LE SECRET D'UN EMPIRE : L'EMPEREUR (NAPOLÉON III)

 

IV. — OMBRES TRAGIQUES.

 

 

Deux hommes, tragiques, dans un sens différent, passant au travers de l'aventure du Second Empire et guettent l'empereur Napoléon III, à l'imitation des traitres de mélodrame. Ces deux hommes sont MM. de Bismarck et de Cavour. Deux femmes pèsent sur sa vie, sur la destinée de son trône, comme une fatalité au masque double, et apparaissent, vivantes encore, de chaque côté de sa tombe, comme deux génies des ténèbres. Ces deux femmes sont l'impératrice Eugénie et l'impératrice Charlotte, du Mexique.

Devant l'Europe attentive et soumise, ces deux hommes, Bismarck et Cavour, se dressent, et osent faire ce rêve : abattre l'Empereur ; devant l'Europe courbée sous la magnificence du nom de Napoléon, de ce nom dans les syllabes duquel grondent les colères et les gloires du siècle à sa naissance, dans les syllabes duquel chante l'hosannah de nouvelles victoires, ces deux hommes, Bismarck et Cavour, ont ce dessein, qui eût semblé inouï s'ils l'avaient confié aux peuples : écraser l'Empereur.

Devant l'Europe étonnée, une femme se lève, jalouse de la puissance, de l'autorité de Napoléon III, désireuse de confisquer cette puissance et cette autorité à son profit, sans calculer les conséquences d'un tel souhait ; une femme place, non dans la cruauté de son cœur, ce qui serait odieux, mais dans l'inconscience de sa situation, dans la légèreté de son espoir, des embûches sous les pas de l'Empereur, et cette femme est l'impératrice Eugénie. L'aventure romaine lui procure, à demi, la félicité vers laquelle elle tend et l'épilogue du règne impérial lui apportera cette félicité, pour une heure, en des larmes et en du sang.

Une femme, aussi, sur ce théâtre dont les toiles de fond sont des mondes, parait, et cette femme, l'impératrice Charlotte, échappée toute radieuse d'une sorte d'Eden, éveillée à peine à la vie et à l'amour, comme auréolée de soleil et de fleurs, surgit, dans toute la nudité violée d'une victime et d'une sacrifiée, dans toute l'ignorance du péril en lequel on la jette, et lorsque la foudre l'atteint, elle reste, debout sur la scène, dans l'attitude d'un fantôme et elle entre, spectre désormais terrible, dans les jours de l'Empereur, dans ces jours qui s'émiettent et qui luttent, comme une lugubre hantise, comme un mal dont on ne guérit pas.

Une différence considérable existe dans les procédés qu'employèrent MM. de Bismarck et de Cavour pour amener Napoléon III, sinon à les seconder dans leurs projets, volontairement ou inconsciemment, du moins pour reporter sur son nom et sur sa politique, toute la force de leurs conceptions.

M. de Bismarck qui voulut avoir Napoléon III dans son jeu, avec l'arrière-pensée de s'en débarrasser lorsqu'il en aurait obtenu l'appui qu'il désirait, mais qui ne le gagna jamais à ses théories, était devant l'Empereur comme un chercheur d'énigmes devant un sphinx, et l'on peut dire qu'il ne sut jamais bien ce qu'il en retirerait, qu'il ne sut jamais bien quel bénéfice il en obtiendrait, dans la surprise, dans l'imprévu des événements. Les événements, en mettant Napoléon III à la merci de M. de Bismarck, firent plus, pour le bouleversement de l'Europe, que le génie spécial du ministre prussien.

Il en est tout autrement de M. de Cavour. Le comte de Cavour savait à merveille, et mathématiquement, ce qu'il entendait demander à l'esprit rêveur, à l'esprit humanitaire de l'Empereur et ce qu'il comptait faire naître de sa politique. Plus insinuant, moins brutal que M. de Bismarck qui, avec ses façons d'ogre, avec ses grondements de bouledogue, effrayait, il comprit l'âme de Napoléon III, en flatta les aspirations et si, en histoire, les déductions philosophiques peuvent être permises, il n'est point audacieux d'affirmer que l'Empereur, délivré des liens qui l'attachaient à l'Italie, que l'Empereur, indépendant et non inquiété par l'échéance d'une dette à payer, aurait, sur les sollicitations du comte de Cavour, travaillé tout autant à la libération territoriale et politique de cette nation. Dans sa marche en avant, en faveur de l'Italie, dans le bel enthousiasme qui l'entraînait vers elle, vers sa grandeur et vers son unité, il est probable qu'il eût fait bon marché, même, du pouvoir temporel du Pape, s'il n'avait été arrêté par la crainte de provoquer les colères de l'Impératrice, s'il n'avait redouté une rupture avec ses conseillers habituels, avec le parti autoritaire dont il avait, alors, besoin et qu'il n'était point en mesure de remplacer.

A l'unité de l'Italie, donc, succéda l'unité de l'Allemagne. Dans l'ordre politique de l'Europe, M. de Bismarck est comme le corollaire de M. de Cavour. L'un et l'autre prennent du sang français pour cimenter la gloire de leur patrie ; l'un et l'autre se partagent la dépouille de l'Empereur : M. de Cavour en s'emparant de son cœur, M. de Bismarck en le frappant à la tête.

