LA PUCELLE DE FRANCE

HISTOIRE DE LA VIE ET DE LA MORT DE JEANNE D'ARC

 

CHAPITRE PREMIER. — LA PUCELLE ET SA TÂCHE.

 

 

LE nom et la renommée de Jeanne d'Arc appartiennent, comme l'arc-en-ciel, au domaine des vérités communes ; ils nous sont si familiers qu'il faut un effort d'imagination si nous voulons apprécier la position unique de la Pucelle dans l'histoire. Un savant auteur français a dit de sa vie : C'est le plus merveilleux épisode de notre histoire et de toutes les histoires[1].

Elle fut la concentration et l'idéal de deux nobles efforts humains vers la perfection. La fille de paysan fut la fleur de la chevalerie, brave, douce, compatissante, courtoise, bonne et fidèle. Par la suite les poètes et les romanciers se sont plu à retracer l'image de la dame chevalier, mais Spenser et Arioste n'auraient pu créer, Shakespeare n'aurait pu imaginer, un être tel que Jeanne d'Arc.

Elle fut la fille la plus parfaite de son Église ; les sacrements furent le pain même de sa vie ; sa conscience, lavée par de fréquentes confessions, demeura belle et pure comme les lys du paradis. Dans une tragédie sans parallèle ni précédent, la fleur de la chevalerie mourut pour la France et la chevalerie française qui l'avaient abandonnée ; fut tuée par la chevalerie anglaise, qui la traita de façon honteuse avant de l'envoyer au supplice, et la chrétienne la plus fidèle périt du fait de la science céleste et de la politique haineuse de prêtres qui s'appelaient eux-mêmes impudemment l'Église.

La chevalerie sur son déclin, la science céleste égarée, se trouvant face à face avec un idéal vivant de chevalerie et de foi, l'anéantirent. Jeanne s'en vint vers elles jeune fille, presque enfant, si l'on tient compte seulement du nombre de ses années, belle, gaie, l'air heureux. Les prêtres et les docteurs de l'ennemi lui offrirent le pain des larmes et l'eau d'angoisse par un effet de leur pitié, à les entendre. Ils la trompèrent et finirent par l'envoyer au bûcher.

Elle s'en vint avec une puissance et un génie qui devaient être le prodige du monde, tant que le monde durerait. Elle racheta une nation et accomplit une œuvre qui parut à son peuple miraculeuse et qui peut légitimement sembler telle. Et maintenant encore parmi ses compatriotes il s'en trouve qui contestent sa gloire.

Elle s'en vint vers les siens et les siens ne l'ont pas reçue.

Essayons de comprendre la nature de la tâche que s'imposa une petite paysanne ignorante de treize ans, et de la victoire qui eut pour initiatrice une jeune campagnarde de dix-sept ans. Elle devait soulager la grande pitié qui était au royaume de France, pitié causée au dehors par la pression d'un maître étranger sur la capitale et l'occupation par l'ennemi des contrées au nord de la Loire ; au dedans par la sanglante querelle entre le duc de Bourgogne et le dauphin déshérité, Charles VII ; par toute une génération de trahisons et de crimes barbares; par des guerres, véritables spéculations commerciales organisées en vue de pillages et de rançons ; par des bandes de mercenaires chez lesquels tout sentiment de la pitié était éteint ; par les grands seigneurs qui dépouillaient le pays qu'ils auraient dû défendre et qui passaient leur temps à des massacres et dans des luttes privées.

Il nous faut analyser brièvement la situation historique qui suscita la mission de Jeanne d'Arc et les conditions politiques qui lui firent échec, puis nous ferons connaissance avec les hommes parmi lesquels elle se trouva quand, durant le carême de 1429, elle se présenta dans le costume gris et noir d'un page à la cour de son prince.

Dans les limites géographiques de la France, il y avait nombre de provinces sous des chefs indépendants, quoique nominalement feudataires. La force qui forgeait lentement en nation tous ces éléments rivaux fut la résistance au conquérant anglais.

