LA PUCELLE DE FRANCE

HISTOIRE DE LA VIE ET DE LA MORT DE JEANNE D'ARC

 

CHAPITRE XII. — LA PRISE DES TOURELLES.

 

 

LA tactique anglaise après l'arrivée de Jeanne à Orléans est incompréhensible. On attendait, comme on l'a vu, des renforts de Paris conduits par l'énergique Fastolf, le vainqueur de Rouvray, et il se peut que l'on n'ait rien voulu risquer avant son arrivée. Cependant on avait perdu avec Saint-Loup la possession de la Loire supérieure, et le 6 mai, avec Les Augustins et Saint-Jean-le-Blanc, celle du bac qui d'Orléans conduisait à la rive opposée du fleuve. Bien que les Anglais aient eu, en aval, le moyen d'accomplir la traversée en toute sécurité, de leur quartier général de Saint-Laurent à leur bastille de l'île Charlemagne, d'où ils pouvaient s'en aller débarquer sous la protection de celle de Saint-Privé, ils n'envoyèrent pas un seul homme le 7 mai pour renforcer Les Tourelles, la barbacane et Les Augustins. Et cependant ils devaient bien voir que l'attaque française sur Les Augustins n'était point une diversion, une feinte pour masquer un retour offensif par le fleuve et un véritable assaut sur Saint-Laurent.

Nous n'avons pas une connaissance bien exacte du nombre de combattants engagés de chaque côté le 7 mai. Une évaluation allemande contemporaine, confirmée par la Chronique de Tournai, fixant à 3.000 hommes le chiffre de l'armée de secours, est fort probablement très près de la vérité. A cela il faut ajouter la garnison d'Orléans et la milice de la ville.

Le calcul de tout l'effectif anglais va de 10.000, sans les Bourguignons qui s'étaient retirés (Jollois), à 5.000 ou même 3.500 en bloc (Molandon, Beaucorps et Jarry). Les auteurs ci-dessus, en l'absence de documents plus précis et plus concordants que ceux que nous possédons, soutiennent que l'on doit supposer que les Anglais avaient une force effective en rapport avec le résultat désiré, et avec l'étendue et la population d'Orléans.

On peut élever des doutes au sujet de cette proposition, si nous nous rappelons cette plainte de Bedford à la fin de mars, au sujet des nombreuses désertions et sa demande pour qu'on lui envoie d'Angleterre quinze cents lanciers et archers. Malgré l'avis de Bedford, les Anglais avaient compté, pour terminer l'entreprise, sur leur prestige, sur la faiblesse et la frivolité du conseil du dauphin et sur la chance ordinaire de leur armée. La Pucelle avait inspiré au conseil une heure de fermeté, et rendu la confiance aux soldats français. Vaillamment secondée par Dunois, La Hire, de Rais, Gaucourt et les bourgeois, elle avait retourné la fortune de la guerre et probablement terrifié et démoralisé les fantassins de Talbot et de Suffolk, qui n'osaient point tenir tête à la sorcière, à la vachère des Armagnacs. Une panique était possible. Il semble en effet étonnant que les généraux anglais, ayant un passage assuré sur le fleuve, n'aient pas tenté une attaque de nuit contre les Français fatigués qui bivouaquaient aux Augustins au milieu des ténèbres, entre le coucher du soleil du 6 et l'aurore du 7 mai. La crainte d'une telle manœuvre causa, comme nous l'avons vu, la plus vive anxiété à la Pucelle, qui peut bien ne pas avoir été stratégiste, mais qui était douée d'un extrême bon sens. Pendant tout le siège on ne parle point d'attaques de nuit, bien que celles-ci aient été employées antérieurement à 1429 par La luire. Bien loin de procéder à un tel assaut, Talbot, le 6 mai, commanda ou permit à sa garnison du fort de Saint-Privé — qui assurait la possibilité du passage du fleuve — de brûler les ouvrages fortifiés et de se retirer par bateaux à la faveur de la nuit, à son quartier général de Saint-Laurent. Il devenait évident pour les Français que le 7 mai Talbot abandonnait à eux-mêmes et à leur destinée, les hommes de sa garnison de la tête du pont, la bastille des Tourelles et son boulevard fortifié.