Tous deux viennent en France, à Paris, en diverses circonstances, et chaque fois ils trouvent devant eux l'adulation, l'admiration. Les belles dames de la Cour leur font fête, s'arrachent leurs sourires, leurs paroles, et les petites, les humbles lectrices même de l'Impératrice — l'une d'elles en a fait l'aveu en ce qui concerne M. de Bismarck — se sentent gagnées par l'engouement général et rêvent des deux grands hommes qui passent auprès d'elles.

Il y eut, alors, aux Tuileries, un état d'esprit particulier qu'il est utile de noter. La cervelle des courtisans des deux sexes semblait être mise à l'envers — pour me servir d'une expression vulgaire — par tout ce qui venait de l'étranger. Insouciants des choses qui avaient le nom français, des misères ou des joies du pays, des douleurs ou des espérances du peuple, les hommes et les femmes qui vivaient à la Cour ; affichaient une ardente ferveur, une profonde sollicitude pour tout ce qui se passait au delà des frontières, et se donnaient à tout ce qui portait un caractère d'exotisme, dans la plus parfaite imprévoyance d'intelligences mal dirigées.

M. de Cavour, avant M. de Bismarck, avait compris et exploité cette situation. M. de Bismarck, à Biarritz, et plus tard, en 1867, lorsqu'il reparut à Paris, pour les fêtes de l'Exposition, pour prendre place dans cette apothéose impériale après laquelle l'étoile des Bonapartes s'éteignit, la remarqua, et puisa en elle une aide incontestable.

Je me souviens qu'enfant, on me conta une légende étrange. Dans une contrée lointaine, il y avait un méchant fantôme qui était partout et qui n'était nulle part, qui apparaissait, soudain, là où on le croyait absent, et qui avait la spécialité terrible de se dresser au milieu des festins nuptiaux, des assemblées familiales, des réjouissances publiques. Or, chacune de ses visites était suivie de la ruine ou de la mort de ceux que son regard avait fixés, et rien ne pouvait soustraire à leur destinée mauvaise, les malheureux qu'il avait ainsi condamnés.

Cette légende m'effrayait beaucoup, et je cachais ma tête, en l'écoutant, contre la poitrine du narrateur. Elle m'effraie encore, aujourd'hui, si je pense qu'en 1867, au milieu des rires et de l'allégresse universels, sous les éclats de l'hymne qui proclame la gloire et la sécurité de l'Empire, devant la folie de luxe et d'amour qui s'empare de tous les corps et les secoue, en face de la table gigantesque où se restaurent et s'abreuvent des rois et des peuples, un homme, M. de Bismarck — tel le fantôme de la légende — se dresse, contemple toutes ces choses, tous ces êtres, et, dans un seul regard, leur donne la mort.

 

Si l'on met à part l'aventure italienne qui eut, dans le règne de Napoléon III, l'aspect aimable, quoique trompeur, d'une popularité sincère, que l'on considère encore — tant il est vrai que l'humanité s'attache à ce qui l'a charmée un jour, même si elle s'est abusée — comme le prologue radieux d'une idylle nationale ; si l'on met à part, dis-je, l'aventure italienne, dans la chronique du Second Empire, il reste deux faits, dans l'époque impériale, qui priment tous les autres, qui marquent l'Empereur et son temps comme d'une fatalité. Ces deux faits ont leurs noms : le Mexique et Sadowa.

Au début de ce chapitre, j'évoquais la figure spectrale de la malheureuse femme qui, morte d'âme, mais vivante de corps toujours, synthétise le désastre du Mexique. Après avoir traversé Paris, pour se rendre dans sa nouvelle patrie, en triomphatrice acclamée, en amante aussi, fière de la majesté neuve de son époux, elle y revint, ainsi que je l'ai déjà conté, en fugitive, en mendiante presque, en solliciteuse, en victime expiatoire et injustement frappée, de la folie — je n'ose dire du crime — de Mme de Metternich et de l'impératrice Eugénie. Et cette femme se dresse, alors, devant l'empereur Napoléon III, qu'elle rend responsable de son infortune, comme la statue animée du Désespoir, comme l'expression funèbre de revendications suprêmes ; et, je le répète, à partir de cette heure, elle entre dans sa vie, ainsi qu'une hantise.

J'ai rapporté la scène cruelle et terrifiante qui eut lieu à Saint-Cloud, devant toute la Cour, et qui indiqua les premiers symptômes de la démence en laquelle s'est écroulée la pauvre femme.

 

Il est une scène beaucoup plus dramatique qui eut pour acteurs l'impératrice Charlotte et l'empereur Napoléon III. Elle se produisit quelques jours après l'incident de Saint-Cloud, et elle porte le caractère d'une indéfinissable, d'une tragique grandeur, d'une horreur infiniment humaine.

Plusieurs fois, l'impératrice Charlotte, durant son séjour à Paris, avait demandé à l'Empereur une entrevue, pour lui exposer les motifs de son voyage en Europe et pour le décider à continuer de donner à Maximilien, son mari, l'appui qu'il lui avait prêté et qu'il lui retirait.