Depuis 1392 la folie intermittente et l'imbécillité permanente de Charles VI, avaient laissé tomber l'autorité entre les mains de sa femme, Isabeau de Bavière, sensuelle et avare sans scrupules, et de son allié populaire le frère du roi, Louis d'Orléans, père du poète Charles d'Orléans et du bâtard le fameux Dunois. Louis était la personnification du vice aimable. On le soupçonnait d'avoir jeté des sorts sur son royal frère qui par instants devenait un maniaque féroce et malpropre. Dans des moments de lucidité relative, le roi demandait aide et protection au duc de Bourgogne, Jean sans Peur, potentat dont le territoire était presque aussi étendu que le sien, et comprenait de vastes morceaux des Flandres et (le la Picardie, du nord et de l'est de la France.

Apparaissant comme libérateur des extravagants et exorbitants impôts du duc d'Orléans et de la reine, le duc de Bourgogne était le favori du peuple de Paris, et l'opinion de Paris dominait déjà, au moins jusqu'à la Loire vers le sud.

Cependant Louis d'Orléans faisait de nouvelles conquêtes à Coucy, à Ham, à Péronne et à Laon, qui se trouvaient sur les confins de la Bourgogne, et on dit qu'en lui faisant la cour de façon trop entreprenante, il avait insulté la jeune femme de Jean sans Peur. Une réconciliation ayant été négociée entre les deux ducs, ils reçurent ensemble la sainte communion le samedi 20 novembre 1407.

Le mardi ils dînèrent ensemble, et le mercredi Orléans fut attaqué la nuit par les émissaires de Bourgogne et mis en pièces dans la rue.

On lui coupa le bras droit au coude et au poignet, sa main gauche fut séparée du corps, le crâne fendu de part en part, la cervelle jetée dans la boue.

Bourgogne reconnut sa faute et se retira à Lille.

Le résultat fut une vendetta aussi féroce que celle des querelles sanguinaires d'Islande à l'époque des sagas, mais une vendetta qui comprenait toute une nation, la divisant en deux factions féroces et la mettant à la disposition des conquérants anglais.

Orléans n'avait jamais été tout à fait impopulaire. Ses manières étaient gaies. Il avait provoqué Henri de Lancastre en combat singulier. Malgré ses fautes, il avait été l'ennemi de l'Angleterre, tandis que Bourgogne en était l'allié. Il s'ensuivait que le parti des Orléanistes ou des Armagnacs, sous les ordres de Bernard, comte d'Armagnac, était le parti français au sud de la Loire, tandis que les soldats de Bourgogne, des Flandres, d'Artois et de Hainaut étaient pour la plupart allemands de langue.

En 1411, après une guerre de partisans, Bourgogne en appela à l'Angleterre, et Henri IV envoya des bataillons à son aide. Henri V, plus hardi, reprit en 1413 les prétentions d'Édouard III, battit la France à Azincourt et ambitionna la couronne du pays vaincu. Aucune prétention ne pouvait être aussi peu légale. Même si le dauphin, plus tard Charles VII, n'avait pas existé, même si la loi dite salique n'avait pas été en vigueur, Catherine, plus tard femme de Henri V, n'était pas l'aînée des filles de France.

On traitait Charles, le premier-né du roi fou et d'Isabeau de Bavière, comme si lui-même s'était mis hors la loi. Indolent à cette époque, timide, il perdait son temps de la même manière que Jacques VI d'Écosse. Il était gouverné par des groupes successifs d'hommes violents qui tour à tour se débarrassaient brutalement les uns des autres, suivant que le suggéraient l'occasion ou les tentations. De mai à juin 1418 les Bourguignons et la populace de Paris décimèrent dans la place la soldatesque de Bernard. Le dauphin Charles fut sauvé difficilement par Robert le Maçon et Tanneguy du Châtel. Les horreurs des massacres de prisonniers armagnacs rivalisèrent avec celles de la Saint-Barthélemy et de septembre 1792. Le dauphin, alors âgé de seize ans, s'enfuit à Bourges.

