette région. Quant aux Germains, leurs coutumes furent mises par écrit sur l'ordre des rois. La loi salique, sous sa plus ancienne forme, date du règne de Clovis. Les Burgondes et les Wisigoths avaient leurs lois, au moment de la conquête franque. La loi ripuaire, dans ses parties les plus anciennes, est postérieure au règne de Clovis. Celle des Alamans ne parait pas antérieure au commencement, celle des Bavarois au milieu du vin° siècle. D'autres, comme celle des Saxons et celle des Thuringiens, sont encore plus récentes[28]. Ces recueils juridiques ne sont pas des codes. Les matières n'y sont point coordonnées ; toutes les relations de la vie n'y sont point prévues. Ce sont plutôt des règles de procédure et des tarifs de composition.

Entre ces lois barbares existent des différences. Dans celles des Wisigoths et des Burgondes, l'influence romaine est très sensible. La loi salique, la loi ripuaire, celles des Bavarois et des Alamans sont apparentées. La loi salique tend à dominer parce qu'elle est celle du peuple franc vainqueur et chef de tous les autres ; à chaque révision des autres lois, on cherche à les rapprocher de la loi salique.

Au VIe siècle fonctionnent deux sortes de tribunaux[29] : le tribunal in palatio, celui du roi ; et les tribunaux in pago, ceux que préside le comte. Il faut d'ailleurs rappeler qu'en dehors de tout jugement, le roi a sur son peuple le droit de vie et de mort. Un article de la loi des Alamans déclare indemne quiconque commet un meurtre par son ordre. Puis, le roi tient, quand il lui plaît, des assemblées où il rend la justice. Il parcourt son royaume, invite la population à venir au-devant de lui, écoute les plaintes de tous, et juge, séance tenante, les causes qui lui sont soumises.

Le tribunal régulier siège toujours dans l'une des villas du roi ; les dix-neuf jugements qui nous sont parvenus ont été rendus à Compiègne, à Malay, à Valenciennes, à Quierzy, à Saint-Cloud, à Luzarches, Chatou, Ponthion, Quernes[30]. Les séances se tiennent à des dates fixes, connues des plaideurs longtemps à l'avance. Le tribunal est présidé, en principe, par le roi. Les jugements portent : Comme nous siégions dans notre palais, en telle villa, pour écouter les procès de tous et les terminer par de justes jugements, un tel s'est présenté devant nous. Le roi rend la sentence, qui est écrite dans la forme ordinaire des diplômes royaux, revêtue du sceau royal, et certifiée authentique par le référendaire. Mais la présence du roi n'est souvent qu'une fiction : presque tous les jugements que nous possédons ont été prononcés pendant des minorités. Le roi est représenté au tribunal par un grand officier du palais ; et c'est là l'une des prérogatives qu'a usurpées de bonne heure le maire du palais.

Le roi ou son remplaçant est assisté d'auditeurs, en nombre variable ; les documents que nous connaissons en signalent une fois douze, une fois vingt-et-un, une fois cinquante-et-un. Les auditeurs sont pris parmi les évêques, les comtes, les domestici, les optimales qui se trouvent au palais. Ils étaient, semble-t-il, désignés spécialement pour chaque session. On choisissait de préférence les hommes qui avaient quelques notions de jurisprudence ; et déjà sont signalés de véritables praticiens, legis doctores. La présence du comte du palais est toujours indispensable.

La compétence du tribunal royal est universelle ; mais certaines causes lui sont particulièrement réservées en raison soit de la qualité des personnes, soit de l'objet du procès. Les officiers du palais, les hauts fonctionnaires de l'administration, ducs, comtes ou domestici, — et, s'ils le désirent, — les hommes auxquels le souverain a conféré sa protection spéciale, le mundeburdis, ne sont justiciables que du tribunal royal. Celui-ci juge aussi les crimes de lèse-majesté et les causes où le fisc est intéressé. Il reçoit l'appel des sentences rendues au tribunal du comte. Il intervient dans des actes de juridiction volontaire : on affranchit devant le roi l'esclave par le denier ; des époux se font devant lui donation mutuelle de leurs biens ; des ventes sont confirmées par ce tribunal et l'acte est enregistré au greffe.

Dans le pagus, le comte exerce à peu près les mêmes pouvoirs de justice que le roi. Il a le droit de faire mettre à mort sans jugement les malfaiteurs pris sur le fait ; il donne la chasse aux voleurs et aux brigands et les châtie immédiatement. Il fait des tournées dans son comté, reçoit les réclamations et rend justice sans être soumis à l'observation stricte de la procédure. Mais il a, comme le roi encore, son tribunal régulier, le mall, mallberg, ou placitum. Les vicaires ont aussi leurs tribunaux qui connaissent des petites causes[31].

Le mail se tenait en général au chef-lieu du pages ou de la vicairie, à époques fixes. Le comte et le vicaire étaient assistés d'assesseurs qui intervenaient dans le débat et participaient à la sentence, les rachimbourgs ou les boni homines, boni viri, — les bons hommes, — qui furent d'abord en nombre variable ; mais la règle s'établit que la présence de sept au moins fût nécessaire. Les rachimbourgs étaient désignés pour chaque session, comme, de nos jours, les jurés. Entre eux on choisissait ceux qui devaient siéger pour telle ou telle cause. C'étaient des notables, des seniores, comme les appelle Grégoire de Tours ; des clercs figuraient parmi eux.

Il ne faut conclure de cette organisation ni que la justice régnât dans le royaume des Francs, ni que l'ordre y fût assuré. Les tribunaux francs ont essayé de substituer l'action régulière des lois aux vengeances privées, dont la coutume avait été introduite en Gaule par les invasions germaniques ; mais ils n'y ont guère réussi[32]. La guerre privée est dans les mœurs et Grégoire de Tours en cite de nombreux exemples. Dizier, évêque de Verdun, avait été accusé auprès du roi Thierry par un certain Sirivald. Après la mort de Dizier, son fils Syagrius veut venger cette injure ; il réunit une petite troupe, attaque la demeure de Sirivald, à Fleurey-sur-Ouche près de Dijon, tue d'abord un malheureux qu'il prend pour lui, s'aperçoit de son erreur, retourne aussitôt sur ses pas. La bande recommence l'attaque de la maison, pénètre par une brèche dans la chambre de Sirivald qui est égorgé. La rivalité de Sichaire et de Chramnesinde ensanglanta la cité de Tours, à l'époque de Grégoire, et donna de graves soucis au pieux prélat. Malgré l'intervention du comte, de Grégoire lui-même, les deux familles commirent mille excès, jusqu'au jour où Chramnesinde mit à mort Sichaire, dépouilla le cadavre et le suspendit à un pieu de la haie qui entourait sa maison[33]. A Paris, un jour une femme est accusée d'adultère. La famille de cette femme et celle du mari se réunissent dans la basilique de Saint-Denis, et, sur le tombeau du martyr, le père de l'accusée atteste qu'elle est innocente. Mais la partie adverse crie au parjure ; une altercation éclate ; des deux côtés on tire les glaives : on se bat devant l'autel même. Nombre de personnes sont blessées ; la basilique est souillée de sang : les flèches atteignent même le tombeau du saint. Toute cette série de meurtres, de guet-apens et de pillages montre l'impuissance des lois ; les particuliers continuaient d'avoir recours à la force et de se faire justice eux-mêmes sans recourir aux tribunaux.

Les dépenses auxquelles l'État mérovingien devait pourvoir étaient assez peu nombreuses. Les fonctionnaires ne touchaient pas de traitement proprement dit. L'armée, comme nous le verrons, ne coûtait rien au souverain. La justice était une source de revenus par les amendes que les tribunaux prononçaient. Les écoles étaient laissées à la charge du clergé qui les dirigeait. Les Mérovingiens entretinrent cet admirable réseau de routes dont les Romains avaient couvert la Gaule ; mais les travaux étaient exécutés au moyen de corvées. Les rois font de fréquentes largesses au clergé ; ils construisent des églises ; ils rachètent les captifs : mais ce sont là des dépenses extraordinaires. Les dépenses régulières se réduisent à l'entretien du roi et de sa cour ; elles sont assez considérables, puisque, à la cour, on déploie un grand luxe et que la suite du roi est nombreuse. Mais, en somme, les revenus dépassent les dépenses et on s'explique que les rois aient peu à peu laissé tomber en désuétude le système fiscal qu'il trouvèrent établi en Gaule lors des invasions, et que, d'ailleurs, il leur eût été bien difficile de maintenir.

Les ressources de la royauté sont extraordinaires ou ordinaires. Le roi a sa part du butin fait à la guerre. Il reçoit des sommes considérables des souverains étrangers, pour prix de son alliance : ainsi Théodebert et Childebert II des Ostrogoths et des empereurs de Constantinople. Les peuples vaincus paient tribut. D'autre part, les riches particuliers prennent l'habitude d'offrir des dons au souverain, pour le remercier d'un bienfait, ou obtenir de lui une fonction. Nul n'est plus nommé comte ou évêque, s'il se présente les mains vides. Quand, à la fin de l'époque mérovingienne, des assemblées régulières sont tenues, les grands y apportent au souverain des dons, dona ou inferenda, d'abord volontaires, mais qui ne tardent pas à être obligatoires, quoique les deux mots jurent ensemble. Le roi, quand il voyage, vit aux dépens de ses sujets ; et son passage est une calamité pour le pays : quelques jours passés à Paris par Chilpéric coûtent cher aux habitants. Le roi pratique même ces sortes de réquisitions pour les membres de sa famille. Quand Chilpéric marie sa fille Rigonthe à un prince wisigoth, les Francs lui offrent de l'or, de l'argent, des chevaux, des vêtements. La princesse emmène cinquante chariots chargés de trésors ; elle traîne à sa suite une foule de familles serves arrachées à leur résidence. Les habitants, sur le chemin, doivent loger tout ce monde ; l'escorte dépouille les demeures des pauvres, dévaste les vignes et emporte les raisins avec les sarments ; elle enlève les troupeaux et ne laisse rien sur la route parcourue. Et l'on put répéter avec Joël : La sauterelle a brouté le reste du hanneton, et le grillon a brouté le reste de la sauterelle, et le vermisseau a brouté le reste du grillon.

Tout cela, ce sont les ressources extraordinaires ; le roi tirait de son vaste domaine ses principaux revenus réguliers. Il s'était emparé, au moment de la conquête, des biens de l'État romain et de tous les biens vacants. Il devint ainsi le propriétaire de Linz nombreuses, sur toute la surface de la Gaule. Ces propriétés s'accrurent par des achats, des échanges et surtout par les confiscations que prononçaient les tribunaux.

Ce n'est pas que les anciens impôts romains aient tout à fait disparu ; mais le revenu en était de plus en plus faible. On a vu qu'au IVe siècle Rome levait une série d'impôts indirects sur les marchandises, et exigeait comme impôt direct le chrysargyre, la capitatio terrena et la capitatio humana. Nous retrouvons à l'époque mérovingienne une foule d'impôts indirects, désignés par le nom général de teloneus, corruption du latin teloneum, bureau du receveur d'impôts. Ils sont payés pour les marchandises qui, exportées ou importées, passent en un endroit où jadis existait un bureau des douanes. Des redevances de cette nature sont levées à Marseille, Toulon, Fos, Arles, Avignon, Sorgues, Valence, Vienne, Lyon, Chalon-sur-Saône. Le roi perçoit aussi des droits sur les marchandises qui sont exposées en vente à certaines foires ou marchés, sur celles qui passent par les grandes routes ou par un pont public, qui sont charriées par voie d'eau, le long d'un chemin de halage, ou déchargées dans un port ou sur une place publique. Ces impôts, qui portent des noms très variés, représentent en général une indemnité pour un service rendu ; mais, affermés à des compagnies de traitants, telonearii, ils sont d'un rapport assez faible pour le roi ; ils ne prendront de l'importance que lorsque, à l'époque féodale, ils auront été usurpés par les seigneurs.

D'autres impôts indirects sont particuliers à l'époque mérovingienne. Quand un homme est condamné à payer une composition, les deux tiers, le faidus[34], sont donnés à la victime ; un tiers, le [redus, indemnité de la paix violée, revient à l'État[35]. Si l'État poursuit d'office un coupable, toute la composition lui appartient. La résistance aux ordres du roi, par exemple à la convocation militaire, est punie d'une amende de soixante sous. Le roi perçoit aussi une part de l'amende dont est passible tout violateur d'un contrat passé sous sa garantie.

