HISTOIRE DE FRANCE

TOME PREMIER. — TABLEAU DE LA GÉOGRAPHIE DE LA FRANCE.

DEUXIÈME PARTIE. — DESCRIPTION RÉGIONALE.

LIVRE IV. — LE MIDI.

 

II. — LE MIDI PYRÉNÉEN.

CHAPITRE PREMIER. — LES PYRÉNÉES.

CES cimes pyrénéennes dentelées qui, de Carcassonne à Orthez, bornent par un temps clair l'horizon, semblent de loin la plus

continue des barrières. Mais si l'on pénètre entre leurs replis, ce qui paraissait un mur se décompose en une série de zones se succédant en disposition longitudinale. Entre le Canigou, nourricier de la Vega roussillonnaise, et le Pic du Midi d'Ossau, dernière apparition des granits vers l'Ouest, se déroule tout un monde de chaînes calcaires et marmoréennes, interrompues ou suivies de bandes schisteuses et. granitiques ; puis de nouveau les Sierras calcaires recommencent, elles s'étendent en larges plateaux éventrés de cations ; et enfin, bien au delà vers le Sud, d'autres Sierras traversées en brèche par des rivières marquent vers la plaine de l'Èbre la fin des Pyrénées. C'est un espace de 140 kilomètres au moins, dans la partie centrale, que couvrent les Pyrénées ; et de cet ensemble le versant français ne représente guère plus d'un tiers.

A l'extrémité orientale seulement, la France pénètre plus avant, et là jusqu'au cœur même du monde pyrénéen. La grande zone granitique, ou zone centrale, qui s'étend depuis le Massif de Carlitte jusqu'à la Méditerranée, s'encadre entre nos vallées roussillonnaises. Brusquement tranchées par les effondrements qui ont étalé à leur base une plaine basse, les Pyrénées, qui viennent de culminer au Canigou[1], expirent en pleine force. Entre les deux régions que les fractures ont fait tomber en profondeur, le Roussillon et l'Ampurdan espagnol, la barrière se réduit au mince écran des Albères. Encore même, comme il arrive souvent dans les parties pareillement disloquées de la Grèce orientale, la continuité des chaînes est-elle atteinte. La route du Pertus franchit la frontière par 290 mètres d'altitude seulement.

Cependant il suffit de quelques heures, en remontant l'étroite et ébouleuse vallée par laquelle la Tet s'insinue au cœur de la chaîne, pour atteindre, à Montlouis, un de ces grands plateaux granitiques qui sont particuliers à la partie orientale et centrale des Pyrénées. C'est comme un socle large et élevé, sur lequel à droite et à gauche, se dressent des montagnes le surmontant d'un millier de mètres. Les glaciers n'y sont plus, mais aux échancrures demi-circulaires qui entaillent les cimes, à la multiplicité des vasques, des étangs, des petits lacs, leur ancienne présence se décèle. Ils ont sur le plateau granitique accumulé des moraines et entraîné des alluvions qui le recouvrent en partie et en amendent la stérilité. Sur ces dépôts meubles se sont établies des cultures, dont à défaut d'autres preuves on devinerait l'ancienneté à voir combien la forêt a presque partout disparu de ces hauteurs. D'étroites et sombres bandes de pins de montagne marquent çà et là sur les pentes les places qu'elle a pu encore conserver. Des bourgs formés de plusieurs hameaux, quelques-uns avec de vieilles fortifications, une ville, Puigcerda, bâtie sur une moraine dont le Sègre rase le pied, indiquent l'existence d'une sorte d'autonomie cantonale dont la frontière politique n'a pas tout à fait éliminé les traces. Et. de fait, lorsque les plaines de l'Ampurdan et du Roussillon étaient désolées par les invasions arabes, lorsque pendant plus de deux siècles elles servaient de champ de bataille aux Francs et aux infidèles, la Cerdagne échappait aux dévastations. La population de la plaine, au moment de la reconquête, fut entièrement renouvelée ; là-haut était un refuge où elle subsista avec ses usages, ses institutions, ses relations propres. De ces antiques usages tout ne s'est pas conservé. Rares sont les cantons qui, comme l'Andorre, ont pu par hasard garder une autonomie politique. Toutefois les différences entre Cerdagne et Roussillon, montagne et plaine, restent assez marquées pour faire saisir le contraste qu'une différence d'altitude d'un peu plus d'un millier de mètres peut introduire entre les destinées historiques de pays voisins.

