HISTOIRE DE FRANCE

TOME PREMIER. — TABLEAU DE LA GÉOGRAPHIE DE LA FRANCE.

DEUXIÈME PARTIE. — DESCRIPTION RÉGIONALE.

LIVRE IV. — LE MIDI.

 

III. — LE MIDI OCÉANIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — QUERCY ET PÉRIGORD.

LES terrains tertiaires du Bassin d'Aquitaine ne sont immédiatement contigus aux roches primitives du Massif central que dans les plaines de Castres et d'Albi ; ils en sont séparés, dans le Quercy et le Périgord, par une zone de plateaux calcaires d'âge jurassique ou crétacé. Si, de l'ample et riche vallée qu'arrose le Tarn, entre Gaillac et Rabastens, on s'avance d'une quinzaine de kilomètres au Nord, on rencontre une sorte de dôme boisé qui domine de près de 300 mètres les vallées voisines : c'est le petit massif permien de la Grésigne. Là est la séparation de l'Albigeois, du Rouergue et du Quercy. Au delà, en effet, commence une longue bande calcaire, suivant une direction Nord-Ouest, qui se poursuit jusqu'en Saintonge et dans les îles. Elle dessine l'encadrement septentrional du Bassin d'Aquitaine.

Les routes qui se rendent du Midi au Nord, ou inversement, doivent traverser cette zone calcaire. Elle était suivie, en outre, dans le sens longitudinal, par la voie romaine qui reliait Cahors à Périgueux et à Saintes. De là l'importance historique qu'elle a eue et qu'attestent le nombre de villes et d'anciens châteaux forts, un aspect militaire et féodal répandu sur sa surface.

Les roches, d'âges jurassique et crétacé, qui constituent la charpente du sol, ont gardé généralement leur stratification horizontale ; mais par l'usure prolongée des âges elles ont été réduites à l'état de dénudation et de squelette. Sur les Causses du Quercy, prolongement atténué de ceux du Gévaudan, la surface est trouée comme un crible. Des igues ou cirques elliptiques, des poches ou cavités dont les parois corrodées sont tapissées d'argile rouge, des labyrinthes souterrains où s'amassent les eaux, caractérisent ce pays étrange. Des vallées sèches le sillonnent, parfois taillées dans des escarpements superbes, comme ce roc à pic, semblable aux éclatantes Phœdriades de Delphes, où s'est implanté l'antique sanctuaire de Rocamadour. Pourtant, si maigre et aride que soit la surface, elle n'est pas dépourvue de cultures. La physionomie d'ensemble de ces Causses est celle d'une sorte de forêt claire et interrompue de petits chênes et de genévriers, qui s'élève et s'incline suivant les ondulations de la surface. Un cailloutis pointu, résultat de la décomposition des roches, forme avec un peu de terre rousse l'épiderme du sol. De petits champs, encadrés par des murs de pierre, s'étendent autour des mas, et font vivre quelques vieux villages.

A travers ces plateaux, situés en contrebas du Massif central, les rivières se sont frayé passage. Le Lot et la Dordogne ont buriné de profonds méandres entre des falaises rouges et grises, qui tantôt s'évasent en cirques, tantôt s'avancent en éperons sur le palier horizontal de la vallée. Des ravins latéraux à sec, des rampes en hémicycle ménagent la transition entre plateaux et vallées, facilitent l'accès de routes. Les vallées sont superbes. Elles se sont creusées jusqu'au niveau des sources, par lesquelles le plateau restitue une partie des eaux qu'il a confisquées. Ces fontaines, si abondantes et si pures, avaient pour nos ancêtres gaulois un caractère sacré. Elles furent souvent, comme les Douix de la Bourgogne calcaire, l'origine d'une ville : telle, la Divona, auprès de laquelle est né Cahors.

