Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs (1226-1328)

 

Livre premier — Les événements politiques de 1226 à 1285

V - Le temps de Philippe III - 1270-1285

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

LE fils aîné de Louis IX, Philippe, lui succéda. Les destinées du royaume dépendaient déjà, en grande partie, de la valeur du personnage que le principe de l’hérédité faisait roi ; on s’aperçut bientôt, autour des événements, que le modérateur de l’Occident avait été remplacé, sur le trône de France, par un homme insignifiant.

I. PHILIPPE III ET SON ENTOURAGE

Philippe III, roi à vingt-cinq ans, avait vécu dans l’ombre jusqu’à son avènement. Soumis à son père, soumis à sa mère, docile à l’excès. Si, comme on le croit, la statue de marbre blanc, exécutée de 1299 à 1307 par Pierre de Chelles et Jean d’Arras, qui était à Saint-Denis sur son tombeau, doit être considérée comme un portrait, c’était un homme vigoureux, au visage carré, sans barbe, avec un air placide et vulgaire. On sait qu’il était très pieux, peu lettré, toujours prêt « à donner du sien », et qu’il aimait passionnément la chasse. Il avait assurément quelques traits de ressemblance avec Louis IX : comme lui, il était sans morgue, « bien emparlé », prompt à s’irriter et à s’apaiser, de mœurs irréprochables, foncièrement honnête. Mais il manquait de clairvoyance et d’énergie : il a été le jouet de son entourage, de ses domestiques, de sa femme, de sa mère, de son oncle.

L’histoire de son favori, Pierre de La Broce, qui annonce les scandales des premières années du XIVe siècle, donne assez bien la mesure du personnage.

PIERRE DE LA BROCE.

Pierre de La Broce, Tourangeau, est cité comme « chirurgien et valet de chambre du roi » dans l’ordonnance de l’hôtel royal d’août 1261. Louis IX, qu’il avait guéri d’un mal de jambe, le fit chambellan en 1266 et lui donna des terres. Comment prit-il de l’ascendant sur l’esprit du prince Philippe ? Il en prit assez pour que, dès 1269, il fût considéré comme le conseiller préféré, le « compère » du roi futur. Au camp devant Tunis, Philippe III commença la série de ses libéralités en faveur de Pierre, qui devint sire de Langeais, de Chatillon-sur-Indre, de Damville, etc. ; le notaire qui, après la saisie des archives domaniales du favori, écrivit l’inventaire des lettres royales de donation, de confirmation et de privilège qu’il y trouva, l’a clos par cette remarque facétieuse : « Si le roi n’a eu, depuis son retour de Tunis, à entendre qu’aux dons qu’il a faits à Pierre de La Broce, il a eu assez à faire. » Pierre s’enrichit ; il maria ses enfants en bon lieu ; il casa sa famille. « Les barons et les prélats le craignaient fort, dit un chroniqueur, parce qu’il faisait du roi tout ce qu’il voulait. » Les comtes de Flandre, d’Artois et de Saint-Pol, les rois d’Angleterre et de Sicile le gratifiaient de cadeaux ; le pape lui octroyait des grâces et le général des franciscains lui promettait les prières de son Ordre.

MARIE DE BRABANT.

L’autorité de Pierre de La Broce était sans rivale quand Philippe, veuf d’Isabelle d’Aragon, épousa, en août 1274, une femme élégante et jolie, Marie, princesse de Brabant. Autour de la nouvelle reine, dont le roi semblait fort amoureux, se forma bientôt une coterie, à laquelle se rattachèrent tous ceux que froissaient la fortune et l’insolence du parvenu et de sa femme.