Ces cantons montagneux se groupent surtout dans la zone où les hautes vallées confinent aux pâturages. Vers les sources de la Garonne, du Gave de Pau comme de l'Aude et de l'Ariège, s'étendent de larges espaces où moutons et bergers se rendent en été : pasquiers, pla, calms, estiba, noms dont la diversité même atteste la place qu'ils tiennent dans l'existence montagnarde. Les pâturages du Carlitte, où des milliers de moutons venaient chaque année, au XVIIIe siècle, de la vallée du Sègre, confinent à la Cerdagne et au Capcir ; ceux du Pla de Béret au Val d'Aran ; les estives voisines du Mont-Perdu communiquent avec le groupe des Vallées de Barèges. Des fêtes y réunissent à certaines dates les montagnards autour de quelque chapelle. Pour exploiter ces pâtis communaux il a fallu s'entendre, former entre les cantons limitrophes qui donnent accès à ces hauts lieux, des associations ou jurandes. Pour cela, la distinction entre versants n'a guère d'utilité pratique, car les pâturages s'étalent indifféremment des deux côtés. On ne sait à quelle date remontent ces traités de lies et passeries, qui étaient pratiqués au XVIe siècle entre nos vallées ariégeoises et le Val d'Aran espagnol, et ailleurs encore. C'étaient des conventions réputées valables même en temps de guerre, destinées à assurer la pratique régulière de l'économie montagnarde. Que parfois ces montagnards séparés entre Espagne et France, mais unis par des intérêts communs, s'entendissent entre eux, plus qu'avec les gens de la plaine, c'est une accusation souvent répétée dans les anciens écrits locaux : faut-il s'en étonner ?

Dans les Pyrénées comme dans les Alpes, les nécessités de la vie pastorale protestent souvent contre les séparations factices introduites par la politique s'inspirant d'une fausse géographie.

De ces hautes parties de la montagne, les rivières, surtout celles du versant septentrional, se précipitent par une série alternante de gorges et de bassins. Les ravins boisés par lesquels l'Aude descend du Capcir étaient naguère infranchissables. Les lacs étagés de la vallée d'Oo, la rue d'enfer de la vallée du Lys, les ravins entre Gavarnie et Gèdre, disent quelle est la raideur du versant français. L'humidité croissante du climat vers l'Ouest, la proximité de la plaine, la fréquence d'intercalations de roches diverses, tout conspire pour exagérer l'irrégularité du profil suivi par les rivières.

Mais ce n'était pas par les défilés sauvages où nos routes modernes ont eu tant de peine à se frayer passage, que ces pays communiquaient entre eux : c'était par les moyens traditionnels des pays de montagnes, par les sentiers qui suivent les hauteurs et que continuent à fréquenter le muletier ou le pâtre d'Aragon et de Navarre. Ces sentiers jouent dans la montagne un rôle plus grand qu'on ne pense ; car nos habitudes de plaines nous rendent trop dédaigneux de ce réseau créé par les montagnards à leur propre usage. Les ports ou passages sont nombreux, même dans la partie centrale. Il n'y en a pas moins d'une vingtaine entre le Conserans (vallée du Salat) et les hautes vallées aragonaises. Par ces voies la vie circule au plus épais de la montagne. Elle déborde même au dehors, car c'est par là qu'aux saisons propices les éleveurs atteignent les foires et marchés situés au contact de la plaine. Mais les relations les plus naturelles et les plus fréquentes sont entre hautes vallées sans distinction de versants. Le Capcir, voisin des sources de l'Aude, a des relations avec la Cerdagne aux sources du Sègre, plus qu'avec le cours inférieur de l'Aude. Celles de Gavarnie avec les hautes vallées aragonaises, quoique moins actives qu'autrefois, entretiennent encore un va-et-vient.

La façade, sillonnée de vallées profondes, que les Pyrénées tournent vers la France, descend en 30 ou 40 kilomètres au niveau de la plaine. A Foix (454 m.), à Tarbes (312 m.), à Pau (207 m.), la plaine entre en communication directe avec la montagne ; elle devient un Piémont au sens propre du mot. Généralement c'est par une muraille raide, de roche calcaire et marmoréenne, que s'annonce le bord de la chaîne. Les rivières la franchissent par des brèches. Cette ligne de contact entre la montagne et la plaine a été de bonne heure remarquée et recherchée par les hommes. Les traces de populations préhistoriques y sont nombreuses. A Bédeillac, près de Tarascon-sur-Ariège , au Mas d'Azil, à Izeste à l'entrée de la vallée d'Ossau, des cavernes gardent les traces de la présence et de l'activité de l'homme. Cette même lisière de la montagne est devenue une ligne urbaine. Des villes s'y sont établies pour opérer les transactions et pour tenir la clef des passages[2].

