Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs (1226-1328)

 

Livre premier — Les événements politiques de 1226 à 1285

IV - Politique extérieure : la France et les pays voisins - 1235-1270

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

ON est assez porté à croire que, si Louis IX avait voulu, il aurait pu profiter des embarras de ses voisins pour s’agrandir à leurs dépens : la France royale tenait alors le premier rang en Europe ; « le roi de France, dit l’Anglais Mathieu de Paris, est le roi des rois » (rex Francorum, qui terrestrium rex regum est). Quoi qu’il en soit, Louis IX ne l’a pas voulu. Au contraire, maintenir la paix entre les princes, arbitrer leurs différends, se conduire envers les étrangers comme un honnête homme se conduit envers le prochain, conformément à la charité et à la justice, tel a été son programme. Sa politique extérieure n’a eu qu’un but : la réconciliation de tous les chrétiens en vue d’une croisade unanime.

 

I. LA FRANCE, LA PAPAUTÉ ET L’EMPIRE JUSQU’EN 1254[1]

Au moment où Louis prit en main le gouvernement du royaume, la querelle séculaire du Sacerdoce et de l’Empire était dans une phase critique. D’un côté Grégoire IX, de l’autre Frédéric II. Pape et Empereur avaient un intérêt majeur à se ménager l’appui de la France. Tous deux lui firent successivement des avances.

Les premières avances vinrent du pape. Grégoire avait excommunié Frédéric et requis les royaumes de la Chrétienté de l’aider contre son ennemi. En 1240, il offrit la couronne d’Allemagne au duc Abel de Danemark, à Otton de Brunswick et à Robert d’Artois, frère de Louis IX. Les pourparlers engagés en France à ce sujet par le légat, cardinal évêque de Préneste, n’aboutirent pas.

Cependant Grégoire avait convoqué à Rome un concile général. En vain Frédéric II écrivit-il aux rois de France et d’Angleterre qu’il n’en souffrirait pas la réunion ; le légat tint en France, à Meaux, un synode pour exhorter les évêques à le suivre au-delà des Alpes. Mais les chemins étaient gardés ; la mer n’était pas sûre ; si bien que la plupart des prélats français, arrivés à Marseille, s’en retournèrent chez eux. Quelques-uns — comme les archevêques de Rouen, de Bordeaux et d’Auch, les évêques de Carcassonne et de Nîmes, les abbés de Cluny, de Cîteaux, de Clairvaux et de Fécamp — s’embarquèrent sur une flotte génoise qui, défaite en mer, le 3 mai 1241, par les Pisans au service impérial, les laissa tomber au pouvoir de l’Empereur. Dès que Louis IX apprit leur sort, il les fit réclamer par l’abbé de Corbie et par un des chevaliers de son hôtel, Gervais d’Escrennes. Et Frédéric ayant répondu qu’il avait usé du droit de la guerre, le roi riposta, dit-on, par une sommation dont voici les derniers mots : « Notre royaume n’est pas affaibli au point de se laisser mener, par vous, à coups d’éperons.[2] » Frédéric céda.

Dans ces deux incidents célèbres de 1240 et de 1241 s’accuse nettement la politique dont Louis IX ne se départit jamais : déférence envers le Saint-Siège, bonne volonté à l’égard de l’Empereur, ferme propos de sauvegarder contre les deux belligérants les droits et les intérêts de la Couronne de France.

ÉLECTION D’INNOCENT IV.

La mort de Célestin IV, successeur de Grégoire IX, fut suivie d’un long interrègne,[3] qui prit fin par l’élection d’un homme vigilant, rusé, courageux, le noble génois Sinibaldo Fieschi (Innocent IV), le 25 juin 1243. Aussitôt s’engagea entre Innocent IV et la maison de Souabe un duel très acharné, qui dura onze ans.

Après des négociations confuses avec l’Empereur, où Raimond VII de Toulouse, réconcilié avec l’Église romaine depuis la paix de Lorris, servit d’intermédiaire, le pape, désespérant d’aboutir à un arrangement durable, et ne se croyant plus en sûreté dans les environs de Rome, s’enfuit brusquement à Gênes (28 juin 1244). Des envoyés impériaux ne tardèrent pas à paraître à la Cour d’Angleterre et à la Cour de France, pour prévenir Henri III et Louis IX contre le fugitif. Ils figuraient dans le cortège royal, en septembre, quand Louis IX, accompagné de sa mère, de ses frères Robert et Alphonse, et d’une suite très brillante, assista, dans le monastère de Cîteaux, au chapitre général de l’ordre cistercien. Au dire de Mathieu de Paris « le pape avait envoyé aux membres du chapitre une lettre par laquelle il les engageait à supplier Louis IX de le défendre contre les attaques de l’Empereur, ce fils de Satan, et, si c’était nécessaire, de l’accueillir en France, comme autrefois Louis VII avait reçu Alexandre III fuyant devant Barberousse ». Cinq cents abbés et moines, à genoux, mains jointes, auraient supplié le roi d’exaucer la requête du pontife. Mais Louis, s’agenouillant à son tour, aurait fait une réponse évasive. En fait, le pape ne fut pas encouragé à s’établir dans le royaume, car il s’arrêta, en décembre, dans la ville impériale de Lyon, assez près de la France pour bénéficier, au besoin, de sa protection, mais hors de ses limites.

Innocent IV, installé à Lyon, prit l’offensive. Il annonça pour la Saint-Jean de 1245 la tenue d’un concile œcuménique, qui « statuerait sur l’état de la Terre Sainte, les secours dont avait besoin l’Empire latin d’Orient, l’invasion des Tatars, la lutte entre l’Église et l’Empereur [4] ». Des ambassadeurs de Louis IX et d’Henri III assistèrent à cette assemblée. La séance d’ouverture, qui eut lieu le 12 juin dans le réfectoire du monastère de Saint-Just, fut signalée par un discours du procureur de Frédéric II, Taddée de Suessa, qui offrit, de la part de son maître, de confier à l’arbitrage des rois, de France et d’Angleterre la décision du différend entre l’Empire et l’Église. Le pape refusa. Il aurait dit : « Je refuse, car s’il (Frédéric) dénaturait nos conventions, ce qu’il ne manquera pas de faire, il me faudrait sévir non seulement contre lui mais contre les deux rois, ses garants, et l’Église aurait ainsi trois ennemis au lieu d’un. » Le 17 juillet, malgré les supplications des représentants des princes, la sentence d’excommunication fut confirmée ; Frédéric fut déclaré déchu et privé de ses royaumes, au nom de l’Église universelle.

Condamnation prévue. Les souverains les plus dévoués au Saint-Siège y attachèrent si peu d’importance qu’ils ne cessèrent point de traiter Frédéric en roi, et même en ami. La suscription des lettres de Louis IX à l’Empereur ne changea pas. Elle ne changea pas même lorsque Frédéric II, protestant contre la sentence rendue à Lyon, envoya coup sur coup au roi de France, aux barons de France, et à tous les Français, des circulaires véhémentes. Dans la proclamation aux Français, l’Empereur, qui commente la maxime : Nam tua res agitur, paries cum proximus ardet, accuse les papes de prétendre à la suprématie au temporel et d’usurper sur les juridictions royales : « C’est pour mettre fin à ces abus qu’il a envoyé Pierre de la Vigne et Gautier d’Ocra, ses familiers, auprès de son très cher ami, Louis de France. Si le roi, aidé de ses pairs et de ses nobles, acceptant le rôle d’arbitre, amenait le pape à réparer ses torts, et notamment à révoquer ce qui s’était fait au concile, l’Empereur, à son tour, s’en remettrait à sa décision et donnerait à l’Église des satisfactions convenables... » Frédéric terminait en affirmant son dévouement à la cause de la croisade.