La guerre éclata entre Pierre et les « Brabançons ». Nous n’en connaîtrions que le dénouement si une enquête instituée, après le supplice de Pierre, contre un de ses parents, Pierre de Benais, évêque de Bayeux, n’avait été conservée. Il y a, dans cette enquête, des détails assez pittoresques. Le cardinal Simon, légat du pape (le futur Martin IV), déposa que, peu de temps après la mort subite de Louis (1276), l’aîné des trois fils que le roi avait eus de son premier mariage, Pierre de Benais était venu lui parler : « Sire, aurait dit Pierre de Benais, le bruit court que madame la reine la jeune, et les femmes de sa maison, qu’elle amena de son pays, ont empoisonné monseigneur Louis ; on craint qu’elles n’en fassent autant aux autres enfants que le roi a de sa première femme. Le peuple de Paris est si ému contre la reine et ses femmes qu’elles n’oseraient aller du Louvre à Notre-Dame, de peur d’être lapidées. » Au roi et à ses conseillers, Pierre de Benais aurait parlé de la mort du jeune Louis avec des « sourires feints, des haussements d’épaules, des hochements de tête » significatifs, comme s’il n’avait pas voulu, là-dessus, dire tout ce qu’il savait. Ainsi, la tactique de Pierre de La Broce aurait été d’inspirer au roi le soupçon d’un empoisonnement que ceux-là seuls avaient pu commettre qui pouvaient en profiter. Mais une autre version circulait. « A Tours, raconta le légat lors de l’enquête, le roi me prit à part et me dit qu’on lui avait mandé de Flandre qu’un chanoine de Laon le diffamait très vilainement du péché contre nature ; ce chanoine prétendait que deux saintes femmes du diocèse de Liège, Aalis la lépreuse et Isabelle de Sparbeke, lui avaient dit que le roi était entaché de ce vice. Avez-vous entendu raconter cela ? demanda le roi. Oui, répondis-je. J’ai entendu dire qu’un saint homme savait, par révélation de Notre Seigneur, que le roi était coupable du péché en question, et que, s’il ne se repentait pas, un de ses enfants mourrait dans les six mois. Messire Louis est mort depuis. » Là-dessus, le roi et le légat, ayant délibéré, crurent à propos d’envoyer quelqu’un aux « saintes femmes » de Liège pour savoir si elles avaient dit quelque chose. Ils voulaient un messager sûr. Pierre de La Broce, prévenu, aurait recommandé son parent, l’évêque de Bayeux ; et Pierre de Benais fut, en effet, désigné. Il revint en disant que les « saintes femmes » avaient nié le propos qui leur avait été attribué ; mais il ajouta, s’adressant au légat : « Isabelle m’a dit en secret que l’enfant a été empoisonné ; cela leur a été révélé ; ceux ou celles qui ont fait le coup sont à la reine. » Et comme le légat demandait des noms : « Il me semble que je vous en dis assez ; vous pouvez bien deviner qui c’est. » Une autre fois, il nomma frère Henri, aumônier du duc de Brabant, et la dame de Peruwelz. Il fut établi plus tard — si l’enquête est digne de foi — qu’il avait fait la leçon à la voyante et qu’il avait dicté lui-même ces accusations si précises.

LA DISGRACE DU FAVORI.

Les amis de la reine Marie trouvèrent bientôt l’occasion de se venger. Le comte d’Artois, envoyé à la Cour de Castille, prétendit avoir appris qu’un traître y faisait connaître « les secrets du roi de France » ; il « soupçonna aussitôt que cela venait de Pierre ». « Quelque temps après, dit la Chronique de Saint-Denis, un moine apporta au roi, qui était à Melun, une boîte qu’un inconnu lui avait fait jurer de remettre au roi de France en mains propres. Cette boîte contenait des lettres scellées dû sceau de Pierre de La Broce. On ne dit pas ce que contenaient ces lettres, mais ceux qui les virent s’en étonnèrent. » La Cour se transporta précipitamment de Melun à Paris et de Paris à Vincennes. Le chambellan, arrêté, fut enfermé à la tour de Janville ; puis, sans avoir été admis à se défendre, pendu au gibet de Montfaucon (juin 1278). « Les ducs de Bourgogne et de Brabant, le comte d’Artois et plusieurs autres barons le convoyèrent jusqu’au Heu du supplice. » L’exécution se fit avec autant de célérité que de mystère, et, d’après le bruit public, « contre la volonté du roi ». Le peuple de Paris fut surpris. On causa. « Les uns disaient que Pierre de La Broce avait reçu secrètement de l’argent du roi d’Espagne pour trahir ; les autres qu’il avait empoisonné Louis, le fils du roi, et qu’il avait accusé la reine. » Les gens prudents s’abstinrent d’opiner : « La raison pourquoi il fut pris, dit un chroniqueur, je l’ignore, et il ne m’appartient pas d’en parler. » Le bon sens populaire tira de cet incident la morale que les hommes d’humble condition sont fous qui veulent faire la loi aux gentilshommes ; cela fut mis en complaintes. Quant à Pierre de Benais, il s’était enfui à Rome, et c’est en vain que Marie de Brabant pria le pape de la venger : « Nous nous étonnons, lui répondit Nicolas III, que vous n’ayez pas dédaigné des calomnies si peu vraisemblables. » Au roi, qui avait fait saisir le temporel de l’évêché de Bayeux, Nicolas III écrivit : « Il n’y a pas eu d’instruction régulière contre l’évêque ; rien n’est prouvé contre lui. » Pierre de Benais revint d’exil à l’avènement de Philippe le Bel, fils d’Isabelle d’Aragon.

LES DEUX REINES.

Dans cette aventure le roi Philippe avait montré sa faiblesse, d’abord en faisant son favori d’un homme qui paraît s’être exclusivement occupé de ses intérêts particuliers, puis en l’abandonnant à regret. Du reste, après comme avant l’événement de 1278, il resta sous l’influence d’autrui, et notamment des deux reines : Marie de Brabant, Marguerite de Provence. La reine Marie aimait les fêtes, les romans, la vie chevaleresque ; elle eut une petite cour, où les princes d’Empire, attirés par les agréments du séjour en France, étaient nombreux. Les « amis » de la reine Marie : le duc de Brabant (qui périt dans un tournoi), les comtes de Bourgogne, de Gueldre, de Hollande, de Luxembourg, et leurs émules français, les comtes de Dreux, de Soissons, de Saint-Pol, etc., grands seigneurs fastueux, téméraires, ressemblent déjà à des personnages de Froissart. Robert d’Artois, prodigue et violent comme son père, le vaincu de Mansourah, était un des hommes les plus en vue de cette société si différente de celle où les enfants de Louis IX avaient grandi ; Charles d’Anjou, le « roi de Sicile », le conquérant, le victorieux, en était le héros. La reine mère, Marguerite de Provence, ne vivait, au contraire, que pour sa haine : elle haïssait les Angevins, qui l’avaient frustrée de sa légitime dans l’héritage provençal, comme au temps où Louis IX avait eu tant de peine à l’empêcher de leur nuire ; son dévouement aux princes d’Angleterre, fils de sa sœur Aliénor, qui partageaient ses griefs et ses rancunes, était toujours absolu. Entre le parti angevin de la reine Marie et le parti anglais de la reine Marguerite, tous deux belliqueux, agressifs, sans souci du bien public, Philippe le Hardi flotta.

