Charles X. — Son portrait ; sa passion pour la chasse ; sa piété. — Cour occulte : MM. le cardinal de Latil, Lambruschini, de Quélen, de Montmorency, de Rivière, de Vaublanc, Capelle. — M. de Vitrolles. — Situation de la France. — M. de Villèle est conservé à la tête du gouvernement. — Le duc d'Orléans reçoit le titre d'Altesse Royale et le don d'un apanage. — Abolition de la censure. — Ouverture des Chambres. — Discours de Charles X. — Généraux de la République et de l'Empire éliminés du service actif. — Dotation de la couronne — Le milliard d'indemnité. — Loi sur les communautés religieuses. — Loi du sacrilège. — Discours de M. de Bonald, de M. Royer-Collard. — Sacre de Charles X. — Amnistie. — Mort du général Foy ; son portrait ; ses funérailles ; souscription d'un million en faveur de ses enfants.I. Le comte d'Artois prit pour nom de règne le nom de Charles X. Le nouveau roi avait conservé, sous les premiers frimas de l'âge, la verdeur, la stature, la souplesse et la beauté de sa jeunesse. C'est la pensée qui mûrit les hommes. Le comte d'Artois avait peu pensé dans sa vie : homme de cœur et de premier mouvement, toutes ses qualités étaient des dons de la nature, presque aucunes n'étaient en lui les fruits acquis du travail et de la méditation ; il avait l'esprit de la race française superficiel, rapide, spontané et heureux en hasards de reparties, le sourire bienveillant et communicatif, le regard ouvert, la main tendue, l'attitude cordiale, un vif désir de plaire, une soif ardente de popularité, une grande sûreté de commerce, -une constance, rare sur le trône, dans l'amitié, une modestie vraie, une recherche inquiète des bons conseils, une conscience sévère pour lui-même, indulgente pour les autres, une piété sans petitesse, un repentir noble des seules faiblesses de sa vie, de jeunes amours, un respect sérieux du caractère de roi, auquel Dieu l'avait appelé par sa naissance, un amour raisonné et senti de son peuple, un désir honnête et religieux de faire le bonheur de la France et de rendre son règne profitable à l’amélioration morale et à la grandeur nationale du pays que la Providence lui avait confié ; toutes ces royales dispositions de son âme étaient écrites sur sa physionomie : noblesse, franchise, majesté, bonté ; honnêteté, candeur, tout y révélait un homme né pour aimer et pour être aimé. La profondeur et la solidité manquaient seules à ce visage ; en le regardant on se sentait attiré vers l'homme, on doutait du roi. II. Sa vie était celle d'un gentilhomme des premières races de la monarchie dans les siècles où la force et l'adresse déployées dans les exercices du corps signifiaient la supériorité du courage et la majesté du rang, où l'église, la chasse et la galanterie se partageaient la journée des princes. La vertu avait supprimé les femmes de la vie de Charles X, la chasse et la piété faisaient le fond de ses journées ; il avait pour la chasse royale l'ardeur de ses plus jeunes années. L'amour des chevaux, le goût des forêts, la voix des meutes, l'ivresse de la poursuite des daims ou des chevreuils, les joies sauvages de l'hallali, les sons du cor après le triomphe, l'exaltaient, comme la manœuvre, le combat et la victoire exaltent le héros. Sa vénerie et ses écuries étaient pour lui plus qu'un délassement, c'était une occupation royale. Son long séjour en Angleterre, pays où les chevaux, les chiens, les forêts, les courses, sont le blason d'une aristocratie opulente et l'orgueil national du peuple, avait entretenu et accru en lui cette passion héréditaire des Bourbons. Il faisait écrire l'histoire de ses chasses par les historiographes de ses meutes et de ses coursiers ; des volumes graves, publiés pendant et après son règne, retracent encore, avec une scrupuleuse fidélité et un talent pittoresque, le récit de ces futiles exploits. Ces loisirs, conformes aux habitudes de sa jeunesse et utiles à sa santé, ne dérobaient rien cependant aux devoirs que sa conscience lui imposait comme roi. Sa piété l'emportait même sur ses plaisirs. Cette piété, dont nous avons vu l'origine, au commencement de cette histoire, dans la passion du comte d'Artois pour madame de Polastron et dans le serment qu'il prêta au pied de son lit de mort de ne plus porter qu'à Dieu l'amour qu'il avait pour elle ici-bas, n'avait ni excès, ni puérilité, ni ostentation ; il la renfermait extérieurement dans les pratiques des exercices religieux commandés par l'habitude et l'étiquette des cours. Sa piété était en lui un sentiment et une conviction ; il ne l'exagérait point, comme ses ennemis l'en ont accusé, par des pratiques monacales, par des affiliations secrètes à l'ordre des jésuites, par une intolérance acerbe, par une obséquiosité aveugle à la cour de Rome, ou par une complaisance servile au clergé de sa cour ; il restait roi en étant chrétien. Il avait assez respiré dans sa jeunesse, avant la révolution, la philosophie légère ou l'incrédulité rai sonnée de son siècle, pour comprendre que si la religion pouvait exercer encore en France un ascendant volontaire, elle ne pouvait plus tendre impunément à la tyrannie. Seulement, convaincu lui-même par le malheur plus que par le raisonnement que la religion de ses pères était la vérité absolue de l'esprit et le salut unique des âmes, il croyait devoir à Dieu et à son peuple d'en propager la foi et d'en favoriser l'empire par tous les moyens compatibles avec l'esprit de son époque et avec la tolérance nécessaire des cultes. Fidèle chrétien, mais non sectaire, s'il croyait devoir l'exemple de la foi, il ne croyait pas devoir céder son gouvernement politique à son clergé. Il gardait, comme ses aïeux les plus catholiques sur le trône, saint Louis et Louis XIV, une certaine indépendance royale et traditionnelle de la cour de Rome ; il se défiait de l'ambition et de l'esprit de corps et de domination des prêtres, qu'il croyait de nature à abaisser la couronne et à désaffectionner les peuples de la religion ; il adorait leur Dieu sans aimer leur secte ; il perçait avec assez de pénétration leurs desseins secrets ; il résistait avec une déférence extérieure, mais avec une résolution ferme, à ce qui lui paraissait excessif ou téméraire dans leurs exigences : telles étaient, à l'égard du clergé, les dispositions réelles de Charles X. L'auteur de cette histoire l'a entendu lui-même définir en ces propres termes ses sentiments, dans un épanchement sans témoins, on ce prince, qui pouvait se tromper lui-même, ne cherchait du moins à tromper personne. Il n'était ni fanatique, ni asservi, ni persécuteur, mais il était croyant. Son zèle, à son insu, influençait sa politique ; il croyait devoir une part de son règne à sa foi. Le peuple s'y trompa : on crut qu'il voulait restituer la France à l'Église ; la première des libertés conquises par la révolution française, la liberté de l'esprit humain se sentit menacée. De là l'inquiétude, la désaffection, la brièveté et la catastrophe de ce règne. Si Charles X eût été soupçonné de scepticisme comme son frère, ou si le fidèle en lui eût été distinct du monarque, ou si enfin la liberté rationnelle des consciences à laquelle l'esprit humain tendra de révolution en révolution, jusqu'à ce qu'il l'obtienne, eût existé par la séparation définitive de l'État et de l'Église, et par leur indépendance mutuelle, Charles X aurait régné