Un nouvel abaissement, une nouvelle atténuation marque la transition du Quercy au Périgord. Ce sont cependant toujours les mêmes bandes calcaires ; mais aux raides escarpements des calcaires jurassiques se substituent dans le Périgord des roches coralligènes, d'âge crétacé, plus tendres. Même sécheresse à la surface, même terre rouge ou caussenal, même aspect pierreux sous un mince rideau de taillis de chênes ; mais les formes sont plus douces, et à la variété plus grande de la topographie répond plus de variété de cultures. Peu à peu le Causse, en s'adoucissant, se transforme en Champagne. Lorsque, vers Montmoreau, on passe de Périgord en Saintonge, le changement est accompli. De larges coteaux partout cultivés s'étalent entre des vallées d'un dessin ferme et net. En suivant la chaîne de pays qui se continue par la zone calcaire du Quercy à la Saintonge, on voit ainsi, dans une physionomie générale qui conserve ses principaux traits, toute l'âpreté s'amortir, les contrastes s'atténuer, la contrée s'ouvrir davantage en se rapprochant de l'Océan.

Moins imposantes peut-être qu'à travers les plateaux des Causses, les vallées gardent cependant et augmentent même leur ampleur, en prenant plus de grâce. La Dordogne périgourdine, la Vézère, l'Isle, la Dronne, baignent de véritables plaines riantes et animées au pied de roches caverneuses. La France n'a nulle part d'aussi belles vallées, d'aussi brillantes dans l'éclat du soleil et la variété des cultures.

Dans un chapitre de son ouvrage L'homme avant l'histoire, sir John Lubbock s'extasie sur le paysage de cette vallée de la Vézère, dont les escarpements percés de grottes sont une ruche d'habitations primitives. Il décrit la limpidité des eaux dans les vergers ou les prairies qu'encadrent des roches tapissées de buis et de chênes verts. C'était un pays à souhait pour les populations primitives ; les plus anciens rudiments d'art et de civilisation y ont laissé des traces. 11 est peu de contrées où se laisse mieux saisir la continuité de la chaîne entre les âges de l'humanité. Les civilisations dont l'archéologie préhistorique nous montre les premières ébauches, ont continué leur développement sur la base des mêmes conditions naturelles. Les établissements humains ont persisté sur les mêmes sites. Au-dessous des grottes le village s'accroche aux escarpements. Plusieurs de ces excavations ont donné lieu à des chapelles ou des sanctuaires : ici Rocamadour, là Brantôme avec son vieil oratoire taillé dans le roc, comme certains temples de l'Inde. A Cromagnon[1] et ailleurs la grotte primitive s'est simplement transformée en un système d'habitations, dont les portes et fenêtres étagées dans le roc suggèrent l'idée d'une Petra française. Les dalles de calcaire qui avaient servi à dresser de nombreux dolmens sur les Causses, servent à construire ces habitations rondes de type archaïque, rappelant les trulli de la Pouille, qu'édifient encore les paysans du Quercy. Sur les promontoires qu'enlacent les sinuosités des rivières, dans les boucles fermées par un isthme, à portée des belles sources, des oppida se sont postés, dont quelques-uns sont devenus des villes.

Nous avons parlé de Cahors. Que d'autres il faudrait citer ! Du haut de son roc de texture marmoréenne, Angoulême voit sourdre à ses pieds dans les prairies des eaux magnifiques. Si l'on ajoute à ces ressources locales l'antique industrie du fer, née facilement du minerai épars à la surface du sol, on voit de quel précieux concours de conditions réunies sur place disposaient ici les sociétés naissantes.

Elles ont grandi en harmonie avec le sol. L'anthropologie croit démêler dans les habitants actuels des traits de survivance conformes aux plus anciens spécimens qu'aient exhumés les fouilles. Il n'est pas douteux cependant que des peuples très divers ne soient venus à des dates très inégales se mêler aux premiers occupants. Mais tous ont subi l'ascendant du sol sur lequel ils se sont établis. Ils ont cultivé, campé, vécu comme on avait fait avant eux. L'originalité de cette civilisation locale est restée inscrite sur la pierre, avec la durée que celle-ci imprime aux œuvres de l'homme. Les anciens cadres politiques mêmes se sont maintenus en grande partie. Les noms principaux des groupes établis avant l'époque romaine, Quercy, Périgord, Saintonge, ont persisté, comme il arrive là où les rapporta locaux n'ont guère été modifiés par les influences extérieures.

