LA GUERRE DE 1870

 

III. — SEDAN, METZ.

 

 

Les débris du 1er corps, échappés au désastre de Frœschwiller, étaient arrivés à Châlons. Ils y furent rejoints par le 5e corps (Failly), venu de Bitche, et par le 7e (Félix Douay), venu de Mulhouse.

On constitua ainsi une nouvelle armée, de cent vingt mille hommes, à la date du 17 août ; elle fut placée sous le commandement de Mac-Mahon.

Le plan du duc de Magenta était de se porter sous les murs de Paris ; c'était aussi l'avis de l'empereur, qui, parti de Gravelotte le 16 août, venait d'arriver à Châlons. Mais l'impératrice-régente déclarait que l'empereur ne rentrerait pas vivant aux Tuileries.

De son côté, Palikao s'opposait avec force à toute retraite sur Paris. Son plan était d'envoyer la nouvelle armée de Mac-Mahon au secours de l'armée de Bazaine, dont l'immobilité à Metz paraissait inexplicable. Les Français prendraient ainsi entre deux feux l'armée de Frédéric-Charles ; quant à l'armée du prince royal, qui suivait depuis le 6 août les vaincus de Frœschwiller, elle serait obligée de se retirer, pour n'être pas prise de flanc par la jonction de toutes les forces françaises.

Qu'une offensive aussi hardie pût brusquement changer le cours des événements, c'était possible ; à la condition, toutefois, de prendre une décision immédiate, de marcher, de courir, de voler. Activité, activité, vitesse ! c'était tout le mot d'ordre que Napoléon Ier donnait à Masséna au début de la campagne de 1809.

Mais Masséna avait sous la main une partie de ces régiments admirables, qui depuis Fleurus et Rivoli jusqu'à Austerlitz, Iéna et Friedland, n'avaient cessé d'aller de victoire en victoire, traversant l'Europe d'un élan irrésistible. Mac-Mahon avait sous la main des troupes ou déjà vaincues, ou démoralisées, ou mal entraînées. De 1809 à 1870, de Napoléon Ier à Napoléon III, les temps et les hommes étaient bien changés.

Cependant, il fallait prendre un parti ; c'était une question d'heures. Mac-Mahon commença par se porter à Reims, le 21 août ; ce qui revenait à bouger sans avancer, car, à Reims, il n'était pas plus près, ni de Paris, ni de Metz. Il traînait avec lui ce malheureux empereur, qui faisait pitié, qui allait suivre ses soldats jusqu'au jour du sacrifice suprême, et qui allait y assister inutile, impuissant, inerte.

A Reims, il y eut encore deux jours de perdus en concentrations, surtout en tergiversations. Enfin, le 23 août, Mac-Mahon se remit en marche. Cette fois il tournait le dos à Paris et il s'avançait vers le nord-est. Son armée avait été accrue du 12e corps, du général Lebrun, qui comprenait les troupes excellentes de l'infanterie de marine de la division Vassoigne. Mais elle se mouvait avec une extrême lenteur. A Rethel, elle perdit encore près de deux jours, le 24 et le 25. Elle était à peine arrivée le 26 et le 27 à la hauteur de Vouziers. C'est là qu'elle fut découverte par les reconnaissances de la cavalerie allemande.

A cette époque, milieu de la seconde quinzaine d'août, deux armées ennemies se dirigeaient sur Paris, à toute vitesse. L'une, l'armée du prince royal, qui marchait dans l'élan de sa victoire de Wœrth, venait de déboucher, les 24 et 25 août, dans la plaine de Champagne, par Bar-le-Duc et Vitry-le-François. L'autre, la IVe armée ou armée du prince royal Albert de Saxe. s'avançait parallèlement, au nord, c'est-à-dire sur la droite ; à la même date, elle débouchait aussi en Champagne, dans la direction de Sainte-Menehould.

Jusqu'au 26, Moltke n'eut d'autre objectif que Paris. Dans l'ignorance des mouvements de l'armée de Mac-Mahon, il crut que cette armée n'avait d'autre but que de couvrir la capitale ; il en fut même convaincu par la nouvelle de son transport de Châlons à Reims.

Brusquement, la vérité lui apparut. Il la sut d'abord par les indiscrétions déplorables des journaux français, qui, pour tenir leurs lecteurs au courant, publiaient toutes les nouvelles. Il la sut surtout par les reconnaissances de la cavalerie allemande.  Voilà la vraie cavalerie, c'est-à-dire celle à qui l'on a demandé de jouer son vrai rôle : les uhlans battaient le pays en tous sens, sans répit, nuit et jour, semant la terreur chez les populations affolées qui les voyaient sortir de tous les plis de terrain. Un soir, en arrivant du côté de Nouart, les cavaliers allemands, harassés de fatigue, poussèrent des hourras de victoire : devant eux, au nord et au nord-ouest, ils venaient d'apercevoir la ligne de feu des bivouacs de l'armée française. C'est la joie du chasseur qui a dépisté le gibier ; il n'a plus désormais qu'à le lancer, à l'atteindre et à le tuer.