jusqu'à sa mort, et ses descendants auraient régné après lui ; il devait périr victime de sa foi, ce n'était pas la faute de sa conscience, mais de sa raison. Le chrétien en lui devait perdre le roi. IV. Les défauts de Charles X n'étaient pas dans son caractère, ils étaient dans son intelligence. Bien que cette intelligence fût naturelle, facile, vive et même quelquefois étincelante par la promptitude et le bonheur des mots, elle manquait de culture ; elle manquait surtout de ce don qui supplée tous les autres dans les rois, la connaissance des hommes. Il était depuis son enfance mal entouré ; il n'avait vu le monde dans ses premières années qu'à travers l'esprit futile de ses jeunes compagnons de plaisirs et de ses maîtresses ; plus tard pendant l'émigration, à travers l'esprit étroit et chagrin de quelques prêtres et de quelques grands seigneurs implacables envers la révolution qui les proscrivait. Depuis la rentrée de la maison royale en France, il était resté enveloppé d'une petite cour de familiers sans lumières et quelques-uns sans conscience : gentilshommes, aumôniers, évêques, courtisans vieillis dans l'exil, aigris par l'infortune, enivrés par la faveur, avides de régner sous leur maitre, et de quelques complaisants obscurs transportant dans le palais le goût et l'habitude de l'intrigue qui les avait élevés jusqu'à lui. Les plus honnêtes de ces hommes le trompaient de bonne foi, les plus spirituels le trompaient par intérêt. Ceux d'entre eux qui avaient de la conscience n'avaient aucune politique, et ceux qui avaient quelque politique n'avaient point de conscience. Cette petite cour était un foyer d'ignorance, de superstitions, de préjugés, de convoitise, attisé par une ou deux médiocrités remuantes. Le prince était supérieur à ses conseillers ; quelque habitude qu'il eût de cet entourage, il n'avait pas tardé à juger qu'à la mort de son frère il ne pourrait pas présenter de pareils hommes à la France pour ministres de son gouvernement. Dans les uns l'intolérance sacerdotale, dans les autres la hauteur aristocratique ; dans ceux-ci l'incapacité, dans ceux-là l'intrigue, dans tous les regrets de l'ancien régime, les ressentiments de l'émigration, l'inintelligence de la France nouvelle, l'esprit de cour au lieu de l'esprit national, le mépris de la Charte, le dédain de la bourgeoisie, la révolte contre les institutions populaires, l'invocation à l'étranger qui avait dicté la note secrète aux puissances par la main de M. de Vitrolles, faisaient des hommes de cette cour un camp de Coblentz dans les Tuileries. Des vertus chevaleresques, des amitiés invétérées dans l'exil, des dévouements sincères, y faisaient respecter l'attachement personnel du prince pour MM. de Montmorency, de Rivière, de Fitz-James, de Bruges, de Damas, de Blacas, de Vaudreuil, de La Rochefoucauld - Doudeauville, de Polignac et autres grands noms monarchiques, compagnons de ses mauvais jours et favoris naturels de sa haute domesticité. Mais les familiarités nées dans l'émigration, le zèle intéressé des premiers venus autour du prince, lieutenant général du royaume en 1814, la captation religieuse qui surveillait la conscience de l'héritier de la couronne, le foyer d'opposition aristocratique et épiscopale autour du prince pendant le règne de son frère, l'impatience de régner avant l'heure sous son nom, la cabale enfin dont il avait subi le contact pendant les infatigables conspirations qui se nouent aux dynasties proscrites, avaient groupé autour de lui une seconde cour occulte et subalterne, moitié sainte et moitié politique, qui répandait la défiance autour de son nom. L'archevêque de Reims, cardinal de Latil, prélat de cour qui l'avait dirigé en émigration et qui était rentré avec lui puissant et écouté aux Tuileries ; le nonce du pape, Lambruschini, négociateur de Rome, consulté sur la direction de la France ; l'archevêque de Paris, M. de Quélen, homme de foi, consciencieux, mais de caractère à la fois insinuant et impérieux ; tous les chefs avoués ou occultes du parti ambitieux dans l'Église et du parti contre-révolutionnaire dans les salons et dans les Chambres, composaient cette seconde cour de Charles X ; il y avait adjoint quelques hommes politiques de second ordre plus ou moins capables de l'éclairer sur les opinions et sur les affaires, tels que M. de Vaublanc, oracle suranné de son conseil intime ; M. Capelle, ancien préfet de Napoléon, administrateur habile, caractère mir, mais accoutumé à ce pouvoir absolu qui tranche au lieu de dénouer les crises. M. de Vitrolles, qui s'était, comme on l'a vu, attaché à ce prince en 1814, et qui avait acquis par son assiduité, par son courage et par ses services, un ascendant si décisif sur ses résolutions, était le ressort actif et le mouvement caché de toute cette familiarité du nouveau roi. Esprit souple et caressant, plus propre à se mouler sur les désirs et sur les préjugés invétérés du maitre qu'à lui imprimer lui-même une nature et une consistance d'idées en conformité avec son peuple et avec son temps, M. de Vitrolles était plutôt un homme de parti qu'un homme d'État. Habile à ourdir des fils, à s'entremettre entre les factions, à enrôler les hommes utiles, incapable de trouver une route et de diriger une politique à ciel ouvert à travers les problèmes d'une révolution et d'une restauration ; mélange de finesse, de grâce et d'audace, ces qualités même qui rendent agréable dans une cour, le rendaient dangereux dans le conseil. Sorti de l'obscurité par des négociations secrètes et par la faveur, il n'avait ni responsabilité dans le passé ni responsabilité dans l'avenir ; en encourageant son prince à beaucoup oser, il risquait peu pour lui-même ; il était de l'espèce de ces conseillers téméraires, dévoués, intrépides, mais quelquefois funestes, qui poussent leur parti aux extrémités hasardeuses, certains que le mouvement régulier des choses et les défiances de l'opinion les laisseront toujours dans le demi-jour. Le public croyait M. de Vitrolles plus favori et plus puissant qu'il ne l'était en réalité sur l'esprit de son prince. Son activité et son entremise empressées auprès de tous les partis exagéraient au dehors l'opinion de son ascendant, mais cette 'opinion seule était un malheur pour le nouveau roi. En le croyant livré aux conseils de l'auteur de la note secrète, on se défiait à la fois des deux influences qui inspiraient le plus de terreur à la masse du pays : l'Europe et la contre-révolution. On craignait qu'il ne formât un ministère de ces incapacités honorables on de ces habiletés périlleuses de son conseil secret. Mais le trône inspire, quand il ne donne pas encore le vertige. Le nouveau roi, renfermé à Saint-Cloud dans le recueillement de sa douleur officielle, et inaccessible à toutes les manœuvres de l'intrigue, avait de plus sages pensées. Les deux dernières années l'avaient beaucoup mûri. Depuis qu'il avait régné en effet sous la condescendance de son frère et sous le nom de M. de Villèle, il avait compris les difficultés du gouvernement. Il envisagea d'un coup d'œil sa situation ; elle était rassurante, ouverte et libre de tous les côtés. Au dehors l'expédition d'Espagne avait épuré l'horizon. Toutes les mines révolutionnaires éventées ou étouffées en Europe laissaient les trônes raffermis dans une complète sécurité. Au dedans, la