HISTOIRE DE FRANCE

TOME DEUXIÈME. — LE CHRISTIANISME, LES BARBARES - MÉROVINGIENS ET CAROLINGIENS.

LIVRE PREMIER. — LE CHRISTIANISME ET LES GERMAINS EN GAULE.

CHAPITRE PREMIER. — L'ÉVANGÉLISATION DE LA GAULE[1].

 

 

I. — L'ÉGLISE DE LYON ET SES MARTYRS.

L'INTRODUCTION et les progrès du christianisme, l'arrivée et l'établissement des Barbares, ouvrent pour la Gaule une période nouvelle. Alors commencent les temps que nous appelons le Moyen Age.

Le christianisme se manifeste d'abord, et par une action profonde. Sans doute il n'a point prêché la révolte contre les empereurs, il n'a point soulevé les esclaves contre les maîtres ; ses docteurs n'enseignèrent ni une révolution politique, ni une révolution sociale. Mais, inconciliable par ses principes avec la société antique, il en a précipité la ruine. Cette société reposait sur l'union intime de la religion et de l'État : ses prêtres étaient des magistrats, son culte était un culte officiel, les empereurs devenaient des dieux. Pour les chrétiens, au contraire, les institutions politiques et les institutions religieuses sont distinctes : l'Église monothéiste ne peut s'entendre avec l'État polythéiste. De là une lutte fatale, qui s'aggrave et s'exaspère à mesure que le christianisme devient plus puissant et que l'État se sent. plus dangereusement menacé. Les chrétiens protestent en vain de leur respect pour les lois, la profession seule du nom chrétien devient un crime qu'on punit. Les persécutions qui, à diverses reprises, éclatent avec violence, sont le plus souvent, de la part de l'État, des actes de défense raisonnée ; même des empereurs d'un caractère doux et humain n'hésitent pas à les ordonner.

L'histoire de la propagation du christianisme est obscure. Pour la Gaule en particulier, les documents sont fort rares, souvent incertains. Absorbés par les épreuves présentes, par l'espoir prochain d'un autre monde, les chrétiens ne songeaient guère à enregistrer les destinées de leurs communautés naissantes. Tout au plus se préoccupaient-ils de conserver les récits des souffrances et du courage de leurs martyrs. Ce sont tantôt les procès-verbaux officiels des interrogatoires, dont ils se procuraient des copies, tantôt des relations écrites par des témoins oculaires ou d'après leurs renseignements. Mais ces actes des martyrs n'ont guère survécu sous leur forme ancienne. Beaucoup ont disparu pendant les dernières persécutions, beaucoup ont été remaniés, à partir du IVe siècle, par des écrivains dont le zèle imprudent a voulu les parer de nouveaux détails édifiants et de fleurs de rhétorique. De là des documents qui ne sont ni tout à fait vrais, ni tout à fait faux, mais où il est difficile de distinguer la légende de l'histoire.

La piété des hommes du Moyen Age ne se contenta pas de ces premières altérations. En Gaule, moins encore qu'ailleurs, le catholicisme triomphant ne se résigna à ignorer les origines des diocèses épiscopaux, dont les chefs exerçaient une influence si considérable sur la société politique elle-même. Au silence des documents on suppléa par l'imagination : au VIe siècle certains écrits de Grégoire de Tours en témoignent. Entre les villes de la Gaule ce fut comme un concours d'amour-propre ; bien des églises prétendirent remonter aux premiers siècles du christianisme. On en arriva à croire que plusieurs personnages du Nouveau Testament, Lazare, Marthe, Marie-Madeleine, Denis l'Aréopagite, Crescent , étaient venus en Gaule ; des plus anciens évêques dont on possédait les noms pour quelques villes, sans bien savoir quand ils avaient vécu, on fit des contemporains et des disciples des apôtres. L'histoire de nos origines chrétiennes s'est donc surchargée de saints apocryphes et de fictions romanesques[2].

Au IVe siècle, ces légendes étaient encore inconnues. Un des auteurs gallo-romains les plus célèbres de ce temps, Sulpice Sévère, écrivait simplement dans sa chronique : Sous Marc-Aurèle se déchaîna la cinquième persécution. Alors pour la première fois on vit des martyrs en Gaule, la religion de Dieu ayant été reçue tardivement au delà des Alpes[3].

Ce fut de l'Orient grec que le christianisme s'introduisit en Gaule. Les relations entre les régions les plus éloignées de l'Empire étaient fréquentes : les routes, nombreuses et bien entretenues, rendaient les communications faciles ; la Méditerranée était comme un immense lac romain, sans cesse sillonné par des vaisseaux. Des marchands grecs, des Asiatiques, des Syriens surtout, affluaient sur les côtes de Provence ; ils remontaient le Rhône, apportant avec eux les produits de leurs pays, fort recherchés en Occident. Dans les grandes villes, ils formaient des colonies qui se retrouvent encore au Moyen Age. Au Ier ou au ne siècle, quelques-uns de ces étrangers, venus des régions où prospéraient les églises fondées par saint Paul et ses collaborateurs, durent introduire le christianisme. A défaut des historiens, l'épigraphie en témoigne : quelques-unes des plus anciennes inscriptions chrétiennes de la Gaule ont été trouvées en Provence, et longtemps encore après, l'usage de la langue grecque se maintint sur les épitaphes des fidèles. De ville en ville la foi nouvelle se propagea. Au cours de la seconde moitié du ne siècle, des communautés chrétiennes existent à Vienne, à Lyon. Dans une lettre adressée à leurs frères d'Asie et de Phrygie, les serviteurs du Christ établis à Vienne et à Lyon ont raconté la tourmente qui les assaillit sous le règne de Marc-Aurèle. C'est le plus ancien et le plus précieux document certain sur l'histoire du christianisme en Gaule.

L'envoi même de cette lettre atteste qu'entre les communautés chrétiennes de la vallée du Rhône et les églises d'Asie, comme jadis entre les colonies grecques et leurs métropoles, les relations étaient étroites. D'ailleurs l'origine orientale de quelques-uns des martyrs est connue : l'évêque Pothin est Asiatique, Attale est de Pergame, le médecin Alexandre est Phrygien. Les adeptes de la foi nouvelle appartiennent à toutes les classes de la société. C'est qu'elle répondait aux aspirations les plus diverses : les esprits élevés y trouvaient une satisfaction à ce besoin de croire dont plus d'un était alors tourmenté, et que ne contentaient ni les cérémonies du culte officiel, ni les enseignements de la philosophie ; les déshérités de la vie, les pauvres, les esclaves recevaient du christianisme une consolation à leurs misères, l'idée de l'égalité morale, l'espoir d'un monde meilleur. Aussi, à Vienne et à Lyon, se trouvaient parmi les chrétiens de nobles personnages, comme Vettius Epagathus, de pauvres servantes, comme Blandine ; ces fidèles d'origine si différente formaient de petites communautés ; ils s'appelaient frères, et ce n'était point un vain mot, car ils s'entraidaient les uns les autres, assistant les pauvres, les veuves, les orphelins, animés d'un esprit de charité que leurs adversaires même ne pouvaient s'empêcher d'admirer. Ils s'assemblaient pour chanter des cantiques, pour louer Dieu, ils célébraient de modestes repas dont le nom agapes, qui signifie affection, indiquait les sentiments mutuels de ceux qui y prenaient part.

Au moment où elle apparaît dans l'histoire, la communauté de Lyon devait exister depuis quelque temps déjà. Elle eut peut-être pour premier centre le quartier marchand d'Ainay, qui se trouvait alors dans les fies au confluent du Rhône et de la Saône. Au mois d'août, lors de l'assemblée qui réunissait à Lyon, autour de l'autel de Rome et d'Auguste, les délégués des peuples de la Gaule, une foire célèbre s'y tenait. La foule était hostile aux chrétiens. Ils s'isolaient du monde, ils condamnaient les fêtes païennes : or le peuple accuse volontiers ceux qui ne s'associent pas à son existence et à ses plaisirs. Le mystère dont ils s'entouraient les rendait suspects. On prétendait qu'ils adoraient un personnage à tête d'âne et que, dans leurs réunions, ils égorgeaient un enfant, dévoraient ses chairs et se livraient à d'abominables débauches. Quelques-unes de ces calomnies avaient peut-être pour origine des récits bibliques et évangéliques dénaturés, tels que le sacrifice d'Isaac ou la Cène. La foule les accueillait avidement.

Vers la fin du règne de Marc-Aurèle, en 177, ces haines s'exaspérèrent sous l'influence de malheurs publics dont on rendait les chrétiens responsables, de même que, plus tard, au Moyen Age, en temps d'épidémie, on accusa les Juifs ou les lépreux d'empoisonner les sources et les puits. D'ailleurs Lyon était une ville religieuse, les grandes fêtes païennes qui s'y célébraient étaient pour les habitants une occasion de réjouissances et de gains. Les chrétiens, en se détournant du culte officiel, compromettaient donc l'honneur et la prospérité de la cité. On commença par leur défendre de paraître aux bains publics, au Forum, puis on les insulta dans la rue, on leur jeta des pierres, on pilla leurs biens. Le jour vint où on en arrêta quelques-uns ; le tribun et les magistrats de la cité, entourés d'une foule immense, les conduisirent au Forum, qui occupait l'emplacement actuel de Fourvière. On les interrogea, et ils reconnurent qu'ils étaient chrétiens. Mais les magistrats de Lyon n'avaient point droit de vie et de mort ; il fallut attendre le retour du légat impérial qui gouvernait la province. Ainsi débutaient souvent les poursuites contre les chrétiens. Des empereurs humains et modérés, comme le furent ordinairement ceux du IIe siècle, après avoir prohibé le christianisme, répugnaient à une application rigoureuse de la loi ; bien des gouverneurs de provinces avaient les mêmes sentiments. Mais la foule prenait l'initiative, elle arrivait au prétoire, traînant quelques malheureux qu'elle avait déjà maltraités, enivrée par le bruit même de ses clameurs ; devant l'émeute menaçante le magistrat était forcé, quelquefois malgré lui, d'instruire l'affaire.

Le légat impérial revint ; on ignore son nom. Les interrogatoires commencèrent, interrogatoires terribles, si celui qui les dirigeait était. de caractère violent : contre ceux qui n'avaient pas le titre de citoyens romains, il pouvait à son gré faire intervenir la question, les tortures. A Lyon, le légat se montra, semble-t-il, dur et cruel dès l'abord. Les fidèles qui n'avaient pas été arrêtés étaient là, dans le prétoire, aux premiers rangs de la foule ; ils suivaient anxieux le procès de leurs frères. Le jeune Vettius Epagathus, qui appartenait à l'aristocratie lyonnaise, s'avance vers le tribunal et demande à plaider pour eux. Les clameurs éclatent, l'intervention d'un noble lyonnais en faveur des accusés parait un scandale. Es-tu chrétien ? lui demande le légat. Je le suis, répond Vettius d'une voix assurée. Aussitôt on le saisit. Ainsi le fait de se déclarer chrétien suffisait pour qu'on tombât sous le coup de la loi[4].

Après chaque interrogatoire les accusés étaient reconduits à la prison ; de nouvelles arrestations venaient grossir leur nombre. On s'emparait aussi de quelques-uns de leurs esclaves, qui n'avaient pas adhéré au christianisme, et, par la torture, on les forçait à raconter les orgies monstrueuses et sanglantes dont on accusait les fidèles. Les prisonniers avaient encore d'autres angoisses. Déjà dix d'entre eux avaient faibli au milieu de ces souffrances ; ceux qui restaient supporteraient-ils jusqu'au bout les violences de la question, la menace d'une mort prochaine ? Les chrétiens considéraient le martyre comme une épreuve glorieuse, mais redoutable, qu'on ne peut affronter sans préparation, et Tertullien, dans quelques-uns de ses traités, fixe des règles pour aguerrir le corps et le rendre à demi insensible aux supplices. La rage de la foule, des soldats, du légat, croissait contre ceux qui donnaient l'exemple du courage le plus ferme : Sanctus, diacre de l'église de Vienne, Maturus, encore néophyte, Attale de Pergame, et une humble servante, Blandine. Le magistrat, interrogeant Sanctus, lui demandait quel était son pays, sa cité, s'il était de condition libre ou servile. Je suis chrétien, répondait Sanctus, indiquant ainsi que le titre de chrétien remplaçait pour lui la patrie, la famille, tout en un mot. Le légat fit appliquer sur les membres du martyr des lames d'airain rougies au feu. Les chairs brûlaient, mais Sanctus ne cédait point ; déjà perdu dans l'ivresse des joies célestes, il croyait voir sortir des flancs du Christ une source d'eau vive qui le rafraîchissait et le fortifiait. Quand on le rapporta à la prison, son corps n'était qu'une plaie béante. Quelques jours après on recommença à torturer cette chair saignante et tuméfiée, espérant qu'enfin l'âme faiblirait. Mais, sous l'étreinte de douleurs nouvelles, Sanctus parut reprendre sa vigueur afin de lutter encore.

Blandine ne fut pas moins vaillante. Elle était toute jeune et toute frêle. Sa maîtresse, chrétienne comme elle, et tous les autres fidèles tremblaient de la voir faiblir, mais le Christ, écrivent les auteurs de la lettre, voulut prouver qu'il se plaît à glorifier ceux qui sont humbles, vils, méprisés des hommes. Blandine lassa les bourreaux qui, du matin au soir, se relayèrent pour lui faire endurer tous les genres de tortures ; ils s'avouèrent vaincus, s'étonnant de voir résister ce corps malingre, déchiré de plaies, qu'un seul de ces supplices, disaient-ils, aurait dû tuer. Blandine cependant, comme un généreux athlète, pour s'encourager et se consoler dans la lutte, répétait : Je suis chrétienne, on ne fait rien de mal parmi nous. L'héroïsme de la petite servante de Lyon, on l'a remarqué avec raison, était la réhabilitation morale de l'esclave.

Une des dernières arrestations fut celle du chef même de la communauté, de l'évêque Pothin, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans. Il était infirme et n'avait plus que le souffle, mais, quand on le conduisit au tribunal, il se sentit tout fortifié par le désir du martyre qui s'approchait ; ce corps, épuisé par la vieillesse et la maladie, sembla reprendre vie afin de servir au triomphe du Christ. Il était suivi par les magistrats, par le peuple qui l'accablait de huées, comme s'il était le Christ même. Le légat lui ayant demandé quel était le Dieu des chrétiens : Tu le connaîtras, répondit-il, si tu en es digne. A ces mots, ceux qui sont près de lui le frappent du pied et du poing, d'autres plus éloignés lui jettent ce qu'ils trouvent sous la main. Quand on le reconduisit à l'obscure et infecte prison où on détenait les chrétiens et où plusieurs moururent, il respirait à peine ; deux jours après il rendit l'âme.