ENTREVUE DE CLUNY.

Louis, qui s’était tenu jusque-là sur la réserve, fit alors une démarche : il demanda au pape une entrevue. Et, vers la fin de novembre, il rencontra Innocent IV au monastère de Cluny. Les conférences, qui durèrent sept jours, furent tout à fait secrètes : seuls le pape, le roi et la reine Blanche y prirent part. Il est probable qu’il fut question entre ces trois personnages de la croisade et de ce qui entravait la croisade : guerre entre la France et l’Angleterre, querelle du Pape et de l’Empereur, et mariage de Béatrice, l’héritière du comté de Provence. Il est même certain que des résolutions furent prises, à Cluny, au sujet du mariage provençal, car Louis IX, aussitôt après l’entrevue, intervint ouvertement dans les affaires de Provence : un des prétendants à la main de Béatrice, Jaime, roi d’Aragon, fut évincé par la force, et Charles (d’Anjou), le dernier fils de Blanche de Castille, épousa, à la barbe du troisième candidat, Raimond VII de Toulouse. Innocent IV favorisa de tout son pouvoir cette combinaison qui livrait définitivement la Provence, terre d’Empire, à l’influence française. Il n’aurait pas agi ainsi sans motif. La dispense pontificale qui autorisa l’union de Charles et de Béatrice fut sans doute le prix des assurances que Blanche de Castille et le roi donnèrent au pape exilé.

Louis IX était déjà, à cette époque, possédé par l’idée du voyage d’outremer : il pressa sans doute Innocent IV, à Cluny, de l’aider à réunir les hommes et l’argent nécessaires à la délivrance de Jérusalem. Innocent le promit, mais il eût dit volontiers, comme Henri III : « Le roi de France prend la croix ; moi, j’ai des ennemis. » Comment penser à Jérusalem, quand l’Italie était aux mains du nouveau Satan ? Le concile de Lyon avait décrété l’établissement de subsides sur le clergé, destinés à la croisade de Terre Sainte : le pape s’employa pour faciliter la levée de ces fonds ; mais il ne put se résoudre à sacrifier à la croisade du roi de France la croisade qu’il faisait prêcher, hors de France, contre l’Empereur. Le 5 juillet 1246, il écrivait à son légat Eudes de Châteauroux : « Faites interrompre la prédication pour l’expédition de Terre Sainte en Allemagne ; mais tenez cet ordre secret, ne le révélez à personne. » Plus tard, il commua les vœux des chevaliers frisons qui devaient aller en Syrie, à condition qu’ils combattraient dans l’armée de Guillaume de Hollande, l’anticésar, ami du pape, contre celle de Frédéric.

LA QUERELLE DU SACERDOCE ET DE L’EMPIRE EN 1246.

L’entrevue de Cluny n’amena donc point, comme le roi l’avait peut-être espéré, la pacification. Au contraire, l’année 1246 fut marquée par une recrudescence du conflit. Les deux ennemis firent, avec plus d’acharnement que jamais, assaut d’injures et d’anathèmes : « Les clercs, engraissés des aumônes de nos ancêtres, écrivait Frédéric aux rois, oppriment les descendants de leurs bienfaiteurs ; fils de nos sujets, ils oublient la condition de leurs pères et ne respectent plus ni empereur, ni roi, du moment où la dignité apostolique leur a été conférée... N’allez pas vous figurer que la majesté de notre grandeur plie sous la sentence pontificale. Dans la pureté de notre conscience, et avec l’aide de Dieu, nous avons toujours eu la ferme intention de ramener les clercs de tout ordre, et surtout les plus haut placés, à redevenir ce qu’ils étaient dans l’Église primitive, à vivre en apôtres, à imiter l’humilité du Seigneur... » A quoi le pape répliqua par la bulle Agni sponsa nobilis, qui exhorte les princes à venger les opprobres de l’Eglise,

II ne paraît pas que Louis ait été ému de ces déclamations. A l’automne, il offrit encore sa médiation que le pape déclina poliment, en promettant de « conserver dans ses rapports avec l’Empereur la douceur et la bienveillance qui seraient compatibles avec la volonté de Dieu et l’honneur du Saint-Siège ». Puis il pria Frédéric II de faciliter les approvisionnements de la future croisade en Sicile ; et comme l’excommunié s’empressa naturellement de se confondre en offres de services, il le remercia par une lettre affectueuse, l’appelant son « très excellent et très cher ami, l’Empereur toujours auguste, roi de Sicile et de Jérusalem ». Frédéric avait écrit, faisant allusion à l’échec de la dernière tentative de Louis auprès de la Cour pontificale : « Unis par la même injure, associons-nous pour maintenir nos dignités et nos droits. » Sur ce point le roi répondit de vive voix à l’envoyé impérial ; on ne sait pas ce qu’il lui dit.

FRÉDÉRIC II.

La rhétorique anticléricale de Frédéric, qui n’excita guère, semble-t-il, l’indignation de Saint Louis, ne resta pas sans action sur les barons de France, toujours très animés contre le clergé. Nous avons vu que quelques-uns des principaux barons du royaume se liguèrent, en novembre 1246, contre l’Eglise. Or, le manifeste de la ligue reproduit à peu près textuellement les termes des circulaires impériales. Il y est dit que Charlemagne et ses successeurs ont fondé l’Église de France ; que les clercs, qui jugent les fils de ceux dont leurs pères étaient les serfs, doivent être ramenés à l’état de l’Église primitive, à la pauvreté, à la pratique des vertus contemplatives, afin qu’ils fassent voir de nouveau au siècle des miracles dont il est privé, etc. Ce manifeste effraya bien des gens, dit Mathieu de Paris, « et on crut qu’il venait de Frédéric ». Les ligueurs correspondaient avec l’Empereur, qui, au printemps de 1247, les informait du progrès de ses pourparlers avec le roi. Dans le même temps, le roi et l’Église gallicane faisaient présenter à Innocent IV des doléances énergiques. Tels étaient les assauts que le Saint-Siège avait à soutenir du côté de la France, au moment où l’Empereur, enhardi par l’alliance des Dauphinois, des Savoyards et des Piémontais, conçut le dessein de franchir les Alpes, et de capturer dans Lyon son adversaire aux abois.

Frédéric II ne prévit certainement pas qu’il se heurterait, avant d’entrer dans Lyon, à l’opposition de Louis IX. Il était si persuadé que les Français étaient acquis à sa cause qu’il prit soin d’informer le roi de son projet et qu’il invita Hugues de Châtillon, comte de Saint-Pol, un des quatre chefs de la ligue des barons de France, à le joindre avec un contingent de chevaliers et d’hommes d’armes. En Italie on croyait que les Français allaient l’aider.

