MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1816.

 

 

Le premier de l'an de l'exil de Sainte-Hélène à Rome. — Napoléon et sa mère. — Madame ne pouvant rejoindre son fils, lui offre tout ce qui lui reste en réserve. — Chaque jour augmente ses inquiétudes. — Le climat et les procédés de surveillance hostile. — Les lettres ouvertes ou décachetées. — La princesse Élisa demande en vain, comme sa mère, à se rendre auprès de l'exilé. — Pauline, trop malade pour songer à partir. — Rejet de semblable demande des fils de Madame. — Les premières nouvelles parvenues à Longwood. — Interception de toutes les lettres fermées. — Le comte de Las Cases éloigné de Sainte-Hélène. — Opinion de Napoléon sur sa Mère. — Ses entretiens sur elle. — Son portrait de ce temps-là, tracé par Tissot.

 

Le 1er janvier 1816, dès son réveil du jour de l'an, à Sainte-Hélène, Napoléon recevait avec attendrisse- ment les rares compagnons autorisés à le suivre en exil ; mais il s'affligeait de ne pouvoir plus embrasser aucun de ses proches. Il se faisait illusion, dans sa pensée confiante, et croyait revoir Marie-Louise qui l'avait abandonné, en le séparant, pour toujours, de leur fils, emmené de force en Autriche.

Napoléon retrouvait aussi, comme dans ses rêves, l'image effacée de Joséphine, semblant implorer, dans un douloureux sourire, le pardon du divorce.

Il cherchait en vain sa famille séparée de lui et sa sainte mère, réfugiée à Rome, où elle priait les hommes du pouvoir de la faire partir pour Sainte-Hélène, après avoir obtenu d'aller à l'île d'Elbe. Un refus inflexible et peut-être une sage raison la condamnaient à rester séparée de ce fils, désormais aussi grand par le malheur, qu'il avait pu l'être par la gloire. Sa mère lui vouait, dès lors, les préférences de sa tendresse, réservée par elle au plus à plaindre de ses enfants. Elle ne retrouvait plus, pour se consoler d'une telle séparation, que le souvenir de l'avènement de Napoléon au monde, de ses premiers pas en bas âge, de ses instincts guerriers, prélude juvénile de son esprit de conquête, appelé par sa maman, esprit de principauté. Mais elle retrouvait chez l'homme ce génie supérieur, qui avait glorifié les guerres de la république, en combattant les excès de la révolution, jusqu'à gouverner la France, en s'élevant sur le trône de la monarchie déchue et restaurée par la coalition étrangère.

Tels étaient, au 1er janvier 1816, les souvenirs de Madame à Rome, tandis que lui-même se rappelait, à Sainte-Hélène, tout ce qu'il devait de bien à la tendresse et au caractère, aux soins et aux vertus de cette mère, jugée par lui digne de toutes les vénérations.

Ainsi, dès les premiers jours de ce funeste exil, Napoléon proclama devant son entourage, pour le transmettre à l'histoire, sa dette de gratitude envers sa mère. Il n'avait pas oublié, jusque-là, l'élévation de son caractère, la justesse de son esprit et la bonté de son cœur. Mais il avait trop peu parlé d'elle, à l'époque de la prospérité, comme si les plus ares qualités chez la femme qui l'avait mis au monde, pouvaient être atténuées, encore moins effacées par de minimes défauts. Telle était la simplicité de ses goûts, de ses habitudes et en particulier, la pratique d'une parcimonie profitable à la fois à ses enfants et aux pauvres. On lui en faisait un reproche. N'avait-on pas critiqué les incorrections de son langage, méritant l'indulgence des esprits sérieux, loin de subir la risée des esprits frivoles ? Était-ce enfin, comme l'ont supposé des détracteurs de Napoléon, parce que l'éclat de ses exploits aurait reçu ombrage de l'humilité des vertus de sa mère ?

Peut-on admettre aussi que parvenu au faîte de la puissance et de la renommée, Napoléon ait prescrit d'effacer ou de détruire certains actes, des dates officielles, par exemple, comme celle de la naissance de la signora Letizia et beaucoup de lettres écrites ou dictées par elle ? Aucun document authentique n'en fournit la preuve et le captif de Sainte-Hélène n'y a jamais fait allusion.

