UN DRAME AUX TUILERIES SOUS LE SECOND EMPIRE

 

III. — L'ENFANT.

 

 

On s'amusa ferme, en cette saison d'hiver de l'année 1868, aux Tuileries, ainsi que dans les ministères, et dans le tourbillon de leurs joies, les familiers impériaux oublièrent vite l'apparition comme l'absence de lady Stuart, à la Cour.

L'Impératrice, toute à ses plaisirs, également, semblait ne point garder le souvenir de sa rivale et de la scène presque dramatique qui l'avait éloignée du château. Comme elle n'en parlait pas, comme elle feignait d'ignorer qu'un soir, en son palais, une femme avait osé la braver, nul ne se souciait de lui rappeler et cette femme et l'attitude qu'elle avait eue.

Cependant, l'oubli, la quiétude de la souveraine étaient tout de surface et, dans sa nature ardente, impressionnable, elle n'avait pu ainsi, tout d'un coup, perdre la mémoire d'un visage, d'un fait qui l'avaient cruellement frappée, qui avaient mis, un moment, comme une sorte de déroute, non en ses sentiments affectueux d'épouse — elle n'aimait point l'Empereur — mais en son orgueil de reine habituée à être crainte, à être servilement obéie, à voir le moindre ainsi que le plus extravagant de ses caprices, satisfait.

En effet, l'Impératrice pensait à lady Stuart, pensait surtout à l'enfant, au fils que la jeune femme avait eu de ses relations avec l'Empereur, et l'existence de ce fils, plus que l'amoureuse passion que la comtesse Ellen avait inspirée à Napoléon III, l'irritait.

En certaines heures et dans l'obsédante évocation d'une réalité qui l'encolérait, l'image de cet enfant se présentait à elle comme une vivante ironie opposée à sa propre maternité, comme une menace susceptible de surgir, dans un temps indéterminé, devant l'avenir déjà chancelant de son fils, devant cet avenir de la dynastie impériale que contribuaient à rendre problématique, en cette époque, les haines politiques violemment excitées, les clameurs sans cesse croissantes d'une opposition farouche, résolue dans ses attaques.

L'Impératrice n'aima jamais son mari. Elle n'aima point davantage son fils. En épousant l'Empereur, elle n'eut qu'un but — dominer, être la maîtresse absolue d'un homme comme d'un peuple, échanger sa vie aventureuse et son nom exotique, contre le nom retentissant d'un Bonaparte possesseur d'un trône, contre l'existence hautaine et toute de félicités mondaines, d'une reine. L'Impératrice avait l'âme et les sens neutres d'une courtisane de grande volée. Une vanité immense, un désir profond de plaisirs et de richesses, la guidèrent dans l'intrigue habilement, merveilleusement conduite de son mariage, et la firent inimitable dans l'art de séduire. En cherchant à protéger son fils contre toute parenté équivoque, irrégulière, en poursuivant férocement de son implacable hostilité toute paternité bâtarde, chez l'Empereur, la même vanité, le même désir de contentement personnel, et non la sollicitude sincère, l'attachement ému que les mères prodiguent à leurs enfants, l'animaient. Elle se garait autant elle-même des périls entrevus, en en préservant son fils et si elle eût été assurée qu'un frère clandestin du Prince Impérial, n'eût été pour elle d'aucune gêne, dans l'avenir, politiquement ou familialement, elle n'aurait pas hésité, dans le souci de sa quiétude présente, à rejeter de ses heures les préoccupations que l'incertitude l'obligeait à accepter.

L'Impératrice sut assez bien garder secrète l'anxiété que faisait naître en elle l'existence du fils de lady Stuart, durant le mois qui succéda à l'incident qui avait marqué la dernière venue de la jeune femme aux Tuileries. Mais cette anxiété, bientôt, sous l'influence de la pensée qui la tourmentait, se dessina et ce fut comme malgré elle qu'elle la laissa deviner.

Une après-midi, comme elle s'entretenait avec quelques-unes de ses familières, parmi lesquelles se trouvait la princesse Pauline de Metternich, elle rompit brusquement la conversation et prononça cette phrase effarante :

— Personne, ici, ne parle plus de cette Anglaise qui tenta de révolutionner les Tuileries, de lady Stuart. Qui de vous, mesdames, pourrait dire ce que cette femme est devenue ?

Il y eut un silence — un long silence.

Mais comme l'Impératrice témoignait de l'impatience pour obtenir une réponse à sa question, l'une des personnes présentes, Mme P..., osa parler.

— L'Impératrice est vraiment trop bonne de se souvenir de cette aventurière. Lady Stuart, m'a-t-on affirmé, vit fort retirée, dans le regret cruel, sans doute, d'avoir déplu à Votre Majesté.

La souveraine, peu satisfaite par cette explication vague, reprit :

— Elle a un enfant, un fils dont on ignore le père, n'est-ce pas, et qu'elle voudrait mettre au compte de l'Empereur. Plus qu'elle, cet enfant m'intéresse. Qu'en a-t-elle fait ? Où est-il ?

Ce fut la comtesse de M... qui, cette fois, répliqua :

— Elle s'en est débarrassée, paraît-il. Le petit est en nourrice loin de Paris, et les propos que lady Stuart essaie d'accréditer, à son sujet, sont trop ridicules pour qu'on les recueille même.

La souveraine se tourna vers Mme de M...

— Je ne suis pas de votre avis, fit-elle, sévère, et sa voix ordinairement rude, prit un accent plus rude encore. Des propos de ce genre, tout sots qu'ils soient, trouvent toujours plus de sots qu'il n'en faut pour les écouter et pour y ajouter foi.

La princesse de Metternich qui, jusqu'alors, était demeurée étrangère à la causerie, s'avança.

