LA PUCELLE DE FRANCE

HISTOIRE DE LA VIE ET DE LA MORT DE JEANNE D'ARC

 

CHAPITRE XIX. — DERNIÈRE CAMPAGNE DE JEANNE.

 

 

LES trêves avec la Bourgogne durèrent jusqu'à Pâques, ou, au dire de quelques-uns, prirent fin un mois plus têt. Jeanne jusque-là fut obligée de rester inactive. On ne connaît que deux ou trois détails sans importance sur ses occupations. Le 19 janvier, elle était à Orléans, où les fidèles bourgeois lui firent fête avec du vin, des faisans et des perdrix. Les gens de Tours, bien qu'ayant refusé de donner un trousseau à la requête de la Pucelle à Héliote, fille de Heuves Polnoir, le peintre écossais du roi, fournirent le vin pour le repas de noces. A une époque incertaine, la Pucelle prit à bail une maison à Orléans, peut-être pour y loger sa mère.

Nous ne sommes pas renseignés sur ses ressources pécuniaires ; elle dit à ses juges qu'elle ne demandait jamais rien au roi, sauf pour les besoins du service militaire : bonnes armes, bons chevaux et le payement de sa maison. Elle n'avait aucun bijou sauf deux bagues de métal commun. Elle donnait aux pauvres tout ce qu'elle pouvait. Quand elle fut prise, elle avait 12.000 livres en monnaie royale, ce qui n'était pas un grand trésor pour une campagne ainsi qu'elle en fit la remarque.

Le 16 mars, Jeanne se trouvait à Sully, la demeure de La Trémoïlle, avec le roi. Bien que, suivant Monstrelet, la trêve ait duré jusqu'à Pâques (le 16 avril), d'autres autorités donnent la date du 15 mars. Les gens de Reims avaient écrit à la Pucelle pour lui exprimer leur crainte d'un siège. C'est de Sully qu'elle leur répondit à la date du 16 mars : Vous n'aurez point le siège si je puis rencontrer les ennemis ; sinon fermez vos portes, je serai bientôt avec vous et leur ferai chausser leurs éperons en hâte... Je vous enverrais d'autres nouvelles qui vous réjouiraient, mais je crains que ma lettre ne soit prise en chemin.

De fait, le duc de Bourgogne avait décidé Bedford à lui céder toute la Champagne, tandis que de son côté il laissait enrôler à bail un contingent de ses sujets par l'Angleterre, qui dut lancer deux proclamations en quatre mois contre les déserteurs. Les historiens, trompés par un titre de ce document, titre inventé par Rymer, l'éditeur de Fœdera en 1710, ont supposé que le gouvernement anglais parlait des sorcelleries effrayantes de la Pucelle. En réalité, un ordre du jour semblable contre les déserteurs avait été publié avant qu'on ait entendu parler d'elle, et les archives anglaises n'avaient pas fait la moindre allusion à Jeanne d'Arc, sauf dans le mémoire de Bedford de décembre 1433, qui, grâce à une erreur de Rymer, était resté inexplicable et presque inconnu. La guerre avec la France était devenue impopulaire en Angleterre.

Les bonnes nouvelles que Jeanne ne pouvait pas communiquer aux gens de Reims étaient probablement relatives à la grande conspiration tramée à Paris contre l'Angleterre.

L'arrestation d'un carme fit découvrir le complot, qui entraîna l'exécution de huit des chefs. C'est le 21 mars que la conspiration paraît avoir été connue. Des archers écossais devaient être introduits par les portes, un soulèvement populaire aurait fait le reste. Les archers étaient vraisemblablement ceux de Kennedy à Lagny.

Le 23 mars, Pasquerel, le confesseur de la Pucelle, écrivit et signa une lettre qu'il prétendait adressée par elle aux hérétiques bohémiens. Elle apprend qu'ils renversent les statues des saints et ruinent les églises. Une autre conduite ne leur eût pas valu le nom de réformateurs ! Plus tard les huguenots devaient détruire la cathédrale d'Orléans, la statue de la Pucelle sur le pont de la Loire et même la modeste tombe de Jacques Boucher, sur laquelle était rappelée l'hospitalité offerte à Jeanne pendant le grand siège.

Pasquerel lui fait dire aux hussites : Je vous aurais depuis longtemps visité avec mon bras vengeur ! (style Pasquerel) si la guerre avec les Anglais ne m'avait toujours retenue ici... Peut-être vais-je les laisser pour me tourner contre vous. Elle n'aurait jamais laissé les Anglais !