En 1419 eut lieu la fameuse entrevue pour la réconciliation du dauphin avec Jean sans Peur, duc de Bourgogne, dans un pavillon improvisé sur le pont de Montereau. Chaque prince avait ses partisans ; des mots aigres furent échangés. Accidentellement ou par menace, le duc mit la main sur la garde de son épée, le mot de menteur fut prononcé, et en dépit des engagements les plus sacrés, les partisans du dauphin vengèrent l'assassinat du duc d'Orléans. Jean sans Peur fut massacré aussi cruellement que celui qui avait été sa victime. Il existe beaucoup de récits de la rixe qui eut lieu alors. Le dauphin est-il coupable ou non d'avoir eu connaissance des projets de ses compagnons ? Assista-t-il à leur sanglante exécution ? C'est là matière à discussion.

Le nouveau duc de Bourgogne, Philippe, poursuivant cette lutte sanguinaire, rendit plus étroite son alliance avec l'Angleterre, et le roi et la reine de France, par le traité de Troyes en 1420, déshéritèrent dans la mesure de leur pouvoir le dauphin Charles et le flétrirent publiquement comme coupable de l'assassinat de Jean sans Peur sur le pont de Montereau.

Quel qu'ait été le degré de sa responsabilité, leur fils ne voulait ni ne pouvait chasser les criminels qui étaient ses conseillers et ses associés.

Cependant Henri V avait épousé Catherine, sœur du dauphin, et sur ses monnaies se proclamait héritier de France.

Tels furent les sombres débuts de la vie de Charles VII, pour qui Jeanne, devant le bûcher, donna sa vie, le défendant de sa douce voix de jeune fille comme le plus noble des chrétiens quand Guillaume Érard la prêcha devant Saint-Ouen en dénonçant Charles.

Extraordinaire vertu d'une idéale fidélité! Tel Montrose exaltant sur l'échafaud l'indigne roi qui l'avait abandonné, ainsi Jeanne élevait sa voix solitaire en faveur du monarque qui lui devait sa couronne et cependant l'avait soupçonnée et délaissée.

Le caractère du dauphin est matière à contestation. Pour un éminent érudit il semble à cette époque avoir été indolent, fuyard et cloîtré, évitant la lumière, débauché dans ses plaisirs, jouet de ses ministres. Un autre dit : Fort laid, les yeux petits, vairons et troubles, le nez gros et bulbeux, ce prince de vingt-six ans tenait mal sur ses jambes décharnées et cagneuses, jointes à des cuisses creuses par deux genoux énormes qui ne voulaient point se séparer l'un de l'autre. Ses portraits ne semblent pas justifier ces reproches, et ses sujets qui le virent à Châlons, par exemple, le déclarèrent une belle personne.

Le jugement de son dernier biographe représente le dauphin comme confiant en lui-même et en sa cause tandis que les antres l'abandonnaient ; résolu avec ténacité, ayant beaucoup de bon sens et une connaissance approfondie des affaires. Ses avantages physiques, la bienveillance de ses manières lui conquirent la faveur de son peuple, et un contemporain le décrit comme un prince élégant, au beau langage et plein de pitié pour les pauvres. Il était très pieux et sa piété était sincère. Il honorait particulièrement saint Michel, l'archange de Jeanne. Il était généreux pour les autres et pour lui-même, épris de luxe, aimant les chevaux. Mais son apologiste doit avouer qu'il fut l'esclave de ses favoris, aveugle sur leurs défauts, prêt à tout souffrir de leur part. Cette soumission passive à des favoris qui n'étaient pas des hommes de guerre fit échouer l'entreprise de Jeanne d'Arc. Ce fut à cet équivoque et indolent dauphin désirant toujours se cacher de son peuple dans des châteaux, dans des trous et dans des coins, comme le disait un de ses conseillers en 1434, que la Pucelle consacra sa vie et sa mort, son action et ses souffrances ; car elle vit en lui le fils de saint Louis, du sang sacré de France. Pour elle le dauphin n'était que le symbole du pays pour lequel elle est morte.