 

CHAPITRE II. — LA VIE MARITIME DU SUD-OUEST.

CES bandes calcaires se prolongent jusqu'à l'Océan. Comme les rides souterraines qui unissent le Limousin à la Vendée, comme les sillons de Bretagne, comme les accidents qui continuent à travers les plaines de la Garonne les Petites-Pyrénées, enfin comme les Pyrénées elles-mêmes, elles suivent la direction du Sud-Est au Nord-Ouest. Elles s'inclinent peu à peu, s'abaissent, gardent toutefois assez de hauteur pour se terminer en plateaux, au point où elles sont coupées transversalement par l'Océan. De hauts clochers de pierre blanche émergent, quelques-uns visibles de loin dans la mer. Le promontoire jurassique de l'Aunis s'avance comme un éperon entre les marais poitevins et la Petite Flandre charentaise, et a son prolongement dans l'île de Ré. Celui de Saintonge, entre la Charente et la Gironde, oppose aux assauts de la mer de dures parois de craie, que le flot ronge pourtant, et il a aussi son prolongement insulaire. Entre les zones plus tendres, que l'affouillement a fait disparaître, ces barres de résistance sont l'ossature du littoral. C'est entre elles que, grains par grains, une pluie de fines particules argileuses se dépose, sous forme de ce limon bleuâtre appelé bri qui apparaît par plages immenses dans la mer de Saintonge. De nouvelles terres se construisent englobant d'anciennes îles, envasant les baies. Cependant le jeu des courants maintient libres certaines parties du littoral, où la permanence des établissements humains est relativement garantie et autour desquels a pu se fixer la vie maritime. Elle a toujours été active dans cet archipel des Pertuis, un des rares abris que l'orageux golfe de Biscaye laisse aux navires.

Brouage, dont Richelieu voulait faire le grand port de guerre français sur l'Océan, n'a pu se maintenir ; sa citadelle domine aujourd'hui solitaire un horizon de marais. Mais La Rochelle continue sa vie historique. Sur sa mer jaunie, baignant une campagne poudreuse, avec ses falaises blanches visibles de loin, La Rochelle surveillait l'entrée des pertuis, l'accès des îles. Les marais, qui entourent au Nord et au Sud le plateau, l'isolent dans une sorte de domaine naturel. C'était bien la place marquée pour une république commerçante. Cet assemblage de golfes, de détroits, d'îles, de marais offrait un ensemble de conditions propices à une combinaison politique. Elle n'aurait pas manqué sur les rivages d'Italie ou de Grèce. L'importance historique de La Rochelle ne tient pas seulement au site local, mais à la disposition d'un littoral de plus en plus affranchi des attractions intérieures et projeté vers la mer. Les articulations insulaires qui continuent les plateaux de l'Aunis et de la Saintonge n'en sont pas un prolongement affaibli. La vie, au contraire, s'y concentre ; la population s'y accumule en densité plus forte que sur le continent. Ré, Marans, et d'autres îlots aujourd'hui empâtés dans les alluvions, gravitent immédiatement autour de La Rochelle. Les appendices insulaires et péninsulaires de la Saintonge, Oléron, Arvert, Marennes formaient l'ancien colloque des îles. C'est par ces pays que cheminèrent dans ces régions les commencements de la Réforme. Asiles tour à tour et foyers de propagande, ces fies jouèrent vers le milieu du XVIe siècle un rôle que les mémoires de Bernard Palissy permettent d'entrevoir.