Le 28 mars, Jeanne écrivit à nouveau à Reims disant que le roi avait entendu parler d'un complot bourguignon dans la ville, mais qu'il sait que le parti français y conserve sa fidélité et toutes ses faveurs. Il les aidera s'ils sont assiégés. Les Anglais, nous le verrons plus loin, désiraient prendre Reims et y faire couronner leur petit roi. Vous aurez bientôt de mes bonnes nouvelles plus à plein... Toute la Bretagne est française... Le duc doit envoyer au roi 3.000 combattants avec une solde de deux mois. Cette espérance ne fut jamais réalisée, mais ce n'était pas là une prophétie de ses Voix.

Cependant on faisait des préparatifs en Angleterre pour l'arrivée en France du jeune Henri VI avec une armée. Nous avons un long avis envoyé au conseil anglais par le duc de Bourgogne, à une date certainement antérieure au 23 avril ce document donne un lumineux exposé de l'état des affaires à ce moment. Les Français, dit Bourgogne, grâce à leur campagne de juillet-août 1429, sont maintenant en possession de beaucoup de villes et de forteresses sur ce qui était le côté anglais de la Loire, clans l'Yonne, la Seine, la Marne et l'Oise. Dans ces régions les Anglais ne trouveront pas d'approvisionnements. Paris est entouré et pressé par l'ennemi, d'où il résulte journellement grand péril et danger pour lui, car il subsistait des produits des villes à présent aux mains de l'adversaire. Perdre Paris serait pour l'Angleterre perdre tout le royaume.

Nous avons ainsi une attestation hostile de l'énorme changement survenu dans les affaires depuis que la Pucelle avait apporté à son roi le secours du Ciel, à la mi-carême de 1429.

On trouve une preuve évidente du succès des armes françaises et de la misère prolongée de la capitale dans le Journal d'un Bourgeois : Tous les villages autour de Paris sont opprimés par les Armagnacs ; aucun homme de la ville n'ose mettre le pied hors des faubourgs sans courir le risque de se perdre, ou d'être tué ou fortement rançonné, et les vivres parvenant à la cité sont taxés deux ou trois fois au-dessus de leur valeur ordinaire.

Les forces anglo - bourguignonnes approvisionnées en Normandie et en Picardie doivent en conséquence, dit le duc de Bourgogne, travailler à sauver Paris en reprenant les villes avoisinantes actuellement entre les mains des Français. Paris est le cœur du corps mystique du royaume. C'est seulement en rendant le cœur libre que le corps peut prospérer. La meilleure stratégie est de combattre des deux côtés de la Loire. Beaucoup sont d'avis qu'il faudrait donner une bonne garnison à Paris et que Henri VI marche tout d'abord sur Reims pour y être couronné. — Nous savons qu'à Reims, le parti bourguignon conspirait pour ouvrir les portes à la Bourgogne et à l'Angleterre. — Maintenant, il est vrai que les sujets français de Henri seront mieux disposés à appuyer sa cause s'il est couronné à Reims. D'autre part, c'est une très grande ville, bien fortifiée, bien approvisionnée et bien gardée, de sorte que ce serait une grosse affaire de l'assiéger et que les assiégeants ne pourraient se faire ravitailler. — Cependant avec quelle facilité cette place forte était tombée devant la Pucelle !

Un échec à Reims serait un désastre immense, et, pendant que les forces anglo-bourguignonnes y seraient concentrées, Paris pourrait succomber. De grandes garnisons dans la capitale et dans les autres villes vassales de l'Angleterre, ne feraient que les dévorer et seraient plutôt cause de leur ruine que de leur salut.

En supposant que le roi Henri amène une armée anglaise de 10.000 hommes, il aurait à diriger 1.000 bons cavaliers sur les places relevant de Pierre Gressart — La Charité et autres —, pour opérer dans la contrée de la Loire, tandis que le duc de Bourgogne enverrait au même capitaine un renfort de deux cents hommes d'armes. Ces forces combinées iraient combattre en Berry et s'avanceraient vers Orléans et la Sologne.