Napoléon III qui n'ignorait pas la nature de l'entretien qu'on exigeait de lui et qui était résolu à délaisser, purement et simplement, l'aventure mexicaine, à la passer par profits et pertes, pour employer le style commercial, se dérobait aux prières de la jeune femme ; mais il vint une heure où il ne put se soustraire à sa requête.

L'Empereur, sous l'influence de l'enthousiasme de sa compagne, sous l'influence aussi de l'intrigue diplomatique dirigée, secrètement, par Mme de Metternich et, officiellement, par le prince son mari, s'était peut-être laissé convaincre que la campagne du Mexique, que l'installation d'une monarchie sur la terre américaine, pouvait apporter quelque éclat à son règne, et il avait soutenu cette campagne, et il en avait affirmé les résultats tant que le mirage décevant des victoires obtenues, ne lui avait pas permis de se recueillir. Mais, ayant constaté que l'empereur Maximilien ne possèderait jamais l'affection des Mexicains, la sympathie affectueuse d'un peuple réfractaire à tout élément étranger ; mais, ayant vu l'erreur dans laquelle il était tombé, il était rentré dans sa tente et il avait prononcé l'alea jacta est des anciens. C'était peu généreux, peut-être ; mais la raison d'Etat est cruelle, souvent, et ne prend point ses effets dans la générosité, dans la sentimentalité.

Lorsque, donc, Napoléon III accorda à l'impératrice Charlotte l'audience qu'elle attendait avec tant de fiévreuse impatience, sa réponse au discours de la jeune femme, à ses larmes prévues, à sa colère même, était préparée.

Très nerveuse, très excitée, ayant par moments dans les yeux une lueur d'égarement, l'impératrice Charlotte, dans une espérance et dans une crainte, à la fois, s'était apprêtée à recevoir l'Empereur. Dans une espérance, car elle cherchait à se persuader que Napoléon III, après avoir créé un trône pour son mari, ne souffrirait pas qu'on brisât l'œuvre qu'il avait construite ; dans une crainte, car, déjà, par ses paroles évasives, par ses gestes découragés, par la pitié qu'il lui témoignait, le souverain lui avait fait comprendre qu'il devenait indifférent à son roman. Elle avait des hallucinations et, comme dans une obsession, la vision qui l'avait terrifiée à Saint-Cloud, cet effroi d'un poison qui la menaçait et qu'on voulait lui faire boire — se reformait en son imagination et la jetait en des crises lamentables.

Quand l'Empereur lui fut annoncé, elle alla à sa rencontre et, bientôt seule avec lui, brusqua les préliminaires de la conversation qu'elle recherchait, en établissant nettement le sujet qui l'intéressait.

— Votre Majesté est-elle émue, enfin, dit-elle, par le triste sort qui est fait à mon mari, loin de moi, et puis-je espérer qu'elle le secourra ?

L'Empereur demeura un instant silencieux, puis, dans un murmure, dans un accent de grande déférence, de sincère chagrin, il répliqua :

— Mes engagements, madame, ont pris fin, et je ne puis les renouveler. Ma volonté même serait impuissante à les maintenir : mon gouvernement et les Chambres repousseraient mon désir.

— Vous êtes le maître, sire.

— Je suis le maître, madame, le maître obéi et respecté, lorsque mes ordres sont conformes aux intérêts et à la gloire de la France. Mais — et Napoléon III s'anima — je ne suis pas le maître, je ne dois pas être le maître de précipiter mon pays dans un péril imminent, dans une guerre sans limites, sans résultats appréciables pour sa prospérité.

— Sire, vous ne parliez pas ainsi, naguère.

— Naguère, madame, j'espérais.

— Vous espériez ?

— J'espérais que l'empereur Maximilien saurait profiter de l'aide que je lui apportais, pour se faire aimer de son peuple, pour comprendre ses besoins, pour s'inspirer de son esprit et pour continuer seul l'œuvre entreprise en commun.

— Et maintenant ?

— Je n'ai plus cet espoir.

La jeune femme eut un frémissement ; elle se leva, passa la main sur son front, fit quelques pas dans le salon et murmura :

— C'est affreux !

Puis, revenant s'asseoir devant l'Empereur, elle reprit l'entretien, suppliante :

— Sire, on dit que vous êtes bon, que votre cœur est ouvert aux malheureux. L'infortune frappe mon mari et me frappe. Ayez pitié de lui, ayez pitié de moi. Je vous implore. Une fois encore, sire, venez à notre secours, et nous vous aimerons, et nous vous bénirons.

Et, saisissant l'une des mains de l'Empereur, elle tenta de la porter à ses lèvres, dans le geste de s'agenouiller.

Napoléon III, vivement, retint ce mouvement. Très ému, il s'inclina devant celle qui le priait, effleura ses doigts de sa bouche, et répondit :

— Vous parlez, madame, comme si votre mari courait un danger. Il ne tient, en vérité, qu'à lui d'éviter ce danger. Qu'il suive la retraite de mes troupes et laisse-là ce rêve d'Empire qui n'aura été qu'un mauvais rêve.