L'instruction du procès était terminée. Les prisonniers savaient qu'ils ne devaient plus attendre que la mort, mais, au fond de leur cachot, détachés déjà de la terre, ils s'absorbaient dans les visions d'un monde meilleur. Pour étaler aux yeux de la foule leurs dernières souffrances et leur fin, le légat décida qu'ils seraient livrés aux bêtes dans l'amphithéâtre, voisin de Fourvière, et dont l'emplacement a été récemment découvert[5]. Maturus, Sanctus, Attale de Pergame, Blandine défilèrent dans l'arène. On portait devant Attale un écriteau : Voici Attale le chrétien, mais le légat apprit qu'il était citoyen romain, et, comme ce titre conférait au condamné le privilège de ne subir d'autre supplice que la décapitation, on le reconduisit en prison. Maturus et Sanctus, après avoir été exposés aux morsures des bêtes, furent placés sur une chaise de fer rougie au feu. Après toutes ces tortures, comme ils vivaient encore, on les égorgea. Cependant Blandine était attachée à un poteau : les fidèles en la contemplant songeaient au Christ crucifié ; les bêtes ne la déchirèrent point, elle assista à la mort de ses compagnons et fut reconduite en prison.

Avant de procéder à de nouvelles exécutions, le légat consulta l'empereur. Marc-Aurèle répondit qu'il fallait décapiter ceux qui déclareraient être chrétiens, renvoyer ceux qui le nieraient. Ces instructions furent dépassées : le légat fit trancher la tête à ceux qui étaient citoyens romains, il réserva les autres pour l'amphithéâtre. Ces sanglants spectacles recommencèrent le 1er août, alors que les fêtes de Rome et d'Auguste attiraient à Lyon une foule d'étrangers : on voulait sans doute propager dans toute la Gaule la haine du nom chrétien. On garda pour la fin les plus jeunes et les plus faibles ; on les faisait assister aux souffrances de leurs frères, afin de débiliter leurs âmes. Blandine et un adolescent de quinze ans, Ponticus, furent soumis à cette épreuve. Le dernier jour venu, on les somma de sacrifier, ils refusèrent. Ils étaient isolés dans l'arène, assaillis par les cris de mort de la populace, que leur âge et leur faiblesse ne pouvaient émouvoir. Blandine eut peur que son compagnon ne cédât, elle se tint près de lui, l'encouragea dans ses souffrances. Ponticus mourut. Alors, pleine de joie à la vue de la fin prochaine, elle courut d'elle-même au supplice. Déchirée à coups de fouet, exposée aux bêtes, enfermée dans un filet et livrée à un taureau qui la lança en l'air, elle ne sentait plus rien, elle conversait avec le Christ. Il fallut enfin l'égorger. Les païens eux-mêmes, dit le narrateur, reconnaissaient qu'on n'avait jamais vu parmi eux une femme supporter de si cruelles douleurs.

Les victimes furent poursuivies au delà même de la mort. Les païens savaient que le dogme de la résurrection donnait aux fidèles ce courage dans les supplices ; ils espérèrent effrayer les survivants en détruisant les corps des victimes qui, dès lors, pensaient-ils, ne pourraient revivre. On les brûla et on jeta les cendres au Rhône. Parmi les païens, les plus humains disaient avec commisération : De quel secours leur est leur Dieu ? A quoi leur a servi cette religion qu'ils ont préférée à la vie ? D'après une tradition qui se racontait au ne siècle, les cendres des martyrs furent sauvées et, avertis par une vision, les fidèles purent les ensevelir.

L'Église de Lyon résista à l'orage qui l'avait assaillie. Le prêtre Irénée en devint le chef. Comme Pothin, il était originaire d'Orient, il avait été le disciple du célèbre Polycarpe, évêque de Smyrne. Il fut bientôt connu dans tout le monde chrétien par sa science et sa charité. Le grand ouvrage[6] dans lequel il attaqua les hérésies qui pullulaient de son temps est un des plus anciens monuments de la théologie chrétienne. Ces hérésies étaient nées en Orient du mélange de la philosophie païenne à son déclin et des idées chrétiennes. Elles gagnaient l'Occident. La morale même était menacée avec le dogme. Certains hérésiarques étaient favorables au désordre des mœurs, d'autres prêchaient un rigorisme exagéré ; mais, en même temps, contre l'autorité des évêques et des prêtres, ils revendiquaient les droits de l'inspiration personnelle, du prophétisme. Le mariage, la propriété personnelle étaient condamnés. Ces doctrines, qui faisaient une large part à l'illuminisme et à l'extase, séduisaient la foule, surtout les femmes. Elles étaient connues en Gaule du temps de Marc-Aurèle ; parmi les martyrs de Lyon quelques-uns peut-être en subirent l'influence. Irénée se plaint que, dans la région du Rhône, un grand nombre de femmes aient été trompées par ces erreurs : les unes, dit-il, ayant reconnu leur faute, en font pénitence, tandis que d'autres, n'osant la confesser, désespèrent de Dieu. L'évêque de Lyon fut considéré comme la lumière des Gaules et de l'Occident, titre que lui donne un écrivain ecclésiastique du Ve siècle. Grâce à la fermeté et à la modération de son caractère, il pacifia l'Église lors d'un débat qui menaçait de la troubler tout entière. Les communautés chrétiennes n'avaient point alors de règle uniforme pour la fixation de la Pâque : l'évêque de Rome, Victor, voulut imposer l'usage de son église ; les évêques d'Asie protestèrent violemment. Pour briser leur opposition, Victor les déclara séparés de l'unité de l'Église. Irénée intervint alors au nom des frères qu'il dirigeait en Gaule, il rappela à Victor les règles de la charité et le respect des traditions. Cependant il est le premier écrivain dont on ait pu invoquer le témoignage en faveur de la primauté de l'Église de Rome : dans un passage souvent cité, il déclare que l'Église fondée par les glorieux apôtres Pierre et Paul est au premier rang entre toutes, qu'à elle doivent se rallier tous les fidèles, parce qu'elle conserve, mieux que toute autre, la tradition apostolique.

Irénée mourut-il martyr ? Les récits de sa mort sont trop mêlés d'inexactitudes ou de légendes pour qu'on puisse les accepter avec confiance. Pendant le IIIe siècle, le nom de Lyon ne reparaît plus dans l'histoire des persécutions ; les destinées de sa communauté, un moment éclairées d'une si vive lumière, nous échappent.

Dans le reste de la Gaule existaient çà et là, à la fin du IIe siècle ou au commencement du IIIe, d'autres groupes de fidèles. Irénée parle, mais en termes vagues, des églises fondées dans les provinces romaines de Germanie et dans la Celtique. A Autun, l'existence d'une communauté chrétienne n'est pas douteuse. Un jeune homme de naissance noble, Symphorien, lors de fêtes en l'honneur de Cybèle, refusa de faire acte d'idolâtrie et fut décapité. Une inscription trouvée dans cette ville, rédigée en grec, est toute pleine de ce symbolisme mystique, d'origine orientale, qui voyait dans l'image du poisson l'image même du Christ[7] :

Ô race divine du poisson céleste, reçois, avec un cœur plein de respect, la vie immortelle parmi les mortels ; rajeunis ton âme, ô mon ami, dans les eaux divines, par les flots éternels de la sagesse qui donne les trésors. Reçois l'aliment, doux comme le miel, du sauveur des saints ; prends, mange et bois tenant Ichtus dans tes mains. Ichtus, donne-moi la grâce que je souhaite ardemment, maître et sauveur ; que ma mère repose en paix, je t'en conjure, lumière des morts ; Aschandius, mon père, toi que je chéris avec ma tendre mère et tous mes parents, dans la paix d'Ichtus souviens-toi de ton fils Pectorius.

 

II. — LES MISSIONS DU IIIe SIÈCLE ET LA SITUATION DU CHRISTIANISME EN GAULE AU COMMENCEMENT DU IVe SIÈCLE.

SOUS le règne de Dèce, écrit Grégoire de Tours, sept hommes,  après avoir été ordonnés évêques, furent envoyés pour prêcher la foi en Gaule, ainsi que le raconte la passion de saint Saturnin... Voici leurs noms : à Tours, Gatien ; à Arles, Trophime ; à Narbonne, Paul ; à Toulouse, Saturnin ; à Paris, Denis ; chez les Arvernes, Austremoine ; à Limoges, Martial. Et ailleurs il indique que cette mission était partie de Rome.

Sur plusieurs de ces évêques, Grégoire de Tours ne donne point de renseignements précis. Il mentionne la décapitation de saint Denis[8], il raconte que Saturnin, attaché aux jambes d'un taureau furieux, fut précipité du Capitole de Toulouse. Quant à Gatien, un de ses prédécesseurs dans l'épiscopat à Tours, Grégoire parle de lui plus longuement et même fixe sa venue à la première année du règne de Dèce. Il devait parfois se cacher, pour se dérober aux attaques des puissants qui l'accablaient d'outrages, et célébrait secrètement, le dimanche, l'office divin dans des cryptes. Il vécut ainsi à Tours cinquante ans, à ce qu'on dit, mourut en paix, et fut enseveli dans le cimetière du quartier chrétien. Après lui l'épiscopat resta vacant trente-sept ans. Un disciple de ces évêques, Ursin, aurait fondé l'église de Bourges. Il recrutait ses adeptes parmi les pauvres. Un haut personnage, Leocadius, qui était de la famille d'un des martyrs de Lyon, Vettius Epagathus, ouvrit sa maison aux fidèles, pour en faire une église. Mais tout ce qui concerne cette évangélisation du IIIe siècle est singulièrement obscur, et le témoignage de Grégoire de Tours n'a pas une valeur chronologique précise. Si l'existence de plusieurs évêchés en Provence, à Arles, Marseille, Vaison, Nice, Orange, Apt, est certaine, pour l'Aquitaine on ne sait rien d'assuré avant le IVe siècle : en 314, des évêques existent à Bordeaux, à Eauze, à Gabales. Ailleurs, quelques églises, Rouen, Sens, Paris, Reims, Autun, paraissent un peu plus anciennes. Dans la région rhénane, à Trèves, à Cologne, on rencontre des évêques dès le commencement du IVe siècle. Le christianisme a dû y être introduit, au cours du IIIe siècle, par les légions qui y étaient cantonnées, ou par les commerçants étrangers[9].

Au commencement du IVe siècle, alors que Dioclétien et Galère entreprirent en Orient une guerre d'extermination contre le christianisme, les fidèles des Gaules jouirent d'un calme relatif. Constance Chlore, qui exerçait dans ce pays le pouvoir impérial, n'était pas un soldat de fortune comme ses collègues. Esprit modéré, administrateur habile, il semble avoir reculé devant des mesures qui répugnaient à la douceur de ses mœurs autant qu'elles inquiétaient son sens politique. Pour se conformer en apparence aux édits promulgués par Dioclétien et par Galère, il fit détruire quelques églises, mais ne persécuta guère les personnes. En Orient, le nombre, l'importance des chrétiens pouvaient alarmer même un politique calme et réfléchi comme l'était Dioclétien ; en Gaule, disséminés dans quelques villes, ils n'inspiraient pas les mêmes craintes. Cette différence de situation aide à comprendre la conduite de Constance Chlore ; rien ne prouve qu'il ait adhéré au christianisme et qu'il ait dépassé à son égard une curiosité bienveillante. Mais son fils Constantin, lorsqu'il alla, en 312, disputer l'Italie à Maxence, se déclara l'allié et le protecteur des chrétiens et plaça sur ses enseignes le monogramme du Christ. Après sa victoire, l'édit de Milan, qui proclama la liberté de conscience, accorda aux chrétiens le droit d'exister, de posséder, de célébrer leurs cérémonies religieuses. Si le christianisme n'était pas encore le culte officiel, il devenait le culte protégé ; désormais l'Église pouvait s'appuyer sur l'État pour continuer la conquête religieuse de la Gaule, mais sa tâche devait y être plus laborieuse que dans la plupart des autres régions de l'empire[10].

En Gaule comme ailleurs, le culte des premières communautés chrétiennes était simple :

Le jour du soleil, écrit l'apologiste Justin, ceux qui habitent les villes ou les champs se réunissent en un même lieu. On lit, autant que le temps le permet, les mémoires des apôtres ou les écrits des prophètes. Puis le lecteur s'arrête, et celui qui préside prend la parole pour faire une exhortation et inviter à suivre les beaux exemples qui viennent d'être cités. Tous se lèvent ensuite et l'on fait des prières. Enfin, la prière étant terminée, on apporte du pain, du vin et de l'eau ; le président prie et rend grâce aussi longtemps qu'il peut ; le peuple répond amen. On distribue à chacun sa part des éléments bénis et on envoie la leur aux absents par le ministère des diacres.

Les controverses théologiques, surtout en Orient, étaient subtiles, mais les croyances populaires étaient peu complexes. Le Christ apparaissait aux fidèles comme un protecteur doux et familier, sous les traits du Bon Pasteur. Parmi les dogmes, ceux de la rédemption, de la résurrection charmaient leurs âmes ; la mort n'était pour eux qu'un sommeil, et, selon les expressions si fréquentes sur les inscriptions de la Gaule, ils s'endormaient dans la paix pour ressusciter avec le Christ, pour vivre auprès de lui, des martyrs et des saints. Le Paradis, tel qu'ils se le représentaient, était un beau jardin plein de lumières, de fleurs et de parfums, avec des tentes où brillaient l'or et les gemmes.

Mais déjà dans la société chrétienne se développaient bien des germes de désordre et de corruption. Le synode d'Elvire, vers l'an 300, fait connaître les maux dont souffraient les communautés d'Espagne et que ne devaient pas ignorer celles de Gaule si voisines : bien des fidèles faiblissaient, même en dehors des jours de persécutions ; des néophytes, après leur baptême, retournaient aux idoles, d'autres acceptaient des charges de flammes qui les obligeaient à prendre part aux sacrifices. On trouvait chez les chrétiens des débauchés, des adultères, des proxénètes, des usuriers ; des vierges consacrées à Dieu oubliaient leurs promesses ; des prêtres même donnaient l'exemple de la licence des mœurs. Le christianisme, à mesure qu'il conquérait de plus nombreux adeptes, perdait de sa pureté première ; le rêve de quelques âmes simples, éprises de justice et de bonté, se transformait en une institution imparfaite, ouverte aux passions, comme toutes les œuvres humaines.

 

III. — SAINT MARTIN.

DANS le courant du IVe siècle, la lutte entre le christianisme et le paganisme change de caractère. Le christianisme n'est pas encore une religion d'État, mais il est la religion des empereurs qui, de tout leur pouvoir, en favorisent les progrès ; il ne se contente plus de chercher à sauver les âmes, il veut dominer le monde. Au contraire le paganisme affaibli ne conserve plus que les vains dehors d'un culte officiel ; bientôt même, de persécuteur il devient persécuté. Les successeurs de Constantin, poussés par les évêques, promulguent des édits qui ferment les temples et défendent les sacrifices. En 408, Honorius charge les évêques eux-mêmes de veiller à ce qu'ils soient exécutés.

