MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

APRÈS 1836.

 

 

Les années succédant à celle de 1836, ou à la mort de Madame Mère, sont fatales à plusieurs des siens. — 1839 entraine la perte du cardinal Fesch, de la reine Caroline et de la princesse Charlotte Napoléon. — C'est, en 1844, l'ex-roi Joseph suivi de près, dans la tombe, par sa digne femme, la reine Julie. — 1848 amène une nouvelle révolution, le suffrage universel et l'avènement de Napoléon III au pouvoir. — 1851 marque une décision du chef de l'État relative à l'exhumation en Italie des cendres de S. A. I. Madame Letizia Bonaparte et de S. Ém. le cardinal Fesch, suivie de leur translation en Corse. — 1852 enfin décide les ordres donnés par l'empereur pour la conservation et l'entretien de la maison Bonaparte d'Ajaccio.

 

Les années qui suivent la mort de Madame Mère entraînent celle de plusieurs des siens. Les plus fidèles à sa mémoire y attachent leurs regrets et leurs souvenirs, mais combien d'autres l'ayant à peine connue, n'en montrent que de l'indifférence ou de l'oubli ? Ceux de ses enfants qui lui survivaient, ses plus proches parents, témoins au contraire de ses vertus, en retrouvent les preuves dans sa correspondance. Combien de ses lettres retracèrent la dignité de sa vie, le sentiment de son devoir, la bonté de son cœur, la rectitude de son jugement et la fermeté de son caractère !

Toutes ses facultés semblaient s'être assimilé les intentions suprêmes de Napoléon sur la sauvegarde, en France, des insignes de sa gloire. De là, pour Madame, l'idée fixe, rappelée par elle, jusqu'à son dernier soupir, la conservation inaliénable des armes de l'empereur, confiées à son proche parent le général duc de Padoue. Quant aux soins de son héritage maternel, Madame les confiait à son frère, le cardinal Fesch, et à son fils ainé, l'ex-roi Joseph.

Le portrait moral de Madame Mère se complète par cet exposé des dernières phases de sa longue existence.

Il serait permis d'en dire autant de son portrait physique, en rappelant l'impression produite sur de vrais artistes français, survenus à l'improviste devant son catafalque et admirant à découvert la pureté de cette noble figure immobile, mais paraissant ressuscitée sur son lit funéraire.

Cette image d'une vraie beauté sénile, survivant à la mort, a servi de modèle à un superbe camée, dont un spécimen m'a été adressé de Rome, en mémoire de Madame Mère, avec une mèche précieuse de ses cheveux châtains foncés unis à de rares cheveux blancs. Ce camée en coquille, sur fond brun, montre la figure de trois quarts, les yeux fermés ; la tête recouverte d'une coiffe légère et d'un voile de dentelle, repose à découvert, sur un oreiller ; une croix attachée au devant du cou descend sur la poitrine entourée d'une double mousseline.

Aussitôt après le décès de Son Altesse, la correspondance entre son frère le cardinal et son fils aîné, devint de plus en plus active. Les affaires de succession et le partage des biens de la famille entraînaient pour l'un et pour l'autre d'assez graves préoccupations et certains dissentiments. Je ne me hasarde point à en dire quelque chose, fussé-je bien renseigné, parce qu'il ne m'appartient pas d'intervenir dans les questions délicates de cette nature.

Il m'est possible, seulement, de mentionner divers objets, tels qu'un service de table en vermeil, un autre en argent et un riche collier de diamants, dont le partage devenait difficile par le décès des filles aînées de Madame.

Sa belle-fille, la reine Hortense, aimée d'elle, comme l'un de ses propres enfants, depuis leur entrevue des derniers adieux, à la Malmaison, la reine Hortense, accablée de ses chagrins, expirait le 5 octobre 1837, à Arenenberg, entre les bras de son fils Napoléon-Louis, survivant seul à son frère.