Henri V et Charles VI succombèrent à deux mois de distance (31 août et 22 octobre 1422). Pendant la minorité du fils de Henri, un des frères de celui-ci, Humphrey, duc de Gloucester, eut à s'occuper de l'Angleterre, tandis que l'autre, Jean, duc de Bedford, fut régent de France.

Bedford était un habile administrateur, il gouverna la Normandie, Paris et le nord comme Édouard Jr l'aurait fait pour l'Écosse, sans le coup de poignard de Bruce dans l'église des frères gris de Dumfries. Il épousa Anne, sœur du duc de Bourgogne, pendant qu'un autre mariage détachait la Bretagne du parti de la France ou la laissait dans l'indécision jusqu'en 1428, époque à laquelle elle prêta serment de fidélité à l'Angleterre. Une guerre de partisans dévastait et ruinait la contrée au nord de la Loire, et si les Écossais gagnaient pour la France la grande victoire du pont de Baugé, tuant le duc royal de Clarence, la bataille de Cravant (30 juillet 1423) fut également désastreuse pour les Français et leurs auxiliaires d'Écosse. Verneuil (17 août 1424) fut un autre Azincourt : les Écossais y furent presque entièrement exterminés. Le dauphin en fut réduit à flâner, à s'amuser et à prier tour à tour, dans une sorte de désespoir indolent à Bourges, à Chinon, à Gien-sur-Loire. C'est pendant l'été de la bataille de Verneuil ou l'année suivante que Jeanne, une enfant de treize ans, s'éveillait à ses Voix et à ses Visions qui l'informaient de la grande pitié qui était au royaume de France.

Une querelle politique et personnelle entre Humphrey, duc de Gloucester, frère du duc de Bedford, régent de France, d'une part, et Philippe, duc de Bourgogne, fils de Jean sans Peur, de l'autre, amena des négociations entre le dauphin Charles et le vengeur du meurtre de Montereau. Le duc de Savoie arrangea une conférence à Mâcon (décembre 1424) et dès lors, du vivant de la Pucelle, des trêves perfides et déloyales ne cessèrent d'exister entre les deux partis. Parmi les représentants du dauphin était Regnault de Chartres, archevêque de Reims, un nom fatal dans l'histoire de Jeanne d'Arc. La politique de ce prélat n'était pas de chasser les Anglais de France par une série de victoires miraculeuses, mais d'arriver à conclure la paix et une alliance avec l'ami de l'Angleterre, Philippe, duc de Bourgogne. Sans le concours de la Bourgogne, l'Angleterre en effet ne pouvait pas se maintenir en France. De concert avec La Trémoïlle, qui avait des intelligences dans les deux camps, et avec d'autres politiciens, Regnault de Chartres devait mettre fin aux triomphes de la Pucelle et paralyser l'intervention de son épée par un inextricable réseau de lenteurs diplomatiques.

Dans les négociations de 1424 entre le dauphin, la Bourgogne et la Bretagne, Arthur, comte de Richemont, représenta ce dernier pays, tandis que le duc de Savoie, Amédée, jouait le rôle du courtier amical. Mais le duc de Bourgogne, avant d'accepter les avances et les excuses du dauphin, insista pour qu'il écartât de sa cour et désavouât les conseillers coupables de la mort de Jean sans Peur. Entre temps on préparait les trêves.