LES CONSEILLERS DE LA COURONNE.

D’autres influences encore, qu’il est difficile de distinguer, s’exercèrent à la Cour de France de 1270 à 1285. Les conseillers et les officiers qui s’étaient formés sous Louis IX et sous Alphonse de Poitiers demeurèrent en fonctions. Les chroniqueurs disent de Mathieu, abbé de Saint-Denis, ancien serviteur de Louis IX, que « tout se faisait à sa volonté » et qu’il « gouverna le royaume pendant quinze ans ». « Le roi usa du conseil de maître Mathieu, dit la Chronique officielle, et lui bailla toutes les besognes du royaume, comme son père l’avait fait. » Quelques lettres de ce personnage, qui ont été conservées, ne suffisent pas, par malheur, à révéler son caractère. Pierre Barbet, Henri de Vézelay, Pierre Chalon (qui, successivement, de 1270 à 1285, ont été gardes du sceau), Thibaut de Pouancé (qui le fut plus tard), et tant d’autres, ne sont aussi, pour la postérité, que des noms. Il est certain, cependant, qu’ils représentaient la tradition du dernier règne ; c’est malgré eux que le gouvernement de Philippe s’en est, parfois, écarté.

 

II. LES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE

C’est Charles d’Anjou qui liquida l’expédition de Tunis. Louis IX était mort le 25 août 1270 ; la paix fut conclue en septembre avec le sultan, et l’armée des croisés revint en France, par la Sicile et la Calabre. En route périrent Thibaut de Navarre, la reine Isabelle (dont le mausolée se voit encore à la cathédrale de Cosenza) et beaucoup d’autres. A Viterbe, les rois de France et de Sicile pressèrent les cardinaux de mettre un terme à la vacance du Saint-Siège, qui durait depuis deux ans. Puis, Charles retourna en Pouille ; en mai 1271, Philippe était à Paris.

LA SUCCESSION DU COMTE DE POITIERS.

La première affaire qui sollicita l’attention du gouvernement royal, après le couronnement, fut la prise de possession de l’héritage d’Alphonse de Poitiers et de sa femme, décédés, sans enfants, au retour de la croisade. Il était à craindre que cette très riche proie fût disputée : en effet, le roi d’Angleterre allait réclamer, aux termes du traité de 1259, l’Agenais et d’autres territoires ; les Languedociens pouvaient profiter de la réunion définitive de leur pays au domaine direct de la Couronne pour protester encore une fois, et solliciter l’appui de l’Aragon. Mais l’héritage (Poitou, Toulousain et dépendances) fut « saisi » par les gens du roi avec promptitude et vigueur. Seul, Roger Bernard, comte de Foix, ayant été cité à comparaître à la Cour du roi pour se justifier d’excès qu’il avait commis dans une guerre privée, refusa et s’arma. Cette bravade fournit un prétexte pour « promener » dans les nouvelles provinces, comme dit le chroniqueur Guillaume de Puylaurens, « la justice et la majesté » du roi. Philippe en personne parut « dans les parties de Toulouse » avec une grosse armée. La campagne, qui fut plutôt, en effet, une promenade militaire qu’une campagne, se termina le 5 juin 1272, par la prise du château de Foix. C’est ainsi que la dynastie capétienne recueillit sans effort le fruit des combinaisons préparées, depuis 1229, par la force et la politique.

TRAITÉ D’AMIENS.