Aussitôt, Moltke arrête la marche sur Paris. Dès le 26, un grand mouvement de conversion tourne tout de suite du côté du nord l'armée du prince royal, avec ses cent soixante mille hommes, et l'armée de la Meuse, avec ses quatre-vingt-dix mille hommes. On dirait une machine, parfaitement construite, qui tourne sur elle-même, sans à-coups, d'un quart de circonférence.

Il est triste de comparer la sûreté, la précision, la rapidité de ces deux armées allemandes, qui viennent de changer en quelques heures leur direction de marche et qui à présent vont droit au nord par la Meuse, l'Aire et l'Aisne, comme si elles faisaient des grandes manœuvres en temps de paix et en terre allemande, avec le décousu, la lenteur de l'armée de Mac-Mahon ; celle-ci se traîne d'étapes en étapes, perd des heures et des jours, n'éclaire pas sa marche, elle ne peut pas même arriver à atteindre la Meuse, dont elle n'est séparée que par quelques kilomètres.

Le 27 août, à Buzancy, la cavalerie de Failly est brusquement assaillie par les escadrons d'Albert de Saxe. Mac-Mahon renonce alors à la marche en avant dans la direction de Metz ; il prend le parti de rétrograder au nord sur Mézières. Son idée est d'éviter le contact pour sauver son armée. Mais un ordre formel arrive de Paris ; il faut continuer la marche en avant et secourir à tout prix Bazaine.

Mac-Mahon, une fois de plus, revient sur ses pas. L'armée ne va plus sur Mézières ; elle va sur Mouzon, les instructions ont été données d'y franchir la Meuse le 30 août au plus tard.

Le 5e corps (Failly), qui est à la droite, c'est-à-dire dans la partie la plus exposée, s'épuise en funestes détours. Le 27, à Buzancy, il avait eu un brusque contact avec l'ennemi ; le 29, à Nouart, il a encore un engagement avec les Saxons. Alors, il se reporte au nord ; dans la nuit du 29 au 30, il arrive à Beaumont.

Les troupes étaient à bout de forces ; les soldats, épuisés, tombaient comme des masses. Cependant Failly montrait une incroyable sécurité, bien que sa position fût très dangereuse ; car, de trois côtés, Beaumont est dominé par des bois épais. Il ne prit pas une précaution ; pas un détachement ne fut envoyé en reconnaissance ; c'est à peine si quelques sentinelles furent postées à côté même des compagnies disloquées et en repos. Les hommes se mirent à faire la soupe.

Tout à coup, à midi et demi, dans cette même journée du 30 août, sortant des fourrés qui dominent la Meuse, une terrible pluie d'obus se mit à fondre sur les Français. Ce fut un moment d'une indicible confusion. Dans cette triste guerre, où les Français furent si souvent surpris, il n'y eut jamais une surprise plus foudroyante. Au bout de deux heures, la position n'était plus tenable. Alors Failly donne l'ordre d'évacuer Beaumont et de se replier sur Mouzon.

Il fallait sauver les débris du 5e corps. On demanda encore à la cavalerie de se sacrifier. Pauvre cavalerie, si inintelligemment employée par les chefs de corps français ! Elle est l'arme offensive par excellence, puisqu'elle est l'arme rapide et mobile, qui peut, qui doit se transporter partout ; on n'a jamais su lui demander que des sacrifices inutiles. Cette fois, ce fut le 5e cuirassiers, du colonel de Contenson, qui se fit décimer.

Cependant l'ennemi, qui avait perdu lui-même trois mille cinq cents hommes, fut tenu en arrêt pendant quelques moments. Le corps de Lebrun put appuyer les débris du corps de Failly ; le même soir, ils parvinrent à atteindre Mouzon et à y franchir la Meuse, dans une confusion facile à comprendre.

Cette funeste et stupide bataille du 30 août coûtait aux Français quatre mille huit cents hommes ; mais elle avait un plus triste résultat : l'opération projetée, la marche sur Metz, était impossible. Mac-Mahon, revenant à son idée de se dérober au plus tôt dans la direction du nord, indiqua la position de Sedan comme point de ralliement.

Dans la journée du 31 août, toute l'armée française se trouvait réunie sous les murs de Sedan.

 

* * *

 

Le terrain où allait s'engager la bataille suprême, a la forme d'un triangle. Le sommet est au nord le calvaire d'Illy, avec le bois de la Garenne ; la base est la Meuse avec Sedan, qu'entourent de vieilles fortifications ; les côtés sont formés par deux ravins qui descendent vers la Meuse : à l'est, en amont, le ravin de Givonne, à l'ouest, en aval, le ravin de Floing.

