LE RÈGNE DE PHILIPPE III LE HARDI

LIVRE DEUXIÈME

 

CHAPITRE II.

 

 

Grégoire X ouvrit le concile de Lyon le 7 mai 1274. Le 17 juillet, présidant la sixième et dernière session de cette assemblée, il déclara solennellement que des trois grandes affaires qu'elle avait ou à régler, à savoir le secours de la Terre sainte, la réunion des Grecs et la réformation des mœurs, les deux premières avaient été heureusement terminées[1]. Il croyait sincèrement que la chrétienté était désormais pacifiée et qu'elle allait s'ébranler tout entière pour de nouvelles croisades. N'avait-il pas obtenu des prélats qu'ils accorderaient pendant six ans les décimes de tous les revenus ecclésiastiques pour l'expédition d'outre-mer ?

En France, beaucoup de gens partageaient ces généreuses illusions les trouvères exhortaient leurs compatriotes à reprendre la croix[2] ; une foule de seigneurs, que la tentative de Tunis n'avait pas relevés de leurs vœux, en portaient encore sur l'épaule le signe symbolique[3]. Le roi lui-même, comme on sait, était un partisan zélé de la guerre sainte. Grégoire X, qui avait promis publiquement, à la première séance du concile, de se mettre en personne à la tête de l'armée chrétienne si les circonstances le permettaient, lui écrivit pour le féliciter d'avoir renouvelé les serments qu'il avait faits jadis en commun avec son père et d'avoir commencé des préparatifs[4] ; et il institua son légat, le cardinal de Sainte-Cécile, pour hâter ces préparatifs.

Le mariage de Philippe III avec Marie de Brabant n'altéra nullement, quoi qu'on en ait dit[5], les dispositions de Philippe à l'égard de la croisade. Au contraire, il chercha à profiter de son alliance nouvelle avec les princes du Nord pour les entraîner à sa suite en Orient. C'est sans doute avec une intention pareille que lorsque Jean, primat de Norvège, s'arrêta à Paris en revenant du concile, il lui donna en présent pour Magnus VII, roi de son pays, une épine de la couronne du Christ enfermée dans un reliquaire d'argent et de cristal[6]. En octobre, le pape envoyait des instructions à son légat afin qu'il rappelât leurs devoirs aux croisés de France, sans se plaindre en aucune façon de la négligence du roi[7]. Les mois suivants furent consacrés à la levée des décimes ; chacun se munissait d'argent pour le prochain passage. Le vieil Erart de Valéri, par exemple, reçut de Grégoire X un viatique de 2000 marcs[8]. Le jour du couronnement de la reine Marie dans la Sainte Chapelle du Palais, c'est-à-dire à la Saint-Jean-Baptiste 1275, il y eut enfin une édifiante et décisive cérémonie.

Presque tous les barons et tous les prélats du royaume et beaucoup de princes du Saint Empire se trouvaient réunis à Paris à cette occasion. Il y avait là une quantité de seigneurs avec leurs femmes, en costumes éclatants ; la ville était pavoisée[9]. Le lendemain, profitant de cette affluence, Philippe le Hardi, la reine, les ducs de Brabant et de Bourgogne, les seigneurs de France et les frères du roi reçurent en grande pompe des croix consacrées[10]. Manifestation imposante, qui était l'indice d'une résolution durable.

Personne n'ignore cependant que l'extrême bonne volonté de Philippe III ne s'est jamais traduite par des actes ; de 1270 à 1285 il n'y a pas eu de croisade. C'est que le diable, comme dit un pape[11], se jeta toujours au travers des projets qu'on voulait très sincèrement réaliser. Le roi ne pouvait pas s'éloigner tant que la sécurité de ses peuples n'était pas complète ; or, l'histoire des années qui suivirent le concile de Lyon est pleine de rivalités et de guerres entre les royaumes d'Occident. Malgré les efforts persévérants de la papauté pour rétablir partout la concorde, Philippe fut occupé sans relâche à surveiller l'Allemagne, les agissements du roi d'Angleterre en Aquitaine, les Pays-Bas ; à régler les armes à la main des questions de succession fort embrouillées en Navarre et en Castille. Comment s'étonner que le passagium generale, remis chaque année au printemps prochain, ait fini par être oublié au milieu de ces complications de la politique positive ?

Grégoire X savait bien que l'idée de la croisade pouvait se briser contre l'écueil des rivalités politiques, et il apporta tous ses soins à maintenir ou à rétablir la paix entre les princes. A Lyon même, après le concile, il travailla à réconcilier Rudolf de Habsbourg et Philippe III, les deux chefs de la chrétienté.

Une bulle du 11 novembre 1274[12] nous apprend que, à cette date, des troupes — militia quedam —, prêtes à entrer en campagne, se trouvaient concentrées sur l'ordre de Philippe le Hardi vers les frontières de l'Empire. A cette nouvelle, le pape venait d'ordonner à des messagers de l'Empereur d'informer leur maître qu'il corrigerait les torts que l'on pouvait avoir eu en Allemagne vis-à-vis du roi de France, afin d'ôter tout prétexte à une querelle[13]. De son côté Rudolf, par l'entremise de son ambassadeur à Lyon, Conrad Probus, avait exprimé des intentions conciliantes relativement à l'affaire de l'illustre roi de France, car il était alors menacé à l'est par Ottokar de Bohême. L'intérêt de l'Empereur s'accordait donc avec la volonté du pape, qui était d'unir et d'apaiser. La guerre, en effet, n'éclata pas, et, un an après la promulgation de la bulle qui révèle les incidents de 1274, eut lieu la célèbre entrevue de Grégoire X et de Rudolf, à Lausanne (octobre 1275). Conrad Probus, suivant ses instructions, avait arrangé à Lyon cette rencontre, où la question des rapports entre la France et l'Empire devait être définitivement réglée.

Quelques historiens disent qu'Étienne Tempier, évêque de Paris, était présent au congrès de Lausanne et qu'il y prépara, à son tour, une entrevue entre son roi et celui d'Allemagne[14] ; on ajoute que Rudolf, en revenant de Lausanne, s'aboucha quelque part avec Philippe III, aux environs des frontières de Bourgogne là les deux, princes auraient conclu sous la foi du serment un traité d'alliance offensive et défensive. Mais ces affirmations ne reposent que sur un seul texte, tiré d'un recueil de formules et d'une attribution douteuse[15] ; le fait est d'autant moins probable que, pour les mois d'octobre et de novembre 1275, l'Itinéraire de Philippe n'indique aucun séjour en Bourgogne[16].

En tout cas, l'intervention du pape fut efficace, car, sans qu'on sache comment, l'orage, qui paraissait si menaçant en novembre 1274, était dissipé à la mort de Grégoire X. Les rapports de Philippe le Hardi et de Rudolf étaient même si cordiaux à cette époque que l'Empereur pria son très cher ami de prendre sous sa protection l'abbaye d'Orval, au diocèse de Trèves, parce qu'il était celui qui pourrait le plus aisément la préserver de toute injure[17].

Des deux côtés, pourtant, on avait gardé des rancunes et des ambitions. Dans un diplôme d'avril 1277[18], l'Empereur se plaignit avec amertume de ce que le roi de France eût essayé de corrompre la fidélité des bourgeois de Besançon à l'Empire ; il est en effet assez croyable que Philippe aurait volontiers fait tourner à son profit, à Besançon comme à Lyon, les dissensions de la bourgeoisie et du clergé[19]. Son Parlement condamna en 1278 les habitants de la ville impériale de Verdun[20]. Malgré ces escarmouches, les deux souverains, obligés de se mesurer avec de redoutables ennemis, l'un en pays slave, l'autre vers les Pyrénées, restèrent l'un vis-à-vis de l'autre indifférents et pacifiques pendant plusieurs années.

Pourtant des luttes sanglantes ayant désolé les Pays-Bas et les Ardennes de 1270 à 1285, comme le comte de Flandre, son vassal, et le duc de Brabant, son beau-frère, s'y trouvèrent mêlés, le roi de France ne se fit pas faute d'imposer son arbitrage à des princes d'Empire ; mais le roi des Romains eut le bon esprit de ne pas s'en offenser. L'histoire de cette guerre des Pays-Bas, appelée guerre de la vache de Chiney par les chroniqueurs liégeois[21], est très curieuse. En 1275, il y avait à Andenne joutes de princes ; un certain E. de Jalhay, ayant amené au marché une vache qu'il avait volée à un bourgeois de Chiney, fut saisi par les sergents du bailli de Condroz, ramené sur le territoire de l'évêché de Liège, et pendu. A la nouvelle de la violation de ses droits, le sire de Gonnes, justicier d'Andenne, entra en fureur ; il pilla Chiney ; le bailli de Condroz répondit en brûlant le bourg de Jalhay, et, en septembre, les hostilités commencèrent. D'un côté, le sire de Gonnes et ses deux frères, de la maison de Beaufort ; de l'autre, tout l'évêché de Liège. Dès le début, les gens de Huy abattirent le château de Gonnes ; puis celui de Falais fut pris. Mais le fils du seigneur de Falais vint se plaindre en l'hostel du duc de Brabant, à Tylemont, et le duc Jean eut en couvent de li à secourir, car ilh ne donroit mie de ches vilains Liegeois un denier. Dans les premiers mois de 1276 il y eut donc une bataille devant Falais entre les hommes du Brabant, venus à l'aide de la maison de Beaufort, et ceux de l'Hesbain ; Jean d'Outremeuse, qui l'a décrite en style homérique, estime qu'elle coûta aux Brabançons 6300 hommes, parmi lesquels trente et un chevaliers et le propre fils du duc. Après cela, la querelle s'envenima ; les comtes de Namur, de Hainaut et de Luxembourg1 embrassèrent successivement le parti de Jean de Brabant. Leurs adversaires ne furent point épouvantés par la formation de cette ligue de grands seigneurs ; loin de là. Le 21 mai 1277, trois armées s'ébranlèrent contre les alliés le prévôt de Saint-Lambert de Liège conduisait les Liégeois contre le Brabant, les Dynantois marchaient vers Namur, ceux de Huy et de Condroz vers le Luxembourg. Mais les Dynantois durent rebrousser chemin en apprenant que li conte de Flandres, à cuy Namur estoit, avoit assembleit grans gens et venoit vers Dynant.

Quand cheas de Dynant entendirent chu, se dessent qu'ilh se voloient combattre aux Namurois et aux Flamens. Nouvelle bataille hors des murs et dans la ville nouvelle victoire des bourgeois sur la chevalerie féodale. Lorsque les Huyois et les Liégeois en furent informés, ils s'enhardirent au point d'entrer dans le Brabant wallon et de dévaster tout le plat pays.