sagesse de Louis XVIII avait concilié dans la Charte le dogme de la légitimité des couronnes avec le dogme de l'intervention des peuples et du gouvernement de l'opinion. L'exercice de la liberté électorale, de la liberté de la tribune et de la liberté de la presse suffisait au besoin de garantie et au besoin d'activité du pays. L'armée, longtemps humiliée et inquiète, après avoir hésité quelques années entre les fanatismes de l'empire et les caresses des factions, s'était donnée définitivement aux Bourbons sur le premier champ de bataille qu'ils lui avaient ouvert. Les conspirations radicales, les sociétés secrètes, les embauchements de casernes, les explosions souterraines du carbonarisme, avaient cessé de miner le sol. Depuis qu'elles avaient cessé d'espérer, une majorité immense appuyait la monarchie dans les deux Chambres. Un ministère dirigé par un homme habile et populaire dans la raison publique satisfaisait cette majorité sans céder trop à ses témérités ou à ses passions. L'espérance, cette popularité anticipée des nouveaux règnes, suspendait les oppositions dans l'attente et donnait pour un moment au roi l'unanimité du pays. Louis XVIII semblait avoir emporté avec lui dans la tombe la mauvaise fortune de sa maison. Il avait subi les orages, il laissait à son frère les sérénités de la monarchie. V. Les inquiétudes mêmes que l'opinion libérale avait longtemps nourries et propagées sur le gouvernement futur du comte d'Artois étaient pour Charles X une heureuse occasion de les démentir. On était disposé à être reconnaissant de toutes les fautes qu'il se refuserait à commettre. Tromper les sinistres prophéties qu'on avait répandues sur ses premiers actes en montant au trône, c'était pour lui s'assurer les bénédictions de son peuple. M. de Villèle et ses collègues, qui avaient porté leurs portefeuilles au roi à Saint-Cloud, la nuit même qui suivit la mort de Louis XVIII, les reçurent de nouveau des mains de Charles X. C'était dire au pays que le changement de roi ne changeait rien au gouvernement. La modération et l'esprit constitutionnel de M. de Villèle étaient une garantie aux yeux de l'opinion conservatrice. Quand un prince prémédite des excès, son premier acte est d'éloigner de lui les modérateurs. Le nom de M. de Villèle, conservé à la tête du gouvernement, était une proclamation tacite de bon sens. II suffisait aux royalistes, il n'alarmait pas les libéraux ; il n'offusquait que les ambitieux, les insensés ou les intrigants de cour. Les premières paroles de Charles X aux grands corps de l'État, dont les députations vinrent le féliciter à Saint-Cloud, dilatèrent le cœur de la France, elles furent empreintes d'autant de piété fraternelle que de politique. « Je veux, » dit-il, « continuer le règne de mon frère !... J'ai pro- mis de maintenir la Charte et les institutions que nous devons au roi que le ciel vient de nous enlever ; aujourd'hui que le droit de naissance a fait tomber le pouvoir entre mes mains, je l'emploierai tout entier à consolider, pour le bonheur de mon peuple, le grand acte que j'ai juré de maintenir ! » Il commença son règne par des profusions de grâces et de titres à sa famille et à sa cour. Il se hâta d'effacer toute trace de ressentiments passés entre les branches de la maison royale, en accordant au duc d'Orléans le titre d'Altesse Royale, qui le rapprochait des honneurs du trône et que Louis XVIII avait constamment refusé aux sollicitations de ce prince. « Il est déjà assez près du trône, » avait dit le roi, « je me garderai bien de l'en rapprocher davantage. » Il ajouta à cette faveur le don au duc d'Orléans, sous le titre féodal d'apanages, des immenses domaines de sa maison légalement supprimés par les lois de 1791, domaines qui allaient faire de ce prince le plus opulent propriétaire du royaume ; et, par un excès de sollicitude pour la sécurité future du duc d'Orléans, le roi voulut que ce don fût légalisé irrévocablement par les Chambres, dans la loi même qui constituerait sa propre dotation royale. Jugeant le cœur de ses proches par son propre cœur, il crut en chasser l'ambition par l'excès des bienfaits, et ne voulut d'autre prudence que l'imprudence de la magnanimité. Il accueillit avec une cordialité chevaleresque les maréchaux et les généraux de l'empire, qui n'avaient pas encore obtenu jusque-là l'oubli de Waterloo ou des armes portées contre les Bourbons. Le maréchal Grouchy, dont le duc d'Angoulême avait été le prisonnier dans le Midi en 484 5, rentra en faveur. Le roi dit au général Excelmans : « Général, je ne me souviens pas du passé, mais je suis certain que je puis compter sur vous pour l'avenir. » De tels préludes de règne et de telles paroles, répétées par l'écho de la France entière, ouvraient toutes les âmes à d'heureux pressentiments. Il fit son entrée dans Paris le 27 septembre sous ces auspices. Le peuple entier s'était porté au-devant de son roi. Quelques courtisans avaient voulu l'engager à prendre des précautions contre la balle ou le poignard d'un assassin dans cette cérémonie, qui l'exposait pendant tant d'heures à la foule. « Pourquoi ? » répondit-il. « On ne peut me haïr sans me » connaître, et je suis sûr que quand on me connaîtra on ne pourra me haïr ! » Escorté d'une armée et acclamé d'une nation ivre d'espérance, il traversa, monté sur un cheval arabe d'une robe argentée, qu'il maniait avec la grâce d'un jeune homme, tout l'espace compris entre Saint-Cloud et la cathédrale de Paris. L'archevêque, qui l'attendait à la porte à la tête de son clergé, lui adressa un discours ambigu et malséant, où perçait la provocation sacerdotale à un pouvoir sans autre responsabilité que Dieu même. Le roi parut l'entendre avec défaveur. Il ne témoigna dans sa réponse que la pieuse humilité d'un prince qui sent le fardeau plus que l'orgueil de son rang et qui vient implorer non les vanités, mais les assistances du ciel. Il rentra aux Tuileries dans le même appareil. On lui demanda s'il était fatigué de la marche et de la cérémonie, qui avaient duré tout un jour. « Non, » dit-il, « la joie ne fatigue pas. » Il n'avait recueilli que des regards, des larmes et des acclamations. sur sa route. Il introduisit le duc d'Angoulême dans le gouvernement en lui donnant la direction supérieure de l'armée, dont ce prince avait si justement conquis l'estime. Affamé de cette popularité dont il venait de goûter les prémices, il proposa lui-même au conseil des ministres d'abolir la censure des journaux, mesure odieuse, impatiemment subie par l'opinion pendant les derniers mois du dernier règne. Le journalisme répondit à cette libéralité de cœur par une ivresse de reconnaissance, qui porta l'enthousiasme de Paris jusqu'au délire. « Un nouveau règne s'ouvre, » disaient les journaux les plus acerbes contre les Bourbons ; « ce roi veut le bien ! sa sagesse écarte du premier mot le nuage sous lequel les mauvais gouvernements dérobent leurs mauvaises pensées ; plus de piège à craindre quand on provoque soi-même la lumière ! » La garde nationale, population d'élite de Paris, qui en représentait alors l'opinion et la force, passée en revue par le roi le lendemain, dans le Champ-de-Mars, le reçut comme le restaurateur de la liberté. « Point de hallebardes entre mon peuple et moi ! » s'écria le prince enivré de ces acclamations, aux officiers de sa garde qui