L'impératrice Charlotte se redressa, orgueilleuse :

— Eh quoi, sire, vous conseillez la fuite à mon mari ? La fuite, c'est-à-dire le déshonneur, une lâcheté ?

— Un général, madame, ne se déshonore ni ne commet une lâcheté parce qu'il capitule, ayant perdu une bataille. L'empereur Maximilien n'est-il pas dans la situation d'un général vaincu ? Qu'il fasse ainsi que lui. Laissons-là les grands mots, d'ailleurs, avec lesquels on ne crée rien de raisonnable ou d'utile. Vous êtes souffrante, madame, vous êtes très nerveuse. De grâce, calmez-vous.

L'Impératrice, debout, n'écoutait plus Napoléon III.

— Jamais, disait-elle, dans une exaltation croissante-, jamais Maximilien n'acceptera ce conseil. Jamais il ne fuira. Jamais il ne tournera le dos aux révoltés qui veulent lui arracher sa couronne. Il mourra, s'il le faut, pour la cause qu'il a embrassée, et je mourrai avec lui.

La voix de l'Empereur s'éleva de nouveau :

— Madame, je vous en supplie, examinez plus froidement les raisons que je vous soumets, les avis que je vous donne. L'avenir de l'empereur Maximilien, le vôtre, y sont attachés.

Mais la jeune femme, l'œil vague, comme perdu dans l'espace, comme fixé sur un péril invisible vu d'elle seule, semblait ne plus entendre son interlocuteur. Et sa bouche s'agitait, et elle semblait psalmodier :

— Il mourra, il mourra, et je mourrai avec lui. Et l'on nous mettra, tous deux, dans la même tombe, et nous nous aimerons, malgré la méchanceté des hommes. Et nous serons glorifiés, et l'on chantera notre gloire.

L'Empereur eut, alors, un mouvement d'effroi et d'impatience. Il se rappelait la crise qu'avait eue l'impératrice Charlotte, à Saint-Cloud, et il en redoutait le retour. Doucement, il toucha du doigt le bras de la jeune femme et la fit rasseoir. Elle lui obéit, d'abord, comme inconsciente ; puis, l'ayant regardé obstinément, en paraissant ne pas le reconnaître, elle sembla se souvenir et dit :

— Ah, oui, vous êtes l'empereur Napoléon III ; cet Empereur tout-puissant qui a fait mon mari son égal, et je suis, moi, une pauvre femme qui vous implore, pour ce malheureux que vous condamnez.

Puis, dans une soudaine dureté d'accent :

— Ainsi, cela est résolu ? Vous nous abandonnez, sire, et nous n'avons plus à espérer en vous ?

— Je vous J'ai dit, madame, conclut l'Empereur que ce rappel sensé à la situation pénible qui était la sienne, rassura, il n'est plus en mon pouvoir d'être utile à l'empereur Maximilien.

Pour la seconde fois, la jeune femme se leva, et elle se mit, immobile, à regarder attentivement et tristement Napoléon III, qui, gêné, par cette attitude, par l'obsession magnétique qui en résultait, baissa la tête. Puis, soudain, sans avoir prononcé une parole, l'impératrice Charlotte s'anima, et, s'écroulant aux pieds de l'Empereur, à genoux maintenant, les mains jointes, sans que le souverain ait pu prévenir et empêcher cette supplication suprême, elle s'exprima comme les fidèles s'expriment devant le dieu qui a leur foi, en lequel ils mettent leur espérance dernière :

— Sire, dit-elle — et sa voix avait comme des caresses, comme des séductions chastes et douloureuses — l'empereur Maximilien, mon mari, a des ennemis, là-bas, qui ne pardonnent pas. Seul, contre eux, il sera faible et succombera. Je suis venue vers vous pour le sauver, et il attend mon retour avec une affectueuse impatience, dans l'anxiété du condamné qui compte les heures qui le rapprochent de la mort. Sire, vous avez aimé, et il est impossible que le souvenir de votre bonheur vous laisse indifférent, devant les affections d'autrui. J'aime mon mari, sire, et il m'aime ; je suis tout pour lui, et il est tout pour moi. Je vous demande sa grâce et je vous demande la mienne. Je vous demande de ne point permettre qu'on le sacrifie à l'orgueil d'un peuple révolté, et de la main qui, parfois, rend la vie aux criminels, j'espère la vie d'un honnête homme, la vie de l'empereur Maximilien.

La pauvre femme se tut, épuisée ; un sanglot la secoua tout entière, et, comme si elle eût mis son âme dans la prière qu'elle adressait à Napoléon III, elle s'affaissa, lamentablement brisée.

L'Empereur, doucement, tenta de la relever, lui prodigua des consolations. Mais cette scène, qui se prolongeait, dans sa navrante inutilité, le peinait sincèrement, et avec la hâte de la terminer, il répondit :

— Je ferai tout ce qui dépendra de moi, madame, pour votre bonheur, pour votre sécurité, pour la sécurité et pour le bonheur de votre cher mari ; mais, hélas, je ne saurais vous abuser sur les intentions de mon gouvernement, dans l'affaire qui vous occupe : la France, désormais, ne combattra plus pour le maintien de l'empereur Maximilien sur le trône du Mexique.