C'est alors, selon la chronique liégeoise, que le comte de Flandre alla trouver le roi de France à Paris et lui conta toute l'affaire. Quand li roi entendit chu, se rist de la vache qui tant avoit costeit, car ilhen étoit mors plus de quinze mille hommes tant d'un costeit comme de l'autre[22]. Il paraît certain, cependant, que Philippe III était déjà intervenu à plusieurs reprises pour faire conclure des trêves[23]. Ce qui est sûr, c'est qu'il avait écrit à l'évêque de Liège pour le prier de venir à Paris au mois d'août et d'allonger jusqu'à la Saint-Remi l'armistice qui était entre lui et les alliés du duc de Brabant. Jean d'Outremeuse avance que Philippe, choisi finalement comme arbitre par les deux parties, alla à Liège, puis à Falais, où il rendit sa sentence, et s'en retourna le 12 septembre. Mais rien ne confirme son dire ; le roi était à Paris le 30 août ; il y était encore le 20 septembre ; comment croire qu'il ait fait, dans l'intervalle, le voyage de Belgique ? Les documents officiels attestent d'ailleurs qu'il y avait envoyé pour moiener la paix[24] deux de ses familiers, frère Arnoul de Wisemale, de l'ordre du Temple, et G. de Chambli, archidiacre de Meaux. Il y a plus si l'évêque de Liège s'engagea en août 1277, à Paris, à se soumettre à la décision de Philippe sur tous les différends qu'il avait avec Gui de Flandre[25], c'est seulement le 5 avril 1278[26], à Bonne-Espérance, que les comtes de Flandre et de Luxembourg, d'une part, et le même évêque de Liège, de l'autre, compromirent en présence des délégués français entre les mains de quatre arbitres. Au mois de juin de cette année, les comtes et l'évêque nommaient encore des procureurs pour soutenir leurs intérêts devant ce tribunal improvisé[27].

En résumé, les embarras auxquels le gouvernement royal fut exposé du côté de l'Empire, depuis le concile de Lyon, ne revêtirent jamais un caractère de gravité dangereux, et vers 1278 il semblait qu'ils eussent disparu. Ils n'auraient point suffi à empêcher la croisade. Serait-ce plutôt les affaires d'Aquitaine qui ont enrayé le zèle de la cour de France pour les aventures lointaines ?

La plus inquiétante de ces affaires était assurément la guerre entre la commune et la vicomtesse de Limoges. Pendant que le concile de Lyon s'assemblait encore, Edward Ier était entré à Limoges (10 mai 1274), où il avait été reçu processionnellement par les bourgeois. Le lendemain de son arrivée, les abbés des principaux monastères l'avaient supplié de s'appliquer à rétablir la paix avec la vicomtesse. Le 20 mai, à l'occasion de la Pentecôte, il avait tenu sa cour dans la ville au milieu d'une certaine affluence de barons et de chevaliers. Il y attendait le retour des messagers qu'il avait expédiés à Paris. Cependant les soldats de la vicomtesse, loin d'être effrayés, ne firent que redoubler d'insolence sous les yeux du roi d'Angleterre ; c'étaient des pillages continuels[28]. Le 5 juin, le roi, qui avait chassé quelque temps aux environs, revint à Limoges, où il retrouva ses messagers, qui étaient arrivés les mains vides ; ils n'avaient pas pu obtenir de trêve, pas même une lettre[29]. Les bourgeois n'en pressèrent pas moins Edward de leur prêter des renforts ; mais le roi-duc refusa, vu l'attitude du roi de France, quoiqu'il se déclarât prêt à faire la guerre ou à se transporter en personne auprès de Philippe. Enfin, le 7, les bourgeois jetèrent devant lui les clefs de la ville et le conjurèrent de la défendre. Mais Edward, après avoir délibéré, répondit que, suivant le mandement jadis reçu de France, il les déliait du serment qu'ils lui avaient prêté, et qu'il n'empêcherait pas la vicomtesse de justicier ses hommes. Il partit le lendemain, non sans laisser une garnison pour la défense de la cité.

Un mois se passa en hostilités nouvelles. G. de Valence, oncle d'Edward Ier, était arrivé le 7 juillet à Limoges, pour aider à la résistance. Des barons anglais l'y avaient précédé la veille ; ils étaient au nombre de deux cents hommes cuirassés ; il y avait un ingénieur anglais pour diriger l'artillerie. Aixe fut assiégé. C'était une guerre anglaise qui commençait, lorsqu'un courrier du roi de France apporta l'ordre de suspendre toute violence, assignant les parties à comparaître au parlement prochain pour y voir terminer leur procès (24 juillet).

L'arrêt intervint au parlement de l'Assomption[30] ; il ne fut nullement favorable à la commune[31]. Ordre au roi d'Angleterre de ne pas recevoir de serment, de ne pas entraver la justice de la vicomtesse, défense de protéger les bourgeois, d'entretenir un bailli à Limoges, le tout, sous peine de dommages intérêts et d'amende. Au parlement de la Chandeleur 1273 les dégâts commis à Aixe par les Anglais furent, en outre, punis d'une condamnation à payer la somme de 22.613 livres[32].

Cette fois, les habitants de Limoges n'avaient plus qu'à se soumettre, puisque leur protecteur se soumettait ; le 6 novembre, les consuls et les notables compromirent en G. de Maumont[33], leur ennemi déclaré, et en son frère, le futur doyen de Saint-Yrieix, au sujet des litiges qui étaient entre eux et la vicomtesse. Le dimanche suivant, la vicomtesse entra dans la ville, bannières déployées ; elle reçut les clefs et la ratification du compromis. Les arbitres ôtèrent aux bourgeois la garde de leurs tours, de leurs fossés et de leurs murs, ainsi que toute juridiction haute et basse[34] ; ils ne résolurent les autres questions pendantes que plusieurs mois après, mais avec tant de partialité que la commune[35], quoique abaissée sans remède, en appela encore à la justice de la cour du roi[36].

Le Limousin avait été désolé par cette guerre toutes les denrées avaient augmenté ; la mortalité était extrême ; on n'avait jamais vu tant de voleurs pendus le long des chemins ni de corbeaux croassant sur les tours des églises[37]. Pendant quelques années, les habitudes de violence qu'on avait contractées se traduisirent par des représailles à main armée. Révolte en 1276 contre la vicomtesse et G. de Maumont, dont les partisans furent chassés de Limoges ils y rentrèrent le 22 janvier 1277 avec une multitude de soldats et placèrent leurs bannières aux portes de la ville[38]. En mai 1276, le sénéchal de la vicomtesse, accompagné de G. de Maumont, assiégea l'abbaye d'Uzerche avec quinze mille hommes et des machines, parce que l'abbé refusait de lui laisser tenir une assise sur ses terres[39]. Les chroniques locales ne tarissent pas sur les excès de ce Giraut de Maumont, qui, suivant l'expression du continuateur de G. Godel, régnait sur la vicomte et sur la vicomtesse, et qui représentait en Limousin l'influence française[40] mais ces chroniques ont été écrites par des ennemis. Il paraît bien, au fond, que s'il employa des procédés rudes, il finit par tout pacifier. Le vicomte de Limoges et sa femme l'en récompensèrent plus tard par le don du château de Châlus, avec ses dépendances[41].

En somme la question du Limousin était réglée, dès 1275, au gré du gouvernement de Philippe III. On n'eut guère plus de peine à terminer d'une façon satisfaisante l'affaire de Gaston de Béarn.

G. de Béarn, révolté, comme on l'a vu, contre le duc d'Aquitaine, n'avait pas tardé à avoir le dessous. Assiégé et réduit à l'extrémité[42], il avait usé de la grande ressource des arrière-vassaux de la couronne en se mettant à couvert derrière l'autorité du roi de France il en avait appelé au Parlement, acte qui, théoriquement, devait suspendre toutes les hostilités. En effet Philippe III fit défendre immédiatement à Edward Ier, ratione appellationis, d'inquiéter Gaston ou ses hommes, et Edward Ier s'empressa d'accorder une trêve, malgré l'avis des siens[43]. Toutefois cette déférence n'était guère qu'apparente, car, le 16 août 1274, à Limoges, deux Frères Mineurs se plaignirent au nom du vicomte que des gens du duc, au mépris de l'appel, eussent commis des violences sur les terres de Béarn Edward avait promulgué dans tout le duché défense de recevoir les sujets de Gaston, de conclure des marchés avec eux, de régler leurs créances ; les bayles de Soule et des environs se conduisaient comme si, quant à eux, la guerre n'était pas suspendue[44]. La pétition présentée par les Frères Mineurs était rédigée en termes si mesurés que la cour ducale dut donner dans une certaine mesure satisfaction au vicomte elle restitua à ses vassaux la licence de commercer, la liberté du transit, par respect pour l'honneur et les défenses du roi de France, concessions qui furent notifiées par un mandement au sénéchal de Gascogne. Mais il faut croire que ce mandement n'eut pas d'effet ; car Gaston de Béarn, au parlement du mois de septembre, dans une séance où Philippe siégeait, dénonça le duc d'Aquitaine comme traître, juge inique et déloyal, pour l'avoir pris, grant domage fet de ses biens et de ses choses, dont il réqueroit que li rois d'Engleterre en chaïst es peines que il en devroit souffrir par loi de terre[45]. Il finit par jeter le gage de bataille aux procureurs de son ennemi, et pour fere plus grand despit, cil de son ostel et de sa compaignie l'imitèrent.

Philippe III se trouva par là mêlé à un conflit bien plus grave que ceux que son Parlement résolvait à chaque session, aux jours du duché d'Aquitaine, et qui, s'il eût été d'un tempérament moins pacifique, aurait pu dégénérer aisément en casus belli. Mais il se contenta de se tenir sur la défensive et de maintenir sauf son droit royal d'appel, engagé dans l'affaire.

Pour répondre au défi solennel de Gaston de Béarn, Edward Ier envoya à la cour cinq chevaliers chargés de se présenter comme ses champions[46]. Pourtant, il n'y eut pas de combat, car le vicomte déclara que l'action étant personnelle, il ne pouvait se mesurer qu'avec Edward lui-même. Là-dessus, la cour cita les deux adversaires à la prochaine session de la Chandeleur[47].