Le 12e corps, de Lebrun, prit position à Bazeilles, près du sommet de l'angle formé par la Meuse et le ruisseau de Givonne. Plus au nord, à la hauteur de Givonne, s'établit le 1er corps, de Ducrot. Le 7e corps, de Félix Douay, tenait le bois du plateau de la Garenne, du calvaire d'Illy au village de Floing. Quant aux débris du 5e corps, ils formaient la réserve auprès de l'enceinte de Sedan ; lorsqu'ils prirent position, ils étaient sous les ordres d'un vaillant officier de l'armée d'Afrique, le général Wimpffen, qui depuis la veille avait remplacé Failly.

Position étranglée, étriquée, où les troupes ne pouvaient ni manœuvrer ni se déployer ; loin d'être un champ de bataille, c'était à peine un mauvais campement, et un campement dangereux, car cette position, dominée de tous les côtés par une ceinture de hauteurs, était un véritable entonnoir.

Aussi bien, il n'était nullement dans les intentions de Mac-Mahon de te battre à Sedan ; il voulait seulement donner quelques heures de repos à ses troupes épuisées, puis les faire filer toutes ensemble sur Mézières par la rive droite de la Meuse ; de Mézières, il comptait gagner l'Oise et, par l'Oise, Paris.

L'extrême diligence des Allemands allait l'enserrer de toutes parts. Dès la soirée du 31, le cercle des ennemis était à peu près fermé autour de lui.

En aval de Sedan, la cavalerie du prince royal — une cavalerie qui marche, qui bat le pays et qui ne se sacrifie pas dans des chevauchées inutiles — s'était emparée du pont de Donchery. Quelques heures plus tôt, un détachement français était venu pour le détruire ; quand l'officier de ce détachement allait faire procéder à cette opération par ses sapeurs, on s'aperçut que le train qui l'avait amené était déjà reparti, en emportant la poudre et les outils. Ce n'est pas cependant avec les dix doigts de la main qu'on fait sauter un pont.

L'ennemi put donc occuper le pont de Donchery, demeuré intact, et il en construisit un autre en aval. Par ces deux passages, deux corps prussiens, le XIe et le Ve, filèrent vers le nord, jusque vers Vrigne-aux-Bois, puis vers l'est, par Saint-Albert. La route de Mézières était coupée.

En amont de Sedan, le 1er corps bavarois du général Von der Tann s'emparait du pont de Bazeilles, au moment où les Français s'apprêtaient à le détruire. Trop tard !

Ainsi, encore de ce côté, toute route de retraite dans la direction du sud était fermée.

Le IIe corps bavarois s'établit juste en face de Sedan, sur la rive gauche de la Meuse, au plateau de Frénois. Il allait cribler de projectiles la ville même, et ses obus, passant par-dessus les murs, allaient prendre à revers les troupes du 5e corps français.

Le roi Guillaume et son état-major étaient établis près du village de Frénois. De cet observatoire, ils pouvaient embrasser tout le terrain, où Moltke allait faire, comme sur un échiquier, une application terrible de sa formule : marcher séparés, combattre unis.

Enfin, sur la rive droite de la Meuse, face au ruisseau de Givonne, du sud au nord, de la Meuse à la frontière belge, qui est là, à quelques kilomètres à peine, l'armée du prince royal de Saxe prit position. La cavalerie de la garde allait s'établir à son extrême droite. Tous les débouchés étaient fermés aux Français dans la direction de Metz.

Cent quarante mille Allemands se massaient ainsi autour de quatre-vingt-dix mille Français. Ils allaient les prendre comme dans une souricière sans issue ; avant même de se battre, les Français étaient vaincus.

La bataille se livra le 1er septembre.

Dès quatre heures du matin, dans le plus grand silence, les Bavarois viennent attaquer Bazeilles. L'infanterie de marine est là ; secondés par les habitants, les marsouins font la plus énergique résistance. Mais cette poignée de braves va succomber. Mac-Mahon se porte à leur secours, du côté de la Moncelle, auprès de Bazeilles. A ce moment, à six heures et demie du matin, il fut blessé, à la cuisse, d'un éclat d'obus, qui le mit hors de combat. Il désigna Ducrot, commandant du 1er corps, pour prendre le commandement en chef.

Ducrot, le chef énergique par excellence, Ducrot, qui devait montrer au cours du siège de Paris de réelles qualités d'homme de guerre, eut un moment d'émotion en apprenant la lourde responsabilité qui, tout à coup, lui incombait. Mais son parti fut pris immédiatement : c'était la retraite.

Ordre est transmis sur-le-champ à tous les corps de se concentrer sur le plateau d'Illy ; il s'agit de s'ouvrir la route de Mézières, en s'y ruant en masse. Pour lui, la route de Mézières, c'est l'unique chance de salut. Le mouvement commence. Il était alors environ huit heures.

Une heure plus tard, l'armée changeait encore de général. En vertu d'une lettre de service que lui avait donné le ministre Palikao pour remplacer le duc de Magenta en cas de malheur, — lettre de service qui s'expliquait par la campagne très brillante qu'il avait faite naguère dans le Sud-Oranais contre les Ouled-Sidi-Cheikh, Wimpffen prit le commandement en chef. Alors, avec lui, plus de retraite : une bataille. Il nous faut une victoire ! Une victoire ? répondit Ducrot, en reprenant le commandement du 1er corps ; nous serons trop heureux si nous avons une retraite.