Cependant Louis IX était, avec Blanche de Castille, au monastère de Pontigny, pour assister à la translation des reliques de saint Edmond. Les cardinaux d’Albano et de Tusculum l’y vinrent voir, de la part d’Innocent IV. Il est vraisemblable qu’ils obtinrent de lui la promesse de défendre le pape, au besoin par les armes. Le 17 juin, Innocent se répandit en effusions de reconnaissance. Quelques jours plus tard, on apprit que l’Empereur, rappelé en Italie par une révolte des Parmesans, renonçait à l’expédition projetée. Le Saint-Siège était sauvé. Frédéric ignora ou feignit d’ignorer que, si Parme avait été fidèle et s’il avait marché sur Lyon, l’armée de France était prête à lui barrer le chemin.

LOUIS IX PART POUR LA CROISADE.

Louis IX, qui tenait scrupuleusement la balance égale entre les deux adversaires, décida, sur ces entrefaites, de partir pour l’Orient, sans attendre que la tranquillité fût rétablie en Occident. Au grand dépit des Pisans et de l’Empereur, c’est à la cité guelfe de Gênes qu’il s’adressa pour le transport. Le 12 juillet 1248, il prit l’oriflamme à Saint-Denis. Quelques temps auparavant, au printemps, il avait reçu frère Jean du Plan Carpin, le célèbre missionnaire, chargé par le pape d’une mission confidentielle ; en route, il fut rejoint par des plénipotentiaires de Frédéric, dont les affaires allaient mal en Italie et en Allemagne. Mais ces dernières négociations échouèrent, comme les autres. L’entrevue de Louis IX et d’Innocent IV à Lyon, secrète comme celle de Cluny, n’aboutit pas davantage. Après le départ du roi, le pape se vanta d’avoir été inflexible, et Frédéric écrivit au roi d’Angleterre qu’il regrettait d’avoir sollicité la paix.

Lorsqu’on apprit en Europe la défaite du roi de France en Egypte et sa captivité, Innocent IV et Frédéric II s’accusèrent mutuellement d’avoir causé ces malheurs. Les uns disaient que Frédéric était désormais la dernière espérance des croisés ; les autres, qu’il les avait trahis. Les comtes de Poitiers et d’Anjou, qui revinrent de Palestine à l’été de 1250, auraient, d’après Mathieu de Paris, brutalement sommé le pape de s’entendre enfin avec l’Empereur, pour venir en aide à la Terre Sainte, sous peine, s’il s’obstinait, d’être expulsé de Lyon. Les choses en étaient là quand Frédéric II mourut, le 13 décembre 1250. Cet événement imprévu, qui rouvrait l’Italie à Innocent, modifia aussitôt son attitude. Il n’avait plus besoin de la France ; et lui, qui naguère avait sollicité le rendez-vous de Cluny, il répondit par des défaites à Blanche de Castille, convalescente, qui exprimait le désir de le voir encore une fois : il était « pressé », il « craignait que le voyage causât une rechute à la reine » ; par grâce, il autorisait l’évêque de Paris à l’absoudre du péché qu’elle avait commis en conservant naguère des relations avec Frédéric excommunié...

L’indignation fut vive en France, où les malheurs de la croisade d’Egypte avaient été profondément ressentis, lorsqu’il fut manifeste que le pape, malgré la mort de l’Empereur, ne voulait pas désarmer.

Frédéric II avait laissé un fils, Conrad IV, et un bâtard, Manfred. Ses partisans étaient abattus, non détruits. Innocent continua à faire prêcher la croisade contre les Gibelins, au détriment de celle d’outremer. Faut-il croire Mathieu de Paris ? Il affirme que, sur le conseil des barons, Blanche de Castille fit saisir les terres des Français croisés contre l’Empire, en disant : « Que ceux qui combattent pour le pape se fassent entretenir par le pape. » On était fatigué des querelles interminables du Saint-Siège, on ne voulait plus s’en mêler. Quand Innocent, pour chasser Manfred de l’Italie méridionale, offrit simultanément la couronne de Sicile à Charles d’Anjou, frère de Louis IX, et à Richard de Cornouailles, frère d’Henri III, il subit, en France et en Angleterre, un double échec. L’ambition du comte d’Anjou fut tentée : il discuta des conditions du pape ; mais son entourage réussit à le détourner de cette aventure ; et, à l’automne de 1253, il y renonça provisoirement.

Innocent IV mourut à Naples, en décembre 1254, l’année du retour de Louis IX.

 

II. ARBITRAGES DE LOUIS IX (FLANDRE, ANGLETERRE, ETC.)

EN FLANDRE ET EN HAINAUT

Avant la croisade d’Egypte, Louis IX avait eu l’occasion de s’interposer pour le maintien de la paix, non seulement entre Innocent et Frédéric, mais encore entre les prétendants à la succession de Flandre et de Hainaut.[5]

Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, avait laissé deux filles : Jeanne et Marguerite. Jeanne, l’aînée, qui lui succéda, épousa successivement Ferrand de Portugal et Thomas de Savoie ; Marguerite fut unie (1212) à Bouchard d’Avesnes, chevalier du Hainaut, d’un âge mûr, dont elle eut deux fils, Jean et Baudouin, avant d’avoir accompli sa quinzième année. Brouillé avec sa belle-sœur, accusé d’avoir été, dans sa jeunesse, ordonné sous-diacre, Bouchard d’Avesnes quitta sa femme, après avoir vécu pendant six ans avec elle dans le château d’Houffalize, pour aller défendre en Cour de Rome la validité de son mariage. Mais les absents, comme on dit, ont toujours tort : Marguerite, dès qu’elle fut séparée de Bouchard, l’oublia ; elle se réconcilia avec Jeanne, et, sans attendre la sentence pontificale que Bouchard réclamait toujours, elle se maria (1223) à un cadet de Champagne, Guillaume de Dampierre, de qui elle eut trois fils et deux filles. Puis, coup sur coup, disparurent Guillaume de Dampierre, Bouchard d’Avesnes, la comtesse Jeanne. En décembre 1244, Marguerite devint comtesse de Flandre, de son chef. Mais qu’arriverait-il après elle ? Les d’Avesnes, fils du premier lit, étaient en possession du droit d’aînesse ; les Dampierre, nés du second lit, se disaient seuls légitimes. Les uns et les autres prétendaient intervenir dans la cérémonie des hommages que leur mère devait prêter au roi de France et, pour la Flandre impériale, à l’Empereur. Les d’Avesnes avaient pour eux le Hainaut, et les Dampierre la Flandre. C’était la guerre en perspective. Les deux parties, qui plaidaient à Rome depuis longtemps, s’accordèrent, vers l’époque de l’entrevue de Cluny (1246), à abandonner l’instance canonique et à faire statuer par des arbitres sur l’attribution des biens. Louis IX et le légat Eudes de Châteauroux, arbitres désignés, adjugèrent la Flandre, avec ses dépendances, à Guillaume, l’aîné des Dampierre ; le Hainaut à Jean, l’aîné des d’Avesnes. Expédient assez équitable, et, en même temps, conforme aux intérêts du royaume.

LE « DIT » DE PÉRONNE.