Ce conseil, ainsi que nous l'avons déjà vu, montre l'absurdité du renseignement d'après lequel Gressart aurait rendu La Charité en janvier 1430, pour 1.300 couronnes d'or, et le roi aurait pris ainsi, avec de l'argent, la ville que Jeanne n'avait pu conquérir à la pointe de son épée. En même temps le mémoire de Bourgogne montre que l'attaque française sur La Charité fut dictée par des raisons stratégiques suffisantes, bien que les assaillants aient été abandonnés par le roi et les gens de Bourges. Toutefois, en fait, les Anglo-Bourguignons furent dans l'impossibilité d'exécuter leurs desseins.

Les villes frontières, Corbeil et autres, dit la lettre d'avis, doivent être bien gardées pour empêcher Sens et Melun de s'approvisionner — Melun était passé au roi Charles du 17 au 23 avril —. On pouvait faire une tentative sur Laon et Soissons pour aplanir la route de Reims, tandis que Bourgogne saisirait Pont-à-Choisy (Choisy-le-Bac) et son pont pour assurer ses communications dans son attaque sur Compiègne, point central et but de ses désirs. Cette ville le 30 septembre 1429 avait désobéi à l'ordre du roi de se rendre à la Bourgogne, préférant la mort au déshonneur. Ses habitants avaient vu la Pucelle et s'étaient inspirés de son esprit. Quant à Beauvais, Sens et Melun, il était oiseux de les attaquer, établit le rapport bourguignon ; c'étaient places trop fortes. Le vrai objectif est Compiègne, les autres mouvements sont destinés à secourir Paris et à jeter le trouble à l'arrière des Français.

Nous comprenons maintenant le plan de campagne bourguignon qui se trouva entièrement anéanti, grâce à la résistance de Compiègne, quoique au prix de la liberté et de la vie de la Pucelle. Suivant le chroniqueur de d'Alençon, elle était fort mécontente des desseins et préparatifs de Charles, et à la fin de mars elle quitta Sully sans en donner connaissance au roi. Cela est improbable, et, suivant M. Anatole France, les choses se passèrent de tout autre manière. La Pucelle leva une compagnie de cent cavaliers environ, soixante-huit archers et arbalétriers et deux trompettes, sous le commandement du capitaine lombard Barthélemy Baretta... Elle était dans les mains de Jean d'Aulon et Jean d'Aulon était dans les mains du sire de La Trémoïlle, à qui il devait de l'argent. Le bon écuyer n'aurait pas suivi la Pucelle malgré le roi.

Jeanne agissait en réalité comme il lui plaisait ; d'Aulon n'était que son loyal serviteur, et c'était elle qui le payait. Soutenir qu'à cette date il ait dû de l'argent à La Trémoïlle est une erreur. Il lui en emprunta (500 couronnes d'or) deux ans plus tard, après la mort de la Pucelle, le 16 mars 1432, et ce fait est le seul qui établisse que d'Aulon était débiteur vis-à-vis de La Trémoïlle en mars 1430 ! Ayant eu à payer sa rançon après avoir été capturé avec Jeanne à Compiègne, d'Aulon fut obligé en 1432 de négocier un emprunt pour deux mois avec La Trémoïlle.

M. Champion établit de façon régulière que Jeanne quitta Sully avec une petite troupe — ses deux ou trois lances — et chevaucha vers Lagny-sur - Marne, parce que ceux de Lagny faisaient bonne guerre aux Anglais de Paris, comme dit le chroniqueur de d'Alençon. A Lagny elle rencontra des soldats de bonne volonté, Baretta, Kennedy — ce n'aurait pas été le sire Hugh surnommé Come-with-the-Penny — et Ambroise de Loré qui commandait la place, ou son lieutenant Foucault. Baretta avait sous ses ordres trente-deux hommes d'armes, quarante-trois arbalétriers et vingt archers. A cette poignée d'hommes s'étaient réduites les armées commandées par Dunois, La Hire, Boussac et de Rais, avec qui marchait d'habitude la Pucelle. On ne l'avait envoyée accompagner aucun grand capitaine. Sortant de Sully, elle se joignit à la première compagnie de soldats qu'elle put rencontrer, guerroyant près de Paris. Frapper sur Paris, quelque faible que soit le coup, être en France, la vieille Ile-de-France, avait toujours été son désir. Elle comprenait aussi bien que le duc de Bourgogne, la nécessité d'affaiblir le cœur du corps mystique du royaume ; c'est la tâche qu'elle aurait désiré accomplir en novembre, au lieu de se trouver à La Charité. Son instinct militaire était juste, mais elle manqua d'appui. Cependant il paraît que le soutien royal ne lui faisait point entièrement défaut. Au moment de sa capture, elle possédait en propre 12.000 livres de l'argent du roi toute sa caisse de guerre. Il est probable que c'est avec cette somme qu'elle maintenait la poignée d'hommes de Baretta.