Des anciens impôts directs romains, le chrysargyre que payaient les commerçants, a disparu. Mais les hommes non libres continuaient de payer la capitatio humana ; leurs noms étaient inscrits sur un registre public, le polyptyque. Aussi était-il interdit à un serf d'entrer dans les ordres ; devenu libre, il échappait à l'impôt. Sous Chilpéric, le comte de Paris Audon voulut exiger la capitation de Francs libres ; mais cette prétention amena un soulèvement ; à la mort du roi, Audon fut poursuivi et sa maison brûlée. Peu à peu pourtant, les registres du fisc étant mal tenus, beaucoup de personnes serves réussirent à se soustraire à la redevance. Même la reine Bathilde défendit de lever l'impôt par tête, parce que les parents préféraient tuer leurs enfants plutôt que de payer pour eux. Pourtant l'impôt ne disparut point complètement : certains individus y demeurèrent soumis ; ils l'acquittaient, parce que leurs parents l'avaient payé.

L'histoire de l'impôt qui pesait sur la terre, la capitatio terrena, est tout à fait analogue. Un impôt de cette nature ne peut être levé sans injustice que si le cadastre est soigneusement tenu au courant. Or les Mérovingiens renouvelaient très rarement le cadastre. Aussi, à Clermont-Ferrand, par exemple, l'impôt cessa-t-il d'être levé, parce que, dans un long intervalle, les générations se succédant, toutes les possessions avaient été partagées en beaucoup de parcelles. De loin en loin seulement les rois procédaient à une révision, et ils agissaient sans ménagement pour les contribuables. Chilpéric, en l'année 579, augmenta le taux de l'impôt ; il exigea une amphore de vin par arpent de vigne, et des redevances proportionnelles pour les autres terrains. La désolation fut générale, et beaucoup de sujets émigrèrent dans les royaumes voisins. A Limoges, la foule brûla les nouveaux registres. Le châtiment fut terrible : beaucoup d'habitants de la ville furent condamnés à mort et le tribut augmenté.

Mais Chilpéric fut frappé par la vengeance divine : ses fils, nés de Frédégonde, tombèrent gravement malades. La reine prit alors son mari à part et lui dit : Nous avons perdu des enfants, et voici que les larmes des pauvres, les gémissements des veuves, les soupirs des orphelins vont encore causer la mort de ceux-ci. Pourquoi donc nos caves regorgent-elles de vin ? Pourquoi nos greniers plient-ils sous le poids du froment ? Nous thésaurisons et nous ne savons pas pour qui. Brûlons tous ces rôles d'impôts et que suffise à notre fisc ce qui a suffi au roi Clotaire. Les livres de l'impôt furent jetés au feu.

Bientôt la réfection du cadastre devint impossible à une administration incapable d'une opération très difficile en tout temps. Avec le cadastre disparut l'impôt foncier ; ou, pour mieux dire, cet impôt se transforma : il continua de peser sur certaines terres déterminées par suite de la tradition ; mais il fut assimilé à un simple cens. L'impôt subsista, alors que la vraie source en était tarie.

Du reste les rois font quelquefois abandon de l'impôt ; ils renoncent, pour une période déterminée, aux redevances que payaient les clercs d'une église, et souvent cette faveur est rendue perpétuelle. Il arrive même qu'ils étendent cette exception à toute une cité. Clotaire In, en vénération de saint Martin, brûle les registres de Tours ; et quand, plus tard, Caribert et Childebert II veulent les rétablir, les évêques Euphrone et Grégoire défendent avec énergie le privilège de la cité. Nous verrons que le roi renonce, par les diplômes d'immunité, à lever l'impôt sur les terres des immunistes et qu'il fait souvent abandon à des tiers de l'ancien impôt d'État. Ainsi l'ancien système romain tend à disparaître et fait graduellement place à un système d'impôts tout différent, que nous retrouverons à l'époque de Charlemagne.

Pendant longtemps, les rois francs se bornèrent à contrefaire les monnaies impériales sur lesquelles ils gravaient le nom et l'image ou l'insigne de l'empereur. Ils ne se reconnaissaient point par là les sujets de Byzance ; mais ils étaient guidés par des motifs économiques et par l'intérêt du fisc : seules, les monnaies impériales circulaient dans tout le monde ; cette seule frappe procurait quelques bénéfices. Théodebert, le premier, fit mettre son nom sur les sous d'or ; mais cet exemple ne fut guère suivi. Les monnaies à effigie mérovingienne sont une exception.

Au milieu du VIIe siècle, l'image impériale ou royale disparaît des pièces ; on y lit simplement le nom d'un monétaire d'un côté, et, de l'autre, celui d'une localité. On relève ainsi jusqu'à 800 noms de lieux sur les pièces de l'époque mérovingienne, parmi lesquels ceux de simples fermes ; un certain nombre de ces lieux n'ont même pu être identifiés. On s'est livré à une série d'hypothèses pour expliquer cette surprenante multiplicité. Nous nous rallions à la plus plausible. Les hommes chargés de percevoir l'impôt recevaient en paiement toutes sortes de monnaies démodées ou étrangères ou encore des lingots au poids ou des objets d'orfèvrerie. Ils ont sans doute fondu sur place ces pièces ou ces métaux et envoyé, sous cette nouvelle forme, à la cour le produit des recettes. Les pièces nouvelles portaient un nom de lieu, indiquant la provenance de l'impôt, et la signature d'un monétaire, garant du titre et du poids. Au reste, à la fin de l'époque mérovingienne, le nombre des monétaires diminua.

La monnaie ordinaire est le sou et le tiers de sou (triens), tous les deux en or. Il y a aussi des deniers en argent dont 40 valent un Boul. Les monnaies en bronze sont rares : l'abondant petit numéraire qu'avait laissé l'Empire romain continuait à suffire aux échanges.

Les rois francs n'ont pas d'armée permanente[36]. Pour chaque expédition, ils convoquent l'armée en vertu du ban royal, et cette armée prend le nom d'hostis, ostis, d'où nous avons fait le mot français ost. La convocation royale, l'heriban[37] (heer, armée) est adressée, en général, au mois de mars ou de mai, aux ducs, aux comtes et autres agents qui avertissent, chacun dans sa circonscription, les hommes soumis au service.

Le roi commande l'armée, ou délègue à sa place un prince de la famille royale ou un haut fonctionnaire, référendaire, connétable, patrice. A partir du VIIe siècle, les maires du palais sont presque toujours commandants en chef.

Les ducs, qui ont amené les hommes du duché, restent à leur tête ; les comtes de leur ressort avec les hommes du pagus sont placés sous leurs ordres. Dans les régions où il n'y a point de ducs, les comtes sont les seuls chefs militaires. A la fin de l'époque mérovingienne, quand l'usage de la recommandation se fut répandu, les recommandés prirent l'habitude, comme nous verrons, de servir sous les ordres de leur seigneur ; dans le comté ou le duché se formèrent ainsi de petits groupes militaires, et ce fait est de grande importance pour les origines du régime féodal. L'armée restait en campagne aussi longtemps qu'il était nécessaire. Pourtant, à l'approche de l'hiver, elle était presque toujours congédiée.

Les réunions de l'ost n'étaient pas toujours générales. Souvent les rois convoquent simplement les hommes des cités les plus rapprochées du théâtre de la guerre. Quand Chilpéric marche contre 1 es Bretons, il s'adresse aux habitants des cités de Tours, de Poitiers, de Bayeux, du Mans, d'Angers. Contre Tours et Poitiers, qui regrettent la domination de l'Austrasie, Gontran fait appel aux habitants de Bourges. Les armées qui combattent en Germanie sont presque toujours prises parmi les habitants des bords du Rhin. Quand Dagobert réunit sous sa domination toute la monarchie franque, il convoque selon les circonstances l'armée d'Austrasie, ou celle de Neustrie, ou celle de Bourgogne.

Quand l'heriban est envoyé dans un comté, quels hommes doivent partir ? Le service militaire pèse avant tout sur certaines catégories de personnes, sur les descendants des anciens fœderati. Les Saxons établis près de Bayeux, les Taifales dont le nom se retrouve dans le pays poitevin de Tiffauges[38], ont continué de former de véritables colonies militaires qui devaient répondre au premier appel. Les Burgondes, quand ils se furent établis dans l'empire romain, furent des fœderati, et pendant longtemps ils sont demeurés des soldats ; quand leur royaume eut été conquis par les Francs, on voit encore des bandes exclusivement formées de Burgondes envahir l'Italie, sur l'ordre des rois mérovingiens. Les Francs étaient aussi à l'origine tous soldats et sur eux ont toujours pesé les obligations militaires les plus étroites ; ils ont formé les armées de Clovis ; ils ont été encore en majorité avec les autres fœderati dans les armées de ses fils ; ce n'est que sous le règne de ses petits-fils que de nouveaux usages s'établirent et que les Gallo-Romains se mêlèrent de plus en plus au rang des armées barbares.

Beaucoup de ces Gallo-Romains demandent à servir à cause des profits que rapporte la guerre ; dès qu'ils ont servi une fois, ils sont tenus de répondre toujours à l'heriban, et, après eux, leurs fils devront le service. Souvent aussi, les ducs ou les comtes contraignent des Gallo-Romains au service, et créent ainsi un précédent dont ils se prévaudront dans la suite. D'ailleurs, dans certaines circonstances, quand le royaume est menacé, quand l'ennemi est proche, tous les hommes libres doivent prendre part à la défense. Plus tard, on s'adressera à eux ou à leurs descendants, même si le danger est moins pressant, pour une expédition lointaine. Ainsi, peu à peu, le plus grand nombre des Gallo-Romains ont été soumis au service militaire. La distinction qui existait d'abord entre Franc et Gallo-Romain s'efface. Il est admis que l'homme qui est valide doit servir, parce que son père a servi, et il en est de l'impôt du sang comme de celui d'argent : certains y sont soumis, d'autres y échappent. Le service, en somme, repose sur la liberté[39] et sur la coutume. Peu importe d'ailleurs que l'homme libre astreint au service soit riche ou pauvre, propriétaire ou sans bien. Les matricularii eux-mêmes, ces mendiants qui vivent à l'ombre des églises, sont tenus de partir[40]. Avec Charlemagne seulement, le service sera fondé sur la propriété.

Les hommes appelés à l'armée devaient supporter les frais de leur équipement et de leur entretien. En pays ami, ils avaient droit au logement pour eux et à l'herbe pour leurs chevaux : en réalité ils vivaient de pillages, même dans le royaume, et le passage des troupes causait de grands maux aux habitants. En pays ennemi, ils avaient droit au butin, et beaucoup d'hommes libres étaient heureux d'être convoqués, espérant bien rentrer chez eux plus riches qu'ils n'étaient partis. Pendant toute la durée de la campagne, les guerriers étaient protégés par un triple wergeld, et le roi les récompensait souvent à leur retour par le don d'une terre. Naturellement ces armées improvisées manquaient de cohésion et elles étaient réfractaires à la discipline. Un jour que les guerriers, dans un moment de panique, s'étaient sauvés de Carcassonne, abandonnant la ville aux Goths, Gontran tança vertement les chefs ; mais ceux-ci lui dirent : Que faire ? Personne ne craint le roi ; personne ne redoute le comte ou le duc ; et, si nous voulons faire des réformes, aussitôt la sédition éclate parmi les soldats.

Mélange d'institutions romaines et de coutumes germaniques, les institutions mérovingiennes se modifient constamment par l'effet des circonstances et par l'action des hommes. Nous les avons entrevues au cours de ce chapitre marchant vers un régime très différent de l'ancienne constitution germanique et, bien plus encore, du régime romain. L'étude de la société nous fera mieux saisir sur le fait la grande évolution qui s'accomplit alors.

 

IV. — LA CONDITION DES PERSONNES ET LA RECOMMANDATION[41].

UNE hiérarchie est marquée dans la société mérovingienne par la différence du wergeld. Le prix de l'homme variait d'une condition à l'autre. Il allait de trente sous d'or jusqu'à deux cents sous. Les classes sociales étaient nettement tranchées ; nul ne pouvait s'élever de l'une à l'autre qu'en vertu d'un acte sanctionné par l'autorité publique et après avoir rempli une série de formalités juridiques.