C'était un puissant retranchement tenu par 600 hommes de l'armée anglaise sous les ordres de Moleyns, Poynings et Glasdale. Protégés par leurs fossés et leurs murailles, ils auraient été capables de tenir tête à une force de 3.000 Français. Mais ils n'avaient pas de secours à attendre et ils le savaient. Bien plus, Talbot ne devait leur venir en aide par aucune diversion, même par aucune démonstration sous forme d'attaque contre les portes ou les murailles d'Orléans, de façon à détourner les Français de leur entreprise. Et pourtant, en procédant de la sorte, ses soldats superstitieux ne se seraient point trouvés face à face avec la sorcière et vachère des Armagnacs qui était passée sur la rive opposée. Si Talbot avait vu, si Talbot l'avait voulu, il aurait pu prendre Orléans, écrit un historien français. Mais Talbot voyait bien des murailles de Saint-Laurent tout ce qui se passait.

Ainsi qu'on va le voir, ce qu'il constata depuis l'aurore jusqu'au coucher du soleil, ce fut le succès complet de la défense de sa garnison de la tête du pont. Le changement soudain, la défaite irrémédiable dans le crépuscule qui s'assombrissait, fut l'œuvre de la Pucelle, une action qui dura bien dix minutes. Il était écrit que Talbot entendrait les sonneries françaises annoncer la retraite et qu'il verrait celle-ci commencer, puis soudain Les Tourelles en flammes.

Là encore, nous ne pouvons comprendre la faute de Talbot, qui le 7 mai ne tenta point une attaque contre la porte Saint-Regnart d'Orléans, car, ainsi que nous le verrons bientôt, Talbot était brave même jusqu'à la témérité.

La nature de la tâche qui dès lors incombait aux Français doit être clairement établie. Ils avaient tout d'abord à prendre sur la rive gauche, en terre ferme, le boulevard ou barbacane défendant Les Tourelles, fort en pierre avec deux tours sur une arche du pont. Les Tourelles étaient protégées de l'assaut du côté d'Orléans par la destruction d'une arche ou deux et par un ouvrage extérieur commandant cette brèche. Un fossé par où coulait un cours d'eau emprunté au fleuve séparait le boulevard ou barbacane de la bastille des Tourelles. Un pont-levis passait sur ce fossé, de sorte que, si les défenseurs du boulevard étaient pressés de trop près, ils pouvaient, en le traversant rapidement, battre en retraite dans Les Tourelles, relever le pont et défier l'ennemi. Mais alors leur position deviendrait difficile, ils se trouveraient bloqués dans Les Tourelles jusqu'au moment où Talbot, renforcé par Fastolf, serait en mesure de porter un coup décisif aux Français sur chaque rive de la Loire.

Le boulevard paraît avoir eu de hautes murailles, car il fallut l'attaquer au moyen d'échelles, et il était entouré d'un profond fossé. En octobre 1428, quand il se trouvait en possession des Français, ses défenses consistaient en terre et en fagots. Le 21 du même mois, les Anglais avaient eu 240 hommes de tués dans leur tentative infructueuse pour l'emporter. Mais le 22, ils l'avaient déjà miné ; les défenseurs abandonnèrent alors la position, et les assaillants ayant ainsi acquis ce très important ouvrage, le renforcèrent de façon formidable. Une place assez forte pour résister à une attaque qui entraînait la mort de 240 hommes, devait évidemment donner à la Pucelle beaucoup à besogner, beaucoup plus qu'elle n'en avait fait jusqu'alors.

Au lever du soleil le 7 mai, Jeanne entendit la messe.

