LE SECRET D'UN EMPIRE : LA COUR DE NAPOLÉON III

 

IV. — L'EMPEREUR ET LES FEMMES.

 

 

Il est, en vérité, fort malaisé d'établir la version exacte du Second Empire — histoire ou chronique. A peine, en effet, révèle-t-on un détail inédit sur les mœurs des Tuileries, à peine essaie-t-on d'esquisser la silhouette d'un personnage important — homme ou femme — que des clameurs partent de tous les côtés, que des menaces de procès même, et surtout, tentent d'arrêter l'écrivain dans son étude. Il se produit un fait assez singulier, en ce qui concerne les choses du Second Empire. Il existe entre ceux qui ont fait les beaux et les vilains jours de ce temps comme une sorte de franc-maçonnerie, dont le but est de faire le silence autour de Napoléon III, de l'Impératrice et de leur entourage. Les acteurs du Second Empire ne veulent point qu'on entretienne le public de leurs actions passées ; ils sont réfractaires à toute vérité, à toute révélation, et il semble qu'après avoir fait beaucoup et trop peut-être parler d'eux naguère, ils souhaitent, dans un esprit de compensation, qu'on les oublie actuellement. Il suit de là qu'aucune époque historique n'a été fermée au public autant que celle du Second Empire.

Ces considérations ne sont point, ici, pour faciliter la tâche que je me suis tracée et pour aider au développement libre et sincère de cette tâche — de ce chapitre, spécialement. J'essaierai, pourtant, cette besogne ingrate ; ingrate, oui, mais pas plus, en définitive, que celle qui l'a précédée et que j'ai consacrée à l'Impératrice et qui, malgré sa haute impartialité appuyée de documents authentiques, m'a valu nombre de colères. Ce qui prouve que la fable du Meunier, son Fils et l'Âne est de tous les temps.

 

Ainsi qu'un soldat doit avoir le courage de ses actes, un écrivain doit avoir celui de sa pensée. Partant de là, au seuil de ce chapitre, je n'hésite pas à dire que j'ai pour l'empereur Napoléon III — mais pour l'empereur Napoléon III seul — une sympathie sincère et émue. Et ce, parce qu'il fut un homme d'Etat remarquable et parce qu'il fut malheureux ; parce qu'il fut extrêmement bon et parce qu'il a été méconnu. Ce sont peut-être là des raisons de sentiment ; mais, cette déclaration faite, j'ajoute que je ne suis pas de ceux qui restent aveugles devant les fautes ou les inconséquences de son règne.

Il semble que le destin ait pris plaisir à jeter la femme en chacune des phases de ce règne. Une femme, la duchesse de Hamilton, est la confidente des projets de Louis-Napoléon Bonaparte avant son arrivée en France, après la révolution de 1848 ; une femme, miss Howard, lui procure, généreusement, les moyens de lutter contre ses ennemis ; une femme, enfin, Mlle de Montijo, fixe sa vie, étant Empereur, et de la même main qui avait pris son cœur, aux temps radieux des épousailles, elle joue son trône et sa gloire au soir de cette apothéose.

Le prince Louis-Napoléon, en 1848, se trouvait, en effet, en Ecosse, chez sa cousine, la duchesse de Hamilton, qu'il aima et qui lui fut cruelle, et c'est là que la nouvelle de la chute du roi Louis-Philippe lui parvint.

Le Prince dit alors à sa cousine :

— Je pars. Je vais à Londres, et, de là, à Paris, où la République est proclamée. C'est à moi d'être le maître.

Et comme la duchesse l'écoutait, un peu surprise :

— Vous n'avez point foi en moi, ma cousine, reprit le Prince. Vous avez tort, car, dès aujourd'hui, je vous invite à me venir voir à l'Elysée.

La duchesse de Hamilton se mit à rire :

— Vous rêvez — comme toujours, hélas — mon cousin, fit-elle.

Mais le Prince secoua la fête et s'en fut.

A Londres, sans ressources, miss Howard l'attendait, ayant sacrifié une partie de sa fortune pour la lui remettre. On sait le reste. Napoléon III lui rendit, avec usure, cette fortune en l'augmentant du château de Beauregard dont elle prit le nom. Mais il y eut comme une déception chez cette femme après l'avènement au trône de celui qui avait été son ami. Elle lui devint presque hostile : elle le fatigua par sa présence, se trouvant, obstinément, sur son passage et sur celui de l'Impératrice, à leurs sorties des Tuileries, et quand elle mourut, vers 1865, elle ne fut peut-être pas autant regrettée qu'elle aurait pu l'être. Elle avait, dit-on, formé un rêve insensé : elle eut, un moment, l'illusion qu'elle pourrait être l'Impératrice, sinon avouée, mais secrète, et elle mourut de ce rêve comme celui qu'elle avait servi vécut du sien.

Le dénouement que, aventurier, Napoléon III avait inspiré à l'Anglaise miss Howard, il l'eût inspiré à bien d'autres femmes.

Si, physiquement, il n'était point ce qu'on peut appeler un bel homme, il avait dans le regard et sur la lèvre ce sourire endormi qui plaît et qui captive.

En outre, il était, je le répète, d'une bonté extrême, et sa douceur et sa tendresse innées faisaient oublier ce qu'il y avait en lui d'étrange et d'insaisissable, de morose même. On le surnomma, plus tard, à la cour, Napoléon le Taciturne.