Au plus bas degré est l'esclave. L'esclave mérovingien procède de l'esclave romain et de l'esclave germanique. La servitude s'attachait à lui en vertu de sa naissance comme à la chair et aux os. Ces serfs, servi, mancipia, étaient nombreux, et l'esclavage faisait sans cesse des recrues nouvelles. Souvent, à la suite d'une guerre, les prisonniers étaient vendus sur les marchés publics ; beaucoup de ces malheureux appartenaient à la race slave et venaient des bords de la Saale et de l'Elbe : le mot slave (esclave) finit même par remplacer celui de serf. Il y avait aussi une traite organisée : les jeunes Anglo-Saxons, que des marchands allaient acheter en Grande-Bretagne, étaient fort recherchés ; les Angles sont des anges, Angli angeli, disait-on. D'autre part, on devenait esclave, si l'on ne pouvait acquitter une dette ou la composition fixée par les tribunaux ; en ces derniers cas, le paiement de la somme faisait cesser la servitude. L'homme libre qui épousait une esclave perdait sa liberté. Enfin souvent, pour remercier Dieu d'une guérison ou pour expier ses péchés, on se faisait l'esclave d'une église ou d'un monastère. Le nouveau serf courbait la tête devant l'évêque, l'abbé ou leur représentant, qui le saisissait par les cheveux, en signe de prise de possession.

L'esclave était considéré comme une chose, que le maitre vend, lègue, donne comme il lui plaît. Il n'a point de biens propres. Il ne peut poursuivre une action en justice. S'il a été victime d'un délit ou d'un crime, c'est le maître qui exige la réparation devant les tribunaux et touche la composition. Le wergeld de l'esclave est du reste très faible ; celui qui ravit ou tue un esclave — et les deux crimes sont assimilés, puisque le dommage est le même pour le propriétaire — paie 30 sous, comme celui qui vole un cheval ou une jument. En revanche, le maitre répond pour les fautes et les crimes de l'esclave ; il doit le conduire devant le tribunal public. Les juges prononcent contre l'esclave des peines infamantes, coups de bâton, mutilation ; même pour certains délits peu graves, ils le condamnent à mort. Si l'esclave s'enfuit, l'État met à la disposition du maitre la force publique, et celui qui donne asile au fugitif est exposé à une forte amende.

En théorie, d'ailleurs, le maitre continue d'avoir droit de vie et de mort sur l'esclave. Mais l'Église proclame que le serf a une âme, dont le maître est responsable devant Dieu. Le concile d'Epaone, en 517, prononce une excommunication de deux ans contre celui qui a tué un esclave non condamné par le juge. L'Église déclare aussi légitimes les unions entre esclaves qu'elle a bénies. Elle recommande de ne pas séparer le mari de la femme, les parents des enfants, et de ne les vendre qu'ensemble. La condition du serf tendait ainsi à s'améliorer, et les mœurs étaient meilleures que les lois.

Les serfs se partageaient en plusieurs catégories. Les uns, attachés au service personnel du maitre, vassi ad ministerium, vivaient dans sa maison de ville ou de campagne. Quelques-uns pratiquaient un métier : ils étaient cuisiniers, menuisiers, orfèvres, ou bien apprenaient à lire et à compter aux enfants de la famille. La valeur de cette catégorie d'esclaves était supérieure à celle du commun : Si quelqu'un, dit la loi salique, vole ou tue un vassus ad ministerium, un forgeron, un orfèvre, un porcher ou un domestique d'écurie, il paiera 45 sous. D'autres, faisant partie du domaine rural que nous décrirons plus loin, habitent avec leur famille dans une case et cultivent un lopin de terre qui leur a été assigné : ce sont les servi casati ou mansionarii. Le maître reçoit d'eux des redevances assez nombreuses et des journées de travail, et il peut toujours reprendre et leur maison et leur terre ; mais l'usage fixa bientôt le nombre de journées de travail et la quotité des cens, et le propriétaire comprit qu'il avait intérêt à laisser au serf sa case et sa parcelle de domaine. Celui-ci se trouve ainsi attaché à la glèbe ; il est comme incorporé à cette terre, dont il deviendra propriétaire un jour. Déjà il peut acquérir un pécule, et, avec cet argent qui lui appartient, acquérir des biens en pleine et franche propriété, et même posséder des serfs en restant serf lui-même.

On sortait de la condition servile par l'affranchissement[42]. Le serf pouvait racheter sa liberté avec son pécule. Il était souvent affranchi par le maître qui espérait, par cet acte, mériter la miséricorde divine. Les rois, quand il leur naissait un fils, donnaient la liberté à trois serfs de l'un et de l'autre sexe dans chacune de leurs villas.

L'affranchi s'appelle, du nom latin, libertus ou, du nom germanique, lide ; ces deux termes sont entièrement synonymes[43]. Il reste soumis à son ancien maître ou à l'héritier de celui-ci ; il garde la terre qu'il cultivait comme esclave : mais cette terre prend maintenant le nom de manse lidile ; il acquitte pour sa tenure des redevances et des journées de travail fixées ; il paie en outre une redevance personnelle, le lidimonium ; s'il meurt sans enfants, son bien revient à son ancien maître. Les lois défendent d'enlever un affranchi à son patron comme un serf à son propriétaire. En revanche le lide peut ester en justice, prendre et recevoir des engagements. Si son wergeld est inférieur à celui de l'homme libre, il est bien supérieur à celui des serfs. L'homme qui attaque et dépouille un autre homme paie 62 sous ½ de composition, si ce dernier est libre ; 35, s'il est lide ; 15, s'il est esclave.

Chez les Alamans, le wergeld du libre est de 160 sous, celui de l'affranchi de 80, celui de l'esclave de 40. Dans certains cas, l'ancien maure renonce même à son droit de patronage sur l'esclave : il fait de lui un homme entièrement libre, qu'il assimile soit à un homme de race franque, avec le wergeld de 200 sous, soit à un homme de race romaine, civis romanus, avec un wergeld de 100 sous. Dans le premier cas, l'affranchissement a toujours lien devant le roi per denarium : le maitre donne un coup sur la main de l'esclave, d'où s'échappe un denier, et renonce, par cette cérémonie symbolique, à tout droit sur lui. Dans le second cas, l'affranchissement a lieu dans une église ou par simple lettre. Le denarialis, comme le romanus, demeure encore en une certaine dépendance vis-à-vis du roi ; sa succession ou celle de son fils échoit au fisc, s'ils n'ont pas d'héritier direct ; seul son petit-fils peut librement disposer de ses biens.

Au-dessus de l'esclave et de l'affranchi ou lide se trouve le colon[44]. Le colon est un homme libre ; le manse qu'il cultive s'appelle mansus ingenuilis, mais il ne le possède pas, il y est attaché et, s'il s'en éloigne sans la permission du maitre, il peut y être ramené de force. Nous avons une formule de jugement, remettant un homme aux mains d'un autre, parce que le père et la mère du premier avaient été les colons du second. Comme beaucoup d'hommes libres s'étaient, aux derniers temps de l'empire romain, engagés dans le colonat, cette classe ne laissait pas d'être nombreuse, et, au VIIe siècle, l'institution de la recommandation lui apporta — nous allons le voir — un nouveau contingent. Si le colon ne peut abandonner son manse, il ne peut non plus en être évincé. Quand il a rendu au maitre les services dus et acquitté les redevances, il cultive sa terre comme il l'entend. Il est un ingenuus et il forme la transition entre la classe sociale servile et les véritables hommes libres, ceux devant qui s'ouvrent « les voies des carrefours[45], et qui peuvent s'engager sur le chemin qu'il leur plan de choisir.

Parmi ces hommes libres, il existe des différences. Les uns appartiennent à la race franque et les autres sont des Gallo-Romains. Le principe de la personnalité des lois rappelait à chacun à quelle race appartenaient ses ancêtres. Puis la loi salique estimait de façon différente le Franc Salien (200 sous) et le Romain (100 sous). Nous savons qu'il ne faut pas attacher à cette inégalité une importance excessive[46] : dans la vie courante, malgré la différence des législations, ces distinctions tendirent à s'effacer[47]. Gallo-Romains et Francs ont accès aux mêmes fonctions publiques et aux mêmes honneurs. On peut dire qu'après le règne de Clotaire Ier les mêmes charges pesaient sur eux : l'impôt était acquitté par les uns et par les autres, tout comme le service militaire était exigé des Romains aussi bien que des Francs. Les Francs admiraient la civilisation romaine et s'efforçaient de se l'assimiler ; ils apprenaient la langue de la Gaule qui commençait à devenir le roman et avaient même la prétention de parler la pure langue latine. Les Gallo-Romains, de leur côté, prenaient les mœurs militaires des envahisseurs ; ils donnaient à leurs enfants des noms germaniques. Les uns et les autres échangèrent leurs qualités et aussi leurs vices, et il se fit une sorte de mélange qui est le caractère de la civilisation mérovingienne. D'ailleurs, le christianisme professé également par les Romains et les Francs les rapprochait encore.

Chez les Francs, tous les hommes libres étaient en théorie égaux. Après les invasions, on ne trouve plus chez eux trace de noblesse[48]. Peut-être à l'origine, alors qu'ils habitaient dans la Batavie, avaient-ils plusieurs familles nobles, comme celles qu'on trouve, au nombre de cinq, chez les Bavarois ; mais ces familles, par suite des dissensions intestines et des guerres, furent probablement réduites à une seule, celle de Mérovée, qui obtint le pouvoir royal héréditairement. La loi salique ne tonnait aucun degré dans la liberté.

Pourtant il se forma, au cours de l'époque mérovingienne, une véritable aristocratie de fait. La société gallo-romaine avait une noblesse. Dans la cité, on distinguait la plèbe, où se rangeaient les corporations des arts et métiers ; les curiales, qui avaient la charge très lourde de toutes les fonctions municipales, — c'était la noblesse locale ; — enfin les sénateurs, affranchis des fonctions de la cité, mais soumis à des devoirs spéciaux envers l'État, — c'était la noblesse d'Empire. — Les sénateurs étaient en général fort riches, et possédaient de vastes domaines. Quand l'empire romain disparut, ils continuèrent d'être considérés plus que les simples hommes libres. Grégoire de Tours ne manque jamais. quand le cas se présente, de dire que tel personnage était l'un des sénateurs, ou bien qu'il appartenait à la classe sénatoriale. Dans cette caste, on choisissait de préférence les évêques. Les Francs qui possédaient des domaines, des serfs, des lides et des colons, furent bientôt assimilés à ces sénateurs romains. Les vicaires, les comtes, les ducs, furent, à partir de 614, pris dans les rangs de cette aristocratie foncière d'origine gallo-romaine ou franque. Sans doute la démarcation entre ces privilégiés et les autres hommes libres n'est pas nettement marquée ; mais le langage courant distingue entre les proceres, les potentes, les priores, les meliores, d'une part ; la plebs, les minores, les mediocres, les minofledi de l'autre. Certaines lois donnent déjà un wergeld différent à ces catégories d'hommes libres. Chez les Alamans, les primi valent 240 sous, les mediani 200, les minofledi 160. Certaines habitudes sociales aideront aussi à la constitution d'une aristocratie véritable.

De tout temps et en tout pays, en Gaule, en Germanie, à Rome, des hommes libres se sont mis au service de personnages puissants et ont aliéné de la sorte une partie de leur liberté, afin d'être protégés[49]. A Rome, se faire de la sorte le client de quelque riche, c'était se recommander, se commendare, c'est-à-dire mettre sa main dans la main d'un autre. Nous retrouvons le mot et la chose chez les Francs.

Aux VIe et VIIe siècles, beaucoup de personnes se recommandent au roi, en se plaçant sous sa protection, mundium, mundeburdis, mot germanique analogue au latin patrocinium ; ou encore sous sa parole, in verbo regis, sub sermone tuitionis regiæ[50]. Sans doute la protection royale s'étend sur tous les sujets du royaume : le roi la leur doit, en échange du serment de fidélité qui lui a été prêté ; mais ceux qui se recommandent ont droit à une protection spéciale, en même temps qu'ils contractent envers le roi des obligations particulières.

Dans cette clientèle personnelle du roi se placent des évêques et des abbés, et, avec eux, les églises ou les monastères qu'ils gouvernent ; les jeunes gens qui sont élevés au palais ; les fonctionnaires ; les hommes qui ont reçu une terre du roi ; des orphelins sans protecteur ; des marchands ; des Juifs. Tous ces recommandés sont jugés directement, s'ils le désirent, par le tribunal du palais ; leurs biens sont garantis de façon spéciale par le roi. Ils ont contracté avec le roi un lien plus étroit que celui de sujet à souverain. Ils sont ses gens, ses leudes (leule), comme on disait ; et ces leudes ne tardent pas à constituer la principale force du souverain.