voulaient le protéger contre les empressements tumultueux de la multitude. Cette revue ne fut qu'un long embrassement du roi et du peuple. VI. Cependant la session des Chambres allait s'ouvrir, et le gouvernement, plus difficile que le règne, réclamait ses soins. Le roi parut devant les Chambres réunies le 2 décembre 4 85. « Le premier besoin de mon cœur, » dit-il, « est de vous parler de ma douleur et de la vôtre. Nous avons perdu un roi sage et bon. La gloire de son règne ne s'effacera jamais. Non-seulement il a relevé le trône de mes ancêtres, mais il l'a consolidé par des institutions qui, en rapprochant et en réunissant le passé et le présent, ont rendu à la France le repos et le bonheur... Le roi mon frère trouvait une grande consolation à préparer les moyens de fermer les plaies de la révolution ; le moment est venu d'exécuter les sages desseins qu'il avait conçus. La situation de nos finances permettra d'accomplir ce grand acte de justice et de politique sans accroître les impôts, sans nuire au crédit. Je veux que la cérémonie de mon sacre termine la première session de mon règne. Vous assisterez, messieurs, à cette auguste cérémonie. Là, prosterné au pied du même autel où Clovis reçut l'onction sainte, et en présence de celui qui juge les peuples et les rois, je renouvellerai le serment de maintenir et de faire observer les institutions octroyées par le roi mon frère ; je remercierai la divine Providence d'avoir daigné se servir de moi pour réparer les derniers malheurs de mon peuple, et je la conjurerai de continuer à protéger cette belle France que je suis fier de gouverner. » Un applaudissement unanime accueillit ce discours. Les royalistes y applaudissaient les promesses de réparation des ruines de leurs fortunes ; les libéraux, les promesses de fidélité aux institutions gardiennes de la liberté. Charles X rentra aux Tuileries roi des deux camps qui se partageaient la France : espoir des uns, garant des autres. Son règne séduisait tout le monde et surtout lui-même. VII. Le premier murmure fut provoqué par une mesure impolitique et jalouse du ministre, qui éliminait du service actif dans l'armée un grand nombre de généraux de la République et de l'Empire ralliés désormais de cœur et d'intérêt aux Bourbons et qu'on rejetait ainsi dans la désaffection. Le roi, informé trop tard des sévérités de cette mesure, la corrigea par des exceptions presque aussi nombreuses que les éliminations et par des paroles qui en effacèrent promptement l'impression. Ses ministres présentèrent aux Chambres, le 3 janvier, les lois caractéristiques de son règne. La première réglait la dotation de la couronne pendant la vie du roi ; la seconde affectait aux émigrés ruinés par la révolution un milliard d'indemnité, réparation de leurs biens confisqués ; la troisième donnait à l'Église une satisfaction téméraire et cruelle par le crime du sacrilège rétabli dans la loi civile et vengé par la peine de mort ; la quatrième rétablissait les premières assises du régime monacal aboli par l'Assemblée constituante, en instituant le droit d'hériter et de posséder des propriétés incommutables en faveur des congrégations ou des ordres monastiques. L'opinion s'émut à ces symptômes de retour au passé ; la loi sur la dotation de la couronne était consentie d'avance par tout le monde. La France ne marchande pas les honneurs et les subsides aux gouvernements dont elle espère bien, et l'état prospère dans lequel Louis XVIII laissait les finances enlevait tout prétexte à la parcimonie des Chambres. La loi sur l'indemnité des émigrés était un acte de trop haute politique pour être jugée de près comme elle méritait d'être jugée à distance. Les uns y voyaient une tentative de restaurer l'aristocratie en leur faveur ; les autres, un outrage à la révolution à leurs dépens. Il fallait du temps et du sang-froid pour que tous y vissent ce que les hommes d'État impartiaux y voient aujourd'hui et y voyaient d'avance, une grande amnistie mutuelle de toutes les fortunes, une récrimination éternelle enlevée aux victimes, une inquiétude dangereuse calmée dans les acquéreurs des dépouilles, une valeur immense de circulation rendue aux propriétés avilies par une mauvaise origine ; enfin le plus grand acte politique, administratif et financier de la restauration, la pensée de Louis XVIII, l'œuvre de Charles X, la gloire de M. de Villèle. La loi sur le sacrilège soulevait toutes les consciences éclairées. Celle sur le rétablissement légal des ordres monastiques alarmait toutes les prévoyances. L'une et l'autre étaient un défi à l'esprit du siècle. Ces trois lois, présentées ainsi ensemble par le nouveau gouvernement aux Chambres, caractérisaient d'avance le règne et le ministère de M. de Villèle. Dans la loi sur l'indemnité des émigrés, un grand bon sens politique formulé dans une mesure aussi nationale que monarchique ; dans les deux lois sur la religion, une concession déplorable et fatale aux exigences du parti sacerdotal plus ingouvernable que le parti royaliste, exigences formulées dans deux mesures qui remettaient la fortune publique et le glaive du bourreau dans les mains du culte. VIII. La Chambre des députés vota d'enthousiasme la dotation de la couronne pendant le règne. Quelques royalistes réclamèrent seulement contre la création téméraire d'un immense apanage entre les mains d'un prince tel que le duc d'Orléans, rival dangereux des héritiers du trône. Par un renversement de rôle, dont les partis politiques donnent souvent le scandale, les libéraux, et le général Foy à leur tête, justifièrent cette munificence féodale attribuée au duc d'Orléans. La popularité du prince, qui caressait déjà l'opposition, couvrait à leurs yeux l'impopularité de la mesure : tout ce qui profite est juste aux yeux d'un parti. Les richesses du duc d'Orléans leur semblaient la dotation des factions futures. La loi fut votée à la faveur de ces discours de l'opposition ; le général Foy fut le patron de ce client presque royal. Le duc de Montmorency, rapporteur à la Chambre des pairs de la loi sur les communautés religieuses, renchérit encore sur les dispositions favorables à la propriété concentrée et perpétuée entre les mains des ordres monastiques. Homme sincère et pieux, converti par l'adversité à la foi de ses pères, M. de Montmorency, qui avait fait inaugurer autrefois les cendres des philosophes au Panthéon, croyait réparer une erreur par une autre, et servir la cause de Dieu en servant la fortune des ordres religieux. La Chambre des pairs, où dominait l'esprit de retour aux cultes d'État et aux sacerdoces politiques, ne pouvait rien refuser à M. de Montmorency. IX. Cette Chambre résista davantage à inscrire dans la loi pénale d'un siècle, dont la liberté des croyances était le caractère, la vengeance d'un dogme par la mort. « La profanation des vases sacrés et des hosties consacrées, » disait la loi présentée par le gouvernement de Charles X, « est un crime de sacrilège. La profanation des vases » sacrés est punie de mort simple ; la profanation des hosties consacrées est punie de la peine des parricides. Le parricide est conduit à l'échafaud, pieds nus, la tête couverte d'un voile noir, et, après qu'il a entendu l'arrêt qui le condamne, on lui tranche la main, puis la tête. » C'était introduire l'ordre surnaturel dans l'ordre naturel, c'était