Bien que le roi d'Angleterre tînt beaucoup à ce que cette affaire, qu'il avait fort à cœur[48], fut terminée au plus tôt, les débats durèrent longtemps. Sur la controverse primitive s'étaient greffés peu à peu des incidents secondaires : violation de l'immunité des appelants par les officiers ducaux, défi de septembre 1274, sans compter que la succession de Bigorre étant sur le point de s'ouvrir, les prétentions de Constance, fille de G. de Béarn, à l'héritage de ce comté, menaçaient continuellement de compliquer encore les problèmes en suspens. Le gouvernement de Philippe le Hardi, si soucieux de la légalité féodale, hésitait d'ailleurs à donner raison à un seigneur qui, tout dévoué qu'il se montrât à la couronne de France, avait eu d'incontestables torts envers son suzerain immédiat. On s'explique ainsi que le roi ait conseillé finalement au vicomte de Béarn d'aller de son plein gré s'excuser à Londres des intempérances de langage qu'il avait à se reprocher, et en même temps faire sa soumission[49].

J'apprends, écrivait alors de Paris à Edward Ier Pierre Odon, l'un de ses clercs, qu'on vous envoie G. de Béarn en Angleterre, accompagné de Mgr Erart de Valeri et de Mgr Foulques de Laon, conseillers du roi de France ; ceux qui ont soif de votre honneur craignent que lesdits conseillers ne travaillent à pallier auprès de vous les torts du vicomte. J'entends dire à vos amis que la paix à intervenir ne vous sera pas profitable si Gaston, qui a péché publiquement, ne se repent pas de même ; s'il ne désavoue pas en pleine cour les accusations qu'il y a formulées sur votre compte. Vous savez combien de fois Gaston vous a offensé et vous a faussé sa foi ; prenez garde qu'il n'ose plus le faire désormais ; autrement les barons de Gascogne en abuseraient. De si sages conseils ne manquèrent pas d'être accueillis ; et quand Gaston, arrivé en Angleterre, s'en fut remis à la miséricorde d'Edward[50], celui-ci lui enjoignit de démentir en séance royale du Parlement tout ce qu'il avait jadis avancé contre sa personne. Puis, avec une habileté consommée, il déclara que la présente soumission du vicomte équivalait à une renonciation de l'appel qu'il avait formé[51] ; que le procès était fini par là même, et qu'un seul point restait désormais à régler quelle punition serait infligée à Gaston de Béarn pour la félonie commise[52].

Edward fut assez fin pour remettre à Philippe III le soin de formuler la sentence pénale. A l'entendre, il ne voulait pas même encourir le soupçon de partialité ; mais en s'abandonnant sur ce point à la justice du roi, il fit nettement comprendre que toutes les enquêtes commencées sur les incidents du procès devaient être annulées, tant sur les dommages-intérêts que sur le fond, et que Philippe devait retirer sa main des terres de Gaston et de ses alliés, parce que la connaissance de l'affaire ne lui appartenait plus.

Ces prétentions étaient spirituelles ; mais il était impossible que la cour de France les admit. Aussi les enquêtes continuèrent-elles comme par le passé ; en vain Edward Ier, informé par son sénéchal de Gascogne, s'en plaignit amèrement en février 1278, rappelant les termes de son compromis et l'étendue — dérisoire — des pouvoirs qu'il avait conférés au roi[53].

Toutefois, la querelle d'Edward et de Gaston, que l'humiliation de celui-ci avait bien réellement terminée, s'assoupit lentement. Il ne parait pas que Philippe III ait jamais condamné à une amende le vassal qui avait eu confiance en sa protection ; d'autre part, le procès d'appel finit par disparaître des rôles de la Cour. En avril 1279 une série de mandements du roi d'Angleterre, datés de Westminster, rendit au vicomte de Béarn réconcilié ses fiefs et ses châteaux confisqués[54]. Restait la question du Bigorre, mais elle ne se posa d'une façon pressante que quelques années plus tard[55].

En somme, la chronique de Beaudoin d'Avesnes résume d'une façon assez inexacte l'épisode de Béarn en distant[56] : Édouart ot grant discors à G. de Byas, mais li rois de Franche en fist pais ; car Philippe n'imposa pas la paix, il la facilita seulement par ses conseils, ses scrupules et son inaction. -Mais la paix entre la France et l'Angleterre n'en fut pas moins assurée ; et, dans le courant de cette même année 1279, elle se trouva encore affermie par la conclusion d'un traité qui mit fin à des querelles bien plus dangereuses. Certes, si la paix entre les deux pays avait dû être rompue, ç'aurait été le partage difficile de l'héritage d'Alfonse de Poitiers qui aurait déterminé la rupture. L'enjeu était considérable, puisqu'il s'agissait de savoir si trois vastes provinces, Agenais, Quercy et Limousin, allaient revenir à la couronne de France ou s'adjoindre au fief d'Aquitaine.

On sait que cette question avait été résolue d'avance dans le traité de 1258 en faveur du duc d'Aquitaine ; tout se réduisait donc à interpréter les termes de cette convention fondamentale. Philippe III, pour sa part, usait de tous les droits que ladite convention lui conférait ; en 1275, par exemple, en vertu des stipulations de 1258, il exigea de tous les vassaux aquitains des diocèses de Limoges, de Cahors, de Périgord et de Saintes — au delà de la Charente — le serment de ne pas aider leur duc, et même de le combattre, s'il violait les traités[57]. Edward Ier était en droit, de son côté, de faire valoir les clauses relatives au retour de la dot de Jeanne d'Angleterre ; il n'y manqua pas. Ses lettres de procuration aux légistes qu'il déléguait pour prendre soin de ses intérêts à Paris les chargeaient toujours de poursuivre la restitution de l'Agenais et de ses annexes féodales, et, généralement, l'exécution des promesses échangées entre Louis IX et Henri III[58]. Le 8 février 1278, il institua spécialement, n'ayant encore reçu aucune satisfaction, E. de Penecestre et A. Bek, archidiacre de Dorset, pour rappeler au roi de France le respect de la foi jurée[59]. L'histoire de ces négociations est fort obscure, et l'on ne sait pas quels ressorts les envoyés anglais firent jouer à la cour de France, mais ils obtinrent qu'une entrevue aurait lieu entre les deux rois dans le courant de l'année 1279. Le 27 avril, Edward Ier annonça à ses sujets qu'il partait pour le continent. En mai, il se rencontra, à Amiens, avec Philippe le Hardi, et, le 23, fut conclu entre eux l'acte célèbre qui commenta et qui sanctionna la paix de 1258[60]. Par le traité d'Amiens, Philippe céda l'Agenais à l'ayant droit de Jeanne d'Angleterre ; il s'engagea à faire vérifier par enquête si le Quercy, qu'Alfonse avait possédé du chef de sa femme, provenait aussi de la dot de ladite Jeanne ; il renonça enfin au serment qu'il avait réclamé des vassaux aquitains en 1275, parce que la majorité de ces vassaux s'était montrée peu disposée à le prêter[61].

Il est donc établi, en résumé, que, soit du côté de l'Empire, soit du côté de l'Aquitaine, Philippe III ne fut pas si absorbé qu'il n'eût pu aisément, de 1274 à 1279, donner suite à ses projets de croisade. Loin de là. La véritable cause des retards successifs que subit l'expédition d'outre-mer doit être cherchée ailleurs ; comme Raynaldi l'a très bien vu[62], ce sont les événements de Castille et de Navarre qui ont constitué l'obstacle. Cinq jours après la clôture du concile de Lyon, le roi de Navarre, Henri III, était mort à Pampelune (22 juillet 1274) ; et ce malheur ouvrit l'ère, qui s'est close avec le XIIIe siècle, des difficultés politiques entre la France et les royaumes du Midi. De sa femme Blanche, sœur du comte d'Artois, Henri III ne laissait qu'une fille, dona Juana, âgée de trois ans seulement, qui avait été fiancée, du vivant de son père, au fils du roi d'Angleterre ; les États de Navarre l'avaient reconnue comme héritière légitime. La régente Blanche se trouva néanmoins aux prises avec de graves difficultés. Alfonse X de Castille, jadis brouillé avec Henri III, affectait une attitude menaçante ; de son côté, en Peyre, fils du roi d'Aragon, avait des prétentions sur la Navarre à cause de l'acte d'adoption consenti jadis par Sanche le Fort au profit de son grand-père, Jayme Ier[63]. Blanche, effrayée et mal assurée de la fidélité des Navarrais, réunit à Pampelune, le 27 août, les ricos hombres du royaume et les hommes des bonnes villes elle y désigna, avec leur assentiment et presque sur leur ordre, don Pedro Sanchiz, seigneur de Cascante, comme gouverneur et conservateur des fueros[64] ; puis, comme le projet d'alliance avec un fils d'Edward Ier était rompu, elle promit dona Juana au fils aîné du roi d'Aragon. Cela fait, elle se réfugia en France, pour y rejoindre sa fille suivant les uns[65], pour l'y amener suivant les autres, et se mettre en sûreté[66].

Son départ fut suivi des désordres qu'elle avait prévus en septembre, deux envoyés aragonais vinrent faire valoir les droits de leur maître[67] devant la cour de Navarre, siégeant à Puente de la Reyna ; et comme on les pressa de s'expliquer sur leurs intentions[68], en Peyre répondit, le 16 octobre, par une lettre qui contenait les plus belles promesses[69]. Il paraît que les Cortès se laissèrent séduire et qu'à la fin d'octobre, à Olite, elles signèrent une convention relative au mariage de dona Juana et de l'héritier d'Aragon ; car le 1er novembre, en vertu de cette convention aujourd'hui perdue, elles s'engagèrent à faire hommage à l'infant Peyre et à s'acquitter de toutes les convenances contractées envers lui[70]. Dans le même temps, l'infant don Fernando de Castille, qui était entré en armes sur le territoire navarrais, assiégeait la ville de Viana[71]. Enfin la ville et les faubourgs de Pampelune, ou, comme on disait, la Navarrerie et la Poblacion de San-Nicolas, profitant du relâchement de l'autorité royale, renouvelèrent leurs anciennes querelles. Le pays se perdait, dit un contemporain[72], car don Sanchiz et don Garcia Almoravit, chef des habitants de la Navarrerie, voulaient être seigneurs ; seigneur aussi don G. Ibañez, alferez de Navarre ; la capitale était en feu ; le reste du royaume se partageait entre trois factions, celles des amis de l'Aragon, de la Castille et de la France.