Ces mesures violentes étaient d'une application difficile. Les païens formaient la grande majorité ; ils continuèrent à pratiquer leurs rites. En Gaule, où des régions entières ne comptaient pas de communautés chrétiennes, celles qui existaient n'étaient pas encore à l'abri de persécutions locales. A Tours, à cause de l'opposition des païens, l'épiscopat resta vacant depuis le commencement du IVe siècle jusqu'à la mort de Constantin. Les chrétiens à cette époque célébraient l'office divin secrètement et dans des cachettes, car, si quelques-uns d'entre eux étaient surpris, ils étaient accablés de coups ou exécutés par le glaive[11]. L'évolution religieuse qu'accomplissaient les empereurs exaspérait les païens qui, en bien des endroits, se livraient à des représailles. En 323, Constantin prend des mesures contre ceux qui contraindront des clercs ou des chrétiens à participer à des sacrifices lustraux. La foule, soulevée contre les fidèles, trouvait des auxiliaires dans les magistrats municipaux. Les chrétiens s'adressaient-ils aux fonctionnaires ? Beaucoup de ceux-ci, même aux degrés supérieurs de la hiérarchie, étaient païens.

La situation du christianisme était pire encore dans les campagnes. Le terme de pagani, habitants du pagus, de la campagne, paysans, par opposition aux habitants de la ville, a pris dès le IVe siècle une signification religieuse : ces pagani sont les païens attachés aux anciens cultes. A la fin du siècle encore, en dépit d'actives prédications, de gros bourgs ne comptaient pas un seul chrétien. Le druidisme avait depuis longtemps perdu sa vitalité, mais, du mélange de la mythologie romaine avec la mythologie celtique, s'était formée une religion populaire dont les monuments abondent sur notre sol, bien que l'interprétation en soit encore obscure. La langue même était un obstacle aux efforts de ceux qui voulaient évangéliser les campagnes : Irénée le reconnaît dans la préface de son traité Contre les hérésies. L'usage du celtique n'avait pas encore entièrement disparu au IVe siècle, et, en Gaule, les débris des dialectes indigènes se mêlaient au latin populaire et en rendaient l'intelligence plus difficile à des étrangers.

Pour faire pénétrer le christianisme dans les classes rurales, il fallait une évangélisation active et ardente. De nombreux missionnaires s'y employèrent ; il en est un, saint Martin de Tours, dont la renommée a éclipsé celle de tous les autres. Il le doit à l'énergie de son zèle apostolique, mais aussi à l'enthousiasme d'un de ses disciples, l'Aquitain Sulpice Sévère[12] La vie de saint Martin, que Sulpice Sévère écrivit vers 400, très répandue en Gaule, y devint un modèle de cette littérature hagiographique où les récits merveilleux remplacent trop souvent l'histoire. Il y ajouta des traits nouveaux dans des Dialogues, dont saint Martin est encore le héros ; trois de ses lettres traitent de la mort du saint. Toutefois l'histoire de saint Martin, sur bien des points, reste encore obscure ; Sulpice Sévère avoue qu'on l'accusait d'avoir exagéré et même d'avoir menti plus d'une fois.

Saint Martin naquit à Sabaria en Pannonie. Ses parents étaient païens ; son père, soldat romain, était parvenu au grade de tribun. Son enfance s'écoule à Pavie. Converti au christianisme, il entre malgré lui dans l'armée, il y vit chaste et sobre. Charitable envers tous, à Amiens, en plein hiver, il partage son manteau d'un coup d'épée pour en donner la moitié à un pauvre. Lors d'une invasion barbare, appelé à recevoir une gratification, il la refuse, il déclare à l'empereur qu'il est soldat du Christ et demande son congé. Accusé de se soustraire au danger : Puisqu'on attribue ma conduite à la lâcheté, non à la foi, dit-il, demain je me placerai en tête de la ligne de combat, sans armes, et, au nom du Seigneur Jésus, protégé par le signe de la croix, non par un bouclier ou un casque, je pénétrera i sans crainte au milieu des ennemis. Il n'eut pas occasion de tenir sa promesse ; le lendemain l'ennemi demandait la paix. Au sortir de l'armée, Martin alla trouver Hilaire, l'évêque de Poitiers. Il fit l'apprentissage de la vie religieuse et ascétique ; en 372, l'enthousiasme populaire l'éleva malgré lui à l'épiscopat de Tours. Parmi les évêques qui participaient à l'élection, quelques-uns ne voulaient point de cet ascète, couvert de haillons, mal peigné, et dont les allures manquaient de noblesse. Il fut vraiment l'élu du peuple.

Martin n'est ni un grand théologien, ni un grand orateur. Apôtre, il garde de sa vie militaire une certaine rudesse de caractère ; il aime l'action ; enrôlé dans l'armée du Christ, il entame contre le paganisme une guerre sans merci. Mais il est en même temps un ardent adepte de la vie monastique : à deux milles de Tours, dans un site sauvage enfermé entre le flanc d'une colline et la Loire, il crée un monastère, il s'y établit dans une cellule en bois ; quatre-vingts disciples l'y entourent, la plupart habitent des grottes creusées dans le rocher. On y pratique la communauté des biens, on n'y exerce aucun métier, sauf la copie des manuscrits. La vie y est dure, la nourriture frugale, pourtant parmi ces ascètes beaucoup sont des nobles. Ce monastère de Marmoutier devint comme un séminaire épiscopal dont l'influence s'étendit sur toute la Gaule. Quelle était en effet la ville, dit Sulpice Sévère, qui ne désirât avoir pour évêque un moine du monastère de Martin ?

C'est de là qu'il part pour entreprendre contre le paganisme d'audacieuses expéditions. Il s'aventure dans des bourgs, dans des campagnes où le christianisme est inconnu ; il s'attaque à des sanctuaires antiques et riches, centres de cultes encore vivaces, et les détruit pour y substituer des églises, des monastères. Plus d'une fois il court des dangers. Dans le pays d'Autun, les paysans se jettent sur lui, l'un d'eux a déjà le glaive levé, mais, d'après Sulpice Sévère, un miracle l'abat à terre. Les guérisons merveilleuses signalent son passage. Les foules se convertissent et demandent le baptême. Il est difficile de déterminer avec certitude les régions qu'il a évangélisées ; Sulpice Sévère s'abstient trop souvent d'indications précises, et il faut se défier des légendes qui, plus tard, ont attaché le nom de Martin à des endroits où, sans doute, il n'alla jamais. Sa mission paraît avoir été surtout active dans le Centre, la Touraine, l'Anjou, les pays de Chartres, d'Autun, de Sens, de Paris. D'après Grégoire de Tours, il a visité aussi la Saintonge, l'Angoumois. Il a séjourné sans doute à Vienne, où on a retrouvé l'épitaphe d'une fidèle baptisée par lui.

D'autre part, l'énergique apôtre se constitue le défenseur des opprimés contre les violences des fonctionnaires impériaux. A Tours, le comte Avitien, cette bête féroce qui se nourrissait de sang humain et de la mort des malheureux, s'adoucit en sa présence, il relâche les prisonniers qu'il se préparait à faire mourir. Obligé d'aller présenter une requête à l'empereur Valentinien, saint Martin est jeté à la porte du palais ; quand il comparait enfin devant l'empereur, celui-ci ne se lève pas, mais, s'il faut en croire l'hagiographe, le feu prend à son siège ; reconnaissant alors la volonté divine, il accorde au saint tout ce que celui-ci demande. A Trèves, tandis que d'autres évêques s'empressent, en bas courtisans, autour de l'usurpateur Maxime, Martin refuse de s'asseoir à sa table et déclare qu'il ne peut manger avec l'homme qui a dépouillé un empereur du pouvoir, un autre de la vie. Il lui annonce qu'il périra s'il porte la guerre en Italie, s'il attaque Valentinien. Maxime et sa femme vénèrent tant de courage uni à tant de piété. Au temps de l'hérésie priscillianiste, alors que d'autres évêques poussent Maxime à poursuivre les hérétiques en Espagne, Martin désapprouve cette intervention du pouvoir civil dans les affaires de l'Église. Pour éviter cette mesure violente, il se résigne à communier avec ses collègues, mais il ne s'en consola jamais. Il vécut seize années encore, mais désormais il ne se rendit à aucun synode, il évita toutes les assemblées d'évêques. Il mourut à Candes, non loin de Tours, probablement en 397. Les habitants de Tours ramenèrent triomphalement son corps et plus tard, au-dessus de son tombeau, se dressa, par les soins de l'évêque Perpétue, une grande basilique.

Le culte de saint Martin se répandit à travers toute la Gaule. En bien des endroits on montrait la trace de ses pas, des églises s'élevaient partout sous son vocable, les légendes se multipliaient autour de sa mémoire[13]. Son nom est devenu comme le symbole de l'évangélisation de la Gaule au IVe siècle.

Parmi les collaborateurs de cette œuvre, un des plus actifs, Victricius, évêque de Rouen, avait connu Martin. Soldat comme lui, il avait failli payer de sa vie son refus de continuer le service militaire. Vers 398, Paulin de Nole le félicite d'avoir été choisi par Dieu pour répandre la lumière dans la Morinie aux forêts et aux côtes sauvages, où on ne rencontrait que des aventuriers barbares ou des habitants qui se livraient au pillage. Les fidèles se multiplient dans les villes, les bourgs, les campagnes ; on construit des églises, des monastères. Il en est de même chez les Nerviens que le souffle du Seigneur avait jusqu'alors à peine touchés. Rouen, auparavant obscure, est maintenant connue au loin et comptée parmi les villes qu'ennoblissent des sanctuaires. A l'Ouest, le christianisme ne pénétrait que lentement en Bretagne. Dans le Centre, saint Martin de Brives, disciple de saint Martin, mourut peut-être martyr. A Autun, au commencement du Ve siècle, les habitants promenaient encore sur un char, pour protéger leurs champs et leurs vignes, la statue voilée de Cybèle. On raconte qu'au signe de la croix que fait l'évêque Simplicius, l'idole tombe, et que, à la suite d'autres prodiges, la foule des païens se convertit.

Dans la région du Rhin, à Trèves, une seule église, à la fin du iv' siècle, suffisait encore à la communauté. C'était cependant le grand centre chrétien de l'Est et, dans nulle ville de Gaule, on n'a retrouvé, pour cette époque, autant d'épitaphes chrétiennes. Cologne avait un évêque, mais, vers 355, la communauté parait y avoir été encore peu nombreuse. Celle de Tongres se révèle à la même époque avec son évêque Servais. A Mayence, en 368, quand la ville fut attaquée par les Alamans un dimanche, une grande partie de la population était à l'église. En Lorraine, l'église de Toul existe au IVe siècle, mais les origines de celles de Metz et de Verdun sont enveloppées de ténèbres.

Si, dans bien des villes, l'épiscopat apparaît, au cours de la seconde moitié du IVe siècle ou au commencement du Ve siècle, l'évangélisation avance toujours lentement dans les campagnes. Les édits impériaux qui proscrivent les anciens cultes attestent, par leur fréquence même, leur inefficacité. Vers 395, un rhéteur gaulois établi à Rome y lisait, au Forum de Mars, un petit poème sur les épizooties bovines. Un des bergers qu'il met en scène déclare que ses troupeaux ont été guéris par le signe de la croix, qui seul est révéré dans les grandes villes[14]. L'auteur s'adresse tantôt à l'avarice des paysans, en leur présentant le christianisme comme une religion économique qui n'entraîne point de dépenses pour les sacrifices, tantôt à leur amour-propre, en les invitant à suivre la mode des villes. Saint Jérôme, qui connut la Gaule de la seconde moitié du IVe siècle, la considère encore comme sous le joug du paganisme. L'église n'achèvera la conquête des campagnes qu'en y lançant ses bataillons de moines, en multipliant ses couvents jusqu'au fond des plus épaisses forêts : ce sera l'œuvre des siècles qui suivront.

Bien des faits prouvent la résistance tenace des anciens cultes. A Brioude, non loin du tombeau et de la chapelle de Saint-Julien, s'élevait encore un temple, et sur une colonne se dressaient les statues de Mars et de Mercure. Les païens y célébraient leurs fêtes. Une tempête soudaine les décida à se convertir et à briser leurs idoles. Le culte de Mercure eut d'autant plus de vitalité qu'il s'identifiait avec celui du dieu gaulois Lug. Pour le supplanter on installa à sa place des saints chrétiens dont la légende, par quelques traits, rappelait la sienne : saint Michel ou saint Georges terrassant le dragon se substituèrent à Lug terrassant le serpent à tête de bélier. A défaut de temples et d'idoles, la vénération des paysans s'attachait à des rochers, à des lacs, à des fontaines. L'Église y place les signes de son culte : aux embranchements des routes elle dresse des croix ; près des fontaines, aux arbres sacrés, elle suspend des images pieuses ; au fond des bois, elle élève d'humbles chapelles ; elle consacre les dolmens et les menhirs. En dépit de cette adroite politique, les vieilles croyances luttent encore. Parfois, transformées en saints et en saintes, les anciennes divinités conservent quelques-uns de leurs traits ; la vénération rustique les reconnaît sous leur figure d'emprunt, elle les entoure d'une affection plus familière et plus chaude, comme de vieux parents en qui s'incarne la continuité de la famille et dont la vue éveille mille souvenirs lointains et chers. Souvent aussi les anciens dieux, mis hors la loi et bannis, s'emparent du bois, de la lande, ils en font leur royaume, où le chrétien ne s'aventure qu'avec crainte, tantôt gais et bienveillants, tantôt décevants et hostiles. L'Église, qui les considère comme des démons, reconnaît par là même leur divinité déchue. Tel fut surtout le cas de ces trinités locales, préposées à la protection de chaque pays, ou même de chaque famille, connues sous le nom de mères (matres, matronæ, mairæ). Les monuments abondent où elles tiennent entre les mains des fleurs ou des fruits. Rome les avait identifiées avec les Parques. Du nom de Fata, qu'on donnait aux Parques, du nom de Fatuæ, qu'on donnait aux nymphes, dérivèrent les fées du Moyen Age. Devenues les Bonnes Dames, les Dames Blanches, habitantes des dolmens, elles gardèrent leur rôle tutélaire ; la légende les para de sa poésie naïve. Aujourd'hui encore l'imagination de nos enfants s'éveille au récit de leurs aventures[15].

Ainsi, même chez les fidèles, au culte chrétien se mêlent les pratiques païennes. A Arles, dans la région la plus christianisée peut-être de la France, en 443, un concile déclare sacrilèges les évêques coupables de négligence envers ceux qui allument de petites torches, qui vénèrent les arbres, les fontaines, les rochers. Longtemps les conciles répéteront ces prescriptions. Bien des usages qui durent encore, comme les étrennes, le carnaval, etc., sont d'origine païenne.