Napoléon III avait aussi la qualité qui s'adresse le mieux, non seulement aux femmes, mais aux hommes : il possédait un ressort d'activité inouï. Il était l'être des résolutions suprêmes comme le fataliste des stoïques résignations. Cette force agissante qui était en lui se perdait souvent dans un rêve, en revanche, qui la paralysait, qui la rendait inefficace ou vaine.

Quoique aimant et comprenant peu les arts, il était lettré, discourait aimablement sur les livres, savait ses auteurs à merveille et écrivait même avec goût. Mais il était réfractaire à toute poésie.

Un jour, il eut plus d'esprit que Louis XIV.

Pour complaire à une élégante, il avait fait un acrostiche et le lui avait remis, attendant l'effet de cette lecture.

Mais ce fut une moue trop significative qui répondit à son essai.

Alors, reprenant doucement le papier des mains de la belle, il le déchira et dit :

— C'est l'histoire de l'Âne et du petit Chien, n'est-ce pas ?

Et il rit de bon cœur de sa déconvenue.

Très familier et plein d'épanchement avec ceux qu'il aimait et qu'il croyait ses amis, une froideur énigmatique et une fixité scrutatrice du regard éloignaient de lui les étrangers 'ou bien les faisaient craintifs et peu disposés à lui soumettre leurs idées. Cependant, dès qu'on lui laissait deviner sa pensée, dès qu'il trouvait à glaner dans l'expression de cette pensée une nouveauté, une observation s'écartant de la banalité ordinaire des choses, il se donnait tout entier à son interlocuteur et ne lui ménageait pas sa sympathique attention.

Lui-même, alors, prenait la parole, détaillant, dans la lenteur et dans la gravité de langage qui lui étaient particulières, ses propres impressions et comme, lorsqu'il s'animait, quoiqu'il eût l'horreur de toute discussion, il devenait un merveilleux causeur, un charmeur, on le quittait avec de l'enthousiasme dans le cerveau, avec de l'affection dans le cœur. Il gagna ainsi plus d'un ennemi à sa cause.

Autoritaire et révolutionnaire, sévère et bienveillant, dans un assemblage de sentiments mystiques, on eût dit qu'il avait la vision de trop de choses à la fois et que ses propres conceptions, dans une malignité du sort, lui échappaient sans cesse. Homme d'Etat remarquable, alors qu'il s'agissait de l'organisation et de la politique intérieures du pays, il redevenait l'utopiste des années adolescentes et généreuses dès que ses facultés se tournaient vers les questions de l'extérieur. Hanté, comme son cousin, le prince Napoléon, d'ailleurs, du principe humanitaire des nationalités, il oubliait sa propre sécurité, celle même de sa patrie, quand on agitait devant lui le problème social qui s'y rattache.

— Mon oncle Napoléon Ier, avait-il dit un jour, donna les siens — ses frères — aux peuples de l'Europe. Je voudrais leur donner mon cœur.

C'est là une belle parole. L'homme qui la prononça mérite mieux, sans doute, que la haine implacable de l'Histoire.

L'empereur Napoléon III était brave ; il avait la bravoure du fataliste, c'est vrai ; mais il serait vain de discuter sur le sentiment intime qui inspire le courage. On a dit qu'à Sedan il s'était tenu éloigné du feu. On s'est trompé. Dans une étude spéciale, je ferai connaître quelques incidents ignorés de la bataille de Sedan, et l'Empereur se montra, dans cette journée néfaste, tel qu'il était réellement. Sa promenade, après le Deux-Décembre, sur les boulevards, seul, en avant de son état-major, livré ainsi à la première balle anonyme, la bagarre de Magenta, le champ de bataille de Solferino, ne sont-ils point là comme un triple témoignage de l'indifférence de cet homme devant le danger ?

 

L'Empereur, et j'aborde ici, après cette esquisse rapide, le véritable sujet de ce chapitre, fut — il serait puéril et maladroit de le nier — un homme à bonnes fortunes, un amant de la Femme, quand même et toujours.

Il y avait en lui un instinct inconscient, presque, qui le jetait vers toutes les féminités. Il était de ceux qui ne se devraient jamais marier, parce que le mariage ne leur apporte qu'un désir vite mort, parce que le mariage noie leurs facultés dans la lourdeur d'une intimité incompatible avec leur nature, parce qu'en épousant, ils donnent la souffrance, surtout, à celles qu'ils enchantent à leurs destinées, à celles qu'ils chérissent peut-être encore, alors que déjà leur esprit — je n'ose dire leur cœur — ment à cette affection et se tourne fatalement vers d'autres visages.

La psychologie de l'amour, chez les souverains. serait fort curieuse, certes, à examiner et celle de l'empereur Napoléon Ill, particulièrement me paraît déconcertante.

Je n'affirme pas — car je ne mets ici aucune pensée légère — qu'il posséda toutes les femmes qui fréquentèrent les Tuileries : mais je puis dire qu'il les aima toutes, que son œil mourant brilla devant-toutes, et un peu pour chacune d'elles.

Je le répète, les femmes des Tuileries avaient la beauté, la grâce et l'esprit. Sans vouloir exprimer, à l'égard de Napoléon III, une indulgence immorale, on me permettra de penser qu'il eut été bien difficile à cet homme, que tant de séductions sollicitaient, de demeurer passif, indifférent, insensible, dans la chaude et enfiévrée atmosphère de ses salons.

Il aima donc, jetant le mouchoir vers bien des jupes, et il ne fut peut-être que courtois, souvent, dans ce simulacre de passion, car les femmes allaient d'elles-mêmes à lui, l'entouraient, l'invitant à les adorer, dans la conscience même de l'oubli qui suivrait l'heure inoubliable et désirée.

