HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

LIVRE PREMIER.

 

 

LIVRE PREMIER

 

Signes distinctifs des révolutions. — Caractère de la révolution de 1848. — Ses antécédents dans l'histoire. — Portrait du roi Louis Philippe. — Situation de la France en 1848. — Oligarchie parlementaire. — M. Thiers. — M. Odilon Barrot. — M. Guizot. — Inquiétude et défiance de l'opinion publique. — Revue du journalisme. — Le Journal des Débats. — La Presse et M. de Girardin. — Le Siècle et M. de Chambolle. — La Gazette de France et M. de Genoude. — Le National et M. Marrast. — La Réforme et M. Flocon. — Coalition des partis contre le ministère de M. Guizot. — Banquets politiques. — Alliance de l'opposition dynastique et du parti républicain. — Banquet offert par la ville de Mâcon à M. de Lamartine, après la publication de l'Histoire des Girondins. — Esprit et mission de ce livre. — Discours de M. de Lamartine au banquet de Mâcon. — Attaques de M. de Lamartine contre le banquet révolutionnaire de Dijon et le banquet communiste d'Autun. — Propagande et agitation des banquets dans le peuple.

 

I.

Les révolutions de l'esprit humain sont lentes comme les périodes de la vie des peuples. Elles ressemblent au phénomène de la végétation qui grandit la plante sans que l'œil nu puisse mesurer sa croissance, pendant qu'elle s'accomplit.

Dieu a proportionné, dans tous les êtres, celle période de croissance à la période de durée qu'il leur destine. Les hommes qui doivent vivre cent ans grandissent jusqu'à vingt-cinq et même au delà. Les peuples qui doivent vivre deux ou trois mille ans ont des révolutions de développement, d'enfance, de jeunesse, de virilité, puis de vieillesse qui ne durent pas moins de deux ou trois cents ans. Le difficile pour le vulgaire, c'est de distinguer dans ces phénomènes convulsifs des révolutions d'un peuple, les crises de croissance des crises de décadence, la jeunesse de la vieillesse, la vie de la mort.

Les philosophes superficiels s'y trompent eux-mêmes, ils disent : tel peuple en est à sa décadence parce que ses vieilles institutions se décomposent ; il va mourir parce qu'il rajeunit. On a entendu cela au commencement de la révolution française, au moment où la monarchie absolue périssait. On l'avait entendu à la décadence de la féodalité. On l'avait entendu à la chute de la théocratie. On l'entend aujourd'hui à la chute de la monarchie constitutionnelle.

On se trompe : la France est jeune, elle usera encore de nombreuses formes de gouvernement avant d'avoir usé la forte vie intellectuelle dont Dieu a doué la race française. Il y a cependant un moyen certain de ne pas se tromper au caractère de ces crises, c'est de considérer quel est l'élément qui domine dans une révolution. Si les révolutions sont le produit d'un vice, d'une personnalité, des crimes ou de la grandeur isolée d'un homme, d'une ambition individuelle ou nationale, d'une rivalité de trône entre deux dynasties, d'une soif de conquête ou de sang ou Même de gloire injuste dans la nation, d'une haine surtout entre les classes de citoyens ; de telles révolutions sont des préludes de décadence et des signes de décomposition et de mort dans une race humaine. Si les révolutions sont le produit d'une idée morale, d'une raison, d'une logique, d'un sentiment, d'une aspiration, fût-elle même aveugle et sourde, vers un meilleur ordre de gouvernement et de société, d'une soif de développement et de perfectionnement dans les rapports des citoyens entre eux ou de la nation avec les antres nations ; si elles sont un idéal élevé au lieu d'être une passion abjecte ; de telles révolutions attestent même dans leurs catastrophes et dans leurs égarements passagers une sève, une jeunesse, et une vie qui promettent de longues et glorieuses périodes de croissance aux races, Or tel fut le caractère de la révolution française de 1789 : et tel est le caractère de la seconde révolution française de 1848.

La révolution de 1848 n'est qu'une continuation de la première avec des éléments de désordre de moins et des éléments de progrès de plus. Dans l'une et dans l'autre c'est une idée morale qui fait explosion dans le monde. Cette idée, c'est le peuple, le peuple qui se dégage en 1789 de la servitude, de l'ignorance, du privilège, du préjugé, de la monarchie absolue[1], le peuple qui se dégage en 1848 de l'oligarchie du petit nombre et de la monarchie représentative à proportions trop étroites, l'éclosion du droit et de l'intérêt des masses dans le gouvernement. Or l'idée du peuple et l'avènement régulier des masses dans la politique, quelques difficultés que présente aux hommes d'Etat un phénomène démocratique si nouveau, cette idée, disons-nous, étant une vérité morale de toute évidence pour l'esprit comme pour le cœur du philosophe, la révolution qui porte et qui remue cette idée dans son sein est une révolution de vie et non mie révolution de mort. Dieu y assiste, et le peuple en sortira grandi en droit, en force et en vertu. Elle pourra trébucher en route par l'ignorance des masses, par l'impatience du peuple, par les factions et par les sophismes des hommes voulant substituer leurs personnalités au peuple lui-même. mais elle finira par écarter ces hommes, par sonder ces sophismes et par développer le germe de raison, de justice et de vertu que Dieu a mis dans le sang de la famille française. C'est cette seconde crise de la révolution de notre pays à laquelle j'ai assisté, que je vais essayer d'écrire pour être utile au peuple en lui montrant sa propre image à une des plus grandes heures de son histoire, et pour honorer notre temps devant la postérité.

 

II.

Je dirai en peu de mots et d'autres diront avec plus d'étendue et de loisir les causes de cette révolution. Je cours au récit.

La révolution de 1789 à 1800 avait fatigué la France et le monde de ses débats, de ses convulsions, de ses grandeurs et de ses crimes. La France par une réaction triste, mais naturelle s'était passionnée pour le contraire de la liberté, pour le despotisme d'un soldat de génie. Je dis génie, mais je m'explique j'entends seulement le génie de la victoire et le génie du despotisme. Napoléon qui avait ce génie des camps était bien loin d'avoir le génie des sociétés. S'il l'avait eu, il aurait fait marcher la révolution en ordre sous ses aigles. Il la fit reculer et la refoula jusqu'au moyen âge. Il trahit son temps ou il ne le comprit pas. Son règne ne fut qu'une dure discipline imposée à une nation. Il fut à la France ce que la fatalité est au libre arbitre, une dégradation adorée et sublime, mais une dégradation enfin. Un peuple n'est grand que par lui-même, jamais par la grandeur de celui qui l'écrase en le dominant, plus Napoléon devenait grand, plus la liberté et la philosophie devenaient petites.

Après la chute de Napoléon, les frères exilés de Louis XVI revinrent un peu empreints des idées de 1789 et un peu mûris à la liberté par leur long séjour en Angleterre chez un peuple libre. Chose étonnante, niais vraie, ce fut la contre-révolution qui tomba du trône par la main des étrangers avec Napoléon, ce fut la révolution de 89 qui rentra en France avec les vieux princes de la race proscrite des Bourbons. C'est ce qui les fit accueillir la Charte constitutionnelle à la main. La France y reconnaissait les doctrines de Mirabeau et le testament de son Assemblée constituante. Louis XVIII l'observa habilement et mourut tranquille à l'ombre de l'idée de 80. Charles X eut des réminiscences trop vives de son sang. il crut pouvoir jouer avec la Charte qui contenait tout ce qui restait en France de la révolution. lI vieillit et mourut dans l'exil. Il y entraîna son petit-fils puni dans son berceau de la vétusté d'idées et de la légèreté d'esprit de son aïeul.