Jean d’Avesnes ne se soumit qu’à contrecœur à la décision des arbitres. En septembre 1246, il épousa Alix de Hollande, sœur de ce Guillaume de Hollande que le parti d’Innocent IV avait opposé à Frédéric II en Allemagne. D’autre part, il obtint du pape la déclaration officielle, après enquête, de sa légitimité (17 avril 1251). Mais, s’il était fils légitime, la sentence arbitrale prononcée alors que son état civil était incertain ne devenait-elle point caduque ? Comme la comtesse Marguerite avait investi, par avance d’hoirie, son fils Guillaume (qui périt i en 1251 dans un tournoi), puis son fils Gui, du titre de comte de Flandre, il prétendit prendre, de son côté, par avance, le titre de comte de Hainaut, ce qui lui fut refusé. En juillet 1252, le roi des Romains Guillaume »de Hollande, qui était en mauvais termes avec Marguerite, la proclama déchue des fiefs qu’elle tenait dans l’Empire et en investit Jean d’Avesnes. Louis IX étant en Terre Sainte, la guerre éclata. Le 4 juillet 1253, une grosse armée de Flamands et de Français fut détruite, à West-Capelle, dans l’île de Walcheren, par le frère du roi Guillaume, Florent de Hollande ; Gui et Jean de Dampierre tombèrent entre les mains du vainqueur.

Ces événements, et ceux qui suivirent, étaient de nature à émouvoir le roi, qui les apprit au fond de la Palestine. Marguerite se laissa emporter par la haine furieuse qu’elle avait pour ses aînés, jusqu’à offrir le comté de Hainaut et la garde de son fief de Flandre à ce frère cadet du roi de France, Charles d’Anjou, que l’on savait actif et en quête d’un établissement avantageux. Charles d’Anjou, qui venait de refuser, à regret, le royaume de Sicile, accepta. Maître de Valenciennes, il manœuvra, pendant l’été de 1254, autour de cette ville, en face du roi des Romains, chef du parti adverse ; mais on ne se battit pas. Une trêve, conclue le 26 juillet, laissa Charles en possession de la plus grande partie du comté, occupée par les siens. C’est alors que Louis IX revint. Mathieu de Paris affirme que l’état des affaires de Flandre fut un des motifs qui hâtèrent son retour.

Sa présence — il alla à Gand en 1255 — rétablit l’ordre. D’abord Charles d’Anjou, très probablement admonesté, s’abstint désormais de paraître en Hainaut. Guillaume de Hollande ayant été tué dans le pays des Frisons, Jean d’Avesnes se résigna à se soumettre, une seconde fois, à l’arbitrage du roi de France. Le « Dit » de Péronne, du 24 septembre 1256, lui imposa l’humiliation de prêter hommage à Charles et de voir retrancher du Hainaut, pour être rattachée à la Flandre, une partie de ses appartenances : Crèvecœur, Arleux, etc. Marguerite paierait au comte d’Anjou, pour ses peines, une forte indemnité ; paix perpétuelle serait jurée entre les membres de la famille. Ainsi fut réglé à l’amiable un conflit qui menaçait de désoler les Pays-Bas.[6]

LA SUCCESSION DE NAVARRE.

D’autres différends réclamèrent l’attention du roi à son retour de Terre Sainte. La succession de Navarre était, elle aussi, disputée. Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre, qui mourut en juillet 1253, avait laissé plusieurs enfants de ses deux derniers mariages. Blanche, sa fille par Agnès de Beaujeu, sa seconde femme, avait épousé le comte de Bretagne. De Marguerite de Bourbon, sa troisième femme, il avait eu trois fils et deux filles ; l’aîné de ces enfants, Thibaut V, se voyait contester ses droits par son beau-frère de Bretagne, mari de sa demi-sœur. « Le roi de Navarre, dit Joinville, vint au parlement avec son Conseil, et le comte de Bretagne aussi. A ce parlement le roi Thibaut demanda madame Isabelle, la fille du roi de France, pour en faire sa femme. « Allez, me dit le roi, faites votre paix avec le comte de Bretagne, et puis nous ferons notre mariage. » Et il ajouta qu’il ne voulait pas qu’on dît qu’il mariait ses enfants en déshéritant ses barons. Je rapportai ces paroles à la reine Marguerite (de Navarre) et à son fils, et ils se hâtèrent de faire la paix. Après quoi le roi de France donna sa fille au roi Thibaut. » Louis IX réconcilia encore le comte de Chalon avec le comte de Bourgogne ; le comte de Bar avec Henri de Luxembourg et avec le duc de Lorraine ; le dauphin Guigues VII avec Charles d’Anjou, comte de Provence et avec Philippe de Savoie... « D’où il advint, déclare Joinville, que les Bourguignons et les Lorrains, qu’il avait pacifiés, l’aimaient et lui obéissaient tant que je les vis venir plaider par devant lui, pour des procès qu’ils avaient entre eux. » Sa justice et son désintéressement l’avaient fait le médiateur ordinaire dès princes d’Empire, et la France bénéficia de l’autorité morale qu’il acquît ainsi sans effort.

LOUIS IX ET L’ANGLETERRE.

De toutes les sentences arbitrales qu’il prononça, û n’en est pas qui ait fait autant de bruit que le Dit d’Amiens, destiné à départager Henri III, roi d’Angleterre, et les barons anglais. Du reste, toute l’histoire des relations de la France avec l’Angleterre pendant le règne de Louis IX est très caractéristique de la conduite que le roi avait adoptée à l’égard de ses voisins.[7]

Henri III s’était de bonne heure efforcé, nous l’avons vu, de reconquérir les provinces que Philippe Auguste avait enlevées à son père, le roi Jean ; mais depuis l’échec de sa coalition de 1242 avec lès seigneurs de Poitou, il s’était tenu coi, ou à peu près. La trêve conclue en 1243 avait été renouvelée. Ce n’était ni la paix ni la guerre. Or Louis IX, dès son retour, souhaita qu’un traité définitif intervînt. D’abord il aimait, il vénérait Henri III à cause de sa piété exemplaire ; et puis, il aimait la paix. Aussi, quand Henri lui demanda, en 1254, la permission de traverser le royaume pour aller de Gascogne en Angleterre, il consentit avec empressement, et il alla à la rencontre de son hôte jusqu’à Chartres. Mathieu de Paris, qui force la note, suivant son habitude, dit qu’il fit à Henri, en soupirant, suspirans, voce demissa, des confidences sur l’orgueil des Français et l’obstination des douze pairs : « Ils ne veulent pas que je vous rende vos droits ; sans eux, nous serions inséparables... » Le fait est que des négociations s’ouvrirent, qui se prolongèrent cinq ans. Elles aboutirent à la conclusion du traité fameux qui fut juré au Temple, à Paris, le 28 mai 1258, et ratifié de part et d’autre en décembre 1259.

Le traité de Paris donna au roi d’Angleterre tout ce que le roi de France avait de fiefs et de domaines dans les diocèses de Limoges, de Cahors et de Périgueux ;[8] de plus, l’expectative de la Saintonge au sud de la Charente, et de l’Agenais, au cas où, par suite de la mort du comte Alphonse de Poitiers, qui n’avait pas d’enfants, ces terres viendraient à échoir à la Couronne de France. En échange, Henri III renonça absolument à la Normandie, à l’Anjou, à la Touraine, au Maine, au Poitou, et il se reconnut homme lige du roi pour tout ce qu’il possédait sur le continent : les provinces restituées et le reste de la Guyenne. Enfin Louis IX promettait de payer à Henri III, en six termes, la somme nécessaire à l’entretien, pendant deux ans, de cinq cents chevaliers, « qui seraient employés pour le service de Dieu, de l’Église ou du royaume d’Angleterre ».

LA PAIX AVEC L’ANGLETERRE ET L’OPINION PUBLIQUE.