Cet homme, qui avait couru les grands chemins de l'aventure, qui, jadis, en Amérique, inconnu et pauvre, avait eu la pensée chevaleresque de corriger, avec sa cravache, Hudson Lowe, le sinistre tourmenteur de Sainte-Hélène cet homme qui avait joué sa vie contre une couronne d'Empereur, que le côté romanesque de son mariage même parait du charme des Don Juan ; cet homme, que des acclamations, parties du peuple, saluaient dans sa capitale, avait aux regards des femmes l'attrait de ce dualisme qu'elles exigent souvent en l'amant : la force devant les autres, la douceur devant elles. Et elles le recherchaient, et elles le souhaitaient, comme les châtelaines mélancoliques et esseulées du Moyen Age devaient rechercher et souhaiter le seigneur, à son retour de la Croisade.

 

La revue serait longue à établir des femmes de la cour que l'Empereur captiva, et de celles qui, au contraire de la fille de Japhet, pleurèrent leurs désirs insatisfaits.

Il sut, parmi les femmes des Tuileries, distinguer les intelligentes, et il y en eut dont il prit plutôt les conseils que les baisers, qu'il écouta, qu'il unit presque à sa destinée par un lien plus cher et plus sacré que celui d'une éphémère passion — par un lien cérébral, si je puis ainsi parler.

Au-dessus de toutes, par le rang comme par l'esprit, il faut placer Mme la princesse Mathilde qui, elle aussi, se déroba aux instances de son cousin alors qu'il n'était qu'un prétendant et un prétendant assez peu sérieux, mais qui se fit sa collaboratrice et sa conseillère affectueuse et dévouée aussitôt après son élection à la présidence, dirigeant avec un tact supérieur les mondanités de l'Elysée, ramenant au Prince les hésitants, lui créant des amitiés, des fidélités et des courages.

La vie de Mme la princesse Mathilde est sue et je ne la reprendrai pas ici. Il est, cependant, un détail de son existence, non toujours heureuse, qui ne manque pas d'intérêt. Je veux parler de sa séparation d'avec son mari, le prince Demidoff.

Pourquoi épousa-t-elle le prince Demidoff qui était laid et brutal ? Peut-être parce qu'il était spirituel, la princesse ayant toujours eu du goût pour les gens d'esprit. Quoi qu'il en soit, elle s'aperçut vite de son erreur et, lorsqu'elle surprit son mari, à Florence, en flagrant délit d'amour avec la duchesse de Dino, elle se retira de lui. Elle appela à son aide, alors, l'empereur de Russie qui, se rendant à Palerme, alla à San Donato. A son entrée dans la villa, ce fut à peine si le souverain répondit au salut du prince Demidoff — à Saint-Pétersbourg, il ne le recevait jamais, le faisant attendre dans le salon de ses officiers, lorsque la princesse Mathilde lui rendait visite — et s'étant enfermé avec la jeune femme qui était sa cousine par le mariage du roi Jérôme avec la princesse de Wurtemberg, il décida que la séparation aurait lieu. Cette séparation ne fut rendue effective que pendant un voyage du prince Demidoff à Pétersbourg, cependant. La princesse Mathilde étant restée à Paris, le Tsar retint son vassal en Russie et le força d'accepter ses conditions qui furent assez cruelles.

La princesse Mathilde, à la cour des Tuileries, fut, avec Mme la comtesse de Beaumont — mais cette dernière dans les dernières heures de l'Empire — la seule femme qui s'occupât sincèrement, et en réelle connaisseuse, d'art et de littérature. L'Empereur lui dut des amitiés célèbres et le ton académique de certaines réceptions, au château, à Compiègne et à Fontainebleau, doit être reporté tout à l'honneur et à l'inspiration de la princesse. Elle fut comme la duchesse de Rambouillet du Second Empire, et les écrivains ainsi que les artistes, en lui continuant une déférente affection, depuis la chute de sa dynastie, la récompensent des sympathies qu'elle leur a prodiguées naguère.

 

Une autre femme, proche parente de l'Empereur, par alliance, doit être comptée au nombre des femmes intelligentes des Tuileries, quoiqu'elle se tînt le plus souvent éloignée de la cour. J'ai indiqué Mme la princesse Clotilde, fille du roi Victor-Emmanuel, mariée au prince Napoléon, qui, en dépit de la séparation morale qui s'établit entre elle et lui, dès le lendemain des épousailles, ne cessa de rendre hommage à l'élévation et à la justesse de son esprit.

La vérité oblige à dire que la guerre d'Italie fut, pour une grande part, l'œuvre du prince Napoléon. L'Empereur, à cette époque principalement, lui avait donné toute sa confiance, et sachant que son cousin connaissait particulièrement le comte de Cavour, il remit entre ses mains tout le plan des négociations qui devaient aboutir à une déclaration de guerre contre l'Autriche.

Le prince Napoléon prit charge de tout, alors, et ce fut lui qui arrangea, entre Napoléon III et Cavour, à Plombières, les entrevues fameuses.

Ce ne fut, réellement, que lorsque tout eut été décidé entre l'Empereur, son cousin et le ministre italien, que ce dernier entretint le ministre des affaires étrangères français, M. le comte Walewski, des résolutions qui avaient été arrêtées.

On sait que M. le comte Walewski ne partagea pas, tout d'abord, les vues de son collègue étranger et de son souverain, et qu'il fit une violente opposition aux projets de l'Empereur. Mais Cavour, très fin, très rusé, laissa passer la mauvaise humeur de M. Walewski et, s'en remettant au prince Napoléon du soin de mener à bien ses espérances, il attendit.