 

III.

Louis-Philippe d'Orléans fut appelé au trône comme la révolution vivante et couronnée de 1789. Ce prince vit encore. Mais entre le trône et l'exil il y a aussi loin qu'entre la vie et la mort. J'en parlerai donc avec la même liberté que s'il avait cessé d'exister. Vivant, je ne l'ai point flatté. Je me suis tenu respectivement à distance de son règne et de ses faveurs, exilé et mort pour l'empire je ne l'offenserai pas. L'exil et la vieillesse commandent aux cœurs des hommes plus de respect encore que la tombe. La France a eu le droit de le laisser tomber du trône, l'histoire, selon moi n'aura ni le droit de le haïr, ni le choit de le dédaigner, L'homme tient une grande place par lui dans le règne, et son règne tiendra une grande place aussi dans l'histoire. Il n'y a rien de si petit que de rapetisser ses ennemis. Le peuple qui aura succédé à Louis Philippe n'a pas besoin de ce subterfuge des rois qui avilissent toujours leurs prédécesseurs. Le peuple est assez grand pour se mesurer avec un roi détrôné et pour laisser toute sa taille au souverain qu'il a remplacé.

 

IV.

Louis Philippe d'Orléans était de race révolutionnaire, quoique prince du sang. Son père avait trempé dans les excès les plus déplorables de la Convention. Il s'était popularisé non dans la gloire, mais dans les humanités de cette époque. Les fautes du père étaient aux yeux de la révolution de 1850 les gages du fils.

Louis-Philippe néanmoins était trop honnête et trop habile homme pour tenir à la révolution qui le proclamait roi les promesses sanglantes de son nom. La nature avait fait ce prince probe et modéré ; l'exil et l'expérience l'avaient fait politique. La difficulté de son rôle de prince parmi les démocrates et de démocrate parmi les princes dans le commencement de sa vie l'avait fait souple aux circonstances, patient aux événements, temporisateur avec la fortune. Il semblait pressentir que la destinée lui devait un trône. Il jouissait en attendant dans une vie domestique voilée modeste et irréprochable des douceurs et des vertus de la famille. Il avait toujours une déférence pour le roi régnant et un sourire d'intelligence pour les oppositions sans les encourager néanmoins par aucune complicité criminelle. Studieux, réfléchi, très-éclairé sur toutes les matières qm touchent au régime intérieur des empires, profondément versé dans l'histoire, diplomate comme Mazarin ou Talleyrand, d'une élocution facile, intarissable, qui ressemblait à l'éloquence autant que la conversation peut ressembler au discours, modèle des époux, exemple des pères au milieu d'une nation qui aime à voir les mœurs sur le trône, doux, humain, pacifique, né brave, mais avec l horreur du sang, on peut dire que la nature et l'art l'avaient doué de toutes les qualités qui font un roi populaire à l'exception d'une seule : la grandeur.

 

V.

Cette grandeur qui lui manquait, il la remplaçait par cette qualité secondaire que les hommes de moyenne proportion admirent et que les grands hommes dédaignent : l'habileté. il en usa et il en abusa. Quelques-uns des actes de cette habileté politique le firent descendre de son caractère jusqu'à des ruses qu'on aurait réprouvées chez un particulier. Qu'était-ce donc chez un roi ? Tel fut le déshonneur qu'il permit à ses ministres de jeter sur une princesse de sa maison. La duchesse de Berry, sa nièce, lui disputait le trône ; il lui laissa enlever le voile de sa vie privée de femme. Si cet acte, le plus immoral de son règne, fut commis pour éviter l'effusion du sang et pour décréditer la guerre civile, il faut le plaindre. S'il fut toléré par ambition personnelle, il faut le flétrir.

 

VI.

Trois partis s'agitaient autour de son trône : le parti républicain, à qui l'indécision timorée de Lafayette avait laissé enlever la république en 1850. le parti légitimiste, qui adorait la branche aînée des Bourbons comme un dogme et qui abhorrait la branche cadette comme une profanation de la monarchie, enfin le parti libéral et constitutionnel, composé de l'immense majorité de la nation. Ce parti voyait dans Louis Philippe la transaction vivante entre la royauté et la république, la dernière forme d'une dynastie héréditaire, le dernier espoir de la monarchie.

Il n'entre pas dans notre plan de raconter comment ce prince frappa les républicains, qui ne cessèrent de conspirer contre son règne, pendant que des fanatiques tramaient contre sa vie, comment il annula les légitimistes, qui restèrent dix-huit ans dans une neutralité hostile à son gouvernement, malgré sa longanimité à les attendre. comment enfin il manœuvra entre les différentes nuances du parti constitutionnel, en obtint tantôt une liberté, tantôt une complaisance, et finit par s'entourer d'une oligarchie étroite, dévouée ou corrompue, de courtisans aveugles, de fonctionnaires publics assouplis, et d'électeurs vendus à sa fortune.

Maitre des partis dans l'intérieur, inoffensif ou obséquieux envers l'étranger, à qui il sacrifiait tout pour en obtenir la tolérance de sa dynastie, heureux dans sa famille, entouré de fils qui auraient été des citoyens éminents, s'ils n'eussent pas été des princes, se voyant renaitre à la troisième génération dans ses petits-fils qu'il apprivoisait lui- même avec complaisance au trône, ayant pour cour une famille de princesses pieuses, belles, instruites, vénérées ou admirées, l'avenir lui apparaissait comme assuré à sa race par son étoile, et l'histoire comme conquise à son nom par le succès. Il léguait la monarchie restaurée et rajeunie ô la France, la paix au monde, trois trônes européens à sa dynastie. Sa verte vieillesse, dont il avait économisé les forces par la chasteté de son âge mûr, était le triomphe anticipé de la sagesse sur les difficultés de la vie et sur la mobilité du destin.

 

VII.

Tel était Louis Philippe au commencement de l'année 1848. Toute cette perspective était une réalité. Ses ennemis se déclaraient vaincus. Les partis ajournaient leurs espérances au jour de sa mort. La réflexion s'abîmait dans la contemplation d'une telle sagesse et d'une si constante fortune. Mais à cette sagesse et à cette fortune il manquait une plus large base : le peuple.

Louis Philippe n'avait pas compris tonte la démocratie dans ses pensées. Servi par des ministres habiles et éloquents, mais hommes de parlement pins qu'hommes d'État, il avait rétréci la démocratie aux proportions d'une dynastie élue, de deux chambres et de trois cent mille électeurs. Il avait laissé en dehors du droit et de l'action politique tout le reste de la nation. Il avait fait d'un cens d'argent le signe et le titre matérialiste de la souveraineté, au lieu de reconnaître et de faire constater cette souveraineté par le titre divin d'homme, de créature capable de droit, de discernement et de volonté. Eu un mot ses ministres imprévoyants et lui avaient mis leur foi dans une oligarchie au lieu de la fonder sur l'unanimité. Il n'y avait plus d'esclaves, mais il y avait un peuple entier condamné à se voir gouverné par une poignée de dignitaires électoraux. ces électeurs seuls étaient des hommes légaux. Les niasses n'étaient que des niasses portant le gouvernement sans y participer. Un tel gouvernement ne pouvait manquer de devenir égoïste, de telles masses ne pouvaient manquer de devenir désaffectionnées.