On se recommande non seulement au roi, mais encore aux ducs, aux comtes, ou bien à un particulier riche et puissant. Parfois des hommes, après avoir emprunté quelque somme d'argent ou des vêtements, ne pouvant les rendre, aliénaient leur liberté. Voici une formule qu'un recueil de Sens a conservée :

A mon frère un tel moi un tel. Il est connu qu'une grave nécessité et des soucis m'ont opprimé et je n'ai plus de quoi me vêtir ni de quoi vivre. Aussi à ma prière tu n'as pas refusé, dans ma détresse, de me donner de l'argent et un manteau valant tant de sous. Cet argent, je ne puis te le rendre. Aussi je demande que tu prennes ma liberté, de sorte que tu aies le pouvoir de faire de moi en toutes choses ce que tu fais de tes esclaves propres, le pouvoir de me vendre, de m'échanger, de m'imposer ta discipline.

Mais la plupart du temps l'obligé ne faisait que se recommander et promettre obéissance et service, et ce service (servilium), il le rendait en tant qu'homme libre (ingenuili ordine). On se recommandait encore pour obtenir, par l'aide d'un puissant, des honneurs ou le gain d'un procès ou la satisfaction de quelque autre désir. En vertu de l'acte même qui les créent, ces relations sont viagères. Je n'aurai point la faculté de me retirer de votre puissance ; je resterai tous les jours de ma vie sous votre autorité. Mais, par la force des choses, elles tendent à devenir héréditaires.

Le recommandé reçoit souvent de son protecteur une terre qui le nourrit. D'autre part, il arrive que l'homme faible, qui possède un lopin de terre, le livre à un protecteur, sous la condition d'en conserver la jouissance. Ainsi, à côté du serf, de l'affranchi ou lide et du colon se place l'homme libre recommandé. Cette donation de terre n'est d'abord qu'une clause accessoire ; le lien entre le protecteur et le protégé est un lien personnel ; mais plus tard à ce lien d'homme à homme se substituera le lien réel d'une terre à une terre.

Le protecteur prend le nom de senior, seigneur, qui est déjà d'un usage courant à l'époque mérovingienne ; le protégé est le leude du senior ; on l'appelle aussi gasindus, ou, vers la fin du VIIe siècle, d'un mot qui fera fortune : vassus. Le vassus de la loi salique n'est qu'un esclave attaché au service personnel du maître : à la fin de l'époque mérovingienne, le mot vassus signifie recommandé, et se substitue au mot leude qui disparaît. Le jour viendra où les plus grands seigneurs de France seront dits et se diront vassaux du roi.

Dans chaque comté, des seigneurs groupaient autour d'eux un nombre plus ou moins considérable de vassaux. Ces seigneurs reconnaissaient comme supérieur le comte, qui, dans le pagus, devint comme le seigneur des seigneurs : les comtes eux-mêmes, avec leurs vassaux propres et leurs pagenses, se rangèrent sous les ducs, dans les contrées où il y avait des ducs, et la chaîne aboutit ainsi au roi, qui en fut le dernier anneau. Ces relations d'homme à homme ne sont encore que des relations privées : la loi ne les reconnaît point. Mais l'institution de la recommandation acquiert une très grande force, puisqu'elle tend à se confondre avec une autre institution, celle du bénéfice. A la hiérarchie des personnes correspondra, à un certain moment, une hiérarchie des terres. Alors, toute la conception de l'État sera bouleversée ; une partie considérable du royaume sera soustraite à l'action directe du roi. Pour comprendre ce grand fait, il faut étudier la condition des terres et les principaux centres de population.

 

V. — LA CONDITION DES VILLES, DES VILLAGES ET DES VILLAS. L'IMMUNITÉ.

A l'époque mérovingienne, le territoire du pagus se partageait en urbes ou villes, en vici ou bourgs, et en villas ou domaines ruraux.

Parmi les villes[51], il faut distinguer le chef-lieu de la cité, où réside l'évêque. Jadis ce chef-lieu commandait à toute l'étendue de la cité ; il adressait ses ordres aux autres villes, aux bourgs et aux domaines. Il a perdu cette situation privilégiée, et même cessé de se gouverner lui-même. Sans doute l'ancienne curie subsiste encore ; mais ses membres n'ont plus aucune autorité. Devant elle, on accomplit simplement certains actes de juridiction gracieuse : elle enregistre les donations, les testaments, les affranchissements, et elle a la garde de ces pièces. Elle remplit les fonctions qui seront plus tard celles des notaires. Avant les invasions, le défenseur de la cité, élu pour cinq ans, y était devenu le personnage principal. Il protégeait les habitants contre les exigences trop grandes du fisc, terminait leurs procès, veillait aux travaux de voirie ou à la réparation des fortifications ; il était à la fois un patron, un juge et un administrateur. Après l'établissement des Francs, nous trouvons encore quelques traces du défenseur, sans que nous sachions qui le nommait, du comte ou des habitants. Mais ces débris de l'ancienne organisation, curie et défenseur, ne tardent pas à disparaître ; et les véritables maîtres de la ville sont le comte et l'évêque.

Le comte y rend la justice, y lève l'impôt, y convoque les hommes à l'ost ; son autorité sur la ville est la même que sur le reste du pagus ; mais il y rencontre la concurrence de l'évêque. Celui-ci, qui jadis était souvent choisi comme défenseur de la cité, prétend que le gouvernement de la ville le regarde désormais en tant qu'évêque, si bien que certaines villes apparaissent déjà avec le caractère de cités épiscopales. Quand Arnoul eut été nommé évêque de Metz, il reçut la cité, nous dit son biographe, pour la gouverner. En somme la ville est régie par le comte ou par l'évêque ; toute organisation autonome a disparu, et c'est par une véritable erreur qu'on a autrefois rattaché les communes du XIIe siècle aux municipes romains.

La ville ne présente plus d'ailleurs l'aspect qu'elle avait au temps de l'Empire. Les anciens édifices, arcs de triomphe, temples, basiliques, thermes, ont été pour la plupart détruits pendant les invasions ou les guerres civiles, et leurs débris gisent sur le sol. Les amphithéâtres servent de forteresses ; d'informes masures se construisent dans la piste. De loin en loin seulement certains princes les font réparer ou même en construisent de nouveaux et y donnent des jeux. Les statues représentant des divinités païennes ont été mutilées et renversées. Les habitants ne bâtissent plus que des églises. Au dehors se dressent les monastères avec leurs murs élevés : c'est la ville sainte à côté de la ville profane ; et, les jours de grande fête, la théorie des processions se déroule de ces abbayes jusqu'à l'église cathédrale, située dans l'intérieur des remparts.

Les villes secondaires portent le nom de castra ou oppida. Le comte n'y trouve pas la rivalité de l'évêque, puisqu'elles ne sont point le siège d'un évêché. Elles atteignent souvent une prospérité supérieure à celle du chef-lieu de la cité. Dijon, simple castrum, relevant de la cité de Langres, a de superbes remparts que garnissent trente-trois tours ; sa campagne, arrosée par l'Ouche et le Suzon, est fertile ; sur les coteaux mûrit un vin que les Francs savent apprécier. Dans l'enceinte s'élèvent de nombreux sanctuaires.

Mais en général la population de toutes ces villes est assez clairsemée, et se trouve au large dans l'intérieur des murs, comme dans un vêtement trop ample. Au début de la période mérovingienne, elle se livrait encore à l'industrie et au commerce. On signale, au VIe et au VIIe siècle, quelques fabriques de toiles à Trèves, à Metz, à Reims, et quelques fabriques de vases, dont il nous reste de nombreux échantillons trouvés dans les tombeaux. Une industrie nous a laissé des produits dont la perfection nous étonne : c'est l'orfèvrerie. Les Mérovingiens recherchaient les armes brillantes, les boucliers finement ciselés, les plaques de ceinturon émaillées, les fibules à forme artistique qui retenaient les vêtements, la vaisselle d'or et d'argent.

Mais, dès le VIe siècle, le travail commence à languir, les corporations d'artisans, si prospères à l'époque romaine, disparaissent. L'industrie quitte les villes et se réfugie dans les campagnes ; chaque villa a ses artisans qui fabriquent les objets nécessaires à la consommation locale. En revanche, bientôt la ville cesse de demander à la campagne sa nourriture : derrière les maisons s'étendent les jardins qui fournissent les légumes ; des espaces assez considérables dans l'intérieur des murs sont ensemencés, et, à l'extérieur, une zone de terres cultivées constitue la banlieue urbaine. La ville devient rurale.

Le commerce reste assez prospère. C'est que les Francs ont besoin de faire venir du dehors les épices, les drogues médicinales, le papyrus, les riches vêtements de soie. L'Orient les leur fournit. Ces marchandises étaient apportées aux ports de Marseille, d'Arles et de Narbonne, ou prenaient la voie de terre par Constantinople et la vallée du Danube. C'est cette direction que suivaient les marchands qui allaient commercer chez les Slaves ou \Vendes. Quelques négociants étaient en relations avec le pays de l'ambre, et aussi avec la Grande-Bretagne, le principal marché des esclaves.

Il existait des associations au moins temporaires de marchands : Grégoire de Tours mentionne celle de Verdun. Un jour le roi Théodebert prêta à l'évêque de cette ville, Dizier, sept mille aurei, pour subvenir aux besoins de la cité affligée ; Dizier partagea cette somme entre les marchands de la ville, qui purent rétablir leurs affaires et redevenir riches, et le roi refusa d'accepter le remboursement du prêt. Childebert II fit restituer à des commerçants qui se rendaient en Espagne les marchandises qu'on leur avait enlevées et ils lui offrirent en reconnaissance un glaive et un baudrier. Mais le commerce est surtout aux mains des Byzantins et des Juifs. Les Byzantins, qu'on désigne sous le nom de Syriens, forment des colonies importantes dans certaines villes, à Marseille, à Bordeaux, à Orléans : en 591 un Syrien, Eusèbe, arrive à se faire nommer évêque de Paris, grâce aux présents qu'il offre au roi. Les Juifs sont aussi très nombreux dans les villes, et bientôt, comme l'Église défend le prêt à intérêt, tout le commerce d'argent est entre leurs mains. Priscus, Juif de Paris, est l'agent de Chilpéric pour ses achats de denrées exotiques.

Des foires se tiennent dans le royaume ; déjà celle de Saint-Denis est célèbre. Elle se tient aux portes de Paris sur un terrain que traverse le ruisseau de Ménilmontant, et elle reste ouverte pendant quatre semaines. Puis certaines places des villes, — à Paris, par exemple, celle de Notre-Dame, — sont bordées de comptoirs et de magasins où s'étalent les étoffes et. les bijoux. Ce commerce maintient une certaine activité, malgré la décadence de l'industrie.

Au-dessous des villes et des castra se placent les communautés d'hommes libres qui constituent des vici. La plupart d'entre eux remontent à l'époque romaine, et nous en avons décrit plus haut l'organisation. Les Francs, de leur côté, créèrent dans la région du Nord-Est des vici[52]. Vici germaniques et vici gallo-romains différèrent sans doute d'aspect à l'origine ; mais elles prirent la même physionomie, à mesure que les deux populations se mêlèrent.

Les vici mérovingiens sont en général situés sur les grandes routes ; ils sont habités par une population de marchands, d'artisans, ou de petits propriétaires dont les terres constituent la banlieue du vicus. Nous connaissons 31 vici dans la seule cité de Tours. Quelques villages gardent encore dans leurs noms le souvenir de leur ancienne condition : Vy, Vic, Neuvic, Vieuvy, Moyenvic, Longwy, Viaisne (Vicus Axone, de l'Aisne), Vivonne (Vicus Vedonnæ, de la Vienne), Meuvy (Mose vicus), etc. Plusieurs de ces vici sont devenus dans la suite de véritables villes : Arlon, Marsal, Brioude, Amboise, Loches, etc. ; d'autres sont descendus au rang des villages.

Les habitants du vicus, vicani, peuvent posséder, recevoir des dons et des legs ; ils ont une caisse commune, une église qu'ils ont construite et entretiennent de leurs deniers ; ils forment une paroisse.

Les grands domaines, les ville, étaient, dès l'époque romaine, plus nombreux que les vici ; aux temps mérovingiens, elles se multiplient. La villa couvre à peu près tout le sol ; d'elle sont sortis le plus grand nombre de nos villages modernes.