Et dès lors ses Voix l'abandonnèrent ; non qu'elles aient été silencieuses, mais elles ne donnaient plus de conseils militaires. Elle raconta à ses juges l'événement qui lui brisa le cœur. C'était dans la semaine de Pâques (17-23 avril) et cela paraît avoir eu lieu dans un moment de triomphe : Comme j'étais aux remparts de Melun, sainte Catherine et sainte Marguerite m'avertirent que je serais prise avant la Saint-Jean d'été, qu'il ne fallait m'en tourmenter ni m'en effrayer, niais prendre tout en gré, que Dieu m'aiderait. Ainsi parlaient les Voix presque chaque jour, et je leur demandais de mourir aussitôt que je serais prise, sans souffrir longtemps en prison ; mais les Voix me dirent, il faut qu'il en soit ainsi. J'avais plusieurs fois demandé de savoir l'heure, mais elles ne me la dirent point, et si je l'eusse sue je ne serais pas allée au combat.

Elle savait qu'elle touchait presque au terme de l'année qui lui était départie, et la prophétie des Voix la frappa comme un coup assuré. Les Voix ne parlèrent pas un instant de mort, mais d'une situation qui était mille fois pire : de sa capture par l'ennemi. Les hommes les plus courageux... Ney ou Skobéleff, Wallace ou Gordon... n'auraient-ils point reculé devant cette perspective de la mort sur le bûcher en cas de capture ? Toutefois la Pucelle alla de l'avant, la première à la charge, la dernière à la retraite. Elle fut la plus brave des braves.

J'ai dit qu'elle apprit cette nouvelle non pas dans une heure de découragement, mais dans un moment de triomphe. Melun avait été aux Anglais pendant dix ans : en octobre 1429, Bedford l'avait cédé au duc de Bourgogne. Cependant, du 17 au 23 avril, les habitants avaient expulsé la garnison bourguignonne et son capitaine et laissé libre pour la France leur pont et le passage de la Seine.

Comme il n'y avait aucune armée régulière française devant Melun, cela prouve, dit M. Champion, la valeur permanente et l'ascendant de la présence de Jeanne. Elle ouvrit la campagne de l'Oise plus brillamment qu'on ne l'a généralement reconnu.

De Melun, à une date incertaine, Jeanne s'en alla à Lagny directement à l'est de Paris, place d'un mauvais voisinage pour la capitale, étant précisément une de ces villes reconquises par la France en août 1429 et dont la garnison était de celles qui enserraient le cœur du royaume. A Paris on parla fort de l'arrivée de Jeanne ; elle ne tarda pas en effet à leur donner de quoi alimenter les conversations. Comme on avait appris à Lagny qu'une bande de trois ou quatre cents Anglais traversaient l'Ile-de-France, commettant autant de dégâts que possible, La Pucelle, avec Kennedy et ses Écossais, Foucault, commandant à Lagny pour Ambroise de Loré, Baretta et d'autres chefs, décidèrent d'aller au-devant des ennemis ; ce qu'ils firent, et y ot très dure et aspre besongne, car les François n'estoient guères plus que les Anglois, ajoute Chartier. Il n'y avait point de chef anglais, et les ennemis pouvaient être tout simplement des alliés picards de l'Angleterre. Ils furent tous pris ou tués, et les Français eurent aussi des morts et des blessés. Cette troupe ayant des archers, était descendue de cheval à la façon anglaise, et probablement avait disposé sa défense comme d'habitude avec de longues piques et une palissade de pieux reliés par des chaînes. Deux fois les Français les chargèrent avec fureur et deux fois ils durent battre en retraite ; mais à la fin, dit Monstrelet, ayant reçu de nombreux renforts et des canons, ils l'emportèrent.

Parmi les prisonniers il y avait un gentilhomme, Franquet d'Arras.