imposer aux sens la visibilité et la palpabilité des choses impalpables et invisibles ; c'était renverser la nature et contraindre le coupable, sous peine de mort, à confesser, dans un sacrement qu'il n'admettait pas, la présence et la majesté de la Divinité elle-même. Quelques esprits sensés et de sang-froid, dans la Chambre des pairs, les Molé, les Lally-Tollendal, les de Broglie, les Barante, les Pasquier, les Pontécoulant, les Lanjuinais, Chateaubriand lui-même, se soulevèrent, au nom de la raison humaine, de l'humanité et de la religion, contre cette loi injuste et barbare. La masse des complaisants du prince, des courtisans du clergé, des superstitieux sincères, des routiniers de siècles, des chefs intéressés de l'épiscopat, des indifférents aux choses saintes, qui jouent leur âme comme ils jouent l'âme du peuple au jeu de la politique, devait prévaloir. Un philosophe religieux, M. de Bonald, homme doux de caractère, absolu de paradoxe, leur prêta de bonne foi l'éloquence et l'autorité de sa parole. Son discours fut la théorie de la persécution. A l'exemple de tous les théoriciens sanguinaires, qui prennent leur conviction pour une vérité, il parla en prophète au lieu de parler en législateur. Il crut être, comme son coreligionnaire, M. de Maistre, non plus l'organe d'une opinion humaine et faillible parce qu'elle est humaine, mais l'organe infaillible de Dieu. M. de Maistre venait de déifier le bourreau, M. de Bonald divinisa le supplice ; il écarta avec une dérision sainte et superbe les scrupules qui pourraient faire hésiter le croyant devant le sang de l'incrédule. « On se récrie, » dit-il, « contre la peine de mort ? Osons proclamer ici des vérités fortes : si les bons doivent leur vie à la société comme service, les méchants la lui doivent comme exemple. La religion, dites-vous, ordonne aux hommes de pardonner ? Oui, mais en prescrivant au pouvoir de punir, car, dit l'Apôtre, ce n'est pas sans cause qu'il porte le glaive. Le Sauveur a demandé grâce pour ses bourreaux ? Oui, mais son père ne l'a pas exaucé, il a même étendu le châtiment sur tout un peuple qui, sans chef, sans territoire et sans autel, traîne partout l'anathème dont il est frappé !... Quant au criminel sacrilège, d'ailleurs, que faites- vous par une sentence de mort, sinon de l'envoyer devant son juge naturel ? » Comment des hommes qui proféraient et qui applaudissaient de telles paroles gardaient-ils le droit de frémir des paroles des immolateurs de la terreur qui avait décimé leurs pères ? Nous demandons des supplices au nom d'une foi, répondaient-ils, et les terroristes les demandaient au nom d'une opinion. Mais une foi n'est-elle pas une opinion de la conscience comme une opinion est une foi de l'esprit ? Non, une opinion ou une foi personnelle qui demande du sang au nom de Dieu ou au nom des hommes n'est plus ni une foi ni une opinion, elle est un crime, et, avant que Dieu la désavoue, l'histoire doit la flétrir. On s'adressa aux pairs ecclésiastiques pour les conjurer ou de voter contre la peine de mort interdite à leur profession sacrée, ou de s'abstenir. Ils répondirent, par la bouche du cardinal de La Fare, un des conseillers de conscience du roi, que si leur profession leur interdisait d'appliquer la mort de leurs propres mains, elle ne leur défendait pas de la voter comme législateurs, et qu'ils la voteraient ! Une forte majorité livra les sacrilèges au bras séculier. X. A la Chambre des députés, M. Royer-Collard vengea la raison, la liberté de conscience, l'humanité et la Divinité outragées par la loi, dans un des plus puissants discours que la philosophie, la religion et l'éloquence aient jamais inspirés à la tribune française. Il pénétra par des définitions implacables jusque dans les profondeurs d'ineptie volontaire, d'impiété masquée et de férocité ouverte que recélait la mesure du gouvernement. « Qu'est-ce que le sacrilège ? » s'écria-t-il. « C'est, selon le projet de loi, la profanation des vases sacrés et des hosties consacrées. Qu'est-ce que la profanation ? C'est toute voie de fait commise volontairement, par haine ou par mépris de la religion. Qu'est-ce que les hosties consacrées ? Nous croyons, nous catholiques, que les hosties consacrées ne sont plus les hosties que nous voyons, mais Jésus-Christ le Saint des saints, Dieu et homme tout ensemble, invisible et présent dans le plus auguste de nos mystères. Ainsi la voie de fait se commet envers Jésus-Christ lui-même. L'irrévérence de ce langage est choquante, car la religion a aussi sa pudeur, mais c'est celui de la loi. Le sacrilège consiste donc, j'en prends la loi à témoin, dans une voie de fait commise sur Jésus-Christ. Le crime qu'elle punit sous le nom de sacrilège est l'outrage direct à la majesté divine, c'est-à-dire, selon les anciennes ordonnances, le crime de lèse-majesté divine, et, comme ce crime sort tout entier du dogme catholique de la présence réelle, il résulta que si on sépare des hosties, par la pensée, la présence réelle de Jésus-Christ et sa divinité, le sacrilège disparaît avec la peine 'qui lui est infligée. C'est le dogme qui fait le crime, et c'est encore le dogme qui le qualifie. « Depuis trois siècles la religion chrétienne est malheureusement déchirée en catholique et protestante, le dogme de la présence réelle n'est vrai qu'en deçà du détroit : il est faux et idolâtre au-delà. La vérité est bornée par les mers, les fleuves, les montagnes ; un méridien, comme le dit Pascal, en décide. Il y a autant de vérités que de religions d'État. Bien plus, si dans chaque État, et sous le même méridien, la loi politique change, la vérité, compagne docile, change avec elle ; et toutes ces vérités contradictoires entre elles sont la vérité au même titre, vérité immuable, absolue, à laquelle, selon votre loi, il doit être satisfait par des supplices qui, toujours et partout, seront également justes. On ne saurait pousser plus loin le mépris de Dieu et des hommes, et cependant telles sont les conséquences naturelles et nécessaires de la vérité légale. Il est impossible de s'en relever dès qu'on admet le principe. Dira-t-on que ce n'est pas le principe du projet de loi ? Autant de fois qu'on le dira, je répéterai que le projet de loi admet le sacrilège légal envers les hosties consacrées, si la présence réelle n'est pas une vérité légale. « Mais voici d'autres conséquences du même principe. On ne joue pas avec la religion comme avec les hommes ; on ne lui fait pas sa part ; on ne lui dit pas avec empire qu'elle ira jusque-là, et pas plus loin. Le sacrilège résultant de la profanation des hosties consacrées est entré dans votre loi ; pourquoi celui-là seul, quand il y en a autant que de manières d'outrager Dieu ? Et pourquoi seulement le sacrilège, quand avec la même autorité l'hérésie et le blasphème frappent à la porte ? La vérité ne souffre point ces transactions partiales. De quel droit votre main profane scinde-t-elle la majesté divine, et la déclare-t-elle vulnérable sur un seul point, invulnérable sur tous les autres ? sensible aux voies de fait, insensible à toute autre espèce d'outrages ? Il a raison cet écrivain qui trouve votre loi mesquine, frauduleuse et même athée ! Dès qu'un seul des dogmes de la religion catholique passe dans la loi, cette religion tout entière doit être tenue pour vraie et les autres pour