Le passé est très vivant dans la physionomie de La Rochelle. Ce petit port, jalousement enfermé entre deux grosses tours, a l'air d'attendre encore une attaque. Ces longues et basses arcades semblent prêtes à recevoir l'étalage de marchandises. Jusque dans cet Hôtel de Ville dont la façade sévère dérobe une cour pleine d'élégance, respire le contraste d'un passé guerrier dans une nature d'abondance et de grâce paisible. C'est l'histoire plus que la géographie qui a trahi La Rochelle. Comme d'autres villes de notre littoral océanique, elle est morte de notre rôle manqué par delà l'Océan. Le Canada avait été surtout l'œuvre d'un Saintongeais. Le continent américain parut ouvrir des perspectives illimitées. La Saintonge fut, avec la Normandie, l'une des deux provinces d'où partirent les efforts les plus sérieux pour assurer à la France un rôle dans les destinées du continent américain. Ailleurs ce fut surtout le commerce des fies qu'on exploita ; d'ici on chercha à prendre pied sur le continent. L'Afrique nous rendra-t-elle l'équivalent de ce passé perdu ?

Le magnifique estuaire dans lequel s'achève la Gironde a été de longue date préparé par des oscillations dans le domaine respectif de la terre et de la mer. A diverses reprises, pendant l'époque tertiaire, des transgressions marines ont succédé à des périodes d'émersion pendant lesquelles les eaux courantes avaient déjà façonné la première esquisse des vallées actuelles. Vers le milieu des temps tertiaires les empiétements de l'Océan atteignirent leur maximum d'extension. Un golfe, dirigé dans le même sens que les grandes lignes de structure qui sillonnent l'Ouest et le Sud-Ouest de la France, entailla profondément les plaines d'Aquitaine. C'est lui qui déposa dans les anfractuosités précédemment creusées par les eaux, ces calcaires[2] qui, soit dans les constructions, soit dans les cultures, influent profondément sur la physionomie du paysage girondin. Ils découpent, au nord-est de Bordeaux, les coteaux de Lormont ; ils couronnent les plateaux de l'Entre-deux-Mers ; ils se prolongent, visibles sur les flancs, parfois éventrés par les carrières, dans la vallée de la Garonne jusqu'au delà de Marmande, et dans celle de la Dordogne jusqu'au delà de Sainte-Foy-la-Grande. Aussitôt que parait cette formation ou qu'elle se rapproche de la surface, la contrée prend un aspect nouveau, monumental. Lorsque du pays de la brique et du Toulousain on se rapproche du Bordelais, on ressent quelque chose de l'impression qu'on éprouve en passant de Picardie ou de Champagne dans l'Île-de-France : les maisons s'élèvent, les monuments se multiplient.

D'une autre manière encore, les linéaments futurs de la contrée ont été préparés par cet ancien golfe. L'allongement d'un bras de mer, s'avançant suivant les sillons déjà tracés, a engendré au profit de la Garonne les mêmes conséquences que, pour la Loire, la pénétration marine qui a répandu les faluns jusqu'en Touraine. Les rivières, attirées vers le niveau de base correspondant à l'extrémité supérieure de ces anciens golfes, convergent et semblent se donner le mot pour se réunir. De Bordeaux au confluent du Lot, et de Bordeaux à Coutras, dans un rayon qui ne dépasse guère 50 kilomètres, on compte six confluents importants de rivières. Un double faisceau fluvial vient se nouer ; et par la large embouchure qui est commune à la Garonne et à la Dordogne, la marée pénètre d'une part jusqu'à Langon, de l'autre jusqu'à Libourne.

Bordeaux est donc un emporium maritime. Mais c'est aussi un lieu de passage. Le site qu'il occupe est le dernier point de terre ferme qui s'offre en descendant la rive gauche du fleuve. Plus bas l'énorme élargissement de l'estuaire, les marais qui le bordent, forment barrière. Blaye, sur la rive droite, fut longtemps la dernière ville de France, comme elle est encore la dernière de langue d'oïl. Entre Saintonge et Médoc il y a comme une faille dans l'unité française ; hommes, costumes et maisons diffèrent comme le pays. Le site de Bordeaux permet de tourner en partie l'obstacle. Les routes du Périgord et du Poitou s'y croisent sans trop de peine avec celles de la Garonne et des Pyrénées.