— Dans mon pays, déclara-t-elle, de pareilles histoires ne troubleraient pas tant le cœur et l'esprit de ceux qu'elles chercheraient à atteindre. On supprimerait, simplement et sans tapage, la cause qui la ferait naître et tout serait dit.

Cette femme — Mme la princesse de Metternich — cette rousse autrichienne, conseillait froidement de commettre un crime, comme elle eût conseillé de se rendre à une partie de campagne. Quoique la frivolité, quoique l'inconscience fussent grandes chez celles qui l'entendaient, elles comprirent sa pensée et dans l'instinctive pitié féminine qui les agitait, elles frémirent, attendant, angoissées, la réponse de l'Impératrice.

La souveraine, devant les paroles abominables de Mme de Metternich, n'avait eu aucun tressaillement.

Un glacial sourire courut sur ses lèvres et elle murmura, répétant le mot qu'elle avait déjà prononcé, lorsque l'on avait prêté une impériale maternité à Marguerite Bellengé :

— Je ne permettrai jamais qu'on élève, en face du Prince Impérial, un bâtard vrai ou supposé. Par tous les moyens en mon pouvoir, vous pouvez être convaincues que je saurais en débarrasser mon fils.

En s'exprimant ainsi, l'Impératrice venait de formuler un arrêt, évidemment, contre l'innocent petit être dont il était question et comme on la savait capable des pires résolutions, lorsque dans l'obstination de son cerveau, elle s'arrêtait sur une idée fixe, les femmes qui l'entouraient furent effrayées de la dureté de ses paroles. Une même appréhension les saisit : l'Impératrice venait de condamner à disparaître, le fils de lady Stuart. Quelles seraient les conséquences, la nature réelles de cette condamnation ?

En continuant cet entretien, la souveraine eût peut-être été amenée à satisfaire l'anxieuse et intime interrogation de ses familières. Mais elle abandonna le sujet qui semblait l'intéresser et, se faisant rieuse avec autant d'aisance qu'elle s'était faite grave, elle mit fin, en apparence, à ses préoccupations.

Un fait, brutal, vint encore, quelques semaines après cet échange de phrases menaçantes, augmenter l'irritation de l'Impératrice.

Après la scène qui avait eu lieu, aux Tuileries, entre elle et lady Stuart, la souveraine avait pu croire, s'était même imaginé que l'Empereur, dans un sentiment de prudence personnelle ainsi que dans le souci de la dignité de son ménage, cesserait toute relation avec sa maîtresse.

Comme, à ce propos, nul ne l'avait informée, elle s'était renseignée, elle avait chargé l'une de ses familières d'établir une enquête autour de l'Empereur et elle n'avait pas tardé à apprendre que non seulement Napoléon III n'avait point rompu son intimité avec la comtesse Ellen, mais qu'il la voyait plus souvent et plus librement qu'au temps où elle se montrait à la Cour.

Une violente colère s'était emparée d'elle, alors, et rapprochant la ténacité que mettait l'Empereur, dans sa passion, de l'existence de l'enfant — de cette existence qui l'affolait — elle décida de creuser un abîme entre lady Stuart et son amant, de la séparer, irrémédiablement, de celui qui paraissait s'attarder dans son affection plus que dans les caresses de toutes les femmes qui l'avaient précédée.

Comme les reproches qu'elle avait déjà adressés à l'Empereur relativement à sa liaison, n'avaient été d'aucun effet, elle ne pouvait songer à les renouveler et si elle souhaitait de réussir en son entreprise, il lui fallait désormais employer des moyens plus pratiques. Ces moyens s'offraient d'eux-mêmes. Afin d'amener une rupture entre Napoléon III et lady Stuart, il devenait nécessaire, non plus de soumettre le souverain à l'ennui de tracasseries plus ou moins efficaces, plus ou moins habiles, en effet, mais de frapper, sans pitié, la femme qui l'accaparait.

Cette femme, par elle-même, par sa nationalité, par la situation qu'elle occupait, mondainement, était en dehors de toute attaque, de toute querelle directes, et elle échappait à un acte arbitraire qui n'eût pas été sanctionné par l'autorité de l'Empereur.

Les paroles insinuantes, perfides, de Mme de Metternich étaient dans les oreilles de l'Impératrice et plus elle se les rappelait, plus elle se persuadait qu'elles renfermaient l'indication utile et unique qui la conduirait à la réalisation de son désir.

L'enfant de l'Anglaise, sinon supprimé, du moins disparu, une crise surgirait entre les deux amants et emporterait, dans une déroute de leur tranquille affection, de leurs sentiments soudainement bouleversés, l'intimité qui les unissait. Le même effort, le même coup d'audace, rendrait à l'Empereur son indépendance morale et délivrerait le Prince Impérial d'un futur et probable péril.

L'Impératrice mit de l'arrangement dans ses réflexions et lorsque sa résolution fut bien établie, en son esprit, elle en provoqua l'exécution.

 

Pendant que la souveraine se faisait ainsi tourmenteuse et tracassière, lady Stuart demeurait ignorante des dangers qui la menaçaient et vivait dans la joie de la passion que ne cessait de lui témoigner l'Empereur, dans l'orgueil, surtout, du pouvoir occulte qu'elle exerçait sur les mondanités des Tuileries, à la faveur de cette passion.

Sa quiétude devait être tragiquement interrompue.

La jeune femme se rendait, tous les mois, à peu près, à La Verrière, pour y voir son fils. On était, alors, au commencement de l'année 1869 et l'enfant, âgé, d'environ six mois, avait des grâces maladroites et charmantes de jeune chat qui réjouissaient et amusaient sa mère.