La bataille reprit donc, avec une ardeur sauvage. Elle était terrible du côté de Bazeilles. Une poignée de héros, sous les ordres du commandant Lambert, tint tête aux Bavarois jusqu'aux dernières limites de la résistance, jusqu'à la dernière cartouche, suivant le nom de la petite maison qui est à l'entrée du village. A midi, tout Bazeilles était en feu. Devant ces deux bicoques, Bazeilles et Balan, les Allemands avaient perdu près de quatre mille hommes.

Autre part, leurs succès furent plus rapides. A l'est, les Saxons et la garde prussienne se rendaient maîtres de tous lés passages du ruisseau de Givonne. Les Français reculent ; les malheureux se tassent les uns sur les autres.

A l'ouest, l'armée du prince royal de Prusse enlevait Floing au corps de Félix Douay-. Le 7e corps recule ; les régiments français sont comme pris dans un étau. Le général de Galliffet lance à l'assaut ses trois régiments de chasseurs d'Afrique, pour faire une trouée du côté du nord ; les trois régiments se brisent sur les pentes du ravin d'Illy.

A midi, la situation est comme perdue. L'artillerie et la cavalerie des deux ailes font leur jonction au delà du calvaire d'Illy. Le cercle est fermé ; il va se rétrécir et tout broyer.

Au cours de la bataille, sur les points les plus menacés, on voyait passer et repasser, cloué sur son cheval par un effort suprême de volonté, l'empereur. Le malheureux, suivi de son cortège d'officiers et des cent-gardes, assistait à l'agonie de son armée, de sa dynastie, de son pays. Il allait sous une pluie de fer, cible vivante et bien en vue qui cherchait la mort. Et la mort ne voulut pas de lui...

Vers une heure, le calvaire d'Illy tombe aux mains des Prussiens. Cent quarante-quatre pièces écrasent et pulvérisent le corps de Félix Douay ; en une demi-heure, toute l'artillerie du 7e corps est broyée. Sans appui, l'infanterie cède ; elle descend et roule vers Sedan.

Il est deux heures. Restait la cavalerie de réserve. Ducrot lui donne l'ordre de charger sur les hauteurs d'Illy et de Floing.

Chasseurs d'Afrique, chasseurs à cheval, hussards, lanciers, cuirassiers se précipitent vers l'ouest. Margueritte les conduit ; il tombe blessé par une balle qui lui traverse les joues et lui coupe la langue ; mais il jette des cris rauques : En avant ! et de la main ordonne d'attaquer. Vive Margueritte ! répondent les chasseurs d'Afrique. Vengeons-le ! Galliffet prend le commandement. Nous sommes désignés, dit-il à ses officiers, pour protéger l'armée et il est probable que nous ne nous reverrons pas ; je vous fais mes adieux[1].

Le général Ducrot était accouru : Allons, mon petit Galliffet, s'écrie-t-il, encore un effort... pour l'honneur des armes !

Le général de Galliffet, se faisant l'interprète de tous ces braves qui vont courir gaiement à la mort, répond simplement, en soulevant son képi étoilé : Tant que vous voudrez, mon général, tant qu'il en restera un !

Galliffet fond sur l'infanterie qui gravit les escarpements et atteint la crête du plateau. Plusieurs charges s'exécutent coup sur coup, et durant une demi-heure, au son des trompettes et au milieu du crépitement des balles qui frappent les sabres et les fusils ou qui pénètrent dans la chair des chevaux avec le bruit d'un fer rouge plongé dans l'eau, la cavalerie française s'élance, se replie, se rallie, repart avec le même enthousiasme et la même rage, et ne cesse de tourbillonner sur les pentes de Floing. Elle assaille des artilleurs qui se défendent avec le sabre ou l'écouvillon ; elle enfonce les lignes de tirailleurs ; elle renverse et culbute des pelotons, des compagnies. Oh ! les braves gens ! s'écriait le roi Guillaume, qui de Frénois assistait à l'action, et un autre témoin, un officier français, assure que le spectacle était émouvant, sublime, inoubliable. Mais partout l'infanterie prussienne profite des fossés, des haies et des moindres accidents du sol pour s'embusquer. Une fusillade continuelle refoule peu à peu tous les chocs de ces beaux régiments qui se sacrifient héroïquement à l'armée et laissent sur le terrain plus de la moitié de leur monde[2].

C'était fini. Entre trois et cinq heures, toutes les troupes refluent sur Sedan. Mais Wimpffen ne désespérait pas.

Ayant réuni cinq à six mille hommes, il se porte derechef sur Bazeilles ; il veut s'ouvrir une issue dans la direction de Carignan et de Montmédy. L'empereur vient de lui envoyer l'ordre de demander un armistice ; il refuse d'obéir. Il se rue sur Balan ; avec une poignée de soldats, que son énergie indomptable électrise, il se fait une trouée jusqu'à Bazeilles ; mais là il se heurte à une batterie de soixante-dix-huit pièces, qui écrase sa troupe héroïque. Il se retourne ; il était comme seul. A cinq heures et demie il rentre à Sedan.