Mais à peine eut-il prononcé ces mots, qu'il recula effrayé.

L'impératrice Charlotte s'était redressée tout à coup, avait bondi, presque, et menaçante, la bouche contractée, folle, superbement et épouvantablement folle, droite, toute droite, devant Napoléon III, elle criait sa détresse, sa colère et sa haine :

— Sire, on dit que vous êtes bon : c'est un mensonge ! Sire, on dit que vous êtes un souverain magnanime : c'est un mensonge ! Sire, on dit que vous êtes glorieux : c'est un mensonge ! — Vous êtes, sire, un homme méchant. Vous êtes, sire, un maître sans autorité. Vous êtes, sire, un chef sans idéal. Vous êtes la Fatalité, et nous sommes vos victimes. Vous créez le mal, vous laissez le mal s'accomplir. Mais le mal retourne vers sa source ; il vous frappera à votre tour, et vous n'irez pas loin, sire. Vous vous effondrerez, vous et votre trône, sous le coup d'un destin que vous méconnaissez !

Puis, dans une exaltation croissante, dans un égarement qui s'emparait d'elle à mesure qu'elle parlait, elle étendit son bras, en un geste automatique, et elle commanda par trois fois :

— Arrière, arrière, arrière !

Et elle ajouta :

— Sire, c'est à moi de vous dire : je n'attends plus rien de vous.

L'Empereur, devant cette fulgurante apostrophe, s'était tout d'abord levé, surpris. La violence de la jeune femme l'avait ensuite rempli de colère — d'une de ces colères rares et sans limites qui le prenaient, parfois. Mais, considérant le désespoir de l'impératrice Charlotte et l'excusant même, dans son expression outrée, il s'était calmé, il avait ressaisi son sang- froid et il avait écouté, sans une parole, sans un mouvement, les imprécations, les malédictions qui l'atteignaient.

Et lorsque l'impératrice Charlotte, dans l'explosion finale de sa détresse, l'avait chassé, il avait esquissé un geste de profonde commisération, il s'était incliné, et il était sorti.

De retour au château, il s'était enfermé et avait consigné sa porte.

L'empereur Napoléon III redoutait les présages, et cette femme qui lui jetait son deuil prématuré à la face, l'inquiétait. Il lui semblait doux de se retrouver, sans doute, en cette heure, seul avec son étoile ; il lui semblait utile, peut-être, de la consulter ; et, dans un effort de son imagination, qui sait s'il ne la voyait point encore lui sourire ? Et, dans un effroi de son âme, qui sait s'il ne la vit point, alors, pâlir ?

 

Les incidents qui précédèrent et qui suivirent le désastre de Sadowa, furent d'un ordre moins intime et relèvent davantage de la politique proprement dite.

Par deux fois, en 1864 et en 1865, M. de Bismarck eut, avec l'empereur Napoléon III, des entretiens sur l'état de l'Europe et sur les bénéfices à retirer de cet état ; mais aucun de ces entretiens, dans lesquels M. de Bismarck recherchait une entente avec le cabinet des Tuileries, n'eut de résultat favorable à une action commune de la France et de la Prusse, contre leurs voisins.

En 1864, M. de Bismarck s'était attaché à calmer l'irritation, l'inquiétude, que la défaite du Danemark avait causées à Napoléon III, et il était rentré à Berlin, ayant à peu près réussi dans sa mission, ayant tout au moins remporté l'assurance que la France laisserait s'accomplir les événements, ne se mettrait pas immédiatement en travers de leur réalisation.

En 1865, à Biarritz, M. de Bismarck eut moins facilement raison de la neutralité de l'Empereur. Sa précédente entrevue avec le souverain pouvait lui donner l'espoir qu'il en ferait, sans trop de discussion, un allié utile à la cause qu'il défendait ; mais l'Empereur demeura énigmatique, impénétrable, se renferma en de vagues généralités sur la prospérité des peuples de l'Europe et ne conclut pas. J'ai raconté, ailleurs, la conversation qu'eut M. de Bismarck avec M. le comte Walewski, après la visite de Biarritz. Il résulte, en effet, de cette conversation que M. de Bismarck rayait, dès alors, la puissance de Napoléon III de son carnet, et qu'il la considérait, ne pouvant la faire agir à son profit, comme un obstacle désormais nuisible à sa politique et bon à être détruit. Ce qu'avait tenté M. de Bismarck auprès de l'Empereur, M. de Goltz le tenta également, on le sait, et sans plus de succès.

Il s'agissait alors, pour Napoléon III, d'amener l'Autriche à s'entendre amiablement avec le cabinet de Paris, au sujet de la question italienne et en vue d'une indépendance complète de cette nation ; il s'agissait, en un mot, de rendre effectifs, sans effusion de sang, les fameux mots jadis prononcés par Napoléon III en faveur de l'Italie : — Libre jusqu'à l'Adriatique.