Il paraît qu'en ce moment le dernier coup contre les Anglais faillit être empêché par la répugnance des seigneurs et des capitaines à attaquer Les Tourelles. Le page de Jeanne, Louis de Coutes, en 1456, porta témoignage que Jeanne elle-même, contre la volonté de beaucoup des seigneurs qui s'avisèrent qu'elle voulait mettre en grand danger les hommes du roi, fit ouvrir la porte de Bourgogne, et une poterne près la grande tour, et traversa l'eau, avec les hommes d'armes, pour attaquer Les Tourelles. (Procès, t. III, p. 70.) De l'autre côté, Simon Charles, maître des requêtes, allégua en 1456, sur l'autorité de Gaucourt, que Jeanne fit ouvrir la porte de Bourgogne, contre la volonté de ce dernier, en lui disant qu'il était un méchant homme ; il se vit en danger d'être massacré par la foule. Mais Charles data ces événements du 6 mai, après la prise du fort des Augustins. (Procès, t. III, p. 116, 117.) La Chronique de la Pucelle est d'accord avec Louis de Coutes ; la Pucelle sortit la première d'Orléans, par l'accord et consentement des bourgeois, mais contre l'opinion et volonté de tous les chefs et capitaines du roi. (Procès, t. IV, p. 227.) Le confesseur de Jeanne, Pasquerel, dit que pendant la nuit du 6 mai, les chefs envoyèrent à la Pucelle un gentilhomme annonçant qu'ils désiraient attendre des renforts, avant d'attaquer Les Tourelles. Elle répondit : Vous avez été dans votre conseil, et moi dans le mien ; votre dessein va périr ; celui de mon Seigneur tiendra ferme, et sera exécuté. (Procès, t. III, p. 109.) Ainsi Simon Charles seul, et sur ouï-dire, fait résister les nobles au commencement de l'attaque sur Les Augustins. D'autre part, de Coutes, Pasquerel et la Chronique de la Pucelle transportent les faits au 7 mai ; et la Chronique de l'établissement de la Fête affirme que Jeanne fit la sortie contre Les Tourelles sur la demande des habitants d'Orléans. (Procès, t. V, p. 293.) Le poids du témoignage est de leur côté. L'idée première autant que le coup final étaient dus à la Pucelle seule, comme sont d'accord là-dessus M. Lefèvre-Pontalis et M. Wallon.

Au moment du départ un homme lui apporta une alose pour son déjeuner, et là-dessus Jeanne dit à son hôte, Boucher : Gardez-la pour le souper, car je vous amènerai un Goddam qui en prendra sa part et je retournerai par le pont (qui était coupé).

Pendant toute la journée, les gens de la ville firent des préparatifs pour établir un passage sur les arches brisées et donner l'assaut aux Tourelles. Les chevaliers et la Pucelle traversèrent la Loire en bateau. Il y avait là Thibault de Termes, un témoin de 1450-1456 ; Dunois et Gaucourt ; Villars, un vétéran dans les armées ; La Hire, Poton de Xaintrailles, Florent d'Illiers et beaucoup d'autres capitaines. Il est difficile de croire qu'ils aient essayé d'arrêter l'entreprise. S'il en est ainsi, cela augmente encore la gloire de la Pucelle. Tous les hommes que l'on pouvait dispenser de défendre la ville contre une attaque de Talbot devaient être présents, mais la garde d'Orléans semble avoir dû nécessiter une forte troupe de combattants, car si la garnison des Tourelles comprenait 600 soldats — comme il est dit dans un bulletin contemporain du dauphin au 9 et 10 mai —, le chef anglais ne disposait certainement pas de moins de 2.500 hommes avec lesquels il pouvait donner l'assaut à la cité.

Les assaillants avaient une abondante provision de canons de tous les calibres, ainsi que d'autres engins, des flèches, les grands boucliers habituels et des abris mobiles en bois pour protéger les petits groupes qui prenaient l'offensive. Ce devait être une troupe bigarrée, hommes d'armes, routiers des compagnies de pillards, mercenaires étrangers comme Alphonse de Partada, citadins, apprentis portant des massues et des flèches, arbalétriers, Écossais, soit des hommes d'armes sous les ordres de Kennedy, soit de sauvages montagnards de Lennox en tartan, guerriers à la chevelure inculte, avec de longues barbes, portant l'arc et la hache comme on les représente dans un tableau du temps.