« Ceux du Conseil, raconte Joinville, étaient très contraires à cette paix, et disaient ainsi : Sire, nous nous étonnons fort que vous vouliez donner au roi d’Angleterre si grande partie de votre terre, car vous et vos devanciers l’avez conquise sur lui, et par son méfait. Si vous croyez que vous n’avez pas le droit à ces conquêtes, rendez-les toutes ; sinon, il nous semble que vous perdez tout ce que vous rendez. A quoi le roi répondit : Seigneurs, je suis certain que les devanciers du roi d’Angleterre ont perdu tout par droit ; et la terre que je lui donne, je la lui donne sans y être tenu, pour mettre amour entre mes enfants et les siens, qui sont cousins germains. Et il me semble que ce que je lui donne, je l’emploie bien, car il n’était pas mon homme, et il .entre en mon hommage. » Telles sont les véritables raisons qui ont poussé Louis IX à conclure des conventions que l’opinion publique, en France, désapprouva nettement. Le roi, qui passa outre à toutes les représentations, ne put pas ignorer que sa condescendance, attribuée à des scrupules de conscience, parut exorbitante à ses sujets, très hostiles aux Anglais, et stupéfaits de voir céder à l’ennemi naguère vaincu ce que l’ennemi vainqueur eût à grand-peine obtenu. De nos jours, le traité de Paris a été qualifié d’« incompréhensible », et les historiens les plus circonspects se sont permis d’exprimer un blâme : si, disent-ils, au lieu d’accorder aux Anglais des conditions inespérées, le roi avait poussé contre eux ses avantages, ils étaient expulsés de France, et la guerre de Cent Ans eût été, peut-être, évitée. D’autres ont cherché, et trouvé, cela va sans dire, des circonstances atténuantes. Mais à quoi bon ces controverses ? Qui sait si Louis eut tort ou raison ? Il avait fini, nous le savons, par se persuader que le traité était avantageux, même au point de vue matériel, puisqu’il rattachait de nouveau, par le lien de l’hommage, le duché de Guyenne à la Couronne. Et d’autres que lui l’ont cru : les Anglais ne furent pas moins mécontents que les Français du traité de Paris ; ils l’ont, eux aussi, dénoncé comme un acte « honteux », impolitique et contraire aux intérêts de leur pays.

LE « DIT » D’AMIENS.

L’argent que le roi de France s’était engagé, par le traité de Paris, à verser au roi d’Angleterre, et qu’il paya après avoir levé une aide à cet effet (auxilium pro pace Angliae), était, dans sa pensée, destiné à la croisade ; Henri III l’employa à la guerre civile.

Simon de Leicester, chef du parti des barons, et Henri III luttaient alors en Angleterre pour et contre le maintien des fameuses Provisions d’Oxford, restrictives de l’autorité royale. C’est à partir de 1261 surtout que la querelle s’aigrit ; et les adversaires rendirent alors un hommage significatif à l’hégémonie de la France, en venant tous y plaider leur cause. « Les querelles soulevées entre le roi et nous, écrivaient à Louis IX les barons anglais, ne peuvent être apaisées que par vos conseils. » De son côté, Henri III envoya en France les joyaux de sa couronne, puis son trésor. En septembre 1263, conférence à Boulogne-sur-Mer, où parurent Henri, sa femme Aliénor, un grand nombre de barons anglais, et Simon à leur tête ; on se sépara sans avoir rien fait. Aliénor resta en France pour tâcher, de concert avec la reine Marguerite, sa sœur, d’y recruter des alliés ; et le bruit courut en Angleterre que l’île allait être envahie, comme en 1216, par les Français. Mais ni Louis IX ni son frère Alphonse de Poitiers n’étaient disposés à sortir de la neutralité : les reines intriguèrent en vain. Enfin, royalistes et rebelles, fatigués, s’accordèrent définitivement, en décembre 1263, à soumettre à l’arbitrage du roi de France toutes les questions, soulevées par les Provisions d’Oxford, qui les divisaient.

Ils ne pouvaient choisir un arbitre qui se crût plus impartial ; mais on s’étonne que les barons, et surtout Simon de Leicester, qui devait connaître les préjugés du roi, n’aient pas prévu la sentence. Comment les Provisions d’Oxford, condamnées par deux papes, n’auraient-elles pas scandalisé un prince qui avait eu à souffrir, dans sa jeunesse, des coalitions aristocratiques, qui avait une très haute idée du droit divin des monarques, et qui ne connaissait pas l’Angleterre ? Il les annula ; il raya toutes les garanties constitutionnelles qui avaient été arrachées, cinq ans auparavant, à la Couronne des Plantagenêts ; il décida que la nomination des fonctionnaires serait rendue au souverain et que les étrangers pourraient de nouveau s’établir dans l’île ; les barons, dépouillés de leurs places de sûreté, ne reçurent aucune satisfaction. Tel fut le Dit d’Amiens, du 24 janvier 1264, que le parti condamné n’accepta pas, et qui déchaîna la guerre.

En cette circonstance, l’intransigeante fidélité de l’arbitre à ses principes amena des résultats opposés à ceux qu’il avait en vue.[9]

 

III. LOUIS IX ET LES ROYAUMES DU MIDI

ARAGON ET CASTILLE.

De même que les rois d’Angleterre, les rois d’Aragon avaient des prétentions sur plusieurs provinces de France. Afin qu’ils y renonçassent, Louis IX, toujours fidèle à sa méthode, renonça, de son côté, aux droits que la tradition attribuait à sa Couronne sur le Roussillon et sur le comté de Barcelone, conquêtes de Charlemagne. Le traité de Corbeil (11 mai 1258) stipula en même temps le mariage d’une princesse d’Aragon, Isabelle, avec Philippe, héritier de France. Le roi d’Aragon ne garda, au nord du Roussillon, que la seigneurie de Montpellier ; il abandonna à la reine de France, Marguerite, sa cousine, tout ce qu’il prétendait en Provence, et au roi tout ce qu’il prétendait en Languedoc ; il abdiquait ainsi le rôle qui avait tenté ses prédécesseurs, celui de suzerain et de patron des populations occitaniennes. Lors de la réunion éphémère de la Catalogne à la France, au XVIIe siècle, la transaction de Corbeil fut passionnément dénoncée par les publicistes français ; on la déclara nulle, « parce qu’elle avait été conclue sans le consentement des États du royaume » ; l’authenticité même en fut contestée. Ne fut-elle pas plutôt une liquidation du passé, avantageuse aux deux parties[10] ?

Le troubadour Sordel a mis Louis IX au nombre de ceux qui, pour se donner du courage, auraient dû manger le cœur du valeureux Blacas : « Qu’il en mange aussi, le roi de France, et il recouvrera la Castille, qu’il perd par sa niaiserie... » Mais quoi ? Les droits que Louis IX tenait de Blanche, sa mère, sur la Castille, n’avaient aucune valeur. Il fut sage en entretenant avec son cousin Alphonse X, prince paisible, des relations amicales. Quand la mort prématurée de son fils Louis, fiancé en 1255 : à Bérengère de Castille, eut rompu un premier projet d’alliance entre lès deux Maisons, Blanche de France, sa fille, épousa un frère de Bérengère, Fernand, dit de la Cerda. Aux infants de la Cerda, nés de Blanche et de Fernand, semblait promise la couronne castillane.

LES AFFAIRES D’ITALIE.