Quant aux prétentions anglaises, Henri III ne manqua pas de les produire, mais il mourut en novembre 1272. Son fils, Edouard Ier, revint aussitôt d’Orient, où il était allé se battre lorsque la croisade française avait été détournée sur Tunis. Au mois d’août 1273, il prêta hommage à Philippe, « pour toutes les terres qu’il devait tenir de la Couronne de France », ce qui réservait l’avenir. Puis il alla passer plus d’un an dans son duché de Guyenne, où deux petites guerres locales sévissaient : en Limousin, la vicomtesse Marguerite, soutenue, à la Cour de France, par maître Giraut de Maumont, clerc du roi, bataillait contre la commune de Limoges ; en Béarn, le vicomte Gaston menaçait, de ses châteaux dés Pyrénées, les officiers anglais du duché. La vicomtesse et le vicomte furent plusieurs fois mis en déroute par les gens ou les partisans d’Edouard ; mais battus, ils avaient la ressource de l’appel au roi de France, suzerain supérieur ; ils en usèrent : à partir de 1273, les parlements de France ont prononcé de nombreux arrêts au sujet du duc. Il est évident, toutefois, que ni l’entourage du roi de France ni le roi d’Angleterre ne se souciaient d’une guerre qui aurait mis les deux royaumes aux prises ; or, ces petites querelles, qui étaient chroniques dans le Sud-ouest, restaient sans gravité tant que ni l’un ni l’autre des deux rois n’avait l’intention de les envenimer. L’attitude de Philippe fut relativement modérée, et celle d’Edouard conciliante. D’ailleurs, Philippe III céda sur le point capital. Le 23 mai 1279, à Amiens, un traité fut scellé, complément de la paix conclue, vingt ans plus tôt, entre Louis IX et Henri III : de la succession d’Alphonse, le roi de France abandonna sur-le-champ à son cousin tout un morceau, l’Agenais, et il s’engagea à faire examiner par enquête la question du Quercy toulousain. En même temps, Aliénor de Castille, reine d’Angleterre, était autorisée à prendre possession d’Abbeville et du Ponthieu, dont elle venait d’hériter.

LE PAPE GRÉGOIRE X.

Un autre fragment avait été détaché de la succession d’Alphonse lorsque, dans l’hiver de 1273-1274, par respect pour d’anciennes promesses, le roi de France avait fait au Saint-Siège cadeau du Comtat Venaissin, réclamé par l’Église romaine depuis la fin de la guerre des Albigeois. Cette cession avait été un don gratuit. Il ne paraît pas, en effet, que la Cour de France ait lié avec la Cour de Rome, pendant les premières années du règne de Philippe III, aucune partie politique.

La vacance du Saint-Siège avait pris fin, le 1er septembre 1271, par l’élection d’un vieillard (Tedaldo Visconti), qui avait vécu en France (où il avait connu Louis IX) et en Orient. Le nouveau pape, Grégoire X, était très zélé pour la croisade et pour la réunion des Églises grecque et latine, un des grands problèmes du temps. Il décida qu’un concile œcuménique, où tous les rois et l’empereur grec, Michel Paléologue, seraient invités, se tiendrait le 1er mai 1274, à Lyon, pour préparer le « passage » et l’« union ». En juin 1273, il était à Florence, en route pour le concile. Ici se place un incident singulier, dont l’importance a été exagérée.

CANDIDATURE DU ROI A L’EMPIRE.

II n’y avait pas de roi d’Allemagne : des deux personnages qui, pendant le Grand Interrègne, avaient été revêtus de ce titre, l’un, Richard de Cornouailles, était mort au commencement de 1272 ; l’autre, Alphonse de Castille, n’était pas pris au sérieux. Charles d’Anjou conçut alors la pensée de faire élire le roi de France, son neveu, qui deviendrait son instrument en Italie. Le fait serait resté inconnu à la postérité, comme il l’a été aux contemporains, si deux documents secrets n’en avaient gardé la trace. Le premier de ces documents est un Mémoire, remis à Philippe III de la part du roi de Sicile. Il y est posé en principe que le devoir des princes est de servir Dieu et qu’on est en droit de demander davantage au fils d’un prud’homme qu’à tout autre ; donc le roi de France doit se dévouer au service de Dieu, lui qui est plus riche, débonnaire, droiturier et courageux que n’était le roi son père à son âge ; mais il y a plusieurs façons de servir Dieu : ce qui convient à un prince tel que le roi, ce n’est pas de porter la haire, c’est de prendre l’Empire ; en effet, si les expéditions contre le Soudan ont échoué jusqu’à présent, c’est que le roi de France n’a pu l’attaquer qu’avec des forces insuffisantes ; or, si le roi devient empereur, il pourra « cueillir chevalerie » de par tout le monde, sans compter que ce sera grand honneur et grand profit à la chevalerie de France que son seigneur soit par-dessus tous les seigneurs du monde. Ici, le Mémoire prévoit l’objection : « Facile à dire, mais difficile à faire. » Il y répond : « Que le roi puisse justicier et avoir l’Empire en paix, c’est très facile, car il est allié, par le sang ou autrement, à six rois : Castille, Aragon, Navarre, Angleterre, Sicile, Hongrie ; il n’y aura qu’à faire alliance à un peu d’Allemands ; et le roi à bien de quoi. » Le second document est un rapport adressé par deux messagers du roi de France à leur maître. Ils se sont abouchés, à Florence, avec les cardinaux amis de la France, Ottoboni (qui fut Adrien V) et Simon (qui fut Martin IV). « Dans son zèle pour la religion, le roi, ont-ils dit, nous a envoyés vers l’Apôtre pour savoir ce que l’Église lui conseillerait au sujet de prendre l’Empiré, s’il y était appelé. » Les cardinaux leur ont conseillé de poser la question au pape, sans entrer dans le détail des secours que l’Église pourrait fournir, le cas échéant. Le lendemain, le pape les a reçus courtoisement et payés de paroles évasives. Un peu plus tard, à Santa Croce, près de Bologne, ils n’ont pas été plus heureux : on les a invités à repasser. En dernier lieu, comme ils revenaient à la charge, le pape s’est dit malade ; il leur a fait savoir qu’il n’avait rien à ajouter à ses réponses antérieures, et qu’il les priait de saluer le roi de sa part. Voilà tous les renseignements que l’on a sur la candidature de Philippe III à l’Empire. Charles d’Anjou la suggéra, en se servant d’arguments qui ne dénotent pas une connaissance approfondie de la politique allemande ; Philippe consentit à tâter le terrain. Mais Grégoire X ne tenait pas, probablement, à satisfaire Charles d’Anjou, puisque Charles d’Anjou était ennemi de Michel Paléologue et des Gibelins que le pape voulait réconcilier : il laissa tomber le projet. Le 29 septembre, un seigneur puissant en Alsace et en Helvétie, Rodolphe de Habsbourg, fut élu par les électeurs de l’Empire.