Comme au pied des Alpes, la possession des principales avenues transversales fut le pivot de la puissance politique. Le comté de Barcelone dut sa force à la possession des passages à travers les Pyrénées orientales. Le comte de Foix dominait, par le col de Puymorens, les sentiers par lesquels on se rendait au célèbre sanctuaire que signalent de loin ses roches rouges bizarrement découpées, Montsarrat de Catalogne. Au point où la vieille route romaine venue d'Espagne par le Somport rencontrait la première grande vallée, s'établit l'antique Beneharnum, Lescar, noyau du Béarn. Le royaume de Navarre grandit enfin des deux côtés du passage de Roncevaux, voie longtemps suivie à l'exclusion de toute autre par les pèlerins allant à Saint-Jacques de Compostelle.

De petits États pyrénéens naquirent, grandirent, disparurent. Il ne s'agit pas de ces cantons montagneux dont l'autonomie, quand par hasard elle subsiste, semble un oubli de l'histoire ; mais de véritables États politiques fondés sur une combinaison de la montagne et de la plaine. Parmi eux, celui qui a réalisé le plus pleinement son rôle historique, est le Béarn. On ne saurait imaginer de berceau plus propice que ce bassin du Gave où se sont succédé comme centres politiques Nay, Lescar, Morlaas, Pau. L'intensité des cultures, le rapprochement des villages, ce mélange sous un ciel gai et. varié de champs de maïs, d'îles de peupliers, de prairies et. d'eaux courantes, compose un tableau séduisant, dont le cadre est fermé au Sud par les chaînes neigeuses. Au Nord s'étendent les landes de Pontlong, pâtures d'hiver pour les montagnards des vallées d'Aspe et d'Ossau. Ainsi se scella naturellement, au point de passage, l'association de la montagne et de la plaine. Il fallut toutefois encore, pour que l'État fût solidement constitué, qu'il eût mis la main sur la partie de la vallée du Gave où réapparaissent les roches calcaires, propres à édifier châteaux et villes fortes. Ce point, marqué par Orthez, assure la domination des confluents. Ainsi se compléta le petit État féodal et guerrier, qui ne perdit pas sans regret, avec Henri IV, son autonomie dans l'unité française. Nul n'avait mieux réussi à incarner, du moins un instant, cette brillante civilisation du Midi pyrénéen, perle échappée au naufrage où sombra, dès le XIIIe siècle, la civilisation du reste du Midi.

 

CHAPITRE II. — LA PLAINE SUB-PYRÉNEENNE.

LA plaine où se déroule la Garonne, entre les Pyrénées et le Massif central, est plus ouverte, plus ample, taillée à plus grands traits que celles qu'étreignent les Alpes et les Cévennes. Cette région est bien aussi une dépression définie, d'un côté, par une zone de plissements récents, de l'autre, par la bordure d'un ancien massif. Mais un tel écartement s'introduit entre les deux lignes qui l'encadrent, qu'il en résulte un type de contrée fort différent de la vallée du Rhône. Sous le méridien de Carcassonne, il n'y avait guère que 50 kilomètres de distance entre les avant-chaînes pyrénéennes et la Montagne-Noire : la distance est près de cinq fois plus grande sous le méridien de Toulouse, entre les Petites-Pyrénées et les sombres lignes qui, au Nord de Brive, annoncent le Massif central. L'intervalle ne fait encore que s'accroître vers l'Ouest. Dans l'espace que circonscrivent les Pyrénées et les zones jurassiques et crétacées du flanc méridional du Massif, il y a eu place pour de vastes nappes lacustres qui s'y sont étendues pendant la période miocène. Lorsque du haut des coteaux de Moissac on embrasse le grand horizon de plaine où la Garonne et le Tarn mêlent leurs eaux, l'œil est attiré au Sud par la rangée uniforme et sombre des coteaux de la Lomagne. C'est la tranche des plateaux d'argile et de molasse qu'ont laissés après eux ces lacs. Ils s'étendent à l'est comme à l'ouest du fleuve ; et c'est leurs dépens qu'ont été découpées d'immenses plaines d'alluvions.