Victor-Emmanuel, involontairement ou sciemment, ne permit pas à l'Empereur de mener loin les négociations qu'il avait entreprises par l'intermédiaire de M. de Metternich. Sollicité par la Prusse, il s'engagea, au cas d'un désaccord entre le cabinet de Vienne et de Berlin, à déclarer la guerre à l'Autriche, et ce traité secret, connu à Vienne à la suite d'une indiscrétion de chancellerie, fit avorter toute négociation conciliatrice.

L'Autriche se sentant menacée, alors qu'elle faisait preuve de bonne volonté pour arriver à un résultat pacifique, dans la question qui alors troublait l'Europe, abandonna les pourparlers et se retrancha dans ce qu'elle appela son droit, dans cet argument suprême et qui sent la bataille, que toutes les nations produisent aux heures des crises politiques et qu'elles nomment, également, leur droit.

Ce fut à cette époque que M. de Bismarck, pour prévenir les susceptibilités de Napoléon III dans les complications internationales qui se préparaient, inventa l'hypothèse d'une annexion du Luxembourg et de la Belgique à la France comme compensation à sa neutralité, comme fiche d'équilibre offerte à sa puissance. Il faut le dire, cependant, l'Empereur n'envisagea jamais sérieusement ces propositions, et elles n'eurent aucune influence dans son attitude à la veille du conflit austro-prussien.

L'Empereur, en ce temps, ne voulait pas la guerre et il faut reconnaître que sa situation était fort difficile. Placé en face du désaccord des cabinets de Vienne et de Berlin, il ne lui était possible d'arrêter les conséquences sanglantes de ce désaccord, qu'en entrant violemment en ligne et qu'en faisant entendre des paroles nettes, décisives, qu'en imposant à la Prusse sa volonté de ne voir se produire aucun choc européen. C'eût été là adopter une politique dénuée de toute équivoque, exempte de toute analyse et de toute intrigue ; mais c'eût été, aussi, jouer gros jeu, un jeu qui ne paraissait point, à Napoléon III, compatible avec l'autorité qu'il avait su prendre, car, si ses avis, si son ultimatum étaient dédaignés, une résolution formelle lui était dictée : délaisser son rôle de conseiller, et l'échanger contre celui de belligérant.

Les événements ont démontré que, pour son bonheur et pour celui de la France, l'Empereur n'eût pas dû, alors, hésiter à combattre la Prusse. Mais on ne voit réellement clair, dans les choses de la vie, qu'après l'accomplissement de ces choses, et il est puéril de remonter le cours des faits réalisés pour tirer de ces faits des conséquences, des résultats plus favorables que les conséquences ou que les résultats qu'ils ont offerts. D'ailleurs, dans le cas d'une lutte impossible à éviter, entre la Prusse et l'Autriche, l'Empereur attendait de cette lutte deux certitudes qui le réjouissaient : l'indépendance italienne affirmée et organisée, l'affaiblissement de l'Autriche et de la Prusse — affaiblissement qui procurerait à l'Europe un long avenir de calme et qui permettrait à la France, non plus de se recueillir, mais de se préparer, sans être inquiétée dans son labeur, à s'opposer à de nouvelles et probables prétentions dues au génie tracassier de M. de Bismarck.

La raison de l'Empereur semblait alors celle du plus fort, et il apparaissait aux peuples comme le médiateur suprême de leurs contestations, comme l'édificateur de leurs destinées.

L'opinion publique, qui, en 1866, après Sadowa, était assez bien d'accord avec les propres pensées de Napoléon III : l'opinion publique, qui allait même au delà de ses pensées, dans l'expression d'une haine irréfléchie contre l'Autriche et d'un enthousiasme enfantin pour la Prusse et pour ses fusils à aiguille, poussait l'Empereur dans la voie qu'il avait choisie et l'engageait à conserver, devant le remaniement européen qui se dessinait, son attitude d'arbitre.

Quelques hommes, parmi les politiques qui entouraient le souverain, alors, n'avaient point la même quiétude, ne voyaient pas dans la montée brutale des événements, la même cause de satisfaction.

D'aucuns conseillèrent à Napoléon III de ne point se contenter d'apaiser, par une sorte de jugement de Salomon, le conflit qui avait abouti à Sadowa ; d'aucuns conseillèrent à Napoléon III d'arrêter l'envahissement de la Prusse au travers de l'Allemagne, d'endiguer ses exigences et de prendre nettement position sur le Rhin, au cas où sa parole n'eût pas été écoutée.

D'autres, tout en étant d'avis que l'attitude offerte à l'Empereur, dans ces circonstances, suffisait à la dignité de la France, eussent souhaité que le cabinet de Paris ne laissât point la paix se rétablir, sans que la Prusse nous donnât des garanties contre un retour possible des choses, contre l'accroissement d'influence que ses victoires lui procuraient en Europe.

L'annexion compensatrice de la Belgique étant écartée, il restait à formuler les exigences qui devaient être présentées à Berlin.

L'Empereur, que le principe des nationalités séduisait, dont le rêve humanitaire était caressé agréablement par les résultats qui en découlaient naturellement, ne fit que peu d'objections à la question, cependant inquiétante, de l'unité allemande. On décida même de ne témoigner aucune méfiance à ce sujet et de reporter, sur d'autres points, les revendications du cabinet des Tuileries.