fausses ; elle doit faire partie de la constitution de l'État, et de là se répandre dans les institutions politiques et civiles. « J'ai voulu marquer, en rompant un long silence, » dit l'orateur en terminant, « ma vive opposition au principe théocratique, qui menace à la fois la religion et la société, principe d'autant plus sérieux, que ce ne sont pas, comme aux jours de la barbarie et de l'ignorance, les fureurs sincères d'un zèle trop ardent qui rallument cette torche. Il n'y a plus de Dominique, et nous ne sommes pas non plus des Albigeois. La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique ; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte ; ce qui la renouvelle, c'est qu'elle a un aspect contre-révolutionnaire. Sans doute, messieurs, la révolution a été [ici maque deux pages]. Charles X avait dit dès le premier jour le dernier mot de son règne : restitution de la France à l'Église par la loi civile. Le fond des âmes était touché. L'esprit humain frémit en apercevant le joug qu'on 1m teignait d'avance des maximes et du sang des âges barbares. On aimait le roi, on craignait le règne. La religion, qu'on vénérait comme la plus sainte expression de la liberté, prit dans l'esprit du peuple les couleurs d'une tyrannie. En appelant Dieu dans les querelles humaines, on dépopularisait jusqu'à son nom. XII. La discussion sur l'indemnité aux émigrés touchait à des intérêts d'un ordre inférieur ; mais le gouvernement rencontrait devant lui les deux forces de résistance les plus difficiles à convaincre, des préjugés et des intérêts. Ces préjugés et ces intérêts n'étaient que des sophismes. Cependant, quand avec des sophismes des orateurs remuent les susceptibilités nationales et les avarices malentendues des classes contribuables, ces orateurs peuvent susciter d'insurmontables obstacles aux meilleures pensées des hommes d'État. L'opposition s'efforçait de persuader à la France que l'indemnité aux émit grés était en principe une amende honorable imposée par la contre-révolution couronnée à la révolution insultée. Elle s'efforçait en outre de convaincre les contribuables que l'indemnité puisée dans leur épargne ou dans leur crédit serait une dîme de leur fortune jetée par un gouvernement partial dans la fortune de l'aristocratie. Ni l'une ni l'autre de ces pensées n'était celle de M. de Villèle et du roi. La dynastie avait trop d'intérêt à flatter la masse de la nation pour l'insulter gratuitement au profit de quelques proscrits oubliés dans leur médiocrité en province ou apaisés par des faveurs à Paris. Elle n'avait pas plus d'intérêt à décimer et à désaffectionner la propriété territoriale d'une bourgeoisie riche et généralement royaliste, qui lui envoyait depuis 1 81 4 des majorités dévouées ou serviles, en faveur de quelques émigrés ou fils d'émigrés impopulaires de qui elle ne pouvait attendre ni nombre, ni force dans les élections des villes ou des départements. L'indemnité des émigrés n'était donc nullement dans les conseils de la couronne une vengeance de parti, mais une pensée d'État. XIII. La totalité des biens vendus par la nation, comme dépouilles et comme vengeance de l'émigration, pendant les différentes phases des confiscations depuis 1793 jusqu'en 4803, s'élevait au chiffre d'un milliard moins quelques millions. Ce milliard représentait en morale non-seulement la réparation de l'iniquité des confiscations sur les innocents, tels que les veuves, enfants, vieillards, familles, héritiers directs ou collatéraux entraînés hors de la patrie par le chef de la maison, ou punis par la confiscation de leurs héritages pour le crime d'un autre, les années de proscription passées sur la terre étrangère, les angoisses souffertes, les indigences traînées dans l'exil, les larmes de deux ou trois générations, la rentrée sans asile et sans pain dans la patrie, la mendicité subie à côté des domaines et des demeures paternelles possédées par d'autres, les ressentiments, les malédictions contre les nouveaux possesseurs investis à prix dérisoire des terres et des maisons confisquées, mais l'apaisement des inquiétudes de ces nouveaux possesseurs eux-mêmes, jouissant sans sécurité d'un bien douteux, et effaçait enfin cette prime aux révolutions futures sans cesse exposée aux yeux du peuple comme pour faire aspirer sa cupidité aux guerres civiles ; et aux victimes, afin d'avoir à son tour d'autres dépouilles à partager. XIV. En finances, ce milliard de réparation demandé à l'État représentait deux ou trois milliards de rehaussement de prix de ces propriétés nationales relevées à leur valeur naturelle, par la tache de leur origine lavée enfin sur les titres de leurs possesseurs. la sécurité de ces acquéreurs, le droit de plainte enlevé aux anciens possesseurs, le droit commun de propriété restitué à toutes les terres, ces domaines frappés longtemps d'interdit par l'opinion, remis enfin en circulation, vendus, achetés, échangés, divisés, subdivisés en parcelles légitimées comme tous les autres immeubles du royaume, cultivés, plantés, bâtis avec la sûreté de conscience et de transmission qui permet seule les réparations coûteuses, la population accrue à mesure des défrichements et des exploitations, enfin les droits d'enregistrement des ventes et des échanges de ces propriétés, multipliées dans une proportion croissante au profit du trésor public dans lequel chaque mutation verserait son impôt. En morale donc, c'était une réconciliation des classes et des cœurs ; en finances, c'était une monnaie incalculable battue avec la poussière à demi stérile des biens confisqués. Une seule loi hardiment conçue, généreusement votée, allait faire ce miracle de politique et de richesse au bénéfice de tous. Quel esprit de vertige et de ruine pouvait s'abstenir ou refuser ce bienfait national, parce qu'il était présenté par la main d'un roi ? XV. Tout le monde sentait dans sa conscience la vertu d'une pareille mesure ; mais le vice incorrigible jusqu'ici des assemblées délibérantes, c'est qu'une fois que les partis s'y sont classés, on n'y vote pas selon sa raison, on y vote selon son parti. Le parti de l'opposition se prononça contre cette loi, la plus libérale et la plus magnanime, parce qu'elle était présentée par un ministre royaliste. La discussion raviva les questions brûlantes du crime de l'émigration, du parricide des armes portées contre la patrie même ingrate, de la justice des confiscations du sol aux mains de ceux qui attaquent la famille nationale et le sol. Il y avait peu à répondre en principe à ce droit vengeur et protecteur des nations qui, dans tous les pays et dans tous les siècles, impose à ceux qui désavouent et menacent la patrie, l'amende de la patrie, cette loi du talion de la terre ; mais que n'y avait-il pas à répondre en fait, comme excuse à ceux qui se rappelaient les circonstances des émigrations françaises depuis 1789 jusqu'en 1830 ? Les premières, sans doute, mais en petit nombre, véritable conspiration de l'aristocratie de cour, guerre gratuitement déclarée avant l'heure du péril, aux réformes et aux transformations légitimes de leur patrie ; mais les autres, entraînements du corps de la noblesse à la suite de ces princes, fidélité de l'officier à son drapeau transporté au-delà de la frontière, dévouement chevaleresque et militaire de l'épée au roi, qui était la patrie du