Depuis deux heures et demie, le drapeau blanc flottait, sur l'ordre de l'empereur, au donjon de la ville. A la fin de la journée, l'empereur fit porter au roi de Prusse la lettre suivante :

Monsieur mon frère, n'ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu'à rendre mon épée entre les mains de Votre Majesté. Je suis de Votre Majesté le bon frère. NAPOLÉON.

C'est par cette lettre que les Allemands apprirent la présence de l'empereur à Sedan. La nouvelle circula comme une traînée de poudre. Des cris d'allégresse éclatèrent de toutes parts. Napoléon, l'empereur des Français, Napoléon, le neveu du vainqueur d'Iéna, était prisonnier.

L'infortuné Wimpffen passa la nuit, dans une maison de Donchery, à essayer de se débattre contre les conditions que Moltke exigeait.

Mais, disait Wimpffen avec des frémissements dans la voix, tout n'est pas fini. Nous lutterons jusqu'au bout, avec l'énergie du désespoir. On ne sait pas ce qui peut arriver... Nous sortirons peut-être d'ici, après tout...

La voix de Moltke reprenait, calme, froide, mortelle :

C'est impossible. Vous n'avez pas d'issues. Toutes les sorties par lesquelles vous pourriez vous échapper sont gardées et défendues de telle sorte que vous n'avez aucun intérêt à vous obstiner dans une résistance qui serait déraisonnable. L'encerclement est complet.

Ce n'était que trop vrai. Wimpffen était à la merci de l'ennemi : six cent quatre-vingt-dix canons étaient prêts à vomir la mort sur Sedan.

Le lendemain matin, 2 septembre, la capitulation fut signée. Elle livrait cinq cent cinquante-huit pièces de canon et quatre-vingt-trois mille hommes.

Pendant quatre jours, du 3 au 7 septembre, avant de partir pour les casemates des prisons allemandes, les troupes françaises furent parquées dans la presqu'île d'Iges. Ce fut pour elles le camp de la Misère. Elles y souffrirent, en effet, toutes les privations et toutes les souffrances physiques que des êtres humains peuvent souffrir ; mais qu'étaient ces douleurs au prix des tortures morales qui déchiraient les âmes des vaincus !

 

* * *

 

Après la bataille de Saint-Privat, du 18 août, l'armée de Bazaine s'était repliée sous les murs de Metz. Pleine d'ardeur, très vaillante, elle ne parlait que de s'ouvrir à tout prix une route de sortie. Son chef parut lui donner satisfaction. Le 26, — à pareille date, l'armée de Mac-Mahon était entre Rethel et Vouziers, — l'armée fut informée qu'une sortie allait se faire le jour même, par la rive droite de la Moselle, à l'est de Metz, pour gagner ensuite Thionville au nord et de là Montmédy à l'ouest.

Le temps était affreux. Les troupes, qui étaient sous les armes, étaient transpercées par la pluie. Jusque vers trois heures, elles attendirent le bon vouloir du généralissime. Les ordres arrivèrent enfin ; mais c'était pour rentrer à Metz.

Au cours de ce simulacre de sortie, un conseil de guerre avait été tenu au château de Grimont. Bazaine avait ouvert l'avis qu'il valait mieux s'arrêter. Soleille, qui commandait l'artillerie, Coffinières de Nordeck, qui commandait le génie, invoquèrent le défaut d'approvisionnements militaires ; on ne pouvait, disaient-ils, dans ces conditions, exposer l'armée à la série des combats que supposait une marche de Metz à Montmédy par Thionville. Donc, il était plus sage d'attendre.

Bazaine n'avait pas dit au conseil qu'il avait reçu, le 23 août, une dépêche de Mac-Mahon ; son collègue l'informait de la marche en avant de l'armée de Châlons dans la direction de Montmédy. Ce silence fut un crime de plus. Si les chefs de corps avaient connu la nouvelle, ils n'auraient pas parlé de la crainte, d'ailleurs peu fondée, de manquer de munitions. Sans un moment d'hésitation, ils auraient dit qu'il fallait sortir.

La trouée du 26 fut ajournée. Le conseil de guerre comblait les vœux secrets du maréchal. L'armée restait sous Metz ; c'étaient les chefs de corps qui avaient eux-mêmes ouvert et adopté cet avis.

Cependant on finit par savoir que l'armée de Mac-Mahon s'avançait du côté de Metz. Il fallut paraître faire quelque chose.

Bazaine ordonna de reprendre le 31 le mouvement esquissé le 26. Ce fut le combat de Noisseville, le 31 août et le 1er septembre. Les troupes n'arrivèrent en position que vers la fin de la journée, à quatre heures du soir. Manteuffel, qui commandait sur la rive droite, eut tout le temps de se renforcer. Le 3e corps, de Lebœuf, fait une attaque vigoureuse sur Noisseville. Bazaine ne la soutient pas. La nuit venue, il donne l'ordre de garder les positions. Le lendemain, 1er septembre, le combat recommence. Vers midi, à l'heure même où l'armée de Wimpffen était écrasée à Sedan, l'ordre arrive de se replier sur Metz.