LE CONCILE DE LYON.

En novembre 1273, Grégoire X était à Lyon. Le roi lui gardait si peu rancune de ce qui s’était passé à Florence et à Santa Croce qu’il vint le saluer, qu’il envoya dans la ville impériale une garnison pour assurer la sécurité du concile, et que c’est alors qu’il consentit la cession du Venaissin à l’Eglise.

Le concile, où siégèrent cinq cents évêques, soixante abbés mitres et plus de mille autres prélats, en présence des ambassadeurs de tous les rois de l’Europe, dura de mai à juillet 1274 : le schisme d’Orient y fut abjuré par les envoyés des Grecs ; la croisade générale y fut décidée.

Mais la croisade supposait la paix en Occident. Grégoire X s’employa désormais à débarrasser Rodolphe de Habsbourg, chef désigné de la grande expédition future, des ennemis qu’il avait. Il y réussit en partie. A la fin de 1274, des incidents de frontière avaient paru sur le point d’amener un conflit entre Français et Allemands. Un an et demi plus tard, ils étaient en fort bons termes. Le 2 février 1276, le roi d’Allemagne priait « son très cher ami, le roi de France », de prendre sous sa protection l’abbaye d’Orval, située en terre d’Empire.

 

III. RELATIONS AVEC LES ROYAUMES DU MIDI.

Il n’y a rien de plus confus que les événements qui suivirent la mort de Grégoire X (janvier 1276). La pensée de la croisade fut, encore une fois, abandonnée, à cause des différends entre les princes. Au cours de ces différends, le gouvernement de Philippe III commit des fautes et subit des désastres. Les forces de la France, capitalisées sous Louis IX, furent dépensées en pure perte, dans des aventures sans gloire, sans profit et sans issue.

Deux événements, arrivés en 1274 et en 1275, avaient attiré l’attention du gouvernement royal du côté des Pyrénées.

SUCCESSIONS DE NAVARRE ET DE CASTILLE.

Le 22 juillet 1274, Henri III de Navarre mourut, laissant la tutelle de madame Jeanne, sa fille, qui était très jeune, à sa veuve, Blanche d’Artois. Mais les princes de Castille et d’Aragon avaient des intelligences en Navarre et des prétentions sur cette couronne ; le roi d’Angleterre avait sollicité pour son fils, du vivant de Henri III, la main de madame Jeanne ; enfin les populations de ce pays plus qu’à demi barbare ne demandaient qu’à se battre contre n’importe qui, pour n’importe quoi. Le roi de France, protecteur naturel de Blanche d’Artois et de Jeanne, ne manqua pas de prendre en main leur cause : par le traité d’Orléans (mai 1275), Blanche céda à Philippe III les droits qu’elle avait jusqu’à la majorité de sa fille, et Jeanne fut fiancée au second fils de Philippe (qui fut Philippe le Bel). Un officier très énergique, Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse, fut désigné pour administrer et défendre la Navarre.

En août 1275, la mort de Fernand de La Cerda, fils aîné d’Alphonse X de Castille, époux de Blanche de France, créa de nouveaux griefs entre la Castille et la France. Le second fils d’Alphonse X, don Sanche, fut reconnu comme héritier présomptif de la Castille, au détriment des infants de La Cerda, neveux de Philippe III. Les représentations de Philippe ne furent pas accueillies. La Cour de France offrit un asile à Blanche et aux partisans des infants.

En 1276, la guerre pour la défense des deux veuves (Blanche d’Artois et Blanche de France) et des orphelines (Jeanne de Navarre et les infants de La Cerda) parut inévitable. Grande révolte en Navarre, qui fut péniblement réprimée. Défi du roi de Castille, qui resta impuni : le roi de France s’ébranla, mais il n’alla pas plus loin que Sauveterre, au pied des Pyrénées ; le défaut de vivres et la mauvaise saison l’arrêtèrent. « Comme on était en tel point, dit la Chronique de Saint-Denis, des traîtres firent entendre au roi qu’il serait bon de retourner. » On retourna, en effet. L’opinion publique, en France, fut cruellement humiliée.