C'est un point attractif. De l'Agenais et du Périgord, le Lot, le Dropt, la Garonne, la Dordogne, l'Isle, la Dronne font confluer les produits de leurs bois, de leurs vignes, de leurs arbres fruitiers. Vers Saint-Macaire sur la Garonne, ou, sur l'autre mer, vers Castillon et Libourne commençait la zone d'ancienne clientèle bordelaise, la rangée de villes filleules de la puissante commune. Cependant l'aire continentale qui gravite autour de l'emporium est restreinte. La navigation fluviale ne remonte pas haut. Il n'y eut jamais ce puissant réseau de navigation intérieure qui se noue à Paris ou à Rouen, qui brasse et mêle profondément la vie d'un large bassin.

Il semble que Bordeaux ait toujours conservé quelque chose de ce qu'il fut à l'origine, une colonie. Un essaim de Gaulois Bituriges était venu occuper cet emplacement privilégié en plein pays aquitain. Ce fut dès l'antiquité romaine un endroit où l'on accourt de très loin pour faire le commerce. On a remarqué avec raison que l'élément étranger eut toujours une grande importance dans le commerce de Bordeaux. Anglais, Écossais et Flamands, Juifs venus d'Espagne, Béarnais, Cévenols ou hommes du Massif central ont tour à tour, suivant les époques, ou simultanément, influé sur la vie économique de Bordeaux. Il faut ajouter, comme trait caractéristique, qu'ici la ville a transformé la campagne. Ce qui en fait la parure et le renom est un produit cultivé en vue du commerce maritime, depuis le temps de la domination anglaise. Il s'est développé à la façon de ces cultures d'exportation qu'une métropole cherche à introduire dans ses colonies. C'est pour le trafic d'outre-mer que les pampres s'allongent en longues règues ; comme c'était surtout pour les peuples du Nord que le sel était élaboré dans les marais de la Seudre et de la Charente.

Dès l'extrémité de l'estuaire de la Gironde commence une côte inhospitalière qui s'allonge, rectiligne, pendant 234 kilomètres vers le Sud. Elle n'a pas toujours été aussi dépourvue d'abri qu'elle l'est aujourd'hui ; des ports y ont eu une existence temporaire : celui de Vieux-Soulac près de la Pointe de Grave, un autre port au débouché de l'étang de Cazau[3], enfin Cap-Breton et Vieux-Boucau sur d'anciennes embouchures de l'Adour. Mais l'allongement incessant des dunes par l'apport des sables, qu'un courant littoral range du Nord au Sud, a successivement fait disparaître ces nids de pêche et de cabotage. A Bayonne seulement, la barre de collines qui borde la rive gauche de 1'Adour empêche le fleuve de divaguer davantage vers le Sud, et fixe le site d'un port. Là commence ce littoral basque, découpé et pittoresque, dont les rias et les ports naturels voyaient partir jadis, chaque automne, des équipages de hardis pêcheurs à la poursuite des baleines, qui ne cessèrent qu'au XVIIe siècle de fréquenter le golfe de Biscaye. Il y eut, dans ces ports dont la série s'étend de Bayonne à Bilbao, par Pasajes et Saint-Sébastien, un foyer de vie maritime auquel participaient Basques français et Basques espagnols. Point de guerre maritime, aux XIIIe et XIVe siècles, pour laquelle les services de ces marins ne fussent requis. Au XVe siècle, là fut la pépinière des plus entreprenants découvreurs de terres nouvelles.

Il est impossible, en rappelant ces souvenirs, d'échapper à une impression de regret. Cette vie maritime a décliné depuis le XVIe siècle. Au sud de la Gironde, la nature parait responsable de ce déclin ; la longue barrière de dunes par laquelle la mer et la terre semblent s'enfermer chacune dans leur domaine, en excluant l'homme, frappe de stérilité une grande partie du littoral. Cependant, même en dehors de cette section inhospitalière, la période florissante du XVIIIe siècle n'a pas été suivie de progrès tel qu'on eût pu l'attendre. Bordeaux n'a pas complètement recouvré les profits du commerce des îles ; La Rochelle n'a pas remplacé ses relations avec l'Amérique. Pendant ce temps, l'Ouest de l'Écosse et de l'Angleterre, Glasgow, Liverpool grandissaient dans des proportions inouïes. La géographie n'a rien à alléguer pour l'explication de tels faits ; elle ne peut que céder la parole à l'histoire.