Cette guerre eut, du moins pour le Prince, un résultat : son mariage avec la princesse Clotilde, fille du roi Victor-Emmanuel.

L'Impératrice et la princesse Clotilde, je l'ai dit déjà, ne s'aimèrent jamais. Une gêne, également, régna toujours entre elle et l'Empereur. Comme son cousin, Napoléon III éprouvait une répulsion instinctive devant cette jeune femme, née plutôt pour le cloître que pour la cour et qui s'en allait, pendant de longues heures, prier dans le silence et dans l'ombre de Saint-Roch, au lieu de céder aux désirs de son mari et de son cousin qui lui conseillaient de moins fréquentes austérités.

L'Empereur, ainsi que le prince Napoléon, s'inclinait devant le sens droit de la princesse Clotilde ; mais l'indéfinissable et insondable abîme qui était entre lui et sa cousine l'empêcha toujours d'avoir recours à ses conseils.

La princesse Clotilde était, en tout, l'opposé de sa brillante parente, la princesse Mathilde. Autant celle ci était causeuse, charmante et princesse, enfin, autant celle-là était la personnification modeste de la petite bourgeoise.

Dédaigneuse de toute toilette, elle avait l'horreur instinctive des réunions officielles et il arriva, plus d'une fois, qu'elle s'endormit à table, ou après le dîner, sans souci de l'étiquette.

Une anecdote bien amusante — et qui ne peut nuire en rien à la réputation de cette sainte femme — la peint, comiquement, dans son attitude simplette.

Un soir, à dîner, s'étant assoupie, elle se réveilla brusquement et on la vit, tout à coup, cherchant un objet sous sa chaise, puis sous la table. On trouva enfin ledit objet et l'on s'aperçut qu'en sommeillant, la princesse avait tout bonnement perdu et laissé choir ses souliers.

Le mariage du prince Napoléon et de la princesse Clotilde fut-il aussi malheureux qu'on l'a dit ?

Non. — Il est évident que le caractère brutal du Prince fit souffrir bien des fois la nature douce et résignée de la princesse Clotilde. Mais, en somme, celle-ci, dans sa tranquillité d'esprit et de sens, s'accommodait assez bien des relations établies, par la force des choses, entre elle et son mari.

On connaît la figure de la princesse Clotilde et il serait peut-être oiseux de la dépeindre une fois de plus. Elle est de celles, en définitive, qui n'ont pas d'histoire, et c'est le plus bel éloge qu'on puisse faire d'elle.

Son existence entière s'est passée et se passe encore dans des pratiques pieuses ; c'est une sainte, dans toute l'acception du mot.

Cependant, il serait puéril de nier les déceptions qui l'attendirent en venant à Paris, à la cour. Peu causeuse, très renfermée, éloignée, de gestes et de pensées, de tout ce qui formait le côté mondain des Tuileries, elle ne comprit peut-être pas assez le mari qui lui avait été donné ; de là des mécomptes inévitables.

Le Prince, de son côté, ne la querella guère sur ses goûts de retraite, et il n'en parla jamais, d'ailleurs, qu'avec le plus grand respect. Il la consultait même, dans les heures difficiles, faisant très cas de son bon sens indiscutable, de la justesse de ses idées.

Le plus grand tort que le prince Napoléon eut, devant sa femme, fut de ne pas assez cacher l'intimité de sa vie extra-conjugale. Dans un voyage même, étant à Dublin, avec Cora Pearl, et le bruit s'étant répandu de son arrivée dans la ville, il fut surpris en la compagnie peu édifiante de cette fille par le lord maire qui se fit, soudain, annoncer chez lui, dans l'hôtel où il était descendu. L'aventure fit grand bruit, causa du scandale et, quand le récit en vint aux oreilles de la princesse Clotilde, elle s'en montra profondément affligée.

Il n'est point vrai que le prince Napoléon et sa femme durent jamais se séparer. Mais un fait est indéniable : un gouffre était entre eux que rien ne pouvait combler.

Le Prince, homme à bonnes fortunes, amant des élégances féminines, ne pouvait s'habituer à l'extrême simplicité de la princesse Clotilde et sa mauvaise humeur, souvent, provenait de ce mépris pour toute coquetterie qu'elle affectait davantage encore dans l'intimité.

Cette absence, chez sa femme, de tout instinct d'élégance le chagrinait sincèrement, et un jour, il .s'en ouvrit à un de ses familiers.

— Regardez Clotilde, lui dit-il, en lui montrant la Princesse, qui marchait dans le jardin, est-elle fagotée ! C'est trop de vertu, vraiment ! Voyez, ses bas tombent sur ses talons

— Vous auriez dû épouser l'Impératrice, monseigneur, lui dit alors son interlocuteur.

— Épouser Eugénie, moi ? s'écria le prince. Non, non ; j'aime encore mieux être le mari de Clotilde. L'Impératrice est une femme d'imagination, de plaisirs dont je ne fais aucun cas. Il me faut une mère pour mes enfants, et sous ce rapport, la Princesse est irréprochable.

Il est un mot d'elle à l'Impératrice qui la relève royalement.

Quelque temps après son mariage, comme elle paraissait à la cour, pour la première fois, l'Impératrice crut deviner en elle de la timidité, de la gaucherie, et sur un ton de bonté un peu protectrice, lui dit :

— Rassurez-vous, ma chère enfant, vous vous habituerez vite à ma cour.