C’est du côté de l’Italie que le parti pris pacifique du roi fut mis à la plus rude épreuve.[11]

Ni la mort de Frédéric II ni celle d’Innocent IV n’avaient apaisé les conflits du Saint-Siège avec la maison de Souabe et des partis guelfe et gibelin en Italie. Pendant le pontificat d’Alexandre IV, la France s’en désintéressa, et Henri III d’Angleterre accepta, en 1255, pour son fils Edmond, le royaume de Sicile, à charge d’en dépouiller Manfred, ‘le continuateur de Frédéric. Mais, le 29 août 1261, un Champenois, ancien évêque de Verdun — homme d’un caractère très décidé, qui manifesta tout de suite de la prédilection pour les mesures énergiques —, fut élu pape sous le nom d’Urbain IV. Au printemps de l’année suivante, Urbain IV, convaincu que le Saint-Siège avait plus que jamais besoin d’un champion dans la péninsule et que l’impuissance évidente du prince Edmond annulait son investiture, résolut de renouveler aux princes français l’offre déjà faite par Innocent à Charles d’Anjou et à Richard de Cornouailles en 1253. Albert de Parme, notaire et chapelain du pape, qui avait déjà négocié à ce sujet avec la Cour de France, neuf années auparavant, eut mission de proposer à Louis IX, pour un de ses fils, la Sicile, fief du Saint-Siège. Louis refusa, comme on s’y attendait, par respect pour les droits de la dynastie souabe et, subsidiairement, pour ceux du prince Edmond. Alors, se conformant à ses instructions, Albert de Parme se tourna de nouveau vers, Charles, comte d’Anjou et de Provence.

Charles d’Anjou n’était plus d’humeur à laisser échapper une pareille occasion, qu’il avait déjà manquée malgré lui. Il bataillait depuis dix ans en Provence contre Barrai des Baux, chef de ses vassaux rebelles, et contre la grande ville turbulente de Marseille, qu’il réduisit par trois fois ; il avait accompli dans le pays à l’est du Rhône une œuvre analogue à celle de Simon de Montfort en Languedoc. Appelé par le comte de Vintimille, qui était en guerre avec Gênes (1258), et par les gens de Cuneo, de Cherasco et d’Alba, qui luttaient contre ceux d’Asti (1259), il avait déjà pénétré dans la haute Italie. Il accueillit les ouvertures d’Albert de Parme.

L’acceptation des avances d’Urbain IV par le comte d’Anjou et de Provence, frère de Louis IX, est un des événements les plus graves du XIIIe siècle. Elle a inauguré, en effet, ces déplorables expéditions des « royaux de France » (reali di Francia) en Italie, qui, en gaspillant l’énergie et les ressources de la France, ont tant de fois contribué à compromettre ses destinées dans les Pays-Bas et sur le Rhin. Après l’Allemagne, notre pays allait s’épuiser, pendant des siècles, en Italie : c’est Urbain IV et Charles d’Anjou qui ont montré ce chemin aux rois de la dynastie de Valois.

ÉTABLISSEMENT DES ANGEVINS A NAPLES.

Louis IX n’eut pas l’initiative de cette faute aux conséquences incalculables, mais il la laissa commettre. Consulté, il fit voir d’abord des scrupules. « Que le roi, écrivait Urbain IV à maître Albert en 1262, se rassure ; nous ne voulons pas mettre son âme en péril ; il doit penser que nous et nos frères, les cardinaux, nous sommes aussi soucieux de notre salut qu’il l’est du sien, et que nous n’entendons pas, dans cette affaire, offenser Dieu. » Cependant ses scrupules furent vaincus, semble-t-il, par les intrigues très assidues des Angevins et des légats ; s’il n’approuva jamais expressément l’entreprise de son frère, il fut amené à la tolérer, et même à y aider : on réussit sans doute à lui faire croire qu’elle était avantageuse à la cause de la croisade d’outremer. Il discuta de très près, avec son Conseil, les conditions mises par le pape, en 1263, à l’investiture de Charles d’Anjou. Lorsque Jaime, roi d’Aragon, allié des adversaires de Charles, fiança son fils à Constance, la fille du roi Manfred, malgré l’opposition d’Urbain IV, il fut obligé de protester que l’union de sa maison avec celle de Manfred ne sous-entendait pas d’hostilité contre les desseins de l’Église romaine en Italie, pour éviter que Louis IX rompît le mariage convenu de l’héritier de France Philippe avec Isabelle d’Aragon. Le roi autorisa Simon, cardinal de Sainte Cécile, à prêcher en France la croisade pontificale contre les Gibelins de Sicile et à faire lever sur le clergé du royaume la décime destinée à subventionner le champion du Saint-Siège en Italie. Il n’empêcha pas les meilleurs chevaliers de France, ni même ses officiers, de prendre la croix « blanche et vermeille » des soldats du comte d’Anjou : des centaines de chevaliers français ont fait les campagnes qui livrèrent l’Italie du Sud à Charles Ier ; le maréchal de France, Henri de Courances, fut tué à la bataille de Tagliacozzo (22 août 1268), qui ruina les espérances des amis de Conradin, le dernier des Hohenstaufen. On ne sait pas, d’ailleurs, ce que pensa Louis IX de l’exécution de Conradin et de l’exode des Français qui, à partir de 1266, s’en allèrent par milliers coloniser les États du nouveau roi des Deux-Siciles ; aucun document ne le dit.[12]

I Aucun document ne le dît. Mais Louis regretta certainement de voir le zèle des papes et l’élite de sa chevalerie se dépenser dans une guerre où coulait, des deux côtés, le sang chrétien. « Parmi les préoccupations qui assiègent notre esprit et qui pénètrent notre âme d’une douleur indicible, déclare un pape de ce temps, l’affaire de Sicile est incomparablement la plus importante ; pour la faire réussir, il faut mettre de côté toutes les autres : que tout lui soit subordonné, sans comparaison, sans réserve et sans délai. » Ainsi les papes, absorbés par leurs affaires de petits princes italiens, oubliaient les intérêts généraux de la Chrétienté : la croisade de Terre Sainte, ils la rejetaient, plus que jamais, au second plan. Or, la croisade de Terre Sainte était l’idée fixe de Louis IX : il avait immolé à cette idée toutes les ambitions mondaines. En attendant que le Saint-Siège, débarrassé de Manfred, de Conradin et de leurs derniers partisans réunît enfin, comme il l’avait tant de fois promis, l’Occident contre les Infidèles, il annonça tout à coup, au grand déplaisir de ses sujets, que, quant à lui, il allait partir.

 

IV. LA QUESTION D’ORIENT

LA PREMIÈRE CROISADE DE LOUIS IX.