Dans la bastille anglaise, sous les ordres de Moleyns, Poynings, Glasdale, Gifford et autres chefs, se trouvaient 600 soldats de la milice qui n'avaient point envie de se rendre. Parmi eux on comptait John Reid de Redesdale, William Arnold, Bill Martin, Walter Parker, Matthew Thornton, William Vaughan, John Burford, Patrick Hall, Thomas Sand, John Langham, Thomas Jolly, George Ludlow, Black Henry, Davy Johnson, Dick Hawke, Geoffrey Blackwell, rudes compagnons, comme ils allaient en faire la preuve dans ce jour qui pour la plupart d'entre eux devait luire pour la dernière fois. Eux aussi étaient bien armés, ils semblent avoir eu en leur possession le canon Passe volant du fort de Saint-Jean-le-Blanc, qui lançait par-dessus la Loire, sur Orléans, des boulets de pierre de quatre-vingts livres. Peut-être cet antique Long Tom[1] était-il plutôt une sorte de mortier destiné à faire tomber à la distance de 500 mètres ces poids massifs, qu'un canon ayant une basse trajectoire et capable de balayer les rangs français. En tout cas les Anglais ne manquaient ni de canons, ni d'arcs, ni de flèches, ni d'un courage à toute épreuve.

L'attaque commença de bonne heure dans la matinée, chaque compagnie s'avançant sous l'étendard déployé de son capitaine. L'assaut fut tenté de tous les côtés, sans nul doute appuyé par les renforts qui portaient les échelles d'escalade. Et les Anglais monstrèrent ilz bien, car nonobstant que les Franchois les eschelassent par divers lieux moult espessement, et assaillissent de fronc au plus hault de leurs fortificacions de telle vaillance et hardiesse, qu'il sembloit à leur hardi maintien que ilz cuidassent estre immortelz ; si les reboutèrent ilz par maintes foiz et tresbuschèrent de hault en bas, tant par canons et autre traitct, comme aux haches, lances, guisarmes, maillez de plomb, et mesmes à leurs propres mains, tellement qu'ilz tuèrent que blecèrent plusieurs Françoys.

Les échelles s'élevaient, des hommes y montaient ; elles étaient renversées et ceux qu'elles portaient étaient tués par des boulets ou frappés ou empoignés et jetés dans le fossé, tandis que l'air retentissait du sifflement des flèches et des boulets, et qu'une odeur de soufre s'exhalait de la gueule des canons.

L'étendard de la Pucelle flottait tout près de la muraille, quand vers midi une flèche d'arbalète perça son épaulière au moment où elle gravissait la première échelle, et la pointe traversant l'armure et le corps, ressortit par derrière d'un palme. Elle recula et se mit à pleurer, dit son confesseur ; elle refusa de laisser arrêter par une chanson le sang qui coulait de sa blessure ; elle ne voulut pas du charme guérisseur dont on s'était servi jadis pour guérir Ulysse, blessé dans les bosquets du Parnasse par une défense de sanglier. Dunois déclare qu'elle ne cessa pas de combattre et ne prit aucun médicament, bien que les assauts eussent continué jusqu'à huit heures du soir. Il est phis probable, comme en témoigne Pasquerel, son confesseur, qu'elle permit que sa blessure fût pansée avec de l'huile d'olive, et qu'elle se confessa.

Les Anglais durent s'apercevoir que la Pucelle était frappée et qu'elle avait quitté momentanément le combat. Probablement ils crurent que, puisqu'ils avaient fait couler son sang, son pouvoir de sorcellerie était détruit, car c'est encore une superstition de la campagne, de même que la croyance au pouvoir magique d'étancher le sang en marmottant certaines paroles, persiste encore dans le propre pays de Glasdale. Il est vraisemblable que la place de l'héroïne en première ligne ne demeura pas longtemps vide. Soudain, elle reparut sous sa bannière et apostropha ses Français et ses Ecossais ; mais ils étaient fatigués, le soleil baissait et les hommes qui avaient dit que c'était à peine si dans un mois on pourrait prendre la bastille, perdirent courage quand les lumières d'Orléans commencèrent à se réfléchir dans le miroir argenté de la Loire. La place semblait imprenable à tous les hommes de guerre, dit Perceval de Cagny. Ne vous doutez, la place est à nous ! cria la claire voix de jeune fille. Mais Dunois maintint qu'il ne restait plus d'espoir de vaincre ce jour-là ; il commanda de sonner la retraite et donna des ordres pour traverser le fleuve et rentrer dans la ville. Trois ou quatre assauts généraux avaient été tentés, déclare Dunois ; le troisième, ainsi que Le Jouvencel nous l'apprend, était habituellement le plus furieux et le dernier. Alors la Pucelle vint à moi et me demanda d'attendre encore un moment. Puis elle monta sur son cheval et s'en alla seule dans une vigne à quelque distance de la foule des combattants, et là elle se mit en prières pendant environ un demi-quart d'heure. Enfin elle revint, prit son étendard à la main et le planta sur le bord du fossé. Ainsi l'atteste Dunois.