préjugé antique, fuites presque contraintes plus tard comme celles de La Fayette, du duc d'Orléans, de Carnot lui-même sur la terre étrangère pour échapper aux cachots, aux tribunaux révolutionnaires, aux échafauds, proscriptions volontaires pour devancer d'innombrables et implacables proscriptions ? D'ailleurs, quelles que fussent les excuses ou les aggravations du malheur on du crime de tant d'émigrations diverses et successives, si la confiscation qui les avait frappés était juste, appliquée aux coupables de désertion de la patrie, ne restait-elle pas inique, imméritée et spoliatrice appliquée aux innocents ? Quelle était donc la logique étrange de cette révolution faite pour proclamer le dogme de la personnalité des fautes, de la non-hérédité des peines, et qui jetait à la porte de leurs foyers paternels des vieillards, des femmes, des enfants, en expiation du crime ou de l'erreur d'un époux, d'un fils ou d'un père ? La nature n'était pas moins soulevée que la raison contre de tels sévices. Mais si ces sévices mêmes pouvaient être justifiés dans la chaleur de la lutte que la France avait eu à soutenir contre l'Europe armée et contre elle-même pendant les périls et les convulsions de la patrie, comment pouvaient-ils l'être à un quart de siècle de distance par des adversaires pacifiés et par des législateurs de sang-froid ? Les orateurs de l'opposition libérale, et parmi eux ceux-là même qui avaient sur leur vie la tache de l'émigration à l'étranger, tels que MM. de Thiard et de La Fayette, firent ce sacrifice à la popularité. Le général Foy, injuste pour la première fois envers les proscrits et envers la paix de son pays, réchauffa de son éloquence les colères éteintes de la révolution. Il osa comparer l'indemnité que la France réconciliée se votait à elle-même pour fermer ses blessures, au butin que les ennemis et les envahisseurs de la France conquise emportaient à l'étranger. Ce discours attrista la renommée généreuse de cet orateur. M. de La Bourdonnaie, l'adversaire implacable de M. de Villèle, parla d'un autre point de vue contre la loi. L'âpreté de son âme envenimait le bien même, quand ce bien lui venait d'un rival. Il demandait l'indemnité comme une peine infligée à la révolution, au lieu de la demander, avec M. de Villèle, comme une réparation à la gloire et au salut de tous. Demander ainsi l'indemnité eût été une insulte à la nation : M. de Villèle en faisait un hommage. XVI. Le duc de Broglie, jeune tribun de l'opposition libérale, et cette fois révolutionnaire, reporta à la tribune de la Chambre des pairs l'écho intempestif des sophismes cruels de ses amis de la Chambre des députés. Il chercha, comme le général Foy, à irriter le cœur du pays contre une mesure destinée à dilater son âme ; il fit entrevoir une vengeance dans une équité. M. de Chateaubriand lui répondit par des sentiments magnanimes et politiques, véritables arguments dans une telle question. La loi, ardemment attaquée, noblement défendue, l'emporta partout. Pour solder ce milliard aux proscrits de plusieurs régimes sans grever l'impôt, M. de Villèle en distribua le poids en cinq années, et le fit payer en titres de rentes 3 p. 100, créé pour cet usage. Une commission composée de pairs et de députés fut chargée de cette immense et laborieuse vérification. Ce qu'on avait déclaré impossible s'accomplit avec ordre, promptitude, régularité. En cinq ans, la grande plaie de la révolution fut fermée, et le milliard, réparti entre des millions de victimes ou d'héritiers des victimes, rendit la paix aux consciences, la sécurité aux acquéreurs, l'aisance aux indemnisés, la valeur aux terres, la solidité au crédit public, la circulation au sol. Cette mesure seule inscrite sur le tombeau de M. de Villèle serait la plus glorieuse épitaphe du financier et de l'homme d'État. XVII. Les membres de l'opposition qui avaient repoussé avec le plus d'obstination la mesure réparatrice de l'indemnité eurent le double bénéfice de la popularité acquise en la combattant et de la fortune récupérée en la recevant. Aucun d'entre eux ne la rejeta au Trésor comme le prix du crime. Le duc d'Orléans, déjà investi de son immense apanage, s'enrichit encore par cette munificence de quatorze millions. M. de La Fayette, M. de Thiard, le duc de Liancourt, M. Gaëtan de La Rochefoucauld, M. de Lameth, recouvrèrent des sommes importantes. La liquidation fut impartiale comme la pensée qui l'avait décrétée. Le roi ne compta ni avec ses ennemis, ni avec ses amis, il compta avec la France, qui devait lui survivre et qui bénéficiait à jamais de cette réparation. Quelques mesures de finance et l'examen contentieux des comptes de la guerre d'Espagne, à l'occasion desquels on accusait M. Ouvrard de corruption et l'état-major du duc d'Angoulême de concussion, occupèrent la fin de la session. Tout se borna à des rumeurs que rien ne justifia et qui tombèrent dans le domaine des calomnies ou des malveillances. Le roi, pressé de se faire sacrer par la main de la religion à laquelle il vouait son règne, ne permit pas à ses ministres de distraire la France par d'autres objets d'attention. XVIII. Le roi voyait dans cet acte un sacrement réel de sa couronne, le peuple une cérémonie qui reportait son imagination aux pompes du passé, les hommes politiques une concession à la cour de Rome, affectant l'investiture des rois, et un démenti en fait au principe non formulé, mais latent depuis 1789, de la souveraineté du peuple. Mais en masse on discutait sans véhémence sur un acte qui n'était généralement considéré que comme une grande étiquette de la royauté, sans importance pour ou contre les institutions du pays. C'était la fête de l'avènement au trône, un luxe de la couronne. Les serments d'exterminer les hérétiques que les rois de France prêtaient jadis à leur sacre, et qui n'étaient plus compatibles avec l'émancipation des consciences, furent modifiés de concert avec la cour de Rome et les évêques. On y substitua le serment de gouverner selon la Charte. C'était doric en réalité une consécration nouvelle de la liberté autant que de la couronne. La pompe, plus digne du théâtre que de l'histoire, fut aussi imposante que ces traditions à qui la foi antique manque, et qui ne vivent plus que des souvenirs et de l'appareil. Les envoyés de toutes les puissances de l'Europe y assistèrent dans toute la splendeur de leurs cours. Le clergé y reprit pour un moment la supériorité qu'il avait jadis sur les couronnes. On affecta de retrouver jusqu'à la sainte ampoule, huile miraculeuse que les superstitions royales des vieux siècles croyaient avoir été apportée du ciel par une colombe pour oindre les têtes couronnées, et que la Convention avait fait briser en 1793, comme une relique de la ligue des pontifes et des rois pour éblouir les peuples. Les personnages juraient généralement par le contraste de leur vie passée avec leurs fonctions présentes. Des maréchaux, soldats de la République et destructeurs de trônes, présentèrent au roi l'épée de Charlemagne. M. de Talleyrand, pontife officiant sur l'autel de la révolution au Champ - de - Mars en 1794, aujourd'hui marié et grand chambellan, chaussa les bottes fleurdelisées au fils aîné de l'Église. M. de Chateaubriand avait poétisé, dans une récente brochure, le sacre des rois comme une de ces ruines du passé que son génie se plaisait