La princesse Clotilde se redressa, orgueilleuse :

— Je suis, Madame, toute rassurée, répliqua-t-elle, et habituée depuis ma naissance à celle de mon père.

 

Sur un plan plus effacé vinrent ensuite, parmi les femmes de la famille impériale, la duchesse d'Albe, sœur de l'Impératrice qui l'aima et qui la pleura éperdument ; la comtesse Stéphanie Tascher de la Pagerie, qui fut la chroniqueuse de la cour ; la princesse Bacciochi — dont les allures garçonnières effaraient un peu et qui, chasseresse intrépide, sacrait et jurait comme le plus humble de ses valets de chiens.

Un jour, après une chasse émouvante, chez M. R..., près Rambouillet, quoiqu'elle ne fût pas jolie, un cavalier se fit galant auprès d'elle. Pendant qu'il lui débitait des fadaises, le cerf battait l'eau de l'Etang d'Or, et ayant gagné la rive, assailli par les chiens, -décousait les meilleurs d'entre eux.

I entendait-elle les douceurs de son compagnon ? On La princesse Bacciochi, qui regardait cette scène, ne saurait le dire. Mais elle l'interrompit, soudain, et sur un ton peu conciliant, lui cria :

— F...ichez-moi la paix, monsieur, et marchez donc au secours des chiens !

Et elle porta elle-même son cheval en avant, allant à l'aide de la meute.

La princesse Bacciochi chassait, souvent, en habits moitié masculins, culottée, bottée et éperonnée, ce qui excusait, sans doute, sa rudesse.

 

Une question délicate se pose ici : existait-il, à la cour, ainsi qu'on l'a murmuré souvent, un service régulièrement organisé des plaisirs de l'Empereur — tranchons le mot — de la galanterie ? Ma réponse à cette question sera nette : oui, ce service existait et fonctionnait presque administrativement.

Je demande, à ce sujet et avant d'aller plus avant, qu'on me fasse grâce d'indignations. Je sais fort bien que ces révélations peuvent gêner certaines personnalités du Second Empire et qu'on peut avoir intérêt à les démentir. Mais les démentis, dans ces cas particuliers et personnels, ne sauraient avoir qu'une valeur relative et conventionnelle.

J'écris ces pages en historien impartial, sans parti pris, sans haine comme sans affection contre ou pour ceux qui passent sous ma plume et je ne puis me résoudre, pour complaire à mes contradicteurs, à écrire la chronique du Second Empire avec des découpures de feuilles soumises.

Le service de la galanterie était donc parfaitement organisé aux Tuileries sous le Second Empire, et on le désignait, au château, par ces mois : le service des femmes. L'un des chambellans de l'Empereur, le comte X..., en avait la direction et veillait, avec un scrupuleux soin, à ce que les choses fussent bien faites, à ce que nulle maladresse ne vint entraver les désirs et les satisfactions du souverain.

Il n'eût point été aisé peut-être, malgré la frivolité qui régnait à la cour, de trouver un homme qui voulût bien prendre la charge et la responsabilité... morale d'une telle fonction. Le comte X..., peu scrupuleux, ayant du sang d'aventurier dans les veines, rempli de décision et d'à-propos dans les situations équivoques, était tout indiqué pour cet emploi et c'est à lui que l'Empereur, sans hésitation, s'adressa pour l'intendance de ses plaisirs.

Afin d'être sans cesse en communication avec le maître — aux heures roses, principalement — le comte avait un appartement au rez-de-chaussée du palais, dans la cour des Tuileries, ouvrant sur celui du souverain, et c'est chez lui que Napoléon III se rendait pour faire son choix parmi les beautés à la mode ou ignorées qu'il lui présentait.

Le comte X... était maladif, et dans ses moments de souffrance, son service était remis à M. H..., qui avait toute sa confiance ainsi que celle de l'Empereur. M. H... suppléait même le chambellan lorsque Napoléon III était en voyage. Il l'accompagnait et ne s'installait jamais dans la nouvelle résidence du souverain qu'escorté d'une demi-douzaine de vertus dociles recrutées soit à Paris, soit en province même. Il fut, en effet, longtemps parlé, à la cour, d'une certaine rose de Provins, poussée et épanouie dans l'air triste de la magistrature du lieu. Son effeuillement dura peu d'ailleurs, et M. H... se montra particulièrement affecté du dédain de Napoléon III en cette circonstance.

Dans les fêtes et dans les cérémonies publiques, un service de place était réservé à des gens de police de bon ton pour veiller sur l'Empereur. D'autres places, également non loin de Napoléon III, étaient données aux femmes qui étaient en relations avec le comte X... et M. H..., et c'était alors, sous l'œil du souverain et pour sa plus grande damnation, comme un véritable concours de beauté.

Une femme de lettres, célèbre alors, brigua les faveurs de l'Empereur, et comme elle écrivait des romans, elle ne cessait d'envoyer à Napoléon III ses livres avec des dédicaces brûlantes pour attirer son attention sur elle. Elle n'avait point conscience que l'Empereur faisait lui-même un roman assez émouvant pour que ceux des autres ne l'intéressassent point.

Une anecdote qui, dans sa légèreté, ne manque pas d'élément dramatique, m'a été contée au sujet de cet instinct spontané qui portait l'Empereur vers toute jolie femme.

Quelques hommes — des étrangers — parmi ses ennemis, tentèrent un jour de mettre à profit le sentiment amoureux de Napoléon III, pour le ruiner dans sa santé, dans sa vie.