C'est en ces circonstances que les Navarrais, d'après Anelier, s'entendirent pour implorer l'intervention du roi de France, lui dénoncer l'ambition de la Castille et lui demander un gouverneur qui justiciât leur terre avec roideur et loyauté[73]. Les chroniqueurs de Saint-Denis ne parlent pas de cette ambassade ; mais, qu'elle ait été envoyée ou non, Philippe III était alors très disposé à l'accueillir. Il faisait élever auprès de lui la légitime héritière du royaume pyrénéen ; n'avait-il pas en même temps le droit et le devoir de protéger les intérêts de la reine Blanche et de sa fille ? Il y aurait eu déshonneur à les abandonner[74]. Mais il avait bien d'autres raisons de s'émouvoir en leur faveur ; on n'avait pas tardé à penser[75] à la cour de France que le mariage de doña Juana avec l'un des fils du roi serait fort profitable à la dynastie capétienne. Ne pouvait-on pas se dégager aisément de la promesse faite à l'infant d'Aragon ? Comme la reine Blanche avait consenti de grand cœur, on avait rédigé, en mai 1275, le traité d'Orléans, pour fixer les conditions de l'union à intervenir[76] ; Blanche avait cédé au roi le droit qu'elle avait au gouvernement de la Navarre jusqu'à la majorité de sa fille. Comme il y avait entre les futurs, doña Juana et Philippe de France, parenté canonique au 3e degré, le pape avait accordé une dispense[77] et, par là, confirmé la convention. Il est clair que Philippe III ne pouvait plus, après cette promesse de mariage, se désintéresser des choses d'Espagne.

Déjà, en décembre 1274, Philippe le Hardi avait ordonné au sénéchal de Carcassonne de convoquer les hommes qui lui devaient le service militaire, sans doute pour surveiller les frontières d'Aragon[78]. Après le traité d'Orléans, il informa les Navarrais qu'il avait reçu leur pays sous sa garde spéciale et il requit solennellement les rois de Castille et d'Aragon de ne plus les inquiéter désormais[79]. Le 8 juin, P. Sanchiz et les principaux barons de Navarre lui répondirent qu'ils avaient reçu ces nouvelles avec joie, et que, selon les ordres de la reine Blanche, ils obéiraient volontiers à ses officiers, à condition qu'ils ne violassent pas les usages locaux ; ils terminaient en le priant de fixer lui-même l'effectif des troupes qu'il jugerait bon de leur envoyer pour les aider contre les Castillans.

Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse, fut choisi pour le périlleux honneur de gouverner et de défendre la Navarre. Muni des instructions royales, il s'entoura à Toulouse d'une escorte de chevaliers et d'arbalétriers languedociens et se rendit son poste par le Béarn, Sauveterre, Saint-Jean-Pied-de-Port et Roncevaux[80], vers la fin de l'année 1275. Un dimanche matin, dit Anelier, sans que personne en fût informé, sauf les Champenois, il se trouva à Pampelune dans le palais du roi ; il alla ce jour-là à la messe, et je le vis faire sa prière dans Sainte-Marie ; alors le bruit courut par toute la Navarre qu'un bon gouverneur était arrivé de France.

Telle était la situation en Navarre, quand en Castille une succession royale, ouverte brusquement, amena de nouveaux embarras. Alfonse X, roi de Castille, bien que menacé par les musulmans dans ses États, songeait toujours à enlever la couronne impériale à Rudolf de Habsbourg et à s'approprier l'héritage de Henri III de Navarre. Inutilement Grégoire X, toujours désireux de pacifier la chrétienté, avait-il eu avec lui une longue conférence à Beaucaire[81] ; il était resté inflexible. Ce roi avait deux fils, don Fernando de la Cerda, qui avait épousé Blanche, fille de Louis IX — deux enfants étaient issus de cette union —, et don Sanche, prince très brave, alors âgé de trente-sept ans. Au mois d'août 1273, don Fernando mourut, pendant une expédition contre les Mores. Ses fils hériteraient-ils, comme il avait été convenu entre Alfonse X et Louis IX lors du mariage de Blanche, ou bien leur oncle, d'après la loi des Wisigoths, les supplanterait-il ? La question se posa en ces termes.

Don Sanche, vainqueur des Mores, arrivé à la plénitude de la virilité, avait, sans contredit, les préférences du peuple. Quant à Alfonse X, les chroniqueurs français assurent[82] que avec sa perfidie naturelle il voulait ravir leur droit aux infants de la Cerda, les auteurs espagnols[83] qu'il eut la main forcée par son fils et qu'il aurait mieux aimé, au contraire, voir ses petits-enfants l'emporter. En tout cas, don Sanche fut reconnu comme héritier présomptif, et la cause des infants tomba si bas que leur mère Blanche ne reçut ni douaire ni rente dont elle pût vivre. La noble dame resta désolée, sans conseils, au milieu de ces hommes farouches. Philippe III fut très sensible à l'affront fait à sa famille, et il chargea le bouteiller Jean d'Acre d'aller trouver Alfonse X en son nom[84]. Jean d'Acre devait prier le roi de Castille de rendre à Blanche son douaire, aux infants leur héritage, ou, subsidiairement, de leur délivrer la permission de retourner en France. Alfonse refusa ; il céda seulement sur un point, en autorisant le départ de sa belle-fille. Mais, des deux côtés, la discussion fut amère ; on se laissa aller à des excès de langage, si bien que, d'après l'historiographe de Saint-Denis, les Castillans se ravisèrent, et pour reprendre Blanche essayèrent de couper le chemin à l'ambassade qui l'emmenait. Jean d'Acre fut cependant assez heureux pour atteindre sans encombre les frontières de France et pour remettre la fugitive entre les bras de son frère, qui la reçut avec honneur. Avec la veuve de don Fernando, quelques-uns de ses partisans émigrèrent, entre autres un certain Juan Nunès dont toute la terre avait été confisquée par les partisans de don Sanche. Philippe le Hardi le prit à sa solde, ainsi que tous les exilés.

En 1276, la croisade était donc plus impossible que jamais[85] ; la défense des deux veuves, Blanche d'Artois et Blanche de France, et des orphelins, dona Juana et les infants de la Cerda, était sur le point d'amener une guerre avec la Castille, d'autant plus redoutable qu'elle allait coïncider avec une guerre civile en Navarre.

L'administration d'Eustache de Beaumarchais ne réussit pas, en effet, à rétablir l'ordre dans le royaume turbulent et divisé qui lui avait été confié. A la vérité, ses premières mesures furent bien entendues ; il parcourut le pays, exigeant des villes des serments de fidélité à la reine[86] ; à Pampelune, il paya aux chevaliers et aux enfançons de toute la Navarre le prix de leurs services militaires[87]. Mais ses officiers, entre autres le chef des arbalétriers, étaient infidèles ; les habitants de la Navarrerie furent bientôt fâchés de l'amitié que les gens des faubourgs portaient au gouverneur ; les barons s'indignèrent quand il voulut changer les fueros[88] et remplacer les sanchets navarrais par la monnaie tournois de France[89]. Don P. Sanchiz s'irrita de voir un étranger lui enlever le gouvernement du pays ; don G. Almoravit avait toujours été très dévoué aux intérêts de la Castille. Les mécontents ourdirent donc une conjuration contre la personne du sénéchal ; il s'agissait de l'amener à livrer bataille aux Castillans et de tout disposer pour qu'il succombât dans la mêlée[90]. Il s'en fallut de bien peu que cette trahison ne réussît ; en effet, les Cortès, assemblées au château de Los Arcos, ayant décrété une prise d'armes contre des Castillans qui ravageaient la Biscaye, Eustache allait se mettre à la tête des milices et tomber dans le piège, quand don P. Baldoin, l'un des principaux du bourg de San-Cernin, l'avertit du danger. Les conjurés désappointés proposèrent encore aux habitants des bourgs de s'unir à eux pour chasser le gouverneur étranger ; mais les bourgeois promirent, au contraire, de soutenir la cause française jusqu'à la mort. Dès lors, il y eut deux camps dans Pampelune les barons enfermés dans la Navarrerie, qui tenaient leurs parlements dans l'église Sainte-Marie, et les Français, logés dans les bourgs, autour de l'église de Saint-Laurent. Plusieurs abbés essayèrent de réconcilier les adversaires, mais un homme de la Navarrerie fit jouer une machine à lancer des pierres contre la Cité et les hostilités commencèrent. Les récits d'Anelier attestent que les combattants y déployèrent un acharnement inouï (mai et juin 1276)[91].

Depuis que les affaires avaient pris cette tournure violente, E. de Beaumarchais avait expédié courrier sur courrier à Paris. Philippe III y répondit d'abord en instituant des commissaires enquêteurs, le prieur de Saint-Gilles et Gaston de Béarn. Ces personnages obtinrent à grand'peine de la Navarrerie une trêve de quinze jours, mais toute tentative de réconciliation échoua contre l'obstination des barons. Seul, don P. Sanchiz, chef des rebelles, parut ébranlé[92] et promit à Gaston de Béarn de passer du côté des bourgs ; mais il fut, pour cette cause, assassiné par ses compagnons, et les enquêteurs, effrayés, rapportèrent à la cour du roi ce qui se passait à Pampelune[93].

Philippe résolut alors d'agir ; il ordonna à Robert d'Artois et au connétable Imbert de Beaujeu de convoquer les contingents du Midi — sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne, Périgord et Beaucaire — G. de Béarn, et le comte de Foix[94] leur serviraient de guides et d'auxiliaires leur mission était de délivrer à tout prix le gouverneur de Navarre ; le roi lui-même s'ébranlerait ensuite[95]. Les enrôlements commencèrent aussitôt dans les provinces méridionales ; ils produisirent, dit-on, 20.000 hommes. Cette armée, sous les ordres du comte et du connétable, s'attarda quelque temps en Béarn à la recherche d'un passage dans la montagne. Beaumarchais, à bout de ressources depuis que les rebelles avaient rompu la trêve, avait annoncé aux siens l'arrivée des secours pour la Notre-Dame du mois d'août[96], mais l'armée ne parut devant Pampelune que le 3 septembre, après avoir traversé les Pyrénées sur le territoire aragonais, non sans d'extrêmes fatigues. Ce fut un beau jour pour les assiégeants de San-Cernin et de San-Nicolas. Il y avait là, dit Anelier[97], l'un de ces assiégeants, maintes belles gens, les comtes de Foix, d'Armagnac et de Périgord, sire Jourdain de l'Isle et son fils, J. de Rabastens, le vicomte d'Auvilars, etc. Dès le soir même, l'investissement de la Navarrerie fut complété à l'aide de ces renforts.