Vers la fin de janvier, une après-midi, lady Stuart en se présentant au domicile des braves gens qui avaient la garde du petit garçon, fut très surprise de trouver la maison fermée, presque abandonnée.

La crainte instinctive d'un malheur la saisit, devant cette solitude ; mais comme le soleil d'hiver brillait, ce jour-là, elle se rassura, se dit que l'absence des nourriciers était explicable, qu'ils avaient, sans doute, voulu bénéficier du beau temps, dans une promenade, et qu'ils ne tarderaient pas à reparaître.

Afin de les attendre, sans trop d'ennui, elle sortit du village et s'engagea dans les bois qui entourent le pays.

Lorsqu'elle revint à son point de départ, la maison n'était plus vide, en effet, et elle y entra.

En apercevant lady Stuart l'homme et la femme qui la recevaient habituellement, avec empressement, se levèrent et une sorte d'étonnement passa dans leurs regards.

La comtesse Ellen, sans prendre garde à cet accueil, sans le remarquer même, les salua gentiment, familièrement et comme elle en avait coutume, chaque fois qu'elle venait là, fit suivre son salut de cette question :

— Eh bien, nourrice, comment va Jack ? Apportez-le-moi vite.

A ces mots, toujours, succédait l'apparition de l'enfant dont la jeune femme s'emparait et qu'elle caressait longuement, presque fiévreusement.

Mais en les entendant, cette après-midi-là, les nourriciers eurent un sursaut, éprouvèrent de la stupeur.

Comme ils restaient immobiles, muets, lady Stuart qui rangeait son manteau sur un siège et qui s'apprêtait à offrir quelques menus cadeaux, se retourna. L'embarras de leur attitude, l'hébétement qui les paralysait, la frappèrent soudain. Elle eut un pressentiment affreux, elle bondit vers eux.

— Ne m'avez-vous pas entendue ?... Allez me chercher mon fils. La femme se décida enfin à parler.

— Nous vous avons bien entendue, madame... La comtesse Ellen pâlissait.

— Eh bien ?

Au lieu de répondre, les nourriciers eurent un geste indéfinissable.

— Eh bien, reprit la jeune femme, faites ce que je dis. Un murmure monta dans la chambre :

— C'est que...

Alors lady Stuart éclata :

— Que se passe-t-il ici ?... Jack, mon fils, qu'en avez-vous fait ?... Je veux le voir... je veux...

Des mots se perdirent sur ses lèvres, et comme on se taisait devant son impérieux commandement ; devant son anxieuse interrogation, elle comprit que quelque chose de terrible avait eu lieu, dans cette demeure, depuis sa dernière visite, et allait lui être révélé.

— Jack... Jack... cria-t-elle, mon enfant... mon pauvre petit...

Puis se tournant vers les nourriciers effarés et mettant, dans une phrase, toute la pensée d'épouvante qui la troublait :

— Ah, malheureux, malheureux, gémit-elle, parlez, mais parlez donc... Qu'avez-vous fait de mon enfant ?

La femme, devant cette douleur, s'était affaissée et sanglotait éperdument.

L'homme, plus calme, mais livide, s'avança alors vers lady Stuart et lui dit :

— Nous ne comprenons rien, madame, à votre visite, aujourd'hui, à votre surprise, à votre chagrin. Il y a quinze jours, environ, une dame s'est présentée chez nous, de votre part, et nous a retiré votre enfant. Cette séparation nous a même causé une grande peine, car nous aimions le petit comme s'il avait été à nous. Pour nous indemniser de cette brusque séparation, la dame en question nous a remis, toujours de votre part, une grosse somme d'argent. Nous voulions tout d'abord refuser ce don, car il ne pouvait apaiser notre peine, mais nous ne sommes pas riches et nous l'avons accepté. Nous nous sommes bien demandé pourquoi, sans motifs, tout à coup, vous nous priviez de l'enfant et pourquoi vous chargiez une personne que nous n'avions jamais vue de le venir chercher, au lieu de vous rendre, ici, vous-même. Mais nous avons pensé qu'il ne nous appartenait pas d'interroger votre envoyée, puisqu'elle ne nous donnait aucune explication de cette résolution ; et comme vous êtes une belle dame, vous, madame, très occupée sans doute, dans le monde, nous n'avons pas trouvé autrement étrange que n'ayant pas le temps de venir, vous fissiez faire, par une autre, ce que vous ne pouviez faire vous-même. Cette dame a emporté le petit. Depuis son départ nous n'en avons eu aucune nouvelle et nous ne saurions vous renseigner à son sujet.

L'homme s'exprimait simplement, clairement. Lady Stuart comprit qu'il était sincère. Elle eut une plainte.

— Mon Dieu... mon Dieu... on a volé mon enfant... Puis, s'adressant aux nourriciers :

— On vous a trompés... on vous a menti... Jamais, jamais je n'ai envoyé chez vous une dame pour vous reprendre mon petit Jack.

Comme la femme continuait de se lamenter, ce fut encore son mari qui répliqua :

— Le coup a été bien monté, en ce cas. Mais il vous sera facile, madame, de savoir qui a volé le petit. Ceux qui ont machiné cette affaire vous en veulent, sans doute, et vous ne devez pas les ignorer. C'est de leur côté qu'il faut chercher.

Ce raisonnement était logique. Lady Stuart en sentit toute la force et, dans sa pensée éteinte, il y eut, alors, comme une lueur.

Accablée, mais ayant recouvré quelque sang-froid, elle murmura :

— Oui, certaines gens me haïssent et ce sont eux qui ont commis ce crime.

Et elle ajouta, dans un geste découragé, comme répondant à une affirmation intérieure :

— Mais pourrai-je jamais les atteindre, pourrai-je jamais connaître ce qu'ils ont fait de mon pauvre petit ?