S'étant procuré une drôlesse, jeune et merveilleusement belle, mais atteinte d'un mal terrible, ils la placèrent sur le passage de l'Empereur à sa sortie des Tuileries, dans l'espérance qu'il la remarquerait.

Napoléon III la vit, en effet, mais — son étoile veillait-elle, en ce temps, sur lui, même dans les choses de son intimité ? — il ne la souhaita point et les organisateurs de cet attentat d'un nouveau genre en furent pour leurs peines et leur infamie.

Le mode de procéder qu'employaient le comte X..., M. H..., et plus tard M. le vicomte de L... qui succéda au comte X..., n'était point sans monotonie.

On imagina, alors, de compliquer les choix du souverain, dans le recrutement de ses fugitives amies, par quelques jeux qui ne manquaient pas de piquant. Comme ces jeux avaient lieu à la cour, il ne pouvait être question d'introduire dans l'entourage du palais, des femmes étrangères et non mondainement classées, et ce fut parmi celles qui brillaient aux Tuileries même, que Napoléon III se prodigua.

On a beaucoup parlé et ri du jeu de bagues installé dans certaine résidence de l'Empereur, alors qu'il était en villégiature. Ce jeu se pratiquait ainsi : ces dames s'apprêtant à enfourcher leurs montures, tandis que le marquis de M... tournait, la manivelle d'un orgue de Barbarie, le souverain s'avançait vers elles et les observait. Alors, on installait le baguier, on mettait en mouvement les chevaux, et celle qui, après la course, avait arraché le plus d'anneaux, avait droit au cœur du maître.

D'autres fois, on cachait dans un coin un bibelot de prix : bague, épingle ou bracelet, et celle de ces dames qui le trouvait devenait la préférée du moment.

Le même jeu des bibelots se répétait, mais d'une manière différente et plus pittoresque. On apportait une corbeille dans laquelle se trouvait entassée et mêlée une certaine quantité d'objets de bijouterie. L'un de ces objets était désigné à l'avance comme étant le prix de l'Empereur et la corbeille étant déposée à terre, recouverte d'une légère enveloppe qu'on ne devait ni déchirer, ni soulever entièrement, on invitait les dames à fouiller dans son contenu. C'était, alors, un inexprimable combat de dentelles et de jupes, et celle qui se relevait, ayant rapporté la... timbale, savait quelles destinées l'attendaient. Elle ne s'y dérobait généralement pas, il faut le dire à l'excuse de l'Empereur.

L'Impératrice fut longtemps — quoique ce fait paraisse invraisemblable — avant d'avoir connaissance des infidélités de son mari. Elle en souffrit cruellement, étant jalouse, et un jour, dans son chagrin, elle se détermina à une séparation.

Elle se rendit auprès d'un avocat pour être conseillée et je vais bien étonner le public en lui apprenant que cet avocat fut M. Jules Favre.

Le célèbre orateur, fort embarrassé et de la visite qu'il recevait et de la question qui lui était soumise, se tira de cette situation difficile en homme sage et d'esprit, en patriote aussi. Il engagea l'Impératrice à rte provoquer aucun scandale, dans l'intérêt même du pays, et à retourner, purement et simplement, comme une petite bourgeoise, en son ménage.

Des hommes, et parmi eux plus d'un personnage politique, essayèrent aussi d'exploiter la féminité de Napoléon III. On voulut, en maintes occasions, le conduire en se servant de quelque femme à laquelle il était peut-être malaisé de résister. Mais, si l'Empereur avait le baiser prompt et facile, il gardait mieux ses sentiments d'homme d'Etat. Il n'écouta guère les enchanteresses, alors qu'elles mirent de la politique dans leurs tendresses et leurs séductions et, par un contraste étrange, ce fut l'Impératrice, qu'il n'aimait plus physiquement, qui demeura la maîtresse de sa pensée et de son avenir, qui lui imposa sa volonté.

A la cour, cependant, il y eut, je l'ai dit, des femmes intelligentes que les questions graves de la politique — sans nuire à leurs grâces de Mondaines — sollicitèrent.

L'Empereur qui les connaissait et qui les appréciait — en dehors de tout autre et intime sentiment — ne dédaignait pas d'entendre leurs avis, et il les consulta, souvent et sérieusement, notant avec soin leurs impressions, leurs craintes, leurs désirs.

Parmi ces femmes, et en première ligne il convient de citer Mme la comtesse Walewska qui, du reste, en vertu des lois de l'atavisme, ne pouvait que s'intéresser aux choses de la politique, étant une descendante de Machiavel.

A peine mariée, elle charma le salon un peu maussade de M. Thiers et y fit la connaissance de la plupart des hommes d'Etat qui marquèrent dans l'histoire de l'Empire.

Elle fut la collaboratrice assidue, dévouée et hautement intelligente de son mari, et si on les eût écoutés tous deux, la guerre du Mexique n'eût pas eu lieu. Ils en devinèrent, en effet, les sombres résultats.

La comtesse Walewska, Italienne de naissance, ne fut pas autant contraire à la campagne contre l'Autriche, d'accord ici, d'ailleurs, avec tant d'autres esprits généreux. Cependant, quand elle crut, avec son mari et, il faut le dire, avec l'Impératrice, s'apercevoir que cette guerre n'aboutirait qu'à une exploitation égoïste de Napoléon III et de la France, elle mit en œuvre toute son influence pour que les résultats n'en fussent point défavorables à notre pays. Et dans le patriotisme ardent qu'elle manifesta pour sa patrie d'adoption —car Mme la comtesse Walewska fut et reste une belle et bonne Française — et qui ne l'abandonna jamais, elle fit se dresser, inquiète, la .tête de Cavour.