Louis IX ne ménagea jamais rien pour combattre les Infidèles, Pacifique, économe, très prudent dans les circonstances ordinaires, personne n’était plus belliqueux, plus prodigue, plus obstiné et plus facile à tromper que lui lorsqu’il s’agissait de l’Orient. Il avait été très affligé, dans sa jeunesse, par les victoires des Mongols païens sur la chevalerie de Pologne, de Bohême, de Hongrie et d’Allemagne en 1241. Cette année-là, pour venir en aide à l’empereur latin de Constantinople, il lui avait chèrement acheté les reliques de la Passion : la sainte Couronne d’épines, la vraie Croix, la sainte Lance, la sainte Éponge. Malgré Blanche de Castille et tout son entourage, il avait pris la croix, pendant une maladie, à la fin de 1244. Depuis, il ne la quitta pas. Le 28 août 1248, il partit enfin du port d’Aigues-Mortes, avec une grosse expédition qu’il avait mis plusieurs années à préparer. Cette expédition hiverna en Chypre, prit Damiette, mais elle fut entièrement détruite ou capturée pendant la retraite qui suivit la défaite de Mansourah (février 1250). Cet échec — un des plus graves que les Francs eussent éprouvés depuis longtemps dans ces régions — ne découragea pas le bon roi. Ayant versé aux émirs d’Egypte une énorme rançon, sans que l’excellent crédit dont il jouissait chez les banquiers italiens en eût été compromis, il passa quatre ans (de mai 1250 à avril 1254) en Syrie, où il fit relever, à grands frais, les fortifications d’Acre, de Jaffa, de Césarée et de Sidon. Il ne se résigna à abandonner la Palestine qu’à la dernière extrémité. Après son retour en France, il se fit tenir au courant des nouvelles de Terre Sainte ; il y envoya de l’argent ; il y entretint un contingent d’hommes d’armes ; tous ceux qui manifestaient l’intention de se porter au secours des dernières possessions des chrétiens en Asie, menacées par le sultan Baybars l’Arbalétrier, reçurent ses libéralités.

LA SECONDE

En quittant à contrecœur la Syrie, Louis IX avait gardé l’arrière-pensée de retourner en personne, quelque jour, à la guerre sainte. Dès 1266, il s’ouvrit de cette intention à Clément IV, qui, pressé d’autres soucis, lui répondit d’abord d’une manière ambiguë, et ne se décida à l’approuver — en termes trop chaleureux, affectés — que quand il le vit décidé à ne tenir aucun compte de ses avis. Mais, en France, le désastre de Mansourah avait dégoûté bien des gens ; outre que Charles d’Anjou retenait en Italie les plus hardis chercheurs d’aventures, nombreux étaient ceux qui disaient, comme les « décroisés » dont parle Rutebeuf : « On peut bien gagner Dieu sans bouger de son pays, en vivant de son héritage. Je ne fais de tort à personne ; si je pars, que deviendront ma femme et mes enfants ? Il sera temps de se battre, quand le Soudan viendra ici. » Il fallait donc, pour recruter une armée, non seulement dépenser beaucoup, mais user de stratagèmes, ou même d’intimidation. Un jour, Louis IX, qui avait prié le pape de ne révéler son dessein à personne, convoqua, sans dire pourquoi, les prélats et les barons du royaume à Paris, pour le jeudi de la mi-carême, 24 mars 1267.

« Quand j’arrivai, à Paris, dit Joinville, le soir de la vigile de Notre-Dame en mars, je ne trouvai personne, ni la reine, ni autre, qui me sût dire pourquoi le roi m’avait mandé. Or il advint que je m’endormis à matines, et, en dormant, je vis le roi devant un autel, à genoux, que des prélats revêtaient d’une chasuble vermeille, en serge de Reims. J’appelai monseigneur Guillaume, mon prêtre, qui était très sage, et je lui contai la vision : « Sire, dit-il, vous verrez que le roi se croisera demain. » Je lui demandai pourquoi il le croyait, et il me dit que la chasuble en serge vermeille signifiait la croix, vermeille du sang que Dieu répandit : « Quant à ce que la chasuble était en serge de Reims, dit-il, cela signifie que la croisade sera de petit exploit. » Quand j’eus entendu la messe, j’allai à la chapelle du roi, et je le vis qui était monté en l’échafaud aux reliques, et qui faisait apporter la vraie Croix en bas. Deux chevaliers, qui étaient du Conseil, commencèrent à se parler l’un à l’autre, et l’un dit : « Jamais ne me croyez, si le roi ne se croise ici. » Et l’autre répondit : « Si le roi se croise, ce sera une des douloureuses journées qui jamais furent en France ; car, si nous ne nous croisons pas, le roi nous en voudra ; et si nous nous croisons, Dieu nous en voudra, car nous ne nous serons pas croisés pour lui, mais par peur du roi. »

Le lendemain, jour de l’Annonciation, le roi, devant une nombreuse assemblée, prononça un discours, gratiosissime peroravit ; le légat parla ensuite. Après quoi le roi, ses trois fils, Philippe, Jean et Pierre, les comtes d’Eu et de Bretagne, Marguerite, comtesse de Flandre et la plupart des barons présents reçurent les croix symboliques. Plus tard, les exhortations, les promesses, surtout l’exemple du roi entraînèrent Thibaut, roi de Navarre, son gendre ; Robert, comte d’Artois, son neveu ; Gui de Flandre, les comtes de la Marche, de Soissons, de Saint-Pol, etc. Quand le prince Philippe fut fait chevalier, aux fêtes de la Pentecôte, le cardinal de Sainte Cécile prêcha de nouveau, dans l’île de la Cité, et l’on vit se croiser encore le comte de Dreux, l’archevêque de Rouen Eudes Rigaud, une foule de seigneurs et d’ecclésiastiques. Mais le sire de Joinville fut de ceux qui résistèrent à toutes les sollicitations : « Je fus fort pressé, dit-il, par le roi de France et par le roi de Navarre de me croiser. A cela je répondis que tandis que j’avais été au service de Dieu et du roi outremer, et depuis que j’en revins, les sergents du roi de France et du roi de Navarre m’avaient détruit et appauvri mes gens... Et je leur dis que si je voulais agir au gré de Dieu, je demeurerais ici, pour aider et défendre mon peuple, car si je mettais mon corps dans l’aventure du pèlerinage de la Croix, là où je verrais tout clair que ce serait pour le mal et le dommage de mes gens, je courroucerais Dieu qui mit son corps pour sauver son peuple. » Si Joinville avait osé, il aurait déconseillé le voyage au roi lui-même : « Ceux-là firent péché mortel qui l’approuvèrent, dit-il. Faible comme il était, s’il fût demeuré en France, il eût encore assez vécu pour faire beaucoup de bonnes œuvres ; tout le royaume était alors en bonne paix à l’intérieur et avec tous ses voisins. Et depuis qu’il est parti, les choses n’ont fait qu’empirer. »

Jamais Louis IX ne déploya plus d’activité qu’au cours des trois années où il prépara sa dernière expédition. Tandis qu’on levait simultanément des contributions sur les clercs et sur les laïques, il négocia, pour le transport, avec Venise et avec Gênes. Non content de communiquer, de gré ou de force, son enthousiasme à son entourage et de faire des recrues parmi ses vassaux, il s’évertua à réunir autour de lui les étrangers dont il était l’arbitre : il fit renouveler les trêves entre l’Angleterre et la Navarre ; il obtint des rois de Portugal et d’Aragon et du prince Edmond d’Angleterre des promesses de coopération ; enfin il envoya à son frère Charles, le conquérant de la Sicile, l’archidiacre de Paris et l’un de ses maréchaux afin de « requérir son conseil au sujet du voyage de Terre Sainte ». Ces messagers devaient dire : « Sire, le roi votre frère vous requiert de prendre la croix, s’il vous plaît, pour encourager les autres et pour effrayer les ennemis de la foi... Il veut aussi savoir quel aide vous lui ferez de viandes, de bêtes, de chevaux et de sommiers, à lui et à ses barons de France qui iront en ce voyage... »