Les Anglais revoyant la sorcière blessée à l'endroit où elle se tenait le matin, furent effrayés et la peur les envahit.

Ce langage est homérique.

Les détails du résultat sont donnés par l'écuyer de la Pucelle, d'Aulon. Les trompettes françaises avaient sonné la retraite, — note agréable pour les oreilles des valeureux Anglais. Comme les troupes se retiraient, le porte-étendard de la Pucelle — qui était allée un peu à l'écart pour prier — demeurait, bien que fatigué et n'en pouvant plus, tenant le drapeau de Jeanne déployé en face du boulevard. Mais pour la retraite il le confia à un Basque relevant du commandant de Villars. D'Aulon connaissait le Basque et aussi il craignait que la retraite ne se terminât en désastre — doubtoit que à l'occasion de la retraicte mal ne s'ensuivist.

Une sortie de la garnison des Tourelles pouvait provoquer une déroute et la prise de l'étendard de la Pucelle. D'Aulon pensa que si cet étendard était encore une fois ramené en avant, les hommes d'armes, pour la grande affection qu'ils lui portaient, pourraient recommencer l'assaut et prendre le boulevard. Sur les instances de la Pucelle, Dunois avait, de son coté, contremandé son ordre de retraite. D'Aulon dit au Basque : Si je descends de cheval et que j'aille en avant jusqu'au pied de la muraille, voulez-vous me suivre ?

Oui, dit le Basque.

D'Aulon sauta de sa selle, et levant son bouclier pour éviter la grêle de flèches, s'élança dans le fossé, supposant que le Basque le suivait. A ce moment la Pucelle vit son étendard dans les mains du Basque qui était aussi descendu dans le fossé. Il ne semble pas qu'elle ait reconnu son dessein. Elle crut son étendard perdu ou trahi et elle en saisit l'extrémité des plis.

Ha ! mon étendard ! mon étendard ! cria-t-elle, et elle secoua tellement l'étendard qu'il flotta étrangement comme un signal pour une attaque soudaine. Les hommes d'armes le prirent ainsi et ils se rassemblèrent pour l'assaut.

Ha ! Basque, est-ce là ce que vous m'avez promis ? cria d'Aulon. Là-dessus le Basque arracha l'étendard des mains de la Pucelle, courut à travers le fossé, et se tint à côté de d'Anion tout près du mur ennemi. Pendant ce temps-là, tous les amis de la Pucelle s'étaient ralliés et l'entouraient.

Regardez, dit-elle à un chevalier auprès d'elle, regardez jusqu'à ce que la queue de mon étendard touche au mur. Quelques moments se passèrent.

Jeanne, la queue de la bannière touche au mur.

Alors entrez ! tout est à vous !

Aussitôt, sans se soucier des flèches et des boulets, la foule se rua en masse sur le mur ; chaque échelle était bondée ; on atteignait la crête et l'on s'élançait ou l'on tombait dans le fort ; les haches et les épées se levaient et s'abattaient ; jamais homme vivant n'avait vu pareil assaut.

Soit que les munitions des Anglais fussent épuisées, soit que le temps leur eût manqué pour recharger les canons, les arcs et les flèches ne pouvant plus servir, la milice repoussa les assaillants à la lance, les frappant de ses guisarmes, de ses masses et même de ses poings ; elle leur jetait d'énormes pierres ; on entendait le bruit des épées qui s'abattaient sur les cuirasses d'acier... mais à la lin les Anglais battirent en retraite, s'enfuyant vers le pont-levis, qui leur permettait de passer le cours d'eau pour gagner la bastille en pierre des Tourelles. Le pont-levis craqua sous leur poids ; il était enveloppé de fumée qui dégageait des odeurs âcres ; des langues de flammes s'élevaient tout autour et apparaissaient entre les planches, tandis que les boulets de pierre des canons d'Orléans tombaient sur la toiture et les murailles des Tourelles et plongeaient de là dans la Loire.