Il n’y avait rien à gagner à l’aventure de Castille ; mais si, par sentiment chevaleresque, ou pour couvrir la Navarre (qui, après la répression de la révolte de 1276, fut gouvernée à la façon d’une sénéchaussée française), on se décidait à la pousser à fond, il fallait chercher des alliés.[1] En ce cas, l’allié désigné, c’était, sans contredit, l’Aragon : Aragonais et Castillans se haïssaient ; les infants de La Cerda étaient réfugiés à la Cour de Barcelone ; le nouveau roi d’Aragon, Pierre III, avait été beau-frère de Philippe III. S’aliéner l’Aragon, c’était l’erreur la plus grave qu’il fût possible de commettre. Comment, pourquoi fut-elle commise ?

Tout s’explique par des intrigues de Cour et par les complications de la politique méditerranéenne du temps. Pendant les premières années du règne, la reine mère Marguerite de Provence avait été laissée libre de machiner, d’accord avec Edouard Ier d’Angleterre, le roi des Romains Rodolphe de Habsbourg, la Bourgogne, la Savoie, etc., des combinaisons de nature à consommer, dans la vallée du Rhône, la ruine des Angevins, ses ennemis. Or il arriva, d’une part, que le pape Nicolas III (Orsini) conçut le projet, dans l’intérêt de sa politique personnelle en Italie, de réconcilier Charles d’Anjou avec Rodolphe, et même de relever le royaume d’Arles au profit de leurs enfants, dont les droits seraient unis par un mariage ; d’autre part, que la jeune reine, Marie de Brabant, fit triompher, à la Cour de France, le parti hostile à l’Angleterre, favorable aux Angevins. Marguerite perdit à la fois l’espoir de satisfaire ses rancunes (car ses amis du Sud-est l’abandonnèrent successivement) et toute influence près de son fils. Charles d’Anjou l’emportait sur elle et s’installait en maître à la fois dans la vallée du Rhône et à Paris. Mais, pour la France, la conséquence inévitable de l’intimité avec la maison d’Anjou, c’était, à bref délai, la brouille avec les Aragonais, car le roi d’Aragon, du chef de sa femme Constance, la fille et l’héritière de Manfred, avait des vues sur la Sicile angevine.

LES VÊPRES SICILIENNES.

En janvier 1281, Philippe III et Pierre III d’Aragon eurent une entrevue à Toulouse ; symptôme significatif, Pierre III s’y montra peu courtois pour le représentant de Charles d’Anjou. Au printemps de l’année suivante, les efforts de l’exilé Jean de Procida qui, de Castille ou d’Aragon, tenait les fils de toutes les intrigues ourdies dans l’Orient grec, en Italie et en Espagne contre les Angevins, aboutirent au mouvement connu sous le nom de Vêpres Siciliennes. Enfin, quelques semaines après le massacre des Vêpres, on apprit en France que la flotte catalane avait vaincu celle de Charles d’Anjou, et que Pierre d’Aragon s’était fait couronner roi de Sicile à Palerme.

 

IV. LA CROISADE D’ARAGON[2]

Vers le temps des Vêpres Siciliennes, la guerre avec la Castille cessa d’être pour la France une éventualité menaçante. En effet, Alphonse X et don Sanche, le père et le fils, engagèrent l’un contre l’autre une lutte furieuse (novembre 1282) ; l’émir du Maroc et les Mores de Grenade s’en mêlèrent : la Castille fut immobilisée. Après la mort d’Alphonse X, don Sanche eut un trop vif désir d’obtenir la levée de l’interdit pontifical dont ses partisans avaient été frappés pour essayer de nuire aux Français, qu’il savait tout-puissants à Rome. On crut même, un moment, en 1285, qu’il les aiderait au besoin.

Il y avait de bonnes raisons (qui n’ont pas échappé, semble-t-il, aux gens sages, tels que Mathieu de Vendôme) pour ne pas substituer une guerre d’Aragon à la guerre de Castille qui, par chance, s’évanouissait. Néanmoins, le gouvernement royal s’engagea bientôt, à corps perdu, dans des querelles que rien ne le forçait à faire siennes.

Le pape Martin IV est en partie responsable de ce qui arriva. Il était d’origine française : il avait été conseiller du roi ; cardinal de Sainte Cécile, il avait été légat en France, et c’était lui qui avait conduit, en cette qualité, pendant l’affaire 1264, les négociations relatives à l’affaire du royaume de Sicile ; son dévouement aux Capétiens de France et de Naples était sans limites. Son avènement (février 1281) avait été salué dans la province de Romagne, rattachée depuis peu de temps au Patrimoine de Saint-Pierre, par une explosion de colères gibelines. Pour les étouffer, il avait appelé des soudoyers français qui, sous Gui et Jean d’Eppe, menaient la plus rude campagne contre les gens de Ravenne et de Rimini, d’Imola et de Forli ; le roi de France lui envoyait directement, pour cette « guerre de Romagne », de l’argent et des hommes. Un tel pape ne devait pas hésiter à conseiller des aventures.