Ces revendications furent libellées ainsi : rétablissement des frontières françaises, conformément aux clauses adoptées par les puissances en 1814, annexion du Luxembourg et de Mayence, maintien intégral du royaume de Saxe ; et il fut arrêté que M. le comte Benedetti, notre ambassadeur à Berlin, se chargerait de les défendre, en les soumettant, dans une audience particulière, à l'examen de M. de Bismarck.

Lorsque M. le comte Benedetti, porteur des propositions dictées par le cabinet des Tuileries, venant de Vienne où il avait été préparer l'empereur François-Joseph aux conditions humiliantes de la paix, se présenta chez M. de Bismarck, le ministre prussien se trouvait au quartier-général du Roi dans une petite localité, sur la route de Vienne. Un armistice avait été conclu pour permettre des négociations, et l'armée prussienne attendait les résultats de cet armistice, prête à reprendre sa marche et à se diriger vers la capitale de l'Autriche.

M. Benedetti trouva M. de Bismarck en assez belle humeur, lui fit connaître les conséquences de son passage à Vienne et lui montra l'empereur François- Joseph sinon abattu, du moins résigné à une cessation d'hostilités sur les bases que l'on sait : confédération des Etats du Nord de l'Allemagne à l'exclusion de l'Autriche, cession de la Vénétie à la France, à Napoléon III, qui à son tour la remettrait au roi Victor-Emmanuel.

M. de Bismarck se réjouit de tant de succès, et l'entrevue eût été fort cordiale si M. Benedetti s'en était tenu à l'exposé des seules conditions qu'il venait d'énumérer.

Mais l'entretien faillit devenir orageux, quand notre ambassadeur, donnant un repos à la joie de son interlocuteur, lui fit comprendre que la France n'avait peut-être point tout à fait son compte dans ce déséquilibrement de l'Europe, et qu'elle exigeait pour prix, non seulement de ses bons offices en la circonstance présente, mais de sa neutralité absolue, et comme garantie aussi de sa sécurité à venir, les annexions compensatrices dont j'ai parlé plus haut.

Sous l'influence de sa nature brutale, fidèle à ce premier mouvement de violence qu'il a toujours eu dans les affaires, qu'il n'a jamais pu complètement vaincre, M. de Bismarck se redressa devant le discours du comte Benedetti, se cabra devant ses prétentions et lui répondit qu'en présence de ces prétentions, il ne pouvait se prononcer et désirait prendre l'avis du Roi. Puis, adouci et se ressaisissant comme diplomate, il rappela sur ses lèvres le sourire qui les avait soudainement fuies, et ajouta qu'il était fort difficile de tout discuter à la fois dans une affaire aussi grave, qu'on avait du temps pour mener à bien toutes choses, et qu'on s'entendrait évidemment.

Ce fut sur ces assurances vagues, sur cette hésitation, que M. le comte Benedetti le quitta.

Mais lorsque l'ambassadeur, quelque temps après cette entrevue, put voir l'Empereur et put lui expliquer l'échec relatif de sa mission, il était déjà trop tard pour abaisser l'orgueil de la Prusse et pour lui imposer des conditions supplémentaires de paix.

M. de Bismarck, qui savait mettre le temps à profit, s'était, en secret, assuré les sympathies des divers Etats de l'Allemagne en faveur de l'ordre politique nouveau qu'il allait créer, et ces Etats, qui quelques jours plus tôt se trouvaient devant la Prusse dans la situation de belligérants, se déclarèrent satisfaits par les clauses du traité de paix qui leur était soumis ; ils ne se seraient point peut-être prêtés aisément à un recommencement de guerre, à une guerre greffée sur celle qui les avait amoindris, mais qui leur offrant l'éclat et le bénéfice superficiels d'une nationalité, ne leur semblait pas, après tout, haïssable. Une nouvelle campagne, suscitée par la France, était sans objet pour eux, sans but appréciable et ils ne l'eussent pas acceptée.

C'est sur ces sentiments que M. de Bismarck s'était appuyé pour conclure la paix avec l'Autriche, et ce sont ces sentiments que le cabinet des Tuileries avait négligé de prévoir, en ne donnant pas à ses réclamations le caractère d'une exigence immédiate.

La Prusse s'étant, par une paix hâtive, débarrassée de l'Autriche et fortifiée de tout ce que l'amour- propre allemand peut avoir de puissance lorsqu'on agite devant lui la question d'origine, de nationalité, s'était rapidement retournée contre la France, et aux propositions du cabinet des Tuileries, formulées pour la seconde fois par M. Benedetti, avait répondu par une fin de non-recevoir absolue. Elle rejetait, en bloc, et sans discussion presque, l'ensemble de ces propositions, et se refusait à admettre quelque annexion que ce fût, à notre territoire, quelque modification que ce fût, à nos frontières.