On reçoit coup sur coup à Metz la nouvelle du désastre de Sedan, de la révolution du 4 septembre. Il semblait qu'il n'y avait plus de gouvernement. La seule armée encore existante était l'armée de Metz. Bazaine se crut maître des événements.

Alors commença pour lui une période d'intrigues louches et obscures, encouragées par Frédéric-Charles, qui bloquait Metz, et par Bismarck, qui, de Versailles, surveillait et dirigeait tout. Le gouvernement, prussien ne demandait qu'à endormir dans sa criminelle inconscience le général qui n'avait plus le sentiment de l'honneur. Les Prussiens laissèrent ainsi entrer à Metz un agent, du nom de Régnier, qui se prétendait envoyé par l'impératrice ; ils laissèrent sortir Bourbaki qui se rendait en mission auprès de l'impératrice, réfugiée en Angleterre ; ils laissèrent encore sortir le général Boyer, qui se rendit une première fois à Versailles et une seconde fois en Angleterre.

Ces allées et venues prirent des semaines. Gagner du temps, c'est tout ce que voulait Frédéric-Charles ; il attendait que l'armée de Metz fût vaincue par la faim. Comme on n'avait pas fait d'approvisionnements, on souffrit très vite du manque de pain et de viande.

Pour calmer les esprits, car l'effervescence devenait grande dans la population comme dans l'armée, le maréchal parla encore de tenter une sortie : velléité hypocrite, dont tout le résultat fut le petit combat de Bellevue ou de Ladouchamps.

Ce jour-là, 7 octobre, fut le dernier où l'armée se servit de ses fusils. Dès lors, pendant trois mortelles semaines, soldats et officiers assistèrent, la rage au cœur, à la décomposition de leur vaillante armée. Sans avoir pu combattre, elle mourait de la famine et du typhus ; sept mille deux cent trois Français moururent aux ambulances de Metz.

Les survivants s'enlisaient dans des flaques de boue dues à des pluies continuelles. Ce mois d'octobre fut atroce. On sentait venir la catastrophe ; on ne pouvait y croire. Comment admettre qu'on ne ferait rien pour sauver, avec l'honneur et les aigles, les derniers débris de l'armée ?

L'heure fatale approchait. Les circonstances trahirent le général qui avait trahi le pays en trahissant ses devoirs. Il avait voulu conserver à lui l'armée de la France pour s'en faire un instrument de dictature ; l'ennemi avait encouragé ses idées criminelles. Peu à peu il l'avait acculé à la capitulation la plus désastreuse.

Le 28 octobre, la capitulation fut signée. Le lendemain 29, les soldats de Frédéric-Guillaume plantaient le drapeau allemand sur les forts de Metz la Pucelle. La capitulation livrait à l'ennemi cent soixante-treize mille hommes et quatorze cents canons. Elle livrait aussi les aigles et les drapeaux, que Bazaine avait fait porter à l'arsenal, sous prétexte, de les détruire. Quelques régiments avaient refusé d'obéir ; ils avaient brûlé ou déchiré eux-mêmes ces morceaux d'étoffe sainte, symboles du devoir, de l'honneur, de la patrie.

Le train se remit en marche. Quelques minutes après, il stoppait encore.

— Qu'y a-t-il ? demandait cette fois Du Breuil.

Laune ne répondait pas ; son visage restait invisible, mais ses épaules tremblaient convulsivement.

Charlys s'était précipité. Il poussa un cri farouche :

— Oh ! nos drapeaux !

Du Breuil, Jacquemère, Floppe, s'écrasèrent pour voir. Tout le long du train courait ce cri ardent et désespéré : Nos drapeaux, nos drapeaux !... Devant la façade du château de Frescaty, une longue et large pelouse s'étendait jusqu'à la voie ferrée ; et là, sur deux rangs, dressant une avenue de gloire, tous les drapeaux étaient plantés. Un fantassin prussien, tranquillement, montait la garde.

Les aigles au sommet des hampes ouvraient leur vol. Les haillons de soie glorieuse, où s'inscrivaient en flamboiements d'or les fastes des régiments, pendaient inertes. Quelques-uns, portant la croix à la cravate, semblaient plus fiers que d'autres. Dans les plis des trois couleurs resplendissaient le sang des morts et le ciel bleu de la patrie. L'âme de la Révolution, les triomphes des deux empires palpitaient dans ces loques sublimes.

— Cinquante-trois aigles ! compta Charlys.

— Non, dit Floppe. Quarante et une ! c'est le chiffre officiel.

Charlys ricana :

— Comptez vous-même ! Bazaine n'en est pas à douze drapeaux près ! il a fait bonne mesure !..... à la pelle !..... au tas !.....