La villa est un domaine privé qui appartient souvent à un seul propriétaire. On a indiqué précédemment le procédé suivi pour sa dénomination. A l'époque mérovingienne commence la transformation qui, peu à peu, fera sortir de ce nom le nom moderne. La villa de Victoriacus, propriété de la gens Victoria, donnera, selon les diverses régions de la France et d'après les règles de la phonétique romane, les noms modernes de Vitrac, Vitrec, Vitré, Vitrey, Vitry[53]. Les Francs, devenus à la suite des invasions propriétaires de nombreuses ville, leur donnent leur nom : Gerbéviller, Ramberviller, Goncourt, Baudricourt sont les ville ou les curies de Gerbert, Rambert, Godon, Balderich. Ces noms sont rarement ceux de villages nouveaux ; ils sont substitués presque toujours à des noms romains : en Alsace, le village appelé jadis Deciacus devint Chagambac (le ruisseau de Hagen), quand un Hagen en fut devenu le maître[54]. Souvent aussi la villa prit le nom du saint à qui la paroisse était consacrée : Dampierre, Dammartin, Domèvre (domnus Petrus, Martinus, Aper) ou Saint-Pierre, Saint-Martin, Saint-Èvre.

Lorsque, par suite de vente, de donation et, ce qui était le plus fréquent, de partage entre frères, une villa, se démembre, elle continue de former un tout, qui a sa vie propre.

Le propriétaire de la villa, continuant et développant un usage introduit dès l'époque romaine, divisait le sol en deux parties : l'une qu'il exploitait lui-même, et l'autre qui, partagée en divers lots, était concédée, sous conditions, à des tenanciers de toutes sortes. La première se nommait la terre ou le manse du maitre : terra dominicata, mansus indominicatus ; les Francs l'appelèrent terra salica, la terre qui entoure la maison (sale). Le manse dominical comprenait d'abord la maison d'habitation. Si l'on n'y trouve plus le même luxe qu'à l'époque romaine, elle est encore somptueuse, entourée de portiques dont les colonnes se reflètent souvent dans les eaux d'un étang ou d'une rivière. A côté, se trouvent les dépendances, les étables, pressoirs, boulangeries, etc., et des ateliers où des ouvriers, serfs ou affranchis, menuisiers, charrons, selliers, orfèvres, fabriquent les instruments nécessaires à la villa. Dans les gynécées, des femmes cardent la laine des moutons ou tissent les vêtements. Autour des bâtiments s'étend la terre domaniale, des jardins, des vergers, des champs ou des vignes. Le manse dominical est exploité par les serfs attachés à la personne du maitre, et les tenanciers de la seconde partie du domaine y viennent travailler par corvée.

Enfin sur ce manse s'élève, construite par le maître, l'église de la villa, qui deviendra le chef-lieu de la paroisse rurale.

La seconde partie de la villa est divisée en petites fractions dont le maitre abandonne la jouissance à des serfs, à des affranchis ou lides, et à des hommes libres. L'unité de tenure s'appelle le manse, qui est, selon la classe du tenancier, servile, lidile ou ingenuile. Le manse se compose d'une cabane (casa) et de terres. Les cabanes sont parfois, dans les montagnes ou en certains coins retirés, isolées ; mais le plus souvent elles se groupent, alignées au long de rues. La villa mérovingienne devait ressembler beaucoup à nos villages modernes. Quand la maison est isolée, les terres qui y sont attachées sont d'un seul tenant et limitées par des bornes ; autrement, elles sont fragmentées, le manse comprenant des terres de toute nature, champs, prés, vignes. La valeur des manses devait être en principe la même dans chaque villa ; mais il y eut de bonne heure des inégalités : le tenancier pouvait acquérir plusieurs manses ou aliéner, sous certaines conditions, une partie du sien ; il y eut ainsi des riches et des pauvres. — Le maître de la villa restait toujours propriétaire du manse ; le tenancier lui devait un cens, des redevances diverses, des services, et contribuait pour une bonne part à mettre en valeur, comme nous venons de le dire, la terra dominicata.

Le maître mettait à la disposition des hommes du domaine un moulin, un pressoir, souvent une forge, une brasserie : c'est l'origine des banalités. Les tenanciers étaient contraints (bannili) de recourir à ces établissements. Le propriétaire gardait pour lui les forêts, les cours d'eau, avec le droit de chasse ou de pêche. Contre redevance, il laissait aux tenanciers des droits d'usage dans les forêts, qui, d'ailleurs, par suite du défaut de route et de bonne exploitation, étaient de très médiocre rapport.

Sur tous ces hommes du domaine, le propriétaire exerce droit de coercition. Il les punit pour les fautes commises envers lui : services non rendus, redevances non payées ; puis, comme il doit maintenir l'ordre sur le domaine, ce droit est devenu dès le temps des Romains un véritable droit de juridiction : le maitre juge les délits et les crimes. Au IVe siècle, les lois romaines ont protégé contre ses caprices l'esclave et le colon ; mais, comme les lois barbares substituent souvent la responsabilité du maitre à celle des esclaves, comme elles l'obligent, ainsi que nous l'avons dit, à payer la composition pour les crimes ou les délits commis par eux, il recouvre le droit de sévir, et il redevient le juge au moins de la population servile de ses terres. Cette juridiction sera l'une des sources principales de la juridiction féodale.

Le propriétaire de ces domaines les possède avec tous les droits que comporte la plena in re potestas, la pleine propriété, telle que l'ont définie les jurisconsultes romains, avec le jus ulendi et abulendi, le droit d'user et d'abuser. L'invasion des Francs ne changea rien à la condition des terres. Les barbares s'établirent sur les domaines qui étaient abandonnés. Quelques-uns reçurent des terres du roi, prises parmi les domaines du fisc : mais ils les reçurent en pleine propriété. Ils étaient tenus à être reconnaissants au roi pour ce don ; pourtant aucun lien juridique nouveau n'était créé entre eux et lui par cette donation.

Parmi les biens domaniaux on distinguait ceux qui venaient des ancêtres, le patrimoine de la famille, et ceux qu'on acquérait — les acquêts — par achat, par don, ou bien par la mise en culture d'un terrain en friche. On disait des premiers qu'ils étaient possédés ex alode ou de alode parentum, — de l'alleu des parents — l'étymologie du mot étant d'ailleurs incertaine[55]. Peu à peu on arriva à désigner par le ternie alleu les biens patrimoniaux eux-mêmes, sans distinction de meubles ou d'immeubles ; mais, comme la terre était la partie la plus importante de l'héritage, on finit par appliquer le mot à la terre ancestrale.

Quand les conditions de la propriété furent changées, quand les bénéfices, que nous allons définir, furent devenus nombreux, le mot alleu prit une autre acception. Il désigna la terre qu'on avait en propre, à quelque titre que ce fût, par héritage, par achat, par donation, par opposition à celle qui relevait d'une autre terre. Le mot, auparavant opposé à acquêt, s'opposa à bénéfice. On employa cette formule qui eût été à l'origine un non-sens : La terre que j'ai acquise en alleu. Plus tard, quand le bénéfice sera devenu, sous le nom de fief, le mode ordinaire de la possession territoriale, l'alleu apparaîtra comme chose exceptionnelle, singulière : ce sera la terre absolument franche d'impôt, ne relevant que de Dieu ; et le mot deviendra un véritable nom propre : des villages se nomment Laleu, Lalleu, Lalheue, Laleuf ; à Besançon, se trouve la rue de la Lue (rue de l'Alleu).

Il y avait encore, aux VIe et VIIe siècles, beaucoup de petits domaines : le territoire de la villa de Gœrsdorf[56] en Alsace, par exemple, était divisé entre un grand nombre de propriétaires libres ; nous en voyons 48 céder leurs parcelles à l'abbaye de Wissembourg. Mais la grande propriété se forme, et très vite. Quelques-unes de ces ville, qui appartiennent à un seul mettre, étaient très étendues ; il arrivait qu'un même propriétaire possédât plusieurs ville ou parcelles de ville, séparées quelquefois par de grandes distances, mais quelquefois aussi formant un tout continu. Les églises ou les abbayes, qui n'aliénaient jamais leurs biens, et qui en recevaient toujours de nouveaux, devinrent bientôt de très riches propriétaires. Si l'on songe que les abbayes étaient très nombreuses et qu'il y avait 112 évêchés en Gaule, il ne sera peut-être pas téméraire d'admettre que l'Église possédait un tiers du sol. Or de la grande propriété naquit un mode de possession nouveau, qui fit dépendre une terre d'une autre terre.

L'Église concéda une partie de ses immenses biens à titre de précaire, suivant un mode déjà connu des Romains[57], et qui reçut une grande extension à l'époque mérovingienne.

L'homme libre qui veut obtenir de l'Église un précaire s'adresse à l'évêque ou à l'abbé ; il lui fait une prière très humble (ego ille precator, moi le suppliant), pour obtenir par un bienfait (per vestrum beneficium) une terre qu'il pourra cultiver, et dont les fruits lui appartiendront ; il s'engage à ne point aliéner le domaine qu'il sollicite et à n'en détourner aucune parcelle ; à sa mort, le domaine retournera à l'évêché ou au monastère avec toutes les améliorations qui y auront été apportées. Si cette demande, dite precaria, supplication, est accueillie, l'évêque ou l'abbé répond, par un acte nommé prœstaria, concession : Comme vous êtes venu en suppliant et que vous nous avez adressé telle prière, notre volonté vous accorde cette terre qui est à nous ; tant que vous vivrez, nous n'aurons pas le droit de vous l'enlever ; mais vous la tiendrez par notre bienfait (per nostrum beneficium) et, à votre décès, elle rentrera dans nos mains ou dans celles de nos successeurs. La jouissance, dans l'exemple cité, est viagère ; mais parfois le terme est fixé à cinq, dix ou quinze ans ; parfois il s'étend à deux générations, et le précaire n'est repris qu'a la mort du fils du donataire. Jamais il n'est héréditaire. Souvent aussi l'on spécifiait le paiement d'une redevance annuelle : quelques sous ou quelques livres de cire à acquitter le jour de la fête du saint patron de l'église. L'Église, en concédant ces précaires, a récompensé parfois d'anciens clercs ou d'anciens serviteurs, et aussi de puissants laïques qui lui avaient rendu service. Mais souvent elle n'a fait que céder des biens qu'elle ne pouvait exploiter par ses serfs, ses lides et ses colons. Elle touchait pour ces biens une redevance légère et ils lui revenaient améliorés. Pourtant on dira toujours que le donataire détient la terre per beneficium, par bienfait, et bientôt la terre concédée s'appellera elle-même beneficium, bienfait, qui, dans l'usage, deviendra bénéfice. Précaire et bénéfice sont à l'origine tout à fait synonymes.

L'Église exige souvent qu'en échange de la terre qu'elle donne en précaire, le bénéficiaire lui fasse don d'une terre de même valeur. Celui-ci tient désormais en usufruit les deux terres, celle de l'église et la sienne, pour un temps déterminé ; à l'échéance, l'église reprendra l'une et l'autre. Le propriétaire de 50 arpents doublera son revenu en cultivant 100 arpents ; mais, à sa mort, l'Église possédera les 100 arpents : elle aura doublé son capital. L'usage du précaire a enrichi l'église de Verdun, et Didier de Cahors a acquis pour son siège beaucoup de terres benefaciendo, en concédant des bénéfices. D'autres fois et souvent l'Église reçoit du suppliant une terre sans y rien ajouter de ses propres biens ; elle laisse cette terre au donateur à titre de précaire ; le précariste assure son salut en l'autre monde et continue de jouir en celui-ci des mêmes revenus ; seulement, à sa mort, ses héritiers sont dépouillés et l'Église prend possession du domaine[58].

Les grands propriétaires, tout comme l'Église, cédaient des par celles de leur domaine en précaire et se constituaient ainsi de nouveaux clients ; comme elle, ils recevaient des biens libres et les concédaient en précaire à l'ancien propriétaire : celui-ci était le plus souvent un petit propriétaire qui, ayant besoin de protection, se recommandait à plus puissant que lui, en même temps qu'il lui donnait sa terre. Dans une opération de cette sorte, la recommandation et la constitution du précaire et bénéfice, qui sont deux actes sociaux distincts, vont de compagnie. Ils finiront par se confondre.