D'autres grandes fautes produites par l'enivrement naturel d'un esprit à qui tout réussit avaient contribué il aliéner insensiblement ces masses de la royauté. Le peuple n'a pas la science, mais il a le sentiment confus de la politique. Il s'était promptement aperçu que la nation était sacrifiée aux intérêts d'affermissement et d'agrandissement de la dynastie dans nos rapports avec l'étranger. que Louis Philippe humiliait la paix, que son alliance à tout prix avec Londres lui donnait quelquefois en Europe l'attitude d'un vice-roi de l'Angleterre sur le continent. que les traités de 1815, réaction naturelle, mais momentanée, des conquêtes injustes de l'Empire deviendraient avec sa dynastie l'état régulier et définitif du continent pour la France. que l'Angleterre, la Russie, l'Autriche, la Prusse, prenant d'année en année des dimensions immenses sur les mers, en Orient, en Pologne, en Italie, en Allemagne, sur le bas Danube, au delà du Caucase et du coté de la Turquie, la France à qui il était interdit de grandir en marine, en territoire, en influence, baissait à proportion daims la famille des peuples et se trouvait insensiblement et comparativement réduite à l'état de puissance secondaire. L'opinion sourde ou articulée de ces masses reprochait aussi au règne de Louis Philippe de trahir la révolution au dedans en reprenant une à une les traditions de la monarchie de droit divin, au lieu de se conformer à l'esprit démocratique de la monarchie élective de 1830.

 

VIII.

Une oligarchie parlementaire semblait être l'idéal accompli de ce prince formé à l'école du gouvernement britannique. Cette oligarchie même était trompée dans le mécanisme du gouvernement. Une chambre des pairs sans puissance propre et sans indépendance par l'absence d'hérédité n'était que l'ombre d'un sénat dont le roi pouvait à chaque instant dominer ou modifier la majorité en créant, à volonté de nouveaux sénateurs. Une chambre de députés pleine de fonctionnaires publics nommés ou destitués par les ministres ne renvoyait au roi qu'une opinion publique à son image. La corruption avouée était devenue un pouvoir de l'état. Enfin la paix qui avait été jusque-là le bienfait et la vertu de ce règne venait d'être tout à coup compromise par le mariage ambitieux et impolitique d'un fils du roi, le duc de Montpensier, avec une héritière éventuelle de la couronne d'Espagne.

Cette alliance rompait pour un intérêt purement dynastique l'alliance avec l'Angleterre que la nation supportait impatiemment, mais enfin qu'elle supportait dans un grand intérêt d'humanité, de liberté des mers, de commerce et d'industrie. En voyant tout à coup cette alliance jetée au vent pour un agrandissement de famille, la France crut reconnaître qu'il n'y avait de sincère que l'ambition dans les condescendances témoignées jusque là par son roi envers l'Angleterre, qu'à la première occasion on se jouerait de son sang, de ses industries, de son commerce, de sa marine pour établir à Madrid un prince de la famille d'Orléans, que le système de paix lui-même n'était qu'une hypocrisie de gouvernement et une forme de l'égoïsme dynastique.

 

IX.

De ce jour le roi dépopularisé dans le parti républicain par son trône, dépopularisé dans le parti légitimiste par son usurpation, fut dépopularisé dans le parti pacifique et gouvernemental par la guerre que le mariage espagnol suspendait sur la France. Il ne resta au roi qu'un ministère éloquent dans le parlement, agréable à la cour, et deux fortes majorités dans les deux chambres. Le roi se croyait invincible avec ce personnel du pouvoir dans les mains mais il ne tenait que le mécanisme et pour ainsi dire le vêtement du pays. La nation n'y était plus. L'opinion lui avait échappé.

Les hommes politiques de l'opposition attachés au système monarchique, mais adversaires impatients du ministère, se consumaient depuis sept ans dans des luttes acerbes de tribune pour reconquérir le pouvoir.

M. Thiers en était l'âme, l'intelligence et la parole. La nature l'avait formé pour le rôle d'agitateur intestin d'une assemblée plutôt que pour celui de tribun d'une nation. Il y avait plus en lui du Fox et du Pitt que du Mirabeau. Ses discours qui avaient tant servi il consolider la monarchie de juillet pendant les premières années de faiblesse servaient maintenant à la déraciner de l'estime et du cœur de la nation. Le parti républicain trop peu nombreux dans la chambre pour s'y faire écouter, applaudissait avec complaisance aux mordantes et spirituelles attaques dirigées par cet orateur contre la couronne. Ces agressions et ces audaces de critique personnelle semblaient acquérir une autorité d'opposition plus ruineuse en empruntant la parole d'un ancien ministre et d'un ancien ami de la royauté. L'opposition prenait, dans la bouche d'un adorateur du trône quelque chose du caractère du sacrilège.

 

X.

L'opposition constante, modérée, toujours libérale, jamais personnelle de M. Odilon Barrot fortifiait de jour en jour dans le pays le sentiment honnête et mille de la liberté sans dégrader autant la considération et l'autorité du trône. Les légitimistes effaçant leur principe et se bornant à une guerre de désaffection et de dénigrement obstinée, avaient dans M. Berryer un de ces orateurs à grande voix que la Providence réserve comme une consolation aux grandes causes vaincues. M. Guizot écrivain, orateur et philosophe, était l'homme d'Etat de la monarchie stationnaire. Son caractère, son esprit, son talent, ses erreurs, ses sophismes même avaient des proportions antiques.

Tous ces hommes vivent à côté de nous, les uns encore dans l'action, les autres à l'écart et dans l'exil. Il serait téméraire ou biche de les juger. Le temps ne les n pas mis au point de vue de l'impartialité et de la distance. La vérité n'est que dans le lointain. On risquerait en les caractérisant aujourd'hui ou de manquer de respect à leur caractère ou de manquer d'égards à leur éloignement. Il suffit en ce moment de les nommer.

 

XI.

La nation était calme à la surface, inquiète au fond. Il y avait comme un remords dans sa prospérité qui l'empêchait d'en jouir en paix. Elle sentait qu'on lui dérobait une à une pendant son sommeil toutes les vérités philosophiques de la révolution de 89, qu'on la matérialisait pour lui ôter le souvenir et la passion des progrès moraux et populaires qui lui avaient fait remuer le monde cinquante ans auparavant. Son bonheur semblait le prix d'une apostasie. D'un autre côté, elle se sentait humiliée et menacée dans son existence nationale par une politique qui la subordonnait trop à l'Europe. Elle n'aspirait point à la guerre, mais elle voulait sa liberté d'action, d'alliance, de principe et d'influence propre dans le monde. Elle manquait d'air extérieur. Elle se sentait trahie non de fait, mais d'esprit par la nouvelle dynastie qu'elle s'était imposée en 1850. Le roi était trop père et pas assez peuple.