Les débris des Pyrénées et du Massif central se rencontrent dans ces plaines, comme s'y sont rencontrées les races : les Ibères aux affinités espagnoles et africaines, avec les populations dites celtiques, depuis longtemps en possession du Massif central.

La quantité d'alluvions arrachées aux Pyrénées est énorme. Ces amas détritiques s'amoncellent au débouché des principales vallées pyrénéennes en une série de plateaux. Souvent, à leur entrée en plaine, les rivières ont changé de place. Les eaux torrentielles, issues des glaciers d'autrefois, ont vagabondé avant de se fixer dans leur lit actuel. Le phénomène, fréquent au pied des Alpes, de vallées qui, ayant perdu leur rivière, sont devenues des vallées sèches, se présente nettement entre Lourdes et Tarbes.

D'énormes entailles ont été pratiquées par ces torrents dans le plateau de molasse qui constitue le sol de la plaine. L'Ariège à Pamiers, la Garonne à Muret, l'Adour à Tarbes couvrent de larges espaces sous leurs alluvions. On voit par les terrasses de galets et de graviers qui s'étagent au-dessus du niveau actuel de la vallée, le résultat de déplacements et creusements successifs, comme si on assistait aux spasmes de l'action torrentielle d'autrefois. Ailleurs d'immenses dépôts de cailloux roulés, de sables et de limons occupent le milieu des vallées, séparant et rejetant sur les bords latéraux les rivières qui les sillonnent. L'Ariège et l'Hers, dans la plaine de Pamiers, maintiennent ainsi pendant longtemps leur cours à distance. Dans la vaste plaine que surmonte Montauban, un énorme amas de ce genre tient séparés pendant 30 kilomètres la Garonne et le Tarn. Des bois, surtout entre Montauban et Moissac, s'étendent sur ces graviers. De brusques inondations rappellent de temps en temps les débâcles qui ont laissé ces traces. Il suffit de quelques heures, comme il est arrivé le 23 juin 1875, pour qu'un flot furieux arrive des Pyrénées à Toulouse, et de cinq jours pour que le même fleuve, après avoir monté de 9 mètres, revienne à son ancien niveau.

Mal fixée dans l'encadrement de mamelons argileux qui la bordent, la Garonne a largement rongé ces terrains mous. Ce n'est que dans l'Agenais, quand elle rencontre la masse plus résistante des calcaires dont les blanches corniches surmontent les coteaux, que sa vallée, sans cesser d'être ample, se réduit à des dimensions moins démesurées.

L'homme ne s'avance que timidement jusqu'aux bords de telles rivières. La partie basse de la vallée n'est peuplée que de maisonnettes en pisé et en briques, auxquelles un double cordon de cailloux roulés forme une sorte de ceinture. Les bourgs, les anciens villages, les villes sont établis sur les terrasses anciennes, ou au pied des coteaux marneux, attirés comme d'habitude par le contact de sols différents. Un promontoire découpé dans le plateau argileux a prêté à Montauban ses qualités défensives. Toulouse s'est appuyée à une rampe de collines, lambeau épargné par hasard par les déblaiements du fleuve. Le pays a sa livrée, fournie par les matériaux auxquels il est réduit. Les cailloux roulés hérissent le sol des rues. La brique règne dans les constructions. Elle s'élève à la dignité monumentale dans les tours des capitouls, les cloîtres, les anciens hôtels, les églises de Toulouse ou la cathédrale d'Albi. Mais Toulouse, malgré sa position sur un fleuve, est une ville toute terrienne, régnant sur une grande région agricole.

Le travail des eaux, dont nous venons de parler, a été facilité par la consistance relativement molle du substratum qu'elles ont entamé. C'est un dépôt de marnes et de molasses (d'âge miocène), d'origine lacustre ou fluviatile, qui occupe toute la partie centrale du bassin de la Garonne. Au nord comme au sud du fleuve, on voit, dès que le Tarn, le Lot, la Dordogne entrent dans cette formation, leurs vallées s'élargir. Le Haut-Armagnac, la Lomagne, le Lauragais, le Bas-Quercy sont constitués par les lobes allongés que dessinent ces plateaux dans l'intervalle des rivières. Le relief engendré par l'érosion dans ce sol marneux est un mamelonnement dont les contours mous et arrondis se succèdent sur un plan très légèrement incliné. Dans les parties déprimées, s'enfoncent entre des rangées de saules des ruisseaux à l'eau louche, moins semblables à des rivières qu'à des fossés agricoles. Le sol, imperméable, est avare de sources ; mais les pluies n'étant pas rares, des mares verdâtres sont l'accompagnement ordinaire des métairies ou bordes.