 

IV. — LA SOCIÉTÉ PAÏENNE ET LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE.

DANS les villes même, malgré les progrès du christianisme, l'éducation, la civilisation, les mœurs ne changeaient guère. L'empire, les institutions, l'esprit public étaient en décadence, mais les lettres profanes conservaient leur prestige.

Parmi les membres de l'aristocratie gallo-romaine, on trouve encore des païens déclarés, comme Rutilius Namatianus qui, dans un poème sur son retour en Gaule, composé en 416, se livre à une virulente satire contre les moines. Lorsque Salvien, dont la foi fut si fougueuse, se marie vers 430, ses beaux-parents sont encore païens : ils ne se convertirent que plus tard. Combien d'ailleurs se contentent d'un christianisme tout de surface, restent païens d'esprit comme de style ! Ausone est chrétien : on finit par le découvrir dans quelques-uns de ses vers ; mais ses véritables dieux sont ceux d'Ovide et. d'Horace, sa morale est toute épicurienne ; brave homme et bon mari, il a chanté des maîtresses imaginaires, tourné des vers galants, même obscènes, pour se conformer aux traditions classiques.

Ce christianisme mondain devait provoquer de vives réactions. L'Église comprit combien il était difficile de gagner les cœurs au Christ, si on laissait aux lettres profanes le soin de former les intelligences ; saint Augustin indiqua comment il fallait s'y prendre avec les savants, les grammairiens, les orateurs païens qui venaient au christianisme. En Gaule, Sulpice Sévère, dans ses chroniques, se proposa de vulgariser les livres saints et l'histoire de l'Église par un résumé écrit en bon style. D'autres allèrent plus loin et condamnèrent comme un crime l'amour des poètes et des orateurs profanes. Le Bordelais Paulin de Nole écrivait à son ami Jovius pour l'arracher au culte des lettres.

C'est en vain qu'on luttait contre une si puissante tradition. Au Ve siècle, Sidoine Apollinaire, lorsqu'il veut féliciter Patient, évêque de Lyon, d'avoir distribué du blé aux pauvres, salue en lui un nouveau Triptolème. Jusque sur des épitaphes de prêtres ou d'évêques, on parle des bois élyséens, du Ténare, des gorges de l'Averne. Si l'on veut peindre l'enfer, on emprunte des traits aux descriptions que les auteurs anciens avaient faites de l'Hadès et du Tartare, et le nautonier Caron passe au service de l'Église.

Au IVe siècle, il fallait à un membre de l'aristocratie gallo-romaine un véritable effort pour devenir chrétien fervent ; sa conduite faisait scandale. Paulin de Nole appartenait à une grande famille, son père avait été préfet du prétoire des Gaules. Élevé par Ausone, il remplit des fonctions publiques, devint même consul. C'était un chrétien, mais assez tiède. Peu à peu, il s'isole des affaires et du monde, il se lie avec des évêques, il devient le disciple de saint Ambroise, il se fait baptiser par Delphin, évêque de Bordeaux. Sa foi s'avive, il adopte la manière de vivre des moines, il vend ses biens, il en distribue le prix aux pauvres. Consacré prêtre à Barcelone, il s'établit à Nole, en Italie, auprès du tombeau de saint Félix ; il y devient évêque. Un tel exemple, donné par un homme de si haute fortune et de si grand mérite, fut un triomphe pour les chrétiens : saint Augustin, saint Ambroise, saint Martin s'en réjouirent et le félicitèrent ; mais ses parents et ceux de ses amis qui vivaient dans le monde ne lui épargnèrent ni les reproches, ni les moqueries ; son maître Ausone ne se consola point de ce qu'il regardait comme une trahison. Vers la même époque, Honorat, qui devait fonder le grand monastère de Lérins, luttait contre les mêmes préventions. Sa famille était noble, elle comptait plusieurs membres qui avaient exercé des charges publiques. Quand il veut se faire baptiser, il semble autour de lui que ce soit la déchéance de sa maison ; son père essaie de le distraire par l'attrait des plaisirs mondains. Il persiste, convertit son frère Venance, tous deux s'expatrient. Au milieu du Ve siècle encore, Salvien s'indigne des distractions païennes de ses contemporains. Minerve, dit-il, est l'objet d'un culte, d'hommages dans les gymnases, Vénus dans les théâtres, Neptune dans les cirques, Mars dans les amphithéâtres, Mercure dans les palestres. On se rue à ces spectacles corrupteurs, on repaît ses yeux et ses oreilles des exhibitions et des propos obscènes du théâtre, des cruautés de l'arène. Trèves ruinée, incendiée, décimée par les Barbares, réclame encore les jeux du cirque. Dans une lettre à Rusticus, évêque de Narbonne, en 459, le pape Léon Ier parle des chrétiens qui prennent part aux spectacles et aux banquets des païens ou qui font des offrandes aux idoles.

Ainsi, par ses mœurs, par ses goûts, par ses sentiments même, la haute société reste longtemps rebelle à l'esprit chrétien, que les grandes familles accusent de ruiner leurs traditions et de diviser leurs membres. Néanmoins, de ce côté encore, la lutte entre les deux religions est de plus en plus inégale. Tandis que le christianisme inspire d'ardents apôtres, comme Martin, des théologiens prêts à braver l'exil, comme Hilaire de Poitiers, l'ancienne religion a pour avocats des rhéteurs surannés, comme Ausone, et les professeurs dont il célèbre les succès illusoires, bonnes gens pour la plupart, riches, entourés d'amis et d'élèves, et, grâce à ces trompeuses apparences, croyant naïvement en leur art. Si parmi eux beaucoup tiennent pour l'ancien culte, c'est d'une foi littéraire, banale et superficielle comme leur intelligence. Leur pédantisme s'amuse à des jeux de mots, s'enferme dans l'admiration d'Homère et de Virgile, ou étudie le droit pontifical, les traités et l'origine, antérieure à Numa, de Cures, la ville aux sacrifices, les codes de Dracon et de Solon, tandis que ce passé, de l'ombre duquel ils vivent, s'effondre autour d'eux. Et, alors que les écoles profanes s'immobilisent dans la routine, une sorte de renaissance latine s'annonce dans la littérature chrétienne. On a remarqué que la littérature romaine du IVe et du Ve siècle, comparée à celle du IIIe, est singulièrement vivace. Or, dans ce mouvement des esprits, les chrétiens sont au premier rang ; c'est parmi eux qu'il faut chercher les meilleurs poètes, les meilleurs orateurs, les meilleurs moralistes. En Gaule, il en est qui sont alors renommés pour la correction et l'élégance de leur style, comme Sulpice Sévère, Paulin de Nole, Sidoine Apollinaire. D'autres, moins soucieux de la forme, parlent une langue plus populaire et plus rude, mais forte et personnelle : tels Hilaire de Poitiers, dont il sera question plus loin, Salvien, le prêtre de Marseille, qui a écrit une si véhémente apologie du christianisme. Tous, d'ailleurs, ont quelque chose à dire ; ils pensent, ils sentent, souvent avec passion, et par là les lettres chrétiennes sont supérieures alors aux lettres profanes. Plusieurs, mêlés aux événements de leur temps, y ont fait preuve d'énergie et de courage[16]. Désormais c'est parmi eux que la société en péril cherchera des hommes et des chefs.

 

V. — L'ÉPISCOPAT EN GAULE AU IVe ET AU Ve SIÈCLE[17].

AU IVe et au Ve siècle, l'Église s'organise. Elle devient un véritable État qui se substitue à l'État romain, dont parfois même elle adopte les cadres. A l'unité administrative, la civitas, avec son territoire, correspond l'unité ecclésiastique, l'évêché ; à la province administrative correspond la province ecclésiastique, gouvernée par l'évêque métropolitain. Si, dans le détail, ces règles subissent quelques atteintes, dans l'ensemble elles ont conservé leur force pendant tout le Moyen Age, et les anciennes divisions romaines, ainsi christianisées, se sont maintenues malgré les partages de royaumes, les créations administratives, les formations féodales qui ont bouleversé la carte politique de la France.

L'évêque est le chef de la communauté, il la gouverne avec le pouvoir que le Christ a délégué aux apôtres, il la représente devant l'État. L'empereur s'incline devant lui, et lui baise la main. Toutefois ce chef est élu par les fidèles. Lorsque, dans une ville, l'épiscopat est vacant, les évêques de la province s'y réunissent, le nouvel évêque est choisi en présence du peuple qui lui donne son suffrage ; il est consacré par ses confrères, dans la suite par le métropolitain. Ainsi les fidèles prennent part à l'élection, mais sous le contrôle de l'épiscopat qui ratifie le choix par l'ordination. Non seulement les habitants de la ville, mais ceux de la circonscription ecclésiastique peuvent y intervenir. L'importance croissante de l'épiscopat amena des troubles et des compétitions ; les pouvoirs laïques, les factions cherchèrent à s'emparer du choix des évêques. Mais, en Gaule, les papes et les conciles maintenaient énergiquement cette règle qu'on ne peut imposer à une communauté un évêque malgré elle, que le clergé et le peuple doivent être consultés.

Souvent, il est vrai, les divisions populaires, les intrigues des candidats fournissaient aux évêques de la province l'occasion d'imposer leur volonté. A Chalon, vers 470, trois candidats se disputaient l'épiscopat. L'un, homme sans mœurs, vantait ses ancêtres ; l'autre, gourmet renommé, était appuyé par ses parasites ; le troisième s'était engagé secrètement à livrer à ses partisans, s'il était élu, les domaines de l'Église. Patient, métropolitain de Lyon, arrive dans la ville, il y tient conseil avec les évêques ; puis, sans prendre l'avis du peuple, ils consacrent évêque un archidiacre, Jean, connu par sa moralité, sa charité, sa douceur. Personne n'osa réclamer. Parfois aussi l'évêque mourant désignait son successeur. Ainsi fit Honorat d'Arles, en 429, lorsqu'il choisit Hilaire ; un vol de colombes autour de la tête de l'élu attesta l'approbation divine.

Cependant des considérations profanes continuent à intervenir dans les élections. Même lorsque le peuple ne se laissait point gagner par les brigues et les promesses d'argent, ce n'était ni du savoir, ni des vertus religieuses qu'il se souciait le plus. Au milieu des troubles de ce temps, il voulait pour évêques des hommes qui, par leur naissance, par leur éducation, souvent même par le rôle qu'ils avaient joué, fussent en état de le défendre avec énergie. L'aristocratie gallo-romaine, composée des familles sénatoriales, s'empare de l'épiscopat avec l'assentiment des fidèles, parfois même se le transmet de père en fils. Germain était duc à Auxerre, il menait une vie profane, lorsque l'évêque Amator l'ordonna prêtre ; à sa mort, il le désigna au peuple pour son successeur. Eucher, évêque de Lyon de 434 à 449, est de famille sénatoriale, son père a peut-être été préfet des Gaules ; de ses deux fils, l'un, Salonius, devient évêque de Genève, l'autre, Veranius, fut évêque de Vence. Rusticus, évêque de Narbonne, est fils d'un évêque, neveu d'un autre. Sidoine Apollinaire est fils et petit-fils de préfets des Gaules, gendre d'un ex-empereur, lui-même a été préfet de Rome, patrice ; il est célèbre comme écrivain, mais il appartient encore au monde, lorsque le peuple de Clermont, en 470, le choisit comme évêque. En 472, à Bourges, Sidoine patronnant un candidat à l'épiscopat, Simplicius, rappelle que la famille de son protégé a été illustrée par des évêques, des préfets. Lui-même, ajoute-t-il, s'est souvent présenté pour votre ville devant les rois couverts de peaux de bêtes ou devant les princes couverts de pourpre. Ce corps épiscopal, ainsi recruté, répugnait souvent à ouvrir ses rangs à des hommes nouveaux. Il dut pourtant faire aux moines leur part : du monastère de Lérins notamment sortirent de nombreux évêques.

Ceux que leur fermeté, leurs vertus, leurs bienfaits avaient rendus populaires apparaissaient aux fidèles comme des personnages semi-divins, vivant dans le commerce des anges et des saints. Le jour de la mort de saint Martin, Séverin, évêque de Cologne, entend des chœurs qui chantent dans le ciel. Il les fait écouter à son tour aux clercs réunis près de lui : Mon seigneur l'évêque Martin, leur dit-il, a émigré de ce monde, et voici que les anges le portent en chantant au Paradis. Les biographies des bons évêques, même contemporaines, se remplissent du récit de leurs miracles[18]. Lourde est d'ailleurs leur tâche. Un des meilleurs d'entre eux, Hilaire de Poitiers, veut que l'évêque ait à la fois la science et la pureté des mœurs ; l'une sans l'autre est vaine. Un des principaux devoirs de l'évêque est la prédication, mais il doit aussi visiter son diocèse. Protecteur des pauvres, parfois, comme Patient de Lyon, il nourrit en temps de famine les populations de régions entières, dépense sa fortune en convois de blés, fonde des hôpitaux. L'évêque, dit un canon de concile, doit, autant qu'il le peut, la nourriture et le vêtement aux pauvres et aux infirmes qui sont empêchés de travailler de leurs mains. Protecteur des faibles et des opprimés, il doit être toujours prêt à les défendre contre les fonctionnaires impériaux. On a vu plus haut l'attitude de saint Martin en face du comte Avitien et de l'empereur Valentinien. A Arles, Hilaire avertit souvent en secret le préfet des Gaules d'éviter les sentences injustes. Un jour celui-ci entre à l'église, suivi de ses fonctionnaires, tandis qu'Hilaire prêche ; l'évêque cesse de parler, le déclarant indigne de recevoir la nourriture spirituelle. Le préfet doit se retirer. Bientôt on verra les évêques tenir tête aux Barbares, servir d'intermédiaires entre les envahisseurs et les anciennes populations et par là préparer la formation d'une société nouvelle.

Telle est leur autorité dans la cité qu'on a cru souvent qu'elle avait eu un caractère officiel et qu'ils avaient exercé les fonctions de ces Défenseurs créés par les empereurs du IVe siècle pour protéger la plèbe contre les puissants. C'est une erreur, mais, de fait, ils remplirent ce rôle par le pouvoir moral qu'ils s'étaient assuré[19].