— Madame, dit l'homme, nous ne sommes pas, malheureusement, en mesure de vous être utiles, dans cette circonstance. Je vous ai conté tout ce que nous savons de cette affaire. Mais ne vous désolez pas. Vous avez les noms de ceux qui vous veulent du mal. Eh bien, puisque vous êtes riche, souvenez-vous qu'avec de l'argent l'on a et l'on peut tout ce qu'on veut : vous ne tarderez pas à reprendre votre enfant à ceux qui l'ont volé.

Lady Stuart s'apprêta à sortir. Sa présence était, désormais, inutile chez ces braves gens, et toute l'activité de son être la portait vers Paris, vers celui en qui elle allait mettre son espérance, à qui elle allait crier sa détresse — vers l'Empereur.

Le lendemain de sa douloureuse découverte, elle entrait, en effet, aux Tuileries, au risque de rencontrer l'Impératrice, et elle demandait, impérieusement, à être introduite auprès de Napoléon III.

Le souverain la reçut aussitôt, mais en la voyant il eut un grand geste désespéré :

— Vous ici, gronda-t-il doucement, vous ici... Quelle imprudence, quelle folie ! Lady Stuart, blême, émue, alla vers lui.

— Oui, moi ici, aux Tuileries... Vous ne comprenez donc pas, sire, qu'il me faut un motif bien puissant pour oser cette imprudence, cette folie ?

La voix de la jeune femme tremblait, était comme étouffée. L'Empereur regarda sa maîtresse et le sourire qu'il ébauchait disparut. L'attitude dramatique de la comtesse Ellen l'effraya.

— Pour Dieu, qu'avez-vous ?... Quel malheur vous frappe

— Un malheur affreux, sire... On a volé mon enfant. Le souverain eut un tressaillement.

— On a volé votre enfant !

— Oui, le fait est vieux de quinze jours et ce n'est qu'hier, en allant à La Verrière, que j'en ai eu connaissance.

La jeune femme fit, alors, à son amant, le récit exact du rapt.

L'Empereur, en l'écoutant, avait pâli. Il se mit à étirer sa moustache et marcha, fiévreusement, dans son cabinet.

Puis, s'arrêtant, il balbutia :

— On a volé votre enfant !... Qui peut avoir accompli ce vol et dans quel but peut-on l'avoir voulu ?... Soupçonnez-vous quelque personne capable, pour se venger, d'une telle action ?

Lady Stuart, dans un effort, laissa tomber un mot, un seul :

— Oui.

Napoléon III était impatient, nerveux :

— Parlez, madame... Le nom de cette personne...

— Votre Majesté exige ce nom ?

— Il me le faut... Le coupable, quel qu'il soit, ne restera pas impuni.

— Le coupable restera impuni, sire ; mais si Votre Majesté me fait rendre mon fils, je m'estimerai satisfaite.

— Détrompez-vous, madame, le coupable recevra son châtiment. Encore une fois, parlez.

Très nettement, alors, Lady Stuart prononça cette phrase :

— La personne qui a fait enlever mon fils et qui le cache, sire, est l'Impératrice. Une pâleur intense, à ces mots, couvrit le visage du souverain. L'accusation portée contre sa compagne était brutale, violente. Il eut une secousse, et vivement, allant à la jeune femme, il lui prit le bras :

— Taisez-vous, madame, taisez-vous, fit-il à voix très basse, et ne redites jamais ce que vous venez de me faire entendre...

Lady Stuart se dégagea et, puisant de la hardiesse dans l'affirmation formidable qu'elle venait de produire, répliqua :

— Pardonnez mon langage, sire, mais on m'a pris mon enfant. Je veux mon enfant, je veux le revoir, mort ou vivant ; et jusqu'à ce que je le retrouve, je ne cesserai de crier, devant vous, le nom de celle que je considère comme l'instigatrice intéressée du malheur qui me frappe. — Vous m'imposez silence et vous avez raison, car vous ne pouvez rien devant cette révélation, car votre justice est impuissante devant la qualité de la coupable. Vous ne doutez pas de mes déclarations, pourtant, vous n'ignorez pas, plus que moi, la main qui a conduit ce drame. On m'a chassée des Tuileries, on souhaite plus encore ; on souhaite notre séparation et, pour atteindre ce but, on a imaginé de me torturer dans mon cœur de mère. On a pensé que le deuil se dresserait entre vous et moi, désormais, et l'on a bien pensé : il n'y a plus, en moi, à dater d'aujourd'hui, que la mère éplorée et résolue à tous les sacrifices pour ressaisir son enfant disparu.

L'Empereur était sincèrement ému.

— Le coup qui vous frappe est abominable, affreux, dit-il, et vous devez compter sur mon appui pour obtenir une réparation éclatante. Votre fils se retrouvera et vous sera rendu. Je vous en prie, donc, calmez-vous, et pour moi qui vous ai aimé, qui vous aime encore, ne jetez plus le nom de l'Impératrice dans cette horrible aventure. Je crois, je suis certain que vous vous trompez, d'ailleurs, égarée par le chagrin, en accusant l'Impératrice dans cette circonstance. Elle a pu, dans un sentiment très naturel, très légitime, même, vouloir vous éloigner de la Cour ; elle a pu désirer qu'un incident quelconque amenât une rupture entre nous. Mais elle est bonne, mais elle est mère, et il est inadmissible de lui prêter des desseins qu'elle ne saurait avoir, de la charger d'un crime. L'Impératrice est mère, je le répète, et une mère, madame, ne frappe pas une femme, détestée même, dans son cœur de mère.

Lady Stuart hocha tristement la tête.