Ce fut, alors, comme une stupéfaction dans l'entourage politique de Napoléon III. On eût dit qu'un coup de vent formidable — avant-coureur d'une tempête — passait sur les Tuileries, surprenant ceux qu'elles abritaient dans leur sommeil, comme l'un de ces coups de vent aussi qui, en pleine mer, secouent soudainement un navire, le désemparent et jettent la terreur en l'âme des passagers.

Cependant, il était nécessaire de ne point s'attarder dans un effroi, de concevoir de rapides résolutions, et l'Empereur qui n'avait pas voulu la guerre quelques semaines auparavant, mais que l'avenir, maintenant, inquiétait, qui comprenait que d'une action décisive allait, sans doute, dépendre sa gloire et la fortune de la France, rappela M. Benedetti qui revint à Paris précipitamment.

La Prusse n'avait tenu compte d'aucune de nos demandes compensatrices : il fallait donc, et sans hésitation, aviser.

L'heure qui sonna, alors, fut une heure pleine de rumeurs, fut une heure hautement tragique, et elle doit être notée dans la [vie de l'empereur Napoléon III comme l'une des plus cruelles de son règne, comme la première et la plus sensitive de sa longue agonie morale.

Sollicité par son ministre des Affaires étrangères de déclarer la guerre à la Prusse, au risque d'avoir contre lui la nouvelle Allemagne tout entière, au risque de voir l'Autriche abandonner la partie et demeurer inactive dans sa défaite, au risque même d'être oublié par l'Italie qui se couvrait de lauriers facilement cueillis, et que son succès imprévu — un succès né d'une déroute — faisait indifférente déjà ; sollicité vivement, dis-je, par M. Drouyn de Lhuys, de déclarer la guerre à la Prusse sans lui permettre de reconstituer son matériel de campagne ruiné, ou à peu près, par ses récentes luttes, l'empereur Napoléon III, que la colère animait, que l'hypocrisie prussienne indignait, s'était décidé à marcher sur le Rhin.

Mais, lorsqu'il s'apprêta à donner les ordres nécessaires à l'organisation d'une campagne, lorsqu'il communiqua à ses conseillers et aux chefs de son armée ses intentions, il eut une déception désolante.

Une sorte d'effarement se produisit autour de lui. Les hommes politiques hochèrent la tête, en murmurant qu'on allait — pour une vaine blessure d'orgueil et sans que la France fût en rien menacée se lancer dans une aventure bien audacieuse ; les militaires se disputèrent et se trouvèrent en désaccord sur l'issue probable de la campagne.

On mit en opposition avec notre armement celui que la Prusse venait d'expérimenter ; on douta que nos forces fussent capables d'arrêter une invasion probable. D'aucuns ayant réclamé, avant de prendre une décision définitive, la nomination d'une commission chargée d'examiner l'état militaire de la France comparé à celui de la Prusse, l'Empereur comprit que ses conseillers redoutaient les responsabilités et se dérobaient à son appel.

Il restait seul — seul, avec sa foi en son étoile — abandonné par les propres soutiens de son trône et de sa dynastie, devant la France, à qui il allait demander de se jeter sur l'Allemagne.

Il ne crut pas devoir se charger de la gloire ou de l'infortune qui résulterait d'une telle résolution, et, baissant la tête, dans la tristesse de son âme, dans l'humiliation de son espérance, il se résigna à l'inaction.

Il fut convenu, toutefois, que la situation faite à la France par la puissance soudaine de la Prusse, ne saurait avoir de consécration que dans un consentement simulé, et que l'on se mettrait à l'œuvre pour assurer le triomphe de nos revendications, dans un temps prochain.

 

Mais c'en était fait de toutes les revendications et de tous les triomphes à partir de ce moment. — L'empereur Napoléon III devait, dès alors, s'en aller à la dérive, comme une épave rejetée par tous les rivages, déchirée par tous les écueils, avant de disparaître, au large, dans les profondeurs de quelque océan.

Une heure, il est vrai — une heure superbe, consolante et faite d'apothéoses, l'attendait. — L'Hosannah et le Te Deum de 1867 s'annonçaient dans un murmure de cantiques, avec des sonorités sacrées, comme celles qui caressent, harmonieusement ondulantes, les voûtes des cathédrales, avec des bruits de-victoires, pareils à ceux qui passent, dans le soir, au travers des drapeaux suspendus aux murs des arsenaux, et qui, jamais immobiles, claquent éternellement, éternels haillons de toutes les gloires, emblèmes symboliques et néfastes de la haine des hommes, au vent des batailles. — L'Hosannah et le Te Deum de 1867 s'annonçaient et s'élevaient vers l'étoile impériale, vers l'étoile des Bonaparte, comme jadis les pensées et les regards des Mages vers celle de Jésus. Mais c'en était fait, oui, des revendications et des triomphes : les chants d'allégresse devaient retentir autour d'un mensonge ; l'étoile des Bonaparte devait s'éteindre, et devant l'Europe, l'Empereur devait s'écrouler, l'Empereur devait mourir, ombre lamentablement errante, sans affection vraie, lui qui avait été infiniment bon ; sans amour, lui qui avait tant aimé ; sans peuple, lui qui avait tenu, dans sa main, l'un des plus grands peuples de la terre.