L'évêque est en outre un administrateur temporel. Avant Constantin déjà, les communautés chrétiennes possédaient des biens, des terres. Les édits de persécution les confisquèrent, l'édit de Milan les restitua. Constantin donna l'exemple des générosités envers les églises et, par une constitution de 321, permit de leur faire des legs. Les clercs se livrèrent à la chasse aux testaments avec tant d'âpreté que l'État dut intervenir. Des docteurs de l'Église, de leur côté, flétrissaient ces abus, déclarant que c'était aux églises qu'il fallait donner, non aux clercs. Par là on pouvait racheter son âme des peines éternelles, disait Salvien, et il a composé un traité contre ceux qui en mourant ne laissent pas leurs biens à l'Église. Bon nombre d'églises eurent bientôt de vastes domaines, qui n'étaient soumis ni aux corvées, ni aux prestations en nature. Tel en fut l'accroissement que, au Ve siècle, on dut supprimer ce privilège. Tous ces biens l'évêque en dispose, il les administre à l'aide de diacres et de prêtres choisis par lui. Au Ve siècle seulement les synodes limitent son pouvoir : il ne pourra les donner, les vendre, les échanger sans l'assentiment du clergé ; il doit les considérer, non comme sa propriété, mais comme un dépôt qui lui est confié. Les revenus sont affectés à la construction et à l'entretien des églises, aux besoins du clergé, aux secours à distribuer aux pauvres. A la fin du Ve siècle, l'usage s'introduit d'en faire quatre parts : une pour l'évêque, une autre pour son clergé, une troisième pour les pauvres, une quatrième pour les constructions sacrées.

Enfin l'évêque est juge religieux. Dès l'origine sa juridiction s'exerce à l'intérieur de la communauté : déjà saint Paul recommande aux fidèles de ne point soumettre leurs conflits aux tribunaux séculiers. Cette juridiction, du moins dans l'ordre spirituel et disciplinaire, l'État, au IVe siècle, la reconnaît officiellement. L'évêque l'exerce avec le concours de prêtres et de diacres, d'après les canons des conciles et des synodes. Il a le pouvoir d'exclure de la communauté, à temps ou pour toujours. Au Ve siècle, les laïques eux-mêmes ne doivent plus avoir de rapports avec ceux qu'il a frappés ; l'évêque seul peut les admettre de nouveau au nombre des fidèles, après qu'ils ont passé un temps plus ou moins long parmi les pénitents. En 459, le pape Léon, par une lettre célèbre et qui a été l'objet de bien des controverses, déclare que le coupable n'est pas obligé d'avouer ses fautes dans un écrit destiné à être lu publiquement, qu'il suffit de les confesser secrètement à l'évêque. Contre les clercs l'évêque recourt plutôt à la dégradation, qui les relègue parmi les laïques ; ou bien il les fait descendre d'un degré dans les rangs de la cléricature. Au Ve siècle, il a même recours à des peines corporelles, comme la fustigation.

En dehors de cette juridiction spirituelle, l'évêque possède une véritable juridiction civile, concédée par l'État, et dont les origines remontent, semble-t-il, jusqu'à Constantin. Dans un procès, il suffit qu'une des parties veuille déférer l'affaire à l'évêque pour que les tribunaux laïques en soient dessaisis. La sentence épiscopale est sans appel, et l'autorité séculière doit l'exécuter. On avait voulu par là assurer aux pauvres gens une justice plus prompte et moins onéreuse. Des constitutions de 398 et de 452 ne reconnurent plus à cette juridiction qu'un caractère arbitral. Du moins l'Église entendit rester juge des clercs, plusieurs conciles de Gaule au vs siècle leur défendirent de s'adresser aux tribunaux séculiers sans l'autorisation des évêques. Quant à la juridiction criminelle, l'État se la réserva tout entière.

 

VI. — L'ÉPISCOPAT ET LES LUTTES THÉOLOGIQUES.

L'ÉPISCOPAT est le gardien de la foi. Dans les grandes luttes théologiques qui agitèrent le monde chrétien au IVe et au Ve siècle, les évêques de Gaule ont eu un rôle.

Sous le règne de Constantin, à Arles, en 314, se réunit un des conciles chargés de mettre fin à l'hérésie qui troublait l'Église d'Afrique. Dès cette époque l'importance que prennent ces assemblées est digne de remarque. Réunis pour s'occuper d'une question particulière, les évêques discutent les intérêts généraux de l'Église, ils en règlent l'organisation, ils légifèrent.

Bientôt éclate à Alexandrie et se propage en Orient l'hérésie d'Arius, la plus grave qui eût encore menacé l'unité chrétienne. Arius enseignait que le Christ n'est pas de même nature que le Père. Le concile de Nicée, en 323, fixa le symbole de la foi, mais sans pouvoir étouffer l'arianisme qui, dès lors, est mêlé sans cesse aux destinées de l'empire et donne occasion aux empereurs de s'ériger en maîtres de l'Église, aux évêques de revendiquer leur indépendance. D'autre part, il pénétrera chez les Barbares, il y conquerra des peuples entiers qui, plus tard, établis dans les provinces romaines, s'y trouveront en rapports, souvent en conflit, avec des populations énergiquement attachées à l'orthodoxie. L'arianisme contribuera chez nous à la ruine des Wisigoths et des Burgondes, tandis que le catholicisme assurera le succès des Francs. Ainsi, des luttes religieuses du IVe et du Ve siècle dépend en partie la formation politique de la France dans les siècles qui suivront.

Au concile de Nicée, Constantin avait déclaré que Dieu l'avait institué comme un évêque pour les choses du dehors. Son panégyriste, l'évêque Eusèbe, allait plus loin, il saluait en lui l'évêque commun établi par Dieu. Enivrés par ces adulations, les empereurs prétendirent réviser l'œuvre des conciles et régler la foi : par là s'ouvre l'histoire orageuse des rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Plusieurs devinrent les protecteurs de l'arianisme et sévirent contre les défenseurs de l'orthodoxie. Parmi ceux-ci, le plus illustre, Athanase, patriarche d'Alexandrie, fut exilé à Trèves et y resta de 336 à 338. Il semble qu'il exerça sur les évêques de Gaule une action profonde. Étrangers à l'esprit de subtilité et d'intrigue répandu dans l'Église d'Orient, ceux-ci voyaient avec mépris se succéder chez les Grecs ces conciles qui, chicanant sur les mots, opposaient au symbole de Nicée des formules théologiques nouvelles. Leur foi était simple et nette. D'ailleurs, plus éloignés de l'empereur, ils n'avaient point l'habitude de la flatterie et gardaient plus vif le sentiment de leur indépendance.

Au concile de Sardique, en 343-344, les représentants de l'épiscopat gaulois furent au nombre de ceux qui déclarèrent Athanase innocent. Au concile d'Arles, en 353, Paulin de Trèves refusa seul de le condamner ; on l'exila en Phrygie, il y mourut. Les évêques gaulois qui se rendirent au concile de Rimini, en 359, refusèrent de voyager aux frais du fisc impérial, afin de mieux sauvegarder leur liberté. Rien ne put d'abord ébranler leur attachement à la foi de Nicée, mais, après sept mois d'un séjour qui ressemblait à une détention, trompés par les raisonnements des hérétiques, vingt d'entre eux cédèrent. De retour en Gaule ils retrouvèrent leur courage et, dans un synode tenu à Paris, ils confirmèrent le symbole de Nicée.

Le chef de cette lutte fut Hilaire, évêque de Poitiers. En 355, au nom de l'épiscopat gaulois, il adresse à l'empereur Constance un mémoire dont le ton est plein de fierté : Vous devez entendre la voix de ceux qui crient : Je suis chrétien, je ne veux pas être hérétique, je suis chrétien, non pas arien, et mieux vaut mourir en ce monde que, sous l'influence de la puissance d'un homme, corrompre la chaste virginité de la vérité. Exilé en Phrygie, il reste en relations avec ses collègues, il les encourage et il écrit, pour défendre la foi, son Traité de la Trinité. Bien que la saine doctrine, déclare-t-il, soit maintenant exilée, la vérité ne sera point bannie, elle ne cessera point de se faire entendre aux fidèles pieux dévoués à l'orthodoxie : exilés, nous parlerons par ces livres, et le verbe de Dieu, qui ne peut être enchaîné, se propagera librement. De retour en Gaule après quatre ans, il reprend la lutte, multiplie les synodes, fait déposer les évêques ariens. Il fut évident pour tous, dit Sulpice Sévère, que la Gaule dut à l'activité du seul Hilaire d'être délivrée de la souillure de l'hérésie. Mais jamais Hilaire ne pardonna à Constance ; après la mort de l'empereur il flétrit sa mémoire dans un pamphlet virulent. Cet énergique polémiste fut aussi un écrivain original. On a remarqué que, le premier peut-être parmi les docteurs chrétiens, il reconnaît que la vérité doit chercher à se parer de la beauté du style. Si sa langue n'est pas toujours correcte, ni pure, il a de la verve, des traits vigoureux, et la force de ses convictions l'élève souvent à l'éloquence. Un peu plus tard, vers 380, apparaît en Gaule le priscillianisme, d'origine espagnole. Priscillien était noble, riche, intelligent, actif, éloquent, érudit, habile à discuter. On l'accusait de se rattacher aux hérésies orientales, de pratiquer des maléfices, de trop aimer les lettres antiques. Il représentait en réalité une réaction de l'ascétisme contre la hiérarchie ecclésiastique et contre la liberté des mœurs de son temps. Au cours d'un de ses voyages, il traversa l'Aquitaine et il y recruta des partisans, même parmi l'aristocratie. Dans ce pays, où la civilisation était aimable et brillante, il plut par son éloquence et sa culture littéraire. Les femmes accouraient à lui, passionnées, dit Sulpice Sévère, pour toutes les nouveautés : l'une d'elles, Euchrotia, veuve de Delphidius, orateur et poète en renom, lui fut fidèle jusqu'à partager son supplice. Après bien des aventures, Priscillien, condamné par un synode de Bordeaux, fit appel à l'empereur, l'usurpateur Maxime, qui résidait à Trèves. Malgré l'intervention de saint Martin, ses ennemis obtinrent sa mort. Mis à la torture, il déclara, sous l'étreinte de la douleur, qu'il avait pratiqué la magie, qu'il s'était livré à des orgies nocturnes. A la suite de ces aveux sans valeur Maxime le fit décapiter avec ses principaux partisans.

L'Église gauloise déplora ce sanglant dénouement et cette intervention du pouvoir impérial. Chez elle beaucoup estimaient alors qu'il faut user de bienveillance envers les hérétiques. L'ennemi le plus acharné de Priscillien, Ithace, fut plus tard déposé. A la fin du IVe siècle, Sulpice Sévère représente l'Église agitée par ces discordes. Les partisans de Priscillien le révérèrent comme un saint ; au milieu du VIe siècle on en trouvait encore en Espagne[20].

Le priscillianisme n'avait été pourtant qu'un douloureux épisode. Au début du Ve siècle, le pélagianisme trouble profondément les esprits parce qu'il aborde le problème le plus redoutable de la théologie et de la morale chrétiennes, celui de la grâce et du libre arbitre. Il naît en Occident où la philosophie religieuse se préoccupe de préférence des questions pratiques, dont la solution intéresse l'activité humaine et la vie de chaque jour. Pélage, moine breton de haute intelligence, établi à Rome pendant dix ans, veut réagir contre les doctrines qui amoindrissent l'homme en contestant la plénitude de son libre arbitre, et qui soutiennent la nécessité du mal et son existence en tant que principe. Engagé dans cette voie, il en arrive à nier le péché originel : nous ne naissons point dans l'état de péché, mais dans un état neutre, et notre volonté nous porte vers le bien ou vers le mal. Il admet toutefois l'intervention du secours divin, et déclare que, si Dieu nous guide, nous pouvons vivre sans péché. Mais cette doctrine, en diminuant les conséquences de la faute d'Adam, diminue aussi l'importance de la rédemption par le Christ. Saint Augustin fut l'ardent adversaire de Pélage. Entrainé par la polémique, il en arriva à formuler la théorie de la prédestination, d'après laquelle Dieu aurait désigné de toute éternité ceux qui seraient sauvés, ceux qui seraient damnés. L'Église gauloise adopta d'abord les idées augustiniennes. Le moine Leporius, disciple de Pélage, poursuivi par l'évêque de Marseille, Procule, dut quitter la Gaule. Mais, dans un pays où l'activité est vive, où l'esprit, naturellement ,mesuré et peu enclin au mysticisme, répugne aux solutions excessives, la doctrine augustinienne devait froisser bien des âmes. Attribuer à la grâce divine tout le mérite de nos actions, n'était-ce pas, en accablant l'homme sous le sentiment de son impuissance, le décourager de vouloir le bien et de le poursuivre avec ardeur ? Un parti se forma qui, tout en fuyant l'hérésie de Pélage, ne voulut pas adhérer sans réserve aux conclusions de saint Augustin. De cet effort sortit le semi-pélagianisme. Les contemporains en désignaient les adeptes sous le nom de Marseillais : le centre en était au monastère de Lérins ; les écrivains, les évêques qui en sortirent propagèrent au loin des idées dont la prudence rallia quelque temps les meilleurs esprits de l'Église gauloise. Cassien les a exposées, surtout dans ses Collations où il arrive à déclarer que la grâce divine et le libre arbitre concordent, bien que leur coexistence paraisse inconciliable. Afin de désarmer la critique par la modestie de ses revendications, il ajoute même que, dans l'œuvre du salut, la plus grande part doit être attribuée non au mérite des œuvres, mais à la grâce céleste.

Dans l'histoire de la morale, les Marseillais, Cassien, Vincent de Lérins, Fauste de Riez, ont eu l'honneur de défendre la cause du libre arbitre et de la responsabilité humaine. Leur esprit de conciliation ne désarma point les partisans de saint Augustin, dont Prosper d'Aquitaine fut le chef en Gaule. Dans ses écrits, dans ses poèmes, celui-ci attaqua les Marseillais avec une violence bien éloignée de la modération dont ils faisaient preuve. L'Église romaine intervint. Célestin Ier, en 431, se prononça contre les funestes défenseurs du libre arbitre. Plus tard, Léon Ier prit à son service Prosper qui vécut à Rome, guerroyant toujours contre le semi-pélagianisme. Toutefois il n'en vit pas la fin. Le charitable et éloquent Fauste, évêque de Riez, continua à soutenir la doctrine marseillaise dans son traité sur la grâce et le libre arbitre, que la papauté classa parmi les livres hétérodoxes. Sa mort même n'entraîna pas la chute de son parti. Au concile d'Orange, en 529, saint Césaire d'Arles fit promulguer contre les semi-pélagiens vingt-cinq canons, tirés presque textuellement des ouvrages de saint Augustin. Cependant la doctrine absolue de la prédestination en fut écartée ; les efforts des Marseillais n'avaient donc pas été entièrement vains.

 

VII. — LE CLERGÉ.

AU-DESSOUS des évêques, dont on vient de voir l'action multiple, le clergé se répartit en sept ordres : les prêtres, les diacres, les sous-diacres qui forment les ordres majeurs, les acolytes, les lecteurs, les exorcistes, les portiers qui forment les ordres mineurs. L'Église en écarte ceux qui ont commis des crimes ou des fautes graves, les malades, les aliénés, les épileptiques, les eunuques. Les esclaves n'y sont admis qu'après avoir été affranchis par leurs maîtres, les colons qu'avec l'autorisation de leur patron. Toutefois ces règles ne sont pas rigoureusement appliquées. De son côté l'État interdit l'entrée du clergé aux curiales, qui cherchaient à se dérober ainsi aux misères de leur condition ; dans la suite, il exigea que du moins ils transmissent leurs biens à un parent ou à la curie. Plusieurs empereurs du IVe siècle prétendirent même étendre aux riches cette prohibition.