Le roi, qui est le plus grand propriétaire laïque du royaume, cède-t-il lui aussi des terres en bénéfice ? Il est possible que certaines parties d'un domaine du fisc aient été parfois données à des particuliers, pour qu'ils les missent en valeur ; mais de semblables concessions, portant sur de petits territoires, n'ont eu aucune importance. Les dons de domaines que fait le roi, après la conquête, confèrent toujours la pleine propriété. Sans doute souvent les fils d'un roi reprenaient les biens qu'avait cédés leur père ; et c'était comme une règle, lorsque les impétrants se montraient ingrats et se révoltaient, de transporter à d'autres, plus fidèles, les domaines qui leur avaient été donnés. On arrivait même — par la nécessité où se trouvaient les rois de donner toujours — à dépouiller des leudes qui avaient rempli leurs devoirs. Ceux qui étaient ainsi dépossédés réclamaient violemment, et les rois crurent de bonne politique de satisfaire à ces réclamations : par le pacte qu'ils conclurent à Andelot en 581, Gontran et Childebert promirent de restituer aux leudes les biens reçus du fisc, que ceux-ci possédaient antérieurement à la mort de Clotaire Ier, en 561 ; et, d'une façon générale, comme nous l'avons vu, ils déclarèrent irrévocables les dons qu'ils avaient faits aux églises ou aux fidèles. Clotaire II, par sa præceptio, fit de semblables promesses : Toutes les donations faites par nos prédécesseurs aux églises, à des clercs, à des laïques doivent demeurer à toujours, et, par l'édit du 18 octobre 614, il s'engagea à restituer tous les anciens biens du fisc que ces détenteurs pouvaient avoir perdus pendant la guerre civile. Mais ces stipulations mêmes nous prouvent que la propriété des terres reçues du fisc était moins sûre que celle des terres acquises par héritage ou par achat. En cas de révolte ou de jugement prononçant la confiscation, celles-là étaient saisies les premières, souvent à l'exclusion de celles-ci. On ne peut appeler les terres données par le roi des bénéfices, puisque la cession est faite en toute propriété ; mais elles tiennent par certains côtés du bénéfice.

Voici d'autres modes qui se rapprochent davantage de l'espèce bénéficiale.

Les fonctionnaires royaux, comme nous l'avons dit, ne touchaient aucun traitement ; mais le roi concédait, pour la durée de la fonction ou de la vie, aux officiers du palais la jouissance de domaines dans le voisinage des palais royaux, et aux ducs et aux comtes, celle de villæ situées dans leur duché ou leur comté. Le roi, à la mort ou en cas de révocation du fonctionnaire, reprenait ces biens. Il arriva que les mêmes domaines fussent attachés toujours à une fonction et détenus par les fonctionnaires qui se succédaient. La villa de Lagny, par exemple, fut occupée tour à tour par les maires du palais, Ébroïn, Waraton et Gislemar. Nous sommes ainsi en présence d'une sorte de bénéfice, détenu par les fonctionnaires. Mais bientôt, par suite d'une nouvelle évolution, le roi va créer de vrais bénéfices royaux.

Par des concessions multiples et réitérées de terres en pleine propriété, le fisc s'appauvrissait ; les confiscations, si nombreuses qu'elles fussent, ne suffisaient pas à réparer les pertes. Le roi n'avait plus que peu de biens à donner, précisément au moment où il lui fallait, au milieu des guerres civiles, se procurer des partisans. Quand la famille des Pépins commença sa carrière ambitieuse, elle voulut, elle aussi, s'attacher des hommes libres par des concessions de terres ; n'en ayant pas une quantité suffisante, elle prit celles de l'Église. Elle distribua aux guerriers les biens ecclésiastiques[59]. Mais les biens de l'Église, étant inaliénables, ne pouvaient être donnés en toute propriété : l'Église conserva sur les terres cédées par le roi le domaine éminent ; les guerriers n'en furent que détenteurs et ils acquittaient à l'Église un cens. Plus tard, en 779, par le capitulaire d'Héristal, Charlemagne exigea que les détenteurs payassent à l'Église, outre ce cens, les dîmes et les nones, les dîmes comme tous les autres fidèles, les nones, soit la neuvième partie du revenu restant, en signe de la propriété supérieure de l'Église. A la mort du seigneur, le bien faisait retour à l'Église, à moins de nouvelle concession faite par le roi au fils du défunt. Ces biens donnés par le roi aux dépens de l'Église furent assimilés à des précaires ecclésiastiques : ce sont de véritables bénéfices.

 Il arriva, dans la suite, que, par une sorte d'assimilation, les coutumes se pénétrant les unes les autres — ce qui est un des phénomènes caractéristiques de ce temps-là — les biens donnés par le roi sur ses propres terres le furent aux mêmes conditions que les biens ecclésiastiques cédés par lui. Le roi ne donne plus que pour la durée de la vie de l'impétrant ; bien plus, comme ici le donateur n'est plus une église, personnage abstrait qui ne meurt pas, mais le roi, personnage concret, le don cesse aussi à la mort du donateur. Dans les deux cas, un renouvellement est nécessaire ; le nouveau roi confirme la cession de la terre faite par son prédécesseur, ou le fils du bénéficiaire obtient du roi confirmation du bénéfice donné à son père. Le bénéfice royal est ainsi créé : il apparaît au VIIIe siècle, tout à fait à la fin de l'époque mérovingienne.

Nous avons vu la recommandation, d'une part, et, d'autre part, l'octroi de bénéfices créer des relations particulières entre des personnes. Ces deux facteurs réunis contribueront à produire, à la fin de l'époque carolingienne, le régime féodal. Un autre caractère de ce régime, c'est qu'on verra les droits d'État, justice, impôts, service militaire, tomber entre les mains de particuliers. Or, dès l'époque mérovingienne, nous remarquons des signes annonçant cette évolution. Les grands propriétaires ont juridiction sur les serfs, les lides et les colons demi-libres habitant leurs domaines, et qui sont parfois au nombre de plusieurs centaines, d'un millier et encore davantage. Mais l'État a conservé des droits ; il châtie les crimes des tenanciers qui ne sont pas réprimés par le maitre ; il protège contre lui les colons ; le fonctionnaire royal pénètre dans les domaines, y rend la justice, y lève des redevances, y convoque les hommes libres soumis à l'ost, exige l'heriban de ceux qui n'obéissent pas à cette convocation.

Mais souvent le fonctionnaire royal abusait de son pouvoir. Les propriétaires se plaignirent au roi ; et celui-ci entendit leurs doléances ; il donna aux propriétaires un diplôme d'immunité, défendant aux fonctionnaires de pénétrer sur leurs domaines. Et l'immunité est le troisième facteur de la formation du régime féodal.

Le mot avait eu d'abord un sens restreint. Les rois accordaient à quelque grand domaine l'exemption des impôts d'État ; le domaine était dit alors immunis. Mais, comme l'impôt d'État tendait à disparaître, cette faveur n'aurait à peu près rien signifié aux VIIe et VIIIe siècles ; aussi le diplôme d'immunité eut-il, à cette date, une tout autre portée. Il interdisait l'entrée du territoire privilégié au comte ou à ses subordonnés. Il était défendu à ceux-ci d'y prendre leur gîte ; d'y percevoir aucune redevance ou tribut public ; d'en forcer les hommes à se rendre à l'ost royal et d'exiger des récalcitrants l'heriban ; d'y juger les procès et d'y saisir des répondants, fidejussores, qui garantissent la comparution des coupables en justice ; d'y lever le fredus, qui est la part de l'État dans la composition.

Faut-il conclure que le grand propriétaire, qui a obtenu un pareil diplôme, lève l'impôt pour le roi et en envoie le produit au trésor public ; qu'il mène les hommes libres de sa terre à l'ost royal ; qu'il force les coupables à comparaître devant le tribunal public, tenu en dehors de l'immunité ? On l'a soutenu avec beaucoup de force, et, d'après cette théorie, aucun droit régalien n'est supprimé ; mais ces droits sont levés par le propriétaire, au lieu de l'être par le fonctionnaire royal. Il est possible qu'à l'origine les choses se soient passées de la sorte ; sûrement le propriétaire a toujours, soit par lui-même, soit par un délégué, — le voué pour les terres abbatiales, le vidame pour les terres épiscopales, — conduit à l'ost les hommes libres du domaine ; il les a commandés et menés à la bataille sous les ordres du comte. Mais sûrement aussi, dès l'origine, sur certains territoires d'immunité, en vertu d'une clause spéciale du diplôme, et bientôt, par une extension toute naturelle, sur tous les territoires d'immunité, le propriétaire a gardé pour lui l'impôt d'État. A côté du cens et des multiples redevances du domaine, il a touché ce qui restait encore des funcliones publicœ sur sa propriété, capitatio humana et terrena, tonlieux et droits de marché, fredus et heriban. Puis, le comte ne tenant plus de plaid sur le domaine, le propriétaire soumet tous les hommes qui l'habitent à son tribunal privé ; il devient leur juge ; aux droits de juridiction domaniale, il ajoute les droits régaliens de justice, que le comte n'exerce plus. Même, peu à peu, l'immuniste s'attribue la connaissance de tous les délits qui sont commis sur sa propriété, que les coupables soient habitants de l'immunité ou qu'ils y soient étrangers. L'étranger qui poursuit un habitant de l'immunité est obligé de s'adresser au tribunal du propriétaire. Les tribunaux d'État ne sont plus compétents qu'en cas de crime commis par un habitant de l'immunité hors du domaine, ou dans les contestations civiles entre un habitant de l'immunité et un étranger où le premier est demandeur.

Le roi d'ailleurs n'interdisait l'entrée de l'immunité qu'à son fonctionnaire : il pouvait toujours y pénétrer lui-même pour y rendre la justice, exiger le droit de gîte et les charrois, et même évoquer les causes à son tribunal in palatio. Mais comment, en ces territoires de plus en plus nombreux, eût-il pu exercer de pareils droits ? En réalité, le domaine qui a obtenu l'immunité est indépendant.

Quelquefois l'immunité s'étendait à un territoire bien défini[60]. Mais souvent, dès l'origine, elle fut donnée à tous les biens d'une église, d'une abbaye, d'un propriétaire, en bloc ; on l'accorda même d'avance aux terres qui devaient être concédées dans la suite à l'impétrant. Il en résulta que les propriétés des immunistes s'accrurent considérablement, surtout celles des ecclésiastiques. Beaucoup de particuliers, pour échapper à la tyrannie d'un comte avide, donnaient leurs biens à une église qui jouissait de l'immunité ; ils les recevaient ensuite d'elle à titre de bénéfice.

Il se forma ainsi, aux VIIe et VIIIe siècles, de véritables Ilots où le seigneur propriétaire, sous la vague suzeraineté du roi, jouit de tous les droits régaliens. Il lève l'impôt ; il rend la justice ; s'il n'a pas encore le droit de guerre, s'il ne peut que lever des troupes pour les mener à l'ost royal, il est déjà tenté d'employer ces troupes contre ses voisins ou pour poursuivre des vengeances privées. C'est véritablement la confusion qui commence de la souveraineté avec la propriété. Si de pareils domaines sont clairsemés dans certaines régions, ailleurs ils sont assez rapprochés[61]. Dans la vallée supérieure de la Meurthe, cinq abbayes dessinent par leur position le centre et les bras d'une croix mystique : Moyenmoûtier, Saint-Dié et Bonmoûtier, Étival et Senones. Ces abbayes obtiennent toutes cinq l'immunité, et elles acquièrent la propriété de presque toute la région.

Mais la féodalité, quand elle sera constituée, ne résidera pas tout entière dans la confusion de la souveraineté et de la propriété. Le seigneur féodal possédera des droits régaliens sur des terres dont il n'est pas le propriétaire : par exemple, l'évêque qui est un seigneur ecclésiastique n'exercera pas seulement son pouvoir temporel sur les terres qui lui appartiennent, à lui ou à son évêché ; il aura encore des droits temporels sur le diocèse qu'il gouverne au spirituel. Déjà, à l'époque mérovingienne, le roi abandonne parfois certains droits régaliens à des particuliers sur des terres qui ne sont pas à eux. Il arrive qu'il exempte une abbaye de payer le péage à tel ou tel endroit, ou dans toute l'étendue du royaume, pour les marchandises qu'elle vend ou qu'elle achète. Parfois il cède à l'abbaye la possession même du péage : c'est elle, et non le fisc, qui touchera le tonlieu[62]. Ici un droit régalien devient un droit privé. Le roi cède aussi les revenus d'un atelier monétaire à une église ou à un particulier. Dagobert accorde un jour à l'évêque de Tours tous les impôts levés dans la cité ; l'évêque les perçoit désormais pour l'église et, bientôt, comme le comte a pour office de faire rentrer ces impôts, l'évêque prétend nommer le comte lui-même : la cité de Tours tend de la sorte à devenir une seigneurie ecclésiastique. De telles concessions sont encore rares à l'époque mérovingienne ; mais elles se multiplieront dans la suite et ainsi, par abandon bénévole du roi, une foule de droits, qui appartiennent d'ordinaire à l'État, se trouveront détenus par des particuliers.