Le journalisme, ce symptôme quotidien de l'état du pays, exprimait presque unanimement ce malaise de l'opinion. Le journalisme est la tribune universelle. Des hommes d'un talent fort, immense, varié, y parlaient avec une verve intarissable et une audace contenue au public. Les lois n'arrêtent que les mots, elles n'arrêtent pas l'esprit des oppositions et des factions. Des écrivains de haute doctrine ct de polémique transcendante avaient illustré le journalisme depuis André Chénier, Camille Desmoulins, Mirabeau, Bonald, Benjamin Constant, madame de Staël, Chateaubriand, Thiers, Carrel, Guizot, jusqu'aux publicistes actuels : les Bertin, les Sacy, les Girardin, les Marrast, les Chambolle, et une élite d'écrivains, de penseurs, de publicistes, d'économistes, de socialistes, génération politique nouvelle égale au moins par le talent, supérieure par la diversité à la génération du journalisme de la première période. ils se disputaient l'empire des esprits.

Le Journal des Débats, qui soutient les gouvernements tour à tour comme étant l'expression nécessaire des.intérêts tes plus essentiels et les plus permanents de la société, semblait rédigé par des hommes mûris dans le pouvoir. Il avait la gravité, l'élévation, le sarcasme dédaigneux, et quelquefois aussi la provocation poignante de la force. Il semblait régner avec la monarchie elle-même et se souvenir de l'empire. Les noms de tous les grands écrivains officiels qui concouraient on qui avaient concouru depuis M. de Fontanes jusqu'à M. Villemain à sa rédaction lui donnaient un prestige de supériorité sur la presse périodique plus jeune d'années et de passion. L'ampleur et l'impartialité de ses débats parlementaires, ses correspondances avec l'étranger, la sûreté et l'universalité de ses informations en faisaient le manuel de toutes les cours et de toute la diplomatie de l'Europe. C'était la note quotidienne du cabinet des Tuileries. Les sciences, la haute littérature, la philosophie, le théâtre, les arts, la critique s'y trouvaient analysés, reproduits, vivifiés dans ses feuilletons on la gravité n'était jamais lourde où la futilité même était relevée par la saillie d'Aristophane ou de Sterne. Il aura été donné à peu de feuilles légères de se continuer elles-mêmes pendant plus de cinquante ans et de faire pour ainsi dire partie de l'histoire de France.

Le Constitutionnel et le Courrier français avaient eu une grande part à la lutte de l'opinion libérale contre la restauration. Ils avaient popularisé la philosophie du dix-huitième siècle dans les masses. Sous la branche cadette, ils ne combattaient plus la dynastie. Ils n'attaquaient que les ministres et la majorité des Chambres.

Le journal la Presse, fondé plus récemment avait envahi en peu d'années un immense espace d'opinion. C'était l'éclectisme appliqué au temps. le libéralisme sans ses préjugés révolutionnaires. la monarchie constitutionnelle moins sa servilité ministérielle. trn homme au style aventureux comme son esprit osait tout ce qu'il pensait dans ce journal. Tantôt soutenant, tantôt sapant, mais toujours seul. Ses audaces étonnaient d'abord, puis subjuguaient l'opinion. Même en les réprouvant le public s'intéressait à sa hardiesse de plume. Une femme déjà illustrée par la poésie, ajoutait sa grâce à cette force. Ses lettres sur la politique, les mœurs, les modes paraissaient toutes les semaines au bas du journal signées d'un nom de convention. Toute la France était dans le secret. On lisait à travers ce pseudonyme un nom déjà célèbre. Ce nom ne faisait que changer de prestige en se vulgarisant par l'atticisme, l'éloquence et le Lou sens.

Le Siècle moins relevé de ton et d'idées que ces deux journaux s'était créé un immense auditoire parmi le publie affairé des trafiquants des villes et des campagnes. Il passait pour s'inspirer de la pensée des orateurs de la gauche dynastique. La droiture et l'impartialité étaient ses deux moyens de succès. Il faisait plus de bien que de bruit. Il popularisait l'esprit et non les formes de la république. Il commençait l'éducation de cette classe laborieuse du pays, qui a besoin d'une monnaie d'idées toute frappée et d'une valeur moyenne pour ses échanges quotidiens. M. Chambolle lui donnait l'empreinte de l'honnête homme persévérant et courageux, dans sa modération. Le Siècle entre ses mains était la saine démocratie de l'opinion. C'était plus qu'un journal, c'était le catéchisme de la Constitution.

La Gazette de France représentait moins un parti qu'un homme. M. de Genoude, esprit à la fois souple et impérieux, se pliait au temps dans l'illusion de plier ensuite le temps à sa propre pensée. Né au monde politique avec la Restauration, prêtre et citoyen, élève et ami des Bonald, des Lamennais, des Chateaubriand, des Villèle, il s'était attaché à la légitimité du pouvoir héréditaire comme à un dogme de sa conscience. Les Etats pour lui n'étaient que des familles. Il se trompait. les Etats sont des peuples, et ces peuples une fois leur enfance traversée, ne sont condamnés qu'à la tutelle de la morale et de la raison. La famille, c'est l'humanité. le père, ce n'est pas le roi, c'est Dieu.

Seulement M. de Genoude et son école accommodaient avec un persévérant artifice ce dogme à l'esprit du temps. Sa légitimité était plus libérale que la république. Tout ce que l'activité de l'homme des ressources du publiciste, l'adresse de l'esprit, le courage du citoyen peuvent déployer de fécondité et de tactique pour tin système, M. de Genoude le multipliait dans son journal. Il sapait tous les ministères, il restait isolé dans son dogme et dans son individualité. Il était l'opposition de droit 'divin il tous les essais humains de gouvernement hors de son principe. Il applaudissait à chaque chute. il prophétisait chaque ruine. Il avait l'infaillibilité de la menace contre tous et contre tout. Beaucoup d'esprits mécontents parmi ceux que le temps laisse en arrière se complaisaient dans cette accusation perpétuelle d'impuissance et dans ce défi adressé aux hommes de la dynastie. Les oppositions les plus contraires se prêtent des armes contre l'ennemi commun. Les légitimistes en prêtaient aux républicains. les républicains aux légitimistes. M. de Genoude n'était plus un homme, c'était un système. La Gazette de France était plus qu'un journal, c'était l'anathème de la dynastie.

 

XII.

Le National était le journal de l'opinion républicaine, la pierre d'attente de la future révolu-lion. Toutefois la république n'étant encore pour les masses qu'un pressentiment lointain, ce journal n'avait pas une immense clientèle dans le pays. On le lisait par une certaine curiosité d'esprit qui veut connaître ce que lui réservent les éventualités même les moins probables de l'avenir. C'était la satire prophétique plus que la philosophie du parti républicain. Ce journal se tenait dans des limites indécises entre l'acceptation du gouvernement monarchique et la profession de foi de la' république. Quelquefois il semblait s'entendre trop intimement avec l'opposition purement dynastique. Il manquait peu d'occasions de favoriser dans l'opinion les tactiques, les vues et la politique de M. Thiers. On le soupçonnait d'un concert occulte avec ce ministre en expectative de la dynastie, ou tout au moins de complaisance d'esprit envers ce parti.