Dès la mort de l'empereur et plus encore, après celle de Madame Mère, l'ex-roi Joseph était considéré, par tous les siens, comme le chef de la famille. J'avais eu l'honneur, d'après une demande de sa part, à mon père, de rencontrer un jeune médecin en position de s'attacher au comte de Survilliers, pendant la prolongation de son séjour en Angleterre et pour l'accompagner dans son voyage de retour aux États-Unis.

C'était pour moi l'occasion de soumettre à l'aîné des fils de Son Altesse la notice que j'avais essayé d'écrire sur elle, après le voyage de Rome. J'hésitai d'abord et je cédai ensuite à l'encouragement paternel, pour adresser au comte de Survilliers la lettre suivante[1] :

Paris (fin de) mai 1838.

Monsieur le comte, Je prends la liberté de vous écrire, en vous priant de vouloir bien agréer un faible hommage de ma vénération pour la mémoire de Madame Mère.

Le bienveillant souvenir dont vous m'honorez, m'encourage à vous communiquer une notice, fort incomplète encore, mais que je pourrais développer plus tard, si elle obtenait, à présent, votre bienveillante approbation. Je regrette, et vous en demande pardon, de n'avoir pu recopier au net ce manuscrit, avant le départ de M. le docteur Clarke, qui aura l'honneur de vous le remettre en mains propres.

Veuillez, je vous prie, monsieur le comte, agréer, pour mon père et pour moi, l'expression de notre profond respect.

Docteur HIPPOLYTE LARREY.

Le comte de Survilliers voulut bien me répondre :

Londres, 20 juin 1838.

Monsieur Hippolyte Larrey, Le docteur Clarke m'a remis, avec votre lettre, l'essai qui l'accompagnait. Je l'ai lu, avec le plus juste et le plus tendre intérêt.

Je vous prie d'agréer ma reconnaissance et veuillez présenter à monsieur votre père le souvenir du bonheur avec lequel je me mets en rapport avec le passé, en pensant à un homme tel que lui. J'espère qu'il me conserve quelque estime et qu'il ne doute pas, plus que vous, Monsieur, des affectueux sentiments, avec lesquels je serai, toute ma vie, votre sincère ami, ainsi que le sien.

JOSEPH, Comte de Survilliers.

Une nouvelle lettre du prince, datée du 10 février 1840, m'honore de la même bienveillance et ajoute, en prévision d'un voyage à Londres :

... Je serai charmé de faire votre connaissance, et de répondre aux questions que vous jugerez devoir me faire sur un sujet aussi intéressant pour moi.

Le frère de Madame, Son Éminence le cardinal Fesch, ayant vécu, auprès d'elle, pendant de si longues années, semblait n'avoir pu prolonger seul son existence sur la terre. Il était mort à Rome, le 13 mai 1839, âgé de soixante-dix-huit ans et laissait un testament, dont voici une disposition[2] :

Je lègue 200.000 francs, pour la construction d'une église, dans l'aile sud du grand établissement que j'ai fait bâtir à Ajaccio. Je veux que mes cendres et celles de ma sœur reposent dans cette église, au milieu de mes chers concitoyens.

Le testament du cardinal fut annulé, pour longtemps, d'après une clause textuelle, inscrite par le chef de la famille (Joseph Bonaparte, comte de Survilliers), dans les termes suivants :

Tant que la loi d'exil sera en vigueur, je ne me crois pas obligé de faire construire une chapelle sépulcrale que les circonstances politiques pourraient rendre à jamais inutile.

Le fils aîné de Madame, en inscrivant cette clause, s'inspirait des nobles sentiments exprimés par sa mère, sur son propre rappel en France[3].

Le 19 mai 1839, six jours après le cardinal, la reine Caroline, la dernière fille de Madame, cessait de vivre. La plus grande douleur de son existence avait été le refus d'autorisation de revoir sa mère, en danger de mort.