— Une femme qui hait, sire, devient capable de tout entreprendre contre l'objet de sa haine. L'Impératrice est femme, dans l'expression de ses sentiments, au même titre que toutes ses semblables.

— Ne dites pas cela, madame, ne dites pas cela, murmura l'Empereur.

Et il reprit sa promenade en son cabinet.

La comtesse Ellen comprit que l'entretien qu'elle avait sollicité, ce matin-là, du souverain, ne pouvait avoir d'autre résultat qu'une promesse vague de secours, qu'une exhortation affectueuse, que l'offre d'un espoir incertain.

Elle remercia Napoléon III de sa sympathie non démentie, et elle se retira.

Comme elle allait sortir du cabinet, elle enveloppa l'Empereur de son regard et ce regard fut tout de pitié. Elle sentait que cet homme, que ce maître, succombait, en cette heure, sous la lourde angoisse qu'elle lui avait apportée, et elle le plaignait de ne pouvoir, dans sa bonté, lui procurer d'autre soulagement que la vaine assurance d'un appui dissimulé ; de ne pouvoir, dans sa justice, condamner l'auteur du crime qu'elle lui dénonçait.

Elle décida de suppléer, par sa propre énergie, à la fatale inaction, à l'inefficace intervention de l'Empereur ; et dès qu'elle fut rentrée chez elle, elle examina froidement les moyens qu'elle emploierait pour déchiffrer l'énigme cruelle qui se dressait en sa vie.

Venue en France avec les allures d'une aventurière de haut rang, pouvant et devant être, même, cette aventurière, si l'on ne tient compte que des débuts de son existence parisienne, lady Stuart, sans qu'elle le voulût, sans qu'elle le devinât, s'était trouvée rejetée de la voie que le destin semblait lui tracer. Sa vie, soudainement, avait bifurqué dans une maternité imprévue et s'était ainsi, tout entière, fondue dans les sentiments que cette maternité avait créés.

Cet effacement d'elle-même, cet oubli de tout ce qui, naguère, l'avait mise en avant des élégantes habituées de la Cour, ce sacrifice de son ambition, de sa fortune, de son orgueil, s'étaient faits plus absolus depuis que la douleur l'avait visitée, depuis qu'on lui avait ravi son enfant et qu'elle en avait, délicieusement, goûté les caresses inconscientes. Une réaction profonde s'était accomplie en elle, alors. Dans un renoncement spontané à ses joies de jadis, à ses moindres satisfactions, elle avait juré de se consacrer à la recherche de son fils, à la vengeance qu'elle offrirait au deuil qu'on lui infligeait, qu'elle souhaitait retentissante et qui, déjà, en pensée, mettait sur sa souffrance comme un apaisement.

Ayant eu connaissance, depuis le rapt et depuis son entretien avec l'Empereur, par l'une des femmes qui fréquentaient les Tuileries et qu'elle avait rencontrée, des paroles de Mme de Metternich et des déclarations de l'Impératrice, elle était convaincue que la souveraine avait dirigé la main criminelle qui l'avait blessée ; et quoique, entre la compagne de Napoléon III et elle, il y eût un abîme tant au point de vue social qu'au point de vue simplement féminin, elle s'était fait le serment de la punir, de lui rendre coup pour coup, si un événement favorable ne venait pas tarir ses larmes.

Elle ne voulait pas, cependant, hâter des représailles, précipiter maladroitement l'expression de son inimitié, et comme elle était plus impatiente de ressaisir son enfant que d'assouvir sa rancune, ce fut, tout d'abord, vers cet enfant perdu qu'elle éleva toute sa pensée.

N'ayant reçu, de l'Empereur, qu'une promesse très platonique, que des phrases de banale condoléance, presque, elle sentit que si elle souhaitait de réussir dans ses recherches, il lui devenait nécessaire d'agir avec fermeté, tout en évitant soigneusement que son activité, par un bruit imprudent, éveillât les méfiances de ceux qui, sans doute, l'observaient.

Dans une entrevue qu'elle eut avec l'ambassadeur d'Angleterre, elle lui conta l'abominable intrigue organisée contre sa sécurité, et elle lui demanda son appui dans la tâche qu'elle s'était donnée.

Le diplomate parut juger sainement sa situation.

— Il est certain, lui dit-il, si l'on évoque le souvenir de votre séjour aux Tuileries, de la rivalité qui en est résultée, si même j'en crois quelques propos tenus, à votre sujet, dans l'entourage impérial, que l'Impératrice, afin de vous éloigner de l'Empereur, afin de briser un lien qui l'inquiète, a été l'instigatrice du drame de la Verrière. Il faut donc être très circonspect, non seulement dans la manifestation de votre peine, mais encore, mais surtout dans les procédés à mettre en pratique pour connaître toute la vérité, pour retrouver votre fils. Cet enfant n'est menacé, j'en suis sûr, d'aucun danger, dans le sens criminel du mot. On l'a volé, non pour le supprimer, comme le conseillait, dites-vous, Mme de Metternich, mais, simplement et moins dramatiquement, pour le soustraire à la tendresse possible de l'Empereur. Il est quelque part, chez de braves gens qui le soignent sans se douter de son histoire, et on le reverra. Mais, pour obtenir le résultat que vous désirez, demeurez dans l'ombre ; empêchez que les journaux s'emparent de l'incident. La curiosité publique n'a rien à voir, ici, et vous vous perdriez, vous perdriez toute espérance, en abandonnant votre calme. L'Empereur qui peut, en secret, vous seconder, serait obligé de vous délaisser et de se faire étranger à votre douleur : la raison d'Etat se dresserait entre lui et votre personne, et, il faut bien le reconnaître, il ne lui serait pas permis de se compromettre pour vous contenter.