M. Marrast le rédigeait, c'était le Camille Desmoulins sérieux et modéré de la future république. Jamais la facilité, la souplesse, l'imprévu, la couleur, l'image méridionale, la saillie gauloise on attique ne décorèrent de plus d'ornements artificiels le poignard d'une polémique dans la main d'un Aristophane insouciant. Son esprit était l'éclair inattendu qui brille et menace â la fois en se jouant en losanges de feu à tous les points de l'horizon ; si capricieux et si habile qu'il amusait en les éblouissant ceux-là même qu'il allait frapper. Mais le génie de ce style était la malice et non la haine. Jamais une image sanglante, jamais un souvenir néfaste, jamais une provocation funèbre n'attristaient ses pages. On sentait sous ce talent un esprit plein d'impartialité, peut-être même de scepticisme. La volupté de l'artiste politique au lieu du sombre fanatisme du sectaire, l'horreur du vulgaire, le dégoût du jacobinisme, l'effroi des proscriptions, le soin des lettres, de l'éloquence, de la tolérance, de la gloire dans la liberté, était l'idéal républicain de M. Marrast. Sa révolution était le jeu d'esprit d'un homme d'imagination et d'un cœur bienveillant de femme.

Un autre journal prenait, depuis quelque temps dans l'opinion une place étroite, mais menaçante en face du National. C'était la Réforme. Ce journal représentait la gauche extrême, la république incorruptible, la révolution démocratique à tout prix. Il passait pour personnifier les inspirations politiques de M. Ledru-Rollin et de trois ou quatre députés importants de la Chambre. C'était la tradition de la Convention renouée cinquante ans après les combats et les vengeances de la Convention. la Montagne avec ses foudres et ses fureurs au milieu d'un temps de paix et de sérénité, les accents de Danton dans une académie politique. une terreur de fantaisie, une colère systématique, un jacobinisme exhumé de l'âme des morts de 1794, un contre-sens à la république future en voulant la refaire dans des circonstances toutes différentes à l'image de la première république.

La Réforme pour remuer plus profondément le peuple et pour recruter tous les hommes d'action à la journée de la république touchait quelquefois à ce qu'on nomme le socialisme. C'est-à-dire que sans adhérer à aucune de ces sectes radicalement subversives et rénovatrices de la société, telles que le Saint-Simonisme, le Fourriérisme, l'Organisation du travail ou le communisme, la réforme jetait l'anathème à l'ordre social existant. elle laissait entrevoir dans la révolution politique une révolution du prolétariat, du travail et de la propriété.

Mais plus habituellement ce journal répudiant les chimères bornait son opposition politique aux attaques directes et mortelles contre la royauté.

Il était rédigé habituellement par M. Flocon, main intrépide, esprit ferme, caractère loyal même dans la guerre d'opinion faite à ses ennemis. M. Flocon était un de ces républicains de la première race qui avaient pétrifié leur dans les sociétés secrètes, dans les conjurations et dans les cachots. Froid d'extérieur, rude de physionomie et de langage, quoique fin de sourire, simple et sobre d'expression, il y avait dans sa personne, dans sa volonté et dans son style quelque chose de la rusticité romaine, mais sous cette écorce un cœur incapable de fléchir devant la peur, toujours prêt à fléchir devant la pitié. Il avait de plus une qualité gouvernementale, bien rare cher les hommes nourris dans les habitudes d'opposition. Il savait ce qu'il voulait. Il le voulait à tout prix, il le voulait jusqu'au but mais il ne voulait pas au delà. En un mot, il savait s'arrêter à ce qui lui semblait juste, possible, raisonnable et il savait se retourner pour défendre sa limite d'idée contre ses propres amis. C'est-à-dire que sous le conspirateur il y avait dans M. Flocon l'homme d'action.

 

XIII.

Une sorte de coalition tacite entre tous les partis représentés par ces journaux ainsi que par d'autres éminents organes des opinions plus nuancées, tels que le Courrier français, la Démocratie pacifique, le Commerce s'était formée contre le ministère de M. Guizot. On avait à la fin de la session de 1847 concerté ensemble un plan d'agitation générale de Paris et des départements sous la forme de banquets politiques. L'initiative de cette agitation avait été prise par l'opposition dynastique comme si l'impatience dit été dans ces hommes rapprochés et ambitieux du pouvoir une passion plus âpre et plus aveugle que la logique même des républicains.

M. Thiers cependant ne semblait pas tremper de sa personne dans cette agitation. Peut-être sa prescience d'homme d'état et d'historien lui en découvrait-elle de loin les dangers ? Peut-être aussi sa situation de ministre en perspective après le triomphe de ses amis lui commandait-elle une réserve qu'il osa courageusement maintenir contre son propre parti.

M. Duvergier de Hauranne, ancien ami de M. Guizot, nouvel ami de M. Thiers, passionné dans les luttes, désintéressé après les victoires, nature éminemment parlementaire, plus fier de remuer que de régner, sans autre soif que celle de l'influence, patriote vrai et courageux, sobre de gloire, probe d'ambition ; entrains les amis de M. Thiers, ceux de M. Barrot et M. Barrot lui-même dans ce mouvement. Le mot d'ordre était la réforme électorale.

 

XIV.

Le parti du National et celui de la Réforme aperçurent avec la clairvoyance de la passion la portée de cette mesure des banquets, mesure désespérée et révolutionnaire adoptée par l'opposition dynastique. Les républicains trop faibles de nombre et trop suspects à l'opinion pour oser et pour agir seuls allaient avoir pour auxiliaires les amis mêmes de la dynastie, les fondateurs du trône de Juillet, les auteurs des lois répressives, et la moitié au moins de la garde nationale et des électeurs. [hie fois le pays en mouvement où s'arrêterait-il ? Serait-ce à un simple changement de ministère ? Serait-ce à une insignifiante adjonction d'électeurs privilégiés aux deux cent mille électeurs qui exprimaient à eux seuls la souveraineté du peuple ? Serait-ce à une abdication du roi ? Serait-ce à une régence de femme ou de prince pendant la minorité d'un enfant ? peu leur importait. Toutes ces éventualités devaient profiter à leur cause.

Ils se hâtèrent de souscrire au banquet de Paris. Les hommes de l'opposition dynastique n'osèrent pas repousser les républicains. Ils auraient repoussé en eux tout le nombre, tout le bruit, toute la turbulence, toute la menace de leurs démonstrations. Le peuple s'en serait désintéressé en n'y voyant pas ses amis et ses tribuns. La cause était commune en apparence. Le cri était le même cri : Vive la Réforme.