Après la reine Caroline, succombait, à trente-quatre ans, la princesse Charlotte Napoléon, veuve du prince Louis, tué dans l'insurrection de la Romagne. Elle avait gagné le cœur de sa grand'mère qui l'aimait comme la plus jeune de ses filles.

Ici serait la place d'une lettre du comte de Survilliers au duc de Padoue, lui offrant, pour sa fille, un bracelet avec le camée de Madame Mère.

L'ancien roi de Hollande écrit de Florence, le 16 mars 1840, à son cousin le duc de Padoue, pour le prier de diriger, en son nom, l'affaire du monument qu'il désire élever dans l'église paroissiale de Saint-Leu, sur le cercueil de son père, transporté là, par ses soins, depuis quarante ans. Il rendait hommage à l'époux de la signora Letizia et au père du fondateur de sa dynastie[4].

Le comte de Survilliers, ayant obtenu, en 1841, du roi de Sardaigne, la permission d'habiter Gênes, fut autorisé ensuite par le grand-duc de Toscane, à résider à Florence. Il avait été privé par un refus officiel, de revoir sa mère, lorsqu'elle vivait encore et il tenait, du moins, à se rapprocher de son tombeau. Le roi Joseph est mort à Florence, le 28 juillet 1844, entre les bras de sa digne épouse la reine Julie, qui lui survécut seulement quelques mois[5].

Ainsi disparaissaient plusieurs des enfants de Madame qui, sans s'être fait illusion sur le présent, n'avait point désespéré de l'avenir. Moins de quatre ans après la mort de l'aîné de ses fils, les temps étaient bien changés, suivant sa prévision maternelle.

La révolution de 1848 ramenait sa famille en France, par la volonté nationale. Son petit-fils, le prince Louis-Napoléon, élu député dans plusieurs départements, arrivait à Paris. Il ne tarda pas à être appelé à la Présidence de la République et bientôt après, il fut proclamé empereur.

Cette année marque enfin un événement digne d'intérêt pour la mémoire de Madame Mère. Une décision du chef de l'État ordonnait l'exhumation des dépouilles de S. A. I. Madame Letizia Bonaparte et de Son Éminence le cardinal Fesch, la mère et l'oncle de Napoléon Ier.

L'accomplissement de cette mesure fut confié aux soins et à la direction de M. Gusman Serph, ancien secrétaire délégué du préfet d'Ajaccio et député de la Corse, qu'il représente encore à la Chambre. Le procès-verbal d'exhumation faite le 1er juillet 1851, par-devant le consul de France, à la résidence de Civita-Vecchia, indique Corneto, ville de sa correspondance consulaire, devant la commission municipale désignée, pour la translation à Ajaccio de ces dépouilles mortelles. Inutile de reproduire les détails de l'exhumation découvrant sur le cercueil en plomb, les armes impériales, surmontées d'une croix, avec les initiales L. R. B. (Letizia Ramolino Bonaparte) et au-dessous la simple inscription :

LETIZIA MATER NAPOLEONIS.

2 febbrajo 1836.

Un compte rendu de la double cérémonie a été fait par M. Gusman Serph, mon ancien et honoré collègue à la Chambre, et il m'a communiqué cette relation avec une parfaite obligeance.

La nouvelle sépulture, presque improvisée, en 1851, comme prise de possession, ne fut qu'une sépulture provisoire, pour réaliser les vœux de Madame et de son frère, d'être ensevelis à Ajaccio.

L'auteur allemand d'une histoire de la Corse, Gregorovius[6], sachant bien que la construction de cette double tombe était provisoire, a néanmoins raison de dire : Jamais, depuis que le monde existe, un cœur de mère n'avait pu battre avec plus d'orgueil que le cœur de la femme reposant ici. Elle a vu ses enfants arriver, l'un après l'autre, à l'apogée de la gloire humaine et elle les en vit précipités l'un après l'autre. Elle a payé sa dette au sort : En vérité, nul ne saurait commander à son émotion devant cette tombe.