Les compagnons de son exil, témoins de ses actes, auditeurs de ses paroles, confidents et interprètes de ses pensées, n'ont rien dit, rien écrit justifiant de telles allégations. Ceux qui pouvaient en répondre s'appelaient Bertrand, Gourgaud et Montholon, de Las Cases et Marchand, O'Meara et Antommarchi. Joignons à ces témoignages celui de Méneval, ancien secrétaire de Napoléon premier consul et empereur[1] : L'homme qui était le meilleur des pères ne pouvait être que bon fils. Napoléon a eu pour sa mère un attachement constant et respectueux. Sa tendresse pour elle était mêlée, en public, de déférence et de gravité. Il lui en avait donné une marque que cette femme vénérable prisait au-dessus de toutes les autres, en la nommant protectrice générale des établissements de charité. C'était une matrone romaine par l'aspect et aussi par l'élévation des sentiments. La prospérité ne l'avait pas plus éblouie que la mauvaise fortune ne l'avait abattue. On s'est plu à railler sa parcimonie ; mais ses enfants l'ont toujours trouvée prête à les secourir de sa fortune personnelle. Lorsque l'empereur était à Sainte-Hélène, elle lui transmit l'état général de sa fortune, en le priant de disposer de tout ce qui lui appartenait, ce que Napoléon n'accepta pas. Quelqu'un lui ayant représenté qu'elle se réduisait, par là, à l'indigence : Qu'importe, répondit-elle ; quand je n'aurai plus rien, je prendrai un bâton et j'irai demander l'aumône pour la mère de Napoléon.

Les faits historiques sont rares dans cette double vie d'exil, entre la mère et le fils, séparés l'un de l'autre, à la fatale distance de Rome à Sainte-Hélène. De précieux écrits pourtant rapprochent, par la pensée, Napoléon de sa mère, faute d'une correspondance suivie qu'il eût été si intéressant de connaître, mais elle a été interdite ou interceptée par la défiance ombrageuse du gouvernement anglais et par l'abus, de pouvoir du gardien de l'île meurtrière.

L'arrivée de Sir Hudson Lowe, le 14 avril 1816, à Sainte-Hélène, fut à la fois la menace et l'application de tous les maux infligés au prisonnier, disant, dès la première vue, de son geôlier : Cet homme me sera funeste ; la nature me prévient contre lui. Napoléon ne revint jamais, pendant toute la durée de son exil, sur cette première impression, et lorsque, plus tard, sa mère si inquiète de son sort, sut qu'il était au pouvoir d'Hudson Lowe, elle perdit toute espérance d'un changement de destinée. Le malheureux exilé attendait des nouvelles de sa famille et n'en recevait point.

Le 7 mai, M. Cortois de Pressigny, ambassadeur à Rome, écrit au duc de Richelieu, ministre des affaires étrangères[2] :

M. le marquis de Rivière m'ayant donné connaissance de quelques correspondances de Rome avec la Corse, dont on accusait Madame Letizia, j'ai adressé au cardinal Consalvi, secrétaire d'État, une note dans laquelle j'ai demandé des explications sur cette affaire. M. le cardinal a répondu par la note dont copie est ci-jointe. On y verra que le gouverne- ment pontifical promet de ne plus accorder un asile aux membres de la famille Bonaparte, si leur conduite peut, désormais, mériter la censure. D'après les informations particulières et secrètes que j'ai prises moi-même, cette correspondance de Madame Letizia avec la Corse me parait imaginaire. [Le cardinal Consalvi était allé faire part à Madame Mère de l'accusation portée contre elle et elle avait nié absolument qu'elle fût l'auteur des lettres incriminées.]

Quel avantage, aurait-elle dit, eût-elle pu trouver à soulever la Corse, en supposant que cela lui eût été possible ? Le seul résultat eût été de lui faire perdre le seul bien qui lui restât, le séjour tranquille dans cette capitale, où l'on ne- tolérerait pas ensuite son séjour.

Une fois enfin, c'était le 29 mai, Napoléon venait de rentrer dans son cabinet, pour y lire les journaux de France, jusqu'à la date du 5 mars. Pendant cette lecture, dit Las Cases[3], il m'a été remis, de la part du grand maréchal, pour l'empereur, une lettre venant de l'Europe. Je la lui ai remise, il l'a lue une fois, a soupiré, il l'a relue encore, l'a déchirée et jetée sous la table. Elle était arrivée ouverte ! Il s'est remis à sa lecture des journaux, puis s'interrompant tout à coup, après quelques minutes, il m'a dit : C'est de la pauvre Madame ; elle se porte bien et veut venir me joindre ! Et il s'est remis à lire. Ces nouvelles, les premières qui fussent parvenues à l'empereur sur sa famille, étaient de la main du cardinal Fesch et l'empereur se montrait visiblement blessé de les avoir reçues ouvertes.