Une coalition un peu punique s'était accomplie en 1859 par les oppositions antipathiques dans la Chambre et dans la presse entre M. Guizot et M. Thiers, M. Barrot et M. Berryer, M. Dufaure et M. Garnier-Pagès, les républicains et les royalistes. Cette coalition avait fait violence an roi constitutionnel, porté M. Thiers au pouvoir, contristé l'opposition sincère, perdu nos affaires extérieures en 1840 et démoralisé le gouvernement représentatif. Les mêmes partis, à l'exception de M. Berryer et de M. Dufaure firent la même faute contre le ministère de M. Guizot en 1848. Ils s'unirent pour renverser sans pouvoir s'unir pour reconstruire. Les coalitions de cette nature ne peuvent logiquement enfanter que des ruines. C'est leur impuissance pour le bien qui en fait l'immoralité. Les révolutions peuvent seules en profiter. Elles en profitent loyalement. La république est l'œuvre involontaire de la coalition parlementaire de 1840 et de la coalition d'agitation de 1848. M. Guizot et M. Thiers en faisant la première, MM. Duvergier de Hauranne et Barrot et leurs amis en faisant la seconde, furent sans le savoir les vrais auteurs de la république.

Le banquet de Paris fut le signal d'une série de banquets d'opposition dans les principales du royaume. Dans quelques-uns les républicains et les agitateurs dynastiques furent réunis et couvrirent de paroles élastiques et vagues les incompatibilités de leur programme. Dans quelques autres comme à Lille, à Dijon, à Châlons, à Autun, ils se séparèrent franchement. M. Odilon Barrot et ses amis, M. Ledru-Rollin et les siens refusèrent de se prêter à ce concert hypocrite, ils marchèrent chacun à son but, l'un la réforme modérée et monarchique de la loi électorale, l'autre la réforme radicale du gouvernement c'est-à-dire à la République.

Cette scission se caractérisa d'abord au banquet de Lille. M. Barrot refusa d'y siéger si l'on ne donnait pas le signe d'adhésion constitutionnelle à la monarchie par un toast au roi. Cette décision se caractérisa davantage à Dijon et à Chalons. M. Flocon et M. Ledru-Rollin firent là des discours précurseurs d'une révolution déjà accomplie dans l'esprit de leurs partisans.

Quelques hommes de l'opposition parlementaire, de nuances isolées, tels que MM. Thiers, Dufaure, Lamartine s'abstinrent avec scrupule de paraître à ces banquets. Ces démonstrations confuses et turbulentes leur parurent sans doute ou ne pas atteindre ou dépasser les bornes de leur opposition. Ils craignirent de s'associer par leur présence ceux-ci à une révolution, à une opposition ambitieuse et purement ministérielle. Ils se renfermèrent ainsi que beaucoup d'autres membres de la chambre dans leur conscience et dans leur individualité.

 

XV.

Cependant un autre banquet eut un grand retentissement en France à la même époque. Ce fut le banquet offert à M. de Lamartine à son retour de la Chambre par ses compatriotes de Mâcon. L'objet de ce banquet n'était pas politique. M. de Lamartine avait refusé, d'assister aux banquets réformistes selon lui niai définis et trop peu précisés dans leur objet. Adversaire de la coalition parlementaire de 1838 à 1840, il ne pouvait, sans se démentir lui-même, s'associer à la coalition parlementaire et agitatrice de 1847. Il marchait seul à un but déterminé dans son esprit. Il n'était pas dans sa nature de se jeter dans une mêlée d'opposition sans programme commun, pour marcher avec ses adversaires vers l'inconnu. Il avait exprimé franchement cette réserve dans des articles du Bien public de Mâcon, petit journal à grands échos, répercuté alors par toute la presse de Paris et des départements.

Le banquet de Mâcon avait pour objet de féliciter M. de Lamartine fraternellement aimé de su concitoyens, sur le succès de l'Histoire des Girondins, livre que M. de Lamartine venait de publier récemment.

Le livre avait été beaucoup lu, non-seulement en France mais dans toute l'Europe. En Allemagne, en Italie, en Espagne, les éditions et les traductions de l'Histoire des Girondins se multipliaient comme l'aliment quotidien des âmes. Il remuait les cœurs, il faisait penser les esprits, il reportait les imaginations vers cette grande époque et vers ces grands principes que le dix-huitième siècle riche de pressentiments et chargé d'avenir avait voulu léguer en mourant à la terre pour la délivrer des préjugés et des tyrannies. Il lavait le sang criminellement versé par la colère, par l'ambition ou par la lâcheté des acteurs du drame de la République. Il ne flattait rien dans la démagogie, il n'excusait rien dans les bourreaux, il plaignait tout dans les victimes. Mais sa pitié pour les vaincus ne l'aveuglait pas. Il plaignait les hommes, il pleurait les lemmes, il adorait la philosophie et la liberté. La vapeur du sang des échafauds ne lui voilait pas les saintes vérités qui se levaient sur l'avenir derrière cette fumée de l'exécrable holocauste. Il balayait courageusement ce nuage. il suppliciait historiquement les meurtriers. il restituait son droit et son innocence à l'idée nouvelle pure des crimes de ses sectateurs. il la vengeait du crime qui l'avait souillée en prétendant la servir. Il renvoyait l'opprobre aux démagogues, la gloire à la révolution.

 

XVI.

En réponse à un discours du maire de Mâcon M. Roland jeune homme, qui osa compromettre sa magistrature par confesser son opinion et son amitié politique, M. de Lamartine saisit l'occasion de révéler une fois de plus sa pensée à son pays. Il parla en homme dévoué d'intelligence et de cœur à la cause de la liberté de l'esprit humain et des progrès de la démocratie organisée.

Concitoyens et amis, dit-il,

Avant de répondre à l'impatience que vous voulez bien témoigner, laissez-moi vous remercier d'abord de la patience et de la constance qui vous ont fait résister, imperturbables et debout, aux intempéries de l'orage, au feu des éclairs, aux coups de la foudre, sous ce toit croulant et sous ces tentes déchirées. Vous avez montré que vous êtes vraiment les enfants de ces Gaulois qui s'écriaient dans des circonstances plus sérieuses : Que si la voûte du ciel venait à s'écrouler, ils la soutiendraient sur le fer de leurs lances !

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Mais, Messieurs, allons tout de suite au fond de cette démonstration. Mon livre avait besoin d'une conclusion et c'est vous qui la faites !..... La conclusion, c'est que la France sent tout à coup le besoin d'étudier l'esprit de sa Révolution, de se retremper dans ses principes épurés, séparés des excès qui les altérèrent, du sang qui les souilla et de puiser dans son passé les leçons de son présent et de son avenir.

Oui, rechercher après un demi-siècle, sous la cendre encore chaude des événements, sous la poussière encore émue des morts, l'étincelle primitive, et, je l'espère, immortelle, qui alluma dans l'âme d'un grand peuple cette ardente flamme dont le monde entier fut éclairé, puis embrasé, puis en partie consumé ; rallumer, dis-je, cette flamme trop éteinte dans le cœur des générations qui nous suivent, la nourrir, de peur qu'elle ne s'assoupisse pour jamais, et ne laisse une seconde fois la France et l'Europe dans l'obscurité des âges de ténèbres ; la surveiller et la purifier aussi, de peur que sa lueur ne dégénère par sa compression même en explosion, en incendie et en ruine ; voilà la pensée du livre ! voilà la pensée du temps ! démentirez-vous si je dis : Et voilà votre pensée ! (Non ! non !)

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Je me suis dit dès l'âge de raison politique, c'est-à-dire dès l'âge où nous nous faisons à a nous-mêmes nos opinions après avoir balbutié, en enfants, les opinions ou les préjugés de nos nourrices : Qu'est-ce donc que la Révolution a française ?