Enfin, au commencement de 1857, d'après l'ordre de l'empereur, le ministre d'État prescrivit à l'architecte de la couronne de construire à Ajaccio la chapelle funéraire projetée par le cardinal Fesch, pour sa sœur et pour lui[7].

La sépulture provisoire se transformait en un double monument, placé dans une crypte circulaire, au-dessus du chœur, avec une entrée facilement accessible. L'autel est orné d'un Christ, de grande valeur, au point de vue artistique. Il avait été rapporté d'Italie, comme un trophée de victoire, par le général Bonaparte et offert par lui à sa mère qui en fit don à sa ville natale. L'église où cette chapelle est construite a la forme d'une croix latine. On remarque des plaques de marbre noir, sur lesquelles sont inscrits les noms des divers membres de la famille. Leurs corps sont ensevelis dans le caveau et forment l'entourage du tombeau de Madame Mère.

Un magnifique bloc de marbre noir surmonte le faîte de l'entrée de cette crypte et porte pour nouvelle inscription, en lettres d'or :

MARIA LETIZIA RAMOLINO BONAPARTE

MATER REGUM.

Une autre décision que celle relative à la tombe de Madame Mère, avait été prise et annoncée, dès la fin de 1854, par un journal de la Corse, dans les termes suivants[8] : Nous sommes heureux de pouvoir apprendre à nos lecteurs que des ordres ont été donnés par l'empereur, pour la restauration de la maison Bonaparte, à Ajaccio, et la construction de la chapelle funéraire qui doit recevoir les restes mortels de Madame Mère et de Son Éminence le cardinal Fesch.

Suit l'extrait d'une lettre du député Charles Abbatucci, annonçant au préfet que Sa Majesté avait fait inscrire, à cet effet, un crédit de deux cent mille francs sur sa liste civile.

Rien cependant n'était fait, lorsque deux ans après, c'est-à-dire en 1856, M. Jean de la Rocca écrivait[9], à propos du triste état dans lequel se trouvait la maison Bonaparte d'Ajaccio : Nous le disons avec regret, à la vue de ce bâtiment si riche en souvenirs touchants, l'âme s'attriste et comprime en elle-même un sentiment naturel d'indignation ! Quoi ! on construit, tous les jours, des palais éblouissants et féeriques, des châteaux dorés, des monuments gigantesques et on n'a pas encore songé à restaurer des masures pourtant précieuses à décorer, au moins modestement, ce lieu sacré, où le plus grand des héros embellissait par l'étude son jeune esprit dans le silence de son cabinet, qui n'a pour tout meuble, aujourd'hui que les quatre murs lézardés et un plancher vermoulu !...

Une occasion inattendue allait m'être offerte de visiter la maison Bonaparte. J'avais l'honneur, chaque année, depuis 1857, comme chirurgien de l'empereur, de raccompagner au camp de Châlons, lorsqu'un jour, en 1862, j'eus l'honneur de lui parler de mes recherches historiques sur Madame Mère. Sa Majesté voulut bien m'en exprimer sa satisfaction et en m'engageant à continuer ce travail, me permit d'espérer la communication de plusieurs lettres de sa grand'mère.

Je n'osai point, pendant longtemps rappeler, à Sa Majesté l'offre qu'elle avait daigné me faire. Mais, au commencement de 1869, j'appris avec une agréable surprise que l'empereur venait de me désigner pour accompagner S. M. l'impératrice et S. A. le prince impérial dans leur voyage prochain en Corse, pour le centenaire de la naissance de Napoléon. C'était m'assurer l'occasion la meilleure de voir sa maison natale et de recueillir de précieux documents sur Madame Mère.

Ce voyage a été le sujet d'une touchante relation de M. Paul d'Hormoy, ancien préfet. En voici un passage[10] :

... La partie la plus émouvante de la journée, dit l'auteur de cet article, a été la visite de la maison où naquit Napoléon et de la chapelle où reposent les restes de l'impératrice mère, du cardinal Fesch et de Charles-Lucien Bonaparte.