Il devait regretter encore plus que la pauvre Madame, désignée ainsi par sa tristesse, n'eût pas été en état de lui écrire elle-même, de sa main affaiblie et tremblante. Il aurait brûlé sa lettre, sans la jeter sous la table. Quoi qu'il en fût, cette lettre ne paraît pas connue d'après le texte. Un nouvel historien de Marie-Louise[4] parle de ladite lettre, en ces termes : Le prisonnier lut cette lettre avec émotion, puis la brûla. Quant à l'oublieuse Marie-Louise, toujours le même silence.

La princesse Elisa fort affligée, avec toute la famille, de la situation douloureuse de son frère, lui écrivit de Bologne, qu'elle désirait, comme leur mère, venir à Sainte-Hélène et s'y exiler auprès de lui. Mais Napoléon, ayant ressenti, dès son arrivée, que le climat lui serait funeste, quoique l'on ait prétendu le contraire, témoigna formellement le désir que sa mère ne fît pas de nouvelles démarches, pour obtenir, à titre de faveur, de venir auprès de lui. Sa sœur Élisa eût été seule en état de supporter les fatigues du voyage et les influences du climat de Sainte-Hélène. Quant à Pauline, si dévouée qu'elle fût à son frère, elle était déjà trop malade, pour se résoudre à un pareil voyage, si la permission lui en eût été accordée.

De nouvelles lettres de Madame Mère, des deux princesses et du prince Lucien parviennent aussi à l'empereur, mais lui sont remises ouvertes, ainsi que les précédentes. Ces lettres d'ailleurs n'ont pas été publiées. Elles peuvent avoir été détruites ou brûlées par Napoléon lui-même, offensé des manœuvres de l'odieuse consigne de son geôlier. On ne peut supposer, sans preuve, que ces lettres, après avoir été décachetées par Hudson Lowe, ou par ses affidés, aient été copiées en secret.

Le cardinal écrit au comte de Saint-Leu à Lucques, en lui parlant au nom de Madame Mère, suivant son style collectif de nous[5] et ne précise rien de relatif ou de personnel à sa sœur.

Rome, 20 juillet.

Votre mère est ici, depuis deux jours. Elle est venue me voir et elle retourne, demain, à la Ruffinella.

Cette lettre m'est commune avec elle. Elle vous remercie d'avoir pensé à elle, en lui envoyant des denrées de Toscane et de Lucques. Elle ne les a pas encore reçues.

Une nouvelle lettre du cardinal est écrite, de la Ruffinella, sous la date de Rome, à mademoiselle Skelton, à Londres :

Rome, 22 août 1816.

Vous ne sauriez vous imaginer le bonheur qu'a apporté votre lettre à ma sœur et à moi. C'est la première fois que nous avons reçu des nouvelles de Longwood. Quelle demande pourrais-je vous faire sans craindre de vous être importun ! Vous-même vous pourriez connaître ce que vous pourriez dire de bien agréable à sa mère et à son oncle qui le chérissent de tout leur cœur.

Par cette lettre nous avons l'assurance qu'au 13 de mai il se portait bien. A-t-il reçu de nos nouvelles ? Pourrions-nous lui en faire parvenir ? Voudriez-vous avoir l'extrême complaisance de nous en donner, lorsque vous en recevrez de Sainte-Hélène ? Sauriez-vous nous indiquer ce que nous pourrions lui envoyer qui pût lui être agréable, et par quel canal, des livres ou toute autre chose ?

Le cardinal devait bien penser que, donner, le plus souvent possible, des nouvelles de Madame et de ses enfants au malheureux exilé, ce serait répondre à son désir. C'était parce que quelques-unes de ces lettres pouvaient être égarées ou détournées, qu'il fallait en écrire et en adresser plusieurs, sans les cacheter, et sans les compter, au nom personnel de Madame, éprouvant trop de difficultés à écrire elle-même.

Le général comte de Montholon, dans une protestation formelle adressée à sir Hudson Lowe et datée de Longwood, le 23 août 1816[6], dit, à propos des lettres interceptées de Madame Mère à son fils :

C'est le même esprit de haine qui a ordonné que l'empereur Napoléon ne puisse écrire ni recevoir aucune lettre, sans qu'elle soit ouverte et lue par les ministres anglais et les officiers de Sainte-Hélène ; on lui a, par là, interdit la possibilité de recevoir des nouvelles de sa mère, de sa femme, de son fils, de ses frères, de ses sœurs, et lorsque voulant se soustraire aux inconvénients de voir ses lettres lues par des officiers subalternes, il a voulu envoyer des lettres cachetées au prince régent, on a répondu qu'on ne pouvait se charger que de laisser passer des lettres ouvertes, suivant les instructions du ministère.