La logique de l'ambassadeur désespérait lady Stuart.

— Je veux mon enfant... je le veux... s'écria-t-elle, dussé-je mourir en le voulant... Je vous en prie, indiquez-moi quelque moyen plus efficace que des paroles, pour le retrouver.

Le diplomate reprit sans s'émouvoir :

— Ces paroles sont utiles et devaient être dites. Quant au moyen que vous réclamez, écoutez-moi. Je vais vous adresser un agent secret de l'ambassade, très au courant des mœurs parisiennes, très familier avec le personnel de la préfecture de police et à qui je suis redevable de signalés services. Il se nomme Frépont. Vous lui confierez tout ce que vous savez de l'affaire qui vous intéresse et vous le laisserez agir.

La jeune femme eut comme un soulagement.

— Et cet agent, quand le verrai-je ?

— Demain. Il ira chez vous ; mais il ne se présentera point de ma part. Mon nom ne doit pas être mêlé à toute cette intrigue. Vous comprenez, n'est-ce pas, la gêne que j'éprouverais, aux Tuileries, si je paraissais ne pas l'ignorer absolument.

Lady Stuart, en quittant l'ambassade d'Angleterre, après avoir remercié son compatriote, avait une assurance morale qui la fortifiait, devant l'avenir, et elle attendit le lendemain avec fièvre.

Dans l'après-midi, l'agent désigné par le diplomate lui fut, en effet, annoncé.

C'était un homme de petite taille, assez gros, à l'aspect d'un bourgeois modeste ou d'un employé aisé. Sa face ronde et rougeaude que coupait, sous le nez un peu écrasé, une moustache clairsemée, ne révélait aucunement sa qualité et les fonctions qui en dépendaient. Cependant, un observateur eût vite remarqué que ses yeux, des yeux en vrille, étroits, mobiles, verdâtres, fureteurs, n'étaient pas ceux d'un naïf personnage.

Ayant écouté la jeune femme, sans l'interrompre, il demeura silencieux encore, durant quelques minutes, lorsqu'elle eut parlé, et il se prit à réfléchir, en tournant son chapeau en ses main grasses, potelées, courtes et très blanches, ornées de bagues de prix.

Puis il releva la tête, regarda la comtesse Ellen et lentement, ne prononçant chaque mot qu'après en avoir mesuré la portée, il s'exprima ainsi :

— Nous manquons essentiellement d'indices, en toute cette histoire, madame, et il ne nous sera point aisé d'y voir clair. Les nourriciers de l'enfant ne savent qu'une chose : une dame, un jour, est venue, de votre part, reprendre chez eux le petit que vous leur aviez confié. Ils n'ont pas interrogé cette dame — l'ont-ils bien vue même ? — et ils lui ont remis le marmot. Il y a insuffisance de détails pour établir une enquête. Cependant, ne nous désolons pas. J'irai chez ces braves gens et je les ferai jaser. Peut-être m'en diront-ils plus qu'à vous. Quant à la dame en question... ah, je donnerais bien quelque chose pour avoir une mèche de ses cheveux, à celle-là... Ce ne serait pas beaucoup, encore, mais ce serait plus que rien. Eh bien, nous l'aurons cette mèche, et nous nous en servirons... Vu la haute personnalité de celle que vous accusez, la femme qui a été employée, activement, dans cette affaire, doit être d'une certaine condition sociale, tout en ayant des attaches avec la préfecture de police. Suivez bien mon raisonnement, madame. Celle qui a mené, selon vous, tout ce drame, a dû avoir recours, pour atteindre son but, non pas à l'une de ses familières qui eût été effrayée de la responsabilité qu'une telle mission lui aurait imposée, mais à une femme habituée à ne rien craindre, à ce que nous appelons, une professionnelle. Or, cette personne ne peut être qu'une femme ayant des relations avec le service de police avec la police politique surtout. Elle aura agi sans savoir, même, pour le compte de qui elle agissait et sur les ordres simplement d'un chef, d'un très haut fonctionnaire, certainement. Ce fonctionnaire aura reçu les instructions directes de qui vous savez et les aura fait exécuter. Nous perdrions notre temps, vous le comprenez, à nous occuper de ce monsieur. Tous mes efforts doivent donc porter sur la recherche de sa complice. J'ai la liste ainsi que le signalement des femmes employées par la police, à Paris. En procédant par classement social, d'abord, par élimination ensuite, j'ai des chances pour mettre le doigt et l'œil sur celle qu'il nous faut. Si je la déniche, il me restera à la faire parler et la chose ne sera pas, sans doute, très facile. Mais j'ai de la patience et, avec de la patience, on arrive à tout. Pour aujourd'hui, inutile de se casser la tête davantage. Allons, adieu, madame. Demain, je serai à La Verrière et je vous mettrai au courant de ma démarche.

Lady Stuart avait écouté l'agent attentivement.

— Allez et faite vite, monsieur, dit-elle, si vous me rendez mon cher petit, je vous Lirai riche, je le jure.

— Merci de votre promesse, madame, répliqua le policier, en se retirant ; quoique j'aie quelque fortune, je ne refuse pas d'en avoir plus encore. Mais, foi de Frépont, cette affaire est si belle que je m'en occuperais rien que pour l'honneur.

Le lendemain, comme il l'avait déclaré, l'agent Frépont, descendait à la station de La Verrière et s'acheminait vers la demeure des anciens nourriciers du-petit Jack.

L'homme et la femme étaient présents lorsqu'il parut sur le seuil de leur porte.

Quoiqu'il fût certain de leur innocence, dans le rapt de l'enfant, il jugea habile de ne pas provoquer leur défiance.