Ce grand zèle n’était pas, malheureusement, très éclairé. Clément IV s’effrayait de voir Louis IX prêt à exposer, dans sa foi aveugle, non seulement sa personne, mais ses trois fils, aux dangers qu’il allait courir. Le saint roi était aussi mal informé qu’il l’avait été vingt ans auparavant des formidables migrations de peuples qui bouleversaient alors l’Asie, et du jeu politique très compliqué qui se jouait entre les États, chrétiens et musulmans, de la Méditerranée. On lui persuada que le comble de l’habileté serait d’attaquer Tunis — Tunis, en relations ambiguës avec les Angevins de Sicile — pour délivrer Jérusalem. C’était le temps où Michel Paléologue, l’empereur grec de Constantinople, proposait à Louis de régler, comme arbitre, les conditions de l’union des deux Églises, grecque et latine, en l’assurant par avance de son entière adhésion. Le bon roi, qui crut sans doute à la sincérité de Paléologue, crut aussi que le « roi de Thunes » brûlait de se convertir. Il crut encore que Tunis était une proie facile, le réservoir d’où l’Egypte tirait sa cavalerie, et la véritable clé des Lieux Saints ! « En outre, il souhaitait ardemment que la foi chrétienne qui avait brillé d’un si grand éclat sur cette terre, du temps de saint Augustin et des autres docteurs orthodoxes, y refleurît de nouveau. » Cela suffit pour qu’il menât en Afrique l’expédition si péniblement rassemblée, qui était l’espoir suprême des chrétientés de Syrie.

MORT DU ROI.

Pour comble de folie, l’embarquement eut lieu à Aigues-Mortes, le 1er juillet 1270, au plus fort de la canicule. On jeta l’ancre, dix-sept jours après, devant Carthage. Un mois plus tard, l’armée française avait fondu — sans combattre, ou peu s’en faut — sous un soleil de feu ; et lorsque Charles d’Anjou arriva avec des renforts (25 août), Louis IX venait de succomber lui-même à la peste qui décimait son camp.

 

 

 



[1] F. Rocquain, La Cour de Rome et l’esprit de réforme avant Luther, 1895.

[2] L’authenticité de cette sommation emphatique, insérée dans l’Epistolarium de Pierre des Vignes (cf. Historiens de la France, t. XX, p. 332), a été admise par tous les historiens ; elle n’est pas hors de doute.

[3] La plupart des historiens citent ici une lettre virulente que le roi de France aurait alors écrite pour blâmer l’inertie du Sacré Collège et pour lui promettre son appui contre un prince (l’Empereur) qui « veut être roi et prêtre». Cette lettre, surchargée des ornements à la mode dans les écoles des professeurs de rhétorique épistolaire (dictatures), n’est certainement pas authentique.

[4] En même temps il renouvelait l’excommunication prononcée contre Frédéric par Grégoire IX. Mathieu de Paris, toujours hostile à la Cour de Rome, rapporte qu’un prêtre de Paris commenta ainsi la sentence, en la notifiant aux fidèles : « Écoutez tous : j’ai reçu ordre de prononcer contre l’empereur Frédéric, à la lueur des cierges et au son des cloches, une sentence solennelle. J’en ignore la cause ; mais ce que je n’ignore pas, c’est la haine inexorable qui divise les deux adversaires. Je sais aussi que l’un d’eux fait tort à l’autre, mais je ne sais lequel : celui-là, je l’excommunie, et j’absous celui qui subît l’injure, si funeste à la Chrétienté. »

[5] Ch. Duvivier, La querelle des d’Avesnes et des Dampierre, 1894. H. Pirenne, Histoire de Belgique, 1900.

[6] On a dit que Louis IX trouva son compte à cet arbitrage. Des historiens belges ont constaté avec amertume que « l’effet immédiat du démembrement », conséquence des « dits » de 1246 et de 1256, «fut d’affaiblir la puissance des comtes au profit de la politique d’expansion de la France et des desseins ambitieux de ses rois, dont l’un, Philippe Auguste, s’était assuré Tournai en 1187, dont un autre. Saint Louis, se créait des droits sur le Namurois et sur les terres d’Empire, en attendant qu’un troisième, Philippe le Bel, revendiquât Valenciennes...» (Ch. Duvivier).

[7] Ch. Bémont, Simon de Montfort, comte de Leicester, 1884. M. Gavrilovitch, Étude sur le traité de Paris de 1259, 1899.

[8] Mais le roi de France ne possédait dans ces trois évêchés qu’un petit nombre de domaines, et beaucoup de seigneurs du pays étaient en possession du privilège d’être « vassaux immédiats » de la Couronne de France. Ce privilège fut soigneusement réservé dans le traité de 1259 ; et les intéressés s’en prévalurent : c’est ainsi que les villes de Figeac, Périgueux, Brive et Sarlat, par exemple, conclurent en 1263, pour dix ans, une confédération, en vue de revendiquer en commun leurs droits acquis à cet égard.

[9] Chose surprenante, le parti de Simon de Leicester, après la bataille de Lewes, invoqua de nouveau l’arbitrage des Français ; les barons soumirent les Provisions à quatre arbitres, dont deux Français, conseillers de Louis IX, l’archevêque de Rouen et Pierre le Chambellan. Ainsi, dit très bien Ch. Bémont : « Louis IX, en consentant à reprendre les négociations, mettait à néant sa propre sentence. » Ces nouveaux pourparlers n’aboutirent pas, du reste.

[10] Le traité de Corbeil laissa subsister entre la France et l’Aragon une cause de discorde, Montpellier. En 1264, Jaime envoya en France l’évêque de Barcelone et le comte d’Ampurias pour se plaindre du sénéchal français de Beaucaire, qui s’arrogeait le droit de citer devant lui les fonctionnaires et les bourgeois de Montpellier. Le 25 mai, Louis IX reçut ces deux ambassadeurs dans une chambre du palais royal, à Paris ; il les écouta ; il leur répondit qu’il n’était pas bien renseigné sur les circonstances de la querelle, qu’il s’informerait, et que, «dans un prochain parlement», de concert avec le cardinal de Sabine, ami des maisons de France et d’Aragon, qui avait travaillé aux conventions de Corbeil, il ferait justice. Et comme l’évêque et le comte insistaient, il ajouta« courtoisement » : « Le roi d’Aragon m’est si cher que, s’il est démontré que les rois nos prédécesseurs n’ont pas eu à Montpellier les droits en question, je n’en veux pas acquérir. J’aimerais mieux que le roi d’Aragon eût quelque chose de mon droit que d’empiéter, moi, sur le sien. » Histoire générale de Languedoc.

[11] P. Fournier, Le royaume d’Arles et de Vienne, 1891. Le récit le plus complet des négociations entre les papes et la Cour de Louis IX. au sujet des affaires d’Italie jusqu’en 1265 se trouve dans la seconde partie du livre de R, Sternfeld, Karl von Anjou als Graf der Provence, 1888. Cf. C. Merkel, La dominazione dl Carlo I d’Angio in Piemonte e In Lombardia, 1891. Une histoire générale de la politique de Charles d’Anjou en Provence et en Italie pendant la seconde partie du règne de Louis IX fait défaut. E. Jordan Les origines de la domination angevine en. Italie.

[12] P. Durrieu, Les Français dans le royaume de Naples sous le règne de Charles Ier d’Anjou, dans Les Archives angevines de Naples (t. II, 1887, p. 217 et suiv.). A. Joubert, L’établissement de la maison d’Anjou dans le royaume de Naples, 1887. Les noms des meilleures familles de la France proprement dite se trouvent sur les listes de feudataires des rois de Naples à la fin du xiiie siècle.