— La femme que je redoute le plus, dit-il alors, est la comtesse Walewska.

L'histoire politique de la comtesse serait longue à détailler, ayant été ambassadrice de France à Londres, femme du ministre des affaires étrangères, du ministre d'Etat, du président, du Congrès de Paris, après la guerre de Crimée, et du président du Corps législatif. Après la retraite de M. le comte Walewski, elle ne voulut conserver de ses dignités que le charme attirant qui était en elle, que sa bonté qui était extrême, que son esprit qui était merveilleux.

Son salon était. le rendez-vous de toutes les célébrités de la politique, des lettres et des arts, et ses amitiés littéraires demeurent célèbres.

Ce fut à elle que l'Empereur, pendant sa captivité, confia bien des peines et bien des espérances, et Gambetta, même, qu'elle connut, après la guerre car elle avait la curiosité de toutes les intelligences — disait d'elle : — C'est une charmeuse.

L'hommage n'est point banal venant de cet homme, et il est mérité.

Ce sont, ici, des esquisses rapides. Certaines femmes des Tuileries demanderaient, pour être portraiturées, des pages plus nombreuses.

Telle est Mme la comtesse de Castiglione, qui eut la réputation d'être une femme exclusivement politique et qui, plutôt, fut une mondaine éprise et orgueilleuse de sa beauté. Pourtant, nièce de Cavour, je crois, elle ne fut pas étrangère à la guerre d'Italie et l'on accusa sa beauté, justement, tout autant que le carbonarisme et que le socialisme nuageux de l'Empereur, d'avoir précipité les événements.

On rapporte d'elle, en effet, un mot à une amie intime qui tendrait à confirmer cette opinion.

— Napoléon, Victor-Emmanuel, Cavour, comme j'aurais plaint l'Italie si elle n'avait eu que ces hommes pour défenseurs ! Voulez-vous savoir à quoi elle doit d'être, l'Italie ? Eh bien ! c'est à ça, à ça et à ça...

Et, elle montrait ses lèvres, en les frappant du bout de ses doigts.

Il est, sur elle, de nombreuses anecdotes, car sa beauté et son étrangeté révolutionnèrent la cour et la ville.

Un jour, comme elle devait se rendre chez Mme de Rothschild et qu'elle avait appris, on ne sait comment, que la baronne avait réuni plusieurs femmes pour la voir et pour contempler, enfin, son visage fameux, elle se présenta, en effet, mais sa figure était enveloppée dans deux ou trois voiles impénétrables. Et elle se réjouit fort de la déception qu'elle provoqua.

Un soir, l'Empereur fut assailli devant sa porte et reçut de la part d'hommes restés inconnus, une véritable raclée.

Mais un fait plus grave se passa chez elle : ce fut un attentat contre la vie de Napoléon III, commis par l'un de ses serviteurs. Voici l'histoire ; elle est, je crois pouvoir l'affirmer, absolument ignorée du public.

Comme l'Empereur, une après-midi, sortait des Tuileries, conduisant lui-même son cheval et accompagné d'un seul valet de pied, il rencontra, près des Champs-Elysées, le général Edgar Ney à qui il parla. Puis, comme il se disposait à continuer son chemin, il lui dit qu'il se rendait chez Mme de Castiglione et il ajouta :

— Montez donc avec moi et venez. Votre présence me permettra d'abréger ma visite.

L'étoile de la belle Italienne était, alors, en son déclin.

Le général obéit et l'on arriva bientôt devant l'hôtel de la comtesse.

A l'instant où Napoléon III donnait à un grand diable de valet de chambre son pardessus, le général Ney poussa un cri, étendit la main vers l'Empereur et reçut un coup de poignard dans l'avant-bras.

Ce valet, en effet, s'était soudain jeté sur le souverain et lui avait porté un coup terrible. L'intervention du général sauva l'Empereur.

Ce fut là un incident qui détermina Napoléon III à rompre définitivement une liaison qui le fatiguait et, dès lors, il ne revit plus sa singulière amie.

Il l'avait chérie, cependant, on ne peut le nier. Et de gracieux souvenirs étaient entre elle et lui : le soir, par exemple, où, belle de toutes les beautés, dans une féerique toilette de bal, elle passait à son impérial amant agenouillé, des épingles qu'il prenait, une à une, et dont il se servait, sur ses indications, pour rectifier le travail du couturier. Cette scène ne rappelle-t-elle pas, avec la crudité du langage en moins, celle de la Du Barry et de Louis le Bien-Aimé, distillant un café qui f...ait le camp.

Parmi d'autres, fêtées et politiquant à la cour des Tuileries, il y eut Mme la princesse de Metternich qui voulut bien des choses et qui les eut, qu'on désignait par ce simple mot, à la cour — l'Ambassadrice.

 

Des écrivains mal renseignés ont affirmé que Mme de Metternich fut la maîtresse de l'Empereur. Cette assertion est fausse. La princesse fut, par son influence, néfaste à la dynastie napoléonienne et à la France, légère, presque impudique de gestes et de propos, mais elle aimait son mari et ne le trompa point. Elle était, de son côté, fort jalouse de M. de Metternich, homme à bonnes fortunes, sinon grand politique comme son père, et ne voulut jamais s'avouer vaincue dans son intimité. On sait le mot qu'elle eut un jour, à ce sujet. Comme on discourait, parmi les femmes de la cour, de la fidélité et de l'infidélité des maris, en général, elle s'écria tout à coup :

— Je ne comprends pas qu'une femme soit trompée. Moi, je suis bien tranquille sur la fidélité de mon mari.