— C'est bien vous, dit-il, après être entré, qui avez eu en pension un petit garçon nommé Jack ?

La femme s'avança, inquiète.

— Oui, monsieur ; pourquoi cette question ?

Sans répondre à cette interrogation, l'agent continua :

— J'ai une commission pour vous. Vous vous souvenez qu'une dame est venue prendre, chez vous, cet enfant, se disant envoyée par la mère ?

— Sainte Vierge !... si nous nous souvenons !...

— Eh bien, j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Jack est retrouvé et c'est pour de vrai, cette fois, que sa maman vous adresse quelqu'un pour vous dire qu'elle n'a plus de chagrin et que vous pouvez, comme elle, ne plus en avoir.

— Sainte Vierge, ah, Sainte Vierge.... s'exclama la femme dont la figure s'illumina, soyez le bienvenu, monsieur. Nous ne faisons que pleurer, depuis cette histoire, et vous nous rendez joliment heureux. Il est retrouvé, le mignon ?

— Oui. Il est maintenant chez sa maman, et je vous assure qu'on ne le lui volera plus. Ce qu'on le garde, ce chérubin !

L'homme, alors, prit la parole.

— Le petit est retrouvé, c'est bien. Mais, avec tout ça, sait-on pourquoi on l'avait volé ? Le policier eut un geste indifférent.

— Certainement, qu'on le sait, et la chose est simple et n'est pas dramatique du tout. La dame qui s'est présentée, ici, est une parente de la mère de Jack. Elle a été mariée et elle est devenue folle à la suite de la mort de son mari et d'un unique enfant. Son idée fixe est que son pauvre petit est vivant, toujours. Elle s'est imaginé que le fils de sa parente était le sien et elle a inventé toute une machination pour s'en emparer. Comme c'est la deuxième ou la troisième fois que cet accès la prend, qu'elle emporte ainsi des enfants, on a dû l'enfermer. C'est bien triste.

L'homme qui écoutait ce discours, bouche bée, eut une plainte :

— Pauvre dame !

— Pauvre dame, tant qu'on voudra, oui, fit le policier, mais dangereuse tout de même.

— Sainte Vierge, reprit l'ex-nourricière, en voilà une affaire ! Nous nous creusions la cervelle pour savoir le pourquoi de l'enlèvement, monsieur, et je disais, moi, que notre dame devait se tromper, lorsqu'elle affirmait qu'on avait voulu se venger d'elle, en lui volant son petit.

Et se tournant vers son mari, elle ajouta, triomphante :

— J'avais raison, tu vois. L'agent l'interrompit.

— Comment ne vous êtes-vous pas aperçue que cette personne est folle ? La nourricière répliqua, un peu piquée :

— Mais, mon cher monsieur, cette personne n'avait pas du tout l'air fou. Nous l'avons prise, d'abord, pour notre dame, quand elle est entrée. Jeune comme elle, vêtue à peu près comme elle, ce n'est que lorsqu'elle a causé, car elle avait un voile très épais qu'elle n'a pas retiré, que nous avons reconnu notre erreur. Elle a été très gentille et dans ce qu'elle a dit, il n'y avait rien d'extraordinaire.

— Elle vous a laissé de l'argent ?

— Oui, une grosse somme à laquelle nous n'osions pas toucher, depuis que nous savions qu'on avait volé l'enfant. Mon mari voulait la porter chez le commissaire, à Rambouillet. Mais je l'ai détourné de ce projet : on aurait pu nous inquiéter. Nous allons vous la rendre, puisque vous êtes envoyé par notre dame. Vous la restituerez à qui de droit.

L'agent Frépont eut une dénégation :

— Non... La mère de Jack vous prie de garder cet argent, comme un dédommagement à l'ennui que vous avez eu.

— Notre bonne dame... vous la remercierez bien, monsieur.

— Je n'y manquerai pas.

Il y eut un silence et la femme reprit :

— La parente de notre dame a perdu, dans le jardin, en s'en allant, un mouchoir garni de dentelle, de vraie dentelle, monsieur. Lorsque la mère de Jack est venue ici, pour la dernière fois, nous étions si troublés que nous n'avons pas songé à le lui montrer. Elle l'aurait peut-être reconnu comme appartenant à sa parente et cela aurait arrangé, tout de suite, les choses. On ne pense pas à tout, quoi. Puisque vous savez à qui le remettre, vous voudrez bien l'emporter. C'est un chiffon qui a du prix.

L'agent eut un tressaillement qu'il réprima aussitôt.

— Donnez le mouchoir, ma bonne dame, fit-il, insouciant, en apparence. On le rendra à sa propriétaire.

Et tendant la main, il saisit une fine batiste qu'il plaça, sans la regarder, en l'une de ses poches.

Il échangea, avec les nourriciers, quelques mots encore, puis il se leva et leur dit adieu.

Lorsqu'il fut dans le train qui le ramenait à Paris, il examina attentivement et avec une joie non dissimulée, le mouchoir qui lui avait été confié.

C'était un carré de toile précieuse qu'entourait, ainsi que l'avait dit la brave femme, une dentelle merveilleuse et qu'ornait, en un coin, une broderie — deux M entrelacés et formant un chiffre de caractère tout personnel.

— Allons, murmura Frépont, notre voleuse est une belle dame habituée aux élégances. C'est un point établi et ma tâche va être plus aisée que je ne l'aurais crue.

Puis, il ajouta, entre ses dents, souriant, et caressant l'objet :

— Petit mouchoir, ou je me trompe fort, ou tu vas tirer de certain joli nez bien des choses qu'on ne voudrait pas montrer.

 

Une grande inquiétude s'était emparée de l'Empereur après la visite que lui avait faite lady Stuart et à la suite de l'entretien qu'il avait eu avec elle.