Jeanne vit le feu et le danger et eut pitié du courageux mais brutal Glasdale qui l'avait menacée et insultée.

Glasdale, lui cria-t-elle, Glasdale, rends-toi, rends-toi au nom du Roi du Ciel ! Tu m'as appelée prostituée, mais j'ai grande pitié de ton âme et de celles des tiens. Ainsi dit Pasquerel qui était présent. Dans sa pitié et sa courtoisie la Pucelle ordonnait à son insulteur de se rendre, non pas à elle ou à quelque chevalier, mais au Roi du Ciel.

Mais comment ce pont-levis avait-il pris feu ?

Les chevaliers restés à Orléans et le peuple avaient construit un brûlot et l'avaient chargé de quantité de choses grasses, inflammables et d'odeur nauséabonde ; ils y avaient ajouté des chiffons enduits de graisse et de goudron, ils avaient mis le feu et remorqué la barque enflammée sous le pont-levis de bois.

Néanmoins la plupart des défenseurs du boule-yard s'élancèrent à travers la fumée dans Les Tourelles, tandis que Glasdale, Moleyns et un petit nombre d'autres chevaliers et seigneurs anglais protégeaient la retraite et défendaient le pont-levis avec leurs haches et leurs épées. Mais les fugitifs avaient à peine atteint Les Tourelles qu'ils se trouvèrent en face d'une nouvelle attaque de front, du côté d'Orléans !

Quiconque observait le combat aurait pu voir des hommes venus de la ville traverser l'espace libre, le trou béant qui se trouvait entre Tes deux arches abattues, d'une manière qu'il aurait pu croire miraculeuse. Dans la fumée et au milieu de l'obscurité l'appui qui les soutenait était à peine visible. Les Orléanais avaient trouvé une vieille et longue gouttière, pas tout à fait assez longue cependant, pour aller d'un bout à l'autre de l'espace vide qui s'étendait au-dessus du courant. Un charpentier y avait ajouté une poutre et des supports, de façon à permettre à l'autre extrémité de s'appuyer sur la base intacte de l'arche des Tourelles. Sur ce pont terrifiant se risqua Nicole de Giresme, le prieur des chevaliers de Malte, puis d'autres hommes d'armes qui le suivirent lm à un. Les imprenables Tourelles étaient ainsi assiégées des cieux côtés à la fois ; et quand Glasdale, avec Poynings, Moleyns et ce qui restait de la petite arrière-garde, s'élança pour rentrer sur le pont de bois en train de se consumer, celui-ci s'écroula sous leurs pieds recouverts de fer et ils tombèrent dans le fleuve. Armés de pied en cap comme ils l'étaient, le poids de leurs armures les fit couler à pic. L'acier, le feu, l'eau avaient conspiré contre eux. Jeanne voyant cette dernière horreur du combat, s'agenouilla, pleurant et priant pour les âmes de ses ennemis et insulteurs.

Plus pratiques, les seigneurs à ses côtés se lamentaient d'avoir perdu de grosses rançons. Il n'y eut pas d'autre obstacle au triomphe des Français ; dans cette nuit de terreur, pas un des vaillants défenseurs du boulevard et des Tourelles n'échappa. Tous furent tués, noyés ou pris et tenus à rançon.

Les carillons de joie d'Orléans résonnèrent pardessus l'obscurité de la Loire, qu'éclairaient les rouges reflets de l'incendie, et la Pucelle, selon ce que d'Anion lui avait entendu prophétiser, s'en retourna par le pont.

Elle avait tenu sa parole, elle avait montré son signe, Orléans était délivré et le flot des armes anglaises ne devait plus jamais monter jusqu'à la cité de saint Aignan. La victoire, ses compagnons d'armes le témoignent, n'était due qu'à elle. Ils avaient désespéré, ils étaient en retraite, quand, bien que cruellement blessée, ce fut elle qui les ramena à la charge. Moins d'une semaine après avoir assisté à son premier combat, une jeune fille de dix-sept ans avait accompli ce que devaient faire Wolfe sur les hauteurs d'Abraham et Bruce à Bannockburn : elle avait gagné une des quinze batailles décisives du monde !

 

 

 



[1] Canon célèbre de la guerre Sud-africaine.