Dans l'un de ces entretiens familiers à Sainte-Hélène[7], Napoléon semble passer en revue les membres de sa famille, avec le souvenir de leurs qualités. Il trace en peu de mots, justes et vrais, la valeur exacte, le mérite propre ou les aptitudes spéciales de ses frères et sœurs, depuis l'aîné jusqu'au plus jeune, pour finir par ces paroles sublimes : ... Quant à ma mère, elle est digne de tous les genres de vénération... Ces paroles représentent l'épigraphe de l'ouvrage publié aujourd'hui.

Pendant ce temps et par un douloureux contraste, la réaction royaliste, dans son aveugle animosité, ne s'attaquait pas seulement à la personne de Napoléon et à chacun de ses proches. Le nom même de sa mère, si digne de toutes les vénérations, ne fut pas épargné, comme le méritait cette femme incomparable, par la dignité de sa vie entière. Telle est la pensée de tous les historiens de cette époque si troublée. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir un beau livre de Félix Wouters[8].

L'auteur du Mémorial ajoute dans une note de la citation précédente : Que l'empereur connaissait bien sa mère ! A mon retour en Europe, j'ai vu se vérifier, à la lettre, ce qu'il en dit ici, et j'en ai joui avec délices. A peine eus-je fait connaître à Madame Mère la situation de l'empereur, et ma résolution de me consacrer uniquement à y apporter quelque adoucissement, que sa réponse, par le retour du courrier, fut que toute sa fortune était à la disposition de son fils, qu'elle se réduirait à une simple servante, s'il le fallait, m'autorisant, bien que je n'en fusse pas connu personnellement, de tirer, dès l'instant même, telle somme que je croirais nécessaire au bien-être de l'empereur.

Le cardinal Fesch joignit ses offres, d'une manière tout aussi touchante ; et c'est ici le cas de faire connaître que tous les membres de la famille de l'empereur s'empressèrent de témoigner le même zèle, la même tendresse, le même dévouement. Tant que ma santé me permit de correspondre avec eux, j'ai reçu une foule de lettres dont l'ensemble formerait le recueil le plus touchant. Elles honorent leur cœur, et eussent pu être une douce consolation pour l'empereur, si les restrictions anglaises m'eussent permis de les faire parvenir jusqu'à lui. Retirée de son côté, à Rome, dans une retraite absolue, Madame n'en fut pas moins en butte à de méprisables soupçons. On allait jusqu'à J'accuser de semer l'or et de fomenter des troubles, en Corse, pour y provoquer une insurrection en faveur du captif de Sainte-Hélène. Je n'ai pas, redisait-elle, les trésors que l'on suppose, et si je les possédais, je les emploierais, non pas à fomenter des troubles en Corse, mais à armer une flotte pour enlever l'empereur de cette île maudite où la plus odieuse déloyauté le retient prisonnier.

Loin de conspirer à Rome, Madame Mère y a vécu longtemps de la vie de l'exil, qui use lentement et détruit une à une toutes les forces humaines, jusqu'à ce qu'une telle existence ne laisse plus d'espoir que dans la mort. Madame ne devait pas démentir, une seule fois, ce qu'elle n'avait cessé d'être, toute sa vie, pendant que Napoléon atteint des plus cruelles souffrances, reportait ses pensées vers sa mère.

Tissot commence une Histoire de Napoléon par le portrait suivant de cette mère incomparable[9] :