Le siège de Pampelune est resté célèbre à cause des trahisons qui le signalèrent et de sa fin tragique. Le meilleur ingénieur de l'ost de Robert d'Artois, Bouquin, fut séduit par les offres de l'ennemi, et, réfugié dans la ville, fit beaucoup de mal à ceux des faubourgs. La félonie de l'un des capitaines de l'ost permit en outre à don G. Almoravit et aux barons de la Navarrerie, au moment où ils étaient réduits à l'extrémité, de s'échapper nuitamment, à la faveur d'une ruse grossière[98]. Il y eut un traître, dit Anelier[99] ; je le connais, mais je ne veux pas le nommer. La chronique de Primat, moins discrète, désigne Gaston de Béarn, qui était le cousin de G. Almoravit[100]. Les meurtriers de don P. Sanchiz rencontrèrent à trois lieues de la ville des secours que le roi de Castille leur envoyait ; ils rejoignirent bientôt Alfonse X lui-même, qui se tenait en armes près de la frontière.

Le lendemain de l'évasion, le connétable entra dans la Navarrerie pour parler aux habitants abandonnés par leurs défenseurs ; ceux-ci demandèrent merci et se réfugièrent en foule dans l'église de Sainte-Marie ; mais les assiégeants y firent irruption et s'abandonnèrent à un pillage épouvantable. Ce furent, selon les historiographes officiels, les hommes de Béarn et les Albigeois du comte de Foix qui ne craignirent pas de tuer et de violer dans l'église, de dépouiller de ses ornements en cuivre doré, qu'ils prenaient pour de l'or, le tombeau du roi Henri mais Anelier, qui décrit ces horreurs, montre bien quels étaient les sentiments de tout le bas peuple de l'armée en s'abstenant de les condamner[101].

Le comte d'Artois mit fin aux vengeances. Il rappela les chanoines de la cathédrale, qui s'étaient enfuis ; et quoique le clergé se fût précédemment montré très contraire à la cause française[102], il lui rendit, ainsi qu'aux citoyens survivants, tout le butin qu'il arracha à des mains criminelles. L'ordre assuré dans la capitale, il parcourut le royaume, capturant toutes les villes et tous les châteaux à l'exception de sept, et emprisonnant les rebelles ; et toute cette terre, suivant l'expression biblique de Nangis, se tut devant sa face[103].

Cependant Philippe III se préparait à envahir la Castille pour punir les menées d'Alfonse X en Navarre et l'usurpation de don Sanche. S'il ne lui avait pas déclaré la guerre aussitôt après l'échec de la mission de Jean d'Acre, c'est que, sur l'avis de son conseil, il avait voulu tenter encore une fois la voie des négociations pacifiques[104]. Mais une seconde ambassade ayant eu le même succès que la première, les ambassadeurs français défièrent le roi de Castille dans une dernière entrevue. La guerre, devenue ainsi inévitable, s'annonçait du reste sous les meilleurs auspices ; sur quels alliés Alfonse X aurait-il pu compter ? Il est vrai que le bruit courait en certains lieux que le roi d'Angleterre, son parent, allait se déclarer pour lui[105] ; mais en réalité, Edward Ier avait répondu très froidement aux ouvertures de ce prince[106]. Quant à l'Aragon, l'héritier du trône avait enfin renoncé à ses prétentions chimériques à la possession de la Navarre et à la main de la princesse Jeanne ; il venait de passer plusieurs semaines en France, où il avait vu les fils de sa sœur Isabelle, la première femme de Philippe III le roi lui avait fait très bonne chère pendant son séjour et l'avait comblé de dons au départ[107] ; enfin l'abdication de Jayme, son père, l'avait élevé à la dignité royale (juillet 1276), et le soin de son installation, la crainte d'une invasion musulmane l'auraient au besoin retenu.

Philippe III réunit donc une belle armée, qui comptait, selon les on-dit, trois cent mille hommes[108] ; le duc de Brabant et plusieurs barons d'Empire s'y étaient joints bénévolement. Vers la fin de juillet, le roi alla chercher à Saint-Denis l'oriflamme, qu'il reçut des mains de Mathieu de Vendôme le 23 août, il était à Orléans ; en septembre, à Tours et à Angoulême. Sur sa route, il rencontra cinq chevaliers castillans, messagers d'Alfonse X ; au bout de sept jours, ils furent admis auprès de lui et commencièrent à parler hautement et le deffièrent de par leur seigneur[109]. La réponse fut très sage Philippe se borna à dire que il entendoit, se il povoit, assaillir le roi de Castille ; mais il fut, au fond, si ému de l'insolence du défi, qu'il se disposa par ferme propos à entrer comme ennemi mortel au royaume d'Espagne. L'ost se concentra à Sauveterre, sur les terres de G. de Béarn, en octobre. Si l'on parvenait à franchir les Pyrénées, il semblait que c'en fût fait de la péninsule tout entière.

Mais on ne franchit pas les Pyrénées, car on n'avait rien prévu ; les vivres manquèrent le pain de deux deniers se vendit aisément deux sanchets ; les hommes et les chevaux périrent de faim en foule. La mauvaise saison approchait ; il y avait déjà de grandes rafales de vent et de pluie. Impossible d'avancer. Pendant que Philippe III était dans cet embarras, à la fois tragique et ridicule, il reçut des lettres du pape et de Beaumarchais. Jean XXI, qui était Espagnol d'origine, l'exhortait à cesser une guerre fratricide et à remettre la vengeance de ses griefs à la sollicitude du Saint-Siège[110]. Le gouverneur de Navarre l'informait de la prise de Pampelune[111]. A Sauveterre aussi, des députés du roi d'Angleterre lui apportèrent la réponse d'Edward Ier à la convocation militaire qui lui avait été adressée comme duc d'Aquitaine, et ses propositions d'arbitrage[112]. A la fin, le roi conseilla à Robert d'Artois d'accepter une entrevue qu'Alfonse X venait de lui proposer, au nom de leurs relations de famille[113].

Ces messages, qui révélaient chez l'ennemi et chez les puissances non belligérantes le désir de la paix, et qui coïncidaient avec la prise de Pampelune, victoire de nature à consoler les amours-propres, n'auraient pas arrêté l'armée si elle avait été en mesure d'agir ; dans l'impuissance où l'on était, ils fournirent aux chefs des prétextes pour opérer une retraite que les circonstances rendaient urgente[114]. Seul, Philippe le Hardi, qui voulait absolument entrer en Espagne, résista ; mais on finit par lui persuader que la reculade était provisoire, et qu'après s'être muni du nécessaire, l'ost reviendrait au printemps[115].

La nouvelle de l'échec de Sauveterre se répandit avec une rapidité surprenante. Edward Ier, qui se disposait à passer sur le continent pour ménager la paix, retourna, en l'apprenant, à son expédition contre les Gallois[116] ; à Paris, on en fut très humilié[117] ; en Flandre, on crut que c'était du mandement du pape que le roi était retourné en France[118] ; en Castille, Alfonse X eut la joie d'en faire part à Robert d'Artois, qui, au comble de la surprise et craignant une trahison, s'empressa de regagner la Navarre.

Il ne partit pas si vite, néanmoins, qu'il n'eut eu le loisir de signer avec Alfonse X, à Vittoria, deux conventions fort honorables (novembre 1276). En vertu de la première, le roi de Castille consentait à une trêve avec la Navarre jusqu'à ce que, suivant le for du pays, dona Juana fût en âge de régner ; en ce qui touchait les infants de la Cerda, il promettait de faire annuler les serments et les hommages prêtés à don Sanche, et, de Noël en un an, de convoquer une assemblée de ses barons qui trancherait le procès entre les prétendants, avec cette clause que le roi de France pourrait envoyer des prud'hommes soutenir devant ladite assemblée la cause de ses neveux[119]. Le second traité stipulait que les rebelles seraient amnistiés des deux côtés, d'une part Juan Nunès et ses compagnons, de l'autre les bannis de la Navarrerie[120].

La démonstration de Sauveterre ne fut donc pas tout à fait stérile, comme on se plaît à le répéter. Malheureusement, les deux traités de Vittoria n'avaient pas une grande valeur. Alfonse X y prévoyait lui-même le cas où don Sanche et les barons refuseraient d'y accéder, et ils allaient naturellement refuser.

Robert d'Artois et ses acolytes assistèrent, dès leur retour en Navarre, à un conseil des chefs de l'armée, composé du gouverneur, des comtes de Foix, de Bigorre et de quelques autres ; il y fut convenu que les châteaux des gentilshommes qui avaient trempé dans la rébellion seraient rasés[121], et que l'on exigerait un serment de fidélité des chevaliers de feu don P. Sanchiz[122] pour achever la pacification. Robert demanda ensuite si son devoir était de rester en Navarre ; comme le conseil déclara qu'il ne voyait pas d'inconvénient à son départ, à condition qu'il laissât une partie de ses troupes à E. de Beaumarchais, le comte se hâta de revenir en France, où, dès le mois de décembre, Philippe l'avait précédé.

Il revenait pour jeter dans l'esprit du roi, humilié par la défaite, des soupçons contre son entourage ; et dès ce moment commencèrent les misérables intrigues de palais qui aboutirent à la chute de P. de la Broce. Toute l'histoire des années 1277 et 1278 est occupée par les manœuvres subtiles du favori et de Robert d'Artois, véritable chef de ce parti des grands seigneurs sur lequel avait rejailli la honte de Sauveterre. Ces querelles byzantines ont été racontées ailleurs[123]. Mais pendant qu'elles s'agitaient, les hostilités entre la France et la Castille se trouvèrent en quelque sorte suspendues, grâce à la lassitude des deux adversaires.

Il semblait donc que l'heure de la croisade fût enfin venue ; et il y eut vers cette époque comme une recrudescence d'activité de la part du pape pour hâter le voyage d'outre-mer. Jean XXI déploya alors le beau zèle d'un Grégoire X ; l'archevêque de Corinthe vint de Rome réveiller chez Philippe le souvenir de ses vœux[124] ; on croyait que le passage allait s'accomplir[125] ; les légats multipliaient les enrôlements[126] en prévision des besoins prochains. Durant le carême de 1277, on vit dans toutes les cours de l'Europe des ambassadeurs du Khan des Tatars ; ces gens, de race géorgienne, promettaient au nom de leurs maîtres, les Tatars, une armée de secours si les chrétiens débarquaient à Saint-Jean-d'Acre[127]. Mais quoi ? malgré toutes les circonstances favorables, l'expédition de Terre sainte fut encore différée en 1277, et l'Orient demeura dans l'attente d'une délivrance qui ne devait jamais venir[128].