Cet enlèvement d'un enfant auquel il s'intéressait, intimement, venait compliquer la situation que lui avait créée sa liaison avec la jeune femme et comme il ne doutait pas — il l'avoua plus tard, à la comtesse Ellen — que l'Impératrice ne fût, en effet, l'auteur de cette intrigue, ne fût l'instigatrice de cette tragédie, il se trouva fort embarrassé dans le choix de l'attitude qu'il s'imposerait au cas où, devant lui, les habitués des Tuileries et les familières de la souveraine commenteraient l'événement.

Cette attitude était tout indiquée et l'Empereur se résigna à la subir : il ne pouvait paraître être mêlé à une telle aventure et la réserve la plus absolue, en dépit du chagrin qu'il éprouvait, lui était commandée.

Il avait, pourtant, envoyé de nouveau auprès de sa maîtresse désolée, M. Hyrvoix, avec mission de s'entendre avec elle sur les moyens à prendre, policièrement, afin d'arriver à un résultat satisfaisant au sujet de la recherche de l'enfant. Mais, ayant appris, par son dévoué serviteur, que la jeune femme n'avait pas attendu son concours pour agir, il avait jugé que son intervention devait s'arrêter à cette démarche.

Quelques jours s'écoulèrent, alors, sans que l'Empereur et lady Stuart eussent le moindre rapport entre eux.

Napoléon III aimait sa maîtresse, et cette interruption brutale de leur intimité le peina sincèrement. Il y eut une heure, même, où il lui devint difficile de la supporter et, un soir, bravant tout obstacle, dans le désir imprudent et affectueux de revoir la jeune femme, comme aussi dans le dessein de lui faire connaître certains détails de son intérieur que les circonstances rattachaient au drame de La Verrière, il se rendit chez elle.

Lady Stuart que les lenteurs nécessaires de l'enquête ouverte par l'agent Frépont impatientaient, était fort triste, fort découragée lorsque l'Empereur se présenta et il ne réussit même qu'à demi, à lui redonner quelque espérance.

— Vous m'avez prévenu, lui dit-il, en chargeant un homme de police du soin de mener les recherches relatives à votre fils. J'eusse mis, en effet, à votre disposition, pour vous seconder, l'un des agents de mon service personnel. Mais cet agent n'aurait pas mieux conduit l'instruction que le vôtre et je déplore mon impuissance à vous être plus directement utile.

Comme la comtesse Ellen le remerciait, il reprit :

— Je redoute que cette histoire ne fasse, un beau matin, scandale dans les journaux.

Elle m'a déjà valu quelques ennuis ; les conséquences de sa divulgation seraient terribles pour les Tuileries.

Lady Stuart leva son regard sur l'Empereur.

Vous avez eu des ennuis, sire, à mon sujet ?

— Oui. Troublé par les accusations que vous avez portées, récemment, avec tant de netteté, contre l'Impératrice, j'ai voulu savoir si elles étaient fondées et j'ai tenté d'interroger celle que vous condamniez.

— Eh bien ?

— Eh bien, madame, non seulement l'Impératrice m'a paru, par ses réponses, ne rien connaître des causes réelles de votre affliction, mais mal m'en a pris de provoquer, entre elle et moi, une explication. Elle m'a reproché violemment ma faiblesse envers vous et a menacé de quitter les Tuileries — pareille menace a eu son effet, déjà — si je m'avisais jamais de lui rappeler votre nom, même.

— L'Impératrice, en tenant contre vous et contre moi, sire, le langage d'une femme jalouse ou habile, n'a rien prouvé contre mes accusations et je persiste à penser qu'elle seule a pu vouloir ce qui a été.

L'Empereur continua :

— L'esprit s'égare en toute cette affaire, en vérité ; si j'examine lés raisons que vous avez formulées, à l'appui de vos affirmations, il me semble probable que l'Impératrice a dû organiser, ainsi que vous le dites, l'enlèvement de votre enfant. Mais si je place en regard de ces raisons, son attitude, l'indignation, la colère, l'étonnement même qu'elle a témoignés quand je lui ai demandé si elle possédait quelque détail concernant le mystère qui entoure ce drame, je dois croire à sa parfaite innocence. — Je ne sais rien de la personne dont vous me parlez et je n'en veux rien savoir. Cette personne se plaint qu'on lui ait volé son fils. Si elle l'avait bien gardé, comme c'était son devoir de mère, on ne l'en aurait pas séparée. — Telles ont été les paroles de l'Impératrice. — Une femme qui s'exprime ainsi, avec cette dureté d'appréciation envers une mère éplorée, n'est pas coupable. Je déclare, en outre, que rien dans son maintien, pendant notre conversation, n'a été de nature à confirmer vos soupçons. Nulle émotion, nul embarras ne sont venus trahir le secret de sa pensée. Si ce secret avait existé, il eût entraîné, chez l'Impératrice, un mouvement d'âme ou simplement physique qui ne m'aurait pas échappé. On ne peut admettre, vraiment, de sa part, une fourberie peu compatible avec le caractère dont elle est revêtue.

Lady Stuart ayant écouté le souverain, froidement, dans un calme absolu, répliqua :

— Vous défendez l'Impératrice, sire, et ainsi, vous agissez bien ; vous faites ce que tout galant homme ferait, à votre place, en parlant de sa femme devant celle qui n'est que sa maîtresse. Mais j'ai le regret de ne point partager vos assurances optimistes. L'avenir dira, certainement, que vous vous êtes trompé.

L'Empereur se tut et ce fut dans une grande mélancolie, comme dans le tourment inavoué de lendemains inquiets, qu'il quitta lady Stuart, ce soir-là.