Le Midi français a été uni par des ressemblances de civilisation, mais n'a jamais formé un tout politique. Cette infirmité est un fait historique, auquel la géographie ne parait pas étrangère. Entre le Midi méditerranéen et le Midi océanique les relations divergent ; mais il semble que les plaines de la Garonne, du moins, pouvaient devenir un domaine d'unité politique. Cela même n'a jamais paru en voie de se réaliser.

En fait, nous avons pu constater que les analogies bien des fois alléguées entre le Bassin parisien et ce qu'on a appelé le Bassin d'Aquitaine, sont plus apparentes que réelles. La région du Midi aquitain est sous la dépendance étroite d'une zone où les plissements ont été énergiques, les destructions énormes et répétées. Les sols qui constituent la surface sont en majeure partie formés d'éléments détritiques d'âges divers, provenant soit du Massif central, soit surtout des Pyrénées. Par la rapidité de leurs pentes, l'inégalité de leur régime, la masse de matériaux dont elles sont chargées, les rivières restent l'expression fidèle d'une contrée éprouvée par des accidents de date récente. L'évolution du réseau fluvial se montre peu avancée, surtout en Gascogne. Entre la Garonne et les Pyrénées s'étale un grand plateau de débris sur lequel un réseau d'affluents et sous-affluents n'a pas eu le temps de se combiner. Les rivières, indépendantes les unes des autres, s'y encaissent entre des coteaux rectilignes, qui opposent aux communications transversales une série sans cesse renaissante de rampes à gravir. Point d'affluents qui les relient ; et pendant longtemps point de routes qui établissent à travers ces plateaux découpés une circulation toujours assurée. A l'exception de la grande voie directrice qui, de la Méditerranée, gagne par un seuil bas la moyenne Garonne et suit dès lors les anciennes terrasses fluviatiles, il n'existe pas de liaison dont la continuité ne rencontre des obstacles. En dehors de la grande surface qu'elle possède en propre, la nature de landes revient çà et là, au nord du fleuve comme au pied des Pyrénées, sablonneuse, presque solitaire, vêtue d'ajoncs et de bois.

On s'explique que, malgré les dons variés qui font de cette contrée un des domaines les plus heureux pour l'homme, un de ceux où l'existence est abondante et facile, elle n'ait pas trouvé en elle-même les moyens de constituer une unité politique. Il y manque ce que les physiologistes appellent un point d'ossification ; en d'autres termes, un centre commun autour duquel les parties se coordonnent. Les attractions se divisent en foyers distincts. Quoique situées sur le même fleuve, Toulouse et Bordeaux ont vécu à part, chacune avec sa sphère d'action. Leur rôle a été aussi différent que l'est leur aspect. L'absence d'une vie commune se manifeste aussi, par exemple, dans les effets de la Réforme, très forts dans certaines parties du Midi aquitain, à peu près nuls en Gascogne.

Dans un espace bien plus restreint que celui qu'embrasse la France du Nord, le Midi présente des divisions plus tenaces. Des divisions telles que Neustrie et Austrasie, ne sont pas, comme l'indiquent leurs nombreuses variations, profondément imprimées dans la nature ; elles ne tiennent guère devant les courants généraux. Au contraire, les noms de Gascogne, Guyenne, Provence, répondent, surtout le premier, à des divisions invétérées et persistantes. La riche et plantureuse plaine du Sud-Ouest a certainement contribué à mêler les hommes, sans qu'on puisse dire cependant que les divers éléments qui composent le fond ethnique se soient entièrement confondus. Le Gascon, au sud de la Garonne, traduit encore par le nom de Gavaches des différences qui ne sont pas entièrement effacées.

 

 

 



[1] La caverne de Cromagnon est entaillée dans les roches des Eyzies, au confluent de la Vézère et de la Benne. (Voir Dict. topogr. du dép. de la Dordogne.)

[2] Calcaires à astéries (système oligocène).

[3] Ce port est celui que les anciennes cartes désignent sous le nom d'Anchise.