Et comme on se récriait autour d'elle, lui demandant quel secret était celui de son bonheur :

— Oh ! répliqua-t-elle, il est fort simple : je casse une patte à mon mari tous les matins, et je suis rassurée pour le reste de la journée.

Elle avait, en vérité, des boutades terribles.

Un matin, déjeunant chez la baronne de Rothschild, elle s'aperçut qu'on servait au maître de la maison un vin différent de celui qui était offert aux invités.

Elle dirigea son regard moqueur vers le banquier et lui dit :

— Il coûte donc bien cher, baron, ce vin, que vous êtes seul à le boire ? Et comme le baron, embarrassé, balbutiait :

— Faites-m'en servir, je vous prie, ajouta-t-elle, et nous verrons si, lui et vous, avez bon goût.

Mme de Metternich voulut la guerre du Mexique et elle la fit, de concert, d'ailleurs, avec l'Impératrice.

Elle mit tout en œuvre pour que l'Empereur s'alliât à son pays avant le désastre qui l'atteignit et elle eût pu, sans doute, combattre l'indifférence de son gouvernement en 1870 ; mais elle demeura inactive, dans une rancune peut-être de l'abandon de Napoléon III.

Elle fut l'intime amie de l'Impératrice. Quant à l'Empereur, qui acceptait sa gaîté exubérante et qui tolérait ses excentricités, il lui inspira toujours de la méfiance, et de son côté elle ne provoqua jamais en lui beaucoup de franche sympathie. L'Empereur déplorait, en effet, son influence sur les mœurs de la cour.

Mme de Metternich, quoiqu'elle ne fût pas belle, était vraiment toute-puissante aux Tuileries, sinon dans la politique, mais dans les mondanités.

Elle profita de l'indépendance qui lui était tolérée pour prendre, à la cour, des libertés extrêmes et pour créer des aventures plus qu'imprudentes.

C'est ainsi qu'à Fontainebleau, vers onze heures du soir, elle quittait les salons, allait s'enfermer dans son appartement, où un souper étant servi, la société, impatiente de cette heure joyeuse, tandis que l'Empereur et l'Impératrice se retiraient, allait la retrouver, contre toutes les règles de l'étiquette. Et c'était, alors, des fins de nuit — folles.

— On s'embête chez l'Empereur, disait-elle. Mais chez moi, on s'amuse.

Une fois, n'eut-elle pas la fantaisie d'aller en compagnie de son mari, du prince de Galles, de M. Nigra, de Mmes de G..., de P... et de quelques autres, souper dans un cabaret à la mode ?

Il arriva que dans le salon qui était voisin du sien, M. de G... se trouvait avec des amis et plusieurs femmes galantes.

Sur la demande de Mme de Metternich il y eut alors, et dès qu'elle connut la présence de M. de G..., fusion entre les deux réunions. On ouvrit à grands battants les portes de communication et l'on se mêla, curieux les uns des autres.

On n'ignorait pas, chez l'Empereur et chez l'Impératrice, ces inconséquences. Mais elles portaient la marque de Mme de Metternich et l'on en riait.

La princesse fut le génie malin de la cour de Napoléon III et son rire de démone grince, dans les clameurs de fête du Second Empire — sinistrement.

 

Dans une étude spéciale, je ferai la revue des individualités féminines qui brillèrent, mondainement, aux Tuileries. Je ne veux cependant pas retarder — puisqu'il est ici question des femmes politiques le souvenir de l'une d'elles qui, dans les dernières années de l'Empire, se montra à la cour, prit le cœur et l'esprit de Napoléon III, et resta sa conseillère dans la captivité même.

J'ai nommé Mme la comtesse de Mercy-Argenteau.

Cette femme — cette grande dame — jeune et belle, fut un moment la collaboratrice de l'Empereur et, pendant la guerre, étant prisonnier, il l'appela auprès de lui et lui confia diverses missions.

On a nié ces missions dans le monde de la cour, après la guerre. J'ai vu les lettres que l'Empereur écrivit alors à Mme de Mercy-Argenteau, ainsi que celles qu'elle reçut du roi de Prusse et de M. de Bismarck.

Sur la prière de Napoléon III, elle tenta des négociations avec l'Allemagne, en vue d'une paix honorable et douce, entra en relations avec M. de Bismarck ainsi qu'avec le roi Guillaume et ne ménagea ni ses peines ni son intelligence pour amener un résultat favorable. Mais elle échoua, et si le Roi se montra envers elle ce qu'il était, toujours, avec toute femme galant — M. de Bismarck lui témoigna, parfois, dans ses écrits même, une rudesse plus que soldatesque.

 

Si, donc, à la cour, des femmes furent frivoles et ne surent occuper leurs heures que de fantaisies ou de curiosités mauvaises, il s'y rencontra également d'autres femmes — et sans chercher trop — qui, sans cesser d'être des charmeuses, selon le mot de Gambetta, eurent une vision haute et noble. L'Empereur sut les distinguer, je le répète ; il sut apprécier les qualités de leur esprit comme il sut comprendre les qualités de cœur de celles qui n'avaient à offrir que leur cœur, et les premières, dans leur intelligence, font un peu oublier et excuser les secondes, dans leur perversité.

C'est, là, un effacement consolant et conforme, peut-être, la part du bon Dieu et celle du Diable étant faites, à la plus stricte morale.