Exemptés des charges publiques dès le règne de Constantin, les clercs ne doivent point se mêler des affaires du monde, ni pratiquer l'usure ou le négoce par amour d'un lucre honteux. Si l'Église ne peut suffire à leur entretien, elle leur recommande d'y pourvoir plutôt par le travail manuel, par la culture des champs, mais sans manquer à leurs fonctions. Volontiers elle les affranchit des liens et des préoccupations de famille. Le mariage est, à ses yeux, un état inférieur, seuls les clercs des ordres mineurs peuvent se marier après leur ordination ; les évêques, les prêtres, les diacres mariés auparavant conservent leurs femmes, mais ils doivent s'abstenir de tout commerce charnel. Ces règles rencontrèrent de la résistance en Gaule. La papauté dut plusieurs fois en rappeler l'observation ; en 460, un concile de Tours reconnaissait qu'il fallait agir avec prudence et ne point frapper trop rigoureusement ceux qui les enfreignaient.

Les clercs dépendent étroitement de l'évêque, ils ne peuvent quitter leur diocèse sans son autorisation. Les prêtres et les diacres forment son conseil, ils l'assistent dans l'expédition des affaires et, dans les actes religieux, mais toujours il apparaît au premier rang : c'est lui qui baptise les catéchumènes à Pâques, qui confirme avec l'huile sainte, qui réconcilie les pénitents avec l'Église, qui consacre les vierges vouées à Dieu. Plus encore que les prêtres, les diacres sont ses lieutenants actifs, le premier d'entre eux surtout, l'archidiacre, qui devient l'administrateur temporel de l'Église, sous le contrôle de l'évêque. Il s'occupe des veuves, des orphelins, des étrangers, souvent des pauvres.

A l'origine le clergé est groupé dans la ville, autour de l'évêque ; mais, à mesure que le christianisme se répand dans les campagnes, l'Église y organise le culte. Des églises, des oratoires s'élèvent, tantôt dans des centres de populations rurales (vici), tantôt sur les domaines de grands propriétaires (villæ), ou bien encore sur l'emplacement d'un sanctuaire païen, sur le tombeau d'un martyr ou d'un saint. Les évêques y placent des prêtres. Ainsi se forment çà et là des paroisses, dont l'organisation se complétera et se régularisera dans le cours des siècles suivants.

Extérieurement les clercs ne diffèrent pas encore bien nettement des laïques. Les diverses pièces qui ont composé dans la suite le costume liturgique dérivent de l'ancien costume civil, et longtemps elles ont été portées indistinctement par tous les fidèles. L'aube vient de la tunique, la chasuble de la pénule ; elles ont subi diverses modifications dans le cours du temps. La dalmatique est également d'origine profane, mais, dès la fin du Ve siècle, elle parait avoir été spécialement réservée au pape, à ses clercs, ou à ceux de quelques églises à qui il en accordait l'usage.

Chaque circonscription épiscopale, avec son chef, ses clercs, ses biens, forme comme un petit état, mais des liens de confédération unissent ces circonscriptions les unes aux autres. Dans chaque province ecclésiastique, sous la présidence du métropolitain, les évêques doivent se réunir au moins une fois par an. Ces assemblées, conciles ou synodes, s'étendent aussi à plusieurs provinces. Les évêques y assistent, accompagnés de quelques-uns de leurs clercs, ou s'y font représenter. Ils s'y concertent sur le maintien de la discipline, sur l'observation des lois de l'Église. Leurs décisions portent le nom de canons. Ces assemblées ont en outre le rôle de tribunaux : de vent elles on peut accuser les évêques, interjeter appel de leurs sentences en matière disciplinaire. Enfin elles interviennent de leur propre initiative pour rétablir l'ordre : en 439, le synode de Riez déclare nulle l'élection d'Amentarius , évêque d'Embrun , parce qu'elle a eu lieu dans des conditions irrégulières.

Depuis longtemps les évêques de Rome avaient une prépondérance que toutes les circonstances politiques et religieuses avaient contribué à fortifier : en Gaule, on l'a vu plus haut, Irénée de Lyon l'avait déjà reconnue. L'Église la consacra par trois canons du concile de Sardique, l'État par une constitution de 380. Dès le iv siècle, les évêques de Gaule s'adressent au pape, lui demandent des conseils, des décisions disciplinaires. Au début du Ve siècle, Innocent Ier, dans une réponse à l'évêque de Rouen, Victricius, revendique le droit de faire prédominer les règles de l'église de Rome et de connaître de toutes les affaires ecclésiastiques importantes. Léon Ier casse les décisions d'un synode gaulois qui, sous la présidence d'Hilaire d'Arles, avait déposé Chélidoine, évêque de Besançon. La même année (445), l'empereur Valentinien III décrète que les décisions du siège apostolique doivent avoir force de loi pour les évêques de la Gaule et pour tous, et que l'évêque évoqué en jugement par le pape, s'il néglige de se rendre à cet appel, doit y être contraint par le gouverneur de la province.

Afin de fortifier son pouvoir en Gaule, la papauté voulut y avoir un représentant. Établi dans la ville qui servait de résidence au préfet du prétoire, l'évêque d'Arles lui parut désigné pour ce rôle[21]. Déjà au IVe siècle, Ausone appelait Arles la Rome des Gaules, Gallula Roma Arelas ; dans une constitution de 418, l'empereur Honorius en signale l'importance. En mars 417, le pape Zosime déclara que désormais les évêques gaulois ne pourraient se rendre à Rome sans l'autorisation de l'évêque d'Arles qui aurait désormais le droit de procéder aux ordinations dans la Viennoise et les deux Narbonnaises. L'ambitieux Patrocle, qui avait obtenu ce privilège, se heurta à d'énergiques résistances. Au siècle suivant eurent lieu de nouvelles tentatives. En 514, le pape Symmaque chargeait Césaire d'Arles de veiller aux affaires religieuses de la Gaule et de l'Espagne. Mais le vicariat d'Arles ne devint jamais une institution stable et vivace[22].

Telle est l'organisation du clergé ; quant à son action, elle se fait partout sentir. S'il n'est point exact que, sous l'influence chrétienne, la législation impériale se soit alors tempérée, si même elle parait plus dure au IVe et au Ve siècle qu'au ter ou au ne, du moins l'Église a dans sa clientèle l'armée toujours plus nombreuse des pauvres, des misérables, des déshérités de ce monde. Ainsi s'accroit son crédit, à mesure que diminue celui de l'État. Ses sanctuaires sont des asiles, ils s'ouvrent à tous les accusés ou condamnés qui y cherchent un refuge. Une constitution de 430 accorde que le coupable qui accompagne un prêtre ou un diacre ne peut être arrêté. Protecteur des prisonniers, l'évêque a le droit de pénétrer dans les cachots, de porter aux captifs des consolations et des secours. Comme sur les pauvres, comme sur les veuves, sa tutelle s'étend sur les enfants exposés qui sont abandonnés non pas à la charité, mais aux chiens.

L'Église n'a ni combattu, ni même condamné ouvertement l'esclavage ; les clercs eux-mêmes avaient des esclaves, et les conciles s'occupent de leur en garantir la possession. Mais elle a cherché à adoucir la condition servile. Elle ne s'est point contentée de proclamer l'égalité morale de l'homme libre et de l'esclave, elle a recommandé aux maîtres l'humanité et la douceur, elle a vanté le travail libre, encouragé les affranchissements. Affranchir ses esclaves, c'est, selon une expression dès lors consacrée, travailler au salut de son âme. Constantin déjà reconnaît comme légaux les affranchissements accomplis à l'église devant l'évêque. Les libérés de la servitude deviennent donc les clients de l'Église ; elle menace des peines les plus sévères ceux qui porteraient atteinte à la protection qu'elle étend sur eux.

Toutefois ce tableau présente bien des ombres. Sulpice Sévère rappelle que, dans le partage des terres entre les Hébreux, aucune part ne fut attribuée aux lévites revêtus du sacerdoce. Aujourd'hui, ajoute-t-il, les ministres des églises sont infectés par l'avarice, ils convoitent des terres, cultivent des domaines, ils sont avides d'or, ils vendent, ils achètent, ils cherchent le gain par tous les moyens. Dans ses ouvrages il se plaît souvent à opposer les vertus soit de saint Martin, soit des moines de Syrie ou d'Égypte, à la gourmandise, au luxe, à la vanité du clergé gaulois et certains passages de ses écrits sont de vives et acerbes satires. S'il faut l'en croire, de son temps un évêque désintéressé est une exception. Saint Martin cite Paulin de Trèves qui, presque seul à cette époque, a accompli les préceptes évangéliques. Sulpice Sévère, il est vrai, est hostile à l'épiscopat aristocratique qu'il trouve trop mondain ; mais il est certain que bien souvent les évêques se font les courtisans des princes ; par leurs discordes, leurs passions, leurs vices ils troublent l'Église, la déshonorent et provoquent les railleries de ses adversaires.

 

VIII. — LES MOINES[23].

CETTE corruption relative du clergé était inévitable. Mêlé de près au monde, il en subissait l'influence. Aussi, bien des âmes pieuses crurent-elles que le chrétien ne pouvait se défendre du mal qu'en &isolant de la société, en renonçant aux biens terrestres, sans entrer dans le clergé proprement dit : de là le monachisme et ses rapides progrès. II est né en Égypte ; peut-être Athanase exilé à Trèves a-t-il contribué à l'introduire en Gaule au milieu du IVe siècle : dans cette ville une association d'ascètes existe dès 386. Près de Poitiers, à Ligugé, près de Tours, saint Martin a fondé des monastères. Les vies des Pères de la Thébaïde, écrites par Rufin, deviennent populaires en Occident, elles y émerveillent les imaginations et surexcitent le mysticisme : l'Égypte apparaît comme la terre sainte de la vie chrétienne. Dans un des dialogues de Sulpice Sévère, son ami Postumianus raconte qu'il vient de passer trois ans en Orient, qu'il a visité les monastères égyptiens, afin de voir comment la vie chrétienne y fleurit, d'y observer la paix des saints, les institutions des moines, les merveilles que le Christ opère en ses serviteurs. Ses auditeurs gaulois l'écoutent avidement.

Cassien, dont on a vu déjà le rôle théologique, contribua à fortifier le succès du monachisme. Né sans doute dans le Sud de la Gaule, il avait visité les couvents fameux de l'Orient. Au commencement du Ve siècle, il fonde à Marseille deux monastères, l'un d'hommes, celui de Saint-Victor, l'autre de femmes. Grâce à ses pieux voyages, il était considéré comme le dépositaire des traditions ascétiques. A la prière de Castor, évêque d'Apt, il écrit, vers 417, son traité Des institutions monastiques, où il adapte à l'usage des Gaulois les règles du monachisme oriental, livre étrange où il semble déjà que l'idéal de l'ascétisme soit, non pas de sanctifier l'homme et ;de l'élever, mais de tuer sa personnalité, son intelligence, sa volonté, son cœur. Dans les Collations des Pères du Désert, il s'occupe plutôt de la théologie et de la morale monastiques : c'est ici comme l'Imitation de J.-C. du Ve siècle, plus sèche, sans ces grands élans de l'âme qui font la beauté de l'autre, mais dominée aussi par l'idée de la perfection religieuse et la recherche des moyens d'y atteindre.

L'essor était donné. Honorat, issu d'une noble famille païenne et converti au christianisme, au retour d'un pèlerinage en Orient, s'établit dans l'île de Lérins, alors inculte, déserte et infestée par de venimeux serpents. Les adeptes y accourent de tous côtés, le camp de Dieu s'organise. A l'occasion, Honorat quitte Lérins, s'en va conquérir ceux dont il connaît le mérite et, triomphant, il ramène sa proie au désert. Les ressources lui manquent parfois, la confiance jamais. Un jour il donne à un pauvre la dernière pièce d'or qui lui reste et dit à ses disciples : Assurément, puisque notre générosité n'a plus rien à accorder, quelqu'un s'approche qui nous apporte l'argent nécessaire. Aux alentours, dans les îles d'Hyères, se forment d'autres couvents rattachés à Lérins, qui devient le centre monastique par excellence. Lérins, dit Eucher, un des disciples d'Honorat, reçoit dans son sein charitable ceux qui sont échappés au naufrage du monde orageux : elle les recueille avec sollicitude, tout agités encore par la tempête du siècle, afin qu'ils reprennent le souffle sous l'ombre intime de Dieu. Mais elle ne les garde point tous, elle en fait des chefs d'églises : de là sortent Honorat d'abord, qui devint. évêque d'Arles, Hilaire, qui lui succéda, Eucher, évêque de Lyon, Loup, évêque de Troyes, Césaire, évêque d'Arles, Maxime, Fauste, évêques de Riez, et. bien d'autres.

Rapidement, dans le reste de la Gaule, se multiplient les monastères : à Grigny, près de Vienne, à file Barbe, près de Lyon, à Réomé (Moutier-Saint-Jean), à Saint-Claude dans le Jura, à Sennevières, à Chinon, à Loches en Touraine, à Saint-Jouin, à Saint-Maixent dans le Poitou, etc. Mais, quelle que fût l'admiration qu'excitaient les austérités des ascètes de l'Orient, on comprit qu'il n'était point possible d'adopter sans restrictions leur genre de vie. Déjà des disciples de saint Martin, quand on leur parlait des herbes cuites et du demi-pain d'orge dont se nourrissait un solitaire d'Afrique, répondaient bravement : Qu'un Cyrénéen s'en contente, il est habitué par nécessité ou par nature à ne point manger ; nous Gaulois, nous ne pouvons vivre à la façon des anges. Cassien lui-même reconnaît qu'il faut tenir compte des différences de climat ou de la faiblesse humaine. D'ailleurs ces hommes qui font profession de se détacher du monde, souvent s'y mêlent de nouveau, vaniteux et cupides. Après avoir vanté les vertus des moines égyptiens : qui de nous, dit un des personnages que met en scène Sulpice Sévère, si quelque pauvre homme de basse condition le salue, si quelque femme lui fait quelque compliment banal, ne s'enorgueillit aussitôt ? Il a beau n'avoir pas conscience de sa sainteté, si par adulation ou par erreur on le traite de saint, il se considère comme très saint. Lui envoie-t-on de nombreux cadeaux, il raconte que Dieu l'honore de sa libéralité, puisqu'il reçoit pendant son sommeil ce qui lui est nécessaire... Tel qui ne se distingue ni par ses œuvres ni par ses vertus, s'il devient prêtre, se drape dans ses vêtements, se rengorge quand on le salue, s'exhibe çà et là. Tel, qui allait à pied ou sur un baudet, se fait traîner avec orgueil par des coursiers écumants ; tel, qui se contentait d'une étroite cellule, se construit une vaste et magnifique demeure... demande, en guise de tribut, aux chères veuves et aux vierges qui sont ses amies des vêtements recherchés. On se plaint déjà du relâchement de la discipline, on déclare qu'il faut châtier les moines rebelles.