à colorer de souvenir. Il profita de cette circonstance pour se rapprocher du nouveau roi ; il en fut accueilli avec bonté, mais la grâce de Charles X pour l'ennemi de M. de Villèle n'alla jamais jusqu'à la confiance. Il ne trouvait pas dans l'émigré chevaleresque la discipline qui convient à la monarchie. Les républiques seules sont assez larges pour contenir certains hommes. M. de Chateaubriand, monarchique de bienséance et d'ambition, était républicain de génie. XIX. Une large amnistie, qui couvrait de l'indulgence royale toutes les séditions et toutes les fautes des ennemis des Bourbons, fut promulguée par le roi avant de rentrer à Paris. Son retour dans la capitale fut un triomphe. Le parti royaliste s'enivrait d'avoir retrouvé de la monarchie jusqu'à ses vestiges miraculeux ; le parti sacerdotal s'enorgueillissait d'avoir repris devant le peuple l'importance et l'attitude d'un conservateur des trônes ; le parti bonapartiste se confondait par toutes les faveurs militaires et courtisanesques avec l'ancienne aristocratie ; le parti libéral amnistié augurait un règne de mansuétude et de libre discussion ; le peuple, ébloui de luxe et de pompe, s'apaisait et se reposait dans un horizon de sérénité : ce furent les jours fériés de la royauté et de la vie de Charles X ; ils ne devaient pas être longs. XX. lin des hommes les plus dignes de jouir de cette sérénité de la patrie et d'illustrer la liberté sans ruiner le pouvoir, le général Foy, mourut le 29 novembre dans la force de ses années et dans la fleur de son talent. La maladie de ceux dont le génie palpite dans l'âme, une maladie de cœur l'emporta. Il mourut pauvre, comme les hommes qui s'oublient eux-mêmes en pensant à leur patrie. Son deuil rappela celui de Mirabeau. Toutes les classes de la nation s'y associèrent. Il n'avait pas le génie à la fois créateur et subversif du Démosthène français ; aussi n'était-il pas né à une de ces époques où la mission de l'orateur est de renverser et de reconstruire. L'époque de la Restauration demandait d'autres pensées et d'autres vertus. Le génie de cette tribune devait être l'équité qui fait la part aux passions des uns, aux souvenirs des autres, aux torts et aux vertus de tous, qui prend de toutes les opinions ce qu'elles ont d'honnête et d'utile à la cause commune, la patience qui ajourne à l'avenir ce qu'on ne pourrait arracher aux circonstances sans faire violence aux temps, le patriotisme qui oublie sa propre popularité pour mieux servir sa conscience, la parole sereine qui élève les discussions dans les régions calmes de la sagesse politique, au lieu de la parole passionnée qui trouble l'entendement des peuples, la justice enfin qui seule dans la bouche de l'orateur fait pardonner à la vérité : le général Foy avait reçu de la nature tous ces dons. Il avait donné dans les camps son sang à son pays sans prosterner sa servilité devant le despotisme. Sa longue disgrâce sous l'Empire était le témoignage de son indépendance. Il avait participé à la gloire, jamais à la prostration de quelques-uns de ses compagnons d'armes. Il avait placé son honneur dans ses sentiments, non dans ses grades. Républicain stoïque dans les rangs de l'armée impériale, il était républicain temporisateur et modéré dans les Chambres de la Restauration ; ce qu'il voulait de la République, c'était moins le nom que les vertus. Une liberté représentative et constitutionnelle, sous une monarchie tempérée et nécessaire à ses yeux pour sauver et reconstituer la patrie devant l'Europe lui suffisait pour le temps. Il avait plutôt du respect que de la répugnance pour la Restauration. Dans ses harangues les plus sévères on sentait des conseils bienveillants et non des haines. Il était reconnaissant aux Bourbons d'avoir reparu avec la liberté de 1789. Il pouvait être le ministre d'une charte autant que le tribun d'une démocratie. Il avait horreur de la démagogie, qui rabaisse les âmes et qui décompose les sociétés ; la boue et le sang répugnaient à sa nature comme à int conscience. Il possédait la véritable aristocratie des peuples, la noblesse des instincts. C'était le gentilhomme moderne relevant du peuple, et prenant ses titres dans son âme, et sa dignité dans ses sentiments. Quoique libre croyant en religion, il conservait pour le culte domestique de sa maison paternelle ces tendresses de la mémoire qui sont encore de la piété filiale quand ils ne sont déjà plus de la foi. Sa mère était pieuse, il adorait sa mémoire. Il s'était demandé à lui-même quelle serait la commémoration funèbre la plus douce aux -mânes de cette femme, si son âme pouvait se communiquer à son fils à travers la mort ? Il s'était répondu que c'était la célébration des mystères chrétiens auxquels elle aimait à assister. La vie des camps ou la vie des tribunes, ces camps de la politique, ne l'avaient jamais distrait de cette piété de famille. Quelle que fût la contrée ou le tribune dans lesquels sa vie de soldat ou sa vie de tribun l'avaient entraîné, le jour anniversaire de la mort de sa mère il s'éloignait de ses troupes ou de ses collègues ; il se retirait dans un recueillement religieux, réminiscence de ses jeunes années ; il cherchait un temple et un prêtre de campagne ; il prenait sur sa solde l'épargne nécessaire pour faire célébrer obscurément un service divin en commémoration de celle qui lui avait donné le jour. H y assistait avec larmes, et il répondait à ses camarades étonnés de cette piété dans un soldat républicain, qu'il fallait honorer les morts non selon les rites qu'on s'était conquis en soi-même, mais selon les rites dont ils jouissaient avec foi pendant leur vie mortelle. XXI. Un peuple entier, composé sans acception de toutes les classes et de toutes les opinions, mais dirigé principalement par les hommes de guerre et par les chefs d'opposition pressés de s'emparer de sa mémoire, lui fit toute une ville pour cortége. La jeunesse, dételant les chevaux de son char mortuaire, porta son cercueil à bras jusqu'au champ de mort. Casimir Périer, banquier libéral, avide alors d'une popularité funèbre, prononça sur sa tombe les adieux amers de l'opposition à son chef. Au moment où il célébrait le désintéressement réel du général Foy, et où il montrait au peuple celui qui avait remué tant de fois l'âme du pays et décliné le pouvoir et la fortune qui s'offraient à lui, mourant sans laisser d'héritage à sa veuve et à cinq enfants : u Nous les adoptons ! » s'écria le peuple. Le lendemain la France tint parole à sa mémoire. Une souscription nationale, provoquée par l'opinion, ratifiée par l'estime, offrit un million à la famille de l'orateur. Le duc d'Orléans, pressé de devancer tout vent populaire, souscrivit pour dix mille francs, Casimir Périer pour la même somme, M. Laffitte, qui ne voulait être dépassé par personne en munificence et en popularité, jeta cinquante mille francs sur cette tombe. La France s'honora elle-même en honorant ce grand et honnête citoyen. Il laissa à la tribune et dans les rangs de l'opposition loyale un vide qui ne fut jamais rempli. Au jour où la monarchie chancela, il aurait pu la redresser par ses conseils ou la remplacer par son initiative. Une liberté franche et républicaine, inspirée par l'âme du général Foy, aurait moins corrompu la nation qu'une usurpation de trône par le premier tuteur naturel de l'hérédité. |