La guerre de Castille menaçait sans cesse de se rallumer. L'année 1277, qui, dans les chroniques, paraît vide d'événements militaires, vit, au contraire, Philippe le Hardi renouveler des préparatifs de combat. Nous avons appris, écrivait Jean XXI au légat Simon de Brie, le 3 mars, que le roi de France lève une armée contre celui de Castille nous te mandons de l'excommunier, s'il persiste, car le concile de Lyon a décrété la paix entre tous les chrétiens[129]. Alfonse X, de son côté, essaya de créer une diversion en fomentant dans la sénéchaussée de Carcassonne une révolte féodale.

La famille des vicomtes de Narbonne était issue de la race espagnole des Lara, et, dès le temps de la conférence de Beaucaire entre Grégoire X et Alfonse, le vicomte Aimeri avait négocié le mariage de sa sœur avec un infant de Castille. Les relations entre la cour de Narbonne et celle d'Alfonse X étaient donc très intimes ; aussi ce roi, pendant l'été qui précéda l'aventure de Sauveterre, avait-il essayé de conclure avec le vicomte un pacte d'alliance offensive et défensive ; mais c'est seulement en février 1277 qu'un certain Sancho, messager d'Aimeri de Narbonne et de ses deux frères, Amauri et Guilhem, quitta Toulouse pour Vittoria, porteur d'une réponse favorable. Alfonse X, non content des promesses verbales que ce messager apportait, demanda des lettres formelles, scellées du sceau de ses alliés ; quant à lui, donnant l'exemple, il leur expédia l'un de ses clercs avec des lettres scellées du grand sceau de Castille. Ce clerc était à Narbonne le 22 mars ; jusqu'au 15 avril, il eut avec le vicomte et ses frères des entrevues secrètes et journalières ; enfin, quand les termes de l'acte d'alliance furent arrêtés, un notaire de la cour vicomtale en transcrivit la minute, et le clerc d'Alfonse X reçut un soir les serments des seigneurs de Narbonne dans le jardin des Minorettes qui longeait les bords de l'Aude ; ils jurèrent d'assister le roi de Castille envers et contre tous, et particulièrement contre le roi de France. — Quelques jours après, Amauri expliquant à un bourgeois de-Narbonne, qui lui avait arraché son secret, le plan de la conspiration, lui dit que ses mesures étaient prises ; si le roi de France entrait en Navarre, son frère et lui armeraient leurs hommes et soulèveraient le pays[130].

Ainsi la paix de Vittoria n'avait été qu'un simulacre ; sur les frontières de Navarre, le moindre conflit pouvait avoir les conséquences les plus graves. Il est vrai que, à partir des premiers mois de 1277, la tranquillité régna en Navarre, car Imbert de Beaujeu et le gouverneur avaient extirpé les dernières racines de la rébellion[131]. Philippe III ordonna même de réduire les garnisons des châteaux et l'effectif des troupes d'occupation[132]. En mai, E. de Beaumarchais, qui avait présidé, pour ainsi dire, à la conquête du pays, fut remplacé dans sa charge par Renaut du Rouvrai, chef des arbalétriers de la maison de Philippe III ; et le royaume, quoique placé sous un régime militaire, fut administré dès lors comme une sénéchaussée française[133]. Mais la question des infants de la Cerda demeurait pendante ; et la guerre était, de ce chef, tellement imminente que la curie romaine dut faire, pour l'empêcher d'éclater, des efforts continus et des prodiges d'habileté. Jean XXI confia aux généraux des dominicains et des franciscains le soin de veiller à la paix[134] on connaît mal le détail des démarches faites par ces légats extraordinaires, mais le collège des cardinaux, assemblé au mois de juin pour nommer le successeur de Jean XXI, confirma leur mission et les félicita des travaux déjà accomplis[135].

Aussitôt que Gaëtano Orsini eut été élu pape sous le nom de Nicolas III, il réitéra (décembre 1277)[136] auprès des rois de France et de Castille les instances de son prédécesseur pour les persuader de compromettre entre les mains des médiateurs que le siège de Pierre leur avait donnés, et de réserver leurs forces pour combattre les ennemis de Jésus-Christ.

Nicolas III prit fortement à cœur l'affaire de la réconciliation il éleva l'un des médiateurs, le général des franciscains, à la dignité cardinalice ; le général des dominicains avait été nommé, de son côté, patriarche de Jérusalem. Il adjoignit à ces princes de l'Église le franciscain Benvenuto près de la cour de France et le dominicain Jean de Viterbe près de celle d'Alfonse X puis, comme troisième médiateur officiel, Gérard, cardinal du titre des Douze apôtres. Enfin, il écrivit dans le courant de l'année 1278 aux deux rois, aux deux cardinaux et au patriarche d'assister ou de se faire représenter à un congrès où les conditions de la paix seraient délibérées ; il fixait la date et le lieu de l'assemblée. Le congrès devait siéger dans la ville de Toulouse[137].

Il ne siégea pas, parce que, si Philippe III nomma des ambassadeurs pour y assister, le roi de Castille refusa d'imiter son exemple, sous prétexte qu'il n'était pas de sa dignité de traiter dans une ville française. C'était là une défaite maladroite que le pape apprit avec douleur et avec colère[138]. Nicolas III, pourtant, ne se découragea pas. Comme les cardinaux médiateurs lui suggérèrent l'idée de convoquer un nouveau congrès sur les terres à demi anglaises de Gascogne, il lança en 1279 des ordres en ce sens ; des messagers français s'abouchèrent, en effet, à Bordeaux, avec le patriarche de Jérusalem, le cardinal des Douze apôtres et les représentants d'Alfonse X ; mais ils ne s'entendirent ensemble ni sur la paix, ni pour une trêve, et les négociations furent rompues d'un commun accord[139].

Le roi d'Angleterre vit sans doute avec plaisir le choix qu'on avait fait de Bordeaux pour cette entrevue ; car, débarrassé en novembre 1277, par le traité d'Aberconway, d'une guerre contre les Celtes du pays de Galles qui l'avait empêché jusque-là de se mêler activement aux querelles franco-castillanes, il cherchait déjà, aussi bien que les papes, mais autant par orgueil que par dévouement à la croisade, à tenir la balance entre ses parents du continent. Il était fort lié avec Alfonse X ; il lui avait permis récemment de faire construire dans son port de Bayonne[140] des galées destinées à la guerre contre les Mores ; don Sanche et son père lui adressèrent à plusieurs reprises, en avril et en mai 1279, des gens chargés de le renseigner oralement sur le fait du roi de France, de la cour de Rome, des Mores et du roi d'Aragon[141] et de l'incliner à favoriser leurs intérêts.

Alfonse X et don Sanche ne se montraient pas moins empressés auprès du roi d'Aragon qu'auprès du roi d'Angleterre, afin de le gagner à leur cause. Mais là, ils avaient eu d'abord des difficultés à vaincre la reine de Castille, Yolande d'Aragon, qui était l'appui des partisans des infants de la Cerda, s'était enfuie chez son frère, le roi en Peyre, dès le 8 janvier 1277, en emmenant ses petits-fils ; don Sanche avait en vain réclamé leur extradition, et, de ce chef, la Castille et l'Aragon avaient été brouillées pendant quelque temps[142]. Malheureusement, les bons rapports entre la France et l'Aragon, signalés par le voyage d'en Peyre en 1276, ne tardèrent pas à s'altérer, et les Castillans ne pouvaient manquer d'en profiter pour rentrer en grâce. Le 29 avril 1277, le roi d'Aragon, attaqué par le comte de Foix que la noblesse catalane soutenait contre l'évêque d'Urgel, avait dû prier les sénéchaux français de Toulouse et de Carcassonne de retirer leur secours à ses ennemis[143]. Il battit à la vérité Roger Bernard, et lui imposa, le il décembre 1278, des conventions en vertu desquelles ce vassal du roi de France lui promit de marier sa fille à un infant d'Aragon, et de lui laisser la succession éventuelle du comté de Foix ; mais, en 1279, Roger Bernard intrigua de nouveau pour se soustraire à ses engagements. En outre, en Peyre était en désaccord avec son frère, Jayme de Majorque, parce qu'il prétendait que la donation que leur père avait faite à ce prince, en distrayant pour lui de son héritage le royaume de Majorque, le Roussillon, la Cerdagne et la seigneurie de Montpellier, était excessive ; et il craignait, non sans raison, que Jayme ne recourût à la protection de Philippe III. Enfin, il avait épousé Constance, fille de Manfred, le dernier des Hohenstauffen de Sicile, et, par là, il était devenu l'adversaire héréditaire des Angevins de Sicile. Or, au commencement de l'année 1277, le prince de Salerne, fils aîné de Charles d'Anjou, avait visité la France, et il avait été accueilli par le roi avec la plus grande cordialité[144]. Charles de Salerne avait-il été amené à Paris par le désir d'assurer l'alliance des royaumes capétiens de France et de Sicile contre les ennemis particuliers de la dynastie angevine ? Cela est probable ; car l'avènement de Nicolas III, qui, en sa qualité de gibelin zélé, détestait l'influence française dans la péninsule, la conduite du roi d'Aragon dont la cour était devenue l'asile de tous les bannis des deux Siciles, qui avait nommé Conrad Lancia, oncle de Manfred, amiral des galères catalanes, tout cela menaçait alors la suprématie de Charles d'Anjou en Italie. Voilà ce que le prince de Salerne représenta sans doute à son cousin, toujours si docile, comme Louis IX, aux conseils intéressés de la maison de Sicile[145]. Le roi d'Aragon l'entendit bien ainsi ; et déjà aigri par les questions de Foix et de Majorque, excité par le célèbre gibelin Giovanni di Procida, fort de l'amitié du Saint-Siège, il confondit dès lors dans une haine commune et vigoureuse les Angevins et les Français. Philippe III l'ayant prié de faire passer à Paris les infants de la Cerda qu'il avait enfermés au château de Xativa dans le pays de Valence, il refusa, sous prétexte de neutralité, et il renvoya même en Castille sa sœur Yolande et en France la reine Blanche, mère des infants, qui était venue les rejoindre[146]. Neutralité mensongère ! car don Sanche avait vu tout le parti qu'il pouvait tirer des nouvelles dispositions de son voisin. Tous ceux qu'opprimait l'ambition des Capétiens ne devaient-ils pas s'unir pour lui faire échec ? Les Castillans réussirent si bien à le faire croire que, le 14 septembre 1279, le roi d'Aragon et Sanche de Castille eurent une conférence sur les frontières de leurs États ; l'un reconnut l'autre comme héritier légitime, au préjudice des infants, et tous deux associèrent contre Philippe III et Charles d'Anjou leurs forces et leurs rancunes[147].