En résumé, le fait principal de toute cette histoire, c'est la ruine et la décomposition de la puissance publique. Les rois mérovingiens, à de rares exceptions près, ne se sont pas élevés à l'idée abstraite de l'État ; ils n'ont pas compris la royauté comme une magistrature impersonnelle dont l'office est d'assurer la discipline générale et de procurer le bien de tous. Ils ont considéré la royauté comme un patrimoine privé qu'ils se sont partagé, et cette coutume a été une des causes essentielles de la destruction de la monarchie. Les fonctionnaires royaux, ceux du palais comme ceux du pages, sont véritablement leurs serviteurs propres, et non pas ceux de l'État. Les impôts ne sont plus la contribution de chacun aux dépenses générales ; ce sont des redevances dues à la personne du souverain et dont le produit va remplir ses coffres. La justice n'est pour le prince qu'un moyen de s'enrichir et de frapper ses adversaires. L'armée qu'il lève n'est point celle de l'État ; c'est la troupe du roi, avec laquelle il marche contre ses ennemis, au dehors ou dans l'intérieur du royaume.

Sans doute, les institutions romaines que les Mérovingiens ont laissé dépérir, ne pouvaient être intégralement sauvées, mais ils n'y ont rien substitué. Des institutions et mœurs germaniques, ils n'ont gardé que la coutume des relations personnelles, d'homme à homme. Au lieu de sujets de l'État, ils ont eu des clients, des fidèles ; au lieu de rois, chefs d'État, ils sont devenus des seigneurs, chefs de clientèle. Pour former et garder cette clientèle, qui était toute leur force pendant les guerres civiles perpétuelles, ils ont donné en bénéfices les terres d'Église, et les leurs propres ; ils ont concédé des droits régaliens, des immunités, prodiguant les attributions de la puissance publique. Le moment vint où ils n'eurent plus rien à donner. La monarchie mérovingienne finit ainsi par la banqueroute. Pendant ce temps, le régime de la relation personnelle, pratiqué par l'Église et par les grands, comme par le roi, créait, dans toute l'étendue de la Gaule, des groupes de personnes et de territoires ; cette relation commençait à s'établir sur la terre, à s'y incorporer ; elle devenait réelle, concrète et solide. La transition se faisait entre la centralisation romaine et la polyarchie féodale, entre la vie générale, dont il ne restait qu'un vague souvenir, et la vie locale d'étroit horizon, où l'homme du Moyen Age va s'enfermer.

 

 

 



[1] SOURCES. Les historiens cités dans les chapitres précédents ; les capitulaires des rois mérovingiens se trouvent dans le tome des Capitularia regum Francorum de Boretius dans les Monumenta Germaniæ historica, in-4°. On trouvera dans la même collection les Formula éditées par Zeumer ; voir surtout le recueil du moine Marculf (VIIe siècle). On consultera aussi le recueil de Marcel Thévenin, Textes relatifs aux institutions privées el publiques aux époques mérovingienne et carolingienne, Paris, 1887.

OUVRAGES À CONSULTER. Fustel de Coulanges, Histoire des Institutions politiques de l'ancienne France. La monarchie franque, Paris, 1888. J. Tardif, Études sur les Institutions politiques et administratives de la France, t. I, Paris, 2e édition, 1890. Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, t. II et III, Paris, 1888 et 1889. P. Viollet, Histoire des Institutions politiques et administratives de la France, t. I, 1890. On trouvera encore aujourd'hui quelques idées intéressantes dans Lehuërou, Histoire des institutions mérovingiennes et du gouvernement mérovingien, Paris, 1842. Voir comme précis M. Prou, La Gaule mérovingienne, Paris, s. d., dans la Bibliothèque d'histoire illustrée. — Lœbell, Gregor von Tours und seine Zeit, 2e édit., Leipzig, 1869. H. Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, Leipzig, t. I et II, 1887 et 1892. R. Sohm, Die fränkische Reichs- und Gerichtsverfassung, Weimar, t. I, 1871. H. von Sybel, Die Entstehung des deutschen Königsthums, Francfort-sur-le-Mein, 3e édition, 1884. G. Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, Kiel, t. II (3e édition en 1882), ouvrage tout à fait essentiel et où tous les textes sont réunis en un ordre très sagace. — Fahlbeck, La royauté et le droit royal francs, 1883 (traduit du suédois par Kramer) ; cf. l'analyse de ce travail par M. Platon dans les Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, 1886, p. 42-75.

[2] Voir ce que nous avons dit des partages de 511 et de 561. Ces partages avaient lieu conformément à la loi : divisionem legitimam faciunt, dit Grégoire de Tours. Le mot sors, que l'historien emploie plusieurs fois à propos de ces partages, ne doit point faire croire que les lots étaient tirés au sort ; il se traduit simplement par part, portion. Cf. Ed. Hubrich, Fränkisches Wahl- und Erbkönigthum zur Merovingerzeil, Konigsberg, 1889.

[3] Ce serment de fidélité, qui se prêtait près des lieux saints, sur les reliques, s'appelait leudesamio.

[4] Les rois ont peut-être des couronnes d'or semblables à celles des rois wisigoths qui se trouvent au Musée de Cluny. Cf. de Lasteyrie, Description du trésor de Guarrazar,1860.

[5] Le roi a-t-il le titre de vir inluster que prirent plus tard les Carolingiens ? M. Julien Havet l'a nié ; cf. Œuvres, Paris, 1898, t. I, p. 1 et 13. Ses conclusions ont été combattues par Pirenne, dans le Compte-rendu de la commission royale d'histoire de Belgique, 1885 : H. Bresslau, dans le Neues Archiv, t. XII (1886), et Fustel de Coulanges, Les titres romains de la monarchie franque, dans les Nouvelles recherches sur quelques problèmes d'histoire, 1891, p. 217-274.

[6] K. Plath, Die Königspfalzen der Merowinger und Karolinger, Berlin, 1892, a fait la bibliographie des divers articles consacrés à ces résidences royales.

[7] Cette théorie est attaquée à tort, selon nous, par M. Prou, Examen de quelques passages de Grégoire de Tours relatifs à l'application de la peine de mort, dans les Études d'histoire de moyen âge dédiées à Gabriel Monod, 1896.

[8] Plus tard, au temps de Pépin ou de Charlemagne, quand de pareilles assemblées furent tenues, les annales même les plus sèches ne manquent pas de les signaler. Si, dans le récit de Grégoire de Tours, qui expose avec une véritable ampleur le détail des événements, aucune allusion n'est faite à de pareilles réunions, c'est qu'elles n'existaient point.

[9] On consultera à ce sujet Wilheim Sickel, Die merowingische Volksversammlung, dans les Mittheilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Erganzungsband II, 1888.

[10] On trouve bien le mot de champ de mars deux fois dans Grégoire de Tours, mais avec un sens tout différent. La première fois (II, 8), il s'agit de l'empereur Valentinien III, qui est assassiné à Rome, tandis qu'il siège à son tribunal in campo Martio ; la seconde fois (II, 27) Clovis convoque à Soissons toute la phalange des guerriers, ostensuram in campo Martio armorum nilorem : il s'agit ici du champ de mars de Soissons, endroit où se passaient les revues, et non de l'institution du champ de mars qui est postérieure.

[11] Voir ci-dessous. au liv. III, chap. III, le Gouvernement de Charlemagne.

[12] Bresslau, Handbuch der Urkundenlehre, I, 269. Giry, Manuel de diplomatique, p. 708.

[13] Pertz, Geschichte der merowingischen Hausmeier, Hannover, 1819. Bonnell, De dignitate majoris domus regum Francorum a Romano sacri cubiculi præposito ducenda, Berlin, 1858. Schöne, Die Amtsgewalt der fränkischen majores domus, Brunswick, 1856. Hermann, Das Hausmeieraml, ein echt germanisches Amt, fascicule IX des Untersuchungen zur deutschen Staats- und Regtsgeschichte de Gierke. M. Fustel de Coulanges semble avoir résolu la question de l'origine du maire du palais dans la Monarchie franque, pp. 166-183.

[14] Les reines avaient leur maison à part ; elles administraient les revenus qu'elles apportaient en dot et le douaire que leur mari leur reconnaissait : l'ensemble de ces biens était dirigé par le maire du palais de la reine. Grégoire de Tours mentionne Wadon, maire de Frédégonde et ancien comte de Saintes.

[15] Il n'est pas bien sûr qu'il y eût à la cour une sorte d'école primaire où les jeunes gens apprenaient à lire. Cf. E. Vacandard, La scola du palais mérovingien dans la Revue des questions historiques, 1897, p. 490, et, du même, Vie de Saint Ouen, évêque de Rouen, 1901.

[16] Deloche, La trustis et l'antrustionat royal, Paris, 1873. P. von Roth, Geschichte des Beneficialwesens, Erlangen, 1850 ; du même, Feudälität und Unterthanenverband, Weimar, 1863. P. Guilhiermoz, Essai sur l'origine de la noblesse en France au moyen âge, Paris, 1902.

[17] Cette thèse est combattue par M. Guilhiermoz. Il rattache les animations aux scholares, aux buccelarii de l'époque impériale, soldats mercenaires, le plus souvent barbares, qui formaient la garde des Césars ou de simples particuliers. Mais l'auteur rabaisse trop la dignité des antrustions ; n'oublions pas que, sous les Mérovingiens, le roi seul peut avoir des antrustions.

[18] Guérard, Essai sur le système des divisions de la Gaule, Paris, 1837 ; Longnon, Géographie de la Gaule au VIe siècle, Paris, 1878.

[19] Le mot pagus n'a par suite plus le même sens qu'à l'époque romaine, où il désignait une division de la cité. On s'explique aisément ce changement de signification, si l'on songe que beaucoup de cités ont été morcelées dans le cours des temps et que des pagi ont été élevés au rang de cités.

[20] Le comte est le fonctionnaire caractéristique de l'époque mérovingienne. On n'en trouve en Germanie aucune trace ; et même il semble n'avoir été introduit qu'assez tard de l'autre côté du Rhin. Chez les Romains, le comte appartenait à la hiérarchie militaire. On signale pourtant au IVe siècle, dans la Gaule, des comtes qui avaient des attributions civiles. (Esmein, Mélanges d'histoire et de droit, 1886, p. 387 ; Lécrivain, Remarques sur la lex Romana Visigothorum dans les Annales du Midi, 1889, p. 174 ; Viollet, Histoire des institutions politiques, p. 74-75) ; mais l'institution ne parait pas avoir été générale. Le comte, tel que nous le connaissons à l'époque mérovingienne, cumulant tous les pouvoirs, a pris naissance dans les royaumes barbares et il est possible que les Francs l'aient emprunté aux Wisigoths. Partout, après les invasions, les jeunes royautés sentaient le besoin de rendre leur autorité plus forte dans les cités, et elles ont multiplié leurs représentants au milieu d'une population souvent hostile.

[21] Les comtes Gallo-Romains étaient en réalité plus nombreux. Kurth, De la nationalité des comtes francs, dans les Mélanges Paul Fabre, Paris, 1909, démontre que, des 54 comtes mentionnés par Grégoire et Fortunat, 42 sont gallo-romains, 12 seulement germains. Cf. du même, Les ducs et les comtes d'Auvergne au VIe siècle, dans la Revue d'Auvergne, septembre 1900, et Les ducs et les comtes de Touraine au VIe siècle, dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique, décembre 1900.

[22] Les tribuns ne dérivent évidemment point des tribuns, officiers de l'armée romaine ; mais on a voulu les rattacher aux tribuns, chefs des milices municipales. Cf. Lécrivain, De quelques institutions du bas-empire, dans les Mélanges de l'École de Rome, 1889, p. 375.

[23] Il ne parait point que cette institution de la centaine ait été générale ; on ne la trouve point au sud de la Loire. Elle n'existe qu'au nord du royaume franc, où les Saliens s'étaient établis en masse, et dans les vallées perdues des Alpes et du Jura.

[24] Il s'étendait sur les deux diocèses de Strasbourg et de Bâle. Le plus connu de ses ducs est Adalric, l'Etichon de la légende, le père de sainte Odile. Il transmit son pouvoir à son fils Adalbert, qui le laissa à son fils Liutfrid. Le duché d'Alsace semble avoir disparu vers 739. Cf. Ch. Pfister, Le duché mérovingien d'Alsace et la légende de sainte Odile, Nancy, 1892. Quelques critiques ont été faites à cette étude par Hermann Bloch, Die geschichtliche Einheit des Elsasses, dans les Protokolle der Generalversammlung des Gesammtvereins der deutschen Geschichts- und Altertumsverelne, 1899.

[25] On donnait particulièrement ce nom à l'officier qui commandait en Provence ; sans doute ce nom a été pris aux Ostrogoths.

[26] Il est vrai qu'il organisait à ce moment une expédition contre la Bretagne.

[27] Voir plus loin le § sur l'immunité.