De bonne heure le goût de la vie religieuse se répandit chez les femmes, chez les jeunes filles qui veulent, à l'instar des vierges sages, avoir le Christ pour époux. A Trèves, une fille de Dieu est louée sur son épitaphe d'avoir adoré Dieu tous les jours de sa vie et d'avoir observé dans tous ses actes les préceptes du Sauveur. L'inscription a été placée par les soins d'une de ses compagnes, Léa, qui lui était attachée par le lien de la charité et par le zèle de la religion. De nombreux monastères de femmes se fondent. En 506, le concile d'Agde déclare qu'on ne doit point en établir dans le voisinage des monastères d'hommes, pour éviter les embûches du diable. Les chefs de l'Église ont peur de la femme, ils prêchent le mépris de la beauté, de son charme éphémère : la gloire de la chair se flétrit comme la fleur des champs. Ils exaltent la virginité : La virginité est glorieuse, dit saint Martin, le mariage est excusable. Aussi cherche-t-on même à briser les unions : mari et femme, chacun de leur côté entrent au monastère. On imagine de poétiques légendes pour glorifier dans le mariage le commerce des âmes affranchi du commerce des corps. Telle est celle de Rheticius et de sa femme qui vécurent comme frère et sœur. A sa mort, elle le supplie de se faire plus tard ensevelir auprès d'elle. Rheticius devint évêque d'Autun. Quand il meurt à son tour, on le porte au tombeau où repose sa femme, et, raconte l'hagiographe, elle tend la main vers lui pour l'accueillir.

Le monachisme cependant se heurte à bien des résistances. Au début du Ve siècle, le Gaulois Rutilius Namatianus, interprète du dédain des païens, se moque de ces hommes qui fuient la lumière et travaillent à se rendre volontairement malheureux. Entre eux et l'épiscopat la défiance est mutuelle. Cassien recommande aux moines d'éviter les femmes et les évêques ; ceux-ci, de leur côté, s'efforcent d'étendre leur autorité sur les monastères qui cherchent à s'y dérober. Ainsi s'accuse entre le clergé régulier, c'est-à-dire soumis aux règles monastiques, et le clergé séculier, mêlé au monde, une rivalité qui croîtra dans la suite et déchaînera de nombreux conflits. Néanmoins les moines se multiplient, ils couvriront la Gaule de leurs couvents, ils pénétreront jusque dans les contrées les plus sauvages ; défrichant le sol, créant autour d'eux des villages, ils conquerront le monde barbare, et la société chrétienne du Moyen Age sera en grande partie leur œuvre.

 

IX. — LE CULTE ET LES FIDÈLES.

LES cérémonies du culte public en Gaule, à cette époque, sont assez bien connues. Au Ve siècle, une liturgie spéciale y domine, la liturgie dite gallicane, qui subsista jusqu'au temps de Pépin le Bref. Les fêtes étaient nombreuses : Noël, l'Épiphanie, Pâques, l'Ascension, la Quinquagésime, auxquelles s'ajoutaient des fêtes locales, car chaque région entourait ses saints d'un culte particulier. A la fin du va siècle, Mamert, évêque de Vienne, institue les Rogations, c'est-à-dire des processions qui se célébraient trois jours avant l'Ascension et qui appelaient la bénédiction de Dieu sur les champs.

Les grands actes de la vie chrétienne s'accomplissaient avec des formes parfois différentes de celles qui sont aujourd'hui en usage. Le baptême solennel ne se célébrait qu'à Pâques. Conduits au baptistère et interrogés sur les articles essentiels du symbole, les catéchumènes répondaient trois fois Credo, puis étaient plongés trois fois dans une piscine. Après une onction accompagnée de l'évocation du Saint-Esprit, ils recevaient un vêtement blanc, l'évêque leur lavait les pieds, ils assistaient à la messe et communiaient pour la première fois. Le mariage n'était pas encore un sacrement imposé ; le fidèle pouvait à son gré demander ou omettre la bénédiction de l'Église. Celle-ci adopta du reste les rites du mariage païen en les modifiant et en les marquant de son empreinte ; elle garda la remise de l'anneau, le voile nuptial, les couronnes placées sur la tête des époux.

Par l'éclat de ses cérémonies l'Église cherche à charmer les imaginations. Pour lutter contre l'arianisme, saint Hilaire compose des hymnes qui ne nous sont point parvenues. Le culte se célèbre dans des églises dont on soigne l'architecture et la décoration ; quelquefois elles se construisent aux dépens des monuments antiques. Évêques, prêtres, laïques élèvent des basiliques. Ces édifices ont disparu, mais on sait quels en étaient le plan et les dispositions. Après avoir franchi un premier portique, on pénétrait dans une cour, atrium, à ciel ouvert, bordée de portiques sur les quatre côtés. Un vestibule, le narthex, la faisait communiquer avec l'église même qu'une double colonnade divisait en trois nefs. Celle de droite était réservée aux hommes, celle de gauche aux femmes, la nef centrale était en grande partie destinée au clergé que des balustrades séparaient des fidèles. Deux ambons ou chaires servaient à la lecture de l'évangile ou de l'épître ; derrière l'autel, de forme restreinte, au fond de l'abside, était le siège, cathedra, souvent en pierre, de l'officiant. L'église était recouverte d'un plafond que surmontait un toit à double pente. Tout près était généralement placé le baptistère, édifice de forme circulaire ou polygonale[24]. Quelques-unes de ces églises étaient remarquables par leurs dimensions ou leur décoration. Dans celle que Patient, évêque de Lyon, fit construire sur la colline qui domine la Saône, le plafond était doré, des marbres multicolores ornaient l'abside, le sol, les fenêtres ; celle que Perpétue éleva à Tours, en 472, au tombeau de saint Martin, devint le sanctuaire par excellence de la Gaule.

On a retrouvé quelques-uns des cimetières chrétiens qui furent en usage pendant cette période et les siècles suivants[25]. Celui des Aliscamps (Aelysii campi), auprès d'Arles, fut si célèbre que plus tard l'imagination populaire, frappée du grand nombre de tombes qui s'y pressaient, voulut y voir la sépulture des preux de Charlemagne tombés en luttant contre les Sarrasins ; Dante lui-même l'a mentionné au neuvième chant de l'Enfer. On racontait au Moyen Age que le cimetière de Saint-Seurin à Bordeaux avait été consacré par le Christ lui-même. Les morts les plus illustres ou les plus riches y reposaient dans des sarcophages décorés de bas-reliefs. Quelquefois les motifs d'ornementation étaient empruntés à l'art profane, mais le plus souvent l'artiste reproduisait des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament : Noé dans l'arche, Jonas rejeté par la baleine, le passage de la mer Rouge, les trois Hébreux dans la fournaise, les miracles du Christ, etc. Le style en est le même que celui des monuments païens contemporains, mais les sujets, traités d'une façon très simple et avec un petit nombre de personnages, traduisaient, sous une forme symbolique, les croyances et les dogmes auxquels les fidèles étaient le plus attachés.

Les inscriptions gravées sur ces tombes aident à pénétrer dans l'âme des chrétiens de ce temps. La fréquence de certaines formules indique quelles idées leur sont chères. Le mort, racheté par la Passion du Christ, repose en paix dans le Seigneur, il attend avec joie le jour du jugement, il compte sur l'intervention des saints, il ressuscitera dans le Christ. Cette croyance dans la résurrection, où se résument toutes ses espérances, le fidèle a besoin de la défendre contre les objections qu'on y peut faire. Le prêtre, dans ses sermons, dans ses écrits, doit lui répéter que les membres du corps, même dispersés, même déchirés par les bêtes, se réuniront, que le corps renaîtra, comme renaît la nature au printemps. Pour le retenir dans le devoir, il a recours aux plus terribles visions, il lui dépeint déjà le jugement dernier tel que le Moyen Age le représentera.

Les énumérations honorifiques, si fréquentes, sur les inscriptions païennes, disparaissent des épitaphes. Souvent le fidèle tient à se déclarer esclave du Christ. On vante les vertus humbles du mort. Mameleubus vécut soixante ans dans l'humanité et la bonté. Viliaric est appelé père des pauvres. On loue la chasteté de la femme, sa fidélité, sa charité, et toutes les vertus dont Dieu a voulu qu'elle fût douée. Il est dit d'une femme, noble de naissance, qu'elle fut active, qu'elle aimait à nourrir les affamés, à racheter les captifs, à les rapatrier, qu'elle eut l'âme sainte.

Il ne faut pas cependant se dissimuler les misères, les vices, les superstitions de la société chrétienne de ce temps. Salvien, vers le milieu du Ve siècle, se plaint de la piété superficielle et hypocrite de ses contemporains : ils jurent, ils volent, ils sont débauchés et ivrognes, leurs femmes sont coquettes ; les adversaires du christianisme en tirent argument. Salvien est un pessimiste, mais on retrouve épars dans d'autres documents les traits qu'il rassemble et qu'il accentue. La religion même se complique de plus en plus d'éléments grossiers. Le diable y tient une place toujours plus grande : sans cesse il apparait à saint Martin, à ses disciples, il discute avec eux, il les trompe, leur fait des niches ; c'est lui qui se glisse dans le corps des possédés, des énergumènes, et le fidèle épouvanté se figure que l'air est tout peuplé de démons. Pendant de longs siècles désormais l'humanité vivra sous le poids de ces étranges terreurs.

 La dévotion multiplie les précautions contre ces dangers dont on se croit assiégé : le culte des saints s'organise. Après la mort, on veut reposer auprès de leurs tombeaux, pour bénéficier ainsi de leurs mérites et s'envelopper de leur protection : c'est en vain que les conciles réagissent contre cet abus. On est avide de reliques. Les dévots arrachent les franges du vêtement de saint Martin, ils les portent au doigt, au cou, ils croient qu'elles chassent les maladies. Lorsqu'on ensevelit Honorat, son corps est presque mis à nu, chacun voulant avoir un lambeau de ses vêtements. On voit partout des martyrs. Aux environs de Tours, un tombeau passe pour contenir des restes sacrés, un autel y a même été élevé. Saint Martin, qui se défie de ce culte, découvre que celui qui en est l'objet avait été un brigand mis à mort pour ses crimes ! D'ailleurs les saints du pays ne suffisent plus, on part pour de longs pèlerinages, à Rome, en Égypte, aux lieux saints. Sous le règne de Théodose, une grande dame gauloise, Silvia, se rend en Palestine et écrit un itinéraire de son voyage qui a été récemment découvert.

Contre cette dévotion matérielle, des protestations éclatèrent. Le prêtre gaulois Vigilance de Calagurris, au commencement du vs siècle, formula des objections que nous ne connaissons que par un pamphlet violent de saint Jérôme. Le paganisme, dit-il, renaît, pénètre dans les églises. Il raille le culte des reliques, la croyance à l'intercession des saints, il veut que, au lieu d'envoyer des aumônes à Jérusalem, on se préoccupe de secourir les pauvres du pays. Il blâme la continence qu'on veut imposer aux prêtres ; il s'inquiète des progrès du monachisme. Si tout le monde se cloître, qui célébrera le culte, fera la charité, exhortera les pécheurs à la vertu ? Bien des esprits éclairés s'effrayaient du polythéisme chrétien qui se formait sur les ruines du polythéisme païen.

 

X. — LE CHRISTIANISME ET L'EMPIRE.

AU sein de l'empire désorganisé, la société chrétienne forme un État, toujours plus puissant. A-t-elle désiré, a-t-elle préparé, volontairement ou involontairement, la chute de cet empire ?

Avant Constantin, divers mobiles déterminent les sentiments des chrétiens envers l'empire. Fidèles à la maxime du Christ : Rendez à César ce qui appartient à César, ils prient pour ceux qui les gouvernent, et leurs apologistes déclarent que l'empereur n'a pas de sujets plus fidèles ; mais ils fuient le service militaire, les charges publiques, ils professent hautement devant les magistrats que le chrétien n'a ni famille, ni patrie. Un de leurs plus clairvoyants adversaires, Celse, dans son Discours véritable, pouvait les accuser de mettre le monde en danger de devenir la proie des barbares les plus sauvages et les plus grossiers[26]. Par leur abstention, par le détachement de la chose publique, les chrétiens ont, dans une certaine mesure, contribué à l'affaiblissement de l'empire au lue siècle.

Au IVe siècle, la situation avait changé. L'État devint chrétien, l'intérêt de l'Église fut dorénavant de le soutenir. Souvent. ses docteurs le déclarent, et Lactance, par exemple, fidèle aux traditions orgueilleuses que Virgile avait immortalisées, considère que les destinées du monde sont liées à celles de Rome. Désormais l'armée, le Sénat, l'administration se recrutent parmi les chrétiens comme parmi les païens : les évêques n'en détournent plus les fidèles, ils s'occupent eux-mêmes des affaires publiques ; pour assurer le triomphe de la cité de Dieu, ils se mêlent aux luttes de la cité terrestre et veulent la gouverner.

Pourtant, sur ce point, leur action se heurte à des obstacles, même à des résistances. Comme aux siècles précédents, l'idée de la fin prochaine du monde hante encore bien des âmes pieuses. Saint Martin annonce la venue de Néron et de l'Antéchrist : Néron dominera en Occident, il persécutera les chrétiens ; l'Antéchrist régnera en Orient, il se fera adorer comme le Christ, puis il tuera Néron et sera maure de l'univers jusqu'à l'arrivée du Sauveur. Déjà l'Antéchrist est né, il grandit, il attend le moment de s'emparer du pouvoir. A quoi bon, dès lors, s'intéresser activement aux destinées d'un empire caduc dont les jours sont comptés ? Ne vaut-il pas mieux vivre dans la paix et la prière ? Pantin de Note écrit à un noble au service de l'empereur pour l'engager à se mettre au service du Christ. Être soldat, être fonctionnaire, c'est s'exposer à un châtiment divin ; on doit éviter le mariage, la famille, soucis aussi épineux qu'inutiles. Il ne suffit point d'être pieux, le bon chrétien doit se retirer du monde. Voilà ce qu'enseignait un saint, alors que l'empire se dépeuplait et que les Barbares le menaçaient de toutes parts. Les progrès du monachisme propagèrent ces idées. Aussi bien des empereurs chrétiens lui sont-ils hostiles ; Valens, dans une loi, parle avec colère de ces fainéants qui, pour se soustraire aux charges municipales, se réfugient dans les déserts et les solitudes.