Voici donc, en résumé, quelle était, au commencement de 1280, la situation de l'Europe. La succession de Navarre avait déterminé la mainmise du roi de France sur ce royaume ; la succession de l'infant don Fernando avait ouvert l'ère des hostilités entre la France et la Castille. La cour de Philippe III venait de traverser une crise violente, et la plaie faite au cœur du roi par la chute de P. de la Broce était à peine cicatrisée. Cette chute avait coïncidé avec un renouveau de l'influence de Charles d'Anjou — qui s'était tenu à l'écart depuis 1274 — dans les conseils de la couronne. Il en était résulté que l'Aragon s'était lié secrètement avec la Castille ; la haine du nom français s'était ainsi propagée de l'ouest à l'est, de l'autre côté des Pyrénées, à la suite d'incidents successifs. Malgré les efforts du pape et du roi d'Angleterre, la paix, condition de la croisade, semblait plus éloignée que jamais. L'intervention néfaste de Charles d'Anjou dans le jeu de la politique occidentale en avait aggravé encore la complication ; Nicolas III lui-même, dès qu'il avait vu dans le roi de France un ami des Guelfes d'Italie, s'était montré moins paternel et plus exigeant. De 1280 à 1285 Charles d'Anjou devait gouverner les actes de son neveu comme il avait dirigé autrefois les volontés de saint Louis, en sacrifiant la France pour la réussite de ses plans. Les maladresses et les désastres de la politique royale pendant la troisième période du règne de Philippe, il en est responsable. Si la délivrance de la Terre sainte n'a pas été accomplie au XIIIe siècle, c'est parce que, en 1269, il détourna une croisade contre le sultan de Tunis, et parce que, de 1280 à 1285, il travailla à détourner contre son rival d'Aragon les armes sacrées que Philippe III, débarrassé de la guerre de Castille, aurait mises au service du Christ.

 

 

 



[1] FLEURY, Histoire ecclésiastique, XVIII, 235.

[2] Notamment Rutebeuf (Hist. Littér., XX, 768). Cf. Folquet de Lunel (éd. Eickelkrant, p. 28, 41). — Sur les efforts d'H. de Romans pour ranimer le zèle au concile de Lyon, voyez QUÉTIF ET ÉCHARD, Script. ord. predicat., I, 142 ; II, 817.

[3] Quelques-uns d'entre eux, désœuvrés, se livraient à des violences condamnables. On a conservé les pièces de plusieurs procès intentés vers cette date à des croisés. Voyez Arch. du Gard, II, 148 (1274).

[4] RAYN., 1274, § 34.

[5] SISMONDI, Hist. des Franc., V, 34.

[6] Voyez le récit de la cérémonie qui eut lieu le 30 septembre à cette occasion, d'après des documents norvégiens. RIANT, Exuviæ sacra Constantinopolitanæ, II, 4. Cf. p. 288.

[7] RAYN., 1274, § 36.

[8] CAMPI, Istoria di Piacenza, II, 483.

[9] H. F., XX, 496.

[10] H. F., XXI, 786 (Chronic. Lemov.) ; ibid., p. 103.

[11] Jean XXI, ap. RAYN., 1276, n° 47.

[12] RAYN., 1274, n° 61.

[13] Sur l'ambassade envoyée par Rudolf à Lyon auprès du pape, voyez HELLER, op. cit., p. 61.

[14] KOPP, Gesch. der eidg. Bünde, I, 127.

[15] Dans le Baumgartenberger Formelbuch, la formule est intitulée : Rex romanorum domino pape, significando et pacem et concordiam perpetuam quam cum rege Francie firmavit. Voyez, sur l'authenticité de ce document, HELLER, op. cit., Beilage B, p. 151.

[16] H. F., XXI, 426. Toutefois, il n'est pas certain que le texte en question doive être rejeté. S'il est authentique, il suppose l'existence pendant l'année 1274 de nombreuses négociations entre la France et l'Allemagne dont il ne reste aucune trace.

[17] L'original de ce diplôme, daté de Nuremberg, 2 février 1276, est aux Arch. nat., J, 1035, n° 32 ; cf. GOPPINEL, Cartulaire de l'abbaye d'Orval, p. 489.

[18] CHIFFLET, Vesontio civitas Imperialis, I, 230.

[19] Voyez L. DE PIÉPAPE, Hist. de la réunion de la Franche-Comté, I, 19.

[20] L. DELISLE, Essai de restitution, n° 310.

[21] Jean d'Outremeuse, V, 403 et suiv.

[22] Loc. cit., p. 415.

[23] REIFFENBERG, Cartulaire de Namur, I, 14. Sour lesquelz descors et à laquelle guerre triewes ont estei pris en plusieurs foys la requête de très haut et excellent seigneur Ph. roy de Franche, et il li roys s'en soit maintefoys entremis et par lui et par ses genz de la pais à faire entre nous.

[24] Cart. de Namur, loc. cit.

[25] Arch. nat., J, 521, n° 1.

[26] Arch. du Nord, B, 149, n° 1. Ed. Cart. de Namur, l. c.

[27] Arch. du Nord, B, 151, n° 1 ; B, 152, n° 1.

[28] H. F., XXI, 783 (Chronic. Lemovic.).

[29] H. F., XXI, 783 (Chronic. Lemovic.).

[30] L. DELISLE, Essai de restitution, n° 209. Une expédition nous en a conservé le texte.

[31] Le chroniqueur de Limoges remarque que Philippe III venait précisément de se marier avec Marie de Brabant, nièce de la vicomtesse. H. F., XXI, 784.

[32] Essai de restitution, n° 214. Ed. H. F., XXI, 785, d. Cf. Olim, II, 85, n° XXXIII.

[33] Edward Ier n'intervint plus que pour demander à Philippe le Hardi la grâce d'un certain B. de Turribus, banni du royaume sur la demande de G. de Maumont. CHAMP., I, 173.

[34] H. F., XXI, 802 (Anon. de S.-Martial).

[35] H. F., XXI, 787. — Cf. le texte de l'ordonnance des arbitres confirmée par Philippe III en 1217. Ord., III, 59.

[36] Inutilement. H. F., XXI, 788, d.

[37] H. F., XXI, 785, b.

[38] H. F., XXI, 785, 801, 802.

[39] H. F., XXI, 803, a (Anon. de S.-Martial).

[40] H. F., XXI, 758 (Cont. Bern. Itier.). — Cf. p. 759.

[41] Anon. de S.-Martial, XXI, 804.

[42] W. Rishanger, p. 83 ; Th. Walsingham (éd. Riley), I, 13.

[43] Th. Walsingham, I, 13.

[44] RYMER, 12, p. 138. Exposé des griefs et jugement de la cour ducale.

[45] Mémoire des procureurs du roi d'Angleterre à Philippe III sur l'affaire de G. de Béarn, Rec. Off., Chanc. misc. Portf., X, n° 1031. — Cf. Chron. Lemov., H. F., XXI, 794.

[46] Chronicles of the reign of Edward (Ann. London), I, 84. — Cf. DUFFUS HARDY, Descriptive Catalogue of materials relating to the history of Great Britain, III, 201. — Plusieurs chevaliers écrivirent spontanément à Edward pour lui offrir leurs services. RYMER, p. 176. Lettre de G. de Nuevile : Come il soit ensi que homme m'a dit que G. de Béarz a parlé en la court le roi de Franche contre vous et parti sen wage, sire, je vos pri et rekier que vous me donniés la bataille. Ainçois conseillés a notre seigneur de Valeri ou as autres preudhommes du roiame de Franche se je sui soufisans de faire et sachics que. je le ferai pour le grant amour que je ai à vous.

[47] Il y eut l'année suivante un combat singulier entre G. de Thezac, chevalier du duc d'Aquitaine, et Pons de Podio Verlacho, damoiseau du vicomte, qui l'avait appelé traître et menteur en plein Parlement. Voyez la lettre de G. de Thezac qui prie Edward de lui envoyer un bon cheval pour la circonstance, Rec. Off., Royal Letters, VIII, n° 1558 (24 déc. 1215).

[48] CHAMP., I, 177. Lettre d'Edward Ier.

[49] Cf. une lettre de Marguerite de Provence à Edward Ier pour lui demander la grâce de G. de Béarn. CHAMP., I, 280.

[50] Th. Walsingham (éd. Riley), I, 14.

[51] Edward Ier à Ph. III (15 nov. 1277). RYMER, I2, p. 163.

[52] Sur les incidents du procès relatif à la situation des biens de G. de Béarn, placés, durant son appel, sous la main du roi de France. CHAMP., I, 201.

[53] CHAMP., I, 188, 189. Cf. RYMER, p. 168, c. 2.

[54] RYMER, p. 178, c. 1.

[55] Livre II, chap. III.

[56] H. F., XXI, 178.

[57] RYMER, p. 145, c. 1. Le vicomte de Ventadour prêta ce serment, qui devait être renouvelé tous les dix ans, à Londres, le 5 mai 1277 (CHAMP., I, 191). Cf. RYMER, p. 191, c. 2.

[58] RYMER, P, p. 147, c. 2 (8 juin 127S), etc.

[59] RYMER, p. 168, c. 2. Vers cette date, Edward Ier semble s'être préparé à faire valoir ses droits par la force.

[60] M. de Westminster, p. 367. RYMER, p. 179. Le traité d'Amiens se trouve dans tous les recueils de traités franco-anglais.

[61] Voyez une appréciation du traité d'Amiens par John Peckham, archevêque de Cantorbéry. RYMER, I2, p. 80, c. 2. — L'art. 7 est le seul qui renferme une disposition favorable à la France.

[62] RAYN., 1276, § 47.

[63] D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, Hist. des comtes de Champagne, IV, p. 268.

[64] MORET, Anales del regno de Navarra, III, 3T9, c. 2. — ANELIER, la Guerre de Navarre, v. 625.

[65] ANELIER, v. 635.

[66] H. F., XX, 494.

[67] En Peyre s'était rendu en Navarre dès le mois de juillet ; il avait fait rechercher dans les archives du monastère de S. Juan de la Pena les actes qui établissaient les droits de la maison d'Aragon sur la Navarre. Voyez DE TOURTOULON, Jacme Ier, II, 499.

[68] FR. MICHEL, Notes sur la guerre de Navarre, p. 394.

[69] FR. MICHEL, op. cit., p. 395, suiv.

[70] FR. MICHEL, op. cit., p. 392.

[71] MORET, Anales, III, 387 ; Arch. munic. de Pampelune. Cartul. del rei d. Felipe, f° 8. Cette nouvelle fut apportée à la reine Blanche, qui était à Sens en Bourgogne, par un messager des Cortès, en février 1273.