C'est par excellence le vieux sol nourricier de la contrée. Les marnes ont par leur désagrégation formé ce qu'on appelle des terres fortes, terres à blé qui depuis plus de deux mille ans ne cessent pas de porter des moissons. Les champs dominent dans la physionomie ; ils occupent les croupes, descendent les pentes, parfois interrompus par de petits bois en taillis. Les arbres, surtout sous la forme bizarre de chênes étêtés, se montrent çà et là, mais tout est subordonné au champ qui, suivant les saisons, se dore de moissons de blé, fait scintiller les tiges de maïs, ou s'éteint dans la poudreuse rousseur des chaumes. La fertilité agricole se traduit ici tout autrement que sur les plaines limoneuses du Nord. Des lopins de bois, des parcelles de vigne, un bout de pré, des arbres fruitiers diversifient le paysage. Tout est plus varié, mais à plus petite échelle. L'aisance d'un terroir fertile sur lequel un climat heureux permet de recueillir des produits très divers dans un petit espace, réunit autour de chaque borde un peu de tout ce qui est nécessaire à l'existence rurale. Ces bordes, situées de préférence au sommet des croupes, se disséminent à trois ou quatre cents mètres les unes des autres, sur tout le pays. La volaille et les porcs s'ébattent à leurs environs. Nulle part on ne voit entre elles ces espaces vides qui sur les plateaux agricoles du Nord s'interposent entre les groupes ; mais les constructions sont le plus souvent mesquines et chétives. En général, les gros villages sont rares. Rares aussi les châteaux. C'est la métairie qui est le type fondamental de peuplement du pays, celui qui répond le mieux aux conditions d'existence.

Cette dissémination de vie rurale s'est manifestée et maintenue surtout dans les parties de la région où les marnes et argiles, plutôt que les calcaires, constituent le sol. Sous les pluies de l'hiver et du printemps, ces terres fortes donnent lieu à des sentiers boueux aux ornières profondes. Longtemps la circulation y a été difficile. Il faut l'effort vigoureux des grands bœufs gascons pour venir à bout des charrois et des labours. Aussi chacun de ces petits domaines ruraux, mal pourvu de communications, aspirait à se suffire à lui-même. Telle est encore l'impression que donnent certaines régions du plateau, restées plus longtemps à l'écart des belles routes modernes : le Haut-Armagnac, par exemple, ou sur les confins du Béarn, la Chalosse, avec ses tertres, ses fossés et ses haies d'arbres, derrière lesquels chaque métairie semble se retrancher.

La différence d'habitudes et de genre de vie est profonde entre le Pyrénéen et le paysan de la plaine. Chez le premier l'agriculture est restée à demi pastorale. Il conserve autour de ses champs de grands espaces d'ajoncs et de fougères, — ce qu'on appelle des toues en Béarn, — qui servent de pâture aux moutons. Il continue à pratiquer la transhumance à grande distance ; on voit encore des troupeaux de moutons, partis des hautes régions de la montagne, s'avancer jusqu'aux landes qui sont au nord de Pau. L'homme des vallées pyrénéennes est surtout un pasteur ; tel chez lui, tel aux Amériques, quand il y émigre. On pense volontiers, en voyant la pauvreté de ses instruments de culture, à la belle indignation qu'exprime Bernard Palissy[3]. Aux travaux de labourage le Pyrénéen préfère la vie de déplacement, que lui font ses troupeaux, ses foires, ses changements périodiques.

C'est au contraire une âme de laboureur qui s'est formée chez les paysans des terres fortes de la plaine. Mais la vie rurale s'est développée beaucoup mieux que la vie urbaine. Celle-ci, malgré le renfort artificiel qu'elle reçut au Moyen âge des fondations de bastides, est restée subordonnée. La plupart des villes, dans ce pays d'abondance et de vie facile, tirent leur existence du milieu immédiat. Elles sont les marchés agricoles, et les centres de transactions où se débattent, avec l'aide des hommes de loi qui pullulent, les intérêts ou les griefs des habitants d'alentour.

 

 

 



[1] Canigou, 2.785 mètres.

[2] Foix, Saint-Girons, Lourdes, etc.

[3] Recepte véritable, 1563 : Je ne pouvais regarder les laboureurs sans me cholérer en moy-mesme en voyant la lourdeté de leurs ferrements (éd. An. France, Paris, Charavay, 1880, p. 117).