D'autre part, les rapports plus étroits de l'Église et de l'État, l'intervention des empereurs dans les affaires religieuses sont un nouvel élément de trouble. L'empereur, selon qu'il est catholique ou arien, persécute ses adversaires, ceux-ci lui répondent par l'injure et la menace ; par là le pouvoir impérial, déjà si affaibli, perd encore de son autorité. Au lendemain de ces luttes, Sulpice Sévère, dans ses chroniques, blâme les Hébreux qui réclamaient de Samuel l'établissement de la royauté. Le peuple, dit-il, demandait ce nom royal, toujours odieux aux peuples indépendants, il souhaitait échanger la liberté contre l'esclavage[27]. Et, commentant le livre de Daniel, il reconnaît dans l'empire romain le colosse de fer aux pieds d'argile. En effet, l'empire romain est gouverné non par un empereur, mais par plusieurs, toujours divisés entre eux par la guerre et les rivalités. Il est composé d'éléments hétérogènes, puisque nous voyons le sol romain occupé par des peuples étrangers ou rebelles, trahi par ceux qui ont affecté de se soumettre ; puisque, dans nos armées, dans nos villes, dans nos provinces, les nations barbares, et surtout les Juifs, vivent à côté de nous, mais sans adopter notre civilisation. Ce sont les événements qui, selon les prophètes, annoncent la fin du monde.

Ainsi, sous des empereurs chrétiens, des écrivains chrétiens cherchent dans les Livres Saints la prédiction de la ruine de l'empire. Cependant ces sentiments ne sont point ceux du plus grand nombre des fidèles. Il en est qui conservent une âme véritablement romaine, une foi robuste dans l'avenir de Rome. Un poète qui, par ses origines, appartient à une région voisine de la Gaule, Prudence, a été l'interprète éloquent de ces espérances. La Rome chrétienne lui apparaît comme l'héritière de l'ancienne Rome, de ses souvenirs, de ses triomphes ; il déclare que la vertu du peuple romain ne vieillira point, que sa gloire ne prendra pas fin. On ne peut donc accuser en termes absolus le christianisme d'avoir souhaité la chute de l'empire, ni d'y avoir volontairement travaillé. L'empire, on l'a dit avec raison, a péri de maladies anciennes. Mais le christianisme ne l'a point sauvé, il a fatalement ébranlé quelques-unes des institutions sur lesquelles il s'appuyait ; parmi ses docteurs, il s'en est même trouvé qui ont habitué les esprits à l'idée de la ruine de l'État romain.

 

 

 



[1] SOURCES. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, liv. V. Grégoire de Tours (édit. Arndt-Krusch), Historia Francorum, liv. I, c. 29 et suiv. ; X, 31, 37 ; De gloria confessorum, De gloria martyrum. Ruinart, Acta martyrum sincera, 1689. Sulpice Sévère (édit. Halm), Chronica, Vita S. Martini, Dialogi. Œuvres d'Irénée, de Paulin de Nole dans la Patrologia latina de Migne. Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au VIIIe siècle, 1856 et 1892. Codex Theodosianus, liv. XVI. Delisle, Anciens catalogues des évêques des églises de France, dans l'Histoire littéraire de la France des Bénédictins, continuée par l'Académie des Inscriptions, t. XXIX. — Les autres documents, de valeur moindre, sont indiqués dans Molinier, Les sources de l'histoire de France, t. I, 1902, p. 19 et suiv.

OUVRAGES À CONSULTER. Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, 1693-1712. Renan, Histoire des origines du Christianisme, t. VII, Marc-Aurèle, 1882. Allard, Histoire des persécutions dans l'empire romain, 5 vol., nouv. édit., 1894-1903. Beugnot, Histoire de la destruction du paganisme en Occident, 1835. Schultze, Geschichte des Untergangs des grieschisch.-römischen Heidentams, 1887. Le Blant, Les actes des Martyrs, supplément à Dom Ruinart, 1890. Hirschfeld, Zur Geschichte des Chriatentums in Lugdunum vor Constantin, 1895. Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. I, 2e édit., 1898. Boissier, La fin du paganisme, 1891. Harnack, Die Mission and Ausbreitung des Christentums in den drei ersten Jahrhunderlen, 1902. — Les travaux les plus importants sur les origines chrétiennes de la Gaule sont ceux de Duchesne, Catalogues épiscopaux de la province de Tours, 1890 ; Mémoire sur l'origine des diocèses épiscopaux dans l'ancienne Gaule, 1890 ; Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, 1894 et 1900.

[2] Les controverses à ce sujet ont été fort vives au cours de ce dernier siècle. On en trouvera l'historique dans Houtin, La controverse de l'apostolicité des églises de France au XIXe siècle, 1901. Sur l'origine de certaines de ces légendes, Duchesne, La légende de sainte Marie-Madeleine, saint Martial de Limoges, Annales du Midi, 1892-1893. De Manteyer, Les légendes saintes de Provence, Mélanges d'histoire et d'archéologie de l'école de Rome, 1897. Dom Morin, Saint Lazare et saint Maximin, 1897 dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France. La thèse de l'apostolicité de certaines églises de Gaule apparaît dès le Ve siècle ; au IVe siècle, elle est formulée dans les écrits hagiographiques de Grégoire de Tours, en contradiction avec ses écrits historiques. Elle a cependant toujours rencontré des adversaires au Moyen Age. Au XIIe siècle encore, Guibert de Nogent s'indignait de ces contes puérils, dignes des oreilles des bouviers.

[3] Chronica, II, 32 (édit. Halm), p. 86. On a fort épilogué sur ce texte, mais il est impossible de lui refuser une valeur réelle.

[4] C'est ce qui ressort des textes de Justin, Apologie, I, 4, Tertullien, Ad nationes, 2, 3, de la lettre de Pline à Trajan, X, 96, 97, de divers textes d'actes de martyrs. Ce point a été cependant discuté : Le Blant, Note sur les bases juridiques des poursuites contre les chrétiens, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 1866 ; Recherches sur l'accusation de magie portée contre les premiers chrétiens, Mém. de la Société des antiquaires de France, 1869 ; Les actes des martyrs, 1882, p. 41. Je suis convaincu avec Duchesne, Origines chrétiennes, p.115 et suiv., avec Mommsen, Der Religionsfrevel nach römischen Recht, Historische Zeitschrift de Sybel, 1890, que, dès le IIe siècle, les chrétiens étaient poursuivis en tant que chrétiens.

[5] Vachez, L'amphithéâtre de Lugdunum et les martyrs d'Ainay, 1887. Bazin, L'amphithéâtre de Lugdunum, Revue archéologique, 1887. Allmer et Dissart, Inscriptions antiques du Musée de Lyon, t. II, 1889, p. 297 et suiv.

[6] Il était écrit en grec, mais, sauf quelques fragments, nous n'en connaissons qu'une traduction latine : Migne, Patrologia græca, t. VII. La théologie d'Irénée a été l'objet de nombreux travaux sur lesquels il n'y a pas à insister ici.

[7] Les premières lettres des mots : Ίησοΰς Χριστός Θεοΰ υίός σωτήρ, Jésus-Christ, fils de Dieu, sauveur, forment le mot Ίχθύς qui signifie poisson.

[8] Sur la légende tant de fois discutée de saint Denis, voir, en dernier lieu, J. Havet, Les origines de saint Denis, Bibl. de l'École des Chartes, 1890, p. 25 et suiv.

[9] Vers cette époque la querelle du novatianisme agita toute l'Église. L'antipape Novatien s'était mis à la tête des rigoristes qui ne voulaient pas qu'on pardonnât à ceux qui avaient faibli pendant les persécutions. Il eût pour partisan en Gaule l'évêque d'Arles, Marcien ; Faustin, évêque de Lyon, et ses collègues gaulois se prononcèrent contre lui, d'accord avec le pape Etienne et Cyprien de Carthage, le grand adversaire du novatianisme.

[10] La dernière évaluation est celle de Harnack, Die Mission und Ausbreilung des Christentums in den drei ersten Jahrhunderten, 1902. Il distingue (p. 90 et suiv.) 4 catégories suivant la plus ou moins grande densité de la population chrétienne, et range la Gaule dans la 4e (environ 10.000 chrétiens pour le tout), sauf la côte de la Méditerranée, classée dans la 2e.

[11] Grégoire de Tours, Hist. Francorum, I, 48.

[12] La meilleure édition des œuvres de Sulpice Sévère est celle de Halm, 1866, dans le Corpus script. eccl. de l'Acad. de Vienne. Sur saint Martin, Reinkens, Martin von Tours, 1866 ; Lecoy de La Marche, Saint Martin de Tours, 1881 (insuffisant comme critique) ; Bulliot, Mission et culte de saint Martin d'après les légendes et les monuments populaires dans le pays éduen, Mémoires de la Société éduenne, 1888 ; Bernoulli, Die Heiligen der Merowinger, 1900, liv. I, chap. I.

[13] La France seule (y compris l'Alsace et la Lorraine) compte 3.675 églises dédiées à saint Martin : son nom a survécu dans 495 bourgs, hameaux ou villages. Lecoy de La Marche, ouv. cité, p. 500. — Au XIIIe siècle, plus d'un tiers des églises du diocèse de Bordeaux lui étaient consacrées : Jullian, Ausone et Bordeaux, 1893, p. 138.

[14] Anthologia latina, édit. Riese, p. 317 et suiv.

[15] Maury, Les fées au Moyen Age, 1843 ; La magie et l'astrologie dans l'antiquité et au Moyen-âge, 1860 ; Croyances et légendes du Moyen-âge ; nouv. édit. des Fées par Longnon et Bonet-Maury, 1896. FI. Vallentin, Les dieux de la cité des Allobroges, Revue Celtique, t. IV, 1879-1880. Sal. Reinach, Les monuments de pierre brute dans le langage et les croyances populaires, Revue archéologique, 1893. Mannhardt, Der Baumkultus der Germanen and ihrer Nachbarstämme, 1875. Cerquand, Sur la persistance et les transformations de légendes relatives aux divinités celtiques ou germaniques au Moyen Age, 1889, etc. Histoire de France, t. I, II, p. 46 et suiv.

[16] Sur les Lettres en Gaule à cette époque, voir Histoire littéraire de la France par les Bénédictins, t. I, II, 1733-35. Ampère, Histoire littéraire de la France avant le XIIe siècle, t. II, 1839. Ebert, Histoire de la littérature latine au Moyen Age, trad. fr., t. I. Jullian, Ausone et Bordeaux, 1893. Boissier, ouvr. cité. Guizot, Histoire de la civilisation en France, t. I, p. 90 et suiv., 101 et suiv., a bien marqué le contraste intellectuel entre la société chrétienne et la société païenne.

[17] SOURCES. Concilia, édit. de Labbe, 1671-1672, ou de Hansi, 1759-1793 ; Bruns a donné en 1839 une édition commode des canons de conciles des premiers siècles. Œuvres de Salvien, Sidoine Apollinaire, Hilaire de Poitiers, Cassien, Prosper d'Aquitaine, Fauste de Riez, Orientius, dans la Patrologie latine de Migne ; la plupart de ces écrivains ont été depuis édités avec plus de soin dans le Corpus scriptorum ecclesiasticorum de l'Académie de Vienne ou dans les Monumenta Germaniæ historica de Berlin, série in-4°.

OUVRAGES À CONSULTER. Outre plusieurs ouvrages déjà cités, Lœning, Geschichte des deutschen Kirchenrechts, 1878. Héfélé, Histoire des Conciles, traduction Delarc, 1869-1878, les 8 premiers volumes. Duchesne, Origines du culte chrétien, 3e édit. 1903. Imbart de la Tour, Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, 1900. Marignan, La foi chrétienne au IVe siècle, 1887 ; Études sur la civilisation française, 1899. Ebert, Histoire de la littérature latine du Moyen Age en Occident, traduction Aymeric-Condamin, t. I, 1883. Malnory, Saint Césaire d'Arles, 1894. Arnold, Cæsarius von Arelate und die Gallische Kirche semer Zeit, 1894. Valentin, Saint Prosper d'Aquitaine, 1900. Le Blant, Étude sur les sarcophages chrétiens de la ville d'Arles, 1878, et Les sarcophages chrétiens de la Gaule, 1886.

[18] Cette littérature hagiographique vit sur un fond commun de conventions, de formules consacrées, de répétitions ; voir notamment les observations de Kohler, Études critiques sur la vie de sainte Geneviève, 1881, p. III et suiv.

[19] Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l'ancienne France ; L'invasion germanique, nouv. édit., 1891, p. 39 et suiv. Chénon, Étude historique sur le Defensor civitatis, Nouv. Revue hist. de droit français et étranger, 1889, p. 551 et suiv.

[20] De nombreux écrivains de ce temps ont parlé de Priscillien : Sulpice Sévère, Chronica, II, 46-51. Saint Jérôme, De viris illustribus, c. 121-123. Saint Augustin, De Hæresibus, c. 70. Paul Orose, Commonitorium, c. 2, etc. Récemment la découverte de onze traités ou écrits de Priscillien a de nouveau attiré l'attention sur lui : Priscilliani quæ supersunt, édit. Sckeps, dans le Corpus script. eccl. lat. de l'Acad. de Vienne. Parmi les études parues à ce sujet, voir les art. de M. Puech, Journal des Savants, 1891. Lavertujon, La Chronique de Sulpice Sévère, t. II, 1899, surtout p. 548 et suiv.

[21] A la fin du IVe siècle l'église de Milan e exercé aussi sur l'église des Gaules une influence qui a été signalée par Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 32 et suiv.

[22] Sur cette question et sur la rivalité des églises d'Arles et de Vienne, voir notamment Gundlach, Der Streit der Bisthümer Arles und Vienne, 1890, et Duchesne, Fastes épiscopaux, t. I, p. 84 et suiv.

[23] Outre les ouvrages déjà cités voir Besse, Premiers monastères de la Gaule méridionale, Revue des questions historiques, 1903.

[24] Quicherat, Mélanges d'archéologie et d'histoire, t. II, 1886. Enlart, Manuel d'archéologie française, t. I, 1902. L'origine et la forme des basiliques chrétiennes ont été l'objet de nombreux travaux qu'il n'était pas possible de faire connaître ici.

[25] Le nom même de cimetière, κοιμητήριον, l'endroit où l'on dort, atteste la croyance dans la résurrection.

[26] Aubé, La polémique païenne à la fin du IIe siècle, 1878, p. 386 et suiv. Le Blant, Le détachement de la patrie, mémoire lu à l'Institut en 1872. Guiraud, Les assemblées provinciales dans l'empire romain, 1897, p. 238 et suiv. Il ne faut pas cependant attribuer aux chrétiens une part excessive dans le dépeuplement des curies au IIIe siècle.

[27] Sulpice Sévère, Chronica, I, 32, 3. Voir les réflexions de Bernays, Uber die Chronik des Sulpicius Severus, dans ses Gesammelte Abhandlungen, 1885, t. III, p. 117 et suiv.