[72] ANELIER, v. 1131.

[73] ANELIER, Discours des messagers, v. 1190, s.

[74] Cf. Discours d'Er. de Valeri dans le conseil du roi. Ibid., v. 1256.

[75] H. F., XXIII, 93 (Primat).

[76] Arch. Nat., J, 613, n° 11 (FR. MICHEL, op. cit., p. 398). Le traité d'Orléans fut conclu malgré une ambassade envoyée en avril par Jacme Ier pour représenter à Ph. le Hardi les droits de l'Aragon. V. DE TOURTOULON, o. c.

[77] RAYN., 1275, § 19. Grégoire X eut soin, toutefois, de n'accorder la dispense qu'à Philippe, le second fils du roi, afin que l'union de la Champagne et de la Navarre aux domaines royaux ne rendît pas la couronne de France trop redoutable.

[78] Hist. gén. Lang., X, pr. c. 125.

[79] Les barons de Navarre à Ph. III (8 juin 1275). Arch. Nat., J, 611, n° 10.

[80] ANELIER, o. c., p. 98. G. de Nangis place à tort ce voyage en 1214.

[81] RAYN., 1275, § 14 ; Potthast, n° 21037 et suiv. ; Hist. gén. Lang., IX, p. 47.

[82] H. F., XX, 408 (G. de Nangis).

[83] MARIANA, De reb. hispan., l. XIV, c. 2.

[84] Jean d'Acre était à la fois le cousin de Philippe III et d'Alfonse X.

[85] P. de la Broce se fit alors relever par le légat de ses vœux pour la croisade, au prix de 750 livres tournois. Arch. Nat., J, 730, n° 222.

[86] J. YANGUAS, Diccionario de antiguëdades de Navarra, III, 49. FR. MICHEL, op. cit., p. 441. Voyez une lettre adressée par le roi à la ville d'Estella pour la féliciter de sa fidélité. Arch. Nat., J, 4022, n° 32.

[87] ANELIER, v. 1570. — Cf. les quittances. Arch. Nat., J, 614.

[88] H. F., XX, 504. — Cf. H. F., XXIII, 93 (Primat).

[89] FR. MICHEL, op. cit., p. 529.

[90] Les Castillans et les Aragonais menaçaient sans relâche les frontières de Navarre.

[91] Le poème d'Anelier est essentiellement un journal détaillé de ces hostilités, dressé par un témoin oculaire, du parti des bourgs.

[92] G. de Béarn lui avait promis au nom du roi le remboursement de tous les frais qu'il avait faits pendant son administration. FR. MICHEL, op. cit., p. 598.

[93] ANELIER, v. 4075-4180. Cf. l'historique des excès commis par les barons de la Navarre depuis l'arrivée d'E. de B. jusqu'à 1280. Arch. nat., J, 915, n° 12.

[94] Voyez une lettre de Ph. III au comte de Foix. Hist. gén. Lang., X, pr. c. 139 (11 mai 1277). Il l'exhorte en outre à ménager la concorde entre les rois d'Aragon et de Majorque.

[95] Voyez les récits concordants de G. de Nangis, XX, 506, et d'Anelier, v. 4254, ss. — C'est là cette convocation militaire pour la guerre de Morlas que dom Vaissète (Hist. gén. Lang., IX, p. 36) place en 1273, au moment de la guerre entre G. de Béarn et Edward Ier, ce qui le force à supposer une intervention armée de Ph. III en faveur de Gaston. Les rouleaux d'arrêts cités par dom Vaissète sont en réalité du parlement de la Chandeleur 4277 (v. st.).

[96] ANELIER, v. 4305.

[97] ANELIER, v. 4590.

[98] H. F., XX, 506.

[99] ANELIER, v. 4673.

[100] H. F., XXIII, 93.

[101] ANELIER, v. 4763 : Et sire Eustache alla regarder les traîtres ; il en fit pendre, traîner, emprisonner à Tébas ; et jamais je ne vis nul homme se venger si bien ; et au bout d'un mois il n'y avait plus un toit dans la Navarrerie, si bien qu'on y aurait pu faire de l'herbe ou semer du froment, et Dieu soit loué.

[102] FR. MICHEL, op. cit., p. 480.

[103] Il fut question au commencement de 1216 d'une entrevue Beaucaire entre les rois de France et de Castille. V. un rapport anonyme adressé de Paris à Edward Ier ap. CHAMP., I, 187 (juillet 1276).

[104] H. F., XX, 508.

[105] H. F. (Chron. Lemov.), XXI, 787.

[106] RYMER, p. 155. Edward Ier à Alfonse X.

[107] Anonyme du ms. 2815. H. F., XXI, 92. Voyez le compte des dépenses faites pour la réception de P. d'Aragon, XXIII, 755. Cf. Arch. Nat., J, 474, n° 45. Charte de S. de Monciaco, clerc du scel de la sénéchaussée de Toulouse. — MUNTANER, chap. XXXVII.

[108] ANELIER, v. 4795. Tous les sujets de la sénéchaussée de Carcassonne y furent convoqués, sans préjudice de leurs franchises. B. N., Coll. Doat, L, f° 372 v° (Paris, 17 juillet 1276).

[109] H. F., XX, 504 ; XXIII, 97.

[110] RAYN., 1276, § 48 (Viterbe, 8 octobre).

[111] ANELIER, v. 4815, S3.

[112] M. de Westm., p. 365. Cf. CHAMP., I, 185.

[113] H. F., XX, 508.

[114] Voyez le discours qu'Anelier place dans la bouche de Jean d'Acre, v. 4839, ss.

[115] Invito rege (G. de Nangis).

[116] RYMER, p. 157, c. 2. Edward Ier à Alfonse X (8 janvier 1277).

[117] Chron. de S.-Magloire, H. F., XXII, 84.

[118] Chron. de Jean d'Outremeuse, V, 423.

[119] Arch. Nat., J, 399, n° 12 (éd. Michel, op. cit., p. 650).

[120] Arch. Nat., J, 599, n° 14. Les instruments de ces traités sont conservés aux Archives nationales l'un d'eux est encore muni de cinq sceaux, ceux d'Alfonse X, du comte d'Artois, de Gaston de Béarn, de frère G. de Villaret, prieur de Saint-Gilles, et de frère Arnoul de Visemale.

[121] ANELIER, p. 313.

[122] H. F., XX, 508.

[123] Livre Ier, chap. II.

[124] RAYN., 1276, § 46, 41.

[125] Edward Ier au pape Innocent. RYMER, p. 155, c. 2 (12 déc. 1276.)

[126] RYMER, p. 159, c. 1. Edward Ier à Me H. de Newerk.

[127] H. F., XX, 510 (G. de Nangis). Sur les ambassades mongoles en Europe, voyez Arch. de la Soc. de l'Orient latin, I, 650, note, c. 2.

[128] L'Orient musulman craignait autant la prochaine croisade de Philippe que l'Orient chrétien l'espérait ; en 1278, Ruggiero de San-Severino, gouverneur d'Acre, fit savoir à Charles Ier de Sicile que l'émir Bibars avait envoyé douze assassins déguisés en frères mineurs, sur un navire génois, pour le tuer, ainsi que le roi Ph. de France. Voyez Arch. de l'Orient latin, I, 626, n. 55.

[129] RAYN., 1277, § 3.

[130] Sur toute cette histoire, voyez le mémoire de M. A. Molinier, Hist. gén. Lang., X, p. 109, suiv.

[131] Le château de Monreale donna beaucoup de mal aux Français (ANELIER, p. 327). Cf. Arch. munic. de Pampelune, Cartul. del rei D. Felipe, f° 11 v°. Réponse du roi aux suggestions que le gouverneur lui avait envoyées au sujet de l'organisation militaire de la Navarre. (Paris, 6 mai 1277.)

[132] Mand., n° 94. — Don G. Almoravid et ses partisans, qui avaient été compris dans la trêve de Vittoria, se livraient cependant à des excès déplorables. Arch. nat., J, 915, n° 12. Cf. Arch. munic. de Pampelune, Cartual. del rei D. Felipe, f° 10. Ph. III au gouverneur de Navarre. Le gouverneur avait répondu par des représailles (Paris, février 1278.)

[133] Le roi travailla à panser les blessures de la guerre civile en indemnisant les habitants des bourgs. Voyez YANGUAS, Diccionario de antiguëd. de Navarra, II, 517, et FR. MICHEL, op. cit., p. 545. Sur l'adm. de la Navarre, voyez B. N., lat., 10150, Comptes de dépenses et de recettes pour la Navarre (1283-86). E. de Beaumarchais resta toujours très écouté à la cour de France sur les affaires de Navarre. V. Mand., n° 86 bis.

[134] RAYN., 1277, § 5.

[135] RAYN., 1277, § 47.

[136] RAYN., 1277, § 56, 57.

[137] Ces détails sont empruntés à deux bulles de Nicolas III (RAYN., 1278, § 24, ss. ; 1279, § 21, ss.), où l'historique de ces négociations, qui n'ont pas laissé d'autres traces, est rapporté tout au long. — Cf. cep. Arch. munic. de Pampelune, Cartul. del rei D. Felipe, f° 17 : Ph. III au gouverneur de Navarre : Pour ce que nous avons autroé a nostre père l'Apoustole que nous nous soufrerons de feire guerre au réaume de Castele juques au primier jour de may prochien à venir, se il n'estoit ainsi que len nos feist guerre dou réaume de Castele. (Rouen, 23 août 1278.) V. aussi Arch. nat., J, 915, n° 12.

[138] RAYN., XIV, p. 285. Nicolas III à Ph. III (déc. 1278).

[139] RAYN., XIV, p. 307.

[140] RYMER, I, p. 168, c. 1. — Cf. un rapport anonyme à Edward Ier sur la construction de la flotte castillane à Bayonne. Rec. Off., Roy. Letters, n° 2105.

[141] RYMER, 13, p. 79, c. 2. ; p. 80, c. 1, 2. Alfonse X à Edward Ier (mai 1279).

[142] ZURITA, Anales de Aragon, I, 229.

[143] B. DE MONY, Relations des comtes de Foix avec la Catalogne, p. 22. (Positions Ec. des Chartes, 1886.)

[144] H. F., XX, 512.

[145] MUNTANER, chap. XXXVIII.

[146] ZURITA, Anales de Aragon, I, f° 232.

[147] MUNTANER, chap. XL. — MARIANA, De reb. hisp., XIV, chap. IV. — ZURITA, op. cit., f° 233.