La maison est simple et modeste : Elle ouvre sur une petite ruelle que nos édiles modernes ne toléreraient pas. On entre et l'on parcourt, dans un silencieux recueillement, ces pièces et cette chambre où naquit le héros légendaire, fondateur de la dynastie impériale.

S. M. l'impératrice avait voulu entrer isolément dans cette pièce où figuraient, de chaque côté de la cheminée, les portraits de Charles et de Letizia Bonaparte. Elle plaça, entre eux, de ses propres mains, un petit buste du prince qui vint, à son tour, se recueillir auprès d'elle.

Ceux qui ont connu cette grande et austère figure de Madame Letizia, pleurent et les autres se rappellent cet émouvant tableau que Muller avait peint, d'après les indications du baron Larrey et qui produisit une si vive sensation, lorsqu'il parut à l'exposition, il y a quelques années.

La maison Bonaparte d'Ajaccio fut restaurée pour le centenaire du 15 août 1869, par les ordres de Napoléon III, qui fit rechercher, et remettre en place, autant que possible, les vieux meubles d'antan. On essaya de rétablir la maison entière dans les conditions où elle était à cette date historique. Il s'ensuit que chacun des objets représente ou rappelle un souvenir, sans qu'il soit à propos de renouveler une description d'ensemble déjà faite, maintes fois.

On voit, par exemple, le lit auprès duquel naquit Napoléon, dans une pièce du rez-de-chaussée, et au-dessus la chambre qu'il occupait, en venant à la maison paternelle passer les vacances. On a aussi retrouvé, parmi les meubles, une chaise à porteurs, qui servait à la signora Letizia, dans de longues promenades. Mais elle ne dut pas l'employer, pour rentrer chez elle, le jour mémorable du 15 août. La proximité de l'église lui avait permis d'en sortir assez vite, en retournant à sa demeure.

La maison Bonaparte a subi des épreuves de propriété, dont le comte de Casabianca, ancien sénateur de l'empire, a bien voulu me faire connaître l'exacte vérité par la note suivante[11] :

Note du comte de Casabianca sur la maison Bonaparte d'Ajaccio.

L'empereur Napoléon Ier avait acquis de ses frères et sœurs leurs droits de copropriété sur la maison d'Ajaccio, où il était né. L'idée lui vint d'en faire cadeau à sa nourrice Camille Ilari. Mais Madame Mère, consultée sur ce proj et, le désapprouva, en ajoutant que la maison Bonaparte, à défaut de ses enfants et descendants, ne pouvait être convenablement occupée que par M. André Ramolino, son cousin germain.

L'empereur répondit qu'il avait déjà donné à M. Ramolino le domaine le plus considérable de l'arrondissement d'Ajaccio, mais que, néanmoins, il consentait à lui céder aussi sa maison et le mobilier qui la garnissait, à la condition que sa nourrice aurait en échange la maison Ramolino et une soulte, à dire d'experts, en numéraire ou en immeubles. Il fut passé, entre toutes les parties et devant Me Raguideau, notaire à Paris, acte de ces conventions qui reçurent une exécution complète.

M. Ramolino décéda, en léguant toute sa fortune à M. Levié-Ramolino, son neveu. Celui-ci étant allé trouver le roi Joseph à Florence, lui abandonna, gratuitement, à sa prière, la maison Bonaparte et ne garda que le mobilier. La princesse Zénaïde, fille et unique héritière du roi Joseph, en fit hommage à l'empereur Napoléon III.