[28] La loi des Ripuaires a été publiée en dernier lieu par R. Sohm au tome V des Leges de Pertz, éd. in-fol. L'éditeur y distingue quatre parties, dont il place la rédaction du VIe au VIIIe siècle. La loi des Alamans a été éditée par K. Lehmann dans le Pertz in-4°, Legum sectio I. La loi des Saxons a paru dans le Pertz in-folio, t. V, des Leges, éditée par le baron de Richtofen et son fils, la lex Thuringorum au même endroit. Pour la loi des Bavarois, il faut avoir recours à l'édition Merkel, au tome III des Legs in-fol.

[29] Fustel de Coulanges, De l'organisation judiciaire dans le royaume des Francs dans les Recherches sur quelques problèmes d'histoire, Paris, 1885. Beaudouin, La participation des hommes libres au jugement dans le droit franc, dans la Nouvelle Revue historique de droit français, 1887. Beauchet, Histoire de l'organisation judiciaire en France. Époque franque, Paris, 1886. Bethmann-Hollweg (von), Der Civilprocesz des gemeinen Rechts in geschichtlicher Entwickelung, t. IV, Bonn, 1867. Barchewitz, Das Königsgericht zur Zeit der Merowinger and Karolinger, Leipzig, 1882.

[30] Nous avons déjà cité Malay et on connaît Compiègne, Valenciennes, Saint-Cloud. Quierzy, cant. de Coucy, arrond. de Laon (Aisne) ; Luzarches, arrond. de Pontoise (Seine-et-Oise) ; Chatou, cant. de Saint-Germain-en-Laye, arrond. de Versailles (ibid.) ; Ponthion, cant. de Thiéblemont, arrond. de Vitry-le-François (Marne) ; Quernes, cant. de Norrent-Fontes, arrond. de Béthune (Pas-de-Calais).

[31] La loi salique nous montre le mail présidé par le centenier on thunginus. Or, au VIe siècle, dans le récit de Grégoire de Tours, nous voyons que la justice est toujours rendue par le comte. On a prétendu que ce sont là documents d'époques différentes et qu'il faut distinguer l'état salique de l'état mérovingien. Mais il est plus probable que chaque document nous parle de tribunaux différents qui ont coexisté. Les juristes allemands modernes prétendent que le tribunal du centenier est un tribunal populaire auquel s'oppose la justice du comte, fonctionnaire d'État. Ils émettent à ce propos toutes sortes de théories qu'il est impossible d'exposer ici. En tout cas, le tribunal du centenier ou celui du vicaire devint un tribunal jugeant les petites causes, le tribunal des comtes se réservant les causes importantes.

[32] Cf. Thonissen, Du droit de vengeance dans la législation mérovingienne, dans le Compte rendu de l'Académie des sciences morales et politiques, t. CXI (1879), p. 45 et 385.

[33] Cf. Monod, Les aventures de Sichaire dans la Revue historique. 1886. Fustel de Coulanges, De l'analyse des textes historiques dans la Revue des questions historiques, 1887.

[34] Le coupable qui payait le faidus échappait à la faida, droit de vengeance que pouvait poursuivre à l'origine la victime ou sa famille.

[35] Quand le comte juge, il garde un tiers du fredus.

[36] Il a pourtant quelques petites troupes qui restent plus longtemps sous les armes. Les tint :nations, nous l'avons vu, forment une garde permanente du roi. Puis, aux frontières, des bandes de guerriers (scaræ, schaaren) surveillent l'ennemi souvent pendant une période assez longue et tiennent garnison dans des camps retranchés ou dons des forteresses.

[37] On appelle encore heriban l'amende de 60 sous que doit payer celui qui ne se rend pas à la convocation royale.

[38] Chef-lieu de canton, Deux-Sèvres.

[39] Ce n'est pas qu'il n'y ait eu à l'armée des lides ou affranchis : mais ils ne sont point personnellement soumis au service ; ils suivent leur maitre pour l'assister pendant les marches et pendant la bataille ; ils restent ses serviteurs et ne deviennent pas les serviteurs du roi. Il n'y a pas non plus d'obligations militaires spéciales pour ceux qui ont reçu des terres du roi.

[40] Voir ci-dessous, le chapitre sur l'Église.

[41] OUVRAGES À CONSULTER. Voir les ouvrages généraux indiqués en tête de ce chapitre, es deux livres de Roth, et l'ouvrage de P. Guilliermoz, signalés p. 178. On consultera encore : dans Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, le volume intitulé : L'alleu et le domaine rural pendant l'époque mérovingienne, Paris, 1869, et celui qui a pour titre : Les origines du système féodal. Le bénéfice et le patronat pendant l'époque mérovingienne. Paris, 189o. Nous avons suivi souvent d'assez près ces deux remarquables ouvrages. Guérard, Explication du capitulaire de Villis, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, 1853 ; du même, Polyptyque de l'abbé Irminon, Prolégomènes, t. I, Paris, 1834. Ulrich Stutz, Geschichte des kirchlichen Benefiziahvesens von seinen Anfängen bis mir die Zeit Alexanders III, Berlin, 1896 (la première partie seule a paru) : voir l'analyse faite par M. Paul Fournier, La propriété des églises dans les premiers siècles du moyen âge, dans la Nouvelle Revue du droit français et étranger, 1897, p. 486. Beaudouin, Études sur les origines du régime féodal. La recommandation et la justice seigneuriale, dans les Annales de l'enseignement supérieur de Grenoble, 1889. Th. Sickel, Beiträge zur Diplomatik. I-VIII, extrait des Sitzungsberichte der Wiener Akademie der Wiesenschaften, 1861-1882 ; voir particulièrement les fascicules consacrés aux chartes de mundeburdis et d'immunité. Esmein, Cours d'histoire du droit français, 4. édition, Paris, 1901. A. Prost, L'Immunité. Étude sur l'origine et les développements de cette institution, Paris, 1882, extrait de la Nouvelle Revue historique du droit français : du même, La justice privée et l'immunité, dans les Mémoires de la Société des antiquaires de France, t. XLVII (1886). II. Brunner, Forschungen zur Geschichte des deutschen und französischen Rechts, Stuttgart, 1894.

[42] Bross, Die Liten und Aldionen, Berlin, 1874. Zeumer, Ueber die Beerbang der Freigelassenen durch den Fiscus nach fränkischem Recht, dans les Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XXIII. Marcel Fournier, Les affranchissements du Ve au XIIIe siècle : influence de l'Église, de la royauté et des particuliers sur la condition des affranchis, dans la Revue historique, 1883 ; du même, Essai sur les formes et les effets de l'affranchissement dans le droit gallo-franc, 1885 (60e fascicule de l'École des Hautes Études).

[43] Les lides n'ont rien de commun avec les læti que nous avons rencontrés au IVe siècle, soldats germaniques à qui les empereurs romains concédaient des terres en échange de leurs services militaires. Le lide mérovingien n'est pas un homme libre, mais un affranchi ; il peut appartenir à n'importe quelle nation.

[44] Fustel de Coulanges, Le colonat romain, dans les Recherches sur quelques problèmes d'histoire, Paris, 1885.

[45] Dans les chartes d'affranchissement par le denier, on trouve la formule ordinaire : Sitque ab hodie liber, ac si ab ingenuis parentibus fuisset genitus ; habeat vias quadrati orbis apertas, nullo contradicente.

[46] Voir ce qui est dit plus haut pour la loi salique.

[47] Notons toutefois que l'historien appelé Frédégaire indique toujours à quelle race appartiennent les personnages dont il parle.

[48] A consulter sur ce sujet les deux ouvrages de Roth cités plus haut.

[49] Waitz, Ueber die Anfänge der Vassalität, Göttingen, 1856. Faugeron, Les bénéfices et la vassalité au IXe siècle, Paris,1868. Dippe, Gefolgschaft und Huldigung im Reiche der Merowinger, Wandsbeck, 1889.

[50] Le mundium et la vassalité étaient à l'origine deux institutions différentes, qui ne tardèrent pas à se confondre. Le mot mundium signifiait à l'origine manus, mais on y vit le mot mund, bouche, et on le traduisit par verbum, sermo.

[51] Marignan, Étude sur la civilisation française, t. I, La société mérovingienne, Paris, 1899. Flach, Les origines de l'ancienne France, t. II, Les origines communales, la féodalité et la chevalerie, Paris, 1893. Pigeonneau, Histoire du commerce de la France, t. I, Paris, 1885. O. Noël, Histoire du commerce du monde, Paris, 1891. W. Heyd, Histoire da commerce du Levant au moyen-âge (traduit en français par F. Reynaud), 2 vol. Leipzig, 1886.

[52] L'existence de ces vici nous parait prouvée par le titre De migrantibus de la loi salique. On a souvent prétendu que dans ces vici, existait la propriété commune. On a dit que les hommes libres y possédaient une maison, entourée d'un enclos ; et que le reste du territoire nommé marra, n'était pas partagé et appartenait à l'ensemble des habitants. A intervalles réguliers, les chefs auraient assigné à chaque famille une parcelle de la marche que celle-ci cultivait et dont elle recueillait les fruits. Puis, un peu plus tard, quand la terre était fatiguée, les premières parcelles distribuées seraient restées en jachère et on aurait attribué à chacun de nouveaux lots pour la culture : ces opérations se seraient ainsi régulièrement poursuivies. Au delà de ces champs cultivés s'étendaient, dit-on encore, les prairie' et les forêts qui seraient toujours restées communes. Mais toutes ces hypothèses très séduisantes ne sont point fondées sur les documents ; dans le vices germanique, il n'y avait point de propriété commune non plus que dans les bourgs gallo-romains ; le territoire de la banlieue était partagé en lots qui étaient la propriété individuelle des divers habitants. Voir l'exposition de la théorie germanique dans les ouvrages de Lud. von Maurer, Einleitung zur Geschichte der Mark- Hof-Dorf-und Stadtverfassang in Deutschland, Munich, 1854 ; Geschichte der Markwerfassung in Deutschland, Erlangen, 1856 ; Geschichte der Fronhote, Dauernhafe und Hoperfassung in Deutschland, 4 vol., Erlangen, 1862-1863 ; Geschichte der Dorfuerfassung in Deutschland, 2 vol., Erlangen, 1885-1866. Voir aussi Garsonnet, Histoire des locations perpétuelles, Paris, 1878. Cf. la critique de Fustel de Coulanges, La marche germanique, dans les Recherches sur quelques problèmes d'histoire.

[53] Sur ces noms on consultera, J. Quicherat, De la formation française des noms de lieux, Paris, 1867. D'Arbois de Jubainville, Recherches sur l'origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités en France, Paris, 1889.

[54] C'est aujourd'hui Hambach, au canton de Drulingen, arrondissement de Saverne (Alsace-Lorraine).

[55] Outre le livre de Fustel de Coulanges déjà cité, consulter Chénon, Étude sur l'histoire des alleux en France, Paris, 1888. Lanery d'Arc, Du franc-alleu, Paris, 1888. Bonin, L'alleu en Bourgogne, dans les Positions des thèses des élèves de l'École des Chartes. 1888.

[56] Au canton de Wœrth, arrondissement de Wissembourg (Alsace-Lorraine).

[57] Sur le précaire romain, voir t. I, II. On a assigné parfois au précaire mérovingien une autre origine et on l'appelle la précaire, pour le distinguer du précaire romain. Voir Wiart, Essai sur la précaire, Paris, 1894.

[58] On appelle parfois les trois espèces de précaires décrits : precaria data, precaria remuneratoria, precaria oblata.

[59] C'est Charles Martel qui, comme on verra plus loin, inaugura cette politique.

[60] Pour l'évêché de Strasbourg, le roi Dagobert commença à donner l'immunité aux terres qui entouraient Rouffach dans la Haute-Alsace, et jusqu'à la Révolution ce coin de terre s'est nommé le Munda supérieur, par opposition au Munda inférieur, possession de l'abbaye de Wissembourg, qui acquit de bonne heure un semblable privilège. Charlemagne, plus tard, donna l'immunité à d'autres biens de l'évêché strasbourgeois, ceux qui étaient situés dans la vallée de la Brusche ; et, par des concessions nouvelles, l'immunité s'étendit à toutes les possessions de l'évêché.

[61] Frid. von Schulte, Lehrbuch der deutschen Reichs- und Rechtsgeschichte, 6e édit., Stuttgart, 1893, prétend qu'un quart des terres du royaume jouissait de l'immunité. Le chiffre me parait exagéré.

[62] Imbart de la Tour, Des immunités commerciales accordées à l'Église du VIIe au IXe siècle dans les Études d'histoire du Moyen Age dédiées à Gabriel Monod, Paris, 1886.