Il se tordit les mains. Laune avalait ses larmes. Floppe grinça :

— Ils sont plus forts que nous !..... Cette cruauté de mise en scène, ce raffinement d'injure.

Du Breuil releva la tête.

Ces drapeaux, l'ennemi les avait-il conquis dans la bataille ? Non !..... Bazaine, pour les livrer, avait dû faire assaut da ruse. Et ceux qui avaient échappé, brûlés ou lacérés, narguaient de leur absence l'humiliation des survivants !..... Cette rangée d'aigles n'était que du matériel aveugle, insensible. Qu'importait aux vaincus ?... On pouvait de ces lambeaux profanés souffleter les généraux de l'exil ; on pouvait, sur les routes boueuses, semer nos soldats jusqu'au fond de l'Allemagne. Tous les Français qui étaient là avaient le droit de contempler face à face, haut les yeux, ces signes éclatants de l'impérissable honneur national. Qu'importaient l'écroulement de l'Empire, ces revers inouïs, Sedan, Metz, l'inconnu des malheurs à venir ! Un espoir redressait chacun : la fortune changerait, les pires catastrophes ont un lendemain ! La vision affreuse disparut.

Dans ce creuset effroyable où le désastre avait entassé, avec les trophées de l'Empire, armes, sang, boue, les fortunes ruinées, les illusions détruites, tout le désespoir d'un peuple, l'avenir bouillonnait comme un métal en fusion. Une France nouvelle en jaillirait[3].

Jugé en 1873 par le conseil de guerre qui siégeait à Trianon, Bazaine allégua pour sa défense qu'il n'y avait plus après le 4 septembre de gouvernement légal. Aux sophismes de l'accusé, le duc d'Aumale fit une réponse célèbre ; elle fit passer dans la France entière comme un frisson patriotique.

M. LE MARÉCHAL. Ma situation était, en quelque sorte, sans exemple. Je n'avais plus de gouvernement ; j'étais, pour ainsi dire, mon propre gouvernement à moi ; je n'étais plus dirigé par personne, je n'étais plus dirigé que par ma conscience.

M. LE PRÉSIDENT. Ces préoccupations de négociations, alors, étaient donc plus puissantes sur votre esprit que la stricte exécution de vos devoirs militaires ?

M. LE MARÉCHAL. Oui, j'admets parfaitement que ces devoirs soient stricts, quand il y a un gouvernement légal, quand on relève d'un pouvoir reconnu par le pays, mais non pas quand on est en face d'un gouvernement insurrectionnel. Je n'admets pas cela.

M. LE PRÉSIDENT. La France existait toujours ![4]

Après la capitulation de Metz, l'armée du prince Frédéric-Charles, immobilisée depuis deux mois et demi, recouvra la liberté de ses mouvements. Elle fut envoyée aussitôt avec Manteuffel sur la Somme, avec Frédéric-Charles sur la Loire, contre les troupes de Faidherbe et de Chanzy.

 

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Un mois avant Metz, Strasbourg avait succombé. La capitale de l'Alsace, la reine de l'Ill à la merveilleuse cathédrale, la citadelle qui, suivant la légende d'une médaille de Louis XIV, fermait la France à l'Allemagne, avait été laissée dans le délabrement le plus complet. Le gouverneur de la place, le général Uhrich, dut tout improviser sur l'heure même. Car, dès le 9 août, trois jours seulement après Frœschwiller, les premières troupes allemandes arrivaient-devant ses murs. Le 16, l'investissement était complet.

L'ordre de Moltke était de prendre la ville à tout prix. Le 23 août, pendant la nuit, les Allemands commencèrent leur œuvre épouvantable. Une pluie d'obus s'abattit sur la ville, semant la mort et l'incendie. La nuit du 24 fut la nuit terrible ; elle dépassa en horreur toutes les autres. On entendait des cris d'épouvante, répétés de quartier en quartier : Au feu ! rue du Dôme ! Au feu ! au Broglie ! Au feu ! rue de la Nuée ! Au feu ! place Kléber ! Au feu ! place des Orphelins ! La Bibliothèque, avec ses livres rares et ses manuscrits, fut brûlée ; aussi brûlée la toiture de la cathédrale gigantesque : le plus horrible incendie que l'on pût voir ; de la toiture de la cathédrale le cuivre en fusion coulait en nappes de feu. Au cours de ce siège épouvantable, plus de cent quatre-vingt-dix mille projectiles furent jetés sur la ville sans défense ; six cents maisons brûlèrent.

Toute la population fit preuve des plus ardents sentiments de patriotisme. Vaillante, elle endura pendant trente et un jours les plus cruelles souffrances. Mais la défense ne pouvait rien. Les ouvrages extérieurs de la place tombaient les uns après les autres aux mains de l'ennemi. Le 27 septembre, la brèche était ouverte au corps de place. La ville allait subir les horreurs d'une prise d'assaut.