Parmi les négociateurs, le comte de Richemont, fils cadet de l'indécis Jean V, duc de Bretagne, était le personnage le plus en vue. C'était un homme d'un grand courage. A Azincourt on l'avait retiré de dessous un monceau de morts, et il avait partagé l'exil du duc d'Orléans en Angleterre. Il pouvait mettre en ligne les lances des nobles de Bretagne : de Laval, de Rieux, de Rais, de Montauban, de Châteaubriand, et nombre d'archers aguerris. C'était un personnage austère qui n'avait rien d'un favori aimable. Si, grâce à lui, le dauphin avait voulu chasser de ses conseils les assassins de Jean sans Peur, les intérêts de la France, de la Bourgogne et de la Bretagne auraient pu être combinés contre l'Angleterre. Mais les favoris, ou plutôt les maîtres du dauphin Charles, étaient alarmés par la perspective de trouver un rival en Richemont, le nouveau connétable. Le roi, ainsi que disait un ministre de Jacques VI d'Ecosse[2], est comme un singe. Si je le tiens, il peut vous mordre ; si c'est vous qui l'avez data vos mains, c'est moi qui serai mordu. Les favoris du dauphin, les mains teintes du sang de Jean sans Peur, mirent en demeure Arthur de Richemont de jurer qu'il ne laisserait pas le dauphin les mordre, et le connétable dut faire le serment que les hommes du pont de Montereau conserveraient leurs places et leurs faveurs (7 février 1425). Richemont commença à organiser les forces de la Bretagne pendant que le dauphin jurait de chasser de son conseil les assassins également odieux à la Bretagne et à la Bourgogne. Et cependant ceux-ci tenaient le roi en tutelle pendant l'absence de Richemont. Alors le connétable, malgré ses engagements du 7 février 1425, les poursuivit de place en place, jusqu'à ce qu'ils eussent quitté la cour.

Un seul demeura, Giac, qui était considéré comme le plus coupable dans l'assassinat de Jean sans Peur. Il pillait les deniers publics, encourageait l'anarchie civile et militaire et avait engagé une lutte à mort avec l'autre favori, le tout-puissant et détesté La Trémoïlle, partout suspecté de trahison et qui fournissait des fonds au dauphin en se réservant de gros bénéfices. Enfin, en 1427, le connétable fit saisir Giac au lit. Le dauphin se leva et s'arma ; ce fut une véritable révolution de palais, et Giac, bien qu'il eût offert une grosse fortune pour sauver sa vie, fut nové par ordre de Richemont.

Les héros de l'expédition de Ruthven en Écosse, agirent de la même façon pour changer leur gouvernement, mais ils ne furent point aussi féroces.

Le dauphin irrité parut accepter cette exécution. Giac fut remplacé par un nouveau favori qui suivit ses traces et fut massacré sur le désir de Richemont sous les yeux (le son maître. Le maréchal de Boussac et de Sainte-Sévère, qui combattit pour la France au siège d'Orléans, donna des ordres pour cette triste besogne à la Rizzio.

Le connétable offrit alors au dauphin un nouveau favori, La Trémoïlle — né en 1382 et élevé à la cour de Bourgogne —. Vous vous en repentirez, dit Charles, je le connais mieux que vous. Richemont, la France et surtout Jeanne d'Arc, eurent à déplorer l'avènement au pouvoir d'un homme qui, comme le dit l'un des biographes les plus favorables à Charles VII, fut pendant six années l'âme damnée du roi et du pays. La Trémoïlle, de noble famille, eut sa part dans le meurtre de Giac, et épousa la veuve de sa victime. Il avait été chambellan du duc de Bourgogne ; toute sa famille était du parti bourguignon ; il avait un pied dans les deux camps et était regardé comme un double traître. On dit qu'il inspira au dauphin la haine et l'horreur de Richemont ; mais cela parait avoir été superflu. Avec quelques nobles puissants, dont le jeune duc d'Alençon et Regnault de Chartres, chancelier du royaume et archevêque de Reims, La Trémoïlle organisa une faction contre Richemont. Une guerre intestine commença entre ces adversaires, pendant que l'Angleterre réunissait ses troupes pour aller investir Orléans, et durant le siège, au lieu de secourir la France, les soldats de Richemont couraient sus à ceux de La Trémoïlle.