Quelque temps avant le voyage à Ajaccio de l'empereur et de l'impératrice, M. Fould, alors ministre d'État, offrit à M. Levié-Ramolino de lui acheter, pour le compte de la liste civile, l'ancien mobilier des Bonaparte. M. Ramolino fit observer (au ministre) que s'il n'avait exigé aucun prix pour la maison, à l'époque où la famille impériale était dans l'exil, il se croyait en droit, la dynastie de Napoléon Ier étant remontée sur le trône, de réclamer une indemnité proportionnée à ce que cette maison avait coûté à son oncle. Il demandait 50.000 francs pour la maison et 15.000 francs pour le mobilier. Il avait refusé de les céder pour 200.000 francs au comte Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie et ennemi personnel de Napoléon Ier. M. Fould ne donna aucune suite à cette proposition.

L'empereur, lorsqu'il visita la maison de ses pères, fut surpris de la trouver sans aucun meuble. On lui rapporta ce qui s'était passé entre M. Ach. Fould et M. Levié-Ramolino. Après s'être assuré de la réalité des faits exposés par celui-ci, l'empereur lui donna pleine et entière satisfaction et lui fit payer les 65.000 francs.

La maison Bonaparte, acquise par Napoléon III et transmise par succession au prince impérial, est heureusement devenue la propriété légale de l'impératrice Eugénie. Sa Majesté saura bien assurer la garde de cette demeure, digne de figurer, un jour, parmi les monuments historiques de la France, en mémoire de Napoléon et de sa mère.

La fatale guerre de 1870-71, suivie de la mort de l'empereur et du martyre du prince impérial, le double deuil enfin de l'infortunée impératrice, ne m'ont pas permis, pendant longtemps, de solliciter de Sa Majesté lés documents précieux que l'empereur m'avait fait espérer, autrefois. Je me décidai enfin à soumettre ma demande à l'impératrice qui eut l'extrême bonté de rechercher ces lettres, parmi les papiers de l'empereur, et de m'en faire parvenir la copie par M. Franceschini Piétri, son fidèle secrétaire, m'informant de cet envoi, en date du 25 juillet 1884[12]. Ces lettres de Madame Mère sont au nombre de neuf, dictées par elle-même : les cinq premières à sa fille aînée, la princesse Élisa, les quatre autres à son troisième fils, Lucien, prince de Canino. Elles se rapportent, avec les dates précises, aux années 1808, 1813, 1814, 1815 et 1821.

Cette collection spéciale jointe à toutes les lettres ou copies de lettres que j'ai pu recueillir de Madame Mère, auprès de divers membres de sa famille, dans des documents sur Napoléon, dans sa correspondance, garanties par leur origine, dans divers ouvrages, dans les archives de la Bibliothèque nationale, sur le registre du cardinal Fesch, et enfin dans quelques collections privées. Chacune de ces lettres a sa date précise et, en note, l'indication exacte de sa provenance. Je ne pouvais faire mieux, pour assurer à de longues et laborieuses recherches historiques, le caractère de notoriété nécessaire à toute œuvre de cette nature.

La tâche de publier cet ouvrage m'a été imposée par l'ensemble même de tous les documents recueillis à cet effet, par ma carrière dans l'armée, par les loisirs de ma retraite et mon éloignement de la clientèle civile, par les encouragements de mes amis, par les derniers conseils de mon père et enfin, pour lui comme pour moi, par la communauté de nos sentiments fidèles au passé.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Registre manuscrit de correspondance générale, t. Ier.

[2] Copie aux archives de la Bibliothèque nationale.

[3] Lettre de Madame Mère à M. Sapey.

[4] Le général Arrighi duc de Padoue, 1866.

[5] Notice préliminaire des Mémoires du roi Joseph, 1855.

[6] Voyage en Corse, traduit par Luciana (de Bastia), 1878.

[7] Le Constitutionnel du 17 septembre 1860.

[8] Journal de la Corse, 16 décembre 1854.

[9] La Corse et son avenir, 1856.

[10] Extrait du Constitutionnel du 3 février 1869.

[11] Note manuscrite sur la maison Bonaparte d'Ajaccio.

[12] Envoi des copies de lettres de Madame Mère, au nom de S. M. l'Impératrice Eugénie.