Pour quelque raison inconnue, peut-être parce qu'il avait été pris par quelqu'un de son escorte à elle, peut-être simplement à sa requête, Franquet fut donné à la Pucelle, afin qu'elle pusse l'échanger contre le tenancier de l'auberge de l'Ours à Paris, l'un des conspirateurs arrêtés après le coup manqué du complot français de mars. Mais ce malheureux était mort en prison ou avait été exécuté, et à la demande du bailli de Senlis, Franquet fut jugé par ce dernier et, suivant notre expression actuelle, par un jury d'habitants de Lagny, sous l'inculpation d'assassinat, vol et trahison. Son procès dura une quinzaine ; ce ne fut pas une cour martiale avec roulements de tambour, cependant il avoua les crimes qui lui étaient reprochés et fut exécuté. Les Bourguignons habitués à l'assassinat, au vol, à la trahison qui étaient passés dans les habitudes des gentilshommes d'alors, furent frappés d'horreur, et les juges de la Pucelle firent grand cas contre elle de la mort de Franquet. Elle répondit en établissant les faits comme nous les avons exposés. Elle avait reçu Franquet en gage de la vie du tenancier de l'Ours ; celui-ci étant mort et la justice réclamant Franquet, elle le lui avait remis. Il avait été jugé légalement, confessé et exécuté. Plus tard un écrivain anglais affirma que Jeanne l'avait décapité de sa propre main, parce qu'il avait refusé de s'agenouiller devant elle !

Comme nous l'avons déjà vu, Jeanne possédait encore à Lagny la fameuse épée de Fierbois, qu'elle brisa, dit-on communément, en frappant du plat de la lame une fille de mauvaise vie. C'est dans cette ville qu'elle reçut une épée prise à un Bourguignon ; elle la porta jusqu'au moment où elle fut prise : une excellente épée propre à donner de bonnes buffes et bons torchons. Quant à l'épée de Fierbois, elle refusa de dire ce qu'elle en fit. Elle ne tua jamais personne, elle tenait son étendard de la main droite et les rênes de la gauche. Soit que la vie des camps l'eût endurcie, soit plutôt qu'elle fût, comme toutes les extatiques, sujette à de brusques changements d'humeur, elle ne montrait plus à Lagny la douceur du soir de Patay — où elle ne prit pas part au combat. Cette vierge qui naguère, dans les batailles, n'avait d'arme que son étendard, maintenant se servait d'une épée trouvée à Lagny même, dit un critique moderne.

A la vérité elle avait toujours porté une épée, une petite hachette et un poignard par-dessus le marché. Mais personne, en aucune circonstance, même au moment où elle fut prise, n'a témoigné que la Pucelle ait jamais frappé un coup avec le tranchant. Elle savait qu'elle allait être prise, et ne se souciait pas que l'épée de Fierbois tombât entre les mains de l'ennemi. Pour la même raison vraisemblablement, elle n'emporta pas son étendard à Compiègne, car nous ne savons rien au sujet de sa prise.

Jeanne ne faisait ni ne prétendait faire des miracles. Elle n'affectait point de guérir les gens en les touchant avec l'anneau qui avait touché sainte Catherine. Bien plus, la nature mythopoétique d'un peuple surexcité attribua rarement des miracles à la Pucelle, ce qui semble extraordinaire quand on songe aux faits miraculeux attribués à sainte Colette. Mais à Lagny il semble v avoir eu un effort populaire pour impliquer Jeanne dans un miracle non moins étonnant que celui de sainte Colette... une résurrection !

Ses juges lui demandèrent au procès :

Quel âge avait l'enfant que vous avez ressuscité à Lagny ?

Il avait trois jours, et fut apporté devant l'image de la Sainte Vierge, et l'on me demanda d'y aller et de prier Dieu et la Vierge que la vie lui fût rendue. J'y vins avec les autres jeunes filles et priai, et à la fin il sembla qu'il y avait de la vie chez l'enfant, qui bâilla trois fois et fut baptisé. Aussitôt après il mourut et fut enseveli en terre sainte. Pendant trois jours, au dire des gens, il n'avait pas donné signe de vie. Il était noir comme ma cotte, niais quand il eut bâillé, la couleur commença à lui revenir.

N'a-t-on pas dit par la ville que c'était vous qui aviez opéré cette résurrection, et que c'était par vos prières ?

Je ne m'en enqueroye point, répondit Jeanne avec une dédaigneuse fierté.

Si c'était péché que de prier et sorcellerie que d'être exaucé, du moins la prière avait été collective, et toutes les jeunes filles de Lagny partageaient cette grave culpabilité.