D’ailleurs, depuis les premières chevauchées de Charles d’Anjou en Italie, la noblesse française, dont tant de membres s’étaient installés là-bas, rêvait de promenades triomphales dans les beaux pays du Midi, au-delà des monts. Un fort courant d’émigration vers les domaines angevins de l’Italie du Sud s’était établi. Même en Lombardie, en Toscane, les condottieri français étaient nombreux. A la nouvelle des Vêpres Siciliennes, Pierre d’Alençon, fils de Louis IX, Robert d’Artois, les comtes de Dammartin et de Boulogne, « beaucoup d’autres gentilshommes, avec quantité de gens de pied », furent autorisés à passer dans le royaume de Naples. Ainsi les grands seigneurs de France étaient prêts à se jeter avec joie dans les aventures qui leur seraient proposées.

C’est en 1283 que Charles d’Anjou et Martin IV s’arrangèrent pour entraîner Philippe III dans leur association en vue d’arrêter la renaissance du gibelinisme en Italie, provoquée et dirigée par Pierre III d’Aragon. Il fut d’abord question d’un duel entre Pierre et Charles, en champ clos, dans la ville de Bordeaux. Ce romanesque jugement de Dieu n’eut pas lieu ; mais Charles profita sûrement du séjour qu’il fit en France à cette occasion pour exposer ses desseins, circonvenir et convaincre. Le 21 mars, le pape avait déclaré le roi d’Aragon déchu, ses vassaux et ses sujets déliés du serment de fidélité. Le plan de Charles d’Anjou était de faire offrir cette couronne, désormais considérée comme vacante, à un fils de France ; l’armée de France la prendrait, et l’Italie angevine serait délivrée des Catalans. Bref, il s’agissait de recommencer, en Aragon, ce que Charles d’Anjou lui-même avait accompli naguère dans le royaume de Naples. L’offre, renouvelée de celle qu’Urbain IV avait l’intermédiaire à Charles en 1262-1263 par l’intermédiaire d’Albert de Parme, fut apportée à Philippe, de la part de Martin IV, par le cardinal Jean Cholet.

Accepter, c’était reconnaître implicitement au Saint-Siège le droit de déposer les rois. Pour ce seul motif, Louis IX eût refusé sans doute : il avait refusé, en pareilles circonstances, pour ses frères Robert et Charles, les dépouilles de Frédéric II. Mais la Cour de Philippe III, évidemment tentée, négocia.

ASSEMBLÉES DE BOURGES ET DE PARIS.

En novembre 1283, une grande assemblée de barons et de prélats fut tenue à Bourges pour délibérer sur les propositions du pape. En son nom, le roi fit demander à Rome de spécifier l’aide pécuniaire qui serait accordée par l’Église, et les conditions qui seraient imposées au conquérant éventuel de l’Aragon : le pape s’engagerait-il à faire prêcher la croisade contre Pierre d’Aragon avec les mêmes indulgences que pour l’expédition d’outremer ? Si le roi ; sans accepter pour un de ses fils le don qui lui était offert, aidait l’Eglise romaine contre les Aragonais, jouirait-il des mêmes faveurs ? Martin IV, comme fatigué par ces tergiversations, répondit assez vivement : « Eh quoi, écrit-il, voici que tout recommence ! Certes, nous n’accusons pas ta dévotion ; nous accusons plutôt ceux qui, autour de toi, cherchent à empêcher en dessous, par des artifices coupables, une entreprise qu’ils désapprouvent. Si tu renonçais à tes projets, quelle joie pour tes rivaux ! Quelle honte pour la France ! Les prélats et les barons du royaume s’abstiendraient de pareils conseils, s’ils réfléchissaient davantage. » Il ne laissa pas, cependant, de répliquer point par point aux observations de l’assemblée, et même d’y satisfaire, mais à condition que le don de la couronne d’Aragon serait expressément accepté.

A la fin de février 1284, une seconde assemblée se réunit à Paris. Le roi fit lire en latin, puis traduire en français, l’énoncé des conditions que Martin IV attachait à la concession des royaumes d’Aragon et de Valence : puis, il demanda conseil (20 février). Le 21, au matin, la noblesse et le clergé s’installèrent dans des salles séparées du palais royal. Après une discussion assez vive, les deux ordres s’accordèrent à émettre un avis favorable. Averti par Simon de Nesle, porte-parole de la noblesse, le cardinal Cholet (auquel on doit une relation de tous ces événements) manda au roi de venir. Philippe « arriva avec ses deux filé, Philippe et Charles ; les prélats s’étaient mêlés aux barons, et il y avait là, en outre, une foule ». Au nom du clergé, Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges, déclara le premier que, pour l’honneur de Dieu, de la Sainte Eglise, du royaume de France et pour l’utilité de la foi, il trouvait : « Vous nous avez donné un bon et fidèle conseil. Pour l’honneur de Dieu et de Sainte Mère Église nous nous chargerons de cette affaire aux conditions indiquées ; nous acceptons. » Il accepta, le lendemain, pour son fils puîné, Charles de Valois.