La Révolution française est-elle, comme le disent les adorateurs du passé, une grande sédition du peuple qui s'agite pour rien et qui, brise dans ses convulsions insensées, son Église, sa monarchie, ses castes, ses institutions, sa nationalité et déchire la carte même de l'Europe ? Non ! la révolution n'a pas été une misérable sédition de la France ; car une sédition s'apaise comme elle se soulève, et ne laisse après a elle que des ruines et des cadavres. La révolution a laissé des échafauds et des ruines, il est vrai, c'est son remords et son malheur, mais elle a laissé une doctrine ; elle a laissé un esprit qui durera et qui se perpétuera autant que vivra la raison humaine.

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Le premier dogme de la révolution bienfaisante que cette philosophie voulait faire prévaloir dans le monde, c'est la paix ! l'extinction des haines de peuple à peuple, la fraternité entre les nations : nous y marchons ! nous avons la paix ! je ne suis pas de ceux qui rejettent aux gouvernements qu'ils accusent jusqu'à leurs bienfaits. La paix sera dans l'avenir, selon moi, la glorieuse amnistie de ce gouvernement contre ses autres erreurs. Historien ou député, homme ou philosophe, je soutiendrai toujours la paix avec le gouvernement ou contre lui, et vous pensez comme moi. La guerre n'est qu'un meurtre en masse, le meurtre en masse n'est pas un progrès ! (Longs applaudissements.)

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Ah si nous continuons encore quelques années à abandonner, par notre propre inconstance, tout le terrain gagné par la pensée française, prenons garde ! Ce ne sont pas seulement tous les progrès, toutes les lumières, toutes les conquêtes de l'esprit moderne ; ce n'est pas seulement notre nom, notre honneur, notre rang intellectuel, notre influence d'initiative sur les nations qu'il nous faudra déserter, laisser honteusement derrière nous ! c'est la mémoire et le sang de ces milliers d'hommes, combattants ou victimes qui sont morts pour nous assurer ces conquêtes ! Les peuplades sauvages d'Amérique disent aux envahisseurs européens -qui viennent les chasser de leur sol : Si vous voulez que nous vous cédions la place, laissez-nous du moins emporter les os de nos pères ! Les os de nos pères à nous ! ce sont les vérités, les lumières qu'ils ont conquises au monde et qu'une réaction d'opinions toujours croissante, niais qui doit s'arrêter enfin, voudrait nous contraindre à répudier !

Mais encore une fois y parviendra-t-on ? Voyons ! L'histoire apprend tout, même l'avenir. L'expérience est la seule prophétie des sages !

Et d'abord ne nous effrayons pas trop des réactions. C'est la marche, c'est le flux et le reflux de l'esprit humain. Souffrez une image empruntée à ces instruments de guerre que beaucoup d'entre vous ont maniés sur terre ou sur mer dans les combats de la liberté. Quand les pièces de canon ont fait explosion et vomi leur charge sur nos champs de bataille, elles éprouvent par le contre-coup même de leur détonation un mouvement qui les fait rouler en arrière. C'est ce que les artilleurs appellent le recul du canon. Eh bien ! les réactions en politique ne sont pas autre chose que ce refoulement du canon en artillerie. Les réactions, c'est le recul des idées ! Il semble que la raison humaine, pomme épouvantée elle-même des vérités nouvelles que les révolutions faites en son nom viennent de lancer dans le monde, s'effraie de sa propre audace, se rejette en arrière et se retire lâchement de tout le terrain qu'elle a gagné. Mais cela n'a qu'un jour, Messieurs ! d'autres mains reviennent charger cette artillerie pacifique de la pensée humaine, et de nouvelles explosions, non de boulets mais de lumières, rendent leur empire aux vérités qui paraissaient abandonnées ou vaincues.

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Ainsi, ne nous occupons pas beaucoup de la durée de ces réactions, et voyons ce qui se passera quand elles auront achevé leur mouvement irrégulier en arrière. Le voici selon moi :

Si la royauté, monarchique de nom, démocratique de fait, adoptée par la France en 1830 comprend qu'elle n'est que la souveraineté du peuple assise au-dessus des orages électifs, et couronnée sur une tête pour représenter au sommet de la chose publique l'unité et la perpétuité du pouvoir national ; si la royauté moderne, délégation du peuple, si différente de la royauté ancienne, propriété du trône, se considère comme une magistrature décorée d'un titre qui a changé de signification dans la langue des hommes ; si elle se borne à être un régulateur respecté du gouvernement, marquant et modérant les mouvements de la volonté générale, sans jamais les contraindre, sans jamais les fausser, sans jamais les altérer ou les corrompre dans leur source, qui est l'opinion ; si elle se contente d'être à ses propres yeux comme ces frontispices des vieux temples démolis que les anciens replaçaient en évidence dans la construction des temples nouveaux, pour tromper le respect superstitieux de la foule et pour imprimer à l'édifice moderne quelque chose des traditions de l'ancien, la royauté représentative subsistera un nombre d'années suffisant pour son œuvra de préparation et de transaction, et la durée de ses services fera pour nos enfants la mesure exacte de la durée de son existence. (Oui ! oui !)

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Mais espérons mieux de la sagesse des gouvernements éclairés tard, peut-être, mais éclairés à temps, désirons-le, pour ses intérêts ! Espérons mieux de la probité et de l'énergie de l'esprit public, qui semble avoir depuis quelque temps des pressentiments de crainte ou de salut ! que ces pressentiments que nous éprouvons nous-mêmes soient pour les pouvoirs publics des avertissements et non des menaces ! Ce n'est pas l'esprit de faction qui nous les inspire ! Nous n'avons rien de factieux ici dans nos pensées ! Nous ne voulons pas être faction, nous sommes opinion, c'est plus digne, c'est plus fort, c'est plus invincible. (Oui ! oui !) Eh bien ! messieurs, des symptômes d'amélioration dans l'opinion me frappent et vous frapperont peut-être aussi.

Entre ces deux partis qui prononcera ? qui sera juge ? Sera-ce comme dans nos premières luttes, la violence ? l'oppression ? la mort ? Non, messieurs ! rendons grâces à nos pères ; ce sera la liberté ! la liberté qu'ils nous ont léguée ; la If liberté, qui a ses propres aimes, ses armes pacifiques aujourd'hui pour se défendre et se développer sans colère et sans excès ! (On applaudit.)

Aussi nous triompherons ; soyez-en sûrs !

