LA PUCELLE DE FRANCE

HISTOIRE DE LA VIE ET DE LA MORT DE JEANNE D'ARC

 

CHAPITRE XXVI. — LE MARTYRE.

 

 

LA pitié attendrie de Cauchon valut à Jeanne de voir se réaliser son suprême désir, elle fut autorisée à recevoir le sacrement. Ladvenu entendit sa confession et envoya Massieu à l'évêque pour demander que sa pénitente pût recevoir le corps de Notre-Seigneur. Cauchon ayant réuni quelques-uns de ses conseillers accorda la permission, fait qui serait encore une preuve de la soumission de Jeanne[1].

Le sacrement fut apporté de façon irrévérencieuse, sans lumière, sur la patène du calice, le tout enveloppé dans un linge de toile ; l'officiant n'avait pas mis son étole. Ladvenu indigné fit des remontrances. On forma un cortège de clercs avec des flambeaux, et la prisonnière s'étant confessée une seconde fois, reçut la communion très dévotement et en versant d'abondantes larmes.

Alors elle fut revêtue d'habits de femme et conduite au bûcher par Massieu et Ladvenu. Déjà elle avait reçu la visite de Maurice auquel elle dit : Maître Pierre, où serai-je ce soir ?

Il répondit : N'avez-vous pas confiance en Notre-Seigneur ?

Ah oui, reprit-elle, et par la grâce de Dieu, je serai en paradis. Même dans cette circonstance les Voix lui avaient annoncé ce qui aurait lieu : elle devait aller tout droit de la terre au séjour des bienheureux.

Comme on allait l'entraîner vers le bûcher, elle se lamenta d'une façon si touchante que ses cieux compagnons ne purent retenir leurs larmes ainsi que tous ceux qui l'entendirent. On raconte — et c'est une histoire étrange — que Loiselleur dévoré de remords, grimpa sur la charrette pour demander pardon à la prisonnière. Les Anglais irrités l'auraient massacré sans l'intervention de Warwick, et il s'en alla dans la rue en pleurant amèrement. S'il quitta ensuite Rouen, ce ne fut pas pour sauver sa vie, ni pour longtemps.

Jeanne avait été amenée sur la place du Vieux-Marché, à côté de l'église Saint-Sauveur. Là se dressaient trois échafauds ; sur l'un on exposa la Pucelle et on la prêcha comme précédemment ; sur l'autre étaient assemblés les dignitaires laïques et religieux ; le dernier enfin comprenait une construction en plâtre surmontée de fagots et d'un poteau.

On y voyait un écriteau avec les mots : Jehanne qui s'est faict nommer la Pucelle, menterresse, pernicieuse, abuserresse de peuple, divineresse, stipersticieuse, blasphemeresse de Dieu, presumptueuse, malcréant de la foy de Jhesucrist, vanteresse, ydolatre, cruelle, dissolue, invocateresse de déables, apostate, scismatique et heretique.

Il y avait seize motifs de blâme et chacun d'eux était un infâme mensonge. Suivant l'usage, on avait mis sur sa tête une sorte de mitre en papier avec l'inscription :

Heretique, relapse, apostate, ydolatre.

Midi prêcha, commentant de façon abusive un verset de St. Paul[2].

Elle écouta patiemment, résignée. Toute lutte était finie, et l'on dit que ses juges pleuraient. Ils n'avaient pas eu de pitié, mais ils n'étaient pas dépourvus de sensibilité.

Cauchon lut la sentence.

Puis elle invoqua la sainte Trinité, la glorieuse Vierge Marie et tous les saints du paradis en nommant quelques-uns d'entre eux, sans doute ceux qu'elle invoquait habituellement. Elle demanda ensuite humblement pardon à tous, de quelque condition qu'ils fussent, aussi bien à ceux de son parti qu'à ses ennemis ; implorant leur prières, leur pardonnant de son côté tout le mal qu'ils pouvaient lui avoir fait.

Elle supplia tous les prêtres présents, et ils devaient être nombreux au supplice[3], de célébrer chacun une messe en sa mémoire. C'était l'heure du dîner. On rapporte que le cardinal Beaufort et quelques nobles anglais pleurèrent tandis que d'autres, jugeant qu'il était temps d'en finir et de la brûler, criaient : Comment, prêtre, nous ferez-vous dîner ici ?

Sans lire aucune sentence de l'autorité civile, le bailli de Rouen, levant la main, dit : Emmenez-la.

Elle fut conduite à l'échafaud central et v monta aussi bravement qu'aux échelles d'assaut d'Orléans et de Jargeau.

Elle demanda une croix pour la contempler pendant ses derniers moments. Un Anglais lui en fit une avec deux morceaux de bâton et la lui présenta. Elle la reçut dévotement et la baisa en invoquant à haute voix le Crucifié : puis elle la plaça dans son sein.

Elle pria ensuite Massieu de lui apporter la croix de l'église voisine pour qu'elle pût la regarder à travers la fumée. Elle l'embrassa longuement et la tint pendant qu'on l'enchaînait au poteau. On l'entendit alors prononcer ces paroles : Ah ! Rouen ! j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma mort !

A la fin elle maintint que ses Voix étaient de Dieu et que tout ce qu'elle avait fait était par son commandement, affirmant que ses Voix ne l'avaient pas trompée. Elle invoquait sainte Catherine depuis le moment où on l'avait liée au poteau, et aussi saint Michel, le premier des êtres célestes qui lui étaient apparus dans le jardin de son père. Les doutes d'un instant étaient dissipés, elle était réconciliée avec ses saints. Elle les vit peut-être à travers la lueur des flammes du bûcher.

Tout à coup, elle appela à haute voix : Jésus ! Sa tête s'inclina... et la fille de Dieu s'en retourna à la maison de son Père...

Son cœur, cor cordium, ne fut pas consumé...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour que le monde n'eût pas de reliques de celle dont le monde n'était pas digne, les Anglais jetèrent ses cendres à la Seine.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Mais en même temps c'était une inconséquence de la part de Cauchon, car comment concilier cette autorisation in extremis, avec la sentence qui, considérant Jeanne comme hérétique, schismatique, la retranchait du nombre des fidèles et devait l'empêcher de participer aux sacrements de l'Église ?

[2] Et si quid patitur unum membrum, compatiuntur omnia membra. Voyez I Cor., XII, 26.

[3] Les juges ecclésiastiques ne pouvaient assister au supplice, et quand la condamnée fut remise au bailli de Rouen, Le Bouteiller, ils quittèrent les tribunes affectées aux juges et au clergé.