Pour épargner ces cruautés suprêmes à une population si malheureuse, Uhrich fit arborer le drapeau blanc au sommet de la cathédrale. Le 28 septembre, à onze heures du matin, les débris de la garnison quittaient la ville. Les Strasbourgeois serraient les mains de leurs compagnons de souffrance, à présent prisonniers. Au revoir ! leur disaient-ils, les larmes aux yeux. Au revoir ! Vous nous reviendrez.

Toul avait déjà succombé cinq jours plus tôt, le 23 septembre, après avoir arrêté l'ennemi pendant quarante jours et subi un bombardement terrible. Verdun fut couvert pendant trois jours d'une pluie d'obus ; en rendant la ville, le 3 novembre, le gouverneur obtint que le matériel de guerre fût restitué à la France après la paix. Laon avait été occupé dès le 9 septembre. Au moment où les Allemands entraient dans la place, un garde du génie, fou de douleur, fit sauter la citadelle.

Il est inutile de poursuivre cette lugubre énumération. Tôt ou tard, toutes nos places de l'Est, abandonnées à elles-mêmes, devaient succomber. Une seule, cependant, n'arbora pas le drapeau blanc : Bitche, isolée au fond de la Lorraine, sur un rocher des Vosges. Son défenseur, le commandant Teyssier, est le dernier des Français qui aient posé les armes ; il ne le fit que sur l'ordre formel du gouvernement. Le 27 mars, il remit aux ennemis une place qu'ils n'avaient pu prendre. La défense héroïque de Bitche dura près de huit mois, exactement deux cent trente jours.

 

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Après Sedan, on peut dire que la France n'avait plus d'armée. Celle de Mac-Mahon avait été détruite ou prise ; celle de Bazaine était enfermée dans Metz et n'en devait sortir que prisonnière. La guerre paraissait donc finie. Cependant elle dura cinq mois encore, et jamais elle ne fut plus énergique, plus disputée, plus ardente.

Ce fut le mérite du gouvernement de la Défense nationale, qui s'était improvisé à Paris, avec les députés de la Seine, lors de la révolution du 4 septembre, quand le régime impérial avait succombé en quelques heures. Ce fut le mérite de l'un de ses membres, tribun à la parole ardente, le patriote et démocrate Léon Gambetta, qui, pendant quelques semaines, remplit la France de l'héroïque confiance dont il était inspiré, et qui la transforma en une citadelle mouvante. Ce fut le mérite des Français, de tout âge, de toute condition, gens du Nord, du Midi, de l'Ouest et du Centre, improvisés soldats.

Au moment où le siège de Paris allait commencer, dès le 19 septembre, Paris fut séparé de la France, le gouvernement de la Défense nationale avait envoyé à Tours une délégation pour organiser la défense en province. Elle se composa d'abord de trois membres : Crémieux, Glais-Bizoin, l'amiral Fourichon. Celui-ci, un soldat, montra beaucoup d'activité et d'énergie. Cependant la délégation de Tours semblait n'être venue que pour présider à la désorganisation générale.

A partir de la mi-octobre, les choses changèrent d'aspect. Gambetta, parti de Paris en ballon, le 8 octobre, venait d'arriver à Tours. Il prit aussitôt entre ses mains vigoureuses les deux ministères de l'intérieur et de la guerre. Il confia les détails de l'organisation matérielle des armées à un ingénieur des mines, M. de Freycinet. Tout ce qu'il fallut dépenser d'activité, d'énergie, d'intelligence, pour mettre sur pied des troupes nouvelles, les équiper, les vêtir, leur fournir armes et munitions : il serait difficile de l'expliquer en quelques mots.

Qu'on se rappelle au moins que si la France put encore donner un fusil à chacun de ses enfants, c'est qu'elle eut la liberté de la mer, et qu'elle put aller acheter à l'étranger, en Angleterre et aux États-Unis, les ressources suprêmes que le sol de la patrie ne pouvait plus fournir.

Qu'on retienne encore ce chiffre. En moins de quatre mois, Gambetta et ses collaborateurs mirent sur pied près de six cent mille hommes, cinq mille par jour ! Gambetta et ses armées : c'est par ces mots que les Allemands résument la résistance de la province.

L'appareil était formidable. Beaucoup d'hommes, mais trop peu de soldats. Et cependant qui songerait à ménager sa reconnaissance à ces armées de la Loire, du Nord et de l'Est, à qui le succès a manqué ? Qui songerait à ne pas imiter, s'il le fallait encore, leur héroïsme ? Ces soldats sont morts, sans hésiter, pour l'honneur et pour la patrie, comme le dit la devise du drapeau, la patrie et l'honneur, ces deux choses saintes, pour lesquelles la vie, quelque douloureuse parfois qu'elle puisse être, vaudra toujours la peine d'être vécue.

 

 

 



[1] Arthur CHUQUET, la Guerre, 1870-71.

[2] Arthur CHUQUET, la Guerre, 1870-71.

[3] Paul et Victor MARGUERITTE, le Désastre, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1898. Cité d'après les Tableaux de l'Année tragique.

[4] Procès Bazaine. Librairie du Moniteur Universel, 1873. — Cité d'après les Tableaux de l'Année tragique.