Relégué sur le rocher de Sainte-Hélène, et re- cueillant tous ses souvenirs, pour le siècle qu'il voulait occuper encore, pour la postérité qu'il regardait toujours avec une âme avide d'espérance, Napoléon a fait l'éloge de sa mère, Letizia Ramolino ; mais peut-être n'a-t-il point retracé avec assez de conviction et d'énergie l'influence que cette mère avait exercée sur lui, dès le berceau. Belle comme une statue antique, imposante, maîtresse d'elle-même, pleine d'ordre et d'économie, toujours occupée du soin de régir sa nombreuse famille, Madame Bonaparte était digne, à tous égards, du nom de la femme forte. Elle possédait encore le courage, la constance et d'autres qualités supérieures, qu'elle transmit à son fils. Mais ce ne sont pas là les seuls présents de la tendresse maternelle au futur empereur. En voyant chez lui tous les signes d'un caractère fougueux et passionné, que des résistances imprudentes ou un despotisme mal entendu pouvaient rendre indomptable, elle s'appliqua, de bonne heure, à le soumettre au joug d'une volonté inflexible, mais judicieuse ; l'enfant, rebelle à tous les autres pouvoirs, cédait, sans murmurer, à la sainte autorité de celle qui l'avait porté dans son sein, au milieu des périls d'une expédition militaire, comme s'il eût été dans la destinée du premier capitaine du siècle d'assister à des combats, pour la liberté, dès le ventre de sa mère. Le crédule et bon Plutarque n'aurait pas manqué de relever cette circonstance comme l'un de ces présages, dans lesquels la superstitieuse antiquité aimait à voir l'explication d'une destinée.

Cette Histoire de Napoléon, par Tissot, complète, dès la page 2, le portrait de sa mère, qu'il vient de tracer, en disant, à propos de son fils :

... Il avait pour guide une mère douée d'un esprit ferme, intrépide dans le danger, capable de supporter toutes les privations, ennemie de tout ce qui était bas, pleine de finesse sans fausseté, sévère, économe et prudente. Bonaparte, en prenant plaisir à faire l'éloge de sa, mère, n'a point assez dit, peut-être, tout ce qu'il devait à sa première institutrice...

... Madame Letizia Bonaparte, n'ayant pas joué de rôle, pendant la splendeur de l'empire, a, pour ainsi dire, enseveli ses hautes qualités dans le silence ; toutefois, les personnes admises dans son intimité ont reconnu en elle une femme supérieure et retrouvé la source de quelques-unes des grandes qualités de son fils.

Le comte de Las Cases, tout dévoué à l'auguste captif de Sainte-Hélène, fut dénoncé au gouverneur, le 25 novembre 1816, par un ancien domestique, sur lequel il croyait pouvoir compter et auquel il avait confié plusieurs lettres pour l'Europe, notamment pour Rome, à l'adresse de Madame. M. de Las Cases, arrêté aussitôt et séparé de l'empereur, fut éloigné de lui, à grande distance, avec son fils Emmanuel, pendant plus d'un mois, et obligé ensuite de quitter l'île pour se rendre au Cap.

Une lettre au prince Lucien, datée du 6 mars 1816, fut la cause déterminante de cette mesure rigoureuse et fit grand bruit. Voici cette lettre[10] :

Monseigneur,

Je viens de recevoir votre lettre de Rome, datée du 6 mars dernier. Je m'estime bien heureux que Votre Altesse ait daigné m'honorer de cette marque de son souvenir. Je m'efforcerai d'y répondre, en lui donnant, de temps à autre, pour toute sa famille un détail de tout ce qui concerne l'empereur, sa santé, ses occupations et les traitements qu'on lui fait éprouver. Je vous manderai surtout, monseigneur, les choses telles qu'elles se sont passées et telles qu'elles se trouveront, m'en reposant, sur Votre Altesse, pour déguiser, au besoin, au cœur toujours sensible d'une mère, ce qu'il pourrait y avoir de trop affligeant pour elle, etc.

Les Mémoires authentiques de Sainte-Hélène, faisant suite à la Correspondance[11] attestent maintes fois l'hommage rendu par Napoléon à sa mère.

 

 

 



[1] Napoléon et Marie-Louise, 1844, 3 vol., t. Ier, p. 449.

[2] Archives du Ministère ?

[3] Mémorial de Sainte-Hélène. Éd. illustrée de 1842, t. Ier, p. 605.

[4] Marie-Louise et le duc de Reichstadt. 1 vol. sur les Femmes des Tuileries, par le baron Imbert de Saint-Amand, 1886.

[5] Registre de correspondance du cardinal.

[6] La captivité. Suite de la correspondance de Napoléon Ier, t. XXII.

[7] Mémorial de Sainte-Hélène, par de Las Cases, 1842, t. II.

[8] Histoire de la famille Bonaparte depuis 1815, 2e édit., 1849.

[9] Histoire de Napoléon, par Tissot, de l'Académie française, 1833, t. Ier, p. 2 : Quelques observations.

[10] Mémorial de Sainte-Hélène. Éd. illustrée, 1842, t. II, p. 502.

[11] Extraits des récits de la captivité, suite de la Correspondance de Napoléon Ier, t. XXXII, éd. in-4°, 1869.