Le roi d’Angleterre qui, le 12 janvier, avait prié Mathieu de Vendôme de travailler au maintien de la paix, fut promptement informé de ces graves événements : « Le royaume d’Aragon a été accepté, lui écrivit Mathieu de Vendôme, de l’avis dès barons et des prélats ; si l’on n’y prend garde, le sang va couler. » Un autre correspondant d’Edouard Ier lui mandait, en même temps : « Le roi a envoyé ses messagers à Rome pour confirmer la chose ; dès qu’ils seront revenus, la croisade sera prêchée. On ne croit pas que l’on aille en Aragon avant un an... »

« Après que le roi Philippe se fut croisé pour aller en Aragon, disent les Grandes Chroniques, le roi Charles [de Sicile] prit congé. » Il retourna dans son royaume, mais pour y apprendre que Charles de Salerne, son fils, avait été capturé par la flotte catalane (mai 1284), et mourir (janvier 1285). Le 29 mars 1285, Martin IV mourut aussi. Les deux hommes qui avaient tiré le vin amer de la « croisade » d’Aragon disparurent donc au moment où les Français allaient le boire.

L’EXPÉDITION DE 1285 ET LA MORT DU ROI.

La guerre franco-aragonaise de 1285 est la première guerre de conquête que les Capétiens aient entreprise hors des limites naturelles de la France. Des préparatifs énormes avaient été faits. L’armée des croisés qui entra en Roussillon au mois de mai était probablement la plus forte qu’un roi de France eût jamais commandée. Mais les chefs n’avaient aucune idée des difficultés qu’ils allaient rencontrer : un pays âpre, sous un ciel de feu, des populations exaltées. Ils croyaient qu’ils auraient raison des Catalans comme Simon de Montfort avait eu jadis raison des Albigeois. Un chroniqueur aragonais, écho de bruits populaires, rapporte que l’aîné des fils du roi, Philippe (le Bel), qui, par sa mère, était de la maison d’Aragon, fut un de ceux qui pressentirent, annoncèrent le danger ; mais les clairvoyants étaient rares : le comte de Foix lui-même, qui avait passé sa vie à batailler sur les deux versants des Pyrénées, aurait dit, d’après un chroniqueur, que « si le roi Pierre était vaincu au premier choc, la campagne serait finie ».

Le Roussillon, qui appartenait au roi de Majorque, allié des Français, mais où beaucoup de gens avaient embrassé la cause aragonaise, fut assez maltraité par l’invasion ; le sac d’Elne (25 mai) est resté célèbre dans la tradition locale. Le passage des Pyrénées se fit par des sentiers mal gardés. En quinze jours, l’armée descendit jusqu’à Girone. Le 26 juin, le siège de la ville fortifiée de Girone, qui couvrait Barcelone, commença ; il se prolongea jusqu’au 5 septembre ; pendant ces deux mois les croisés eurent beaucoup à souffrir des maladies, des mouches venimeuses et des guérillas. Mais, le 4 septembre, l’amiral aragonais de Sicile, Roger de Loria, détruisit, à la hauteur des îlots « Las Formiguas », près de Palamos, la flotte au service de France, qui assurait les renforts et des ravitaillements. Le combat de Las Formiguas était décisif. Philippe III tomba malade ; la retraite fut ordonnée fin septembre. Dans la montagne, au retour, des bandes d’« almogavares », d’archers sarrasins et de juifs étaient postées qui pillèrent les bagages. Le 5 octobre, les débris de la grande armée étaient à Perpignan, en Roussillon, où Philippe III mourut.

En octobre 1285, la garnison française de Girone, commandée par Eustache de Beaumarchais, capitula. Ainsi fut promptement effacée-la dernière trace de ce grand effort inutile, qui coûta à la France, non seulement de l’argent et du sang, mais quelque chose de la renommée d’équité que Saint Louis avait acquise.

En somme, le principal résultat des expéditions de Philippe III contre le comte de Foix, la Castille, la Navarre et l’Aragon fut, en justifiant de nombreuses convocations militaires et des levées d’argent considérables, de préparer le pays, clergé, noblesse et commun, aux grandes exactions générales du temps de Philippe le Bel.

 

 

 



[1] Le roi de Castille en cherchait de son côté. Il en trouva. Dès 1275, Aimeri, vicomte de Narbonne, et ses frères s’imaginèrent, semble-t-il, qu’ils pourraient, avec l’aide des Castillans, débarrasser le Midi languedocien des Français du Nord. En 1281, Marguerite de Narbonne épousa l’infant don Pedro. Mais le projet d’alliance n’eut pas d’autres suites. Aucun de ceux à qui le vicomte de Narbonne en fit, très imprudemment, confidence, ne le prit au sérieux : « Beaux alliés pour le roi de Castille, dit un notaire de Narbonne, que les seigneurs de Portelet de Coursan !» Un des conjurés, Amauri de Narbonne, frère du vicomte, dénonça spontanément à Paris tout ce qui s’était passé. Une enquête fut faite ; on apprit que le vicomte avait tenu des propos compromettants, par exemple : « J’aime tant les clercs et les Français que, pour les voir tous noyer, je me noierais bien moi-même » ; mais la preuve matérielle de la trahison ne put être administrée. Le 11 septembre 1284, le roi fit restituer ses domaines au vicomte. Aimeri de Narbonne eut, par la suite, un rôle assez important à la Cour de Philippe le Bel.

[2] Baudon de Mony, Relations politiques des comtes de Foix avec la Catalogne, t. I (1896).