C'est à la cour singulière de ce dauphin, d'où Richemont était alors banni, que Jeanne venait apporter son aide en mars 1429. Elle pouvait battre les Anglais, rallier et encourager les combattants, mais elle ne devait jamais ni inspirer, ni convaincre ni instruire ces misérables dupes du duc de Bourgogne, les politiciens. Nous la voyons tout d'abord arrêtée, puis désavouée par l'archevêque de Reims ; et quand elle accueille favorablement le concours de l'épée de Richemont, mise en vain au service de Charles VII, nous assistons à son échec dans cette tentative.

Dès juillet 1429 elle découvre les supercheries bourguignonnes qui firent illusion au roi jusqu'en mai 1430.

Le vaillant Talbot, Glasdale, Suffolk étaient pour elle de plus honorables et moins dangereux ennemis que le scepticisme de Regnault de Chartres et la sagesse intéressée de La Trémoïlle. Ses meilleurs alliés devaient être les hommes qui, par leur insouciante légèreté, avaient quelque ressemblance avec elle, les capitaines actifs et hardis des compagnies d'armes ; l'indomptable Poton de Xaintrailles ; le brave et intelligent Dunois, appelé le bâtard d'Orléans ; l'audacieux chef de cavalerie La Hire, avec Florent d'Illiers, Ambroise de Loré et son favori le beau duc d'Alençon, qui, fait prisonnier à Verneuil, avait refusé d'accepter la liberté sans rançon, subordonnée à l'abandon de la cause française. Bien que d'Alençon dans ses dernières années n'ait pas conservé cette même foi patriotique, il fut toujours loyal à l'égard de l'étendard de la Pucelle.

Après la catastrophe de Verneuil, la France fut sauvée momentanément par la querelle entre Humphrey, duc de Gloucester, frère de Bedford, et le duc de Bourgogne. Une autre querelle politique des plus violentes entre Gloucester et son oncle, fils de Jean de Gand, l'évêque de Winchester, cardinal Beaufort, inonda de sang les rues de Londres. Bedford fut obligé pendant dix-sept mois de s'absenter de Paris pour ramener l'ordre et la confiance dans sa patrie. Mais jusqu'au moment du coup de Dieu, comme Bedford appelait l'affaire d'Orléans, il se montra satisfait des progrès de la conquête anglaise en France. En décembre 1433 il écrivait à Henri VI : Toute chose a prospéré pour vous jusqu'au temps du siège d'Orléans entrepris, bien qu'en fait il y ait eu un ou deux échecs, comme, par exemple, à Montargis.

Bedford amena d'Angleterre en 1427 une armée relativement importante, comptant vaguement dans les 10.000 hommes avec artillerie de tout calibre. Il pouvait bien avoir 3.000 hommes de toutes armes. On fit le plan d'une nouvelle campagne. Il fallait plus de monde, et le comte de Salisbury en Angleterre poussa activement au recrutement pendant le printemps de 1428. Contrairement au propre désir de Bedford, le résultat des délibérations militaires fut la marche anglaise sur Orléans en septembre-octobre 1428. Le début de l'activité de Jeanne remonte à mai 1428, mais elle fut alors sans résultat.

Telles étaient à ce moment les conditions politiques et militaires. Examinons maintenant l'entourage immédiat de la Pucelle.

 

NOTA. — L'esquisse de La Trémoïlle est extraite d'un travail du chef actuel de la maison : Les Trémoïlle pendant cinq siècles, tome I, p. 13 à 23, Nancy 1890. Nous devons rappeler que La Trémoille non seulement reçut de grands cadeaux du roi, mais aussi lui prêta de l'argent ; après examen de ses comptes je suis porté à croire qu'il y trouva de beaux bénéfices.

 

 

 



[1] Siméon Luce, Jeanne d'Arc à Domrémy, p. 111.

[2] Plus tard Jacques Ier d'Angleterre.