Et si vous demandez quelle est donc cette force morale qui pliera le gouvernement sous la volonté nationale, je vous répondrai : c'est la souveraineté des idées, c'est la royauté des esprits, c'est la république ! la vraie république ! la république des intelligences ! En un mot, c'est l'opinion ! Cette puissance moderne dont le nom même était inconnu de l'antiquité. Messieurs, l'opinion est née le jour même où ce Guttemberg que j'ai appelé le mécanicien du nouveau monde a inventé par l'imprimerie la E multiplication et la communication indéfinie de la pensée et de la raison humaine. Cette puissance incompressible de l'opinion n'a besoin pour régner, ni du glaive de la vengeance, ni de l'épée de la justice, ni de l'échafaud de la terreur. Elle tient dans ses mains l'équilibre entre les idées et les institutions, elle tient la balance de l'esprit humain ! Dans l'un des plateaux de cette balance, on mettra longtemps, sachez-le bien, les crédulités d'esprit, les préjugés soi-disant utiles, le droit divin des rois, les distinctions de droits entre les castes, les haines entre les nations, l'esprit de conquête, les unions simoniaques entre le sacerdoce et l'empire, la censure des pensées, le silence des tribunes, l'ignorance et l'abrutissement systématique des niasses

Dans l'autre nous mettrons, nous, Messieurs, la chose la plus impalpable, la plus impondérable de toutes celles que Dieu a crées ? la lumière ! Un peu de cette lumière que la révolution française fit jaillir à la fin du dernier siège, d'un volcan sans doute, oui, mais d'un volcan de vérités ! (Applaudissement prolongé.)

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XVII.

Ce discours reproduit le lendemain par la presse tout entière, exprimait assez la véritable pensée du pays. un mécontentement sourd du système suivi par la couronne qui sacrifiait à l'extérieur les intérêts légitimes de la France à l'ambition de la dynastie d'Orléans. un amour philosophique et raisonné des principes démocratiques délivrés à une oligarchie étroite de deux ou trois cent mille électeurs aisément captés ou corrompus par les ministres, enfin la crainte sincère chez presque tous d'une révolution qui lancerait le pays dans l'inconnu, le désir de faire accomplir par le gouvernement représentatif élargi et fortifié les progrès de l'avènement démocratique, l'appel à l'énergie modérée dans le peuple. à la prudence et l la réflexion dans le gouvernement. Ce discours ne passait pas les bornes que s'imposait la conscience politique de l'orateur. Les fruits et les promesses de la première révolution sans révolution nouvelle, s'il était possible. mais l'esprit de la révolution conservé et vivifié par les institutions sous peine de honte pour la France et sous peine de mort pour les idées qui font la grandeur et ta sainteté de l'esprit humain. C'était la fidèle interprétation du sentiment publie, le cri prophétique de l'âme du pays. Tout ce qui dépassait ce langage dépassait le temps.

 

XVIII.

M. de Lamartine, sans craindre de compromettre la popularité dont il jouissait alors dans son département et en France, osa combattre hardiment quelques jours après les doctrines que M. Ledru-Rollin et ses amis avaient exprimées au banquet révolutionnaire de Dijon, les symboles de 1793 arborés, disait-on, par le même parti au banquet de Châlons et les prédications antisociales qu'un jeune orateur avait fait applaudir au banquet communiste d'Autun.

Les banquets, disait M. de Lamartine en parlant de ceux de Dijon et de Châlons, sont le tocsin de l'opinion. Quelquefois ils frappent juste, quelquefois ils brisent le métal. Il y a eu dans ces manifestations des paroles qui font trembler le sol et des souvenirs qui rappellent ce que la démocratie actuelle doit faire oublier. Pourquoi reprendre d'un temps ce qui doit être enseveli avec ce temps lui-même ? Pourquoi ces imitations, nous dirions presque, ces parodies de 1793 ? Y aurait-il donc une livrée de la liberté comme il y avait une livrée des cours ? Je dis, moi, que c'est là non-seulement une puérilité mais un contre-sens. On donne ainsi à la démocratie régulière et sensée de l'avenir l'apparence et la couleur de la démagogie passée. Cela travestit l'esprit public et en le travestissant cela le fait méconnaître. Cela rappelle cruellement aux uns la pique sous laquelle leurs pères sont morts, à ceux-ci leurs propriétés dispersées, à ceux-là leurs temples profanés, à tous des jours de tristesse, de deuil, de terreur qui ont laissé une ombre sur la pallie. Chaque époque doit être conforme à elle-même, nous ne sommes pas 1795 ; nous sommes 1847 ; c'est-à-dire : nous sommes une nation qui a traversé la Mer rouge et qui ne veut pas la traverser de nouveau, une nation qui a mis le pied sur le rivage et qui veut marcher encore, mais qui veut marcher en ordre et en paix vers ses institutions démocratiques, une nation dont le gouvernement se trompe et qui veut l'avertir, mais qui en grossissant sa voix pour se faire entendre de lui ne veut effrayer ni les citoyens paisibles ni les intérêts honnêtes, ni les opinions légitimes. Prenons garde, nous, hommes de la démocratie régulière. Si nous sommes confondus avec les démagogues, nous sommes perdus dans la raison publique. On dira de nous : Ils ont leur couleur, donc ils ont leur délire.

 

XIX.

Sur le banquet communiste d'Autun, M. de Lamartine s'exprimait le 14 novembre avec la même liberté.

Chaque idée a ses limites, s'écriait-il, limites dont elle ne doit pas sortir sous peine d'être méconnue et de porter la juste peine de son travestissement en subissant le discrédit qui s'attache à d'autres idées. Êtes-vous opposition démocratique, mais loyale, modérée, patiente ? venez avec nous. Etes-vous faction ? allez conspirer dans l'ombre. Etes-vous communistes ? allez applaudir au banquet d'Autun. Jusqu'à ce que tout cela s'éclaircisse, nous restons où nous sommes. Car nous voulons rappeler le pays à la vie politique, faire sentir à l'opinion sa force, créer une démocratie décente capable de s'éclairer de ses propres lumières, de se contenir par sa propre dignité, de se réunir sans alarmer, sans injurier ni la richesse, ni la misère, ni l'aristocratie, ni la bourgeoisie, ni le peuple, ni la religion, ni la famille, ni la propriété ; nous voulons préparer enfin à la France des assemblées dignes de ses grandes assemblées nationales et des comices dignes d'Athènes et de Rome ; mais nous ne voulons pas rouvrir le Club des Jacobins !

 

XX.

Pendant ces controverses entre les hommes qui -voulaient améliorer et les hommes qui voulaient détruire, d'autres manifestations inspirées et dirigées par l'opinion dynastique se multipliaient dans le nord du royaume. M. Odilon Barrot v faisait entendre des paroles graves, réfléchies, probes, mais contenues comme son caractère. Il allumait ainsi que ses amis le feu de l'opposition parlementaire. Cependant ces discours soulevaient contre le gouvernement plus d'indignation que n'en pouvait contenir une salle de banquet. Le peuple écoutait aux portes, acclamait les orateurs, leur faisait cortège à l'entrée ou à la sortie des villes. Il s'habituait à intervenir entre les ministres et les tribuns. A la fin de l'automne les promoteurs de ces émotions antiministérielles essayaient en vain de les modérer. Ils étaient partis pour recruter des forces à M. Thiers, à M. Barrot et à l'opposition, ils avaient recruté pour la révolution. L'impulsion du peuple dépasse toujours le but assigné par les hommes politiques. La raison ou l'ambition calculent. la passion déborde. Le peuple est toujours passion. L'opposition dynastique n'avait voulu qu'un changement de ministère opéré sous la pression des masses ; le peuple couvait déjà un changement de gouvernement. Derrière le peuple, des sectes plus radicales rêvaient un bouleversement complet de la société.

 

 

 



[1] Nous avons cru devoir conserver le système de ponctuation adopté par l'auteur.